Lutter pour nos droits - Un Peu d'Histoire #11 (1)
Mes chers amis, bien le bonjour. Si la notion de travail est relativement récente dans
notre histoire, on peut convenir ensemble sans trop se tromper qu'il y a belle lurette
que l'Homme avec un grand H utilise ses petites mains et son petit cerveau pour accomplir
des tâches en vue de se nourrir, d'améliorer son quotidien ou encore de fabriquer des petits
arcs avec des petites flèches pour piquer l'assiette du voisin et se faire une petite
bouffe. Très tôt cependant ce travail est sujet à subordination, c'est à dire que
certains bossent tandis que d'autres dirigent, planifient, chapotent, glandouillent, à vous
de voir. Si on va différencier aujourd'hui le travail “salarié” à proprement parlé
de l'esclavage que j'ai traité dans d'autres épisodes, on va se poser quelques minutes
pour retracer un peu l'histoire de cette relation de subordination, de ces conditions
de travail et surtout des luttes qui ont permit de faire progresser l'environnement des
travailleurs. Allez c'est parti !
Tout d'abord, définissons ce qu'est le travail. C'est le fait qu'un homme ou
une femme, produise, créé ou entretienne quelque chose. Ça c'est la définition
du dico Larousse, je me suis pas foulé. Mais ce qui m'intéresse aujourd'hui c'est
la notion de travail rémunéré parce que si tu gagne rien en bossant c'est que tu
te fais avoir quelque part, c'est l'esclavage. Le monde du travail est très complexe mais
globalement on peut faire une grosse généralité, il y a d'un côté les gens qui travaillent
pour eux même et de l'autre des gens qui travaillent pour d'autres personnes. Dans
tous les cas le résultat souhaité c'est d'avoir une contrepartie et si aujourd'hui
c'est de la money jadis ça pouvait très bien être de la nourriture par exemple.
Prenons le cas des ouvriers de Deir El Medineh au XIIe siècle avant notre ère. Des ouvriers
parfaitement qualifiés, et pour la plupart carrément privilégiés par rapport au reste
de la population, qui sont embauchés par les fonctionnaires du Pharaon Ramsès III
pour construire et décorer des temples funéraires et des monuments dans la vallée des rois.
Ces ouvriers artisans, occupant des postes à divers degrés de compétences, touchent
chacun un salaire différent en nature, puisque c'est de la nourriture ou des vêtements,
mais un salaire tout de même. Ainsi ceux qui ne gagnent pas beaucoup peuvent se nourrir
eux et leurs familles et ceux qui gagnent plus peuvent faire du troc pour obtenir des
services, des biens, etc...
Une organisation qui tient la route jusqu'à une certaine crise économique qui secoue
le pays, qui vide les greniers, et qui par conséquence ne permet pas de payer les ouvriers
comme il se doit. Corruption des fonctionnaires et mauvaise qualité de la nourriture qui
se fait de plus en plus rare viennent à déclencher le mécontentement des artisans. Commence
alors une longue lutte avec des périodes de pauses pendant lesquelles les ouvriers
cessent de façon collective de travailler pour revendiquer leurs droits et imposer leurs
conditions à leurs supérieurs hiérarchiques. Si il y a eu quelques menaces de répressions,
cet élan collectif a finalement permis aux artisans d'obtenir gain de cause et de voir
les salaires versés à temps, preuve que la mobilisation peut permettre de créer un
poids dans une négociation qu'un individu seul ne peut pas avoir.
Bon, on est pas encore dans les luttes de prolétaires puisque ces ouvriers étaient
déjà dans le haut du panier hein, mais le fait qu'ils soient privilégiés ne rend
pas moins leur démarche tout à fait légitime et intéressante. On a donc une action collective,
qui vise clairement une autorité, les fonctionnaires et le vizir qui chapeaute la région ainsi
que des revendications comme le paiement des salaires. En gros on a ici la définition
de ce qu'est un mouvement social et peut être le premier mouvement social documenté
de l'histoire de l'humanité.
Cependant au delà de ce regroupement ponctuel et éphémère pour défendre l'intérêt
d'un groupe subordonnée existe t-il des droits qui pourraient protéger ces travailleurs ?
