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Histoire d'Europe et du monde: "Nota Bene", Les Elfes : du Moyen Âge à la pop Culture (2)

Les Elfes : du Moyen Âge à la pop Culture (2)

certains de ces êtres sont décrits comme des hommes, il semble que peu à peu, à partir de

la seconde moitié du Moyen âge, le terme elfe, sans doute sous l'influence de l'Église et de

la relecture de la mythologie gréco-latine, ait désigné principalement de belles créatures de

sexe féminin, alors que le mot « nain », associé à l'origine aux elfes, a de son côté peu à peu

renvoyé à des êtres presque exclusivement masculins et disgracieux, voire laids.

Chez Tolkien, les elfes sont dépeints sous des traits plus masculins que féminins. Dans

Le Hobbit (1937), Elrond est le maître de la « Dernière Maison Hospitalière »

de Foncombe alors que le pays des elfes sylvain est dirigé par le roi Thranduil.

Vous savez l'elfe qu'on a envie de baffer là ! Le père de Legolas ! Bref,

a y regarder de plus près on a donc l'impression que Tolkien,

en s'inspirant des récits nordiques et en les détachant de l'imagerie de plus en plus précieuse

des fées, a fortement remasculinisé les elfes. Et pourtant...pourtant !

Pourtant, à bien y regarder, les femmes elfes jouent un grand rôle dans l'univers du Seigneur

des Anneaux. À l'opposé des représentations des femmes elfes dans les mythes anciens, Galadriel,

dame de la Lorien n'est pas décrite comme une créature dangereuse, mais comme une puissance

foncièrement bénéfique aidant les héros dans leur quête. Dans l'univers de Tolkien, le fait que des

femmes elfes soient néfastes devient finalement une sorte de superstition. Boromir par exemple,

qui est déjà en partie corrompu par l'Anneau, affirme que la Lorien est un territoire dont

on ne revient pas indemne et qu'il se méfie de Galadriel. Le nain Gimli affirme aussi « qu'une

enchanteresse vit dans ces bois. Une sorcière elfe, aux terribles pouvoirs. Tous ceux qui

l'ont regardé sont tombés sous son charme. Et on ne les a jamais revus ! ». Et pour le coup,

tout le monde a un peu de mal à le prendre au sérieux. Finalement, si le nain finit par

tomber sous le charme de la dame elfe, c'est grâce à sa bonté. Sans Galadriel offrant une

fiole emplie de lumière à Frodon, nul doute que la quête de l'Anneau aurait été vouée à l'échec.

Cet exemple montre bien à quel point Tolkien a fait évoluer le regard sur les femmes elfes qui

n'incarnent plus désormais un danger, mais une force bénéfique. Cette transformation

est bien représentée par cette image réalisée en 1986 par Angus McBride pour le Jeu de rôle

de la terre du Milieu. Galadriel y est représentée comme une guérisseuse

presque maternelle accueillant au milieu d'un bois idéalisé un blessé qu'elle s'apprête à

soigner. Si l'action de l'illustration se passe en pleine nuit, temps toujours associé aux elfes

au point qu'ils apparaissent très souvent, dans la trilogie de Peter Jackson, dans un

décor nocturne, cette nuit là n'est pas associée aux cauchemars, mais plutôt au repos et au rêve.

On voit donc que Tolkien innove sur ces représentations mais ça ne l'empêche

pas d'utiliser quelques bons clichés pour décrire les elfes ! Par exemple,

ils emploient des arcs, comme dans nombre de textes médiévaux,

et habitent dans des forêts. Il les associe aussi aux îles et au trépas en général.

