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Histoire d'Europe et du monde: "Nota Bene", Le pillage du Palais d'été : l'événement le plus traumatisant de l'Histoire chinoise ?

Le pillage du Palais d'été : l'événement le plus traumatisant de l'Histoire chinoise ?

Mes chers camarades bien le bonjour ! Aujourd'hui nous allons parler d'un lieu emblématique

en Chine, après la Cité interdite et la grande muraille de Chine, je vous propose

d'en savoir plus sur le Palais d'Été et son pillage par les occidentaux. Et vous allez

le voir, le sujet est chaud bouillant encore aujourd'hui.

Tous les Pékinois le connaissent : avec ses jardins et ses immenses plans d'eau, le

Palais d'Été permet de respirer un bon bol d'air frais à 20 kilomètres à l'ouest

de la capitale. C'est un lieu romantique et en hiver, on peut y déguster d'excellentes

friandises typiquement pékinoises, des jujubiers au sucre vendus en brochettes, les tang hulu.

Bon, après on est pas là pour parler de bouffe, même si c'est sympa, mais bien

d'un lieu de mémoire auquel tous les Chinois sont attachés et que peu d'Occidentaux

connaissent. Bizarrement, parce qu'on a quand même totalement déglingué le Palais

d'Été et ça a créé quelques tensions...il y a même deux événements récents qui ont

défrayé la chronique et rappelé les Occidentaux au souvenir de ce lieu.

Le premier événement notable, c'est lorsque Xi Jinping, le Président chinois, s'est

rendu en 2019 à Athènes et a publiquement soutenu les demandes grecques de restitution

des frises du Parthénon qui depuis deux siècles se trouvent au British Museum à Londres.

Alors on pourrait se dire. Pourquoi la Chine vient-elle s'intéresser à ça ? Ça ne

les concerne pas trop ? Et bah si on gratte un peu, peut-être qu'il y a une raison

! En se penchant sur la question, on découvre que Thomas Bruce (1766-1841) 7° Comte d'Elgin puis son fils James Bruce (1811-1863) 8° Comte d'Elgin se sont tristement distingués

dans l'arrachage, pour le premier, des frises du Parthénon sur l'Acropole tandis que

le second a organisé aux côtés des Français le sac du Palais d'Été, en 1860.

Tel père, tel fils comme on dit ! Mais du coup les deux anglais ont laissé une empreinte

assez douloureuse tant en Grèce qu'en Chine. Au point où le nom même de cette famille

de la haute aristocratie anglaise est à l'origine d'un néologisme - « To elginism », qui

veut dire en anglais celui qui s'empare ou détruit sauvagement le bien patrimonial

d'autrui. Deuxième événement, plus proche de nous

c'est-à-dire en France, c'est la vente de la collection Bergé en 2009, plus particulièrement

celle de deux têtes en bronze ayant appartenu au Palais d'Eté et qui a provoqué en Chine

un véritable émoi. En gros, nombre d'internautes chinois, ayant eu vent de cette vente se sont

interrogés : pourquoi nous Chinois devrions nous racheter des biens patrimoniaux qui nous

ont été pillés ? L'affaire qui allait s'envenimer, a été réglée par le milliardaire

François-Henri Pinault qui en a fait cadeau au gouvernement chinois. Il faut dire que

le propriétaire de la prestigieuse maison de vente aux enchères Christie's rêvait

pour celle-ci d'accéder au marché chinois. Et miracle, quelques mois seulement après

ce geste généreux, Christie's ouvrait son premier bureau en Chine. Ces têtes en

bronze offertes par le milliardaire français trônent aujourd'hui tels deux trophées

au musée Poly de la capitale, du nom d'une maison de ventes aux enchères dont l'une

des missions, est de racheter le patrimoine chinois où qu'il soit à l'étranger

».

. Le Palais d'Été et les objets qui proviennent

de ce lieu, on l'aura compris, est un lieu émotionnellement très chargé pour les Chinois

parce que sa destruction coïncide avec une période très noire de leur histoire. Mais

avant d'y venir, je vous propose d'en apprendre un peu plus sur le sujet car de

ces monuments que l'empereur Qianlong au XVIII° siècle avait fait construire, il

ne reste aujourd'hui que des ruines. Question numéro 1 : c'est quoi le palais

d'été et pourquoi le construire ? Lorsque la Cour décide d'aménager ce vaste

espace dans la périphérie proche de la capitale impériale au XVIIIe siècle, elle le voudra

grandiose. Yuanmingyuan sera son nom, en chinois. Il s'étend sur une superficie qui équivaut

à Central Park de New York. On y construit plusieurs dizaines de temples et de lieux

de résidence avec leurs scènes d'opéra pour les gens de la Cour. C'est d'ailleurs

à cette époque que le fameux Opéra de Pékin et ses principaux répertoires tels qu'on

les joue encore aujourd'hui ont été inventés. Ces monuments étaient en bois, en tuile et

beaucoup plus rarement en pierre, à l'exception notable de l'un d'eux et nous y reviendrons

qui fut, ni plus ni moins, une copie du château de Versailles…

La FRANCE !!! Si les souverains d'alors choisissent ce

lieu, c'est d'abord pour échapper aux pesanteurs protocolaires de la Cité Interdite.

Mais précisons une chose qui a de son importance : ceux qui sont à la tête de cette énorme

machine bureaucratique qu'est l'Etat impérial chinois ne parlent pas chinois-la langue des

Han, Ce sont des Mandchous. Ils ont conquis, depuis le nord-est, l'ensemble de la Chine

en 1644 et fondé une dynastie, celle des Qing. Et ils vont embrasser totalement la

culture des Hans et devenir parfaitement sinophones, tout en restant attachés à leur culture

et langue d'origine. Une dynastie qui restera au pouvoir jusqu'en 1911.

