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Bram Stoker - Dracula, Part (33)

Part (33)

Je n'ai pas le cœur d'en restituer ici tous les détails. Lucy avait eu un choc terrible, qui l'avait davantage ébranlée que les dernières fois. En effet, bien qu'on remplît ses veines d'un flot de sang, son corps ne répondit pas aussi bien au traitement que les autres fois. Sa lutte pour revenir à la vie était une chose effrayante à voir, comme à entendre. Pour finir, on vit une amélioration au niveau de son cœur et de ses poumons, et Van Helsing lui fit une injection sous-cutanée de morphine, comme auparavant, qui eut l'effet attendu. Son coma se mua en un profond sommeil. Le Professeur la veilla tandis que je me rendais en bas avec Quincey Morris, et envoyais une servante payer l'un des chauffeurs qui attendaient toujours à la grille. Je laissai Quincey se reposer, après avoir bu un verre de vin, et demandai à la cuisinière de préparer un bon petit déjeuner. Alors une pensée me frappa, et je revins à la pièce où se trouvait maintenant Lucy. Quand j'entrai sans faire de bruit, je trouvai Van Helsing avec une ou deux feuilles de papier annotées dans les mains. Il les avait manifestement lues, et semblait méditer sur leur signification, assis, la main à son front. Il y avait une lueur de lugubre satisfaction sur son visage - comme celle qu'on éprouve quand un doute est enfin levé. Il me tendit le papier en disant simplement : « Cela est tombé de la poitrine de Lucy quand nous l'avons portée à son bain. » Quand j'eus achevé la lecture, je restai un moment à regarder le Professeur, puis je lui demandai : « Au nom de Dieu, qu'est-ce que cela signifie ? Etait-elle, ou est-elle encore, folle ? Ou de quelle sorte d'horrible danger peut-il s'agir ? » J'étais si désorienté que je ne savais pas quoi ajouter. Van Helsing tendit la main pour reprendre le papier, avec ces mots : « Ne vous inquiétez pas de cela maintenant. Oubliez cela pour l'instant. Vous saurez et comprendrez tout le moment venu, c'est-à-dire plus tard. Et maintenant, qu'est-ce donc que vous étiez venu me dire ? » Ce discours me rappela à la réalité, et je recouvrai mes esprits. « Je viens vous parler du certificat de décès. Si nous n'agissons pas de manière adéquate, il pourrait y avoir une enquête, et ce papier devrait être donné à la police. J'ose espérer qu'une telle enquête ne sera pas nécessaire, car si tel était le cas, cela tuerait probablement cette pauvre Lucy, si tant est que rien ne l'ait tué auparavant. Je sais, vous savez, et son médecin traitant sait aussi, que Mrs Westenra souffrait d'une maladie du cœur, et nous pouvons certifier qu'il s'agit de la cause de son décès. Remplissons tout de suite le certificat, et je le porterai moi-même à l'Etat Civil et me rendrai aussi aux Pompes Funèbres. » « Parfait, mon cher John ! Excellemment pensé ! Vraiment, Miss Lucy, dans son malheur - car elle est assaillie par de terribles ennemis - a tout de même le bonheur d'avoir des amis qui tiennent à elle. Un, deux, trois, tous s'ouvrent les veines pour elle,

