×

We use cookies to help make LingQ better. By visiting the site, you agree to our cookie policy.


image

Alice au pays des merveilles - Alice in Wonderland, Part (10,11,12)

Part (10,11,12)

CHAPITRE X.

LE QUADRILLE DE HOMARDS.

La Fausse-Tortue soupira profondément et passa le dos d'une de ses nageoires sur ses yeux.

Elle regarda Alice et s'efforça de parler, mais les sanglots étouffèrent sa voix pendant une ou deux minutes. « On dirait qu'elle a un os dans le gosier, » dit le Griffon, et il se mit à la secouer et à lui taper dans le dos. Enfin la Fausse-Tortue retrouva la voix, et, tandis que de grosses larmes coulaient le long de ses joues, elle continua :

« Peut-être n'avez-vous pas beaucoup vécu au fond de la mer ?

» — ( « Non, » dit Alice) — « et peut-être ne vous a-t-on jamais présentée à un homard ? » (Alice allait dire : « J'en ai goûté une fois — » mais elle se reprit vivement, et dit : « Non, jamais. ») « De sorte que vous ne pouvez pas du tout vous figurer quelle chose délicieuse c'est qu'un quadrille de homards. » « Non, vraiment, » dit Alice. « Qu'est-ce que c'est que cette danse-là ? » « D'abord, » dit le Griffon, « on se met en rang le long des bords de la mer — » « On forme deux rangs, » cria la Fausse-Tortue : « des phoques, des tortues et des saumons, et ainsi de suite.

Puis lorsqu'on a débarrassé la côte des gelées de mer — »

« Cela prend ordinairement longtemps, » dit le Griffon.

« — on avance deux fois — »

« Chacun ayant un homard pour danseur, » cria le Griffon.

« Cela va sans dire, » dit la Fausse-Tortue.

« Avancez deux fois et balancez — »

« Changez de homards, et revenez dans le même ordre, » continua le Griffon.

« Et puis, vous comprenez, » continua la Fausse-Tortue, « vous jetez les — »

« Les homards !

» cria le Griffon, en faisant un bond en l'air.

« — aussi loin à la mer que vous le pouvez — »

« Vous nagez à leur poursuite !

! » cria le Griffon. « — vous faites une cabriole dans la mer ! ! ! » cria la Fausse-Tortue, en cabriolant de tous côtés comme une folle.

« Changez encore de homards !!

! ! » hurla le Griffon de toutes ses forces.

« — revenez à terre ; et — c'est là la première figure, » dit la Fausse-Tortue, baissant tout à coup la voix ; et ces deux êtres, qui pendant tout ce temps avaient bondi de tous côtés comme des fous, se rassirent bien tristement et bien posément, puis regardèrent Alice.

« Cela doit être une très-jolie danse, » dit timidement Alice.

« Voudriez-vous voir un peu comment ça se danse ?

» dit la Fausse-Tortue. « Cela me ferait grand plaisir, » dit Alice.

« Allons, essayons la première figure, » dit la Fausse-Tortue au Griffon ; « nous pouvons la faire sans homards, vous comprenez.

Qui va chanter ? » « Oh ! chantez, vous, » dit le Griffon ; « moi j'ai oublié les paroles. » Ils se mirent donc à danser gravement tout autour d'Alice, lui marchant de temps à autre sur les pieds quand ils approchaient trop près, et remuant leurs pattes de devant pour marquer la mesure, tandis que la Fausse-Tortue chantait très-lentement et très-tristement : « Nous n'irons plus à l'eau, Si tu n'avances tôt ; Ce Marsouin trop pressé Va tous nous écraser.

Colimaçon danse, Entre dans la danse ; Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon.

» « Je ne veux pas danser, Je me f'rais fracasser. » « Oh ! » reprend le Merlan, « C'est pourtant bien plaisant. » Colimaçon danse, Entre dans la danse ; Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon.

« Je ne veux pas plonger, Je ne sais pas nager.

» — « Le Homard et l'bateau D'sauv'tag' te tir'ront d'l'eau. » Colimaçon danse, Entre dans la danse ; Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon. « Merci ; c'est une danse très-intéressante à voir danser, » dit Alice, enchantée que ce fût enfin fini ; « et je trouve cette curieuse chanson du merlan si agréable ! » « Oh ! quant aux merlans, » dit la Fausse-Tortue, « ils — vous les avez vus, sans doute ? » « Oui, » dit Alice, « je les ai souvent vus à dî— » elle s'arrêta tout court. « Je ne sais pas où est Di, » reprit la Fausse Tortue ; « mais, puisque vous les avez vus si souvent, vous devez savoir l'air qu'ils ont ?

» « Je le crois, » répliqua Alice, en se recueillant. « Ils ont la queue dans la bouche — et sont tout couverts de mie de pain. » « Vous vous trompez à l'endroit de la mie de pain, » dit la Fausse-Tortue : « la mie serait enlevée dans la mer, mais ils ont bien la queue dans la bouche, et la raison en est que — » Ici la Fausse-Tortue bâilla et ferma les yeux. « Dites-lui-en la raison et tout ce qui s'ensuit, » dit-elle au Griffon.

« La raison, c'est que les merlans, » dit le Griffon, « voulurent absolument aller à la danse avec les homards.

Alors on les jeta à la mer. Alors ils eurent à tomber bien loin, bien loin. Alors ils s'entrèrent la queue fortement dans la bouche. Alors ils ne purent plus l'en retirer. Voilà tout. » « Merci, » dit Alice, « c'est très-intéressant ; je n'en avais jamais tant appris sur le compte des merlans. » « Je propose donc, » dit le Griffon, « que vous nous racontiez quelques-unes de vos aventures. » « Je pourrais vous conter mes aventures à partir de ce matin, » dit Alice un peu timidement ; « mais il est inutile de parler de la journée d'hier, car j'étais une personne tout à fait différente alors. » « Expliquez-nous cela, » dit la Fausse-Tortue. « Non, non, les aventures d'abord, » dit le Griffon d'un ton d'impatience ; « les explications prennent tant de temps.

» Alice commença donc à leur conter ses aventures depuis le moment où elle avait vu le Lapin Blanc pour la première fois. Elle fut d'abord un peu troublée dans le commencement ; les deux créatures se tenaient si près d'elle, une de chaque côté, et ouvraient de si grands yeux et une si grande bouche ! Mais elle reprenait courage à mesure qu'elle parlait. Les auditeurs restèrent fort tranquilles jusqu'à ce qu'elle arrivât au moment de son histoire où elle avait eu à répéter à la chenille : « Vous êtes vieux, Père Guillaume, » et où les mots lui étaient venus tout de travers, et alors la Fausse-Tortue poussa un long soupir et dit : « C'est bien singulier. » « Tout cela est on ne peut plus singulier, » dit le Griffon. « Tout de travers, » répéta la Fausse-Tortue d'un air rêveur.

« Je voudrais bien l'entendre réciter quelque chose à présent. Dites-lui de s'y mettre. » Elle regardait le Griffon comme si elle lui croyait de l'autorité sur Alice.

« Debout, et récitez : « C'est la voix du canon, » » dit le Griffon.

« Comme ces êtres-là vous commandent et vous font répéter des leçons !

» pensa Alice ; « autant vaudrait être à l'école. » Cependant elle se leva et se mit à réciter ; mais elle avait la tête si pleine du Quadrille de Homards, qu'elle savait à peine ce qu'elle disait, et que les mots lui venaient tout drôlement : —

« C'est la voix du homard grondant comme la foudre : « On m'a trop fait bouillir, il faut que je me poudre !

» Puis, les pieds en dehors, prenant la brosse en main, De se faire bien beau vite il se met en train. » « C'est tout différent de ce que je récitais quand j'étais petit, moi, » dit le Griffon. « Je ne l'avais pas encore entendu réciter, » dit la Fausse-Tortue ; « mais cela me fait l'effet d'un fameux galimatias.

» Alice ne dit rien ; elle s'était rassise, la figure dans ses mains, se demandant avec étonnement si jamais les choses reprendraient leur cours naturel. « Je voudrais bien qu'on m'expliquât cela, » dit la Fausse-Tortue.

« Elle ne peut pas l'expliquer, » dit le Griffon vivement.

« Continuez, récitez les vers suivants. » « Mais, les pieds en dehors, » continua opiniâtrement la Fausse-Tortue. « Pourquoi dire qu'il avait les pieds en dehors ? » « C'est la première position lorsqu'on apprend à danser, » dit Alice ; tout cela l'embarrassait fort, et il lui tardait de changer la conversation. « Récitez les vers suivants, » répéta le Griffon avec impatience ; « ça commence : « Passant près de chez lui — » »

Alice n'osa pas désobéir, bien qu'elle fût sûre que les mots allaient lui venir tout de travers.

Elle continua donc d'une voix tremblante :

« Passant près de chez lui, j'ai vu, ne vous déplaise, Une huître et un hibou qui dînaient fort à l'aise.

» « À quoi bon répéter tout ce galimatias, » interrompit la Fausse-Tortue, « si vous ne l'expliquez pas à mesure que vous le dites ? C'est, de beaucoup, ce que j'ai entendu de plus embrouillant. » « Oui, je crois que vous feriez bien d'en rester là, » dit le Griffon ; et Alice ne demanda pas mieux. « Essaierons-nous une autre figure du Quadrille de Homards ?

» continua le Griffon. « Ou bien, préférez-vous que la Fausse-Tortue vous chante quelque chose ? » « Oh ! une chanson, je vous prie ; si la Fausse-Tortue veut bien avoir cette obligeance, » répondit Alice, avec tant d'empressement que le Griffon dit d'un air un peu offensé : « Hum ! Chacun son goût. Chantez-lui « La Soupe à la Tortue, » hé ! camarade ! » La Fausse-Tortue poussa un profond soupir et commença, d'une voix de temps en temps étouffée par les sanglots : « Ô doux potage, Ô mets délicieux !

Ah ! pour partage, Quoi de plus précieux ? Plonger dans ma soupière Cette vaste cuillère Est un bonheur Qui me réjouit le cœur.

« Gibier, volaille, Lièvres, dindes, perdreaux, Rien qui te vaille, — Pas même les pruneaux !

Plonger dans ma soupière Cette vaste cuillère Est un bonheur Qui me réjouit le cœur. » « Bis au refrain ! » cria le Griffon ; et la Fausse-Tortue venait de le reprendre, quand un cri, « Le procès va commencer ! » se fit entendre au loin.

« Venez donc !

» cria le Griffon ; et, prenant Alice par la main, il se mit à courir sans attendre la fin de la chanson.

« Qu'est-ce que c'est que ce procès ?

» demanda Alice hors d'haleine ; mais le Griffon se contenta de répondre : « Venez donc ! » en courant de plus belle, tandis que leur parvenaient, de plus en plus faibles, apportées par la brise qui les poursuivait, ces paroles pleines de mélancolie :

« Plonger dans ma soupière Cette vaste cuillère Est un bonheur Qui me réjouit le cœur.