Ces souverains mandchous cultivent avec une certaine nostalgie l'univers des steppes

qui leur est en fait beaucoup plus familier. Ils aiment la nature, pratiquent l'art de

la fauconnerie et montent à cheval. Choisir le palais d'été leur offre un cadre de

vie plus libre qu'à la capitale. Il s'agit aussi d'échapper aux fortes chaleurs de

l'été. Et le Palais d'Été est une étape obligée avant de se rendre plus au nord à

Chengde ou à Moukden , situé dans leur pays natal, la Mandchourie. Ils y ont érigé aussi

de vastes monuments à la gloire des victoires remportées contre les tribus kazakhes qui

menaçaient l'empire et aiment à s'y recueillir. Ces derniers sont encore visibles

de nos jours et ils sont très spectaculaires. Très pieux, les souverains mandchous restent

fidèles à la religion de leurs ancêtres, le chamanisme. Mais ils vénèrent tout particulièrement

la religion bouddhiste et plus particulièrement celle que pratique les Mongols et les Tibétains,

le lamaïsme. Beaucoup de croquis réalisés à la demande de l'empereur Qianlong[tchiène

longueu] peuvent d'ailleurs témoigner de cette influence religieuse.

Regardez ce « Pavillon de la Paix et de l'harmonie universelles » (Wanfang anhe) : son plan

épouse la forme des svastikas, ou croix gammées bouddhistes, lesquelles arboraient également

les costumes de cérémonie des membres de la Cour. La période à laquelle est aménagé

le palais d'été est l'une des plus riches de l'histoire impériale chinoise. Elle

correspond à l'apogée de la puissance impériale de la Chine. Son territoire est

alors immense : non seulement il recoupe toute une partie de la Sibérie, mais aussi l'Asie

centrale et l'Himalaya. La Chine de cette époque est alors très

cosmopolite, elle est marquée par l'existence d'une société à la fois pluriethnique

et multiconfessionnelle. Jusqu'au début du XX° siècle, il y avait pour la seule

ville de Pékin des milliers de temples, de monastères y compris des mosquées et quoi

que construites plus tardivement, des églises. Au point où les empereurs mandchous ont accueilli

volontiers à la Cour des missionnaires de très lointaine origine étrangère. Et tout

particulièrement, les Jésuites qui vont laisser une trace durable dans l'histoire

des relations entre la Chine et l'Europe. Les jésuites ne sont pas les premiers catholiques

à se rendre en Chine. Des Franciscains les ont précédés au Moyen ge et ils ont emprunté,

avant eux, les fameuses Routes de la soie. Mais les Jésuites sont d'un autre tonneau

on va dire ! Ils appartiennent à la Contre-Réforme !

Leur mission est “simple” de convertir l'élite des pays abordés à la foi catholique

par la ruse et l'intelligence mais aussi par la culture. Leur propre culture évidemment

mais aussi celle des peuples qu'ils entendent convertir. Être Jésuite aux XVII° et XVIII°

siècles revient à faire partie de la crème des crèmes. Être « number one » quoi !

La formation d'un Jésuite, c'est de la théologie bien sûr mais aussi l'apprentissage

en plus d'une maîtrise parfaite du latin, des langues étrangères, des mathématiques,

et de l'astronomie à très haute dose…Un comble quand on sait que l'Eglise envoie

à la même époque un Kepler au bûcher, accusé d'hérésie. Sauf que les Jésuites

sont un corps d'élite. C'est le nouveau fer de lance de la diplomatie de la Papauté.

Ils doivent tout savoir, y compris la science que l'on met officiellement de côté, et

ils s'y emploient par tous les moyens. Le premier de ces missionnaires jésuites à

fouler le sol chinois est Matteo Ricci (1552-1610). Il apprend le chinois, mieux que personne,

et tel James Bond est propulsé à la Cour. Son but : convertir l'empereur au catholicisme.

Avec une idée derrière la tête : si l'empereur se convertit, le peuple se convertira à son

tour. Et s'il réussit, ça sera le jackpot pour le catholicisme !

En réalité, les empereurs de Chine qui se succèdent se soucient assez peu du catholicisme

en tant que tel. Ce qui les intéresse, ce sont les connaissances de ces étrangers dans

le domaine de l'astronomie et des mathématiques. On les tolère et bien davantage encore car

Ricci est bientôt rejoint par d'autres de ses pairs. Ils sont pour beaucoup Italiens

au départ. Ils seront pour une grande partie d'entre eux Français à partir du XVIII°

siècle. Détail qui a de l'importance car ce sont alors les Jésuites qui fournissent

à la Cour de France un très grand nombre d'informations sur la Chine. D'ailleurs,

toute la Cour de Versailles est en ébullition dès qu'il s'agit de parler de choses

se rapportant à la Chine. Le mobilier, l'esthétique des jardins, la pensée d'un Voltaire, la

peinture d'un Boucher… Tout aristocrate de bon goût doit s'intéresser à ces « chinoiseries

», lesquelles connaissent une gain d'intérêt sans égal à travers toute l'Europe des

Lumières.

En gros tout le monde est sinophile, c'est à dire passionné de Chine. Et de leur côté,

les empereurs mandchous sont aussi assez sensibles à l'exotisme européen. On se passionne

pour les horloges, les verres et les miroirs, qu'on importe à prix d'or depuis le port

de Canton, plus au Sud. On se passionne aussi pour cette peinture nouvelle que ces étrangers

introduisent. Faut dire que c'est assez bizarre parce que cette peinture est à l'huile

et en plus on utilise comme support un châssis. Ce qu'on a jamais vu en Chine !

L'un des peintres européens invité par la Cour de Chine, Giuseppe Castiglione (1688-1766)

se voit commander le portrait de l'empereur Qianlong lui-même. C'est moins le souverain

qu'un homme qu'il peint et cette petite révolution esthétique n'est pas la seule.