A parament non.
Dans la rome antique on a bien des artisans qui se regroupent entre eux pour former des
commerces mais les conditions de travail sont gérées directement par ces établissements.
Pas de loi, pas de droit pour tous, si un citoyen travaille pour un commerce il doit
se plier à la volonté de son ou de ses gérants. Et globalement jusqu'au XIIe siècle on
n'en sait pas vraiment plus sur les conditions dans lesquels les ouvriers évoluent dans
l'entreprise puis qu'il n'existe aucun document légal traitant de ça. On se doute
que les artisans se sont regroupés en corporations de métiers qui avaient leur propre fonctionnement,
leurs propres règles. Et justement en 1268 paraît un ouvrage rédigé par Etienne Boileau,
prévôt de Paris : Le livre des métiers.
A cette époque se pose en effet un problème à Paris, la multiplication des commerces
et des métiers entraîne de nombreux conflits et dans la mesure où les règles appliquées
à chaque métier sont transmises de manière orale il est bien compliqué de pouvoir trancher
en cas de litige entre deux partis. Etienne Boileau entreprend alors de consigner toutes
ces règles dans un énorme recueil des règlements des métiers parisiens. On y trouve donc pour
chaque métier les droits et devoirs à respecter, les taxes à régler à l'état, les amendes,
les autorisations administratives, les coutumes même mais concernant le statut des ouvriers
qui travaillent directement sous les ordres d'un supérieur pas grand chose il faut
bien le dire.
On a donc des protections mises en place pour des entités, commerce ou artisanat, mais
pas pour les individus au service de ces entités. De plus, les règles sont avant tout locales
et chaque ville à ses propres corporations et ses propres règlements, ce qui ne favorise
pas vraiment la compréhension d'une norme générale.
Ce qui est sûr c'est que les corporations fonctionnent toutes sur le même principe.
Dans chaque établissement il y a des maîtres, propriétaires des moyens de production et
représentants direct de la corporation. En dessous d'eux on trouve les compagnons,
la main d'oeuvre ou la force ouvrière dirons nous. Puis encore en dessous les apprentis
qui apprennent le métier en vue de devenir compagnon. Problème majeur, les maîtres
sont très souvent fils de maîtres et les compagnons n'ont aucun moyen de pouvoir
accéder à la propriété de l'outil de production sauf si ils ont un lien de sang
avec un membre de cette “caste”. On pourrait alors se dire qu'il suffisait au compagnon
de quitter son poste pour tenter de monter un truc dans son coin. Mais deux choses s'opposent
à ça. Tout d'abord l'économie entière fonctionne sur le système de corporations,
si le compagnon ne peut pas avoir le statut de maître, il n'aura pas l'autorisation
de créer son établissement. Ensuite, le livre des métiers d'Etienne Boileau dont
nous avons parlé tout à l'heure nous expose noir sur blanc qu'un ouvrier ne peut pas
quitter son maître sans son accord. En gros c'est un peu le piège et l'ouvrier ne
peut que se conformer au désir de sa hiérarchie.
C'est dans ce contexte que naît ce qui deviendra le compagnonnage. Les compagnons
se réunissent ensemble, par métier et parfois entre plusieurs villes pour échanger leur
savoir, se former et constituer une petite force d'opposition leur permettant notamment
de négocier des tarifs directement avec leur patron.
Vers la fin du Moyen-Age et durant tout l'Ancien Régime, le compagnonnage prend de l'importance
et fait un peu jazzer. Le pouvoir tente de condamner plusieurs fois ces rassemblements
et même l'église s'y met. Mais rien n'y fait et au XVIIIe siècle il représente
une force d'opposition non négligeable, permettant d'exercer une pression sur les
corporations en contrôlant les embauches, en provoquant des grèves. etc. Bref, un vrai
rassemblement ouvrier qui “pèse dans le game” comme on dit chez nous.
Et la on arrive au grand chamboulement, la révolution française !
