La face sombre de la résistance française : l'épuration
Cet épisode est sponsorisé par les éditions 10*18 qui sortent un nouveau roman historique à suspens,
“la sacrifiée du Vercors” On va pouvoir y suivre l'enquête du commissaire Georges Duroy, un ancien
résistant, qui est envoyé dans le Vercors en 1944, une région qui a beaucoup souffert de la 2nd
guerre mondiale, pour élucider le meurtre d'une femme, Marie. Problème, personne ne veut parler,
ni son entourage, ni les gens du village. Et pour cause, l'action se déroule en plein cœur de ce
qu'on appelle l'Épuration, une période sombre de l'histoire de France que l'on va aujourd'hui
aborder dans cet épisode. Vous pouvez retrouver le lien du livre en description et je vous en
dis plus en fin de vidéo ! Bon visionnage ! Mes chers camarades, bien le bonjour ! J'espère
vraiment qu'il est bon parce qu'aujourd'hui ça va pas être très drôle ! non...
Si la Libération de la France durant la Seconde Guerre mondiale est considérée comme l'une des
grandes pages de l'histoire de notre pays, elle a aussi, vous ne l'ignorez pas, son côté
sombre. Et celui-ci porte un nom : l'épuration. Pour mieux comprendre, on va revenir en 1944.
Cette année-là, et depuis le débarquement de Normandie du 6 juin, les forces alliées
avancent en France, libérant l'une après l'autre les villes dont elles chassent les
allemands. Le débarquement de Provence, le 15 août 1944, accélère encore le processus,
et jour après jour, c'est un peu plus du territoire français qui est libéré.
Oui mais voilà : le départ des allemands, ces ennemis de l'extérieur,
ouvre un nouveau front : celui contre l'ennemi de l'intérieur, le collaborateur.
C'est ça qu'on appelle l'épuration et c'est souvent tragique.
Elle commence sous une forme dite “sauvage” ou tout du moins “extra-judiciaire”. Comprenez
par là que celles et ceux qui veulent faire justice eux-mêmes ne se privent
pas. Dans les premières heures qui suivent la libération d'un territoire,
l'euphorie de la foule laisse aussi éclater des manifestations de colère. En effet,
après avoir passé quatre années sous le joug de l'ennemi et la loi des collaborateurs,
nombre de français estiment qu'ils peuvent - et se doivent - de régler leurs comptes.
Les premières cibles sont d'abord bien évidemment les collaborateurs les plus “visibles”, ceux qui,
jusqu'alors inatteignables, ont perdu leur protection avec la chute du Régime de Vichy.
Un exemple parlant est celui du milicien : durant l'occupation, c'était un collaborateur
très officiel et presque intouchable, qui devient une cible toute désignée pour la foule en colère.
Dans le meilleur des cas, il sera arrêté, et ainsi protégé de la vindicte populaire en attendant son
procès. Dans le pire… il sera exécuté sans autre forme de procès. Nombreux sont ainsi ceux qui ne
verront jamais un tribunal, fusillés par des résistants ou parfois tués par des héros de la
dernière heure qui veulent ainsi s'acheter une légitimité aux yeux des libérateurs.
Impossible, bien sûr, d'oublier le sort fait aux femmes. Des Françaises
sont traînées dans la rue pour être tondues,
tatouées ou encore battues pour le crime d'avoir eu des relations avec des Allemands.
Et puis… tout comme il y a les profiteurs de guerre, il y a des “profiteurs de la Libération”.
Des gens qui vont accuser un concurrent de collaboration pour s'en débarrasser, confisquer
ses biens, ou bénéficier de sa chute d'une manière ou d'une autre. Il y a aussi des crimes qui sont
commis sous le couvert de la colère déchaînée, et parfois, ça sera assez difficile de démêler
le vrai du faux dans les accusations de collaboration derrière des meurtres.
