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Bram Stoker - Dracula, Part (36)

Part (36)

» Je me mis donc à la tâche, et en une demi-heure j'avais trouvé le nom et l'adresse de l'avoué de Mrs. Westenra, et lui avais écrit. Les papiers de la pauvre femme étaient en ordre, et des indications claires sur le lieu où elle souhaitait être inhumée y figuraient. Je venais à peine de refermer la lettre, quand, à ma grande surprise, Van Helsing entra dans la chambre et dit : « Puis-je vous aider, mon ami John ? Je suis libre, et si nécessaire, je suis à vos ordres. » « Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ? » demandai-je, à quoi il répondit : « Je ne cherchais pas une chose en particulier. J'espérais seulement trouver quelque chose, et j'ai trouvé : seulement des lettres, quelques mémorandums, et un journal récemment commencé. Je les ai sur moi, et n'en parlons plus pour le moment. Je verrai ce pauvre garçon demain soir, et avec son accord, nous pourrons peut-être utiliser certains de ces documents. » Quand il eut terminé le travail en cours, il me dit : « Et maintenant, mon ami John, je crois que nous pouvons aller au lit. Nous avons besoin de sommeil, vous et moi, de nous reposer pour récupérer. Demain nous aurons beaucoup à faire, mais ce soir, il n'y a plus besoin de nous, hélas ! » Avant de partir, nous allâmes voir la pauvre Lucy. L'entrepreneur des pompes funèbres avait certes bien travaillé, car la chambre avait été changée en une petite chapelle ardente. Il y avait une profusion de belles fleurs blanches, ce qui rendait la

mort un peu moins repoussante, si c'était possible. Le visage était recouvert d'un linceul ; quand le Professeur se pencha pour le soulever délicatement, nous fûmes tous deux émus par la beauté de Lucy, que nous pouvions contempler à la lumière des grandes chandelles. Tout son charme lui avait été rendu dans la mort, et les heures qui s'étaient écoulées depuis, loin d'avoir laissé des traces de décrépitude, semblaient avoir restauré la beauté de la vie, à tel point qu'il m'était impossible de m'imaginer que j'avais devant les yeux un cadavre. Le Professeur avait un air grave. Il ne l'avait pas aimée comme je l'avais aimée, et il n'y avait pas de larmes dans ses yeux. « Restez ici jusqu'à mon retour » me dit-il avant de quitter la chambre. Puis il revint avec une poignée de fleurs d'ail qu'il avait prises dans la caisse qui avait été déposée dans le hall, et qui n'avait pas encore été ouverte. Il les disposa parmi les autres fleurs, sur le lit et autour du lit. Enfin il sortit de son col un petit crucifix d'or, le plaça sur la bouche de la morte, et remit en place le linceul. Puis nous sortîmes tous deux. J'étais en train de me déshabiller dans ma chambre, quand il entra, après avoir tapé à la porte pour m'avertir ; et sans attendre, il me dit : « Demain, je veux que vous m'apportiez, avant la nuit, un jeu de couteaux d'autopsie. » « Devons-nous faire une autopsie ? » demandai-je. « Oui et non. Je veux opérer, en effet, mais pas comme vous le pensez. Je vais vous expliquer, mais pas un mot à quiconque. Je veux lui couper la tête, et lui ôter le cœur. Ah, vous, un chirurgien, vous êtes choqué ! Vous que j'ai vu, la main et le cœur sûr, conduire des opérations dont dépendait la vie de vos patients, et devant lesquelles les autres frissonnaient de terreur. Oh, mais je ne dois pas oublier, mon cher ami John, que vous l'aimiez, et je ne l'ai pas oublié : c'est moi qui opérerai, et je ne vous demanderai que de m'assister. Je devrais le faire ce soir, mais je ne le ferai pas, pour Arthur : il sera libre après les funérailles de demain, et il voudra la voir – voir cette… chose. Alors, quand elle sera dans le cercueil le jour suivant, vous et moi viendrons quand tout le monde dormira. Nous dévisserons le couvercle du cercueil, et procèderons à l'opération, puis nous remettrons