Quand les elfes, après être partis de la Terre du Milieu, s'en vont en effet vers la grande

île de l'Ouest, Valinor, on peut dire qu'ils quittent l'univers des vivants pour rejoindre

un lieu que l'on peut associer au paradis. La traversé s'effectue depuis les Havres

Gris sur des nefs fabriquées par un elfe, Círdan [PRONONCER KIR-DANE] le Constructeur de Navires,

qui comme Charon (KARON) dans la mythologie gréco-latine, Anubis dans les légendes égyptiennes

ou des navigatrices conduisant Arthur vers Avalon, reprend le rôle de psychopompe [PRONONCER :

psyco - pompe], c'est-à-dire de passeur entre le monde des vivants et celui des trépassés.

Comme dans le texte de Chaucer [CHÔSSEUR], les elfes de la Terre du Milieu sont un peuple

ancien voué à disparaître peu à peu. Mais sous la plume de Tolkien, cette caractéristique prend

une autre dimension. Comme on l'a vu dans d'autres épisodes traitant de la fantasy,

rêver d'un Moyen âge fantasmé est pour Tolkien un outil pour mieux s'échapper à

l'horreur quotidienne de la société industrielle moderne qui défigure le paysage anglais. C'est

encore plus vrai pour lui lorsqu'il est jeté, avec des millions d'autres soldats,

dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. La Chute de Gondolin, le premier texte qu'il ait

jamais écrit se déroulant dans la Terre du Milieu, est marqué par son expérience de la

bataille de la Somme et met en scène une belle cité elfique détruite par une horde d'orques

et de dragons qui renvoient nettement aux armées industrielles de la Grande Guerre. Dans son œuvre,

on peut également interpréter le lent effacement du monde des elfes devant la société des hommes

non pas comme la victoire du christianisme, ce qui était jusqu'alors le cas, mais celle,

terrible pour lui, de la Modernité sur la magie, du rationalisme froid sur le rêve.

Tolkien fait donc évoluer cette figure de l'elfe. Ils deviennent d'un coup les

représentants d'une sorte de nostalgie, d'un peuple ancien et proche de l'extinction.

Une approche qu'on retrouvera dans beaucoup d'autres univers de fantasy par la suite.

D'ailleurs, cette représentation pousse parfois des auteurs américains de fantasy à les associer

avec des peuples premiers ou autochtones qui sont proches de la nature et qui sont chassés par

l'avancée de la colonisation européenne. Les elfes créés par Wendy et Richard Pini en 1978 pour leur

comics Elfquest (Le Pays des elfes en français) ressemblent alors fortement à des Amérindiens,

portent des noms renvoyant à des animaux et vivent en symbiose avec la faune qui

les entoure. On retrouve cette idée avec le portrait que dresse George R. R. Martin

des enfants de la forêt de Game of Thrones. Un peuple qui rappelle fortement les elfes,

utilise une technologie de l'âge de pierre et qui a été presque entièrement chassé de

Westeros par l'arrivée des Premiers hommes qui, eux, maîtrisaient le travail du fer.

D'autres écrivains vont reprendre cette idée d'ancienneté mais lui

ajoutent une dimension négative. Le peuple des Melnibonéens créé en 1961 par l'auteur

britannique Michael Moorcock, s'ils ne sont pas explicitement désignés comme des elfes,

leur ressemblent fortement. Se sont des êtres fins, graciles, manipulant une magie puissante,

ils dominaient jadis le monde depuis leur île où, devenus isolationnistes,

ils vivent désormais reclus dans le raffinement, l'oisiveté et la décadence la plus totale.

Mais le “truc” en plus c'est que ces créatures sont profondément maléfiques ! Les Melnibonéens

sont surtout un moyen pour Moorcock de critiquer les conservateurs anglais qui, en pleine vague de

la Décolonisation, rêvent encore à la gloire passée de l'empire victorien du XIXe siècle.

Brodant à partir de ça, les elfes de certains univers de fantasy seront dépeints soit comme

des impérialistes convaincus, soit comme une élite tyrannique jalouse de ses privilèges.