Regardez ces chevaux que Castiglione peint à l'européenne sur fond de paysage chinois

avec des effets de perspective qu'aucun lettré chinois n'avait jusqu'alors réalisé…Voyez

cette gravure du palais européen de Yuanmingyuan. C'est aussi l'œuvre de Castiglione, lequel

fait aménager des jardins et des fontaines à la française dans ce qui s'apparente

à un goût assez proche du Rococo. Et pourtant, aussi paradoxal que cela puisse

paraître, ce palais à l'européenne ainsi que les autres temples et monuments du palais

d'été vont être détruits avec rage par les franco-britanniques, en 1860. Et là vous

devez vous poser la question du...Pourquoi ?!

Vous le savez bien, les temps changent. Tout le temps, à tous points de vue. Et cette

belle relation franco-chinoise va vite prendre du plomb dans l'aile !

Après la disparition de Qianlong, en 1799, l'empire connaît une phase de déclin.

Elle est irréversible. Première puissance économique du monde encore au XVIII° siècle,

la Chine va devenir l'un des pays les plus misérables de la planète. Et pour cause,

la Chine connaît une explosion démographique sans précédent. Un autre problème vient

se greffer là-dessus : les élites sont incapables de comprendre que de l'autre côté de l'Eurasie,

deux puissances majeures ont émergé, ce qui va se retourner contre eux.

Ces puissances, c'est la Grande-Bretagne et la France. Et elles ont faim, très faim.

Poussées par leur Révolution industrielle, elles se sont mises en quête de débouchés.

Depuis Le Devisement du monde écrit dans sa prison à Gênes par Marco Polo, au XIII°

siècle, la Chine leur apparaît comme un eldorado. A cause d'enjeux divergents et

compétition acharnée aussi, les premières guerres sino-européennes éclatent en 1839.

La Chine les perd toutes et avec elles des territoires sur lesquels elle exerçait son

pouvoir. Le pays est obligé de faire des concessions internationales à Shanghai notamment.

Hong-Kong devient une colonie pour la Grande Bretagne et la colonisation du Vietnam par

la France est amorcé alors Pékin entretenait des relations de suzerain à vassal avec cette

région. Ces trois événements ne sont que quelques

exemples d'une longue liste qui, pour la Chine, est synonyme d'humiliations et d'appauvrissement

très durement ressentis. Ces guerres sont appelées les guerres de

l'opium, parce que les puissances étrangères forcent la Chine à s'ouvrir au commerce

européen et à l'importation de l'opium sur le territoire chinois. Tout une économie

de la drogue se met alors en place et fait un lent travail de sape discréditant chaque

année davantage le pouvoir mandchou. Nombre de révoltes éclatent dans les provinces.

La plus importante est celle des Taiping [Thaï Bingueu] (1851-1864), j'avais d'ailleurs

fait un épisode à ce propos que je vous invite à voir. Elle provoquera la mort de

20 millions de personnes. C'est dans ce contexte que les Européens décident de s'attaquer

à l'un des plus beaux symboles de l'empire, le palais d'été. Les soldats occidentaux

se livrent à un pillage important durant cette guerre et aucun Européen ne juge bon

de critiquer cette débauche de destructions et de pillages. A l'exception notable de

l'écrivain Victor Hugo qui, ne perdant pas une occasion pour dénoncer Napoléon

III qu'il déteste par-dessus tout, écrit ceci, depuis son exil politique aux îles

anglo-normandes, et un an après les faits :

« Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l'expédition de Chine. Il y avait, dans

un coin du monde, une merveille. Cette merveille s'appelait le Palais d'Été. Il avait

fallu, pour le créer, le long travail de deux générations. On disait le Parthénon

en Grèce, les Pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d'Été

en Orient. Cette merveille a disparu. Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d'Été.

L'un a pillé, l'autre a incendié. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies

n'égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l'Orient. Il n'y avait pas seulement

là des chefs d'œuvres d'art, il y avait un entassement d'orfèvreries. L'un des

deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l'autre a empli ses coffres. Telle

est l'histoire des deux bandits. Devant l'Histoire, l'un des deux bandits s'appellera

la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. L'Empire français a empoché la moitié

de cette victoire et il étale aujourd'hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire,

le splendide bric-à-brac du Palais d'été. J'espère qu'un jour viendra où la France,

délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée ».

Ce qu'on peut dire c'est que cette déclaration n'est pas tombée dans l'oreille d'un

sourd. En fait, depuis 1949 et la naissance de la République populaire de Chine, tous

les écoliers chinois sont tenus de connaître ce texte de Hugo (prononcer Ou Go), et tout

le monde en Chine connaît depuis cette date au moins un écrivain français !

Quoi qu'il en soit, à peine quelques mois après le pillage du Palais d'Été, nombre

d'objets des collections impériales se trouvent vendus en toute impunité sur les

marchés des ventes aux enchères, notamment à Drouot, le principal hôtel des ventes

de Paris. Des catalogues le prouvent et font état de dizaines de milliers d'objets : des

rouleaux calligraphiés, des paravents, des jade, des bronze, des bibelots alliant corail,

bois de camphrier ou porcelaines fabriquées à grand prix dans la manufacture impériale

de Jingdezhen… On dit alors que la France serait le pays

d'Europe où se trouveraient le plus grand nombre d'objets chinois appartenant à des

collections privées. Si vous allez voir sur les étagères de grand' mamie ou grand

papi, vous y verrez peut-être l'un de ces bleus-blancs de Chine rapporté en catimini

par l'un de leurs ancêtres… Même les têtes couronnées s'y mettent

: l'impératrice Eugénie – l'épouse de Napoléon III – raffole de porcelaines

chinoises qu'elle intègre aux collections impériales de Fontainebleau. Elles y sont

encore à ce jour. Enfin pas toutes car certaines de ces pièces ont mystérieusement disparu

lors d'un vol commis en 2015. Peut être une vengeance symbolique comme semble l'annoncer

d'une manière prémonitoire Chinese Zodiac, un blockbuster réalisé trois ans plus tôt

par l'acteur Jackie Chan. Ou alors c'est juste un vol crapuleux parce

que les prix des porcelaines et du patrimoine chinois en général ont littéralement explosé

depuis ces dernières années. Ce qui est aussi vraisemblable ! La destruction du palais

d'été en annonce d'autres. Durant toute la seconde moitié du XX° siècle et même

au-delà, les étrangers se livrent à des pillages sans nom sur les sites bouddhistes

des Routes de la soie notamment avec le siège de Pékin en 1900, lors de la révolte des

