Les morts EPIQUES de l'Histoire - Nota Bene #35 (2)
il a le droit de lever des impôts exceptionnels.
Donc l'idée en traverse quelques-uns.
Nos amis les Anglais, eux, ont un pays moins peuplé et moins riche.
Côté militaire, ils ont progressivement abandonné la chevalerie féodale classique,
trop onéreuse à entretenir, pour se tourner vers une modernisation de l'armée : avec
une stratégie plus défensive, une conscription de soldats moins riches que des nobles, moins
équipés mais plus efficaces à distance, comme les archers et les arbalétriers. On
ajoute à ça une politique de chevauchée permettant d'aller piller les terres de
l'ennemi loin et rapidement et enfin une cavalerie légère, tout aussi peu coûteuse,
mais rapide et efficace. Certains disent d'ailleurs qu'ils ont piqué toutes ces techniques
aux Ecossais qui les ont utilisé contre les anglais, avec succès, lors de leur seconde
guerre d'indépendance.
En plus de ça, le refroidissement climatique et l'essor de la population au détriment
des surfaces agricoles vaut aussi pour eux, et a même des effets plus dévastateurs : ils
sont obligés d'importer plus.
Typiquement, grand consommateurs de vin, bien plus potable que l'eau des puits, les chutes
de température les empêche d'en produire dans le sud de l'île comme par le passé,
et ils doivent donc en faire venir de la seule terre qu'il leur reste en France, le duché
de Guyenne. Et là aussi, ils jalousent les Français, qui depuis près de deux siècles
les ont dépouillés progressivement de leur grand empire Plantagenêt : la Normandie,
le Poitou, le Limousin, l'Anjou, l'Aquitaine… ils ont tout perdu et il ne leur reste plus
que ce mince duché de Guyenne sur la côte atlantique, et encore ! Le roi de France a
autorité sur celui-ci, puisque le roi d'Angleterre doit lui rendre hommage en tant que duc.
Donc des deux côtés, si un prétexte pour se mettre sur la gueule passait par là…
on serait pas contre. Or il s'avère que côté français, la succession fait des siennes.
Pour la faire courte, Philippe le Bel meurt en 1314 : pas grave, il a trois fils. L'aîné,
Louis X le Hutin, monte sur le trône, et épouse en secondes noces Clémence de Hongrie
- sa première femme, Marguerite de Navarre, ayant été répudiée pour cause d'infidélité.
Mais paf, Louis meurt en 1316. Pas grave ! Clémence est enceinte, et accouche bientôt du nouveau
roi de France, Jean Ier… le Posthume, parce qu'il meurt quatre jours après.
Du coup, l'héritière du trône devient Jeanne de Navarre, première fille de Louis
et de Marguerite, sauf que les nobles n'en veulent pas, de peur de voir débarquer un
beau prince étranger un jour qui l'épousera histoire de devenir roi de France. Donc on
la déclare bâtarde et on l'évince, ce qu'on justifiera trente ans plus tard par
une loi prétendument très ancienne mais dans les faits flambant neuve, la loi salique
comme quoi la couronne ne peut se transmettre que par les mâles.
C'est donc le frère de Louis X, Philippe V le Long, qui monte sur le trône. Mais paf,
en 1322, rebelote, il meurt sans enfant mâle, et c'est donc Charles IV, le Bel aussi,
qui devient roi… pour mourir sans héritier, lui aussi en 1328.
On dirait presque que les types se sont passés le message...Une situation pas facile facile…
Les nobles se concertent pour trouver un substitut. Ils ont deux solutions, soit Edouard III,
roi d'Angleterre, fils de la fille de Philippe le Bel, Isabelle de France ; soit Philippe
de Valois, fils du frère de Philippe le Bel, Charles de Valois. On finit par choisir Philippe,
qui devient Philippe VI, puisqu'il descend des Capétiens par les mâles, tandis qu'on
se demande si Isabelle de France, elle, peut transmettre un droit à la couronne qu'elle-même
ne peut pas exercer…
en vrai, on veut surtout pas d'un roi étranger sur le trône, comme avec Jeanne de Navarre
qu'on a vu tout à l'heure.
Edouard III l'a donc mauvaise, mais ne moufte pas, même quand il doit venir rendre hommage
à Philippe VI pour son duché de Guyenne :
c'est pas bon pour l'ego, Philippe abuse, mais c'est qu'un mauvais moment à passer.
