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Nota Bene, La véritable histoire du Roi Arthur - Nota Bene (2)

La véritable histoire du Roi Arthur - Nota Bene (2)

et domine ainsi des chevaliers dont les noms sont inscrits sur le pourtour du cercle. Au

centre, on aperçoit la double rose des Tudor, symbolisant l'union des deux camps de la

guerre des Deux-Roses, les York et les Lancastre (représentés respectivement par une rose

blanche et rouge). Tout indique que la noblesse turbulente de l'époque est mise au pas

par un monarque omniprésent justifiant sa préséance par sa généalogie prestigieuse,

remontant au temps du roi Arthur. Comme on le voit, l'histoire du mythe du

Camelot au Moyen âge est assez riche. Pour vous y retrouver, nous avons mis en lien dans

la description un schéma simplifié, que vous avez ici à l'image

Mais, pour résumer, il faut retenir quelques points importants.

Point numéro 1/ Il n'existe pas un « pur » mythe arthurien. Si on s'appuyait sur les

textes les plus anciens, la légende ne comporterait qu'un seul personnage (Arthur), il n'y

aurait ni Camelot, ni Table ronde, ni Graal. Ca serait un peu plus chiant.

Point numéro 2/ Le mythe est composite. Il est constitué dès l'époque médiévale

de plein de couches différentes. Chaque auteur se sent libre d'en rajouter ou d'en enlever

une ou plusieurs, en fonction du message qu'il a envie de faire passer et du public qu'il

vise. La légende arthurienne, c'est en fait un peu comme une recette dont chaque

auteur se sentirait libre de mettre un ou des ingrédients en plus, voir d'en retirer.

Perso, je rajouterai des fayots !. Point numéro 3/ Au Moyen âge, la diffusion

du mythe se limite à l'Europe occidentale. Il existe certes des variantes germaniques,

italiennes ou ibériques de la légende, mais le gros des textes a été composé en France

du nord (langue d'oïl) et en Angleterre. C'est vraiment peu lorsque l'on compare

par exemple à toute la mythologie autour d'Alexandre le Grand qui est une véritable

superstar littéraire du Moyen âge, dont les exploits sont lus et chantés dans toute

l'Eurasie, dans le monde chrétien orthodoxe, musulman, de l'Afrique jusqu'en Indonésie.

Si on fait s'affronter Alexandre et Arthur dans un bouquin...y'a des chances qu'Arthur

mange la poussière c'est moi qui vous le dit !

Point numéro 4/ La littérature arthurienne du Moyen âge est principalement connue dans

la société aristocratique. Les légendes de Camelot sont en effet écrites avant tout

par et pour un auditoire noble. Cela n'empêche pas une certaine diffusion dans ce que l'on

appellerait aujourd'hui le « grand public », mais celle-ci est très restreinte avant l'impression

des premiers textes arthuriens. Donc Arthur, c'est un peu le héros des

bourgeois quoi...mais ça va changer à partir du XIXe siècle !

Devenu un héros de la culture populaire, le mythe de Camelot, à travers des films

ou des bandes dessinées, se diffuse sur plusieurs continents : Amérique d'abord, puis Asie

et surtout le Japon à partir des années 1970. Aujourd'hui, les œuvres qui racontent

les exploits des héros de la Table ronde sont accessibles à l'ensemble de la population,

sans discrimination. Pas besoin d'être un aristocrate pour regarder un épisode de

Kaamelott ou pour lire les aventures de Captain America. En fait, vu le nombre de textes ou

de films arthuriens qui sortent chaque année, à un tel point qu'il est difficile d'en

suivre le rythme, on peut dire que nous vivons clairement dans l'âge d'or du Graal.

Et c'est exactement pour cette raison que l'on peut affirmer ici, sur cette chaîne

Youtube, et aussi dans le bouquin de William Blanc avec qui j'ai écrits l'épisode

et que vous pouvez retrouver en description, que que les récits arthuriens constituent

plus un mythe contemporain qu'une légende médiévale. Et ça, je suis sûr que vous

l'aviez pas vu venir hein ! Et moi non plus...