y compris un vieillard. Ah oui, je sais, cher John, je ne suis pas aveugle et vous avez toute ma reconnaissance ! Et maintenant allez.» Dans le hall, je rencontrai Quincey Morris, avec un télégramme pour Arthur lui annonçant la mort de Mrs Westenra, et lui expliquant que Lucy avait été malade, mais se trouvait mieux; et que Van Helsing et moi étions avec elle. Je lui dis où j'allais, et il m'encouragea à partir, mais tandis que je sortais il dit : « Quand vous reviendrez, Jack, pourrais-je vous dire deux mots en privé ? » J'acquiesçai pour toute réponse, et sortis. Je ne rencontrai aucune difficulté à l'état civil, et m'entendis avec les pompes funèbres locales pour qu'on vienne dans la soirée prendre les mesures du cercueil et toutes les dispositions nécessaires. Quand je revins, Quincey m'attendait. Je lui dis que je le verrais dès que j'aurais pris des nouvelles de Lucy, et me précipitai dans sa chambre. Elle était encore endormie, et le Professeur, apparemment, n'avait pas bougé de sa chaise, à son chevet. D'après le doigt qu'il mit sur ses lèvres, je supposai qu'il s'attendait à ce que Lucy se réveille bientôt, et ne voulait pas qu'on perturbe le cours naturel de son réveil. Alors je rejoignis Quincey en bas et l'emmenai dans la salle du petit déjeuner, où les rideaux n'étaient pas tirés, et qui paraissait un peu plus chaleureux, ou du moins un peu moins sinistre, que les autres pièces. Quand nous fumes seuls, il me dit : « Jack Seward, je ne veux pas mettre le nez dans des affaires qui ne me concernent pas; mais ce n'est pas une situation ordinaire. Vous savez que j'aimais cette fille et que je voulais l'épouser; et, bien que cela appartienne au passé, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter pour elle malgré tout. Qu'est-ce qui ne va pas chez elle ? Le Hollandais - et c'est un grand homme, je m'en rends bien compte - a dit, au moment où vous êtes tous les deux entrés dans la pièce, que vous deviez procéder à une NOUVELLE transfusion sanguine, et que vous étiez tous les deux épuisés. Je sais bien que vous autres, les hommes de l'art, vous vous consultez en privé, et que personne n'est en droit de connaître le sujet de vos conciliabules. Mais cela n'est pas ordinaire, et, quoi que ce soit, je crois que j'ai accompli ma part du devoir, n'est-ce pas ? » • Tout à fait, dis-je, et il continua : • J'en ai conclu que vous et Van Helsing aviez tous les deux déjà fait ce que j'ai fait aujourd'hui, est-ce que je me trompe ? • Vous ne vous trompez pas. • Et je suis sûr que Art n'est pas en reste. Quand je l'ai vu il y a quatre jours à sa demeure, il avait un air bizarre. Je n'ai jamais vu d'être vivant dépérir aussi rapidement, depuis le temps où j'étais dans la Pampa, quand une jument que j'aimais particulièrement est morte en une seule nuit. Une de ces grosses chauve-souris qu'on appelle vampires s'était attaquée à elle cette nuit-là, ouvrant les veines de sa gorge. Il n'y avait plus assez de sang dans son corps pour lui permettre de se lever, et j'ai dû lui tirer une balle entre les deux yeux pour l'achever. Jack, si vous pouvez me le dire, sans trahir un secret, Arthur a été le premier à donner son sang, n'est-ce pas ? Tandis qu'il parlait le pauvre garçon paraissait terriblement inquiet. Il était à la torture, suspendu au sort de celle qu'il aimait, et sa totale ignorance du mystère qui l'environnait ne faisait qu'accroître sa douleur. Son cœur saignait, et il lui fallut toute sa bravoure virile - et il en était royalement pourvu - pour ne pas craquer. Je marquai une pause avant de répondre, car si je ne souhaitais pas trahir les secrets que le Professeur voulait garder; en même temps, il en savait déjà tellement, et en avait tellement deviné, qu'il n'y avait aucune raison de ne pas lui répondre. Aussi, je lui répondis à nouveau cette même phrase: « Vous ne vous trompez pas. » • Et depuis quand tout ceci dure-t-il ? • Environ dix jours.

