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Bram Stoker - Dracula, Part (2)

Part (2)

Je ne suis pas fatigué, et comme je pourrai me lever demain quand je le voudrai, je vais évidemment écrire jusqu'à ce que je sois gagné par le sommeil. J'ai tellement de choses étranges à raconter, et, de crainte que celui lira ces lignes ne s'imagine que j'ai trop bien dîné avant de quitter Bistritz, je vais en rapporter ici le menu exact. J'ai mangé ce qu'ils appellent un « steak de bandit » - un peu de bacon, des oignons et du bœuf, assaisonné de poivre rouge, ficelé sur des baguettes et rôti au-dessus du feu, comme nous le faisons à Londres avec les abats. Le vin était du Mediasch doré, qui pique singulièrement la langue, ce qui n'est toutefois pas désagréable. J'en bus un ou deux verres, et pas plus. Quand je me rendis à la diligence, le cocher n'avait pas encore gagné son siège, et je le vis qui discutait avec la propriétaire. Ils parlaient évidemment de moi, car ils me lançaient régulièrement des regards. Certaines des personnes qui étaient assises sur le banc près de la porte – ils donnent à ce type de banc un nom qui veut dire « discuteur » - s'approchaient et écoutaient, puis me regardaient, avec un air de pitié. Je pouvais entendre des mots maintes fois répétés, des mots inintelligibles, car il y avait beaucoup de nationalités différentes. Je sortis donc discrètement mon dictionnaire polyglotte de mon sac, et en cherchai la signification. Je dois dire qu'il n'y avait pas là de quoi m'encourager, car je trouvai Ordog, pour Satan, Pokol, enfer, stregoica, sorcière, et enfin vrolok et vlkoslak, qui ont tous deux le même sens, en Slovaque et en Serbe : loup-garou ou vampire (note : je dois interroger le Comte au sujet de ces superstitions). Quand nous partîmes, les gens qui se trouvaient près de la porte, beaucoup plus nombreux qu'auparavant, faisaient tous le signe de la croix et pointaient deux doigts vers moi. Avec quelques difficultés, je parvins à faire dire à l'un de mes compagnons de voyage ce que cela signifiait : d'abord il n'avait pas voulu me répondre, mais, apprenant que j'étais anglais, il m'expliqua qu'il s'agissait d'un charme ou d'une protection contre le mauvais œil. Cela n'était pas très rassurant pour moi, qui me dirigeais vers un lieu inconnu pour y rencontrer un homme inconnu, mais chacun semblait si bien intentionné à mon égard, et se faire tellement de souci pour moi, que je ne pus qu'être touché. Je n'oublierai jamais le dernier regard que je jetai à la cour de l'auberge et à cette foule pittoresque, chacun faisant le signe de la croix sous la grande porte voûtée, devant les lauriers-roses et les orangers dans leurs pots verts rassemblés au centre de la cour. Puis notre cocher, dont la grande

culotte de lin couvrait le siège tout entier (son « gotza », comme ils disent), fit claquer son grand fouet pour lancer au galop ses quatre petits chevaux, attelés de front, et nous commençâmes notre voyage. J'oubliai bien vite mes peurs irrationnelles face à la beauté des paysages que nous traversions, même si je pense que si j'avais compris la langue, ou plutôt les langues dans lesquelles mes compagnons de voyage discutaient, je n'aurais pas pu me débarrasser aussi vite de mes craintes. Devant nous s'étendait un pays vert et vallonné, couvert de forêts, avec ça et là des collines escarpées, couronnées de bouquets d'arbres ou de fermes, dont le pignon blanc faisait face à la route. Partout les arbres fruitiers fleurissaient – pommiers, pruniers, pêchers et cerisiers – et en passant je pouvais voir l'herbe sous les arbres, couverte de pétales tombés. La route serpentait parmi les vertes collines de ce qu'ils appellent le « Mittel land », se perdant en d'incessants virages parmi les herbes, puis se faufilant entre deux bois de pins qui par endroits descendaient des collines comme des langues de feu. La route était difficile, mais il me semblait que nous volions à une vitesse folle. Je ne pouvais comprendre pourquoi le cocher se précipitait ainsi, mais il avait visiblement l'intention d'arriver à Borgo Prund le plus vite possible. On me dit que cette route était excellente en été, mais qu'elle n'avait pas encore été remise en état après les neiges de l'hiver. A cet égard, elle est différente de la plupart des routes des Carpathes, qui sont fort peu entretenues par tradition : en effet les seigneurs locaux, les Hospodar, ne les entretiennent pas, de crainte que les turcs n'y voient des préparatifs en vue de l'arrivée de troupes étrangères, hâtant ainsi une guerre déjà toujours trop prompte à éclater. Par-delà les vertes collines du Mittel Land, la forêt s'élevait sur les pentes altières qui constituent les Carpathes elles-mêmes. Les montagnes se dressaient à notre droite et à notre gauche ; le soleil de l'après-midi révélait leurs couleurs