» CHAPITRE XI. QUI A VOLÉ LES TARTES ? Le Roi et la Reine de Cœur étaient assis sur leur trône, entourés d'une nombreuse assemblée : toutes sortes de petits oiseaux et d'autres bêtes, ainsi que le paquet de cartes tout entier. Le Valet, chargé de chaînes, gardé de chaque côté par un soldat, se tenait debout devant le trône, et près du roi se trouvait le Lapin Blanc, tenant d'une main une trompette et de l'autre un rouleau de parchemin. Au beau milieu de la salle était une table sur laquelle on voyait un grand plat de tartes ; ces tartes semblaient si bonnes que cela donna faim à Alice, rien que de les regarder. « Je voudrais bien qu'on se dépêchât de finir le procès, » pensa-t-elle, « et qu'on fît passer les rafraîchissements, » mais cela ne paraissait guère probable, aussi se mit-elle à regarder tout autour d'elle pour passer le temps. C'était la première fois qu'Alice se trouvait dans une cour de justice, mais elle en avait lu des descriptions dans les livres, et elle fut toute contente de voir qu'elle savait le nom de presque tout ce qu'il y avait là. « Ça, c'est le juge, » se dit-elle ; « je le reconnais à sa grande perruque. » Le juge, disons-le en passant, était le Roi, et, comme il portait sa couronne par-dessus sa perruque (regardez le frontispice, si vous voulez savoir comment il s'était arrangé) il n'avait pas du tout l'air d'être à son aise, et cela ne lui allait pas bien du tout. « Et ça, c'est le banc du jury, » pensa Alice ; « et ces douze créatures » (elle était forcée de dire « créatures, » vous comprenez, car quelques-uns étaient des bêtes et quelques autres des oiseaux), « je suppose que ce sont les jurés ; » elle se répéta ce dernier mot deux ou trois fois, car elle en était assez fière : pensant avec raison que bien peu de petites filles de son âge savent ce que cela veut dire. Les douze jurés étaient tous très-occupés à écrire sur des ardoises. « Qu'est-ce qu'ils font là ? » dit Alice à l'oreille du Griffon. « Ils ne peuvent rien avoir à écrire avant que le procès soit commencé. » « Ils inscrivent leur nom, » répondit de même le Griffon, « de peur de l'oublier avant la fin du procès. » « Les niais ! » s'écria Alice d'un ton indigné, mais elle se retint bien vite, car le Lapin Blanc cria : « Silence dans l'auditoire ! » Et le Roi, mettant ses lunettes, regarda vivement autour de lui pour voir qui parlait. Alice pouvait voir, aussi clairement que si elle eût regardé par-dessus leurs épaules, que tous les jurés étaient en train d'écrire « les niais » sur leurs ardoises, et elle pouvait même distinguer que l'un d'eux ne savait pas écrire « niais » et qu'il était obligé de le demander à son voisin. « Leurs ardoises seront dans un bel état avant la fin du procès ! » pensa Alice. Un des jurés avait un crayon qui grinçait ; Alice, vous le pensez bien, ne pouvait pas souffrir cela ; elle fit le tour de la salle, arriva derrière lui, et trouva bientôt l'occasion d'enlever le crayon. Ce fut si tôt fait que le pauvre petit juré (c'était Jacques, le lézard) ne pouvait pas s'imaginer ce qu’il était devenu. Après avoir cherché partout, il fut obligé d’écrire avec un doigt tout le reste du jour, et cela était fort inutile, puisque son doigt ne laissait aucune marque sur l’ardoise. « Héraut, lisez l’acte d’accusation ! » dit le Roi. Sur ce, le Lapin Blanc sonna trois fois de la trompette, et puis, déroulant le parchemin, lut ainsi qu’il suit : « La Reine de Cœur fit des tartes, Un beau jour de printemps ; Le Valet de Cœur prit les tartes, Et s’en fut tout content ! » « Délibérez, » dit le Roi aux jurés. « Pas encore, pas encore, » interrompit vivement le Lapin ; « il y a bien des choses à faire auparavant ! » « Appelez les témoins, » dit le Roi ; et le Lapin Blanc sonna trois fois de la trompette, et cria : « Le premier témoin ! » Le premier témoin était le Chapelier. Il entra, tenant d’une main une tasse de thé et de l’autre une tartine de beurre. « Pardon, Votre Majesté, » dit il, « si j’apporte cela ici ; je n’avais pas tout à fait fini de prendre mon thé lorsqu’on est venu me chercher. » « Vous auriez dû avoir fini, » dit le Roi ; « quand avez-vous commencé ? » Le Chapelier regarda le Lièvre qui l’avait suivi dans la salle, bras dessus bras dessous avec le Loir. « Le Quatorze Mars, je crois bien, » dit-il. « Le Quinze ! » dit le Lièvre. « Le Seize ! » ajouta le Loir. « Notez cela, » dit le Roi aux jurés. Et les jurés s’empressèrent d’écrire les trois dates sur leurs ardoises ; puis en firent l’addition, dont ils cherchèrent à réduire le total en francs et centimes. « Ôtez votre chapeau, » dit le Roi au Chapelier. « Il n’est pas à moi, » dit le Chapelier. « Volé ! » s’écria le Roi en se tournant du côté des jurés, qui s’empressèrent de prendre note du fait. « Je les tiens en vente, » ajouta le Chapelier, comme explication. « Je n’en ai pas à moi ; je suis chapelier. » Ici la Reine mit ses lunettes, et se prit à regarder fixement le Chapelier, qui devint pâle et tremblant. « Faites votre déposition, » dit le Roi ; « et ne soyez pas agité ; sans cela je vous fais exécuter sur-le-champ. » Cela ne parut pas du tout encourager le témoin ; il ne cessait de passer d’un pied sur l’autre en regardant la Reine d’un air inquiet, et, dans son trouble, il mordit dans la tasse et en enleva un grand morceau, au lieu de mordre dans la tartine de beurre. Juste à ce moment-là, Alice éprouva une étrange sensation qui l’embarrassa beaucoup, jusqu’à ce qu’elle se fût rendu compte de ce que c’était. Elle recommençait à grandir, et elle pensa d’abord à se lever et à quitter la cour : mais, toute réflexion faite, elle se décida à rester où elle était, tant qu’il y aurait de la place pour elle. « Ne poussez donc pas comme ça, » dit le Loir ; « je puis à peine respirer. » « Ce n’est pas de ma faute, » dit Alice doucement ; « je grandis. » « Vous n’avez pas le droit de grandir ici, » dit le Loir. « Ne dites pas de sottises, » répliqua Alice plus hardiment ; « vous savez bien que vous aussi vous grandissez. » « Oui, mais je grandis raisonnablement, moi, » dit le Loir ; « et non de cette façon ridicule. » Il se leva en faisant la mine, et passa de l’autre côté de la salle. Pendant tout ce temps-là, la Reine n’avait pas cessé de fixer les yeux sur le Chapelier, et, comme le Loir traversait la salle, elle dit à un des officiers du tribunal : « Apportez-moi la liste des chanteurs du dernier concert. » Sur quoi, le malheureux Chapelier se mit à trembler si fortement qu’il en perdit ses deux souliers. « Faites votre déposition, » répéta le Roi en colère ; « ou bien je vous fais exécuter, que vous soyez troublé ou non ! » « Je suis un pauvre homme, Votre Majesté, » fit le Chapelier d’une voix tremblante ; « et il n’y avait guère qu’une semaine ou deux que j’avais commencé à prendre mon thé, et avec ça les tartines devenaient si minces et les dragéesdu thé — » « Les dragées de quoi ? » dit le Roi. « Ça a commencé par le thé, » répondit le Chapelier. « Je vous dis que dragée commence par un d ! » cria le Roi vivement. « Me prenez-vous pour un âne ? Continuez ! » « Je suis un pauvre homme, » continua le Chapelier ; « et les dragées et les autres choses me firent perdre la tête. Mais le Lièvre dit — » « C’est faux ! » s’écria le Lièvre se dépêchant de l’interrompre. « C’est vrai ! » cria le Chapelier. « Je le nie ! » cria le Lièvre. « Il le nie ! » dit le Roi. « Passez là-dessus. » « Eh bien ! dans tous les cas, le Loir dit — » continua le Chapelier, regardant autour de lui pour voir s’il nierait aussi ; mais le Loir ne nia rien, car il dormait profondément. « Après cela, » continua le Chapelier, « je me coupai d’autres tartines de beurre. » « Mais, que dit le Loir ? » demanda un des jurés. « C’est ce que je ne peux pas me rappeler, » dit le Chapelier. « Il faut absolument que vous vous le rappeliez, » fit observer le Roi ; « ou bien je vous fais exécuter. » Le malheureux Chapelier laissa tomber sa tasse et sa tartine de beurre, et mit un genou en terre. « Je suis un pauvre homme, Votre Majesté ! » commença-t-il. « Vous êtes un très-pauvre orateur, » dit le Roi. Ici un des cochons d’Inde applaudit, et fut immédiatement réprimé par un des huissiers. (Comme ce mot est assez difficile, je vais vous expliquer comment cela se fit. Ils avaient un grand sac de toile qui se fermait à l’aide de deux ficelles attachées à l’ouverture ; dans ce sac ils firent glisser le cochon d’Inde la tête la première, puis ils s’assirent dessus.) « Je suis contente d’avoir vu cela, » pensa Alice. « J’ai souvent lu dans les journaux, à la fin des procès : « Il se fit quelques tentatives d’applaudissements qui furent bientôt réprimées par les huissiers, » et je n’avais jamais compris jusqu’à présent ce que cela voulait dire. » « Si c’est là tout ce que vous savez de l’affaire, vous pouvez vous prosterner, » continua le Roi. « Je ne puis pas me prosterner plus bas que cela, » dit le Chapelier ; « je suis déjà par terre. » « Alors asseyez-vous, » répondit le Roi. Ici l’autre cochon d’Inde applaudit et fut réprimé. « Bon, cela met fin aux cochons d’Inde ! » pensa Alice. « Maintenant ça va mieux aller. » « J’aimerais bien aller finir de prendre mon thé, » dit le Chapelier, en lançant un regard inquiet sur la Reine, qui lisait la liste des chanteurs. « Vous pouvez vous retirer, » dit le Roi ; et le Chapelier se hâta de quitter la cour, sans même prendre le temps de mettre ses souliers. « Et coupez-lui la tête dehors, » ajouta la Reine, s’adressant à un des huissiers ; mais le Chapelier était déjà bien loin avant que l’huissier arrivât à la porte. « Appelez un autre témoin, » dit le Roi. L’autre témoin, c’était la cuisinière de la Duchesse ; elle tenait la poivrière à la main, et Alice devina qui c’était, même avant qu’elle entrât dans la salle, en voyant éternuer, tout à coup et tous à la fois, les gens qui se trouvaient près de la porte. « Faites votre déposition, » dit le Roi. « Non ! » dit la cuisinière. Le Roi regarda d’un air inquiet le Lapin Blanc, qui lui dit à voix basse : « Il faut que Votre Majesté interroge ce témoin-là contradictoirement. » « Puisqu’il le faut, il le faut, » dit le Roi, d’un air triste ; et, après avoir croisé les bras et froncé les sourcils en regardant la cuisinière, au point que les yeux lui étaient presque complètement rentrés dans la tête, il dit d’une voix creuse : « De quoi les tartes sont-elles faites ? » « De poivre principalement ! » dit la cuisinière. « De mélasse, » dit une voix endormie derrière elle. « Saisissez ce Loir au collet ! » cria la Reine. « Coupez la tête à ce Loir ! Mettez ce Loir à la porte ! Réprimez-le, pincez-le, arrachez-lui ses moustaches ! » Pendant quelques instants, toute la cour fut sens dessus dessous pour mettre le Loir à la porte ; et, quand le calme fut rétabli, la cuisinière avait disparu. « Cela ne fait rien, » dit le Roi, comme soulagé d’un grand poids. « Appelez le troisième témoin ; » et il ajouta à voix basse en s’adressant à la Reine : « Vraiment, mon amie, il faut que vous interrogiez cet autre témoin ; cela me fait trop mal au front ! » Alice regardait le Lapin Blanc tandis qu’il tournait la liste dans ses doigts, curieuse de savoir quel serait l’autre témoin. « Car les dépositions ne prouvent pas grand’chose jusqu’à présent, » se dit-elle. Imaginez sa surprise quand le Lapin Blanc cria, du plus fort de sa petite voix criarde : « Alice ! » CHAPITRE XII. DÉPOSITION D’ALICE. « Voilà ! » cria Alice, oubliant tout à fait dans le trouble du moment combien elle avait grandi depuis quelques instants, et elle se leva si brusquement qu’elle accrocha le banc des jurés avec le bord de sa robe, et le renversa, avec tous ses occupants, sur la tête de la foule qui se trouvait au-dessous, et on les vit se débattant de tous côtés, comme les poissons rouges du vase qu’elle se rappelait avoir renversé par accident la semaine précédente. « Oh ! je vous demande bien pardon ! » s’écria-t-elle toute confuse, et elle se mit à les ramasser bien vite, car l’accident arrivé aux poissons rouges lui trottait dans la tête, et elle avait une idée vague qu’il fallait les ramasser tout de suite et les remettre sur les bancs, sans quoi ils mourraient. « Le