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Le Grand Meaulnes, Le Grand meaulnes - deuxième partie - chapitre 8 - Les gendarmes

Le Grand meaulnes - deuxième partie - chapitre 8 - Les gendarmes

Il nous fallut rejoindre la troupe de messieurs et de dames qui revenaient vers le Cours Supérieur, par les rues obscures.

Cette fois nous comprenions tout. Cette grande silhouette blanche que Meaulnes avait vue, le dernier soir de la fête, filer entre les arbres, c'était Ganache, qui avait recueilli le fiancé désespéré et s'était enfui avec lui. L'autre avait accepté cette existence sauvage, pleine de risques, de jeux et d'aventures. Il lui avait semblé recommencer son enfance... Frantz de Galais nous avait jusqu'ici caché son nom et il avait feint d'ignorer le chemin du Domaine, par peur sans doute d'être forcé de rentrer chez ses parents; mais pourquoi, ce soir-là, lui avait-il plu soudain de se faire connaître à nous et de nous laisser deviner la vérité tout entière?... Que de projets le grand Meaulnes ne fit-il pas, tandis que la troupe des spectateurs s'écoulait lentement à travers le bourg. Il décida que, dès le lendemain matin, qui était un jeudi, il irait trouver Frantz. Et, tous les deux, ils partiraient pour là-bas! Quel voyage sur la route mouillée! Frantz expliquerait tout; tout s'arrangeait, et la merveilleuse aventure allait reprendre là où elle s'était interrompue... Quant à moi je marchais dans l'obscurité avec un gonflement de cœur indéfinissable. Tout se mêlait pour contribuer à ma joie, depuis le faible plaisir que donnait l'attente du jeudi jusqu'à la très grande découverte que nous venions de faire, jusqu'à la très grande chance qui nous était échue. Et je me souviens que, dans ma soudaine générosité de coeur, je m'approchai de la plus laide des filles du notaire à qui l'on m'imposait parfois le supplice d'offrir mon bras, et spontanément je lui donnai la main. Amers souvenirs! Vains espoirs écrasés! Le lendemain, dès huit heures, lorsque nous débouchâmes tous les deux sur la place de l'église, avec nos souliers bien cirés, nos plaques de ceinturons bien astiquées et nos casquettes neuves, Meaulnes, qui jusque-là se retenait de sourire en me regardant, poussa un cri et s'élança vers la place vide... Sur l'emplacement de la baraque et des voitures, il n'y avait plus qu'un pot cassé et des chiffons. Les bohémiens étaient partis... Un petit vent qui nous parut glacé soufflait. Il me semblait qu'à chaque pas nous allions buter sur le sol caillouteux et dur de la place et que nous allions tomber. Meaulnes, affolé, fit deux fois le mouvement de s'élancer, d'abord sur la route du Vieux-Nancay, puis sur la route de Saint-Loup-des-Bois. Il mit sa main au-dessus de ses yeux, espérant un instant que nos gens venaient seulement de partir. Mais que faire? Dix traces de voitures s'embrouillaient sur la place, puis s'effaçaient sur la route dure. Il fallut rester là, inertes. Et tandis que nous revenions, à travers le village où la matinée du jeudi commençait, quatre gendarmes à cheval, avertis par Delouche la veille au soir, débouchèrent au galop sur la place et s'éparpillèrent à travers les rues pour garder toutes les issues, comme des dragons qui font la reconnaissance d'un village... Mais il était trop tard. Ganache, le voleur de poulets, avait fuit avec son compagnon. Les gendarmes ne retrouvèrent personne, ni lui, ni ceux-là qui chargeaient dans des voitures les chapons qu'il étranglait. Prévenu à temps par le mot imprudent de Jasmin, Frantz avait dû comprendre soudain de quel métier son compagnon et lui vivaient, quand la caisse de la roulotte était vide; plein de honte et de fureur, il avait arrêté aussitôt un itinéraire et décidé de prendre du champ avant l'arrivée des gendarmes. Mais, ne craignant plus désormais qu'on tentât de le ramener au domaine de son père, il avait voulu se montrer à nous sans bandage, avant de disparaître. Un seul point resta toujours obscur: comment Ganache avait-il pu à la fois dévaliser les basses-cours et quérir la bonne soeur pour la fièvre de son ami? Mais n'était-ce pas là toute l'histoire du pauvre diable? Voleur et chemineau d'un côté, bonne créature de l'autre...