• Dix jours ! Et dans ce laps de temps, Jack Seward, cette charmante créature, que nous aimons tous, a reçu le sang de quatre hommes forts… Il n'y a pas assez de place dans son corps pour en contenir autant. Alors, se rapprochant de moi, il parla dans un murmure pressant : « Qu'est-ce qui lui a pris tout ce sang ? » Je secouai la tête. • C'est bien là le point crucial, dis-je. Van Helsing tourne cette question de manière frénétique, et quant à moi, j'arrive à court d'idées. Je ne suis pas même capable de hasarder une hypothèse. Il y a eu une série de circonstances malencontreuses qui ont perturbé le traitement prévu, et notamment la surveillance de Lucy. Mais cela ne se reproduira pas. Nous allons rester ici jusqu'à ce que tout aille bien - ou mal. Quincey leva la main. « Comptez-moi dans vos rangs», dit-il. « Vous et le Hollandais, dites-moi ce qu'il y a à faire, et je le ferai. » Quand elle s'éveilla, tard dans l'après-midi, Lucy eut pour premier mouvement de tâter sa poitrine, et, à ma grande surprise, elle en tira le papier que Van Helsing m'avait donné à lire. Le prudent Professeur l'avait replacé là d'où il venait, de peur qu'elle ne s'alarmât de son absence à son réveil. Ses yeux se posèrent ensuite sur Van Helsing et sur moi, et s'illuminèrent. Puis elle regarda la pièce autour d'elle, et, reconnaissant l'endroit, elle trembla. Elle eut un hurlement, et cacha son visage livide dans ses pauvres mains amaigries. Nous comprimes tous deux ce que cela voulait dire - qu'elle avait pris une pleine conscience de la mort de sa mère - aussi nous essayâmes comme nous le pûmes de la réconforter. Notre sympathie l'apaisa quelque peu, mais ses pensées et son humeur restaient sombres, et elle sanglota silencieusement et doucement pendant un très long moment. Nous lui dîmes que l'un d'entre nous au moins resterait dorénavant avec elle sans interruption, et cela parut la rasséréner. Vers le moment du crépuscule, elle s'assoupit, et à cet instant une chose vraiment curieuse se produisit. Bien que profondément endormie, elle arracha le papier de sa poitrine et le déchira en deux. Van Helsing s'approcha et lui retira les morceaux. Malgré cela, elle continua son geste de déchirer, comme si la chose à déchirer était toujours entre ses mains - finalement, elle leva les mains et les ouvrit, comme si elle dispersait les fragments de papier. Van Helsing parut surpris, et il fronça pensivement les sourcils; mais il ne dit rien. 19 septembre Toute la nuit dernière, elle dormit par à-coups, toujours effrayée de s'endormir, et toujours plus faible en s'éveillant. Le Professeur et moi nous relayâmes pour la veiller, et nous ne la laissâmes pas un seul instant sans surveillance. Quincey Morris ne nous dit rien sur ses intentions, mais je savais que toute la nuit, il faisait des rondes, et encore des rondes, autour de la maison. Quand le jour se leva, sa lumière pénétrante montra les ravages subis par Lucy, qui n'avait plus aucune force. Elle était à peine capable de tourner sa tête, et le peu de nourriture qu'elle put avaler ne parut pas du tout lui faire de bien. Par moments elle dormait, et aussi bien Van Helsing que moi, nous remarquâmes la différence qui s'opérait en elle entre les moments de veille et de sommeil. Endormie, elle paraissait plus forte, bien que plus hagarde, et sa respiration était plus paisible; sa bouche ouverte montrait ses gencives pâles qui s'étaient comme rétractées, faisant paraître ses dents véritablement plus longues et plus pointues que d'ordinaire. Quand elle s'éveillait, la douceur de ses yeux changeait évidemment son expression, et elle était à nouveau reconnaissable, même si elle n'était qu'une version mourante d'elle-même. Dans l'après-midi elle demanda Arthur, et nous lui télégraphiâmes. Quincey sortit pour l'accueillir à la gare. Quand il arriva, il était presque six heures, et le soleil, plein et chaud, se couchait, illuminant de rouge les joues pâles de Lucy à travers la fenêtre. Quand il la vit, Arthur fut étranglé d'émotion, et aucun d'entre nous ne put articuler un mot. Dans les heures qui venaient de s'écouler, les phases de sommeil, ou plutôt de cet état comateux qui lui ressemblait, étaient devenues

de plus en plus fréquentes, si bien que les rares moments où la conversation était possible devenaient de plus en plus courts. La présence d'Arthur, cependant, parut agir comme un stimulant; elle se reprit un peu, et lui parla plus clairement qu'elle ne l'avait fait depuis notre arrivée. Lui aussi reprit contenance, et parla aussi chaleureusement qu'il le put, si bien que tout se déroula le mieux possible. Il est maintenant près d'une heure du matin, et Arthur et Van Helsing sont assis à son chevet.