Boxers. Londres, Paris, Berlin voire Saint Pétersbourg et Tokyo exigent chacun leur

part du gâteau. Ces prédations se font toujours au nom de la connaissance et de la civilisation,

ce qui peut à juste titre prêter ironiquement à sourire.

Mais une fois qu'on a dit ça, on a pas tout dit. Parce qu'il faut absolument recontextualiser

ces actions et ne pas trop les regarder avec notre œil du XXIe siècle !

La conscience patrimoniale, le fait d'accorder de la valeur à tel ou tel édifice, tel ou

tel objet, est un fait tardif qui ne prend véritablement corps dans l'histoire européenne

qu'à partir du XVIII° siècle. Et encore, assez bien timidement, avouons-le ! C'est

l'abbé Grégoire qui en France est le premier à dénoncer les destructions de la Révolution

française. Quatremère de Quincy lui, à l'époque des campagnes napoléoniennes,

s'insurge contre l'arrachage des statues de Rome par les armées françaises pour les

livrer au Louvre devenu musée. Mais en Chine ? Qu'en est-il ? La conscience patrimoniale

existe mais elle prend en compte d'abord et avant tout les calligraphies et les peintures

mais aussi les bronzes. On les admire entre seuls connaisseurs et lettrés, dans des espaces

qui leurs sont exclusivement réservés. Les premiers musées nationaux, eux, ne voient

le jour en Chine qu'à partir de 1912, sous la première République.

En revanche, on attache beaucoup moins d'importance aux monuments ! Et certainement pas en cette

fin de XIX° siècle où les Chinois de l'empire sont plongés en pleine crise et ont carrément

d'autres chats à fouetter ! Cet intérêt pour le palais d'été et

ses monuments disparus n'apparaîtra finalement que bien plus tard, au début des années

1980. L'université de Pékin n'est pas très loin du palais d'été, et c'est un lieu d'échanges intellectuels importants. De nombreux artistes et marginaux s'y intéressent

alors et ce n'est que plus tard que le pouvoir en a fait le point de cristallisation de toutes

les passions nationalistes. Et les tensions que l'Occident connaît aujourd'hui avec

la Chine n'y sont bien sûr pas étrangères. Les débats sont alors houleux : faut-il ou

non reconstruire le palais d'été? Xi Jinping tranche la question au début d'année 2021

: il restera à l'état de ruines comme preuve des meurtrissures nationales subies.

Ces débats en occultent en revanche bien d'autres : on ne dit rien soit par tabou

soit parce que l'on juge le sujet trop sensible sur la révolution industrielle qui a fait

en Chine des dégâts considérables sur le patrimoine. Sans compter les innombrables

crises politiques dont la Révolution culturelle (1966-76) qui compte parmi les plus violentes

et qui a détruit à jamais d'innombrables trésors du passé. La présence souvent contestable

de ces objets en Europe leur aura permis d'échapper toutefois, en Chine même, aux destructions

pendant la révolution culturelle Mais on ne refera pas l'histoire hein ! Et

surtout pas des pays comme la France, qui en ce qui concerne leurs collections nationales,

mettent en avant le fait que leur patrimoine est de toute façon inaliénable. Ce qui veut

dire que ces objets chinois ne peuvent pas être restitués à la Chine, tout simplement

! Maintenant vous comprenez pourquoi le sujet est encore un peu chaud ! Aussi paradoxal

que cela puisse paraître, et alors que l'Etat chinois pourrait pour ses musées nationaux

aisément se doter de collections européennes, il n'existe pas un seul musée de statut

national consacré aux arts européens sur le territoire chinois. Mise à part quelques

collections privées, aucune chance que vous ne voyiez donc à Pékin ou à Shanghai, dans

un musée national, un buste grec ou une commode Louis XV. Pas plus que de l'art africain

d'ailleurs même si c'est un autre sujet… On l'aura donc compris, le sac du palais

d'été est un traumatisme national et la cristallisation des attentions chinoises sur

ce lieu de mémoire est révélatrice d'un passé qui ne passe pas dans les rapports

historiques qui opposent depuis le XIX° siècle la Chine à l'Occident

Voilà les amis, j'espère que cet épisode vous a plu ! Merci au sinologue Emmanuel Lincot,

spécialiste de l'Histoire politique et artistique de la Chine contemporaine, pour

m'avoir épaulé sur ce script et merci à Tianci Media, notre partenaire pour cette

série sur l'Histoire de la Chine. On compte sur vos partages bien évidemment ! A très

vite pour de nouvelles vidéos.