splendides, d'un bleu et d'un pourpre profonds à l'ombre des pics, vertes et brunes là où l'herbe et le roc se mêlaient, puis c'était une perspective sans fin de rocs découpés et de pics effilés qui finissaient par se perdre dans le lointain, là où les mont enneigés s'élevaient fièrement. Ça et là, des gouffres s'ouvraient dans les montagnes, et on pouvait y apercevoir, tandis que le soleil se couchait, l'éclat blanc d'une chute d'eau. L'un de mes compagnons toucha mon bras au moment où nous venions de contourner la base d'une colline, nous retrouvant face à un pic vertigineux et couvert de neige, qui semblait nous barrer la route : « Regardez ! Isten szek ! le trône de Dieu ! » et il se signa avec déférence. Tandis que nous poursuivions notre chemin sans fin, le soleil baissait de plus en plus, et les ombres du soir commencèrent à se répandre autour de nous. Les sommets enneigés interceptaient les derniers rayons du soleil, et semblaient briller d'une délicate lumière rose. Par endroits, nous dépassions des Tchèques ou des Slovaques, toujours en tenue pittoresque, mais je remarquai avec tristesse que les goitres étaient étrangement fréquents. De nombreuses croix se dressaient le long de la route, et quand nous les dépassions, mes compagnons se signaient. Parfois nous voyions une paysanne ou un paysan agenouillé devant une chapelle, et qui ne se retournait même pas à notre passage, et semblait au contraire absorbé dans une telle ferveur religieuse qu'il n'avait plus d'yeux ni d'oreilles pour le monde terrestre. Beaucoup de choses sont nouvelles pour moi : par exemple, les meules de foin dans les arbres, et par endroits, de très beaux massifs de bouleaux, leurs branches blanches brillant comme de l'argent à travers le vert délicat des feuilles. Parfois nous dépassions une charrette de paysan, avec sa structure toute en longueur comme un serpent, conçue pour épouser les irrégularités de la route. On pouvait être certain d'y trouver assis des paysans avenants, les Tchèques avec leurs peaux de mouton blanches, et les slovaques avec des peaux de mouton teintes de couleurs vives, ces derniers portant leurs longues haches comme si elles eussent été des lances. Comme la nuit tombait, il commença à faire très froid, et avec le crépuscule l'ombre des arbres, chênes, hêtres et pins sembla fondre dans une même brume enténébrée. Dans les vallées enchâssées entre les parois des montagnes, loin en- dessous de nous qui montions vers le col, les sapins noirs se dressaient par endroits devant les étendues de neige pas encore fondue. Parfois, comme la route s'enfonçait dans les bois de pins qui semblaient dans l'obscurité se refermer sur nous, de grandes masses de brouillard, qui nous masquaient parfois jusqu'aux arbres, produisaient un effet particulièrement étrange et solennel, qui me ramenait aux pensées et aux folles idées qui avaient été les miennes plus tôt dans la soirée : le soleil couchant donne un étrange relief aux nuages fantomatiques qui dans les Carpathes glissent sans fin au fond des vallées. Parfois la pente était si abrupte que, malgré la hâte de notre cocher, les chevaux ne pouvaient progresser que lentement. Je proposais de descendre et de marcher, comme nous le faisons chez nous, mais le cocher ne voulut pas en entendre parler. « Non, non » dit-il, « vous ne devez pas marcher ici, les chiens sont trop féroces. », et il ajoutait, sur le ton de l'humour noir, car il lançait des regards aux autres passagers pour quêter un sourire approbateur : « Et vous en aurez suffisamment d'ici à ce que vous alliez au lit. » La seule pause qu'il s'accorda fut pour allumer ses lampes. Quand les ténèbres s'épaissirent, les passagers furent gagnés par une certaine excitation, et ils ne cessèrent de parler au cocher, l'un après l'autre, comme pour le presser d'aller plus vite. Il harassait ses chevaux sans pitié de son long fouet, et avec

des cris sauvages, les encourageait à faire toujours plus d'efforts. Puis, à travers les ténèbres, je pus distinguer une lueur grisâtre devant nous, comme s'il y avait une passe dans les rochers. L'excitation des passagers s'accrût encore, la diligence se balançait follement sur ses ressorts de cuir, comme un navire emporté par une tempête. Je devais me tenir fermement. La route finit par s'aplanir, et nous eûmes l'impression de voler. Alors, les montagnes semblèrent se rapprocher des deux côtés et se refermer sur nous : nous entrions dans la passe de Borgo. L'un après l'autre, certains des passagers m'offrirent des présents, qu'ils poussaient vers moi avec un tel sérieux qu'il n'était pas question de les refuser. Ces présents étaient assurément étranges et hétéroclites, mais ils étaient offerts avec de bonnes intentions, accompagnés de mots aimables, d'une bénédiction, et de ces gestes qui révélaient la peur, et que j'avais déjà remarqués