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Je n'ai pas le cœur d'en restituer ici tous les détails. Lucy avait eu un choc terrible, qui l'avait davantage ébranlée que les dernières fois. En effet, bien qu'on remplît ses veines d'un flot de sang, son corps ne répondit pas aussi bien au traitement que les autres fois. Sa lutte pour revenir à la vie était une chose effrayante à voir, comme à entendre. Pour finir, on vit une amélioration au niveau de son cœur et de ses poumons, et Van Helsing lui fit une injection sous-cutanée de morphine, comme auparavant, qui eut l'effet attendu. Son coma se mua en un profond sommeil. Le Professeur la veilla tandis que je me rendais en bas avec Quincey Morris, et envoyais une servante payer l'un des chauffeurs qui attendaient toujours à la grille. Je laissai Quincey se reposer, après avoir bu un verre de vin, et demandai à la cuisinière de préparer un bon petit déjeuner. Alors une pensée me frappa, et je revins à la pièce où se trouvait maintenant Lucy. Quand j'entrai sans faire de bruit, je trouvai Van Helsing avec une ou deux feuilles de papier annotées dans les mains. Il les avait manifestement lues, et semblait méditer sur leur signification, assis, la main à son front. Il y avait une lueur de lugubre satisfaction sur son visage - comme celle qu'on éprouve quand un doute est enfin levé. Il me tendit le papier en disant simplement : « Cela est tombé de la poitrine de Lucy quand nous l'avons portée à son bain. » Quand j'eus achevé la lecture, je restai un moment à regarder le Professeur, puis je lui demandai : « Au nom de Dieu, qu'est-ce que cela signifie ? Etait-elle, ou est-elle encore, folle ? Ou de quelle sorte d'horrible danger peut-il s'agir ? » J'étais si désorienté que je ne savais pas quoi ajouter. Van Helsing tendit la main pour reprendre le papier, avec ces mots : « Ne vous inquiétez pas de cela maintenant. Oubliez cela pour l'instant. Vous saurez et comprendrez tout le moment venu, c'est-à-dire plus tard. Et maintenant, qu'est-ce donc que vous étiez venu me dire ? » Ce discours me rappela à la réalité, et je recouvrai mes esprits. « Je viens vous parler du certificat de décès. Si nous n'agissons pas de manière adéquate, il pourrait y avoir une enquête, et ce papier devrait être donné à la police. J'ose espérer qu'une telle enquête ne sera pas nécessaire, car si tel était le cas, cela tuerait probablement cette pauvre Lucy, si tant est que rien ne l'ait tué auparavant. Je sais, vous savez, et son médecin traitant sait aussi, que Mrs Westenra souffrait d'une maladie du cœur, et nous pouvons certifier qu'il s'agit de la cause de son décès. Remplissons tout de suite le certificat, et je le porterai moi-même à l'Etat Civil et me rendrai aussi aux Pompes Funèbres. » « Parfait, mon cher John ! Excellemment pensé ! Vraiment, Miss Lucy, dans son malheur - car elle est assaillie par de terribles ennemis - a tout de même le bonheur d'avoir des amis qui tiennent à elle. Un, deux, trois, tous s'ouvrent les veines pour elle,