Le pillage du Palais d'été : l'événement le plus traumatisant de l'Histoire chinoise ? Die Plünderung des Sommerpalastes: Das traumatischste Ereignis in der chinesischen Geschichte? The looting of the Summer Palace: the most traumatic event in Chinese history? El saqueo del Palacio de Verano: ¿el acontecimiento más traumático de la historia china? غارت کاخ تابستانی: آسیب زاترین رویداد در تاریخ چین؟ 頤和園略奪:中国史上最もトラウマ的な出来事? De plundering van het Zomerpaleis: de meest traumatische gebeurtenis in de Chinese geschiedenis? O saque do Palácio de verão: o acontecimento mais traumático da história chinesa? Разграбление Летнего дворца: самое травматичное событие в истории Китая? Plundringen av Sommarpalatset: den mest traumatiska händelsen i Kinas historia? Yazlık Saray'ın yağmalanması: Çin tarihinin en travmatik olayı mı? 颐和园遭劫:中国历史上最惨痛的事件? 圓明園被掠奪:中國史上最慘痛的事件?

Mes chers camarades bien le bonjour ! Aujourd'hui nous allons parler d'un lieu emblématique Greetings, dear friends! Today we're going to talk about an emblematic place

en Chine, après la Cité interdite et la grande muraille de Chine, je vous propose in China, after the Forbidden City and the Great Wall of China, I offer you

d'en savoir plus sur le Palais d'Été et son pillage par les occidentaux. Et vous allez find out more about the Summer Palace and its looting by Westerners. And you'll

le voir, le sujet est chaud bouillant encore aujourd'hui. As you can see, the subject is still hotly debated today.

Tous les Pékinois le connaissent : avec ses jardins et ses immenses plans d'eau, le

Palais d'Été permet de respirer un bon bol d'air frais à 20 kilomètres à l'ouest

de la capitale. C'est un lieu romantique et en hiver, on peut y déguster d'excellentes

friandises typiquement pékinoises, des jujubiers au sucre vendus en brochettes, les tang hulu.

Bon, après on est pas là pour parler de bouffe, même si c'est sympa, mais bien

d'un lieu de mémoire auquel tous les Chinois sont attachés et que peu d'Occidentaux

connaissent. Bizarrement, parce qu'on a quand même totalement déglingué le Palais

d'Été et ça a créé quelques tensions...il y a même deux événements récents qui ont

défrayé la chronique et rappelé les Occidentaux au souvenir de ce lieu.

Le premier événement notable, c'est lorsque Xi Jinping, le Président chinois, s'est

rendu en 2019 à Athènes et a publiquement soutenu les demandes grecques de restitution

des frises du Parthénon qui depuis deux siècles se trouvent au British Museum à Londres.

Alors on pourrait se dire. Pourquoi la Chine vient-elle s'intéresser à ça ? Ça ne

les concerne pas trop ? Et bah si on gratte un peu, peut-être qu'il y a une raison

! En se penchant sur la question, on découvre que Thomas Bruce (1766-1841) 7° Comte d'Elgin puis son fils James Bruce (1811-1863) 8° Comte d'Elgin se sont tristement distingués

dans l'arrachage, pour le premier, des frises du Parthénon sur l'Acropole tandis que

le second a organisé aux côtés des Français le sac du Palais d'Été, en 1860.

Tel père, tel fils comme on dit ! Mais du coup les deux anglais ont laissé une empreinte

assez douloureuse tant en Grèce qu'en Chine. Au point où le nom même de cette famille

de la haute aristocratie anglaise est à l'origine d'un néologisme - « To elginism », qui

veut dire en anglais celui qui s'empare ou détruit sauvagement le bien patrimonial

d'autrui. Deuxième événement, plus proche de nous

c'est-à-dire en France, c'est la vente de la collection Bergé en 2009, plus particulièrement

celle de deux têtes en bronze ayant appartenu au Palais d'Eté et qui a provoqué en Chine

un véritable émoi. En gros, nombre d'internautes chinois, ayant eu vent de cette vente se sont

interrogés : pourquoi nous Chinois devrions nous racheter des biens patrimoniaux qui nous

ont été pillés ? L'affaire qui allait s'envenimer, a été réglée par le milliardaire

François-Henri Pinault qui en a fait cadeau au gouvernement chinois. Il faut dire que

le propriétaire de la prestigieuse maison de vente aux enchères Christie's rêvait

pour celle-ci d'accéder au marché chinois. Et miracle, quelques mois seulement après

ce geste généreux, Christie's ouvrait son premier bureau en Chine. Ces têtes en

bronze offertes par le milliardaire français trônent aujourd'hui tels deux trophées

au musée Poly de la capitale, du nom d'une maison de ventes aux enchères dont l'une

des missions, est de racheter le patrimoine chinois où qu'il soit à l'étranger

».

. Le Palais d'Été et les objets qui proviennent

de ce lieu, on l'aura compris, est un lieu émotionnellement très chargé pour les Chinois

parce que sa destruction coïncide avec une période très noire de leur histoire. Mais

avant d'y venir, je vous propose d'en apprendre un peu plus sur le sujet car de

ces monuments que l'empereur Qianlong au XVIII° siècle avait fait construire, il

ne reste aujourd'hui que des ruines. Question numéro 1 : c'est quoi le palais

d'été et pourquoi le construire ? Lorsque la Cour décide d'aménager ce vaste

espace dans la périphérie proche de la capitale impériale au XVIIIe siècle, elle le voudra

grandiose. Yuanmingyuan sera son nom, en chinois. Il s'étend sur une superficie qui équivaut

à Central Park de New York. On y construit plusieurs dizaines de temples et de lieux

de résidence avec leurs scènes d'opéra pour les gens de la Cour. C'est d'ailleurs

à cette époque que le fameux Opéra de Pékin et ses principaux répertoires tels qu'on

les joue encore aujourd'hui ont été inventés. Ces monuments étaient en bois, en tuile et

beaucoup plus rarement en pierre, à l'exception notable de l'un d'eux et nous y reviendrons

qui fut, ni plus ni moins, une copie du château de Versailles…

La FRANCE !!! Si les souverains d'alors choisissent ce

lieu, c'est d'abord pour échapper aux pesanteurs protocolaires de la Cité Interdite.