S'il est difficile de chiffrer exactement combien de victimes ont fait ces épurations,
c'est parce que la guerre fait encore rage à ce sujet. On estime généralement qu'environ
20 000 femmes ont été tondues, et 10 000 personnes exécutées hors de tout cadre légal.
Pourtant, contrairement à une légende tenace, cette période d'explosion de
la colère populaire est plus courte que ce qu'on imagine. Pour une simple
et bonne raison : la France Libre s'y était préparée, et ça, bien avant le débarquement.
Le gouvernement provisoire fait ainsi rapidement coller des affiches dans les villes libérées
expliquant que si la colère est compréhensible.. “Des représailles individuelles ne contribueraient
qu'à créer le désordre et le marasme. Le commandement vous les interdit formellement.”
Et si c'est interdit, c'est que la France Libre a prévu son propre arsenal judiciaire
pour punir les collaborateurs. Le programme du Conseil National de la Résistance,
adopté le 15 mars 1944, prévoit ainsi de châtier toute personne ayant collaboré entre le 16 juin
1940 et la libération. D'ailleurs, la définition d'un collaborateur est assez large : cela va de
l'engagement politique très officiel aux côtés du Régime de Vichy jusqu'au très officieux marché
noir. Quiconque a profité de la situation encourt les foudres de la nouvelle justice !
Et cette justice, on la souhaite rapide. D'abord,
pour montrer que le nouveau gouvernement comprend la colère populaire, mais aussi,
pour rétablir l'ordre au plus vite et ainsi éviter ce que beaucoup craignent : une guerre civile.
Si vous ne visualisez pas bien pourquoi le terrain est propice à une guerre civile,
petit rappel : nous parlons d'un pays en guerre, dont le gouvernement vient de tomber,
et où les tensions sont fortes entre anciens pétainistes, gaullistes,
communistes, et autres groupes aussi politisés… qui sont bien souvent armés !
Rajoutez à cela que le pays est toujours en guerre en 1944,
et qu'il est donc d'autant plus urgent de chasser les espions potentiels du territoire.
La France, qui a libéré les prisonniers des camps d'internements où se trouvaient Juifs,
tziganes et autres ennemis tout désignés par l'ancienne administration,
utilise ces camps pour y interner les collaborateurs les plus dangereux,
qui goûtent ainsi aux barbelés qu'ils avaient contribué à ériger.
Le camp de Drancy lui-même sert à interner des suspects de collaboration : Sacha Guitry,
ainsi soupçonné, y sera enfermé avec d'autres intellectuels,
et racontera son expérience dans son livre, 60 jours de prison.
Dès le 26 août 1944, soit à peine Paris libérée, la France officialise par ordonnance
les structures juridiques qui vont permettre de poursuivre et juger les collaborateurs
au travers de structures légales. En attendant que ces nouveaux tribunaux se mettent en place,
cours martiales et tribunaux improvisés tenus par des représentants de la Résistance et de la
France Libre servent à “officialiser” la justice pour la retirer des mains des foules en colère.
Le gouvernement provisoire crée par ailleurs une nouvelle peine : l'indignité nationale.
Quiconque y est condamné perd bon nombre de ses droits, et n'est plus désormais qu'un citoyen
de seconde zone, qui ne peut prétendre aux mêmes choses qu'un autre Français.
Par exemple, le condamné ne peut plus travailler dans l'administration.
Peut-être que vous ne trouvez pas ça assez sévère ? Après tout, travailler
dans l'administration ce n'est peut-être pas votre rêve ! Mais c'est parce qu'il faut voir
le côté pratique : ces condamnations permettent de retirer rapidement et efficacement tous les
collaborateurs des postes publics où ils avaient de l'influence. Du coup,
on peut garantir la reconstruction de l'administration sur des bases plus saines.
Ce qui ne veut pas dire que des collaborateurs ne vont pas passer au travers des mailles du filet…
On pense au cas de Maurice Papon, qui bien qu'arrêté,
sera relâché et fera toute sa carrière dans la haute fonction publique jusqu'à devenir… ministre.