procès ne peut continuer, » dit le Roi d’une voix grave, « avant que les jurés soient tous à leurs places ; tous ! » répéta-t-il avec emphase en regardant fixement Alice. Alice regarda le banc des jurés, et vit que dans son empressement elle y avait placé le Lézard la tête en bas, et le pauvre petit être remuait la queue d’une triste façon, dans l’impossibilité de se redresser ; elle l’eut bientôt retourné et replacé convenablement. « Non que cela soit bien important, » se dit-elle, « car je pense qu’il serait tout aussi utile au procès la tête en bas qu’autrement. » Sitôt que les jurés se furent un peu remis de la secousse, qu’on eut retrouvé et qu’on leur eut rendu leurs ardoises et leurs crayons, ils se mirent fort diligemment à écrire l’histoire de l’accident, à l’exception du Lézard, qui paraissait trop accablé pour faire autre chose que demeurer la bouche ouverte, les yeux fixés sur le plafond de la salle. « Que savez-vous de cette affaire-là ? » demanda le Roi à Alice. « Rien, » répondit-elle. « Rien absolument ? » insista le Roi. « Rien absolument, » dit Alice. « Voilà qui est très-important, » dit le Roi, se tournant vers les jurés. Ils allaient écrire cela sur leurs ardoises quand le Lapin Blanc interrompant : « Peu important, veut dire Votre Majesté, sans doute, » dit-il d’un ton très-respectueux, mais en fronçant les sourcils et en lui faisant des grimaces. « Peu important, bien entendu, c’est ce que je voulais dire, » répliqua le Roi avec empressement. Et il continua de répéter à demi-voix : « Très-important, peu important, peu important, très-important ; » comme pour essayer lequel des deux était le mieux sonnant. Quelques-uns des jurés écrivirent « très-important, » d’autres, « peu important. » Alice voyait tout cela, car elle était assez près d’eux pour regarder sur leurs ardoises. « Mais cela ne fait absolument rien, » pensa-t-elle. À ce moment-là, le Roi, qui pendant quelque temps avait été fort occupé à écrire dans son carnet, cria : « Silence ! » et lut sur son carnet : « Règle Quarante-deux : Toute personne ayant une taille de plus d’un mille de haut devra quitter la cour. » Tout le monde regarda Alice. « Je n’ai pas un mille de haut, » dit-elle. « Si fait, » dit le Roi. « Près de deux milles, » ajouta la Reine. « Eh bien ! je ne sortirai pas quand même ; d’ailleurs cette règle n’est pas d’usage, vous venez de l’inventer. » « C’est la règle la plus ancienne qu’il y ait dans le livre, » dit le Roi. « Alors elle devrait porter le numéro Un. » Le Roi devint pâle et ferma vivement son carnet. « Délibérez, » dit-il aux jurés d’une voix faible et tremblante. « Il y a d’autres dépositions à recevoir, s’il plaît à Votre Majesté, » dit le Lapin, se levant précipitamment ; « on vient de ramasser ce papier. » « Qu’est-ce qu’il y a dedans ? » dit la Reine. « Je ne l’ai pas encore ouvert, » dit le Lapin Blanc ; « mais on dirait que c’est une lettre écrite par l’accusé à — à quelqu’un. » « Cela doit être ainsi, » dit le Roi, « à moins qu’elle ne soit écrite à personne, ce qui n’est pas ordinaire, vous comprenez. » « À qui est-elle adressée ? » dit un des jurés. « Elle n’est pas adressée du tout, » dit le Lapin Blanc ; « au fait, il n’y a rien d’écrit à l’extérieur. » Il déplia le papier tout en parlant et ajouta : « Ce n’est pas une lettre, après tout ; c’est une pièce de vers. » « Est-ce l’écriture de l’accusé ? » demanda un autre juré. « Non, » dit le Lapin Blanc, « et c’est ce qu’il y a de plus drôle. » (Les jurés eurent tous l’air fort embarrassé.) « Il faut qu’il ait imité l’écriture d’un autre, » dit le Roi. (Les jurés reprirent l’air serein.) « Pardon, Votre Majesté, » dit le Valet, « ce n’est pas moi qui ai écrit cette lettre, et on ne peut pas prouver que ce soit moi ; il n’y a pas de signature. » « Si vous n’avez pas signé, » dit le Roi, « cela ne fait qu’empirer la chose ; il faut absolument que vous ayez eu de mauvaises intentions, sans cela vous auriez signé, comme un honnête homme. » Là-dessus tout le monde battit des mains ; c’était la première réflexion vraiment bonne que le Roi eût faite ce jour-là. « Cela prouve sa culpabilité, » dit la Reine. « Cela ne prouve rien, » dit Alice. « Vous ne savez même pas ce dont il s’agit. » « Lisez ces vers, » dit le Roi. Le Lapin Blanc mit ses lunettes. « Par où commencerai-je, s’il plaît à Votre Majesté ? » demanda-t-il. « Commencez par le commencement, » dit gravement le Roi, « et continuez jusqu’à ce que vous arriviez à la fin ; là, vous vous arrêterez. » Voici les vers que lut le Lapin Blanc : « On m’a dit que tu fus chez elle Afin de lui pouvoir parler, Et qu’elle assura, la cruelle, Que je ne savais pas nager ! Bientôt il leur envoya dire (Nous savons fort bien que c’est vrai !) Qu’il ne faudrait pas en médire, Ou gare les coups de balai ! J’en donnai trois, elle en prit une ; Combien donc en recevrons-nous ? (Il y a là quelque lacune.) Toutes revinrent d’eux à vous. Si vous ou moi, dans cette affaire, Étions par trop embarrassés, Prions qu’il nous laisse, confrère, Tous deux comme il nous a trouvés. Vous les avez, j’en suis certaine, (Avant que de ses nerfs l’accès Ne bouleversât l’inhumaine,) Trompés tous trois avec succès. Cachez-lui qu’elle les préfère ; Car ce doit être, par ma foi, (Et sera toujours, je l’espère) Un secret entre vous et moi. » « Voilà la pièce de conviction la plus importante que nous ayons eue jusqu’à présent, » dit le Roi en se frottant les mains ; « ainsi, que le jury maintenant — — » « S’il y a un seul des jurés qui puisse l’expliquer, » dit Alice (elle était devenue si grande dans ces derniers instants qu’elle n’avait plus du tout peur de l’interrompre), « je lui donne une pièce de dix sous. Je ne crois pas qu’il y ait un atome de sens commun là-dedans. » Tous les jurés écrivirent sur leurs ardoises : « Elle ne croit pas qu’il y ait un atome de sens commun là-dedans, » mais aucun d’eux ne tenta d’expliquer la pièce de vers. « Si elle ne signifie rien, » dit le Roi, « cela nous épargne un monde d’ennuis, vous comprenez ; car il est inutile d’en chercher l’explication ; et cependant je ne sais pas trop, » continua-t-il en étalant la pièce de vers sur ses genoux et les regardant d’un œil ; « il me semble que j’y vois quelque chose, après tout. « Que je ne savais pas nager ! » Vous ne savez pas nager, n’est-ce pas ? » ajouta-t-il en se tournant vers le Valet. Le Valet secoua la tête tristement. « En ai-je l’air, » dit-il. (Non, certainement, il n’en avait pas l’air, étant fait tout entier de carton.) « Jusqu’ici c’est bien, » dit le Roi ; et il continua de marmotter tout bas, « « Nous savons fort bien que c’est vrai. » C’est le jury qui dit cela, bien sûr ! « J’en donnai trois, elle en prit une ; » justement, c’est là ce qu’il fit des tartes, vous comprenez. » « Mais vient ensuite : « Toutes revinrent d’eux à vous, » » dit Alice. « Tiens, mais les voici ! » dit le Roi d’un air de triomphe, montrant du doigt les tartes qui étaient sur la table. « Il n’y a rien de plus clair que cela ; et encore : « Avant que de ses nerfs l’accès. » Vous n’avez jamais eu d’attaques de nerfs, je crois, mon épouse ? » dit-il à la Reine. « Jamais ! » dit la Reine d’un air furieux en jetant un encrier à la tête du Lézard. (Le malheureux Jacques avait cessé d’écrire sur son ardoise avec un doigt, car il s’était aperçu que cela ne faisait aucune marque ; mais il se remit bien vite à l’ouvrage en se servant de l’encre qui lui découlait le long de la figure, aussi longtemps qu’il y en eut.) « Non, mon épouse, vous avez trop bon air, » dit le Roi, promenant son regard tout autour de la salle et souriant. Il se fit un silence de mort. « C’est un calembour, » ajouta le Roi d’un ton de colère ; et tout le monde se mit à rire. « Que le jury délibère, » ajouta le Roi, pour à peu près la vingtième fois ce jour-là. « Non, non, » dit la Reine, « l’arrêt d’abord, on délibérera après. » « Cela n’a pas de bon sens ! » dit tout haut Alice. « Quelle idée de vouloir prononcer l’arrêt d’abord ! » « Taisez-vous, » dit la Reine, devenant pourpre de colère. « Je ne me tairai pas, » dit Alice. « Qu’on lui coupe la tête ! » hurla la Reine de toutes ses forces. Personne ne bougea. « On se moque bien de vous, » dit Alice (elle avait alors atteint toute sa grandeur naturelle). « Vous n’êtes qu’un paquet de cartes ! » Là-dessus tout le paquet sauta en l’air et retomba en tourbillonnant sur elle ; Alice poussa un petit cri, moitié de peur, moitié de colère, et essaya de les repousser ; elle se trouva étendue sur le gazon, la tête sur les genoux de sa sœur, qui écartait doucement de sa figure les feuilles mortes tombées en voltigeant du haut des arbres. « Réveillez-vous, chère Alice ! » lui dit sa sœur. « Quel long somme vous venez de faire ! » « Oh ! j’ai fait un si drôle de rêve, » dit Alice ; et elle raconta à sa sœur, autant qu’elle put s’en souvenir, toutes les étranges aventures que vous venez de lire ; et, quand elle eut fini son récit, sa sœur lui dit en l’embrassant : « Certes, c’est un bien drôle de rêve ; mais maintenant courez à la maison prendre le thé ; il se fait tard. » Alice se leva donc et s’éloigna en courant, pensant le long du chemin, et avec raison, quel rêve merveilleux elle venait de faire. Mais sa sœur demeura assise tranquillement, tout comme elle l’avait laissée, la tête appuyée sur la main, contemplant le coucher du soleil et pensant à la petite Alice et à ses merveilleuses aventures ; si bien qu’elle aussi se mit à rêver, en quelque sorte ; et voici son rêve : — D’abord elle rêva de la petite Alice personnellement : — les petites mains de l’enfant étaient encore jointes sur ses genoux, et ses yeux vifs et brillants plongeaient leur regard dans les siens. Elle entendait jusqu’au son de sa voix ; elle voyait ce singulier petit mouvement de tête par lequel elle rejetait en arrière les cheveux vagabonds qui sans cesse lui revenaient dans les yeux ; et, comme elle écoutait ou paraissait écouter, tout s’anima autour d’elle et se peupla des étranges créatures du rêve de sa jeune sœur. Les longues herbes bruissaient à ses pieds sous les pas précipités du Lapin Blanc ; la Souris effrayée faisait clapoter l’eau en traversant la mare voisine ; elle entendait le bruit des tasses, tandis que le Lièvre et ses amis prenaient leur repas qui ne finissait jamais, et la voix perçante de la Reine envoyant à la mort ses malheureux invités. Une fois encore l’enfant-porc éternuait sur les genoux de la Duchesse, tandis que les assiettes et les plats se brisaient autour de lui ; une fois encore la voix criarde du Griffon, le grincement du crayon d’ardoise du Lézard, et les cris étouffés des cochons d’Inde mis dans le sac par ordre de la cour, remplissaient les airs, en se mêlant aux sanglots que poussait au loin la malheureuse Fausse-Tortue. C’est ainsi qu’elle demeura assise, les yeux fermés, et se croyant presque dans le Pays des Merveilles, bien qu’elle sût qu’elle n’avait qu’à rouvrir les yeux pour que tout fût changé en une triste réalité : les herbes ne bruiraient plus alors que sous le souffle du vent, et l’eau de la mare ne murmurerait plus qu’au balancement des roseaux ; le bruit des tasses deviendrait le tintement des clochettes au cou des moutons, et elle reconnaîtrait les cris aigus de la Reine dans la voix perçante du petit berger ; l’éternuement du bébé, le cri du Griffon et tous les autres bruits étranges ne seraient plus, elle le savait bien, que les clameurs confuses d’une cour de ferme, tandis que le beuglement des bestiaux dans le lointain remplacerait les lourds sanglots de la Fausse-Tortue. Enfin elle se représenta cette même petite sœur, dans l’avenir, devenue elle aussi une grande personne ; elle se la représenta conservant, jusque dans l’âge mûr, le cœur simple et aimant de son enfance, et réunissant autour d’elle d’autres petits enfants dont elle ferait briller les yeux vifs et curieux au récit de bien des aventures étranges, et peut-être même en leur contant le songe du Pays des Merveilles du temps jadis : elle la voyait partager leurs petits chagrins et trouver plaisir à leurs innocentes joies, se rappelant sa propre enfance et les heureux jours d’été. FIN.