tout en place, afin que nul ne sache, à part nous. » « Mais pourquoi ? La jeune fille est morte. Pourquoi mutiler son pauvre corps sans raison ? Et s'il n'y a aucune nécessité de procéder à une autopsie, et rien à y gagner, ni pour elle, ni pour nous, ni pour la science, ni pour la connaissance humaine, pourquoi le faire ? C'est vraiment monstrueux ! » Pour toute réponse, il mit sa main sur mon épaule, et me dit, avec une infinie tendresse : « Ami John, votre pauvre cœur saigne et j'ai pitié de vous, et je ne vous en aime que davantage. Si je le pouvais, je prendrais sur mes épaules le fardeau que vous devez porter. Mais il y a des choses que vous ignorez, et que vous devrez savoir, et vous m'en remercierez alors, même si ce ne sont pas des choses plaisantes. John, mon enfant, vous êtes mon ami depuis tant d'années ; m'avez-vous déjà vu entreprendre une action sans avoir de bonnes raisons ? Je puis me tromper – je ne suis qu'un homme – mais je crois en tout ce que je fais. N'est-ce pas là la raison pour laquelle vous m'avez fait appeler lorsque tout a commencé ? Oui, n'étiez-vous pas abasourdi, et même horrifié, lorsque j'ai refusé qu'Arthur embrasse son amour, même lorsqu'elle était mourante, et que je l'ai repoussé de toutes mes forces ? Et pourtant vous l'avez vue me remercier, de ses beaux yeux de mourante, et de sa voix si faible, et vous l'avez vue embrasser ma vieille main rugueuse ! Oui ! Et ne m'avez- vous pas entendu lui faire une promesse, avant qu'elle ne ferme les yeux, pleine de reconnaissance ? Oui ! Eh bien, j'ai une bonne raison pour faire ce que je veux faire. Vous m'avez fait confiance pendant des années, vous m'avez cru pendant des semaines, quand il se produisait des évènements si étranges que vous auriez très bien pu douter. Faites-moi encore confiance un petit moment, mon ami John. Si vous ne me faites pas confiance, alors je devrai vous dire ce que je crois avoir deviné, et peut-être cela n'est-il pas souhaitable. Et si je dois faire ce que j'ai à faire sans mon ami à mes côtés – car je dois le faire, que vous me fassiez confiance ou non –, alors je travaillerai le cœur lourd, et je me sentirai seul, tellement seul, au moment où j'aurai besoin de toute l'aide et de tout le courage possibles ! » Il s'arrêta un moment, et reprit, d'un ton solennel : « Ami John, nous allons vivre des jours étranges et terribles. Ne faisons qu'un, afin de pouvoir mener à bien notre travail. Ne voulez-vous pas avoir foi en moi ? » Je pris sa main, et le lui promis. Je gardai ma porte ouverte tandis qu'il s'éloignait, et je le regardai rentrer dans sa propre chambre et refermer la porte. Tandis que j'étais là debout, je vis l'une des servantes passer silencieusement dans le couloir -

elle me tournait le dos et ne pouvait me voir – et pénétrer dans la chambre où reposait Lucy. Cela me toucha. La dévotion est si rare, et nous sommes toujours tellement reconnaissants envers ceux qui en témoignent spontanément à ceux que nous aimons. Et voilà que cette pauvre fille mettait de côté sa terreur naturelle de la mort pour aller se recueillir devant le cercueil de la maîtresse qu'elle avait aimée, afin que son pauvre corps ne restât pas seul avant d'être conduit à son repos éternel… Je dus dormir longtemps et profondément : il faisait déjà grand jour quand van Helsing me réveilla en entrant dans ma chambre. Il se rendit auprès de mon lit et me dit : « Ne vous tracassez pas au sujet des instruments d'autopsie, nous n'en aurons pas besoin. » « Et pourquoi ? » demandai-je. En effet, ses propos solennels de la nuit passée m'avaient grandement impressionné. « Parce que » dit-il sinistrement, « Il est trop tard – ou trop tôt ! Regardez ! » et il brandit le petit crucifix en or. « Ceci a été volé pendant la nuit. » « Comment cela, volé » dis-je stupéfait, « puisque vous l'avez dans la main ! » « Parce que je l'ai repris à la