Dans le jeu de rôle français Pax Elfica sorti en 2020, après avoir aidé des peuples à se libérer

de l'emprise d'une armée de morts-vivants, les elfes venus d'une lointaine forêt se transforment

en force d'occupation et font régner la terreur en utilisant des charmes qui lobotomisent ceux

qui osent se révolter contre eux, situation qui n'est pas sans rappeler l'occupation de

l'Irak par les Etats-Unis entre 2003 et 2011. Pareillement, dans le jeu de rôle Shadowrun,

dont l'action se déroule dans une Amérique futuriste où les créatures merveilleuses ont

réapparus, les elfes ont établi au nord de la Californie une nation construite

sur un racisme structurel leur permettant de monopoliser le pouvoir politique et économique .

Évidemment, il faut pas avoir fait des études de politiques pour comprendre que

c'est une critique de la société américaine où les elfes incarnent

les classes dominantes majoritairement blanches, et ce d'autant plus nettement

que la condition des orques dans cet univers renvoie à celle des Africains-américains.

Créé en 1989, Shadowrun a très certainement inspiré le film Bright sorti en 2017 où,

là encore, les elfes représentent la caste des ultra-riches vivants dans des quartiers

réservés et ultra-sécurisés alors que les orques, eux, sont issus de ghettos renvoyant à ceux des

grandes métropoles américaines où s'entassent les noirs ou les latinos les plus pauvres.

Comme avec Tolkien, ces évolutions n'empêchent pas la fantasy depuis

les années 1970 de reprendre des stéréotypes anciens. Dans beaucoup d'univers de ce genre

littéraire et ludique, les elfes vivent dans des archipels utopiques. L'île forestière

de L'Eternelle rencontre (Evermeet en anglais) des Royaumes oubliées créée pour le jeu de rôle

Donjons & Dragons ou celle d'Ulthuan dans le monde de Warhammer, occupent la même place que Valinor dans le seigneur des anneaux. Elles se situent même toutes à l'ouest du continent principal.

Un truc que l'on peut souligner aussi, c'est que la plupart des univers de fantasy

reprennent des classifications qui rappellent furieusement les glossaires du Moyen ge.

Le monde du jeu de rôle Runequest créé par Greg Stafford sépare par exemple les elfes

en sous-espèce de différentes couleurs qui renvoient à leur lieu d'habitation

respectif : les elfes verts vivent dans les grandes forêts sempervirentes, les

bruns, eux, sont associés aux arbres à feuilles caduques et hibernent, les jaunes, aux jungles,

les noirs aux champignons, les bleus, vivant dans la mer, aux algues, et les rouges aux fougères.

Sauf qu'ici, ce classement n'est pas pensé comme à l'époque médiévale pour tenter de tisser un lien

entre les elfes et la mythologie gréco-latine. En fait c'est surtout pour montrer leur connexions

à la nature et les rapprocher des stéréotypes peuples natifs comme on l'a dit tout à l'heure.

La physiologie des elfes de Runequest est d'ailleurs similaire à celles des plantes : les

elfes bruns naissent ainsi à partir d'une graine et finissent en vieillissant par ressembler à un arbre.

D'une certaine manière, Greg Stafford, marqué par le développement contemporain de la

pensée écologique, pousse la logique de Tolkien à son maximum : à force de renvoyer à une nature

inviolée, les elfes finisse par l'incarner, idée là aussi reprise dans l'univers de Game of Thrones

notamment dans la série télévisée, où les corps des enfants de la forêt paraissent être constitués

de végétaux. Le lien qu'ils entretiennent avec l'environnement fait également écho à nos peurs

contemporaines de voir notre propre planète nous devenir hostile suite à nos excès. Quasiment

exterminés par les humains, les enfants de la forêt finissent par créer les marcheurs blancs

qui, à leur tour, menacent de destruction totale l'ensemble de peuples de Westeros.