y compris un vieillard. Ah oui, je sais, cher John, je ne suis pas aveugle et vous avez toute ma reconnaissance ! Et maintenant allez.» Dans le hall, je rencontrai Quincey Morris, avec un télégramme pour Arthur lui annonçant la mort de Mrs Westenra, et lui expliquant que Lucy avait été malade, mais se trouvait mieux; et que Van Helsing et moi étions avec elle. Je lui dis où j'allais, et il m'encouragea à partir, mais tandis que je sortais il dit : « Quand vous reviendrez, Jack, pourrais-je vous dire deux mots en privé ? » J'acquiesçai pour toute réponse, et sortis. Je ne rencontrai aucune difficulté à l'état civil, et m'entendis avec les pompes funèbres locales pour qu'on vienne dans la soirée prendre les mesures du cercueil et toutes les dispositions nécessaires. Quand je revins, Quincey m'attendait. Je lui dis que je le verrais dès que j'aurais pris des nouvelles de Lucy, et me précipitai dans sa chambre. Elle était encore endormie, et le Professeur, apparemment, n'avait pas bougé de sa chaise, à son chevet. D'après le doigt qu'il mit sur ses lèvres, je supposai qu'il s'attendait à ce que Lucy se réveille bientôt, et ne voulait pas qu'on perturbe le cours naturel de son réveil. Alors je rejoignis Quincey en bas et l'emmenai dans la salle du petit déjeuner, où les rideaux n'étaient pas tirés, et qui paraissait un peu plus chaleureux, ou du moins un peu moins sinistre, que les autres pièces. Quand nous fumes seuls, il me dit : « Jack Seward, je ne veux pas mettre le nez dans des affaires qui ne me concernent pas; mais ce n'est pas une situation ordinaire. Vous savez que j'aimais cette fille et que je voulais l'épouser; et, bien que cela appartienne au passé, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter pour elle malgré tout. Qu'est-ce qui ne va pas chez elle ? Le Hollandais - et c'est un grand homme, je m'en rends bien compte - a dit, au moment où vous êtes tous les deux entrés dans la pièce, que vous deviez procéder à une NOUVELLE transfusion sanguine, et que vous étiez tous les deux épuisés. Je sais bien que vous autres, les hommes de l'art, vous vous consultez en privé, et que personne n'est en droit de connaître le sujet de vos conciliabules. Mais cela n'est pas ordinaire, et, quoi que ce soit, je crois que j'ai accompli ma part du devoir, n'est-ce pas ? » • Tout à fait, dis-je, et il continua : • J'en ai conclu que vous et Van Helsing aviez tous les deux déjà fait ce que j'ai fait aujourd'hui, est-ce que je me trompe ? • Vous ne vous trompez pas. • Et je suis sûr que Art n'est pas en reste. Quand je l'ai vu il y a quatre jours à sa demeure, il avait un air bizarre. Je n'ai jamais vu d'être vivant dépérir aussi rapidement, depuis le temps où j'étais dans la Pampa, quand une jument que j'aimais particulièrement est morte en une seule nuit. Une de ces grosses chauve-souris qu'on appelle vampires s'était attaquée à elle cette nuit-là, ouvrant les veines de sa gorge. Il n'y avait plus assez de sang dans son corps pour lui permettre de se lever, et j'ai dû lui tirer une balle entre les deux yeux pour l'achever. Jack, si vous pouvez me le dire, sans trahir un secret, Arthur a été le premier à donner son sang, n'est-ce pas ? Tandis qu'il parlait le pauvre garçon paraissait terriblement inquiet. Il était à la torture, suspendu au sort de celle qu'il aimait, et sa totale ignorance du mystère qui l'environnait ne faisait qu'accroître sa douleur. Son cœur saignait, et il lui fallut toute sa bravoure virile - et il en était royalement pourvu - pour ne pas craquer. Je marquai une pause avant de répondre, car si je ne souhaitais pas trahir les secrets que le Professeur voulait garder; en même temps, il en savait déjà tellement, et en avait tellement deviné, qu'il n'y avait aucune raison de ne pas lui répondre. Aussi, je lui répondis à nouveau cette même phrase: « Vous ne vous trompez pas. » • Et depuis quand tout ceci dure-t-il ? • Environ dix jours.