devant l'hôtel, à Bistritz – le signe de croix, et le charme contre le mauvais œil. Puis, tandis que nous filions à vive allure, le cocher se pencha en avant, et les passagers se mirent à regarder attentivement les ténèbres par les portières de la diligence. Il était évident que quelque chose s'était produit, ou était sur le point de se produire, mais j'avais beau interroger mes compagnons de voyage, aucun ne me donna la moindre explication. Cette tension se maintint pendant un certain temps, et enfin nous vîmes la passe s'ouvrir sur le côté est. Il y avait de gros nuages noirs dans le ciel, et l'air était orageux et oppressant. C'était comme si l'atmosphère était différente d'un côté et de l'autre de la montagne, et que nous pénétrions maintenant dans une région plus tempétueuse. Quant à moi, je cherchais maintenant le moyen de transport qui devait me conduire jusqu'au Comte. A chaque instant, je m'attendais à apercevoir la lueur de ses lampes dans l'obscurité, mais tout n'était que ténèbres. Seules nos propres lampes brillaient d'une lueur vacillante, dans laquelle l'haleine de nos chevaux épuisés formait un nuage blanc. Nous pouvions maintenant voir la route sablée qui s'étendait blanche devant nous, mais il n'y avait là aucun véhicule. Les passagers s'enfoncèrent dans leurs sièges avec un air de soulagement, qui semblait railler ma propre déception. Je commençais à me demander ce qu'il convenait de faire, quand le cocher, regardant sa montre, prononça à l'attention des autres passagers des paroles que je pus à peine entendre, tant elles étaient dites à voix basse ; c'était quelque chose comme : « Une heure en avance » ; puis, se tournant vers moi, dans un allemand pire que le mien : « Il n'y a pas de voiture ici. Mein Herr n'est pas attendu en fin de compte. Il va venir avec nous en Bucovine, et rentrera demain ou le jour suivant. Le jour suivant, c'est mieux. » Tandis qu'il parlait, les chevaux commencèrent à hennir et à renâcler, si bien qu'il dut les maîtriser. Alors, tandis que les paysans poussaient un cri d'une seule voix et se signaient frénétiquement, une calèche attelée de quatre chevaux arriva derrière nous, nous dépassa, et s'arrêta à côté de la diligence. A la lumière de nos lampes, je vis que les chevaux étaient de splendides bêtes noires comme la nuit. L'homme qui les conduisait était grand, avec une longue barbe brune et un grand chapeau noir, qui nous cachait son visage. Je ne pouvais voir que le reflet de ses yeux brillants, qui me semblèrent presque rouges à la lueur des lampes, quand il se tourna vers nous.

Part (2) Anteil (2) Part (2) Parte (2) Parte (2) Del (2) 第2部分)

Je ne suis pas fatigué, et comme je pourrai me lever demain quand je le voudrai, je vais évidemment écrire jusqu'à ce que je sois gagné par le sommeil. I am not tired, and since I can get up tomorrow when I want to, I will obviously write until I fall asleep. No estoy cansado, y como mañana puedo levantarme cuando quiera, evidentemente voy a escribir hasta que me duerma. Non sono stanca e, dato che domani posso alzarmi quando voglio, ovviamente scriverò fino a quando non mi addormenterò. J'ai tellement de choses étranges à raconter, et, de crainte que celui lira ces lignes ne s'imagine que j'ai trop bien dîné avant de quitter Bistritz, je vais en rapporter ici le menu exact. I have so many strange things to tell, and lest anyone reading this imagine that I dined too well before leaving Bistritz, I'll report the exact menu here. J'ai mangé ce qu'ils appellent un « steak de bandit » - un peu de bacon, des oignons et du bœuf, assaisonné de poivre rouge, ficelé sur des baguettes et rôti au-dessus du feu, comme nous le faisons à Londres avec les abats. Έφαγα αυτό που λένε «μπριζόλα ληστή» - λίγο μπέικον, κρεμμύδια και μοσχαρίσιο κρέας, καρυκευμένο με κόκκινη πιπεριά, στριμωγμένο σε ξυλάκια και ψημένο στη φωτιά, όπως κάνουμε στο Λονδίνο, με εντόσθια. I ate what they call a "bandit steak" - a bit of bacon, onions and beef, seasoned with red pepper, tied on chopsticks and roasted over the fire, as we do in London with offal. Ho mangiato quella che chiamano "bistecca del bandito": un po' di pancetta, cipolle e manzo, conditi con pepe rosso, legati su bacchette e arrostiti sul fuoco, come facciamo a Londra con le frattaglie. Le vin était du Mediasch doré, qui pique singulièrement la langue, ce qui n'est toutefois pas désagréable. The wine was golden Mediasch, which stings the tongue, though not unpleasantly. El vino era Mediasch dorado, que pica la lengua, aunque no desagradablemente. Il vino era un Mediasch dorato, che punge la lingua, anche se non in modo sgradevole. J'en bus un ou deux verres, et pas plus. I drank one or two glasses, and no more. Ho bevuto uno o due bicchieri, ma non di più. Quand je me rendis à la diligence, le cocher n'avait pas encore gagné son