Comme au Moyen âge, les elfes de la fantasy sont associés à une féminité et à une sexualité

dangereuse. Les drows [PRONONCER DRO], des elfes maléfiques créés durant les années 1970 et 1980

pour le jeu de rôle Donjons & Dragons, forment ainsi un matriarcat souterrain, foncièrement totalitaire, où les femmes possèdent tout le pouvoir. Ces dernières ont développé une affinité

particulière avec le poison, les araignées et vénèrent une déesse arachnide : Lolth .

Et là on retrouve clairement des angoisses anciennes de la société patriarcale qui associait

les femmes, notamment les sorcières, à l'usage de boissons empoisonnées par exemple. Lier cette

imagerie aux elfes noirs de Donjons & Dragons, permet donc à travers eux de projeter un regard masculin assez ambigu sur la sexualité féminine. En gros, le sexe et les femmes, ça fait peur !

Les femmes drows changent régulièrement de partenaire,

elles les dominent, sont souvent relativement sadiques, et n'hésitent

pas à les sacrifier à leur déesse. Mais en même temps, ces femmes-là fascinent,

ce qui explique que les femmes elfes noires soit l'objet de représentations

hypersexualisées comme le montre la couverture du module Queen of the Spiders paru en 1986.

Le lien entre les elfes et une sexualité considérée comme troublante, voir hors

des normes hétérosexuelles classiques explique aussi qu'on a associé peu à peu ces créatures

à une forme d'androgynie, notamment à cause de leur longue chevelure, caractéristiques

réservée en Occident jusqu'au années 1960 aux femmes, et à leur absence de pilosité. Chez

Tolkien, Círdan [PRONONCER KIR-DANE] est ainsi le seul elfe à avoir une barbe alors que les nains,

peuple essentiellement masculin, sont célèbres pour leur pilosité faciale.

Les Elfes : du Moyen Âge à la pop Culture (2) Elfen: Vom Mittelalter bis zur Popkultur (2) Elves: from the Middle Ages to pop culture (2) Elfos: de la Edad Media a la cultura pop (2) الف ها: از قرون وسطی تا فرهنگ پاپ (2) Gli elfi: dal Medioevo alla cultura pop (2) Elfen: van de middeleeuwen tot de popcultuur (2) Elfy: od średniowiecza do popkultury (2) Elfos: da Idade Média à cultura popular (2) Эльфы: от средневековья до поп-культуры (2) Älvor: från medeltiden till populärkulturen (2) 精灵:从中世纪到流行文化(2)

certains de ces êtres sont décrits comme des  hommes, il semble que peu à peu, à partir de some of these beings are described as men, it seems that little by little, from

la seconde moitié du Moyen âge, le terme elfe,  sans doute sous l'influence de l'Église et de the second half of the Middle Ages, the term elf, no doubt under the influence of the Church and

la relecture de la mythologie gréco-latine, ait  désigné principalement de belles créatures de

sexe féminin, alors que le mot « nain », associé  à l'origine aux elfes, a de son côté peu à peu the female gender, while the word "dwarf", originally associated with elves, has slowly

renvoyé à des êtres presque exclusivement  masculins et disgracieux, voire laids. almost exclusively masculine and unattractive, even ugly.

Chez Tolkien, les elfes sont dépeints sous  des traits plus masculins que féminins. Dans In Tolkien, elves are portrayed as more masculine than feminine. In

Le Hobbit (1937), Elrond est le maître  de la « Dernière Maison Hospitalière » The Hobbit (1937), Elrond is the master of the "Last Hospital House".

de Foncombe alors que le pays des elfes  sylvain est dirigé par le roi Thranduil. of Foncombe, while the land of the sylvan elves is ruled by King Thranduil.

Vous savez l'elfe qu'on a envie de  baffer là ! Le père de Legolas ! Bref, You know the elf we want to slap right now! Legolas' father! Anyway..,

a y regarder de plus près on a  donc l'impression que Tolkien, On closer inspection, one gets the impression that Tolkien..,

en s'inspirant des récits nordiques et en les  détachant de l'imagerie de plus en plus précieuse inspired by Nordic tales and detached from increasingly precious imagery

des fées, a fortement remasculinisé  les elfes. Et pourtant...pourtant ! of fairies, has strongly remasculinized elves. And yet...and yet!