Ce succès n'était en tout cas pas écrit d'avance. En fait, à partir de la fin du

XVIe siècle, le mythe de Camelot connaît une longue éclipse qui va durer deux cents

ans. Pendant cette période, l'Europe s'intéresse surtout à l'Antiquité et aux légendes

grecques ou romaines. Le Moyen âge est démodé et pour beaucoup barbare. D'ailleurs, on

arrête de réimprimer Le Morte d'Arthur à partir de 1634. Puis, au début du XIXe

siècle, tout change. En Europe, on se fascine pour le temps des chevaliers. Les auteurs

romantiques l'imaginent comme une période magique, à la fois merveilleuse et terrifiante,

pleine de passions, à l'exact opposé de notre époque rationnelle. Du côté politique,

les monarchies, après l'ère des révolutions, s'appuient sur le Moyen âge pour rappeler

que le système qu'ils défendent est plus ancien et plus légitime que celui que proposent

les républicains. En Angleterre, on réimprime le texte de Malory à partir de 1816 et l'aristocratie

locale s'imagine à l'époque victorienne comme des nouveaux chevaliers de la Table

ronde. On met des peintures représentant les héros du mythe sur les murs des grandes

écoles où sont formées les élites de l'Empire britannique.

Comme dans une sorte de sous-poudlard quoi... Au même moment, des officiers partent des

colonies : comme Lancelot s'en allait affronter des périls dans les forêts des romans médiévaux,

ils espérait revenir à Londres, nouvelle Camelot, couverts de gloire. C'est d'autant

plus le cas qu'à l'époque, on pense en Europe que les pays du Proche Orient et

de l'Asie seraient bloqués dans un Moyen âge obscur et perpétuel. Ainsi le fameux

Lawrence d'Arabie n'hésite pas à comparer ses alliés bédouins à des chevaliers arthuriens.

Envoyé par l'armée britannique soulever les tribus arabes contre l'Empire ottoman

pendant la Première Guerre mondiale, il emmène dans son sac trois livres dont un exemplaire

du Morte Darthur de Thomas Malory. Et pourtant, ce n'est pas de l'Angleterre

que va venir l'actuelle popularité de la légende de Camelot, mais des États-Unis.

Et pour comprendre ce mouvement, on va le simplifier en trois temps.

Le premier temps, c'est la sortie d'un livre à succès, le roman de Mark Twain : Un

Yankee du Connecticut à la cour du roi Arthur. Publié en 1889, il raconte l'histoire,

comme son titre l'indique, d'un Américain du Nord-est appelé Hank Morgan [U1] qui arrive,

sans que l'on sache trop comment, à Camelot. Très vite, il se moque des chevaliers, qui

sont des brutes et des ignares, de Merlin, qui, s'aperçoit-il, n'est pas un vrai

magicien, mais un charlatan, et plus largement de la société médiévale où il est arrivé.

Alors perso j'avais jamais entendu parler de ce livre avant cet épisode et en vous

lisant ça, on croirait presque que c'est la description de la série Kaamelott que

l'on connait en France. Mais si on le replace dans le contexte de l'époque, pour les

lecteurs américains, la métaphore, elle est plutôt claire. À travers son roman teinté

d'humour, Twain se livre en fait à une parodie acide de l'Europe, resté selon

lui coincée dans des temps féodaux d'autant que l'ensemble du continent, à de rares

exceptions près, est encore gouvernée par des régimes monarchiques. Face à ce continent

d'arriérés donc, c'est pas moi qui le pense mais Mark Twain, l'Amérique apparaît

alors, à l'instar d'Hank Morgan, comme un modèle de démocratie et de modernité.

Mais vous inquiétez pas, Twain est aussi “un peu” critique vis à vis de son propre

pays. En se moquant de la cour de Camelot, il vise

l'aristocratie des plantations du sud des États-Unis qui s'imaginait, avant même

la guerre de Sécession, comme une nouvelle chevalerie. Et en plus de ça, attention spoiler,

la fin du roman est assez sombre... Hank Morgan a pris le pouvoir à Camelot. Convaincu qu'il

faut amener la modernité, y compris de force, à des gens qu'ils voient comme des primitifs,

il a ordonné que les chevaliers deviennent des hommes-sandwich publicitaires et a transformé

les châteaux en usines. Dégoutté par leur nouvelle condition, faite de journées interminables

de travail à la chaîne, le peuple du royaume se révolte. Hank se réfugie alors dans un

bunker qu'il a fait préparé à l'avance et, armé de mitrailleuses, avec l'aide

de quelques mercenaires, il massacre par milliers les insurgés.