siège, et je le vis qui discutait avec la propriétaire. Όταν έφτασα στο πούλμαν, ο αμαξάς δεν είχε πάρει ακόμη θέση και τον είδα να μιλάει με τον ιδιοκτήτη. Ils parlaient évidemment de moi, car ils me lançaient régulièrement des regards. Certaines des personnes qui étaient assises sur le banc près de la porte – ils donnent à ce type de banc un nom qui veut dire « discuteur » - s'approchaient et écoutaient, puis me regardaient, avec un air de pitié. Some of the people sitting on the bench by the door - they give this type of bench a name that means "talker" - came up and listened, then looked at me, with an air of pity. Je pouvais entendre des mots maintes fois répétés, des mots inintelligibles, car il y avait beaucoup de nationalités différentes. I could hear words repeated over and over again, unintelligible words, because there were so many different nationalities. Je sortis donc discrètement mon dictionnaire polyglotte de mon sac, et en cherchai la signification. Je dois dire qu'il n'y avait pas là de quoi m'encourager, car je trouvai Ordog, pour Satan, Pokol, enfer, stregoica, sorcière, et enfin vrolok et vlkoslak, qui ont tous deux le même sens, en Slovaque et en Serbe : loup-garou ou vampire (note : je dois interroger le Comte au sujet de ces superstitions). I have to say that I wasn't encouraged, as I found Ordog for Satan, Pokol for hell, stregoica for witch, and finally vrolok and vlkoslak, both of which have the same meaning in Slovak and Serbian: werewolf or vampire (note: I'll have to ask the Count about these superstitions). Quand nous partîmes, les gens qui se trouvaient près de la porte, beaucoup plus nombreux qu'auparavant, faisaient tous le signe de la croix et pointaient deux doigts vers moi. As we left, the people standing by the door, much more numerous than before, all made the sign of the cross and pointed two fingers at me. Cuando salimos, las personas que estaban junto a la puerta, muchas más que antes, se persignaban y me señalaban con dos dedos. Quando siamo usciti, le persone in piedi davanti alla porta, molte di più di prima, si facevano tutte il segno della croce e mi puntavano due dita contro. Avec quelques difficultés, je parvins à faire dire à l'un de mes compagnons de voyage ce que cela signifiait : d'abord il n'avait pas voulu me répondre, mais, apprenant que j'étais anglais, il m'expliqua qu'il s'agissait d'un charme ou d'une protection contre le mauvais œil. With some difficulty, I managed to get one of my traveling companions to tell me what it meant: at first he wouldn't answer me, but, learning that I was English, he explained that it was a charm or protection against the evil eye. Con un po' di difficoltà, sono riuscito a farmi spiegare il significato da uno dei miei compagni di viaggio: all'inizio non voleva rispondermi, ma quando ha capito che ero inglese, mi ha spiegato che si trattava di un incantesimo o di una protezione contro il malocchio. Cela n'était pas très rassurant pour moi, qui me dirigeais vers un lieu inconnu pour y rencontrer un homme inconnu, mais chacun semblait si bien intentionné à mon égard, et se faire tellement de souci pour moi, que je ne pus qu'être touché. It wasn't very reassuring for me, heading to an unknown place to meet an unknown man, but everyone seemed so well-intentioned towards me, and so concerned for me, that I couldn't help but be touched. Questo non era molto rassicurante per me, che mi stavo recando in un luogo sconosciuto per incontrare un uomo sconosciuto, ma tutti sembravano così ben intenzionati nei miei confronti e così preoccupati per me, che non potevo fare a meno di commuovermi. Je n'oublierai jamais le dernier regard que je jetai à la cour de l'auberge et à cette foule pittoresque, chacun faisant le signe de la croix sous la grande porte voûtée, devant les lauriers-roses et les orangers dans leurs pots verts rassemblés au centre de la cour. I'll never forget the last look I took at the inn's courtyard and the picturesque crowd, each making the sign of the cross under the large arched doorway, in front of the oleanders and orange trees in their green pots gathered in the center of the courtyard. Puis notre cocher, dont la grande Then our coachman, whose large