Mais précisons une chose qui a de son importance : ceux qui sont à la tête de cette énorme

machine bureaucratique qu'est l'Etat impérial chinois ne parlent pas chinois-la langue des

Han, Ce sont des Mandchous. Ils ont conquis, depuis le nord-est, l'ensemble de la Chine

en 1644 et fondé une dynastie, celle des Qing. Et ils vont embrasser totalement la

culture des Hans et devenir parfaitement sinophones, tout en restant attachés à leur culture

et langue d'origine. Une dynastie qui restera au pouvoir jusqu'en 1911.

Ces souverains mandchous cultivent avec une certaine nostalgie l'univers des steppes

qui leur est en fait beaucoup plus familier. Ils aiment la nature, pratiquent l'art de

la fauconnerie et montent à cheval. Choisir le palais d'été leur offre un cadre de

vie plus libre qu'à la capitale. Il s'agit aussi d'échapper aux fortes chaleurs de

l'été. Et le Palais d'Été est une étape obligée avant de se rendre plus au nord à

Chengde ou à Moukden , situé dans leur pays natal, la Mandchourie. Ils y ont érigé aussi

de vastes monuments à la gloire des victoires remportées contre les tribus kazakhes qui

menaçaient l'empire et aiment à s'y recueillir. Ces derniers sont encore visibles

de nos jours et ils sont très spectaculaires. Très pieux, les souverains mandchous restent

fidèles à la religion de leurs ancêtres, le chamanisme. Mais ils vénèrent tout particulièrement

la religion bouddhiste et plus particulièrement celle que pratique les Mongols et les Tibétains,

le lamaïsme. Beaucoup de croquis réalisés à la demande de l'empereur Qianlong[tchiène

longueu] peuvent d'ailleurs témoigner de cette influence religieuse.

Regardez ce « Pavillon de la Paix et de l'harmonie universelles » (Wanfang anhe) : son plan

épouse la forme des svastikas, ou croix gammées bouddhistes, lesquelles arboraient également

les costumes de cérémonie des membres de la Cour. La période à laquelle est aménagé

le palais d'été est l'une des plus riches de l'histoire impériale chinoise. Elle

correspond à l'apogée de la puissance impériale de la Chine. Son territoire est

alors immense : non seulement il recoupe toute une partie de la Sibérie, mais aussi l'Asie

centrale et l'Himalaya. La Chine de cette époque est alors très

cosmopolite, elle est marquée par l'existence d'une société à la fois pluriethnique

et multiconfessionnelle. Jusqu'au début du XX° siècle, il y avait pour la seule

ville de Pékin des milliers de temples, de monastères y compris des mosquées et quoi

que construites plus tardivement, des églises. Au point où les empereurs mandchous ont accueilli

volontiers à la Cour des missionnaires de très lointaine origine étrangère. Et tout

particulièrement, les Jésuites qui vont laisser une trace durable dans l'histoire

des relations entre la Chine et l'Europe. Les jésuites ne sont pas les premiers catholiques

à se rendre en Chine. Des Franciscains les ont précédés au Moyen ge et ils ont emprunté,

avant eux, les fameuses Routes de la soie. Mais les Jésuites sont d'un autre tonneau

on va dire ! Ils appartiennent à la Contre-Réforme !

Leur mission est “simple” de convertir l'élite des pays abordés à la foi catholique

par la ruse et l'intelligence mais aussi par la culture. Leur propre culture évidemment

mais aussi celle des peuples qu'ils entendent convertir. Être Jésuite aux XVII° et XVIII°

siècles revient à faire partie de la crème des crèmes. Être « number one » quoi !

La formation d'un Jésuite, c'est de la théologie bien sûr mais aussi l'apprentissage

en plus d'une maîtrise parfaite du latin, des langues étrangères, des mathématiques,

et de l'astronomie à très haute dose…Un comble quand on sait que l'Eglise envoie

à la même époque un Kepler au bûcher, accusé d'hérésie. Sauf que les Jésuites

sont un corps d'élite. C'est le nouveau fer de lance de la diplomatie de la Papauté.

Ils doivent tout savoir, y compris la science que l'on met officiellement de côté, et

ils s'y emploient par tous les moyens. Le premier de ces missionnaires jésuites à

fouler le sol chinois est Matteo Ricci (1552-1610). Il apprend le chinois, mieux que personne,

et tel James Bond est propulsé à la Cour. Son but : convertir l'empereur au catholicisme.

Avec une idée derrière la tête : si l'empereur se convertit, le peuple se convertira à son

tour. Et s'il réussit, ça sera le jackpot pour le catholicisme !

En réalité, les empereurs de Chine qui se succèdent se soucient assez peu du catholicisme

en tant que tel. Ce qui les intéresse, ce sont les connaissances de ces étrangers dans

le domaine de l'astronomie et des mathématiques. On les tolère et bien davantage encore car

Ricci est bientôt rejoint par d'autres de ses pairs. Ils sont pour beaucoup Italiens

au départ. Ils seront pour une grande partie d'entre eux Français à partir du XVIII°

siècle. Détail qui a de l'importance car ce sont alors les Jésuites qui fournissent

à la Cour de France un très grand nombre d'informations sur la Chine. D'ailleurs,

toute la Cour de Versailles est en ébullition dès qu'il s'agit de parler de choses

se rapportant à la Chine. Le mobilier, l'esthétique des jardins, la pensée d'un Voltaire, la

peinture d'un Boucher… Tout aristocrate de bon goût doit s'intéresser à ces « chinoiseries

», lesquelles connaissent une gain d'intérêt sans égal à travers toute l'Europe des

Lumières.