Part (10,11,12) Anteil (10,11,12) Share (10,11,12) Parte (10,11,12) Part (10,11,12) Parte (10,11,12) パート(10,11,12) 파트 (10,11,12) Deel (10,11,12) Parte (10,11,12) Часть (10,11,12) Bölüm (10,11,12) 分享 (10,11,12) 分享 (10,11,12)

CHAPITRE X.

LE QUADRILLE DE HOMARDS. Ο Αστακός QUARILLE. КВАРИЛЬ ОМАРА.

La Fausse-Tortue soupira profondément et passa le dos d’une de ses nageoires sur ses yeux. The False Turtle sighed deeply and passed the back of one of her fins over her eyes. Помилкова черепаха глибоко зітхнула й провела тильною стороною одного зі своїх ласт по очах.

Elle regarda Alice et s’efforça de parler, mais les sanglots étouffèrent sa voix pendant une ou deux minutes. Вона подивилася на Алісу й спробувала заговорити, але ридання заглушили її голос на хвилину чи дві. « On dirait qu’elle a un os dans le gosier, » dit le Griffon, et il se mit à la secouer et à lui taper dans le dos. "It looks like she has a bone in her throat," said the Griffon, and he started to shake her and hit her on the back. «Схоже, у неї кістка в горлі», — сказав Грифон і почав трясти її та поплескувати по спині. Enfin la Fausse-Tortue retrouva la voix, et, tandis que de grosses larmes coulaient le long de ses joues, elle continua : Нарешті Фальшива Черепаха знайшла свій голос і, поки великі сльози текли по її щоках, вона продовжила:

« Peut-être n’avez-vous pas beaucoup vécu au fond de la mer ? "Perhaps you have not lived much at the bottom of the sea? «Може, ви мало жили на дні моря?

» — ( « Non, » dit Alice) — « et peut-être ne vous a-t-on jamais présentée à un homard ? - ("No," said Alice) - "and perhaps you have never been introduced to a lobster? — («Ні, — сказала Аліса) — і, можливо, вас ніколи не знайомили з омаром?» » (Alice allait dire : « J’en ai goûté une fois — » mais elle se reprit vivement, et dit : « Non, jamais. Alice was going to say, "I tasted it once -" but she picked herself up quickly and said, "No, never. (Аліса збиралася сказати: «Я куштувала це одного разу…», але швидко схопилася й сказала: «Ні, ніколи. ») « De sorte que vous ne pouvez pas du tout vous figurer quelle chose délicieuse c’est qu’un quadrille de homards. ") So you can not imagine at all what a delicious thing is a quadrille of lobsters. — Тож ви взагалі не уявляєте, яка смакота кадриль із омарів. » « Non, vraiment, » dit Alice. « Qu’est-ce que c’est que cette danse-là ? "What is this dance? «Що це за танець? » « D’abord, » dit le Griffon, « on se met en rang le long des bords de la mer — » "First," said the Griffin, "we line up along the shores of the sea -" — Спочатку, — сказав Грифон, — ми шикуємося вздовж узбережжя… « On forme deux rangs, » cria la Fausse-Tortue : « des phoques, des tortues et des saumons, et ainsi de suite. "Two ranks are formed," the False Turtle shouted, "seals, turtles and salmon, and so on. «Ми стаємо в два ряди, — вигукнула Фальшива Черепаха: — тюлені, черепахи, лосось і так далі.

Puis lorsqu’on a débarrassé la côte des gelées de mer — » Then when the coast was cleared of sea jellies - » Потім, коли ми очистили узбережжя від морської желе…

« Cela prend ordinairement longtemps, » dit le Griffon. "It usually takes a long time," said the Griffon. — Зазвичай це займає багато часу, — сказав Грифон.

« — on avance deux fois — »

« Chacun ayant un homard pour danseur, » cria le Griffon. «У кожного є омар замість танцюриста», — вигукнув Грифон.

« Cela va sans dire, » dit la Fausse-Tortue. "It goes without saying," said the False Tortoise. — Це само собою зрозуміло, — сказала Фальшива Черепаха.

« Avancez deux fois et balancez — » "Advance twice and swing -" «Крок двічі та гойдайся…»

« Changez de homards, et revenez dans le même ordre, » continua le Griffon. "Change lobsters, and come back in the same order," continued the Griffon. — Поміняй лобстерів і повертайся в тому ж порядку, — продовжив Грифон.

« Et puis, vous comprenez, » continua la Fausse-Tortue, « vous jetez les — » "And then, you understand," continued the False Turtle, "you throw the -" — А потім, розумієш, — продовжувала Фальшива Черепаха, — ти кидаєш...

« Les homards ! «Омари!

» cria le Griffon, en faisant un bond en l’air. The Griffon shouted, jumping up and down.

« — aussi loin à la mer que vous le pouvez — » "- as far to the sea as you can -" «— якомога далі в море...»

« Vous nagez à leur poursuite ! "You swim in pursuit! «Пливи за ними!

! » cria le Griffon. « — vous faites une cabriole dans la mer ! ! The Griffon shouted. "- you make a cabriole in the sea! ! — скрикнув Грифон. «Ти капрієш у морі! ! ! » cria la Fausse-Tortue, en cabriolant de tous côtés comme une folle. ! ! Cried the False Turtle, cabrioling on all sides like a madwoman. ! ! — скрикнула Фальшива Черепаха, хитаючись, як божевільна.

« Changez encore de homards !! "Change lobsters again !! “Знову змініть лобстерів!!

! ! » hurla le Griffon de toutes ses forces.

« — revenez à terre ; et — c’est là la première figure, » dit la Fausse-Tortue, baissant tout à coup la voix ; et ces deux êtres, qui pendant tout ce temps avaient bondi de tous côtés comme des fous, se rassirent bien tristement et bien posément, puis regardèrent Alice. "- come back to earth; and this is the first figure, "said the False Tortoise, suddenly lowering her voice; and these two beings, who during all this time had jumped on all sides like madmen, sat down very sadly and calmly, then looked at Alice. «—вийти на берег; і... це перша цифра, — сказала Фальшива Черепаха, раптом стишивши голос; і ці дві істоти, які весь цей час стрибали, як божевільні, сіли дуже сумно й спокійно, а потім поглянули на Алісу.

« Cela doit être une très-jolie danse, » dit timidement Alice. "It must be a very pretty dance," Alice said timidly. — Мабуть, дуже гарний танець, — боязко сказала Аліса.

« Voudriez-vous voir un peu comment ça se danse ? "Would you like to see how it's done? «Хочеш трохи подивитися, як це танцюють?

» dit la Fausse-Tortue. « Cela me ferait grand plaisir, » dit Alice. Said the False Turtle. "That would be my pleasure," said Alice.

« Allons, essayons la première figure, » dit la Fausse-Tortue au Griffon ; « nous pouvons la faire sans homards, vous comprenez. «Ну, давай спробуємо першу фігуру», — сказала Фальшива Черепаха Грифону; «Знаєте, ми можемо зробити це без лобстерів.

