×

We use cookies to help make LingQ better. By visiting the site, you agree to our cookie policy.


image

Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 2 – Le Témoignage (1)

Livre 2 – Le Témoignage (1)

Livre II – Le Témoignage

Bernadette et l'Histoire de Notre-Dame de Lourdes

Ainsi Bernadette avait quitte de l'humaine vallée tout ce qu'on peut en laisser; et, sa mission publique étant achevée, elle était entrée dans ce vestibule du Ciel qu'on appelle la vie Religieuse. Elle devait, durant douze années, fleurir et s'épanouir dans ce parterre du Seigneur.

Tout à l'heure nous allons l'y revoir, charmant et édifiant ses compagnes... Au dernier jour de la Voyante se sont ouvertes les portes du cloître, et nos lecteurs, y entrant avec nous, connaîtront, eux aussi, les suaves secrets du jardin fermé.

Mais auparavant, afin de bien saisir certaines nuances, il est nécessaire de dire quelques mots de ce qui s'est passé au dehors pendant le cours de ces douze années. La personne de Bernadette est du reste trop intimement unie à l'histoire de Notre-Dame de Lourdes, alors même qu'elle en semble absente, pour qu'il soit possible de l'en séparer tout à fait.

Ces douze années, on s'en souvient, hélas! ont été terribles pour l'Église et pour le monde, toutes chargées de douloureux événements et de catastrophes sanglantes. Persécution religieuse dans presque toute l'Europe; violation du Patrimoine Pontifical; captivité et mort de Pie IX; avènement de Léon XIII dans une semblable captivité; la force primant le droit. Et dans notre malheureux pays, guerre fatale, France envahie, écroulement du second Empire, territoire démembré, crimes de la Commune, assassinat des otages, immolation des prêtres, meurtre de l'Archevêque, effroyables discordes civiles, déchirement de la patrie... Que de ruines accumulées, que de cruels souvenirs et de sombres horizons durant l'espace de ces douze ans!

Et en même temps cependant, au milieu de tant d'épreuves, on a vu grandir la foi, l'espérance et l'amour dans le coeur des enfants du Christ. Les Pèlerinages ont reparu sur la face du globe. Ils ont sillonné la terre; ils ont franchi les Océans : ils ont pris, grâce aux chemins de fer et à la vapeur, des proportions et un caractère particulier que ne connurent jamais aucune époque ni aucune nation depuis l'origine des âges. La cité de Dieu a eu, elle aussi, sa crise : elle a eu son grand mouvement vers la Vierge Immaculée apparue à la Grotte de Lourdes... Et un jour vint où, au sein de la plus considérable réunion d'Évêques qui se soit assemblée en France depuis cinq siècles, le Souverain Pontife de l'Église fit couronner par son Légat la statue de Notre-Dame de Lourdes comme l'image de la Reine du ciel...

Après avoir raconté le rôle de Bernadette à l'origine de cet événement religieux et la mission qu'a remplie si admirablement le curé Peyramale, nous sera-t-il permis de dire aussi que Dieu, — qui se sert de tout et qui se plaît à faire éclater sa gloire par l'impuissance même des instruments qu'il choisit, — avait daigné bénir au delà de toute mesure un humble livre du plus indigne de ses serviteurs, et l'employer à propager dans tout l'univers la bonne nouvelle des Apparitions de Marie et du jaillissement de la Source miraculeuse.

Ce livre, qui est une histoire, appartient lui-même à l'Histoire. Surmontant donc, — pour des raisons que Dieu connaît, — un premier embarras, nous en parlerons, avec la même liberté et simplicité que s'il nous était tout à fait étranger et que si l'auteur, inconnu de nous, était mort depuis cinquante ans.

Quelle fut, dans ce livre, la part de Bernadette? quels furent ses rapports avec l'historien? C'est ce que nous allons exposer en imprimant ici pour le public un fragment de nos Mémoires intimes.