culotte de lin couvrait le siège tout entier (son « gotza », comme ils disent), fit claquer son grand fouet pour lancer au galop ses quatre petits chevaux, attelés de front, et nous commençâmes notre voyage. linen breeches covered the whole seat (his "gotza", as they say), cracked his big whip to send his four little horses, harnessed abreast, galloping, and we began our journey. Le sue braghe di lino coprivano l'intero sedile (la sua "gotza", come si dice), e lui schioccò la sua grande frusta per far galoppare i suoi quattro cavallini, bardati uno accanto all'altro, e iniziammo il nostro viaggio. J'oubliai bien vite mes peurs irrationnelles face à la beauté des paysages que nous traversions, même si je pense que si j'avais compris la langue, ou plutôt les langues dans lesquelles mes compagnons de voyage discutaient, je n'aurais pas pu me débarrasser aussi vite de mes craintes. I soon forgot my irrational fears in the face of the beauty of the landscapes we were crossing, although I think that if I had understood the language, or rather the languages in which my fellow travellers were conversing, I wouldn't have been able to get rid of my fears so quickly. Pronto olvidé mis miedos irracionales ante la belleza de los paisajes que atravesábamos, aunque creo que si hubiera entendido el idioma, o más bien los idiomas en los que hablaban mis compañeros de viaje, no habría podido deshacerme tan rápidamente de mis temores. Ho presto dimenticato le mie paure irrazionali di fronte alla bellezza dei paesaggi che stavamo attraversando, anche se credo che se avessi capito la lingua, o meglio le lingue in cui parlavano i miei compagni di viaggio, non sarei riuscita a liberarmi delle mie paure così rapidamente. Devant nous s'étendait un pays vert et vallonné, couvert de forêts, avec ça et là des collines escarpées, couronnées de bouquets d'arbres ou de fermes, dont le pignon blanc faisait face à la route. Ahead of us lay a green, rolling country, covered in forests, with here and there steep hills, crowned with clumps of trees or farmhouses, their white gables facing the road. Davanti a noi si estendeva una campagna verde e ondulata, ricoperta di boschi, con qua e là colline scoscese coronate da ciuffi di alberi o da case coloniche con i frontoni bianchi rivolti verso la strada. Partout les arbres fruitiers fleurissaient – pommiers, pruniers, pêchers et cerisiers – et en passant je pouvais voir l'herbe sous les arbres, couverte de pétales tombés. Everywhere the fruit trees were in bloom - apple, plum, peach and cherry - and as I passed I could see the grass under the trees, covered with fallen petals. La route serpentait parmi les vertes collines de ce qu'ils appellent le « Mittel land », se perdant en d'incessants virages parmi les herbes, puis se faufilant entre deux bois de pins qui par endroits descendaient des collines comme des langues de feu. Ο δρόμος ελίσσονταν ανάμεσα στους καταπράσινους λόφους αυτού που αποκαλούν «Γη του Μίττελ», χάνονταν σε αδιάκοπες στροφές ανάμεσα στο γρασίδι και μετά περνούσε το δρόμο του ανάμεσα σε δύο πευκοδάση που κατά τόπους κατέβαιναν από τους λόφους σαν πύρινες γλώσσες. The road meandered through the green hills of what they call "Mittel land", losing itself in incessant twists and turns among the grasses, then threading its way between two pine woods that in places descended from the hills like tongues of fire. La route était difficile, mais il me semblait que nous volions à une vitesse folle. The road was rough, but it seemed to me that we were flying at breakneck speed. Je ne pouvais comprendre pourquoi le cocher se précipitait ainsi, mais il avait visiblement l'intention d'arriver à Borgo Prund le plus vite possible. On me dit que cette route était excellente en été, mais qu'elle n'avait pas encore été remise en état après les neiges de l'hiver. I was told that this road was excellent in summer, but had not yet been restored after the winter snows. Me dijeron que esta carretera era excelente en verano, pero que aún no había sido reparada tras las nevadas invernales. A cet égard, elle est différente de la plupart des routes des Carpathes, qui sont fort peu entretenues par tradition : en effet les seigneurs locaux, les Hospodar, ne les entretiennent pas, de crainte que les turcs n'y voient des préparatifs en vue de l'arrivée de troupes étrangères, hâtant ainsi une guerre déjà toujours trop prompte à éclater. In this respect, it differs from most of the Carpathian roads, which are traditionally very poorly maintained: in fact, the local lords, the Hospodars, do not maintain them, lest the Turks see them as preparations for the arrival of foreign troops, thus hastening a war that is always too quick to break out. Par-delà les vertes collines du Mittel Land, la forêt s'élevait sur les pentes altières qui constituent les Carpathes elles-mêmes. Πέρα από τους καταπράσινους λόφους της Mittel Land, το δάσος υψώθηκε στις ψηλές πλαγιές που αποτελούν τα ίδια τα Καρπάθια. Beyond the green hills of Mittel Land, the forest rose to the lofty slopes that make up the Carpathians themselves. Les montagnes se dressaient à notre droite et à notre gauche ; le soleil de l'après-midi révélait leurs couleurs splendides, d'un bleu et d'un pourpre profonds à l'ombre des pics, vertes et brunes là où l'herbe et le roc se mêlaient, puis c'était une perspective sans fin de rocs découpés et de pics effilés qui finissaient par se perdre dans le lointain, là où les