Ouais, moi non plus je l'avais pu venir... Cet épilogue sanglant est un moyen pour Twain

d'interroger son public. Le système capitaliste américain, dans lequel, en cette fin de XIXe

siècle, une élite ultra-riche domine sans partage la société, n'est-il pas une nouvelle

forme de féodalisme ? Ces grands patrons de Wall Street, que l'on surnomme dès cette

époque les « barons voleurs » en référence aux seigneurs normands alliés au Prince Jean

que combat Robin des Bois, ne sont-ils pas aussi malfaisants que les autocrates d'Europe ?

Le nom d'Hank Morgan n'est d'ailleurs pas pris au hasard. Il renvoie à J.P. Morgan,

banquier américain et fondateur d'une entreprise qui est devenu, en ce début de XXIe siècle,

l'une des plus grosses multinationales mondiales. Le roman de Twain est encore aujourd'hui

l'œuvre arthurienne la plus adaptée au cinéma, à la télévision ou en bande dessinée,

ce qui contribue à la popularité de la Table ronde en Amérique. On ne compte plus les

héros de série, de comics ou de cartoons qui, comme Hank Morgan, font le voyage à

la cour du roi de Camelot : Batman, Superman, Iron Man, Mickey Mouse, Bugs Bunny, MacGyver,

etc. Sauf que les créateurs de ces versions omettent presque tous la seconde partie du

roman. Ne reste que la première, où le héros américain amène à une société qu'il

considère comme arriérée une civilisation qui se résume le plus souvent aux derniers

biens de consommation à la mode outre-Atlantique. Et ça, c'est pas parce que les types ont

la flemme de décrire une boucherie sans nom à l'écran ou sur le papier… et non...cette

réécriture, elle s'inscrit souvent dans un contexte politique très précis.

La visite de Batman à la cour de Camelot dans un comics paru en 1946, dans lequel on

voit le héros de Gotham secourir les chevaliers de la Table ronde, fait évidemment écho

à l'image qu'ont les Américains d'eux-mêmes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale

en se pensant comme les sauveurs de l'Europe Le deuxième temps dans la diffusion du mythe

de Camelot aux États-Unis va passer par d'autres canaux. Le pasteur américain William Forbush

l'utilise à des fins pédagogiques quelques années seulement après la publication du

Yankee du Connecticut. Alors qu'en Angleterre, cette méthode est surtout réservée à l'usage

des élites, lui décide de la démocratiser en l'ouvrant aux classes moyennes. Pour

cela, il fonde en 1893 les « chevaliers du roi Arthur » (« Knights of King Arthur »)

à destination des garçons âgés de 13 à 16 ans. Ceux-ci se réunissent dans un local

appelé pour l'occasion le château sous la supervision d'un adulte, surnommé le

Merlin, ils prennent des pseudonymes arthuriens et se déguisent en chevaliers. Très vite,

les groupes Forbush connaissent un immense succès, ouvrent une variante pour les filles

(les « reines d'Avalon ») et rassemblent dans les années 1920 près de 130 000 membres,

aux États-Unis, mais aussi au Canada, au Mexique, en Grande-Bretagne, en Jamaïque

et en Nouvelle-Zélande. D'autres pédagogues imitent les « chevaliers du roi Arthur »

du pasteur américain. Le plus célèbre d'entre eux est sans conteste l'anglais Robert Baden-Powell

qui fonde le mouvement scout en 1907. Dans un chapitre de son manuel, Éclaireurs (Scouting

for Boys) publié en 1908, il enjoint encourage ses jeunes disciples à imiter l'exemple

du roi Arthur et de ses chevaliers. Et décidément, il y a beaucoup trop de choses

que j'avais pas vu venir dans cet épisode... Le succès des groupes Forbush influence de

deux manières les représentations du mythe arthurien aux États-Unis. Tout d'abord,

parce que les membres de ces tables rondes réinventés élisent leurs chefs, la Table

ronde elle-même devient une métaphore de la démocratie et de la diversité américaine.