• Dix jours ! Et dans ce laps de temps, Jack Seward, cette charmante créature, que nous aimons tous, a reçu le sang de quatre hommes forts… Il n'y a pas assez de place dans son corps pour en contenir autant. Alors, se rapprochant de moi, il parla dans un murmure pressant : « Qu'est-ce qui lui a pris tout ce sang ? » Je secouai la tête. • C'est bien là le point crucial, dis-je. Van Helsing tourne cette question de manière frénétique, et quant à moi, j'arrive à court d'idées. Je ne suis pas même capable de hasarder une hypothèse. Il y a eu une série de circonstances malencontreuses qui ont perturbé le traitement prévu, et notamment la surveillance de Lucy. Mais cela ne se reproduira pas. Nous allons rester ici jusqu'à ce que tout aille bien - ou mal. Quincey leva la main. « Comptez-moi dans vos rangs», dit-il. « Vous et le Hollandais, dites-moi ce qu'il y a à faire, et je le ferai. » Quand elle s'éveilla, tard dans l'après-midi, Lucy eut pour premier mouvement de tâter sa poitrine, et, à ma grande surprise, elle en tira le papier que Van Helsing m'avait donné à lire. Le prudent Professeur l'avait replacé là d'où il venait, de peur qu'elle ne s'alarmât de son absence à son réveil. Ses yeux se posèrent ensuite sur Van Helsing et sur moi, et s'illuminèrent. Puis elle regarda la pièce autour d'elle, et, reconnaissant l'endroit, elle trembla. Elle eut un hurlement, et cacha son visage livide dans ses pauvres mains amaigries. Nous comprimes tous deux ce que cela voulait dire - qu'elle avait pris une pleine conscience de la mort de sa mère - aussi nous essayâmes comme nous le pûmes de la réconforter. Notre sympathie l'apaisa quelque peu, mais ses pensées et son humeur restaient sombres, et elle sanglota silencieusement et doucement pendant un très long moment. Nous lui dîmes que l'un d'entre nous au moins resterait dorénavant avec elle sans interruption, et cela parut la rasséréner. Vers le moment du crépuscule, elle s'assoupit, et à cet instant une chose vraiment curieuse se produisit. Bien que profondément endormie, elle arracha le papier de sa poitrine et le déchira en deux. Van Helsing s'approcha et lui retira les morceaux. Malgré cela, elle continua son geste de déchirer, comme si la chose à déchirer était toujours entre ses mains - finalement, elle leva les mains et les ouvrit, comme si elle dispersait les fragments de papier. Van Helsing parut surpris, et il fronça pensivement les sourcils; mais il ne dit rien. 19 septembre Toute la nuit dernière, elle dormit par à-coups, toujours effrayée de s'endormir, et toujours plus faible en s'éveillant. Le Professeur et moi nous relayâmes pour la veiller, et nous ne la laissâmes pas un seul instant sans surveillance. Quincey Morris ne nous dit rien sur ses intentions, mais je savais que toute la nuit, il faisait des rondes, et encore des rondes, autour de la maison. Quand le jour se leva, sa lumière pénétrante montra les ravages subis par Lucy, qui n'avait plus aucune force. Elle était à peine capable de tourner sa tête, et le peu de nourriture qu'elle put avaler ne parut pas du tout lui faire de bien. Par moments elle dormait, et aussi bien Van Helsing que moi, nous remarquâmes la différence qui s'opérait en elle entre les moments de veille et de sommeil. Endormie, elle paraissait plus forte, bien que plus hagarde, et sa respiration était plus paisible; sa bouche ouverte montrait ses gencives pâles qui s'étaient comme rétractées, faisant paraître ses dents véritablement plus longues et plus pointues que d'ordinaire. Quand elle s'éveillait, la douceur de ses yeux changeait évidemment son expression, et elle était à nouveau reconnaissable, même si elle n'était qu'une version mourante d'elle-même. Dans l'après-midi elle demanda Arthur, et nous lui télégraphiâmes. Quincey sortit pour l'accueillir à la gare. Quand il arriva, il était presque six heures, et le soleil, plein et chaud, se couchait, illuminant de rouge les joues pâles de Lucy à travers la fenêtre. Quand il la vit, Arthur fut étranglé d'émotion, et aucun d'entre nous ne put articuler un mot. Dans les heures qui venaient de s'écouler, les phases de sommeil, ou plutôt de cet état comateux qui lui ressemblait, étaient devenues

de plus en plus fréquentes, si bien que les rares moments où la conversation était possible devenaient de plus en plus courts. La présence d'Arthur, cependant, parut agir comme un stimulant; elle se reprit un peu, et lui parla plus clairement qu'elle ne l'avait fait depuis notre arrivée. Lui aussi reprit contenance, et parla aussi chaleureusement qu'il le put, si bien que tout se déroula le mieux possible. Il est maintenant près d'une heure du matin, et Arthur et Van Helsing sont assis à son chevet.