mont enneigés s'élevaient fièrement. The mountains rose to our right and left; the afternoon sun revealed their splendid colors, deep blue and purple in the shadow of the peaks, green and brown where grass and rock mingled, and then an endless perspective of jagged rocks and tapering peaks that finally lost themselves in the distance, where the snow-capped mountains rose proudly. Ça et là, des gouffres s'ouvraient dans les montagnes, et on pouvait y apercevoir, tandis que le soleil se couchait, l'éclat blanc d'une chute d'eau. Here and there, chasms opened up in the mountains, and as the sun set, the white glow of a waterfall could be seen. L'un de mes compagnons toucha mon bras au moment où nous venions de contourner la base d'une colline, nous retrouvant face à un pic vertigineux et couvert de neige, qui semblait nous barrer la route : « Regardez ! One of my companions touched my arm just as we rounded the base of a hill, coming face to face with a vertiginous, snow-covered peak that seemed to block our path: "Look! Isten szek ! Isten szek! le trône de Dieu ! the throne of God! ¡el trono de Dios! » et il se signa avec déférence. Tandis que nous poursuivions notre chemin sans fin, le soleil baissait de plus en plus, et les ombres du soir commencèrent à se répandre autour de nous. Mentre proseguivamo il nostro viaggio senza fine, il sole si abbassava sempre di più e le ombre della sera cominciavano ad allungarsi intorno a noi. Les sommets enneigés interceptaient les derniers rayons du soleil, et semblaient briller d'une délicate lumière rose. Par endroits, nous dépassions des Tchèques ou des Slovaques, toujours en tenue pittoresque, mais je remarquai avec tristesse que les goitres étaient étrangement fréquents. In places we passed Czechs or Slovaks, still dressed in picturesque clothes, but I noticed with sadness that goiters were strangely frequent. In alcuni punti abbiamo incrociato cechi o slovacchi, sempre in abiti pittoreschi, ma ho notato con tristezza che i gozzi erano stranamente frequenti. De nombreuses croix se dressaient le long de la route, et quand nous les dépassions, mes compagnons se signaient. Numerous crosses stood along the road, and when we passed them, my companions would sign. Había muchas cruces a lo largo del camino, y cuando pasábamos junto a ellas, mis compañeros hacían señas. Parfois nous voyions une paysanne ou un paysan agenouillé devant une chapelle, et qui ne se retournait même pas à notre passage, et semblait au contraire absorbé dans une telle ferveur religieuse qu'il n'avait plus d'yeux ni d'oreilles pour le monde terrestre. Sometimes we'd see a peasant kneeling in front of a chapel, who wouldn't even turn around as we passed by, and instead seemed absorbed in such religious fervor that he had no eyes or ears for the earthly world. Beaucoup de choses sont nouvelles pour moi : par exemple, les meules de foin dans les arbres, et par endroits, de très beaux massifs de bouleaux, leurs branches blanches brillant comme de l'argent à travers le vert délicat des feuilles. Many things are new to me: for example, the haystacks in the trees, and in places, beautiful clumps of birch trees, their white branches shining like silver through the delicate green of the leaves. Parfois nous dépassions une charrette de paysan, avec sa structure toute en longueur comme un serpent, conçue pour épouser les irrégularités de la route. Sometimes we passed a peasant cart, with its long snake-like structure, designed to follow the irregularities of the road. On pouvait être certain d'y trouver assis des paysans avenants, les Tchèques avec leurs peaux de mouton blanches, et les slovaques avec des peaux de mouton teintes de couleurs vives, ces derniers portant leurs longues haches comme si elles eussent été des lances. You could be sure to find friendly peasants sitting there, the Czechs in their white sheepskins, and the Slovaks in brightly-dyed sheepskins, the latter carrying their long axes as if they were spears. Comme la nuit tombait, il commença à faire très froid, et avec le crépuscule l'ombre des arbres, chênes, hêtres et pins sembla fondre dans une même brume enténébrée. Al caer la noche, empezó a hacer mucho frío y, a medida que anochecía, las sombras de los árboles, robles, hayas y pinos, parecían fundirse en una única niebla oscura. Con il calare della notte, cominciò a fare molto freddo e, al crepuscolo, le ombre degli alberi, querce, faggi e pini, sembravano fondersi in un'unica nebbia scura. Dans les vallées enchâssées entre les parois des montagnes, loin en- dessous de nous qui montions vers le col, les sapins noirs se dressaient par endroits devant les étendues de neige pas encore fondue. Parfois, comme la route s'enfonçait dans les bois de pins qui semblaient dans l'obscurité se refermer sur nous, de grandes masses de brouillard, qui