Qui va chanter ? » « Oh ! chantez, vous, » dit le Griffon ; « moi j’ai oublié les paroles. sing, you, "said the Griffon; "I forgot the words. співай ти, — сказав Грифон; «Я забув текст. » Ils se mirent donc à danser gravement tout autour d’Alice, lui marchant de temps à autre sur les pieds quand ils approchaient trop près, et remuant leurs pattes de devant pour marquer la mesure, tandis que la Fausse-Tortue chantait très-lentement et très-tristement : Тож вони почали серйозно танцювати навколо Аліси, час від часу наступаючи їй на ноги, коли підходили надто близько, і ворушили передніми лапами, щоб відзначити час, а Фальшива Черепаха співала дуже повільно... і дуже сумно: « Nous n’irons plus à l’eau, Si tu n’avances tôt ; Ce Marsouin trop pressé Va tous nous écraser. "We will not go to the water, If you go early; This harried Marsouin will crush us all. «Більше не підемо до води, Як раненько не прийдеш; Ця морська свиня надто поспішає, Розчавить нас усіх.

Colimaçon danse, Entre dans la danse ; Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon. Spiral dance, Enter the dance; Let's jump, dance, before taking a dip. Колимасон танцює, Увійдіть у танок; Пострибаємо, потанцюємо, Перш ніж пірнути.

» « Je ne veux pas danser, Je me f’rais fracasser. «Я не хочу танцювати, мене розіб’ють». » « Oh ! » reprend le Merlan, « C’est pourtant bien plaisant. продовжує Вайтінг, «Однак це дуже приємно. » Colimaçon danse, Entre dans la danse ; Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon. Колимасон танцює, Увійдіть у танок; Пострибаємо, потанцюємо, Перш ніж пірнути.

« Je ne veux pas plonger, Je ne sais pas nager.

» — « Le Homard et l’bateau D’sauv’tag' te tir’ront d’l’eau. » — « Лобстер і човен D'sauv'tag' витягнуть вас із води. » Colimaçon danse, Entre dans la danse ; Sautons, dansons, Avant de faire un plongeon. « Merci ; c’est une danse très-intéressante à voir danser, » dit Alice, enchantée que ce fût enfin fini ; « et je trouve cette curieuse chanson du merlan si agréable ! Colimaçon танцює, Увійдіть у танок; Пострибаємо, потанцюємо, Перш ніж пірнути. " Спасибі ; Це дуже цікавий танець, — сказала Аліса, радіючи, що він нарешті закінчився; «І я вважаю цю цікаву пісню мерсала такою приємною! » « Oh ! quant aux merlans, » dit la Fausse-Tortue, « ils — vous les avez vus, sans doute ? "" Ой! Щодо путасу, — сказала Помилкова Черепаха, — то вони... ти їх, мабуть, бачив? » « Oui, » dit Alice, « je les ai souvent vus à dî— » elle s’arrêta tout court. "Yes," said Alice, "I often saw them at dinner-" she stopped short. «Так, — сказала Аліса, — я часто бачила їх у ді…» вона різко зупинилася. « Je ne sais pas où est Di, » reprit la Fausse Tortue ; « mais, puisque vous les avez vus si souvent, vous devez savoir l’air qu’ils ont ? "I do not know where Di is," said the False Tortoise; "But since you have seen them so often, you must know how they look? — Я не знаю, де Ді, — продовжила Фальшива Черепаха. "Але, оскільки ви бачили їх так часто, ви повинні знати, як вони виглядають?"

» « Je le crois, » répliqua Alice, en se recueillant. — Думаю, так, — відповіла Аліса, отямившись. « Ils ont la queue dans la bouche — et sont tout couverts de mie de pain. "They have their tail in their mouths - and are all covered with bread crumbs. «У них хвости в роті — і всі вони в сухарях. » « Vous vous trompez à l’endroit de la mie de pain, » dit la Fausse-Tortue : « la mie serait enlevée dans la mer, mais ils ont bien la queue dans la bouche, et la raison en est que — » Ici la Fausse-Tortue bâilla et ferma les yeux. "You are mistaken at the place of the bread crumbs," said the False Turtle: "The crumb would be taken to the sea, but they have their tail in their mouths, and the reason is -" the False Tortoise yawned and closed her eyes. «Ти помиляєшся щодо крихти хліба, — сказала Фальшива Черепаха, — крихту змило б морем, але вони мають хвости в роті, і причина в тому…» Тут Фальшива Черепаха позіхнула і закрила очі. « Dites-lui-en la raison et tout ce qui s’ensuit, » dit-elle au Griffon. "Tell him the reason and all that follows," she said to the Griffon. «Скажи йому причину і все, що з цього випливає», — сказала вона Грифону.

« La raison, c’est que les merlans, » dit le Griffon, « voulurent absolument aller à la danse avec les homards.

Alors on les jeta à la mer. So we threw them into the sea. Alors ils eurent à tomber bien loin, bien loin. Alors ils s’entrèrent la queue fortement dans la bouche. Потім вони сильно ввели хвіст в рот. Alors ils ne purent plus l’en retirer. Тому вони не змогли його витягнути. Voilà tout. That is all. » « Merci, » dit Alice, « c’est très-intéressant ; je n’en avais jamais tant appris sur le compte des merlans. — Дякую, — сказала Аліса, — це дуже цікаво; Я ніколи не дізнався стільки про білуху. » « Je propose donc, » dit le Griffon, « que vous nous racontiez quelques-unes de vos aventures. "So I propose," said the Griffin, "that you tell us some of your adventures. — Тоді я пропоную, — сказав Грифон, — розповісти нам про свої пригоди. » « Je pourrais vous conter mes aventures à partir de ce matin, » dit Alice un peu timidement ; « mais il est inutile de parler de la journée d’hier, car j’étais une personne tout à fait différente alors. "I could tell you about my adventures this morning," said Alice a little timidly; "But it's useless to talk about yesterday, because I was a very different person then. «Я могла б розповісти вам про свої пригоди сьогоднішнього ранку», — сказала Аліса трохи сором’язливо. «Але про вчорашній день говорити не варто, тому що я тоді був зовсім іншою людиною. » « Expliquez-nous cela, » dit la Fausse-Tortue. "Explain that to us," said the False Tortoise. « Non, non, les aventures d’abord, » dit le Griffon d’un ton d’impatience ; « les explications prennent tant de temps. "No, no, adventures first," said the Griffon impatiently; "The explanations take so much time. — Ні, ні, спочатку пригоди, — нетерпляче сказав Грифон. «Пояснення тривають дуже довго.

» Alice commença donc à leur conter ses aventures depuis le moment où elle avait vu le Lapin Blanc pour la première fois. Elle fut d’abord un peu troublée dans le commencement ; les deux créatures se tenaient si près d’elle, une de chaque côté, et ouvraient de si grands yeux et une si grande bouche ! At first it was a little troubled in the beginning; the two creatures stood so close to her, one on each side, and opened so big eyes and so big mouth! Mais elle reprenait courage à mesure qu’elle parlait. But she regained courage as she spoke. Але вона знову набралася сміливості, коли говорила. Les auditeurs restèrent fort tranquilles jusqu’à ce qu’elle arrivât au moment de son histoire où elle avait eu à répéter à la chenille : « Vous êtes vieux, Père Guillaume, » et où les mots lui étaient venus tout de travers, et alors la Fausse-Tortue poussa un long soupir et dit : « C’est bien singulier. The listeners remained very quiet until she arrived at the moment of her story when she had had to repeat to the caterpillar: "You are old, Father Guillaume," and where the words had come to him wrongly, and then the False Turtle gave a long sigh and said: "It is very singular. Слухачі залишалися дуже тихими, доки вона не дійшла до моменту своєї розповіді, коли їй довелося повторити гусениці: «Ви старі, отче Гійоме», і коли слова прийшли до неї зовсім неправильно, і тоді Фальшива черепаха піднялася. довго зітхнув і сказав: «Це дуже незвичайно». » « Tout cela est on ne peut plus singulier, » dit le Griffon. "All this can not be more singular," said the Griffon. «Усе це не може бути більш незвичайним», — сказав Грифон. « Tout de travers, » répéta la Fausse-Tortue d’un air rêveur. "All wrong," the False Turtle repeated dreamily. — Все не так, — замріяно повторила Фальшива Черепаха.

« Je voudrais bien l’entendre réciter quelque chose à présent. "I would like to hear him recite something now. «Я хотів би почути, як він зараз щось продекламує. Dites-lui de s’y mettre. Tell him to do it. » Elle regardait le Griffon comme si elle lui croyait de l’autorité sur Alice. She looked at the Griffon as if she believed him to have authority over Alice. Вона подивилася на Грифона так, наче думала, що він має владу над Алісою.

« Debout, et récitez : « C’est la voix du canon, » » dit le Griffon. «Встаньте і продекламуйте: «Це голос гармати», — сказав Грифон.

« Comme ces êtres-là vous commandent et vous font répéter des leçons ! "As these beings command you and make you repeat lessons! «Як ці істоти командують тобою і змушують повторювати уроки!

» pensa Alice ; « autant vaudrait être à l’école. Alice thought; "It would be good to be at school. » Cependant elle se leva et se mit à réciter ; mais elle avait la tête si pleine du Quadrille de Homards, qu’elle savait à peine ce qu’elle disait, et que les mots lui venaient tout drôlement : — Meanwhile she got up and began to recite; but she was so full of the Lobster Quadrille, that she hardly knew what she was saying, and that the words came to her quite oddly: Проте вона встала й почала декламувати; але її голова була настільки повна Кадрилі омарів, що вона ледь розуміла, що каже, і слова прийшли до неї досить дивно:

« C’est la voix du homard grondant comme la foudre : « On m’a trop fait bouillir, il faut que je me poudre ! "It's the voice of the lobster roaring like lightning:" I've been too boiled, I have to powder myself! «Це голос омара, як блискавка, бурчить: «Мене забагато зварили, треба припудритися!»

» Puis, les pieds en dehors, prenant la brosse en main, De se faire bien beau vite il se met en train. "Then, feet outside, taking the brush in hand, To get well quickly he gets started. Потім, ноги нарізно, взявши в руки кисть, Щоб швидко виглядати гарно, він рушає. » « C’est tout différent de ce que je récitais quand j’étais petit, moi, » dit le Griffon. — Це зовсім інше, ніж те, що я розповідав, коли був маленьким, — сказав Грифон. « Je ne l’avais pas encore entendu réciter, » dit la Fausse-Tortue ; « mais cela me fait l’effet d’un fameux galimatias. "I had not heard him recite yet," said the False Tortoise; "But that makes me look like a famous galimatias. — Я ще не чула, як він декламує, — сказала Фальшива Черепаха; «але це вражає мене як відомий фальш.

» Alice ne dit rien ; elle s’était rassise, la figure dans ses mains, se demandant avec étonnement si jamais les choses reprendraient leur cours naturel. Alice does not say anything; she had sat down again, her face in her hands, wondering with astonishment if things would ever resume their natural course. Аліса нічого не сказала; вона знову сіла, затуливши обличчя долонями, з подивом розмірковуючи, чи все колись повернеться своїм природним шляхом. « Je voudrais bien qu’on m’expliquât cela, » dit la Fausse-Tortue. «Мені б хотілося, щоб хтось мені це пояснив», — сказала Фальшива Черепаха.