Ah, la révolution du peuple, enfin, qui nous libère du joug de la tyrannie... Et non, puisqu'en 1789,
c'est surtout une révolution bourgeoise, donc s'il y a pas mal d'améliorations dans beaucoup de domaines, niveau boulot y'a quelques hics… La revendication
des révolutionnaires, à savoir que tous les citoyens doivent être égaux, est prise
au pied de la lettre. Il faut donc libérer le travail et ça passe par la suppression
des corporations qui pouvaient légèrement abuser de leur position pour exploiter les
honnêtes travailleurs, chose qui se concrétise à travers le décret d'Allarde en mars
1791. Youpi, les ouvriers ont vaincu, les compagnons ont désormais une force plus importante ! Non, toujours pas… Toujours sur ce principe d'égalité entre
citoyens, est pondu en juin 1791 la loi Le Chapelier, qui interdit les organisations
ouvrières, le compagnonnage et la grève. Formidable non ? On est tous égaux maintenant,
on est tous une grande famille ! Bon, certains restent toujours propriétaires de leurs outils
de productions hein bien évidemment alors que les autres n'ont que leurs petites mains
pour travailler !
On peut rajouter que l'article 1781 du Code Civil, qui sort en 1804, prévoit qu'en
cas de litige sur le paiement du salaire entre un ouvrier et son patron c'est le patron
qui aura toujours raison sur la simple preuve qu'il le dit.
Et c'est ainsi que nous arrivons , vers la fin du XVIIIe et surtout le début du XIXe
en France à une époque de boom économique, une sorte de nouvelle révolution, industrielle
celle là. Les manufactures se multiplient, les grandes industries explosent et avec tout
ça la condition des ouvriers, qui sont issus de la paysannerie et qui forment une nouvelle
classe sociale, ne va pas vraiment en s'améliorant. Les machines se développent et produisent
à un rythme effréné, pas de problème pour les entreprises qui en profitent pour embaucher
une main d'oeuvre supplémentaire qui peut rester continuellement à côté de ces machines
qui elles ne s'épuisent pas. De nombreux métiers ne demandent plus une force physique
minimum pour accomplir la tâche, on embauche alors plus de femmes et surtout des enfants,
très tôt pour mettre tout le monde au boulot. Et vu qu'il y a du peuple pour bosser on peut
se permettre de tirer sur la corde. Des journées de 12 à 15h de travail par jour parfois plus
avec un seul jour de repos par semaine, un salaire de misère qui sert à peine à se
nourrir, pas de vacances, une sécurité au travail toute relative avec des machines non
protégées qui provoquent des accidents à la pelle. D'ailleurs si tu te blesses parce
que ton vêtement s'est pris dans un engrenage et t'as arraché la moitié de la main,
c'est de ta faute mon gars, bah oui, du coup t'es pas payé et c'est ta famille
qui va s'occuper de toi entre deux heures de sommeil.
Bref, on va le dire clairement, c'est la merde et les ouvriers n'ont pas le droit
de se réunir pour protester.
Certains tentent de se soulever et de protester contre les mauvaises conditions de travail
et les baisses de salaire, c'est le cas notamment des Canuts, des ouvriers des métiers
de la soie, en 1831 à Lyon. Un soulèvement qui n'arrive pas à faire plier le pouvoir
et qui est reconduit en 1834 où il est violemment réprimé, entraînant la mort de plusieurs
centaines de personnes.
C'est dans ce contexte que certaines personnes, politiques, économistes, etc...commencent
à s'inquiéter de cette frénésie productrice et des dérives qu'elle engendre. Le 22
mars 1841, après moult débat une première loi relative au travail des enfants voit le
jour, pour les entreprises de plus de 20 salariés, pour les autres on s'en fou... Elle interdit
d'employer des jeunes de moins de 8 ans et fixe des durées maximales de travail par
jour à savoir 8h jusqu'à 12 ans et 12h jusqu'à 16ans. On peut rajouté à ça
le fait que le travail de nuit est désormais interdit aux enfants.
C'est quel âge aujourd'hui un enfant ? 16, 18, 20, 22 ans ? Moi je ne sais pas.
Ah non, à l'époque c'est 13 ans pour le travail de nuit !