nous masquaient parfois jusqu'aux arbres, produisaient un effet particulièrement étrange et solennel, qui me ramenait aux pensées et aux folles idées qui avaient été les miennes plus tôt dans la soirée : le soleil couchant donne un étrange relief aux nuages fantomatiques qui dans les Carpathes glissent sans fin au fond des vallées. Sometimes, as the road went deeper into the pine woods, which in the darkness seemed to close in on us, great masses of fog, which sometimes obscured us right down to the trees, produced a particularly strange and solemn effect, which brought me back to the thoughts and wild ideas that had been mine earlier in the evening: the setting sun gives a strange relief to the ghostly clouds that in the Carpathians glide endlessly down the valleys. Parfois la pente était si abrupte que, malgré la hâte de notre cocher, les chevaux ne pouvaient progresser que lentement. Sometimes the slope was so steep that, despite our coachman's haste, the horses could only make slow progress. Je proposais de descendre et de marcher, comme nous le faisons chez nous, mais le cocher ne voulut pas en entendre parler. I suggested getting off and walking, as we do at home, but the coachman wouldn't hear of it. « Non, non » dit-il, « vous ne devez pas marcher ici, les chiens sont trop féroces. », et il ajoutait, sur le ton de l'humour noir, car il lançait des regards aux autres passagers pour quêter un sourire approbateur : « Et vous en aurez suffisamment d'ici à ce que vous alliez au lit. And he added, in a tone of dark humor, as he glanced at the other passengers begging an approving smile: "And you'll have enough by the time you go to bed." » La seule pause qu'il s'accorda fut pour allumer ses lampes. "The only pause he allowed himself was to light his lamps. Quand les ténèbres s'épaissirent, les passagers furent gagnés par une certaine excitation, et ils ne cessèrent de parler au cocher, l'un après l'autre, comme pour le presser d'aller plus vite. As the darkness deepened, the passengers were overcome by a certain excitement, and they kept talking to the coachman, one after the other, as if urging him to go faster. Il harassait ses chevaux sans pitié de son long fouet, et avec He harassed his horses mercilessly with his long whip, and with

des cris sauvages, les encourageait à faire toujours plus d'efforts. wild shouts, encouraging them to make ever greater efforts. Puis, à travers les ténèbres, je pus distinguer une lueur grisâtre devant nous, comme s'il y avait une passe dans les rochers. Then, through the darkness, I could make out a grayish glow ahead, as if there were a pass in the rocks. L'excitation des passagers s'accrût encore, la diligence se balançait follement sur ses ressorts de cuir, comme un navire emporté par une tempête. The excitement of the passengers increased still further, as the coach rocked madly on its leather springs, like a ship swept by a storm. Je devais me tenir fermement. I had to hold on tight. Tuve que agarrarme fuerte. La route finit par s'aplanir, et nous eûmes l'impression de voler. Eventually the road levelled out, and we felt as if we were flying. Alla fine la strada si è stabilizzata e ci è sembrato di volare. Alors, les montagnes semblèrent se rapprocher des deux côtés et se refermer sur nous : nous entrions dans la passe de Borgo. Then the mountains seemed to close in on both sides, closing in on us as we entered the Borgo pass. L'un après l'autre, certains des passagers m'offrirent des présents, qu'ils poussaient vers moi avec un tel sérieux qu'il n'était pas question de les refuser. One after the other, some of the passengers offered me gifts, which they pushed towards me with such seriousness that there was no question of refusing them. Uno dopo l'altro, alcuni passeggeri mi offrirono dei doni, che spingevano verso di me con una tale serietà che non c'era verso di rifiutarli. Ces présents étaient assurément étranges et hétéroclites, mais ils étaient offerts avec de bonnes intentions, accompagnés de mots aimables, d'une bénédiction, et de ces gestes qui révélaient la peur, et que j'avais déjà remarqués devant l'hôtel, à Bistritz – le signe de croix, et le charme contre le mauvais œil. These gifts were certainly strange and motley, but they were offered with good intentions, accompanied by kind words, a blessing, and those gestures that revealed fear, and which I had already noticed in front of the hotel in Bistritz - the sign of the cross, and the charm against the evil eye. Si trattava di doni certamente strani e variegati, ma offerti con buone intenzioni, accompagnati da parole gentili, da una benedizione e da quei gesti che rivelano la paura e che avevo già notato fuori dall'albergo di Bistritz: il segno della croce e il fascino contro il malocchio. Puis, tandis que nous filions à vive allure, le cocher