« Elle ne peut pas l’expliquer, » dit le Griffon vivement. — Вона не може цього пояснити, — жваво сказав Грифон.

« Continuez, récitez les vers suivants. "Continue, recite the following verses. «Продовжуйте, продекламуйте наступні вірші. » « Mais, les pieds en dehors, » continua opiniâtrement la Fausse-Tortue. "But, feet out," the False Turtle continued stubbornly. — Але ноги нарізно, — уперто продовжувала Фальшива Черепаха. « Pourquoi dire qu’il avait les pieds en dehors ? «Чому говорити, що він висунув ноги? » « C’est la première position lorsqu’on apprend à danser, » dit Alice ; tout cela l’embarrassait fort, et il lui tardait de changer la conversation. "This is the first position when you learn to dance," said Alice; all this embarrassed him greatly, and he was anxious to change the conversation. — Це перша позиція, коли вчитися танцювати, — сказала Аліса; усе це його дуже збентежило, і він захотів змінити розмову. « Récitez les vers suivants, » répéta le Griffon avec impatience ; « ça commence : « Passant près de chez lui — » » — Продекламуйте наступні вірші, — нетерпляче повторив Грифон. "починається: "Проходячи повз його будинок..."

Alice n’osa pas désobéir, bien qu’elle fût sûre que les mots allaient lui venir tout de travers. Alice did not dare to disobey, although she was sure the words were going to come wrong. Аліса не наважилася не послухатися, хоча була впевнена, що слова дійдуть до неї.

Elle continua donc d’une voix tremblante : She continued in a trembling voice: Тому тремтячим голосом вона продовжувала:

« Passant près de chez lui, j’ai vu, ne vous déplaise, Une huître et un hibou qui dînaient fort à l’aise. "Passing near him, I saw, do not displease you, An oyster and an owl who dined very well. «Проходячи біля його будинку, я побачив, якщо ви не заперечуєте, устрицю і сову, які дуже зручно обідали.

» « À quoi bon répéter tout ce galimatias, » interrompit la Fausse-Tortue, « si vous ne l’expliquez pas à mesure que vous le dites ? "What's the use of repeating all this gibberish," interrupted the False Turtle, "if you do not explain it as you say it?" — Який сенс повторювати всі ці нісенітниці, — перебила Фальшива Черепаха, — якщо ти не пояснюєш, як говориш? C’est, de beaucoup, ce que j’ai entendu de plus embrouillant. Αυτό είναι μακράν το πιο μπερδεμένο πράγμα που έχω ακούσει. This is, of course, what I heard most confusing. Це, безумовно, найбільш заплутане, що я чув. » « Oui, je crois que vous feriez bien d’en rester là, » dit le Griffon ; et Alice ne demanda pas mieux. «Ναι, νομίζω ότι καλύτερα να το αφήσεις έτσι», είπε ο Γκρίφιν. και η Άλις δεν ρώτησε τίποτα καλύτερο. "Yes, I think you'd better leave it there," said the Griffon; and Alice did not ask for anything better. «Так, я думаю, вам краще залишити це на цьому», — сказав Грифон; і Аліса не запитала нічого кращого. « Essaierons-nous une autre figure du Quadrille de Homards ? "Shall we try another figure of the Lobster Quadrille? «Може, ми спробуємо ще одну фігуру з Кадрилі «Омари»?

» continua le Griffon. « Ou bien, préférez-vous que la Fausse-Tortue vous chante quelque chose ? — продовжував Грифон. — Або ти краще, щоб Фальшива Черепаха заспівала тобі щось? » « Oh ! une chanson, je vous prie ; si la Fausse-Tortue veut bien avoir cette obligeance, » répondit Alice, avec tant d’empressement que le Griffon dit d’un air un peu offensé : « Hum ! " " Oh ! a song, I beg you; if the False Turtle wants to have that kindness, "Alice replied, so eagerly that the Griffon said with a slightly offended look," Hum! "" Ой! пісню, будь ласка; якщо Фальшива Черепаха буде достатньо люб’язною, — відповіла Аліса з таким запалом, що Грифон сказав злегка ображеним виглядом: — Хм! Chacun son goût. Everyone's taste. У кожного свій смак. Chantez-lui « La Soupe à la Tortue, » hé ! Заспівай йому "Черепахачий суп", агов! camarade ! » La Fausse-Tortue poussa un profond soupir et commença, d’une voix de temps en temps étouffée par les sanglots : Фальшива Черепаха глибоко зітхнула й почала, час від часу здавленим риданням голосом: « Ô doux potage, Ô mets délicieux ! "O sweet soup, O delicious food! «О солодкий суп, о смачна їжа!

Ah ! pour partage, Quoi de plus précieux ? для обміну, що може бути дорожчим? Plonger dans ma soupière Cette vaste cuillère Est un bonheur Qui me réjouit le cœur. Занурюючись у мою супницю, Ця величезна ложка — це щастя, Що радує моє серце.

« Gibier, volaille, Lièvres, dindes, perdreaux, Rien qui te vaille, — Pas même les pruneaux ! «Θήραμα, πουλερικά, Λαγοί, γαλοπούλες, πέρδικες, Τίποτα που σου ταιριάζει, — Ούτε δαμάσκηνα! «Дичину, птицю, Зайців, індиків, куріпок, Нічого, що вам годиться, — Навіть чорносливу!

Plonger dans ma soupière Cette vaste cuillère Est un bonheur Qui me réjouit le cœur. » « Bis au refrain ! Занурюючись у мою супницю, Ця величезна ложка — це щастя, Що радує моє серце. «Біс на хор!» » cria le Griffon ; et la Fausse-Tortue venait de le reprendre, quand un cri, « Le procès va commencer ! — скрикнув Грифон; і Фальшива Черепаха щойно підняла його знову, коли пролунав крик: «Суд ось-ось розпочнеться!» » se fit entendre au loin.

« Venez donc !

» cria le Griffon ; et, prenant Alice par la main, il se mit à courir sans attendre la fin de la chanson. — скрикнув Грифон; і, взявши Алісу за руку, почав бігти, не чекаючи кінця пісні.

« Qu’est-ce que c’est que ce procès ? «Що це за суд?

» demanda Alice hors d’haleine ; mais le Griffon se contenta de répondre : « Venez donc ! запитала Аліса, задихаючись; але Грифон задовольнився відповіддю: «Давай!» » en courant de plus belle, tandis que leur parvenaient, de plus en plus faibles, apportées par la brise qui les poursuivait, ces paroles pleines de mélancolie : "While running, more and more, while they came, more and more feeble, brought by the breeze which pursued them, these words full of melancholy: біжачи швидше, досягаючи їх, усе слабших і слабших, несені вітерцем, що їх переслідував, ці слова, сповнені меланхолії:

« Plonger dans ma soupière Cette vaste cuillère Est un bonheur Qui me réjouit le cœur. "Diving into my tureen This vast spoon Is a happiness That makes me happy.