Ainsi que nos lecteurs le savent, j'avais été atteint en 1862 d'un affaiblissement de la vue qui m'empéchait absolument de lire et d'écrire. Sans espérance humaine de guérir et sur le conseil d'un ami protestant, j'eus recours à Notre-Dame de Lourdes, que je ne connaissais alors cependant que par les impertinences de quelques journaux mal pensants et en laquelle je n'avais qu'une foi des plus hésitantes. Je dictai à mon ami, pour M. le Curé de la paroisse de Lourdes, prêtre dont j'ignorais le nom, une lettre qu 'il écrivit et que je signai. Je demandais une bouteille d eau de la Grotte. Elle m'arriva le vendredi 10 octobre 1862. A peine cette eau miraculeuse eût-elle baigné mes yeux que ma maladie disparut tout à coup et que ma vue me fut rendue dans toute sa force et toute sa netteté. Ce fait extraordinaire s'était accompli à Paris.

( La lettre à M. le Curé de Lourdes, écrite par mon ami et signée par moi, a été retrouvée dans les papiers de Mgr Peyramale et m'a été remise après sa mort. Ce témoignage du Miracle est d'autant plus irrécusable que, par suite des événements survenus en France l'ami dont nous parlons a été, dans un parti qui n'est point le nôtre, porte aux plus hautes fonctions de l'État. J'ai également la lettre antérieure dans laquelle, en présence de l'infirmité de ma vue, il me conseille de recourir à Notre-Dame de Lourdes. Étranges rencontres de la Providence! )

Je fis connaître ma guérison à M. le curé Peyramale et lui en adressait la relation. Il en fut, paraît-il, très ému. Et, sous le coup de cette émotîon, il eut comme un pressentiment et une sorte d'intuition de l'avenir. Étant allé ce jour-là ou le lendemain à l'Hospice de Lourdes, chez les bonnes Soeurs de Nevers qui y soignent les malades et y font l'école aux enfants, il leur lut ces quelques pages.

Après cette lecture, il prononça, de sa voix grave et ferme, cette parole qui les frappa, — parole répétée souvent depuis par celles qui l'ont entendue, car elles se plaisent à en témoigner:

— Voilà l'homme qui sera l'historien de Notre-Dame de Lourdes! La Sainte Vierge l'a guéri pour cela. Elle vient de se le choisir.

Il devait en être ainsi en effet. Ayant, en son équité souveraine, choisi Bernadette pour lui apparaître à cause de sa complète innocence; ayant élu le curé Peyramale pour être le fondateur humain de son oeuvre, à cause de son héroïque vertu, Elle avait, en sa miséricorde infinie, jeté son regard sur l'extrémité opposée, dans l'Océan du monde, et m'avait désigné pour écrire son Histoire, à cause sans doute de mes fautes sans nombre, afin de montrer que si elle est la Reine des saints, elle n'en est pas moins la Mère des faibles et des malades, appelant également le juste et le pécheur à la participation de ses grâces.

En 1863 j'allai à Lourdes, sans autre but que de remercier Celle qui m'avait guéri par un acte surnaturel de sa puissance et de sa bonté. Je connus le Curé des Apparitions... Je m'entretins longtemps et plusieurs fois avec Bernadette, recueillant avec un soin pieux les moindres détails de ses récits. Je notais même, ne voulant rien oublier, toutes ses réponses à mes questions, questions que je faisais le coeur frémissant, avide de découvrir, dès ici-bas, quelque chose des gloires du Ciel et du travail de Dieu.

De son côté le curé Peyramale, qui avait été, après Bernadette, le grand ouvrier de Notre-Dame me raconta divers épisodes du drame divin qui s'était déroulé à Lourdes, Ces longues causeries, ces entretiens répétés, me faisaient entrevoir peu à peu, quoique vaguement encore, une histoire intime et détaillée de ces merveilleux événements, dont la brève Notice que j'avais lue ne présentait que l'ensemble et, pour ainsi dire, l'esquisse générale.

A l'ombre de la Grotte, à côté de la Source, en face de cette excavation déserte où la Vierge avait posé son pied, je formai alors, (sans pourtant en prononcer le voeu), le projet d'écrire, si la grâce de Dieu me le permettait, cette histoire surhumaine.

M. le Curé de Lourdes, qui avait depuis près d'un an, depuis ma guérison surnaturelle, la pensée que j'étais appelé à cette oeuvre, me répondit, lorsque je lui fis part de mon dessein:

— C'est la voix de Marie qui vous a parlé.