se pencha en avant, et les passagers se mirent à regarder attentivement les ténèbres par les portières de la diligence. Then, as we sped away, the coachman leaned forward, and the passengers looked intently into the darkness through the coach doors. Poi, mentre procedevamo, il cocchiere si chinò in avanti e i passeggeri cominciarono a guardare intensamente nell'oscurità attraverso le porte della carrozza. Il était évident que quelque chose s'était produit, ou était sur le point de se produire, mais j'avais beau interroger mes compagnons de voyage, aucun ne me donna la moindre explication. It was obvious that something had happened, or was about to happen, but no matter how much I questioned my traveling companions, none of them could give me the slightest explanation. Era evidente che era successo qualcosa, o che stava per succedere, ma per quanto interrogassi i miei compagni di viaggio, nessuno di loro mi dava la minima spiegazione. Cette tension se maintint pendant un certain temps, et enfin nous vîmes la passe s'ouvrir sur le côté est. This tension continued for some time, and finally we saw the pass open up on the eastern side. Il y avait de gros nuages noirs dans le ciel, et l'air était orageux et oppressant. There were big black clouds in the sky, and the air was stormy and oppressive. C'était comme si l'atmosphère était différente d'un côté et de l'autre de la montagne, et que nous pénétrions maintenant dans une région plus tempétueuse. It was as if the atmosphere was different on either side of the mountain, and we were now entering a more tempestuous region. Quant à moi, je cherchais maintenant le moyen de transport qui devait me conduire jusqu'au Comte. As for me, I was now looking for the means of transport that would take me to the Count. A chaque instant, je m'attendais à apercevoir la lueur de ses lampes dans l'obscurité, mais tout n'était que ténèbres. Every moment, I expected to see the glow of his lamps in the darkness, but all was darkness. Seules nos propres lampes brillaient d'une lueur vacillante, dans laquelle l'haleine de nos chevaux épuisés formait un nuage blanc. Only our own lamps shone with a flickering glow, in which the breath of our exhausted horses formed a white cloud. Nous pouvions maintenant voir la route sablée qui s'étendait blanche devant nous, mais il n'y avait là aucun véhicule. We could now see the sandy road stretching white before us, but there were no vehicles there. Les passagers s'enfoncèrent dans leurs sièges avec un air de soulagement, qui semblait railler ma propre déception. The passengers sank into their seats with an air of relief that seemed to mock my own disappointment. Je commençais à me demander ce qu'il convenait de faire, quand le cocher, regardant sa montre, prononça à l'attention des autres passagers des paroles que je pus à peine entendre, tant elles étaient dites à voix basse ; c'était quelque chose comme : « Une heure en avance » ; puis, se tournant vers moi, dans un allemand pire que le mien : « Il n'y a pas de voiture ici. I was beginning to wonder what I should do, when the coachman, looking at his watch, spoke words to the other passengers that I could barely hear, so low were they spoken; it was something like: "An hour early"; then, turning to me, in a German worse than mine: "There's no carriage here. Mein Herr n'est pas attendu en fin de compte. Mein Herr is not expected after all. Il va venir avec nous en Bucovine, et rentrera demain ou le jour suivant. He's coming with us to Bukovina, and will return tomorrow or the next day. Le jour suivant, c'est mieux. Al día siguiente es mejor. » Tandis qu'il parlait, les chevaux commencèrent à hennir et à renâcler, si bien qu'il dut les maîtriser. Καθώς μιλούσε, τα άλογα άρχισαν να γρυλίζουν και να βρυχώνται, έτσι έπρεπε να τα συγκρατήσει. "As he spoke, the horses began neighing and snorting, so he had to restrain them. Alors, tandis que les paysans poussaient un cri d'une seule voix et se signaient frénétiquement, une calèche attelée de quatre chevaux arriva derrière nous, nous dépassa, et s'arrêta à côté de la diligence. Then, as the peasants shouted with one voice and signed frantically, a four-horse carriage came up behind us, overtook us, and stopped beside the stagecoach. A la lumière de nos lampes, je vis que les chevaux étaient de splendides bêtes noires comme la nuit. A la luz de nuestras lámparas, vi que los caballos eran espléndidas bestias negras como la noche. L'homme qui les conduisait était grand, avec une longue barbe brune et un grand chapeau noir, qui nous cachait son visage. Je ne pouvais voir que le reflet de ses yeux brillants, qui me semblèrent presque rouges à la lueur des lampes, quand il se tourna vers nous. I could only see the reflection of his bright eyes, which seemed almost red in the lamplight, as he turned to us.