Mais tout le monde ne peut pas échapper à la justice de l'époque
de la même manière. Près de 30 000 personnes vont ainsi être écartées
de leurs postes. Quant aux anciens cadres de l'administration vichyste,
ils sont rapidement remplacés par des représentants du nouveau gouvernement
afin de s'assurer que le nouveau régime est bien en place sur le territoire fraîchement libéré.
L'épuration s'arrête aussi sur d'autres organes essentiels… à commencer par les médias.
Car la guerre passe aussi par là. Aussi stratégiques pour la propagande que
symboliques dans l'opinion, les médias ont leur lot de figures collaborationnistes. Des cibles
privilégiées pour les Français Libres, qui n'ont pas attendu la Libération pour s'y attaquer. C'est
par exemple le cas de Philippe Henriot, célèbre orateur à Radio-Paris engagé avec tant de force
aux côtés du Régime Vichy qu'il en devient, sur la fin, secrétaire d'état à l'information. Mais
jusqu'au bout, il est surtout connu pour ses chroniques antisémites et collaborationnistes.
Il le paie de sa vie le 28 juin 1944, lorsqu'il est abattu par un groupe de
résistants. Cela donnera justement lieu à une ultime campagne de propagande allemande,
intitulée “Il disait la vérité, ils l'ont tué”.
Et s'il y a guerre dans les médias… il y a aussi libération, et donc, épuration.
La presse, l'édition et la radio voient ainsi nombre de procès tomber, mais c'est aussi le
monde du spectacle qui voit acteurs et metteurs en scène être arrêtés, à tort ou à raison. Il suffit
d'avoir joué une pièce durant la guerre pour que certains y voient un acte de collaboration ! Il
faut alors trier ceux qui ont joué des œuvres clairement en faveur de la collaboration des
autres. Des comités d'épuration sont chargés d'identifier qui a véritablement collaboré ou non.
Certains sont interdits de jouer ou d'organiser quelque représentation que ce soit. D'autres sont
bien plus lourdement condamnés. Et dans tous les cas, la plupart des professionnels refusent d'être
associés à d'anciens collaborateurs, ce qui stoppe net les carrières de certains acteurs.
Les journaux sont parmi les cibles les plus visibles de l'épuration. Tous ceux nés sous
l'occupation ou ayant contribué à relayer la propagande ennemie sont
purement et simplement interdits. Des journaux historiques tombés
dans la collaboration disparaissent pour laisser place à une nouvelle génération,
comme Le Parisien Libéré, qui deviendra Le Parisien, La Charente Libre, et d'autres
titres qui annoncent ouvertement la couleur : ce sont des journaux nés de la Libération.
Mais plus que les journaux en eux-mêmes, ce sont les journalistes et directeurs
de publication que l'on cherche à épurer. Et pas dans la douceur ! Albert Lejeune,
homme d'affaires qui se servait des journaux qu'il possédait pour
s'en prendre à la Résistance et profitait des spoliations des sociétés juives pour
s'enrichir, est ainsi condamné à mort à l'issue de son procès, et fusillé.
Ah je vous avais prévenu, ils y vont pas avec le dos de la cuillère...
Les publications sont épluchées : qui a écrit quoi ? Qui a publié un collaborateur ? Le débat
fait rage dans les milieux intellectuels, pour savoir à qui il faut attribuer quelle
part de responsabilité. Mais pendant que les discussions durent, les procès, eux,
ils vont bon train ! Et là encore, tout le monde évite de s'associer professionnellement
avec quelqu'un accusé de collaboration, ce qui arrête indirectement la carrière de bien des
auteurs. L'objectif de ces épurations est de faire taire ce qui reste de la
propagande de Vichy une bonne fois pour toutes, jusque dans le monde du livre.
Les membres des radios de Vichy, comme Radio Paris déjà évoquée ou la radio Ici la France
qui étaient engagées dans une lutte constante contre Radio Londres et la France Libre,
se retrouvent sur le banc des accusés. Les condamnations tombent… y compris à mort.