Mgr Laurence, évêque du diocèse, m'ouvrit les Archives de l'Évêché; il me communiqua les procès-verbaux de la Commission d'enquête, les rapports des Médecins, les correspondances qui avaient été échangées. Il eût même l'obligeance de s'en dessaisir et de me les confier.

— Toute l'histoire est là-dedans, me dit l'Évêque, en me remettant ces pièces. Nous serons heureux que vous sachiez l'en faire sortir.

Ni lui, ni moi, ni personne, sauf M. le Curé de Lourdes, que nous taxions d'exagération, ne prévoyait le retentissement extraordinaire que la Providence devait donner au livre, encore à écrire, dont nous nous entretenions.

A Lourdes, mon impression avait été vive... Rentré à Paris et dans le monde, je dois avouer en rougissant que cette impression s'effaça peu à peu. La grâce de Dieu se perd aisément chez certaines âmes faibles et chancelantes, et j'étais, je suis encore, hélas! de ces âmes là. La Sainte Vierge qui avait guéri mes yeux, qui avait touché mon coeur, n'avait point changé le fond de ma pécheresse et fragile nature. Je me dissipai... Je voyageai; j'allai à Rome. Je ne sus point résister à l'envahissement d'autres travaux accessoires et secondaires; et je laissai en arrière ce travail essentiel et principal. Je fus ingrat. J'oubliai presque le bienfait et par suite la reconnaissance.

Ayant eu le tort de ne point me mettre au travail dès le premier jour, je différais de semaine en semaine, puis de mois en mois et enfin d'année en année l'exécution de mon projet.

De temps en temps une lettre de M. le Curé de Lourdes venait éveiller mes remords, qui se rendormaient aussitôt et ma négligence s'enracinait en moi ainsi que mille autres misères.

Quatre ans s'écoulèrent ainsi.


Livre 2 – Le Témoignage (1) Buch 2 - Das Zeugnis (1) Book 2 - Testimony (1) Livro 2 - Testemunho (1)

**Livre II – Le Témoignage**

**Bernadette et l'Histoire de Notre-Dame de Lourdes**

Ainsi Bernadette avait quitte de l'humaine vallée tout ce qu'on peut en laisser; et, sa mission publique étant achevée, elle était entrée dans ce vestibule du Ciel qu'on appelle la vie Religieuse. Elle devait, durant douze années, fleurir et s'épanouir dans ce parterre du Seigneur.

Tout à l'heure nous allons l'y revoir, charmant et édifiant ses compagnes... Au dernier jour de la Voyante se sont ouvertes les portes du cloître, et nos lecteurs, y entrant avec nous, connaîtront, eux aussi, les suaves secrets du jardin fermé.

Mais auparavant, afin de bien saisir certaines nuances, il est nécessaire de dire quelques mots de ce qui s'est passé au dehors pendant le cours de ces douze années. La personne de Bernadette est du reste trop intimement unie à l'histoire de Notre-Dame de Lourdes, alors même qu'elle en semble absente, pour qu'il soit possible de l'en séparer tout à fait.

Ces douze années, on s'en souvient, hélas! ont été terribles pour l'Église et pour le monde, toutes chargées de douloureux événements et de catastrophes sanglantes. Persécution religieuse dans presque toute l'Europe; violation du Patrimoine Pontifical; captivité et mort de Pie IX; avènement de Léon XIII dans une semblable captivité; la force primant le droit. Et dans notre malheureux pays, guerre fatale, France envahie, écroulement du second Empire, territoire démembré, crimes de la Commune, assassinat des otages, immolation des prêtres, meurtre de l'Archevêque, effroyables discordes civiles, déchirement de la patrie... Que de ruines accumulées, que de cruels souvenirs et de sombres horizons durant l'espace de ces douze ans!