Sauf que Philippe va trop loin, et histoire d'emmerder son cousin… non seulement il
soutient les nobles écossais rebelles à Edouard, mais en plus, il insiste bien sur
le fait qu'en Guyenne, c'est lui qui a le dernier mot, ce qui a toujours gonflé
les Anglais. Là, c'en est trop : Edouard a bon fond, mais faut pas déconner. Il ressort
ses droits dynastiques, et la guerre éclate le 7 octobre 1337. Et en soi, même pas tellement
pour récupérer le trône, juste pour qu'on arrête de l'emmerder avec la Guyenne !
Pendant plusieurs années, le conflit va donc se limiter aux périphéries des deux royaumes,
Edouard alimentant le conflit de succession de Bretagne, et Philippe les révoltes écossaises.
Mais dès 1339, Edouard lance des chevauchées éclair sur le sol français, en Normandie
principalement, avec une armée limitée mais entraînée, pillant et dévastant d'innombrables
villes et villages à une vitesse fulgurante, au point que les Français ne peuvent que
difficilement les rattraper et encore moins s'en protéger. Mais lors de la chevauchée
anglaise de 1346, qui se rapproche dangereusement de Paris avant de se retirer vers le Nord
dans l'espoir de prendre Calais ou Boulogne Philippe et son armée, bien plus nombreuse
et équipée, parvient à rattraper celle d'Edouard près de Crécy le 26 août 1346.
Sur les hauteurs, les 15 à 20 000 hommes d'Edouard attendent patiemment, tandis qu'en
bas, les 50 000 de Philippe se bousculent un peu pêle-mêle après une longue journée
de marche sous un soleil écrasant. Soudain, c'est l'orage : au premier rang de l'armée
française, des arbalétriers génois qui, contrairement aux archers anglais, ne protègent
pas leurs cordes de la pluie ; derrière eux, la chevalerie, piétinant d'impatience à
l'idée d'en découdre et surtout de rafler des prisonniers rapportant des rançons ; et
à l'arrière, des hommes à pied, épuisés par la marche.
Le combat, qui semblait incertain pour l'Anglais, risque de réserver des surprises aux Français.
Après l'orage, les arbalétriers tentent de tirer, mais leurs cordes mouillées sont
trop tendues : leurs carreaux, mollassons, tombent à seulement quelques mètres tandis
que les arcs bien protégés des Anglais, eux, font des ravages.
Edouard décide également d'utiliser les quelques bouches à feux, des canons, qu'il
avait emportées pour intimider des villes à assiéger : elles ne font pas beaucoup
de dégâts, mais c'est une nouveauté qui sème la panique par le boucan et les flammes
qu'elles produisent, poussant les Génois à battre en retraite.
Gênés par ces piétons, la chevalerie, qui pour le moment se fait cribler de flèches,
finit par massacrer ces mêmes Génois sur ordre du roi, histoire de pouvoir avancer.
Et à l'arrière, un vieux chevalier d'une cinquantaine d'années, aveugle, tandis
qu'on lui décrit la scène, déclare sobrement : « Pauvre commencement. »
Ce chevalier, c'est le fameux Jean Ier, roi de Bohème et comte de Luxembourg, né
en 1296, descendant de Louis VI le Gros, donc lointain cousin du roi de France. Il est le
modèle parfait du roi chevalier. En fait, il est même plus chevalier que roi : la Bohème,
c'est pas lui qui l'administre, mais sa femme. Lui, il y fout jamais les pieds, si
ce n'est pour ramasser un peu d'argent et partir financer de nouvelles expéditions
militaires. Parce que pour ça il est très fort : cavalier accompli, guerrier émérite,
bon stratège, il a combattu en France, en Lituanie, en Italie, en Allemagne, partout,
et ce dès son plus jeune âge, traversant l'Europe à la recherche de la moindre bataille
où faire étalage de son courage et de sa force.
Et en terme de chevalerie, la France, il y a pas mieux : c'en est donc un habitué.
Mais voilà, en jouant à la croisade en Lituanie en 1336 pour convertir le pays au christianisme,
il chope une ophtalmie, rate l'opération, et devient aveugle… C'est pas over pratique
pour combattre. Mais ça ne l'arrête pas pour autant, puisqu'on le retrouve à Crécy,
à 50 ans, en armure, sur son cheval, enchaîné à deux autres chevaliers afin d'être guidé
malgré sa cécité, demandant expressément à être mis en première ligne, entouré
de ses hommes.