En gros tout le monde est sinophile, c'est à dire passionné de Chine. Et de leur côté,

les empereurs mandchous sont aussi assez sensibles à l'exotisme européen. On se passionne

pour les horloges, les verres et les miroirs, qu'on importe à prix d'or depuis le port

de Canton, plus au Sud. On se passionne aussi pour cette peinture nouvelle que ces étrangers

introduisent. Faut dire que c'est assez bizarre parce que cette peinture est à l'huile

et en plus on utilise comme support un châssis. Ce qu'on a jamais vu en Chine !

L'un des peintres européens invité par la Cour de Chine, Giuseppe Castiglione (1688-1766)

se voit commander le portrait de l'empereur Qianlong lui-même. C'est moins le souverain

qu'un homme qu'il peint et cette petite révolution esthétique n'est pas la seule.

Regardez ces chevaux que Castiglione peint à l'européenne sur fond de paysage chinois

avec des effets de perspective qu'aucun lettré chinois n'avait jusqu'alors réalisé…Voyez

cette gravure du palais européen de Yuanmingyuan. C'est aussi l'œuvre de Castiglione, lequel

fait aménager des jardins et des fontaines à la française dans ce qui s'apparente

à un goût assez proche du Rococo. Et pourtant, aussi paradoxal que cela puisse

paraître, ce palais à l'européenne ainsi que les autres temples et monuments du palais

d'été vont être détruits avec rage par les franco-britanniques, en 1860. Et là vous

devez vous poser la question du...Pourquoi ?!

Vous le savez bien, les temps changent. Tout le temps, à tous points de vue. Et cette

belle relation franco-chinoise va vite prendre du plomb dans l'aile !

Après la disparition de Qianlong, en 1799, l'empire connaît une phase de déclin.

Elle est irréversible. Première puissance économique du monde encore au XVIII° siècle,

la Chine va devenir l'un des pays les plus misérables de la planète. Et pour cause,

la Chine connaît une explosion démographique sans précédent. Un autre problème vient

se greffer là-dessus : les élites sont incapables de comprendre que de l'autre côté de l'Eurasie,

deux puissances majeures ont émergé, ce qui va se retourner contre eux.

Ces puissances, c'est la Grande-Bretagne et la France. Et elles ont faim, très faim.

Poussées par leur Révolution industrielle, elles se sont mises en quête de débouchés.

Depuis Le Devisement du monde écrit dans sa prison à Gênes par Marco Polo, au XIII°

siècle, la Chine leur apparaît comme un eldorado. A cause d'enjeux divergents et

compétition acharnée aussi, les premières guerres sino-européennes éclatent en 1839.

La Chine les perd toutes et avec elles des territoires sur lesquels elle exerçait son

pouvoir. Le pays est obligé de faire des concessions internationales à Shanghai notamment.

Hong-Kong devient une colonie pour la Grande Bretagne et la colonisation du Vietnam par

la France est amorcé alors Pékin entretenait des relations de suzerain à vassal avec cette

région. Ces trois événements ne sont que quelques

exemples d'une longue liste qui, pour la Chine, est synonyme d'humiliations et d'appauvrissement

très durement ressentis. Ces guerres sont appelées les guerres de

l'opium, parce que les puissances étrangères forcent la Chine à s'ouvrir au commerce

européen et à l'importation de l'opium sur le territoire chinois. Tout une économie

de la drogue se met alors en place et fait un lent travail de sape discréditant chaque

année davantage le pouvoir mandchou. Nombre de révoltes éclatent dans les provinces.

La plus importante est celle des Taiping [Thaï Bingueu] (1851-1864), j'avais d'ailleurs

fait un épisode à ce propos que je vous invite à voir. Elle provoquera la mort de

20 millions de personnes. C'est dans ce contexte que les Européens décident de s'attaquer

à l'un des plus beaux symboles de l'empire, le palais d'été. Les soldats occidentaux

se livrent à un pillage important durant cette guerre et aucun Européen ne juge bon

de critiquer cette débauche de destructions et de pillages. A l'exception notable de

l'écrivain Victor Hugo qui, ne perdant pas une occasion pour dénoncer Napoléon

III qu'il déteste par-dessus tout, écrit ceci, depuis son exil politique aux îles

anglo-normandes, et un an après les faits :

« Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l'expédition de Chine. Il y avait, dans

un coin du monde, une merveille. Cette merveille s'appelait le Palais d'Été. Il avait

fallu, pour le créer, le long travail de deux générations. On disait le Parthénon

en Grèce, les Pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d'Été

en Orient. Cette merveille a disparu. Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d'Été.

L'un a pillé, l'autre a incendié. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies

n'égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l'Orient. Il n'y avait pas seulement

là des chefs d'œuvres d'art, il y avait un entassement d'orfèvreries. L'un des

deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l'autre a empli ses coffres. Telle

est l'histoire des deux bandits. Devant l'Histoire, l'un des deux bandits s'appellera

la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. L'Empire français a empoché la moitié

de cette victoire et il étale aujourd'hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire,

le splendide bric-à-brac du Palais d'été. J'espère qu'un jour viendra où la France,

délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée ».

Ce qu'on peut dire c'est que cette déclaration n'est pas tombée dans l'oreille d'un

sourd. En fait, depuis 1949 et la naissance de la République populaire de Chine, tous

les écoliers chinois sont tenus de connaître ce texte de Hugo (prononcer Ou Go), et tout

le monde en Chine connaît depuis cette date au moins un écrivain français !