Et en même temps cependant, au milieu de tant d'épreuves, on a vu grandir la foi, l'espérance et l'amour dans le coeur des enfants du Christ. Les Pèlerinages ont reparu sur la face du globe. Ils ont sillonné la terre; ils ont franchi les Océans : ils ont pris, grâce aux chemins de fer et à la vapeur, des proportions et un caractère particulier que ne connurent jamais aucune époque ni aucune nation depuis l'origine des âges. La cité de Dieu a eu, elle aussi, sa crise : elle a eu son grand mouvement vers la Vierge Immaculée apparue à la Grotte de Lourdes... Et un jour vint où, au sein de la plus considérable réunion d'Évêques qui se soit assemblée en France depuis cinq siècles, le Souverain Pontife de l'Église fit couronner par son Légat la statue de Notre-Dame de Lourdes comme l'image de la Reine du ciel...

Après avoir raconté le rôle de Bernadette à l'origine de cet événement religieux et la mission qu'a remplie si admirablement le curé Peyramale, nous sera-t-il permis de dire aussi que Dieu, — qui se sert de tout et qui se plaît à faire éclater sa gloire par l'impuissance même des instruments qu'il choisit, — avait daigné bénir au delà de toute mesure un humble livre du plus indigne de ses serviteurs, et l'employer à propager dans tout l'univers la bonne nouvelle des Apparitions de Marie et du jaillissement de la Source miraculeuse.

Ce livre, qui est une histoire, appartient lui-même à l'Histoire. Surmontant donc, — pour des raisons que Dieu connaît, — un premier embarras, nous en parlerons, avec la même liberté et simplicité que s'il nous était tout à fait étranger et que si l'auteur, inconnu de nous, était mort depuis cinquante ans.

Quelle fut, dans ce livre, la part de Bernadette? quels furent ses rapports avec l'historien? C'est ce que nous allons exposer en imprimant ici pour le public un fragment de nos Mémoires intimes.

Ainsi que nos lecteurs le savent, j'avais été atteint en 1862 d'un affaiblissement de la vue qui m'empéchait absolument de lire et d'écrire. Sans espérance humaine de guérir et sur le conseil d'un ami protestant, j'eus recours à Notre-Dame de Lourdes, que je ne connaissais alors cependant que par les impertinences de quelques journaux mal pensants et en laquelle je n'avais qu'une foi des plus hésitantes. Ohne menschliche Hoffnung auf Heilung und auf Anraten eines protestantischen Freundes wandte ich mich an Notre-Dame de Lourdes, die ich damals nur aus den Frechheiten einiger schlecht denkender Zeitungen kannte und an die ich nur sehr zögerlich glaubte. Je dictai à mon ami, pour M. le Curé de la paroisse de Lourdes, prêtre dont j'ignorais le nom, une lettre qu 'il écrivit et que je signai. Je demandais une bouteille d eau de la Grotte. Elle m'arriva le vendredi 10 octobre 1862. A peine cette eau miraculeuse eût-elle baigné mes yeux que ma maladie disparut tout à coup et que ma vue me fut rendue dans toute sa force et toute sa netteté. Ce fait extraordinaire s'était accompli à Paris.

( La lettre à M. le Curé de Lourdes, écrite par mon ami et signée par moi, a été retrouvée dans les papiers de Mgr Peyramale et m'a été remise après sa mort. Ce témoignage du Miracle est d'autant plus irrécusable que, par suite des événements survenus en France l'ami dont nous parlons a été, dans un parti qui n'est point le nôtre, porte aux plus hautes fonctions de l'État. J'ai également la lettre antérieure dans laquelle, en présence de l'infirmité de ma vue, il me conseille de recourir à Notre-Dame de Lourdes. Étranges rencontres de la Providence! )

Je fis connaître ma guérison à M. le curé Peyramale et lui en adressait la relation. Ich teilte meine Heilung Herrn Pfarrer Peyramale mit und schickte ihm den Bericht darüber. Il en fut, paraît-il, très ému. Et, sous le coup de cette émotîon, il eut comme un pressentiment et une sorte d'intuition de l'avenir. Étant allé ce jour-là ou le lendemain à l'Hospice de Lourdes, chez les bonnes Soeurs de Nevers qui y soignent les malades et y font l'école aux enfants, il leur lut ces quelques pages.

Après cette lecture, il prononça, de sa voix grave et ferme, cette parole qui les frappa, — parole répétée souvent depuis par celles qui l'ont entendue, car elles se plaisent à en témoigner:

— Voilà l'homme qui sera l'historien de Notre-Dame de Lourdes! La Sainte Vierge l'a guéri pour cela. Elle vient de se le choisir.