misérable qui l'a dérobé, cette femme qui dépouille les morts aussi bien que les vivants. Elle sera certainement punie, mais pas par moi ; elle ne savait pas bien ce qu'elle faisait, et dans son ignorance, elle n'a fait que voler. Maintenant, nous devons attendre. » Ayant ainsi parlé, il partit, me laissant avec un nouveau mystère auquel réfléchir, une nouvelle énigme à laquelle m'attaquer. La matinée fut bien morne, mais à midi arriva l'avoué : Mr. Marquand, de Wholeman, Fils, Marquand et Lidderdale. Il était très aimable et apprécia beaucoup tout ce que nous avions fait, et il nous déchargea de tous nos soucis. Durant le repas, il nous informa que Mrs. Westenra redoutait depuis quelques temps une mort soudaine due à sa maladie de cœur, et avait remis ses affaires en ordre avec une grande rigueur. A l'exception d'une certaine propriété substituée, que Lucy tenait de la famille de son père, et qui devait maintenant à défaut d'un héritier direct, retourner à une branche éloignée de la famille, l'intégralité des biens, immobiliers ou non, revenait à Arthur Holmwood. Après nous en avoir informés, il poursuivit : « Pour être honnête, nous avons fait de notre mieux pour éviter une telle disposition testamentaire. Nous avons fait remarquer que dans certains cas, la fille de Mrs. Westenra pouvait se retrouver sans ressources, ou tout au moins être privée d'une partie de sa liberté si elle décidait de se marier. A vrai dire, nous avons tellement insisté qu'il en est presque résulté un conflit, car elle finit par nous demander si nous étions disposés ou non à faire exécuter ses dernières volontés. Bien sûr, nous n'avions aucune alternative. Nous avions raison sur le principe, et dans quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent nous aurions pu prouver, par la suite des évènements, le bien-fondé de notre jugement. Toutefois, il me faut avouer que dans ce cas précis, toute autre disposition aurait rendu impossible l'accomplissement des vœux de la défunte. Car, Mrs. Westenra ayant précédé sa fille dans la mort, cette dernière entrait en possession de la propriété, et même si elle ne survivait à sa mère que de cinq minutes, ladite propriété, en l'absence de testament – et dans un tel cas, il aurait été pratiquement impossible qu'il y eût un testament – aurait été traitée au titre d'un décès intestat. Et dans un tel cas, Lord Godalming – Mr. Holmwood - , bien qu'il fût un ami très cher, n'aurait eu aucun droit. En effet les héritiers légitimes, bien que fort lointains, n'auraient pas abandonné leurs justes prétentions pour des raisons sentimentales à un parfait inconnu. Je vous assure, mes chers Sirs, que je me réjouis de ce résultat ; je m'en réjouis fort. » C'était assurément un brave homme, mais le voir se réjouir d'un si petit détail – auquel il était de plus intéressé – au milieu d'une telle tragédie, voilà qui était pour moi une nouvelle leçon sur les limites de l'empathie humaine. Il ne resta pas longtemps, mais il dit qu'il reviendrait un peu plus tard dans la journée pour voir Lord Godalming. Sa visite nous avait toutefois apporté un certain réconfort : elle nous assurait que les actions que nous avions entreprises ne nous vaudraient pas de réaction hostile.

Arthur était attendu pour cinq heures ; un peu avant ce moment, nous nous rendîmes dans la « chambre de mort ». C'était bien ainsi qu'on pouvait l'appeler, car maintenant la mère et la fille y reposaient toutes deux. L'entrepreneur des pompes funèbres y avait fait étalage de ses compétences professionnelles : l'atmosphère de la pièce était tellement mortifère que nous nous sentîmes abattus dès que nous y pénétrâmes. Van Helsing exigea que la pièce soit remise dans l'état où elle se trouvait auparavant, expliquant que Lord Godalming devant arriver très bientôt, cela serait moins douloureux pour lui de voir le corps de sa fiancée seul dans la pièce.