C'est d'ailleurs pour que par la suite aux États-Unis, jusqu'à aujourd'hui,

les écrits concernant Arthur et Camelot s'ouvrent peu à peu à des personnages venus de tous

les horizons pour correspondre à l'idée que se fait le public d'une Amérique diverse

et moderne. Dans le film de Guy Ritchie, Le Roi Arthur : La Légende d'Excalibur sorti

en 2017, et pour lequel je me suis fait gauler par Hadopi (la honte), le jeune souverain


La véritable histoire du Roi Arthur - Nota Bene (2) Die wahre Geschichte von König Artus - Nota Bene (2) The True Story of King Arthur - Nota Bene (2) La verdadera historia del Rey Arturo - Nota Bene (2) داستان واقعی شاه آرتور - نوتا بن (2) Het ware verhaal van koning Arthur - Nota Bene (2) Prawdziwa historia króla Artura - Nota Bene (2) A verdadeira história do Rei Artur - Nota Bene (2)

et domine ainsi des chevaliers dont les noms sont inscrits sur le pourtour du cercle. Au and thus dominates the knights whose names are inscribed around the circumference of the circle. At

centre, on aperçoit la double rose des Tudor, symbolisant l'union des deux camps de la

guerre des Deux-Roses, les York et les Lancastre (représentés respectivement par une rose

blanche et rouge). Tout indique que la noblesse turbulente de l'époque est mise au pas

par un monarque omniprésent justifiant sa préséance par sa généalogie prestigieuse,

remontant au temps du roi Arthur. Comme on le voit, l'histoire du mythe du

Camelot au Moyen âge est assez riche. Pour vous y retrouver, nous avons mis en lien dans

la description un schéma simplifié, que vous avez ici à l'image

Mais, pour résumer, il faut retenir quelques points importants.

Point numéro 1/ Il n'existe pas un « pur » mythe arthurien. Si on s'appuyait sur les

textes les plus anciens, la légende ne comporterait qu'un seul personnage (Arthur), il n'y oldest texts, the legend would include only one character (Arthur), there

aurait ni Camelot, ni Table ronde, ni Graal. Ca serait un peu plus chiant.

Point numéro 2/ Le mythe est composite. Il est constitué dès l'époque médiévale

de plein de couches différentes. Chaque auteur se sent libre d'en rajouter ou d'en enlever

une ou plusieurs, en fonction du message qu'il a envie de faire passer et du public qu'il

vise. La légende arthurienne, c'est en fait un peu comme une recette dont chaque

auteur se sentirait libre de mettre un ou des ingrédients en plus, voir d'en retirer.

Perso, je rajouterai des fayots !. Point numéro 3/ Au Moyen âge, la diffusion

du mythe se limite à l'Europe occidentale. Il existe certes des variantes germaniques, of the myth is limited to Western Europe. There are, of course, Germanic variants,

italiennes ou ibériques de la légende, mais le gros des textes a été composé en France Italian or Iberian versions of the legend, but the bulk of the texts were written in France.

du nord (langue d'oïl) et en Angleterre. C'est vraiment peu lorsque l'on compare (langue d'oïl) and in England. That's not very much when you compare

par exemple à toute la mythologie autour d'Alexandre le Grand qui est une véritable for example, the mythology surrounding Alexander the Great, which is a veritable

superstar littéraire du Moyen âge, dont les exploits sont lus et chantés dans toute

l'Eurasie, dans le monde chrétien orthodoxe, musulman, de l'Afrique jusqu'en Indonésie.

Si on fait s'affronter Alexandre et Arthur dans un bouquin...y'a des chances qu'Arthur If we make Alexander and Arthur compete in a book ... there's a chance that Arthur

mange la poussière c'est moi qui vous le dit ! eat the dust, it's me who tells you!