Quoi qu'il en soit, à peine quelques mois après le pillage du Palais d'Été, nombre

d'objets des collections impériales se trouvent vendus en toute impunité sur les

marchés des ventes aux enchères, notamment à Drouot, le principal hôtel des ventes

de Paris. Des catalogues le prouvent et font état de dizaines de milliers d'objets : des

rouleaux calligraphiés, des paravents, des jade, des bronze, des bibelots alliant corail,

bois de camphrier ou porcelaines fabriquées à grand prix dans la manufacture impériale

de Jingdezhen… On dit alors que la France serait le pays

d'Europe où se trouveraient le plus grand nombre d'objets chinois appartenant à des

collections privées. Si vous allez voir sur les étagères de grand' mamie ou grand

papi, vous y verrez peut-être l'un de ces bleus-blancs de Chine rapporté en catimini

par l'un de leurs ancêtres… Même les têtes couronnées s'y mettent

: l'impératrice Eugénie – l'épouse de Napoléon III – raffole de porcelaines

chinoises qu'elle intègre aux collections impériales de Fontainebleau. Elles y sont

encore à ce jour. Enfin pas toutes car certaines de ces pièces ont mystérieusement disparu

lors d'un vol commis en 2015. Peut être une vengeance symbolique comme semble l'annoncer

d'une manière prémonitoire Chinese Zodiac, un blockbuster réalisé trois ans plus tôt

par l'acteur Jackie Chan. Ou alors c'est juste un vol crapuleux parce

que les prix des porcelaines et du patrimoine chinois en général ont littéralement explosé

depuis ces dernières années. Ce qui est aussi vraisemblable ! La destruction du palais

d'été en annonce d'autres. Durant toute la seconde moitié du XX° siècle et même

au-delà, les étrangers se livrent à des pillages sans nom sur les sites bouddhistes

des Routes de la soie notamment avec le siège de Pékin en 1900, lors de la révolte des

Boxers. Londres, Paris, Berlin voire Saint Pétersbourg et Tokyo exigent chacun leur

part du gâteau. Ces prédations se font toujours au nom de la connaissance et de la civilisation,

ce qui peut à juste titre prêter ironiquement à sourire.

Mais une fois qu'on a dit ça, on a pas tout dit. Parce qu'il faut absolument recontextualiser

ces actions et ne pas trop les regarder avec notre œil du XXIe siècle !

La conscience patrimoniale, le fait d'accorder de la valeur à tel ou tel édifice, tel ou

tel objet, est un fait tardif qui ne prend véritablement corps dans l'histoire européenne

qu'à partir du XVIII° siècle. Et encore, assez bien timidement, avouons-le ! C'est

l'abbé Grégoire qui en France est le premier à dénoncer les destructions de la Révolution

française. Quatremère de Quincy lui, à l'époque des campagnes napoléoniennes,

s'insurge contre l'arrachage des statues de Rome par les armées françaises pour les

livrer au Louvre devenu musée. Mais en Chine ? Qu'en est-il ? La conscience patrimoniale

existe mais elle prend en compte d'abord et avant tout les calligraphies et les peintures

mais aussi les bronzes. On les admire entre seuls connaisseurs et lettrés, dans des espaces

qui leurs sont exclusivement réservés. Les premiers musées nationaux, eux, ne voient

le jour en Chine qu'à partir de 1912, sous la première République.

En revanche, on attache beaucoup moins d'importance aux monuments ! Et certainement pas en cette

fin de XIX° siècle où les Chinois de l'empire sont plongés en pleine crise et ont carrément

d'autres chats à fouetter ! Cet intérêt pour le palais d'été et

ses monuments disparus n'apparaîtra finalement que bien plus tard, au début des années

1980\\. L'université de Pékin n'est pas très loin du palais d'été, et c'est un lieu d'échanges intellectuels importants. De nombreux artistes et marginaux s'y intéressent

alors et ce n'est que plus tard que le pouvoir en a fait le point de cristallisation de toutes

les passions nationalistes. Et les tensions que l'Occident connaît aujourd'hui avec

la Chine n'y sont bien sûr pas étrangères. Les débats sont alors houleux : faut-il ou

non reconstruire le palais d'été? Xi Jinping tranche la question au début d'année 2021

: il restera à l'état de ruines comme preuve des meurtrissures nationales subies.

Ces débats en occultent en revanche bien d'autres : on ne dit rien soit par tabou

soit parce que l'on juge le sujet trop sensible sur la révolution industrielle qui a fait

en Chine des dégâts considérables sur le patrimoine. Sans compter les innombrables

crises politiques dont la Révolution culturelle (1966-76) qui compte parmi les plus violentes

et qui a détruit à jamais d'innombrables trésors du passé. La présence souvent contestable

de ces objets en Europe leur aura permis d'échapper toutefois, en Chine même, aux destructions

pendant la révolution culturelle Mais on ne refera pas l'histoire hein ! Et

surtout pas des pays comme la France, qui en ce qui concerne leurs collections nationales,

mettent en avant le fait que leur patrimoine est de toute façon inaliénable. Ce qui veut

dire que ces objets chinois ne peuvent pas être restitués à la Chine, tout simplement

! Maintenant vous comprenez pourquoi le sujet est encore un peu chaud ! Aussi paradoxal

que cela puisse paraître, et alors que l'Etat chinois pourrait pour ses musées nationaux

aisément se doter de collections européennes, il n'existe pas un seul musée de statut

national consacré aux arts européens sur le territoire chinois. Mise à part quelques

collections privées, aucune chance que vous ne voyiez donc à Pékin ou à Shanghai, dans

un musée national, un buste grec ou une commode Louis XV. Pas plus que de l'art africain

d'ailleurs même si c'est un autre sujet… On l'aura donc compris, le sac du palais

d'été est un traumatisme national et la cristallisation des attentions chinoises sur

ce lieu de mémoire est révélatrice d'un passé qui ne passe pas dans les rapports

historiques qui opposent depuis le XIX° siècle la Chine à l'Occident

Voilà les amis, j'espère que cet épisode vous a plu ! Merci au sinologue Emmanuel Lincot,

spécialiste de l'Histoire politique et artistique de la Chine contemporaine, pour

m'avoir épaulé sur ce script et merci à Tianci Media, notre partenaire pour cette

série sur l'Histoire de la Chine. On compte sur vos partages bien évidemment ! A très

vite pour de nouvelles vidéos.