Part (36) Anteil (36) Part (36) Parte (36)

» Je me mis donc à la tâche, et en une demi-heure j'avais trouvé le nom et l'adresse de l'avoué de Mrs. Westenra, et lui avais écrit. Les papiers de la pauvre femme étaient en ordre, et des indications claires sur le lieu où elle souhaitait être inhumée y figuraient. Je venais à peine de refermer la lettre, quand, à ma grande surprise, Van Helsing entra dans la chambre et dit : « Puis-je vous aider, mon ami John ? Je suis libre, et si nécessaire, je suis à vos ordres. » « Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ? » demandai-je, à quoi il répondit : « Je ne cherchais pas une chose en particulier. J'espérais seulement trouver quelque chose, et j'ai trouvé : seulement des lettres, quelques mémorandums, et un journal récemment commencé. Je les ai sur moi, et n'en parlons plus pour le moment. Je verrai ce pauvre garçon demain soir, et avec son accord, nous pourrons peut-être utiliser certains de ces documents. » Quand il eut terminé le travail en cours, il me dit : « Et maintenant, mon ami John, je crois que nous pouvons aller au lit. Nous avons besoin de sommeil, vous et moi, de nous reposer pour récupérer. Demain nous aurons beaucoup à faire, mais ce soir, il n'y a plus besoin de nous, hélas ! » Avant de partir, nous allâmes voir la pauvre Lucy. L'entrepreneur des pompes funèbres avait certes bien travaillé, car la chambre avait été changée en une petite chapelle ardente. Il y avait une profusion de belles fleurs blanches, ce qui rendait la

mort un peu moins repoussante, si c'était possible. Le visage était recouvert d'un linceul ; quand le Professeur se pencha pour le soulever délicatement, nous fûmes tous deux émus par la beauté de Lucy, que nous pouvions contempler à la lumière des grandes chandelles. Tout son charme lui avait été rendu dans la mort, et les heures qui s'étaient écoulées depuis, loin d'avoir laissé des traces de décrépitude, semblaient avoir restauré la beauté de la vie, à tel point qu'il m'était impossible de m'imaginer que j'avais devant les yeux un cadavre. Le Professeur avait un air grave. Il ne l'avait pas aimée comme je l'avais aimée, et il n'y avait pas de larmes dans ses yeux. « Restez ici jusqu'à mon retour » me dit-il avant de quitter la chambre. Puis il revint avec une poignée de fleurs d'ail qu'il avait prises dans la caisse qui avait été déposée dans le hall, et qui n'avait pas encore été ouverte. Il les disposa parmi les autres fleurs, sur le lit et autour du lit. Enfin il sortit de son col un petit crucifix d'or, le plaça sur la bouche de la morte, et remit en place le linceul. Puis nous sortîmes tous deux. J'étais en train de me déshabiller dans ma chambre, quand il entra, après avoir tapé à la porte pour m'avertir ; et sans attendre, il me dit : « Demain, je veux que vous m'apportiez, avant la nuit, un jeu de couteaux d'autopsie. » « Devons-nous faire une autopsie ? » demandai-je. « Oui et non. Je veux opérer, en effet, mais pas comme vous le pensez. Je vais vous expliquer, mais pas un mot à quiconque. Je veux lui couper la tête, et lui ôter le cœur. Ah, vous, un chirurgien, vous êtes choqué ! Vous que j'ai vu, la main et le cœur sûr, conduire des opérations dont dépendait la vie de vos patients, et devant lesquelles les autres frissonnaient de terreur. Oh, mais je ne dois pas oublier, mon cher ami John, que vous l'aimiez, et je ne l'ai pas oublié : c'est moi qui opérerai, et je ne vous demanderai que de m'assister. Je devrais le faire ce soir, mais je ne le ferai pas, pour Arthur : il sera libre après les funérailles de demain, et il voudra la voir – voir cette… chose. Alors, quand elle sera dans le cercueil le jour suivant, vous et moi viendrons quand tout le monde dormira. Nous dévisserons le couvercle du cercueil, et procèderons à l'opération, puis nous remettrons tout en place, afin que nul ne sache, à