Point numéro 4/ La littérature arthurienne du Moyen âge est principalement connue dans

la société aristocratique. Les légendes de Camelot sont en effet écrites avant tout

par et pour un auditoire noble. Cela n'empêche pas une certaine diffusion dans ce que l'on

appellerait aujourd'hui le « grand public », mais celle-ci est très restreinte avant l'impression

des premiers textes arthuriens. Donc Arthur, c'est un peu le héros des

bourgeois quoi...mais ça va changer à partir du XIXe siècle !

Devenu un héros de la culture populaire, le mythe de Camelot, à travers des films

ou des bandes dessinées, se diffuse sur plusieurs continents : Amérique d'abord, puis Asie

et surtout le Japon à partir des années 1970. Aujourd'hui, les œuvres qui racontent

les exploits des héros de la Table ronde sont accessibles à l'ensemble de la population,

sans discrimination. Pas besoin d'être un aristocrate pour regarder un épisode de

Kaamelott ou pour lire les aventures de Captain America. En fait, vu le nombre de textes ou

de films arthuriens qui sortent chaque année, à un tel point qu'il est difficile d'en

suivre le rythme, on peut dire que nous vivons clairement dans l'âge d'or du Graal.

Et c'est exactement pour cette raison que l'on peut affirmer ici, sur cette chaîne

Youtube, et aussi dans le bouquin de William Blanc avec qui j'ai écrits l'épisode

et que vous pouvez retrouver en description, que que les récits arthuriens constituent

plus un mythe contemporain qu'une légende médiévale. Et ça, je suis sûr que vous

l'aviez pas vu venir hein ! Et moi non plus...

Ce succès n'était en tout cas pas écrit d'avance. En fait, à partir de la fin du

XVIe siècle, le mythe de Camelot connaît une longue éclipse qui va durer deux cents

ans. Pendant cette période, l'Europe s'intéresse surtout à l'Antiquité et aux légendes

grecques ou romaines. Le Moyen âge est démodé et pour beaucoup barbare. D'ailleurs, on

arrête de réimprimer Le Morte d'Arthur à partir de 1634. Puis, au début du XIXe

siècle, tout change. En Europe, on se fascine pour le temps des chevaliers. Les auteurs

romantiques l'imaginent comme une période magique, à la fois merveilleuse et terrifiante,

pleine de passions, à l'exact opposé de notre époque rationnelle. Du côté politique,

les monarchies, après l'ère des révolutions, s'appuient sur le Moyen âge pour rappeler

que le système qu'ils défendent est plus ancien et plus légitime que celui que proposent

les républicains. En Angleterre, on réimprime le texte de Malory à partir de 1816 et l'aristocratie

locale s'imagine à l'époque victorienne comme des nouveaux chevaliers de la Table

ronde. On met des peintures représentant les héros du mythe sur les murs des grandes

écoles où sont formées les élites de l'Empire britannique.

Comme dans une sorte de sous-poudlard quoi... Au même moment, des officiers partent des

colonies : comme Lancelot s'en allait affronter des périls dans les forêts des romans médiévaux,

ils espérait revenir à Londres, nouvelle Camelot, couverts de gloire. C'est d'autant

plus le cas qu'à l'époque, on pense en Europe que les pays du Proche Orient et

de l'Asie seraient bloqués dans un Moyen âge obscur et perpétuel. Ainsi le fameux

Lawrence d'Arabie n'hésite pas à comparer ses alliés bédouins à des chevaliers arthuriens.

Envoyé par l'armée britannique soulever les tribus arabes contre l'Empire ottoman

pendant la Première Guerre mondiale, il emmène dans son sac trois livres dont un exemplaire

du Morte Darthur de Thomas Malory. Et pourtant, ce n'est pas de l'Angleterre

que va venir l'actuelle popularité de la légende de Camelot, mais des États-Unis.

Et pour comprendre ce mouvement, on va le simplifier en trois temps.