Le Grand meaulnes - deuxième partie - chapitre 8 - Les gendarmes Le Grand meaulnes - part two - chapter 8 - The gendarmes Le Grand Meaulnes - قسمت دوم - فصل 8 - ژاندارم ها Le Grand meaulnes - deel twee - hoofdstuk 8 - De gendarmes

Il nous fallut rejoindre la troupe de messieurs et de dames qui revenaient vers le Cours Supérieur, par les rues obscures. We had to join the troop of gentlemen and ladies who were returning to the Superior Court, through the dark streets.

Cette fois nous comprenions tout. This time we understood everything. Cette grande silhouette blanche que Meaulnes avait vue, le dernier soir de la fête, filer entre les arbres, c’était Ganache, qui avait recueilli le fiancé désespéré et s’était enfui avec lui. The tall, white figure that Meaulnes had seen on the last night of the feast, flying between the trees, was Ganache, who had picked up the desperate fiance and fled with him. L’autre avait accepté cette existence sauvage, pleine de risques, de jeux et d’aventures. The other had accepted this wild existence, full of risks, games and adventures. Il lui avait semblé recommencer son enfance...  Frantz de Galais nous avait jusqu’ici caché son nom et il avait feint d’ignorer le chemin du Domaine, par peur sans doute d’être forcé de rentrer chez ses parents; mais pourquoi, ce soir-là, lui avait-il plu soudain de se faire connaître à nous et de nous laisser deviner la vérité tout entière?... He had seemed to begin his childhood again ... Frantz de Galais had hitherto hidden his name from us and he had pretended to ignore the path to the Domain, for fear, no doubt, of being forced to return to his parents' home; but why, that night, had it suddenly pleased her to make herself known to us and to let us guess the whole truth? Que de projets le grand Meaulnes ne fit-il pas, tandis que la troupe des spectateurs s’écoulait lentement à travers le bourg. How many projects did the great Meaulnes not do, while the troop of spectators passed slowly through the village. Il décida que, dès le lendemain matin, qui était un jeudi, il irait trouver Frantz. He decided that the next morning, which was a Thursday, he would go to Frantz. Et, tous les deux, ils partiraient pour là-bas! And, both of them, they would leave for there! Quel voyage sur la route mouillée! What a trip on the wet road! Frantz expliquerait tout; tout s’arrangeait, et la merveilleuse aventure allait reprendre là où elle s’était interrompue... Quant à moi je marchais dans l’obscurité avec un gonflement de cœur indéfinissable. Frantz would explain everything; everything was arranged, and the marvelous adventure was going to resume where it had been interrupted. As for me, I walked in the darkness with an indefinable swelling of the heart. Tout se mêlait pour contribuer à ma joie, depuis le faible plaisir que donnait l’attente du jeudi jusqu’à la très grande découverte que nous venions de faire, jusqu’à la très grande chance qui nous était échue. Everything was mingled to contribute to my joy, from the feeble pleasure given by the wait of Thursday to the great discovery that we had just made, until the very great chance that had fallen to us. Et je me souviens que, dans ma soudaine générosité de coeur, je m’approchai de la plus laide des filles du notaire à qui l’on m’imposait parfois le supplice d’offrir mon bras, et spontanément je lui donnai la main. And I remember that, in my sudden generosity of heart, I approached the ugliest of the notary's girls, to whom I was sometimes forced to offer my arm, and spontaneously I gave her my hand. Amers souvenirs! Bitter memories! Vains espoirs écrasés! Vain hopes crushed! Le lendemain, dès huit heures, lorsque nous débouchâmes tous les deux sur la place de l’église, avec nos souliers bien cirés, nos plaques de ceinturons bien astiquées et nos casquettes neuves, Meaulnes, qui jusque-là se retenait de sourire en me regardant, poussa un cri et s’élança vers la place vide... Sur l’emplacement