part nous. » « Mais pourquoi ? La jeune fille est morte. Pourquoi mutiler son pauvre corps sans raison ? Et s'il n'y a aucune nécessité de procéder à une autopsie, et rien à y gagner, ni pour elle, ni pour nous, ni pour la science, ni pour la connaissance humaine, pourquoi le faire ? C'est vraiment monstrueux ! » Pour toute réponse, il mit sa main sur mon épaule, et me dit, avec une infinie tendresse : « Ami John, votre pauvre cœur saigne et j'ai pitié de vous, et je ne vous en aime que davantage. Si je le pouvais, je prendrais sur mes épaules le fardeau que vous devez porter. Mais il y a des choses que vous ignorez, et que vous devrez savoir, et vous m'en remercierez alors, même si ce ne sont pas des choses plaisantes. John, mon enfant, vous êtes mon ami depuis tant d'années ; m'avez-vous déjà vu entreprendre une action sans avoir de bonnes raisons ? Je puis me tromper – je ne suis qu'un homme – mais je crois en tout ce que je fais. N'est-ce pas là la raison pour laquelle vous m'avez fait appeler lorsque tout a commencé ? Oui, n'étiez-vous pas abasourdi, et même horrifié, lorsque j'ai refusé qu'Arthur embrasse son amour, même lorsqu'elle était mourante, et que je l'ai repoussé de toutes mes forces ? Et pourtant vous l'avez vue me remercier, de ses beaux yeux de mourante, et de sa voix si faible, et vous l'avez vue embrasser ma vieille main rugueuse ! Oui ! Et ne m'avez- vous pas entendu lui faire une promesse, avant qu'elle ne ferme les yeux, pleine de reconnaissance ? Oui ! Eh bien, j'ai une bonne raison pour faire ce que je veux faire. Vous m'avez fait confiance pendant des années, vous m'avez cru pendant des semaines, quand il se produisait des évènements si étranges que vous auriez très bien pu douter. Faites-moi encore confiance un petit moment, mon ami John. Si vous ne me faites pas confiance, alors je devrai vous dire ce que je crois avoir deviné, et peut-être cela n'est-il pas souhaitable. Et si je dois faire ce que j'ai à faire sans mon ami à mes côtés – car je dois le faire, que vous me fassiez confiance ou non –, alors je travaillerai le cœur lourd, et je me sentirai seul, tellement seul, au moment où j'aurai besoin de toute l'aide et de tout le courage possibles ! » Il s'arrêta un moment, et reprit, d'un ton solennel : « Ami John, nous allons vivre des jours étranges et terribles. Ne faisons qu'un, afin de pouvoir mener à bien notre travail. Ne voulez-vous pas avoir foi en moi ? » Je pris sa main, et le lui promis. Je gardai ma porte ouverte tandis qu'il s'éloignait, et je le regardai rentrer dans sa propre chambre et refermer la porte. Tandis que j'étais là debout, je vis l'une des servantes passer silencieusement dans le couloir -

elle me tournait le dos et ne pouvait me voir – et pénétrer dans la chambre où reposait Lucy. Cela me toucha. La dévotion est si rare, et nous sommes toujours tellement reconnaissants envers ceux qui en témoignent spontanément à ceux que nous aimons. Et voilà que cette pauvre fille mettait de côté sa terreur naturelle de la mort pour aller se recueillir devant le cercueil de la maîtresse qu'elle avait aimée, afin que son pauvre corps ne restât pas seul avant d'être conduit à son repos éternel… Je dus dormir longtemps et profondément : il faisait déjà grand jour quand van Helsing me réveilla en entrant dans ma chambre. Il se rendit auprès de mon lit et me dit : « Ne vous tracassez pas au sujet des instruments d'autopsie, nous n'en aurons pas besoin. » « Et pourquoi ? » demandai-je. En effet, ses propos solennels de la nuit passée m'avaient grandement impressionné. « Parce que » dit-il sinistrement, « Il est trop tard – ou trop tôt ! Regardez ! » et il brandit le petit crucifix en or. « Ceci a été volé pendant la nuit. » « Comment cela, volé » dis-je stupéfait, « puisque vous l'avez dans la main ! » « Parce que je l'ai repris à la misérable qui l'a