Pourtant, à bien y regarder, les femmes elfes  jouent un grand rôle dans l'univers du Seigneur And yet, on closer inspection, elven women play an important role in the Lord's universe.

des Anneaux. À l'opposé des représentations des  femmes elfes dans les mythes anciens, Galadriel, of the Rings. Galadriel is the opposite of the elven women portrayed in ancient myths,

dame de la Lorien n'est pas décrite comme une  créature dangereuse, mais comme une puissance dame de la Lorien is not described as a dangerous creature, but as a powerhouse.

foncièrement bénéfique aidant les héros dans leur  quête. Dans l'univers de Tolkien, le fait que des the heroes in their quest. In Tolkien's universe, the fact that

femmes elfes soient néfastes devient finalement  une sorte de superstition. Boromir par exemple, elven women to be evil eventually becomes a kind of superstition. Boromir, for example,

qui est déjà en partie corrompu par l'Anneau,  affirme que la Lorien est un territoire dont who is already partly corrupted by the Ring, claims that Lorien is a territory whose

on ne revient pas indemne et qu'il se méfie de  Galadriel. Le nain Gimli affirme aussi « qu'une and to be wary of Galadriel. The dwarf Gimli also asserts that "a

enchanteresse vit dans ces bois. Une sorcière  elfe, aux terribles pouvoirs. Tous ceux qui enchantress lives in these woods. An elven witch with terrible powers. All those who

l'ont regardé sont tombés sous son charme. Et  on ne les a jamais revus ! ». Et pour le coup, looked at him and fell under his spell. And we never saw them again! And for that matter,

tout le monde a un peu de mal à le prendre  au sérieux. Finalement, si le nain finit par everyone has a bit of trouble taking him seriously. Finally, if the dwarf ends up

tomber sous le charme de la dame elfe, c'est  grâce à sa bonté. Sans Galadriel offrant une fall under the elf lady's spell, it's thanks to her kindness. Without Galadriel offering a

fiole emplie de lumière à Frodon, nul doute que  la quête de l'Anneau aurait été vouée à l'échec. light-filled vial to Frodo, there's no doubt that the quest for the Ring would have been doomed to failure.

Cet exemple montre bien à quel point Tolkien a  fait évoluer le regard sur les femmes elfes qui This example shows the extent to which Tolkien has changed the way we look at elven women.

n'incarnent plus désormais un danger, mais  une force bénéfique. Cette transformation no longer represent a danger, but a beneficial force. This transformation

est bien représentée par cette image réalisée  en 1986 par Angus McBride pour le Jeu de rôle is well represented by this image created in 1986 by Angus McBride for the role-playing game

de la terre du Milieu. Galadriel  y est représentée comme une guérisseuse of Middle-earth. Galadriel is depicted as a healer.

presque maternelle accueillant au milieu d'un  bois idéalisé un blessé qu'elle s'apprête à in the middle of an idealized wood, welcoming a wounded man she is about to kill.

soigner. Si l'action de l'illustration se passe  en pleine nuit, temps toujours associé aux elfes heal. If the action of the illustration takes place in the middle of the night, a time always associated with elves

au point qu'ils apparaissent très souvent,  dans la trilogie de Peter Jackson, dans un so much so that they appear very often in Peter Jackson's trilogy in a

décor nocturne, cette nuit là n'est pas associée  aux cauchemars, mais plutôt au repos et au rêve. nocturnal setting, this night is not associated with nightmares, but rather with rest and dreams.