Il devait en être ainsi en effet. Ayant, en son équité souveraine, choisi Bernadette pour lui apparaître à cause de sa complète innocence; ayant élu le curé Peyramale pour être le fondateur humain de son oeuvre, à cause de son héroïque vertu, Elle avait, en sa miséricorde infinie, jeté son regard sur l'extrémité opposée, dans l'Océan du monde, et m'avait désigné pour écrire son Histoire, à cause sans doute de mes fautes sans nombre, afin de montrer que si elle est la Reine des saints, elle n'en est pas moins la Mère des faibles et des malades, appelant également le juste et le pécheur à la participation de ses grâces.

En 1863 j'allai à Lourdes, sans autre but que de remercier Celle qui m'avait guéri par un acte surnaturel de sa puissance et de sa bonté. Je connus le Curé des Apparitions... Je m'entretins longtemps et plusieurs fois avec Bernadette, recueillant avec un soin pieux les moindres détails de ses récits. Je notais même, ne voulant rien oublier, toutes ses réponses à mes questions, questions que je faisais le coeur frémissant, avide de découvrir, dès ici-bas, quelque chose des gloires du Ciel et du travail de Dieu.

De son côté le curé Peyramale, qui avait été, après Bernadette, le grand ouvrier de Notre-Dame me raconta divers épisodes du drame divin qui s'était déroulé à Lourdes, Ces longues causeries, ces entretiens répétés, me faisaient entrevoir peu à peu, quoique vaguement encore, une histoire intime et détaillée de ces merveilleux événements, dont la brève Notice que j'avais lue ne présentait que l'ensemble et, pour ainsi dire, l'esquisse générale.

A l'ombre de la Grotte, à côté de la Source, en face de cette excavation déserte où la Vierge avait posé son pied, je formai alors, (sans pourtant en prononcer le voeu), le projet d'écrire, si la grâce de Dieu me le permettait, cette histoire surhumaine.

M. le Curé de Lourdes, qui avait depuis près d'un an, depuis ma guérison surnaturelle, la pensée que j'étais appelé à cette oeuvre, me répondit, lorsque je lui fis part de mon dessein:

— C'est la voix de Marie qui vous a parlé.

Mgr Laurence, évêque du diocèse, m'ouvrit les Archives de l'Évêché; il me communiqua les procès-verbaux de la Commission d'enquête, les rapports des Médecins, les correspondances qui avaient été échangées. Il eût même l'obligeance de s'en dessaisir et de me les confier.

— Toute l'histoire est là-dedans, me dit l'Évêque, en me remettant ces pièces. Nous serons heureux que vous sachiez l'en faire sortir.

Ni lui, ni moi, ni personne, sauf M. le Curé de Lourdes, que nous taxions d'exagération, ne prévoyait le retentissement extraordinaire que la Providence devait donner au livre, encore à écrire, dont nous nous entretenions.

A Lourdes, mon impression avait été vive... Rentré à Paris et dans le monde, je dois avouer en rougissant que cette impression s'effaça peu à peu. La grâce de Dieu se perd aisément chez certaines âmes faibles et chancelantes, et j'étais, je suis encore, hélas! de ces âmes là. La Sainte Vierge qui avait guéri mes yeux, qui avait touché mon coeur, n'avait point changé le fond de ma pécheresse et fragile nature. Je me dissipai... Je voyageai; j'allai à Rome. Je ne sus point résister à l'envahissement d'autres travaux accessoires et secondaires; et je laissai en arrière ce travail essentiel et principal. Je fus ingrat. J'oubliai presque le bienfait et par suite la reconnaissance.

Ayant eu le tort de ne point me mettre au travail dès le premier jour, je différais de semaine en semaine, puis de mois en mois et enfin d'année en année l'exécution de mon projet.

De temps en temps une lettre de M. le Curé de Lourdes venait éveiller mes remords, qui se rendormaient aussitôt et ma négligence s'enracinait en moi ainsi que mille autres misères.

Quatre ans s'écoulèrent ainsi.