dérobé, cette femme qui dépouille les morts aussi bien que les vivants. Elle sera certainement punie, mais pas par moi ; elle ne savait pas bien ce qu'elle faisait, et dans son ignorance, elle n'a fait que voler. Maintenant, nous devons attendre. » Ayant ainsi parlé, il partit, me laissant avec un nouveau mystère auquel réfléchir, une nouvelle énigme à laquelle m'attaquer. La matinée fut bien morne, mais à midi arriva l'avoué : Mr. Marquand, de Wholeman, Fils, Marquand et Lidderdale. Il était très aimable et apprécia beaucoup tout ce que nous avions fait, et il nous déchargea de tous nos soucis. Durant le repas, il nous informa que Mrs. Westenra redoutait depuis quelques temps une mort soudaine due à sa maladie de cœur, et avait remis ses affaires en ordre avec une grande rigueur. A l'exception d'une certaine propriété substituée, que Lucy tenait de la famille de son père, et qui devait maintenant à défaut d'un héritier direct, retourner à une branche éloignée de la famille, l'intégralité des biens, immobiliers ou non, revenait à Arthur Holmwood. Après nous en avoir informés, il poursuivit : « Pour être honnête, nous avons fait de notre mieux pour éviter une telle disposition testamentaire. Nous avons fait remarquer que dans certains cas, la fille de Mrs. Westenra pouvait se retrouver sans ressources, ou tout au moins être privée d'une partie de sa liberté si elle décidait de se marier. A vrai dire, nous avons tellement insisté qu'il en est presque résulté un conflit, car elle finit par nous demander si nous étions disposés ou non à faire exécuter ses dernières volontés. Bien sûr, nous n'avions aucune alternative. Nous avions raison sur le principe, et dans quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent nous aurions pu prouver, par la suite des évènements, le bien-fondé de notre jugement. Toutefois, il me faut avouer que dans ce cas précis, toute autre disposition aurait rendu impossible l'accomplissement des vœux de la défunte. Car, Mrs. Westenra ayant précédé sa fille dans la mort, cette dernière entrait en possession de la propriété, et même si elle ne survivait à sa mère que de cinq minutes, ladite propriété, en l'absence de testament – et dans un tel cas, il aurait été pratiquement impossible qu'il y eût un testament – aurait été traitée au titre d'un décès intestat. Et dans un tel cas, Lord Godalming – Mr. Holmwood - , bien qu'il fût un ami très cher, n'aurait eu aucun droit. En effet les héritiers légitimes, bien que fort lointains, n'auraient pas abandonné leurs justes prétentions pour des raisons sentimentales à un parfait inconnu. Je vous assure, mes chers Sirs, que je me réjouis de ce résultat ; je m'en réjouis fort. » C'était assurément un brave homme, mais le voir se réjouir d'un si petit détail – auquel il était de plus intéressé – au milieu d'une telle tragédie, voilà qui était pour moi une nouvelle leçon sur les limites de l'empathie humaine. Il ne resta pas longtemps, mais il dit qu'il reviendrait un peu plus tard dans la journée pour voir Lord Godalming. Sa visite nous avait toutefois apporté un certain réconfort : elle nous assurait que les actions que nous avions entreprises ne nous vaudraient pas de réaction hostile.

Arthur était attendu pour cinq heures ; un peu avant ce moment, nous nous rendîmes dans la « chambre de mort ». C'était bien ainsi qu'on pouvait l'appeler, car maintenant la mère et la fille y reposaient toutes deux. L'entrepreneur des pompes funèbres y avait fait étalage de ses compétences professionnelles : l'atmosphère de la pièce était tellement mortifère que nous nous sentîmes abattus dès que nous y pénétrâmes. Van Helsing exigea que la pièce soit remise dans l'état où elle se trouvait auparavant, expliquant que Lord Godalming devant arriver très bientôt, cela serait moins douloureux pour lui de voir le corps de sa fiancée seul dans la pièce.