Il entame ainsi la charge chaotique des chevaliers français qui veulent à tout prix montrer
à la piétaille ce que c'est de se battre avec honneur et bravoure. Seul avantage, là
où tous sont aveuglés par le soleil que les Anglais, eux, ont dans le dos… lui n'y
voit déjà plus rien. Oui bon...j'essaye d'y voir un peu de positif hein, faut savoir
se contenter de peu.
La fine fleur de la chevalerie charge donc, mais ne parvient pas, dans la mêlée, à
passer les archers anglais bien resserrés à l'abri des haies qui abattent les chevaux
sous les déluges de flèches. Et là où les Français rêvent de faire des prisonniers,
les Anglais s'en foutent totalement : ils sont loin de leurs bases, et rompre les rangs
pour aller aider un chevalier à se relever, c'est risquer de s'en prendre une. On
massacre donc à tout va, jusqu'à la nuit tombée : plus personne ne voit où il tire
ni où il frappe, ce qui est particulièrement vrai pour le vieux Jean qui abat de ses coups
d'épée autant d'amis que d'ennemis.
On imagine alors les deux gars qui l'aide à piloter son cheval en train de gueuler
“À droite Jean bordel, mais non, l'autre droite…”
Bref, c'est là qu'il mourra, entouré de cadavres qu'il a abattus, criblé de
blessures, figurant sur la longue liste des victimes de cette pitoyable journée qui aurait
pu se passer bien autrement si Philippe, qui lui a lâchement fui, avait été un peu plus
stratège. Au moins le vieux Jean, du même âge que le roi de France, n'a pas fui,
lui, et a une vraie mort chevaleresque… ce qui, vous l'avez compris, n'est pas
incompatible avec une mort stupide.
Un des meilleurs moyen pour que vous passiez à la postérité après votre mort, c'est
de vous forger vous même une légende terrifiante, qui se transmettra de génération en génération.
Bon, le soucis c'est que ça risque aussi de vous conduire à une fin brutale. Mais
comme on dit, on a rien sans rien.
Et c'est typiquement ce qui est arrivé à Edward Thatch. Ou Teach. Ca vous dit rien
? Logique, puisque c'est sans doute un nom d'emprunt. En revanche, il est plus connu
pour un fameux attribut physique qui lui a donné son nom - attribut que je peux me vanter
de partager un peu avec lui… vous avez vraiment l'esprit tordu. Je parle de Barbe-Noire,
que vous connaissez forcément au moins de nom. Mais je vous le dis tout de suite, oubliez
Pirates des Caraïbes, Black Sails ou même Assassin's Creed : ce sera moins sanglant,
un peu plus vénal, mais la fin est tout aussi savoureuse.
Nous sommes au début du XVIIIème siècle, âge d'or du capitalisme et du commerce
triangulaire. Jamais il ne s'est fait autant de profit, jamais il n'y eut tant d'écart
entre les simples marins ou paysans et les riches propriétaires et marchands. Beaucoup
de paysans ruinés et dépouillés de leurs terres par leurs créanciers ou leurs seigneurs,
devant une vie de plus en plus dure et chère, s'embarquent comme marins dans la marine
royale ou marchande, faute de mieux, pour y travailler dans des conditions épouvantables,
et pour un salaire peu reluisant.
Tu prends des types désespérés, qui deviennent finalement encore plus désespérés et le
résultat c'est que ça donne c'est des méga desespérés qui rêvent d'un monde
meilleur et d'une existence plus douce : certains murmurent les mots « mutinerie » et « piraterie
», mais peu franchissent le pas pour le moment. Les représailles, même si elles ne sont
pas encore à leur apogée, sont déjà violentes. Beaucoup, dans la marine royale britannique
notamment, se contentent donc de leur situation. Et celle-ci, heureusement, va légèrement
s'améliorer. Enfin, faut voir dans quelle mesure et ce que ça va coûter. Parce que
vous le savez bien, ce qu'on nous prend d'un côté, on nous le reprend de l'autre.
La guerre de Succession d'Espagne explose en 1701, opposant la plupart des monarques
européens, comme la France, l'Espagne, le Saint-Empire, l'Autriche, la Grande Bretagne,