On voit donc que Tolkien innove sur ces  représentations mais ça ne l'empêche We can see that Tolkien innovates in these representations, but that doesn't stop him from

pas d'utiliser quelques bons clichés  pour décrire les elfes ! Par exemple, a few good clichés to describe elves! For example,

ils emploient des arcs, comme  dans nombre de textes médiévaux, they use bows, as in many medieval texts,

et habitent dans des forêts. Il les associe  aussi aux îles et au trépas en général. and live in forests. He also associates them with islands and death in general.

Quand les elfes, après être partis de la Terre  du Milieu, s'en vont en effet vers la grande When the elves, having left Middle-earth, set off towards the great

île de l'Ouest, Valinor, on peut dire qu'ils  quittent l'univers des vivants pour rejoindre West Island, Valinor, you could say they're leaving the world of the living to join

un lieu que l'on peut associer au paradis.  La traversé s'effectue depuis les Havres a place one might associate with paradise. The crossing takes place from Les Havres

Gris sur des nefs fabriquées par un elfe, Círdan  [PRONONCER KIR-DANE] le Constructeur de Navires, Gray on ships built by an elf, Círdan [PRONOUNCER KIR-DANE] the Shipbuilder,

qui comme Charon (KARON) dans la mythologie  gréco-latine, Anubis dans les légendes égyptiennes like Charon (KARON) in Greco-Latin mythology, Anubis in Egyptian legends

ou des navigatrices conduisant Arthur vers Avalon,  reprend le rôle de psychopompe [PRONONCER :

psyco - pompe], c'est-à-dire de passeur entre  le monde des vivants et celui des trépassés.

Comme dans le texte de Chaucer [CHÔSSEUR],  les elfes de la Terre du Milieu sont un peuple

ancien voué à disparaître peu à peu. Mais sous  la plume de Tolkien, cette caractéristique prend

une autre dimension. Comme on l'a vu dans  d'autres épisodes traitant de la fantasy,

rêver d'un Moyen âge fantasmé est pour  Tolkien un outil pour mieux s'échapper à

l'horreur quotidienne de la société industrielle  moderne qui défigure le paysage anglais. C'est

encore plus vrai pour lui lorsqu'il est  jeté, avec des millions d'autres soldats,

dans les tranchées de la Première Guerre mondiale.  La Chute de Gondolin, le premier texte qu'il ait

jamais écrit se déroulant dans la Terre du  Milieu, est marqué par son expérience de la

bataille de la Somme et met en scène une belle  cité elfique détruite par une horde d'orques

et de dragons qui renvoient nettement aux armées  industrielles de la Grande Guerre. Dans son œuvre,

on peut également interpréter le lent effacement  du monde des elfes devant la société des hommes

non pas comme la victoire du christianisme,  ce qui était jusqu'alors le cas, mais celle,

terrible pour lui, de la Modernité sur la  magie, du rationalisme froid sur le rêve.

Tolkien fait donc évoluer cette figure  de l'elfe. Ils deviennent d'un coup les

représentants d'une sorte de nostalgie, d'un  peuple ancien et proche de l'extinction.

Une approche qu'on retrouvera dans beaucoup  d'autres univers de fantasy par la suite.

D'ailleurs, cette représentation pousse parfois  des auteurs américains de fantasy à les associer

avec des peuples premiers ou autochtones qui  sont proches de la nature et qui sont chassés par

l'avancée de la colonisation européenne. Les elfes  créés par Wendy et Richard Pini en 1978 pour leur

comics Elfquest (Le Pays des elfes en français)  ressemblent alors fortement à des Amérindiens,

portent des noms renvoyant à des animaux  et vivent en symbiose avec la faune qui

les entoure. On retrouve cette idée avec  le portrait que dresse George R. R. Martin

des enfants de la forêt de Game of Thrones.  Un peuple qui rappelle fortement les elfes,

utilise une technologie de l'âge de pierre  et qui a été presque entièrement chassé de

Westeros par l'arrivée des Premiers hommes  qui, eux, maîtrisaient le travail du fer. Westeros with the arrival of the First Men, who had mastered ironworking.