» CHAPITRE XI. QUI A VOLÉ LES TARTES ? Le Roi et la Reine de Cœur étaient assis sur leur trône, entourés d’une nombreuse assemblée : toutes sortes de petits oiseaux et d’autres bêtes, ainsi que le paquet de cartes tout entier. Le Valet, chargé de chaînes, gardé de chaque côté par un soldat, se tenait debout devant le trône, et près du roi se trouvait le Lapin Blanc, tenant d’une main une trompette et de l’autre un rouleau de parchemin. Au beau milieu de la salle était une table sur laquelle on voyait un grand plat de tartes ; ces tartes semblaient si bonnes que cela donna faim à Alice, rien que de les regarder. « Je voudrais bien qu’on se dépêchât de finir le procès, » pensa-t-elle, « et qu’on fît passer les rafraîchissements, » mais cela ne paraissait guère probable, aussi se mit-elle à regarder tout autour d’elle pour passer le temps. C’était la première fois qu’Alice se trouvait dans une cour de justice, mais elle en avait lu des descriptions dans les livres, et elle fut toute contente de voir qu’elle savait le nom de presque tout ce qu’il y avait là. « Ça, c’est le juge, » se dit-elle ; « je le reconnais à sa grande perruque. » Le juge, disons-le en passant, était le Roi, et, comme il portait sa couronne par-dessus sa perruque (regardez le frontispice, si vous voulez savoir comment il s’était arrangé) il n’avait pas du tout l’air d’être à son aise, et cela ne lui allait pas bien du tout. « Et ça, c’est le banc du jury, » pensa Alice ; « et ces douze créatures » (elle était forcée de dire « créatures, » vous comprenez, car quelques-uns étaient des bêtes et quelques autres des oiseaux), « je suppose que ce sont les jurés ; » elle se répéta ce dernier mot deux ou trois fois, car elle en était assez fière : pensant avec raison que bien peu de petites filles de son âge savent ce que cela veut dire. Les douze jurés étaient tous très-occupés à écrire sur des ardoises. « Qu’est-ce qu’ils font là ? » dit Alice à l’oreille du Griffon. « Ils ne peuvent rien avoir à écrire avant que le procès soit commencé. » « Ils inscrivent leur nom, » répondit de même le Griffon, « de peur de l’oublier avant la fin du procès. » « Les niais ! » s’écria Alice d’un ton indigné, mais elle se retint bien vite, car le Lapin Blanc cria : « Silence dans l’auditoire ! » Et le Roi, mettant ses lunettes, regarda vivement autour de lui pour voir qui parlait. Alice pouvait voir, aussi clairement que si elle eût regardé par-dessus leurs épaules, que tous les jurés étaient en train d’écrire « les niais » sur leurs ardoises, et elle pouvait même distinguer que l’un d’eux ne savait pas écrire « niais » et qu’il était obligé de le demander à son voisin. « Leurs ardoises seront dans un bel état avant la fin du procès ! » pensa Alice. Un des jurés avait un crayon qui grinçait ; Alice, vous le pensez bien, ne pouvait pas souffrir cela ; elle fit le tour de la salle, arriva derrière lui, et trouva bientôt l’occasion d’enlever le crayon. Ce fut si tôt fait que le pauvre petit juré (c’était Jacques, le lézard) ne pouvait pas s’imaginer ce qu’il était devenu. Après avoir cherché partout, il fut obligé d’écrire avec un doigt tout le reste du jour, et cela était fort inutile, puisque son doigt ne laissait aucune marque sur l’ardoise. « Héraut, lisez l’acte d’accusation ! » dit le Roi. Sur ce, le Lapin Blanc sonna trois fois de la trompette, et puis, déroulant le parchemin, lut ainsi qu’il suit : « La Reine de Cœur fit des tartes, Un beau jour de printemps ; Le Valet de Cœur prit les tartes, Et s’en fut tout content ! » « Délibérez, » dit le Roi aux jurés. « Pas encore, pas encore, » interrompit vivement le Lapin ; « il y a bien des choses à faire auparavant ! » « Appelez les témoins, » dit le Roi ; et le Lapin Blanc sonna trois fois de la trompette, et cria : « Le premier témoin ! » Le premier témoin était le Chapelier. Il entra, tenant d’une main une tasse de thé et de l’autre une tartine de beurre. « Pardon, Votre Majesté, » dit il, « si j’apporte cela ici ; je n’avais pas tout à fait fini de prendre mon thé lorsqu’on est venu me chercher. » « Vous auriez dû avoir fini, » dit le Roi ; « quand avez-vous commencé ? » Le Chapelier regarda le Lièvre qui l’avait suivi dans la salle, bras dessus bras dessous avec le Loir. « Le Quatorze Mars, je crois bien, » dit-il. « Le Quinze ! » dit le Lièvre. « Le Seize ! » ajouta le Loir. « Notez cela, » dit le Roi aux jurés. Et les jurés s’empressèrent d’écrire les trois dates sur leurs ardoises ; puis en firent l’addition, dont ils cherchèrent à réduire le total en francs et centimes. « Ôtez votre chapeau, » dit le Roi au Chapelier. « Il n’est pas à moi, » dit le Chapelier. « Volé ! » s’écria le Roi en se tournant du côté des jurés, qui s’empressèrent de prendre note du fait. « Je les tiens en vente, » ajouta le Chapelier, comme explication. « Je n’en ai pas à moi ; je suis chapelier. » Ici la Reine mit ses lunettes, et se prit à regarder fixement le Chapelier, qui devint pâle et tremblant. « Faites votre déposition, » dit le Roi ; « et ne soyez pas agité ; sans cela je vous fais exécuter sur-le-champ. » Cela ne parut pas du tout encourager le témoin ; il ne cessait de passer d’un pied sur l’autre en regardant la Reine d’un air inquiet, et, dans son trouble, il mordit dans la tasse et en enleva un grand morceau, au lieu de mordre dans la tartine de beurre. Juste à ce moment-là, Alice éprouva une étrange sensation qui l’embarrassa beaucoup, jusqu’à ce qu’elle se fût rendu compte de ce que c’était. Elle recommençait à grandir, et elle pensa d’abord à se lever et à quitter la cour : mais, toute réflexion faite, elle se décida à rester où elle était, tant qu’il y aurait de la place pour elle. « Ne poussez donc pas comme ça, » dit le Loir ; « je puis à peine respirer. » « Ce n’est pas de ma faute, » dit Alice doucement ; « je grandis. » « Vous n’avez pas le droit de grandir ici, » dit le Loir. « Ne dites pas de sottises, » répliqua Alice plus hardiment ; « vous savez bien que vous aussi vous grandissez. » « Oui, mais je grandis raisonnablement, moi, » dit le Loir ; « et non de cette façon ridicule. » Il se leva en faisant la mine, et passa de l’autre côté de la salle. Pendant tout ce temps-là, la Reine n’avait pas cessé de fixer les yeux sur le Chapelier, et, comme le Loir traversait la salle, elle dit à un des officiers du tribunal : « Apportez-moi la liste des chanteurs du dernier concert. » Sur quoi, le malheureux Chapelier se mit à trembler si fortement qu’il en perdit ses deux souliers. « Faites votre déposition, » répéta le Roi en colère ; « ou bien je vous fais exécuter, que vous soyez troublé ou non ! » « Je suis un pauvre homme, Votre Majesté, » fit le Chapelier d’une voix tremblante ; « et il n’y avait guère qu’une semaine ou deux que j’avais commencé à prendre mon thé, et avec ça les tartines devenaient si minces et les dragéesdu thé — » « Les dragées de quoi ? » dit le Roi. « Ça a commencé par le thé, » répondit le Chapelier. « Je vous dis que dragée commence par un d ! » cria le Roi vivement. « Me prenez-vous pour un âne ? Continuez ! » « Je suis un pauvre homme, » continua le Chapelier ; « et les dragées et les autres choses me firent perdre la tête. Mais le Lièvre dit — » « C’est faux ! » s’écria le Lièvre se dépêchant de l’interrompre. « C’est vrai ! » cria le Chapelier. « Je le nie ! » cria le Lièvre. « Il le nie ! » dit le Roi. « Passez là-dessus. » « Eh bien ! dans tous les cas, le Loir dit — » continua le Chapelier, regardant autour de lui pour voir s’il nierait aussi ; mais le Loir ne nia rien, car il dormait profondément. « Après cela, » continua le Chapelier, « je me coupai d’autres tartines de beurre. » « Mais, que dit le Loir ? » demanda un des jurés. « C’est ce que je ne peux pas me rappeler, » dit le Chapelier. « Il faut absolument que vous vous le rappeliez, » fit observer le Roi ; « ou bien je vous fais exécuter. » Le malheureux Chapelier laissa tomber sa tasse et sa tartine de beurre, et mit un genou en terre. « Je suis un pauvre homme, Votre Majesté ! » commença-t-il. « Vous êtes un très-pauvre orateur, » dit le Roi. Ici un des cochons d’Inde applaudit, et fut immédiatement réprimé par un des huissiers. (Comme ce mot est assez difficile, je vais vous expliquer comment cela se fit. Ils avaient un grand sac de toile qui se fermait à l’aide de deux ficelles attachées à l’ouverture ; dans ce sac ils firent glisser le cochon d’Inde la tête la première, puis ils s’assirent dessus.) « Je suis contente d’avoir vu cela, » pensa Alice. « J’ai souvent lu dans les journaux, à la fin des procès : « Il se fit quelques tentatives d’applaudissements qui furent bientôt réprimées par les huissiers, » et je n’avais jamais compris jusqu’à présent ce que cela voulait dire. » « Si c’est là tout ce que vous savez de l’affaire, vous pouvez vous prosterner, » continua le Roi. « Je ne puis pas me prosterner plus bas que cela, » dit le Chapelier ; « je suis déjà par terre. » « Alors asseyez-vous, » répondit le Roi. Ici l’autre cochon d’Inde applaudit et fut réprimé. « Bon, cela met fin aux cochons d’Inde ! » pensa Alice. « Maintenant ça va mieux aller. » « J’aimerais bien aller finir de prendre mon thé, » dit le Chapelier, en lançant un regard inquiet sur la Reine, qui lisait la liste des chanteurs. « Vous pouvez vous retirer, » dit le Roi ; et le Chapelier se hâta de quitter la cour, sans même prendre le temps de mettre ses souliers. « Et coupez-lui la tête dehors, » ajouta la Reine, s’adressant à un des huissiers ; mais le Chapelier était déjà bien loin avant que l’huissier arrivât à la porte. « Appelez un autre témoin, » dit le Roi. L’autre témoin, c’était la cuisinière de la Duchesse ; elle tenait la poivrière à la main, et Alice devina qui c’était, même avant qu’elle entrât dans la salle, en voyant éternuer, tout à coup et tous à la fois, les gens qui se trouvaient près de la porte. « Faites votre déposition, » dit le Roi. « Non ! » dit la cuisinière. Le Roi regarda d’un air inquiet le Lapin Blanc, qui lui dit à voix basse : « Il faut que Votre Majesté interroge ce témoin-là contradictoirement. » « Puisqu’il le faut, il le faut, » dit le Roi, d’un air triste ; et, après avoir croisé les bras et froncé les sourcils en regardant la cuisinière, au point que les yeux lui étaient presque complètement rentrés dans la tête, il dit d’une voix creuse : « De quoi les tartes sont-elles faites ? » « De poivre principalement ! » dit la cuisinière. « De mélasse, » dit une voix endormie derrière elle. « Saisissez ce Loir au collet ! » cria la Reine. « Coupez la tête à ce Loir ! Mettez ce Loir à la porte ! Réprimez-le, pincez-le, arrachez-lui ses moustaches ! » Pendant quelques instants, toute la cour fut sens dessus dessous pour mettre le Loir à la porte ; et, quand le calme fut rétabli, la cuisinière avait disparu. « Cela ne fait rien, » dit le Roi, comme soulagé d’un grand poids. « Appelez le troisième témoin ; » et il ajouta à voix basse en s’adressant à la Reine : « Vraiment, mon amie, il faut que vous interrogiez cet autre témoin ; cela me fait trop mal au front ! » Alice regardait le Lapin Blanc tandis qu’il tournait la liste dans ses doigts, curieuse de savoir quel serait l’autre témoin. « Car les dépositions ne prouvent pas grand’chose jusqu’à présent, » se dit-elle. Imaginez sa surprise quand le Lapin Blanc cria, du plus fort de sa petite voix criarde : « Alice ! » CHAPITRE XII. DÉPOSITION D’ALICE. « Voilà ! » cria Alice, oubliant tout à fait dans le trouble du moment combien elle avait grandi depuis quelques instants, et elle se leva si brusquement qu’elle accrocha le banc des jurés avec le bord de sa robe, et le renversa, avec tous ses occupants, sur la tête de la foule qui se trouvait au-dessous, et on les vit se débattant de tous côtés, comme les poissons rouges du vase qu’elle se rappelait avoir renversé par accident la semaine précédente. « Oh ! je vous demande bien pardon ! » s’écria-t-elle toute confuse, et elle se mit à les ramasser bien vite, car l’accident arrivé aux poissons rouges lui trottait dans la tête, et elle avait une idée vague qu’il fallait les ramasser tout de suite et les remettre sur les bancs, sans quoi ils mourraient. « Le