de la baraque et des voitures, il n’y avait plus qu’un pot cassé et des chiffons. The next day, at eight o'clock, when we both debouched on the church square, with our well-waxed shoes, our well-polished belts and our new caps, Meaulnes, who had hitherto refrained from smiling at me. staring, screamed, and darted to the empty place. On the hut and the cars, there was only a broken pot and rags. Les bohémiens étaient partis... Un petit vent qui nous parut glacé soufflait. The gypsies were gone ... A little wind that seemed cold was blowing. Il me semblait qu’à chaque pas nous allions buter sur le sol caillouteux et dur de la place et que nous allions tomber. It seemed to me that at every step we were going to land on the stony and hard ground of the place and that we were going to fall. Meaulnes, affolé, fit deux fois le mouvement de s’élancer, d’abord sur la route du Vieux-Nancay, puis sur la route de Saint-Loup-des-Bois. Meaulnes, distraught, twice made the movement to set off, first on the road to Vieux-Nancay, then on the road to Saint-Loup-des-Bois. Il mit sa main au-dessus de ses yeux, espérant un instant que nos gens venaient seulement de partir. He put his hand over his eyes, hoping for a moment that our people had just left. Mais que faire? But what to do? Dix traces de voitures s’embrouillaient sur la place, puis s’effaçaient sur la route dure. Ten tracks of cars were tangled up on the square, then disappeared on the hard road. Il fallut rester là, inertes. We had to stay there, inert. Et tandis que nous revenions, à travers le village où la matinée du jeudi commençait, quatre gendarmes à cheval, avertis par Delouche la veille au soir, débouchèrent au galop sur la place et s’éparpillèrent à travers les rues pour garder toutes les issues, comme des dragons qui font la reconnaissance d’un village... Mais il était trop tard. And while we were coming back, through the village where Thursday morning was beginning, four mounted gendarmes, informed by Delouche the night before, galloped into the square and scattered through the streets to guard all the exits, like dragons who make the recognition of a village ... But it was too late. Ganache, le voleur de poulets, avait fuit avec son compagnon. Ganache, the chicken thief, had fled with his companion. Les gendarmes ne retrouvèrent personne, ni lui, ni ceux-là qui chargeaient dans des voitures les chapons qu’il étranglait. The gendarmes found no one, neither him, nor those who loaded in carriages the capons he strangled. Prévenu à temps par le mot imprudent de Jasmin, Frantz avait dû comprendre soudain de quel métier son compagnon et lui vivaient, quand la caisse de la roulotte était vide; plein de honte et de fureur, il avait arrêté aussitôt un itinéraire et décidé de prendre du champ avant l’arrivée des gendarmes. Warned in time by the imprudent word Jasmine, Frantz must have suddenly understood from what trade his companion and he lived, when the body of the trailer was empty; Full of shame and fury, he had immediately stopped a route and decided to take the field before the arrival of the gendarmes. Mais, ne craignant plus désormais qu’on tentât de le ramener au domaine de son père, il avait voulu se montrer à nous sans bandage, avant de disparaître. But no longer afraid that anyone would try to bring him back to his father's domain, he had wanted to show himself to us without a bandage, before disappearing. Un seul point resta toujours obscur: comment Ganache avait-il pu à la fois dévaliser les basses-cours et quérir la bonne soeur pour la fièvre de son ami? Only one point remained obscure: how could Ganache have at one and the same time robbed the poultry-yards and fetched the good sister for her friend's fever? Mais n’était-ce pas là toute l’histoire du pauvre diable? But was not that the whole story of the poor devil? Voleur et chemineau d’un côté, bonne créature de l’autre... Thief and tramp on one side, good creature on the other ...