Le premier temps, c'est la sortie d'un livre à succès, le roman de Mark Twain : Un

Yankee du Connecticut à la cour du roi Arthur. Publié en 1889, il raconte l'histoire,

comme son titre l'indique, d'un Américain du Nord-est appelé Hank Morgan [U1] qui arrive,

sans que l'on sache trop comment, à Camelot. Très vite, il se moque des chevaliers, qui

sont des brutes et des ignares, de Merlin, qui, s'aperçoit-il, n'est pas un vrai

magicien, mais un charlatan, et plus largement de la société médiévale où il est arrivé.

Alors perso j'avais jamais entendu parler de ce livre avant cet épisode et en vous Personally, I'd never heard of this book before this episode, and now I'm here to tell you all about it.

lisant ça, on croirait presque que c'est la description de la série Kaamelott que reading this, you'd almost think it was the description of the Kaamelott series that

l'on connait en France. Mais si on le replace dans le contexte de l'époque, pour les in France. But if you put it in the context of the times, for the

lecteurs américains, la métaphore, elle est plutôt claire. À travers son roman teinté American readers, the metaphor is quite clear. Through her novel

d'humour, Twain se livre en fait à une parodie acide de l'Europe, resté selon Twain is in fact indulging in an acid parody of Europe, which, according to

lui coincée dans des temps féodaux d'autant que l'ensemble du continent, à de rares stuck in feudal times, all the more so as the whole continent, with the exception of a few

exceptions près, est encore gouvernée par des régimes monarchiques. Face à ce continent

d'arriérés donc, c'est pas moi qui le pense mais Mark Twain, l'Amérique apparaît

alors, à l'instar d'Hank Morgan, comme un modèle de démocratie et de modernité.

Mais vous inquiétez pas, Twain est aussi “un peu” critique vis à vis de son propre But don't worry, Twain is also "a little" critical of his own self.

pays. En se moquant de la cour de Camelot, il vise

l'aristocratie des plantations du sud des États-Unis qui s'imaginait, avant même

la guerre de Sécession, comme une nouvelle chevalerie. Et en plus de ça, attention spoiler,

la fin du roman est assez sombre... Hank Morgan a pris le pouvoir à Camelot. Convaincu qu'il the end of the novel is rather dark... Hank Morgan has seized power in Camelot. Convinced that he

faut amener la modernité, y compris de force, à des gens qu'ils voient comme des primitifs, modernity, even by force, to people they see as primitive,

il a ordonné que les chevaliers deviennent des hommes-sandwich publicitaires et a transformé he ordered that knights become advertising sandwich-men and transformed

les châteaux en usines. Dégoutté par leur nouvelle condition, faite de journées interminables castles in factories. Disgusted by their new condition, made of endless days

de travail à la chaîne, le peuple du royaume se révolte. Hank se réfugie alors dans un of assembly line work, the people of the kingdom revolt. Hank takes refuge in a

bunker qu'il a fait préparé à l'avance et, armé de mitrailleuses, avec l'aide bunker he had prepared in advance and, armed with machine guns, with the help

de quelques mercenaires, il massacre par milliers les insurgés. of mercenaries, he slaughtered thousands of insurgents.

Ouais, moi non plus je l'avais pu venir... Cet épilogue sanglant est un moyen pour Twain Yeah, I couldn't make it either... This bloody epilogue is a way for Twain

d'interroger son public. Le système capitaliste américain, dans lequel, en cette fin de XIXe to question its audience. The American capitalist system, in which, at the end of the 19th century

siècle, une élite ultra-riche domine sans partage la société, n'est-il pas une nouvelle century, an ultra-rich elite dominates society without sharing it, isn't it a new way of thinking?

forme de féodalisme ? Ces grands patrons de Wall Street, que l'on surnomme dès cette feudalism? These big Wall Street bosses, nicknamed from this moment on

époque les « barons voleurs » en référence aux seigneurs normands alliés au Prince Jean period the "robber barons", in reference to the Norman lords allied with Prince Jean

que combat Robin des Bois, ne sont-ils pas aussi malfaisants que les autocrates d'Europe ? that Robin Hood fights, aren't they just as evil as Europe's autocrats?