D'autres écrivains vont reprendre  cette idée d'ancienneté mais lui Other writers would take up this idea of antiquity, but he

ajoutent une dimension négative. Le peuple  des Melnibonéens créé en 1961 par l'auteur add a negative dimension. The Melnibonean people created in 1961 by the author

britannique Michael Moorcock, s'ils ne sont  pas explicitement désignés comme des elfes, British Michael Moorcock, if they are not explicitly referred to as elves,

leur ressemblent fortement. Se sont des êtres  fins, graciles, manipulant une magie puissante, strongly resemble them. They are slender, graceful beings who wield powerful magic,

ils dominaient jadis le monde depuis  leur île où, devenus isolationnistes, they once dominated the world from their island, where they became isolationists,

ils vivent désormais reclus dans le raffinement,  l'oisiveté et la décadence la plus totale. they now live a life of refinement, idleness and total decadence.

Mais le “truc” en plus c'est que ces créatures  sont profondément maléfiques ! Les Melnibonéens But the "trick" is that these creatures are deeply evil! The Melniboneans

sont surtout un moyen pour Moorcock de critiquer  les conservateurs anglais qui, en pleine vague de are above all a means for Moorcock to criticize the English conservatives who, in the midst of a wave of

la Décolonisation, rêvent encore à la gloire  passée de l'empire victorien du XIXe siècle. Decolonization, are still dreaming of the bygone glory of the Victorian empire of the 19th century.

Brodant à partir de ça, les elfes de certains  univers de fantasy seront dépeints soit comme Embroidering on this, the elves of certain fantasy universes will be depicted as either

des impérialistes convaincus, soit comme une  élite tyrannique jalouse de ses privilèges. imperialists, or as a tyrannical elite jealous of its privileges.

Dans le jeu de rôle français Pax Elfica sorti en  2020, après avoir aidé des peuples à se libérer In the French role-playing game Pax Elfica, released in 2020, after helping peoples to free themselves

de l'emprise d'une armée de morts-vivants, les  elfes venus d'une lointaine forêt se transforment from the grasp of an army of undead, elves from a faraway forest transform themselves

en force d'occupation et font régner la terreur  en utilisant des charmes qui lobotomisent ceux and reign terror by using charms to lobotomize those who have been

qui osent se révolter contre eux, situation  qui n'est pas sans rappeler l'occupation de who dare to revolt against them, a situation not unlike the occupation of

l'Irak par les Etats-Unis entre 2003 et 2011.  Pareillement, dans le jeu de rôle Shadowrun,

dont l'action se déroule dans une Amérique  futuriste où les créatures merveilleuses ont

réapparus, les elfes ont établi au nord  de la Californie une nation construite

sur un racisme structurel leur permettant de  monopoliser le pouvoir politique et économique .

Évidemment, il faut pas avoir fait des  études de politiques pour comprendre que

c'est une critique de la société  américaine où les elfes incarnent

les classes dominantes majoritairement  blanches, et ce d'autant plus nettement

que la condition des orques dans cet univers  renvoie à celle des Africains-américains.

Créé en 1989, Shadowrun a très certainement  inspiré le film Bright sorti en 2017 où,

là encore, les elfes représentent la caste  des ultra-riches vivants dans des quartiers

réservés et ultra-sécurisés alors que les orques,  eux, sont issus de ghettos renvoyant à ceux des

grandes métropoles américaines où s'entassent  les noirs ou les latinos les plus pauvres.

Comme avec Tolkien, ces évolutions  n'empêchent pas la fantasy depuis

les années 1970 de reprendre des stéréotypes  anciens. Dans beaucoup d'univers de ce genre

littéraire et ludique, les elfes vivent dans  des archipels utopiques. L'île forestière

de L'Eternelle rencontre (Evermeet en anglais)  des Royaumes oubliées créée pour le jeu de rôle

Donjons & Dragons ou celle d'Ulthuan dans le monde  de Warhammer, occupent la même place que Valinor dans le seigneur des anneaux. Elles se situent  même toutes à l'ouest du continent principal.