procès ne peut continuer, » dit le Roi d’une voix grave, « avant que les jurés soient tous à leurs places ; tous ! » répéta-t-il avec emphase en regardant fixement Alice. Alice regarda le banc des jurés, et vit que dans son empressement elle y avait placé le Lézard la tête en bas, et le pauvre petit être remuait la queue d’une triste façon, dans l’impossibilité de se redresser ; elle l’eut bientôt retourné et replacé convenablement. « Non que cela soit bien important, » se dit-elle, « car je pense qu’il serait tout aussi utile au procès la tête en bas qu’autrement. » Sitôt que les jurés se furent un peu remis de la secousse, qu’on eut retrouvé et qu’on leur eut rendu leurs ardoises et leurs crayons, ils se mirent fort diligemment à écrire l’histoire de l’accident, à l’exception du Lézard, qui paraissait trop accablé pour faire autre chose que demeurer la bouche ouverte, les yeux fixés sur le plafond de la salle. « Que savez-vous de cette affaire-là ? » demanda le Roi à Alice. « Rien, » répondit-elle. « Rien absolument ? » insista le Roi. « Rien absolument, » dit Alice. « Voilà qui est très-important, » dit le Roi, se tournant vers les jurés. Ils allaient écrire cela sur leurs ardoises quand le Lapin Blanc interrompant : « Peu important, veut dire Votre Majesté, sans doute, » dit-il d’un ton très-respectueux, mais en fronçant les sourcils et en lui faisant des grimaces. « Peu important, bien entendu, c’est ce que je voulais dire, » répliqua le Roi avec empressement. Et il continua de répéter à demi-voix : « Très-important, peu important, peu important, très-important ; » comme pour essayer lequel des deux était le mieux sonnant. Quelques-uns des jurés écrivirent « très-important, » d’autres, « peu important. » Alice voyait tout cela, car elle était assez près d’eux pour regarder sur leurs ardoises. « Mais cela ne fait absolument rien, » pensa-t-elle. À ce moment-là, le Roi, qui pendant quelque temps avait été fort occupé à écrire dans son carnet, cria : « Silence ! » et lut sur son carnet : « Règle Quarante-deux : Toute personne ayant une taille de plus d’un mille de haut devra quitter la cour. » Tout le monde regarda Alice. « Je n’ai pas un mille de haut, » dit-elle. « Si fait, » dit le Roi. « Près de deux milles, » ajouta la Reine. « Eh bien ! je ne sortirai pas quand même ; d’ailleurs cette règle n’est pas d’usage, vous venez de l’inventer. » « C’est la règle la plus ancienne qu’il y ait dans le livre, » dit le Roi. « Alors elle devrait porter le numéro Un. » Le Roi devint pâle et ferma vivement son carnet. « Délibérez, » dit-il aux jurés d’une voix faible et tremblante. « Il y a d’autres dépositions à recevoir, s’il plaît à Votre Majesté, » dit le Lapin, se levant précipitamment ; « on vient de ramasser ce papier. » « Qu’est-ce qu’il y a dedans ? » dit la Reine. « Je ne l’ai pas encore ouvert, » dit le Lapin Blanc ; « mais on dirait que c’est une lettre écrite par l’accusé à — à quelqu’un. » « Cela doit être ainsi, » dit le Roi, « à moins qu’elle ne soit écrite à personne, ce qui n’est pas ordinaire, vous comprenez. » « À qui est-elle adressée ? » dit un des jurés. « Elle n’est pas adressée du tout, » dit le Lapin Blanc ; « au fait, il n’y a rien d’écrit à l’extérieur. » Il déplia le papier tout en parlant et ajouta : « Ce n’est pas une lettre, après tout ; c’est une pièce de vers. » « Est-ce l’écriture de l’accusé ? » demanda un autre juré. « Non, » dit le Lapin Blanc, « et c’est ce qu’il y a de plus drôle. » (Les jurés eurent tous l’air fort embarrassé.) « Il faut qu’il ait imité l’écriture d’un autre, » dit le Roi. (Les jurés reprirent l’air serein.) « Pardon, Votre Majesté, » dit le Valet, « ce n’est pas moi qui ai écrit cette lettre, et on ne peut pas prouver que ce soit moi ; il n’y a pas de signature. » « Si vous n’avez pas signé, » dit le Roi, « cela ne fait qu’empirer la chose ; il faut absolument que vous ayez eu de mauvaises intentions, sans cela vous auriez signé, comme un honnête homme. » Là-dessus tout le monde battit des mains ; c’était la première réflexion vraiment bonne que le Roi eût faite ce jour-là. « Cela prouve sa culpabilité, » dit la Reine. « Cela ne prouve rien, » dit Alice. « Vous ne savez même pas ce dont il s’agit. » « Lisez ces vers, » dit le Roi. Le Lapin Blanc mit ses lunettes. « Par où commencerai-je, s’il plaît à Votre Majesté ? » demanda-t-il. « Commencez par le commencement, » dit gravement le Roi, « et continuez jusqu’à ce que vous arriviez à la fin ; là, vous vous arrêterez. » Voici les vers que lut le Lapin Blanc : « On m’a dit que tu fus chez elle Afin de lui pouvoir parler, Et qu’elle assura, la cruelle, Que je ne savais pas nager ! Bientôt il leur envoya dire (Nous savons fort bien que c’est vrai !) Qu’il ne faudrait pas en médire, Ou gare les coups de balai ! J’en donnai trois, elle en prit une ; Combien donc en recevrons-nous ? (Il y a là quelque lacune.) Toutes revinrent d’eux à vous. Si vous ou moi, dans cette affaire, Étions par trop embarrassés, Prions qu’il nous laisse, confrère, Tous deux comme il nous a trouvés. Vous les avez, j’en suis certaine, (Avant que de ses nerfs l’accès Ne bouleversât l’inhumaine,) Trompés tous trois avec succès. Cachez-lui qu’elle les préfère ; Car ce doit être, par ma foi, (Et sera toujours, je l’espère) Un secret entre vous et moi. » « Voilà la pièce de conviction la plus importante que nous ayons eue jusqu’à présent, » dit le Roi en se frottant les mains ; « ainsi, que le jury maintenant — — » « S’il y a un seul des jurés qui puisse l’expliquer, » dit Alice (elle était devenue si grande dans ces derniers instants qu’elle n’avait plus du tout peur de l’interrompre), « je lui donne une pièce de dix sous. Je ne crois pas qu’il y ait un atome de sens commun là-dedans. » Tous les jurés écrivirent sur leurs ardoises : « Elle ne croit pas qu’il y ait un atome de sens commun là-dedans, » mais aucun d’eux ne tenta d’expliquer la pièce de vers. « Si elle ne signifie rien, » dit le Roi, « cela nous épargne un monde d’ennuis, vous comprenez ; car il est inutile d’en chercher l’explication ; et cependant je ne sais pas trop, » continua-t-il en étalant la pièce de vers sur ses genoux et les regardant d’un œil ; « il me semble que j’y vois quelque chose, après tout. « Que je ne savais pas nager ! » Vous ne savez pas nager, n’est-ce pas ? » ajouta-t-il en se tournant vers le Valet. Le Valet secoua la tête tristement. « En ai-je l’air, » dit-il. (Non, certainement, il n’en avait pas l’air, étant fait tout entier de carton.) « Jusqu’ici c’est bien, » dit le Roi ; et il continua de marmotter tout bas, « « Nous savons fort bien que c’est vrai. » C’est le jury qui dit cela, bien sûr ! « J’en donnai trois, elle en prit une ;  » justement, c’est là ce qu’il fit des tartes, vous comprenez. » « Mais vient ensuite : « Toutes revinrent d’eux à vous, » » dit Alice. « Tiens, mais les voici ! » dit le Roi d’un air de triomphe, montrant du doigt les tartes qui étaient sur la table. « Il n’y a rien de plus clair que cela ; et encore : « Avant que de ses nerfs l’accès. » Vous n’avez jamais eu d’attaques de nerfs, je crois, mon épouse ? » dit-il à la Reine. « Jamais ! » dit la Reine d’un air furieux en jetant un encrier à la tête du Lézard. (Le malheureux Jacques avait cessé d’écrire sur son ardoise avec un doigt, car il s’était aperçu que cela ne faisait aucune marque ; mais il se remit bien vite à l’ouvrage en se servant de l’encre qui lui découlait le long de la figure, aussi longtemps qu’il y en eut.) « Non, mon épouse, vous avez trop bon air, » dit le Roi, promenant son regard tout autour de la salle et souriant. Il se fit un silence de mort. « C’est un calembour, » ajouta le Roi d’un ton de colère ; et tout le monde se mit à rire. « Que le jury délibère, » ajouta le Roi, pour à peu près la vingtième fois ce jour-là. « Non, non, » dit la Reine, « l’arrêt d’abord, on délibérera après. » « Cela n’a pas de bon sens ! » dit tout haut Alice. « Quelle idée de vouloir prononcer l’arrêt d’abord ! » « Taisez-vous, » dit la Reine, devenant pourpre de colère. « Je ne me tairai pas, » dit Alice. « Qu’on lui coupe la tête ! » hurla la Reine de toutes ses forces. Personne ne bougea. « On se moque bien de vous, » dit Alice (elle avait alors atteint toute sa grandeur naturelle). « Vous n’êtes qu’un paquet de cartes ! » Là-dessus tout le paquet sauta en l’air et retomba en tourbillonnant sur elle ; Alice poussa un petit cri, moitié de peur, moitié de colère, et essaya de les repousser ; elle se trouva étendue sur le gazon, la tête sur les genoux de sa sœur, qui écartait doucement de sa figure les feuilles mortes tombées en voltigeant du haut des arbres. « Réveillez-vous, chère Alice ! » lui dit sa sœur. « Quel long somme vous venez de faire ! » « Oh ! j’ai fait un si drôle de rêve, » dit Alice ; et elle raconta à sa sœur, autant qu’elle put s’en souvenir, toutes les étranges aventures que vous venez de lire ; et, quand elle eut fini son récit, sa sœur lui dit en l’embrassant : « Certes, c’est un bien drôle de rêve ; mais maintenant courez à la maison prendre le thé ; il se fait tard. » Alice se leva donc et s’éloigna en courant, pensant le long du chemin, et avec raison, quel rêve merveilleux elle venait de faire. Mais sa sœur demeura assise tranquillement, tout comme elle l’avait laissée, la tête appuyée sur la main, contemplant le coucher du soleil et pensant à la petite Alice et à ses merveilleuses aventures ; si bien qu’elle aussi se mit à rêver, en quelque sorte ; et voici son rêve : — D’abord elle rêva de la petite Alice personnellement : — les petites mains de l’enfant étaient encore jointes sur ses genoux, et ses yeux vifs et brillants plongeaient leur regard dans les siens. Elle entendait jusqu’au son de sa voix ; elle voyait ce singulier petit mouvement de tête par lequel elle rejetait en arrière les cheveux vagabonds qui sans cesse lui revenaient dans les yeux ; et, comme elle écoutait ou paraissait écouter, tout s’anima autour d’elle et se peupla des étranges créatures du rêve de sa jeune sœur. Les longues herbes bruissaient à ses pieds sous les pas précipités du Lapin Blanc ; la Souris effrayée faisait clapoter l’eau en traversant la mare voisine ; elle entendait le bruit des tasses, tandis que le Lièvre et ses amis prenaient leur repas qui ne finissait jamais, et la voix perçante de la Reine envoyant à la mort ses malheureux invités. Une fois encore l’enfant-porc éternuait sur les genoux de la Duchesse, tandis que les assiettes et les plats se brisaient autour de lui ; une fois encore la voix criarde du Griffon, le grincement du crayon d’ardoise du Lézard, et les cris étouffés des cochons d’Inde mis dans le sac par ordre de la cour, remplissaient les airs, en se mêlant aux sanglots que poussait au loin la malheureuse Fausse-Tortue. C’est ainsi qu’elle demeura assise, les yeux fermés, et se croyant presque dans le Pays des Merveilles, bien qu’elle sût qu’elle n’avait qu’à rouvrir les yeux pour que tout fût changé en une triste réalité : les herbes ne bruiraient plus alors que sous le souffle du vent, et l’eau de la mare ne murmurerait plus qu’au balancement des roseaux ; le bruit des tasses deviendrait le tintement des clochettes au cou des moutons, et elle reconnaîtrait les cris aigus de la Reine dans la voix perçante du petit berger ; l’éternuement du bébé, le cri du Griffon et tous les autres bruits étranges ne seraient plus, elle le savait bien, que les clameurs confuses d’une cour de ferme, tandis que le beuglement des bestiaux dans le lointain remplacerait les lourds sanglots de la Fausse-Tortue. Enfin elle se représenta cette même petite sœur, dans l’avenir, devenue elle aussi une grande personne ; elle se la représenta conservant, jusque dans l’âge mûr, le cœur simple et aimant de son enfance, et réunissant autour d’elle d’autres petits enfants dont elle ferait briller les yeux vifs et curieux au récit de bien des aventures étranges, et peut-être même en leur contant le songe du Pays des Merveilles du temps jadis : elle la voyait partager leurs petits chagrins et trouver plaisir à leurs innocentes joies, se rappelant sa propre enfance et les heureux jours d’été. FIN.