Le nom d'Hank Morgan n'est d'ailleurs pas pris au hasard. Il renvoie à J.P. Morgan, The name Hank Morgan is no accident. It refers to J.P. Morgan,

banquier américain et fondateur d'une entreprise qui est devenu, en ce début de XXIe siècle, American banker and founder of a company that has become, at the beginning of the 21st century,

l'une des plus grosses multinationales mondiales. Le roman de Twain est encore aujourd'hui

l'œuvre arthurienne la plus adaptée au cinéma, à la télévision ou en bande dessinée, the most widely adapted Arthurian work in film, television and comics,

ce qui contribue à la popularité de la Table ronde en Amérique. On ne compte plus les

héros de série, de comics ou de cartoons qui, comme Hank Morgan, font le voyage à

la cour du roi de Camelot : Batman, Superman, Iron Man, Mickey Mouse, Bugs Bunny, MacGyver,

etc. Sauf que les créateurs de ces versions omettent presque tous la seconde partie du

roman. Ne reste que la première, où le héros américain amène à une société qu'il

considère comme arriérée une civilisation qui se résume le plus souvent aux derniers

biens de consommation à la mode outre-Atlantique. Et ça, c'est pas parce que les types ont fashionable consumer goods across the Atlantic. And that's not just because the guys have

la flemme de décrire une boucherie sans nom à l'écran ou sur le papier… et non...cette

réécriture, elle s'inscrit souvent dans un contexte politique très précis.

La visite de Batman à la cour de Camelot dans un comics paru en 1946, dans lequel on

voit le héros de Gotham secourir les chevaliers de la Table ronde, fait évidemment écho

à l'image qu'ont les Américains d'eux-mêmes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale

en se pensant comme les sauveurs de l'Europe Le deuxième temps dans la diffusion du mythe

de Camelot aux États-Unis va passer par d'autres canaux. Le pasteur américain William Forbush

l'utilise à des fins pédagogiques quelques années seulement après la publication du

Yankee du Connecticut. Alors qu'en Angleterre, cette méthode est surtout réservée à l'usage

des élites, lui décide de la démocratiser en l'ouvrant aux classes moyennes. Pour

cela, il fonde en 1893 les « chevaliers du roi Arthur » (« Knights of King Arthur »)

à destination des garçons âgés de 13 à 16 ans. Ceux-ci se réunissent dans un local

appelé pour l'occasion le château sous la supervision d'un adulte, surnommé le

Merlin, ils prennent des pseudonymes arthuriens et se déguisent en chevaliers. Très vite,

les groupes Forbush connaissent un immense succès, ouvrent une variante pour les filles

(les « reines d'Avalon ») et rassemblent dans les années 1920 près de 130 000 membres,

aux États-Unis, mais aussi au Canada, au Mexique, en Grande-Bretagne, en Jamaïque

et en Nouvelle-Zélande. D'autres pédagogues imitent les « chevaliers du roi Arthur »

du pasteur américain. Le plus célèbre d'entre eux est sans conteste l'anglais Robert Baden-Powell

qui fonde le mouvement scout en 1907. Dans un chapitre de son manuel, Éclaireurs (Scouting

for Boys) publié en 1908, il enjoint encourage ses jeunes disciples à imiter l'exemple

du roi Arthur et de ses chevaliers. Et décidément, il y a beaucoup trop de choses

que j'avais pas vu venir dans cet épisode... Le succès des groupes Forbush influence de

deux manières les représentations du mythe arthurien aux États-Unis. Tout d'abord,

parce que les membres de ces tables rondes réinventés élisent leurs chefs, la Table

ronde elle-même devient une métaphore de la démocratie et de la diversité américaine.

C'est d'ailleurs pour que par la suite aux États-Unis, jusqu'à aujourd'hui,

les écrits concernant Arthur et Camelot s'ouvrent peu à peu à des personnages venus de tous

les horizons pour correspondre à l'idée que se fait le public d'une Amérique diverse

et moderne. Dans le film de Guy Ritchie, Le Roi Arthur : La Légende d'Excalibur sorti

en 2017, et pour lequel je me suis fait gauler par Hadopi (la honte), le jeune souverain in 2017, and for which I was bullied by Hadopi (shame), the young sovereign