Un truc que l'on peut souligner aussi,  c'est que la plupart des univers de fantasy

reprennent des classifications qui rappellent  furieusement les glossaires du Moyen ge.

Le monde du jeu de rôle Runequest créé par  Greg Stafford sépare par exemple les elfes

en sous-espèce de différentes couleurs  qui renvoient à leur lieu d'habitation

respectif : les elfes verts vivent dans  les grandes forêts sempervirentes, les

bruns, eux, sont associés aux arbres à feuilles  caduques et hibernent, les jaunes, aux jungles,

les noirs aux champignons, les bleus, vivant dans  la mer, aux algues, et les rouges aux fougères.

Sauf qu'ici, ce classement n'est pas pensé comme  à l'époque médiévale pour tenter de tisser un lien

entre les elfes et la mythologie gréco-latine. En  fait c'est surtout pour montrer leur connexions

à la nature et les rapprocher des stéréotypes  peuples natifs comme on l'a dit tout à l'heure.

La physiologie des elfes de Runequest est  d'ailleurs similaire à celles des plantes : les

elfes bruns naissent ainsi à partir d'une graine  et finissent en vieillissant par ressembler à un arbre.

D'une certaine manière, Greg Stafford,  marqué par le développement contemporain de la

pensée écologique, pousse la logique de Tolkien  à son maximum : à force de renvoyer à une nature

inviolée, les elfes finisse par l'incarner, idée  là aussi reprise dans l'univers de Game of Thrones

notamment dans la série télévisée, où les corps  des enfants de la forêt paraissent être constitués

de végétaux. Le lien qu'ils entretiennent avec  l'environnement fait également écho à nos peurs

contemporaines de voir notre propre planète nous  devenir hostile suite à nos excès. Quasiment

exterminés par les humains, les enfants de la  forêt finissent par créer les marcheurs blancs

qui, à leur tour, menacent de destruction  totale l'ensemble de peuples de Westeros.

Comme au Moyen âge, les elfes de la fantasy  sont associés à une féminité et à une sexualité

dangereuse. Les drows [PRONONCER DRO], des elfes  maléfiques créés durant les années 1970 et 1980

pour le jeu de rôle Donjons & Dragons, forment  ainsi un matriarcat souterrain, foncièrement totalitaire, où les femmes possèdent tout le  pouvoir. Ces dernières ont développé une affinité

particulière avec le poison, les araignées  et vénèrent une déesse arachnide : Lolth .

Et là on retrouve clairement des angoisses  anciennes de la société patriarcale qui associait

les femmes, notamment les sorcières, à l'usage  de boissons empoisonnées par exemple. Lier cette

imagerie aux elfes noirs de Donjons & Dragons,  permet donc à travers eux de projeter un regard masculin assez ambigu sur la sexualité féminine.  En gros, le sexe et les femmes, ça fait peur !

Les femmes drows changent  régulièrement de partenaire,

elles les dominent, sont souvent  relativement sadiques, et n'hésitent

pas à les sacrifier à leur déesse. Mais  en même temps, ces femmes-là fascinent,

ce qui explique que les femmes elfes  noires soit l'objet de représentations

hypersexualisées comme le montre la couverture  du module Queen of the Spiders paru en 1986.

Le lien entre les elfes et une sexualité  considérée comme troublante, voir hors

des normes hétérosexuelles classiques explique  aussi qu'on a associé peu à peu ces créatures

à une forme d'androgynie, notamment à cause  de leur longue chevelure, caractéristiques

réservée en Occident jusqu'au années 1960 aux  femmes, et à leur absence de pilosité. Chez

Tolkien, Círdan [PRONONCER KIR-DANE] est ainsi le  seul elfe à avoir une barbe alors que les nains,

peuple essentiellement masculin, sont  célèbres pour leur pilosité faciale.