Et si l'épuration des milieux médiatiques fait beaucoup parler,
une autre a lieu dans un endroit plus stratégique encore : la Grande Muette. L'armée.
Je vous le disais plus tôt, n'oublions pas qu'en 1944, la France est toujours en
guerre ! Et c'est difficile de combattre avec, dans ses rangs, des cadres plutôt ouverts aux
idées de l'ennemi… ou ayant carrément commandé des troupes face aux Forces Françaises Libres !
Des procès ont lieu, et visent principalement les généraux et officiers supérieurs ayant
obéi à Vichy. Nombre d'entre eux sont condamnés à la prison pour avoir obéi
au gouvernement collaborationniste. Des officiers de moindre rang sont poursuivis,
avec ou sans condamnation selon leur implication dans la collaboration. Il
faut aussi dire que la France a encore une armée fragile, et a besoin d'intégrer au
maximum les structures et officiers récupérés lors de la Libération. On ferme donc parfois
les yeux…au nom du besoin d'hommes pour continuer le combat contre l'Allemagne nazie.
Évidemment, plus des hommes se sont ouvertement rangés du côté de Vichy, moins la justice est
clémente avec eux. Pour les anciens miliciens, et autres policiers et gendarmes ayant fait du zèle
contre les Juifs et les Résistants, il n'y a pas vraiment d'échappatoire…tout comme pour les chefs
d'entreprise qui ont soutenu l'effort de guerre allemand. On pense par exemple aux usines Renault,
mais aussi à ceux qui se sont enrichis grâce à l'occupation de manière générale.
Et pourtant…Pourtant... avec la fin de la guerre, va venir le temps du pardon. Et c'est important de
le préciser aussi. La France est exsangue, elle peine à se redresser après ces années de guerre,
d'occupation et de destruction. Et si l'on a su pardonner à des militaires
pour qu'ils participent à l'effort de guerre, vient le temps d'amnistier des
civils pour qu'ils participent à l'effort industriel pour remettre le pays sur pied.
En 1947, 1951 et 1953, plusieurs lois d'amnistie vont permettre de lever des condamnations,
de mettre fin à des poursuites, d'amoindrir des sanctions, et de manière générale,
la France rentre dans sa période où elle souhaite “tourner la page”.
Ce qui ne se fait pas sans débats, vous l'imaginez bien !
Ces lois d'amnisties font couler beaucoup d'encre, tant la colère est encore grande et
les crimes loin d'être oubliés. Mais c'est aussi, justement, pour apaiser cette colère que ces lois
interviennent. Il s'agit pour la France de ne pas tomber dans une chasse aux sorcières permanente,
plus encore à une époque où le pays doit aller de l'avant pour se redresser,
et où le spectre de la guerre civile dans une Europe ruinée est bien présent.
Mais pardonner, ça ne veut pas dire oublier, clairement. Plus tôt dans cette vidéo,
j'ai mentionné le cas de Maurice Papon, rattrapé par son passé dans les années 80,
puisque poursuivi non pas simplement en tant qu'ancien collaborateur… mais
pour crimes contre l'humanité. Et ces crimes, on ne peut pas les effacer,
peu importe le temps écoulé, la justice peut toujours s'en mêler !
C'est aussi le cas de Paul Touvier, ancien chef de la milice lyonnaise,
condamné à mort avant d'être gracié en 1971 après des années de cavale. Hélas pour lui,
de nouvelles plaintes pour crimes contre l'humanité sont déposées,
et sa grâce ne le protège pas contre de nouvelles accusations. Il s'enfuit donc
à nouveau, avant d'être arrêté en 1994, et il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
À cette occasion, la presse rappelle que si l'ancien milicien a pu courir aussi longtemps,
c'est aussi grâce à l'assistance d'anciens collaborateurs de Vichy encore en vie. La
page est tournée depuis un demi-siècle, et le silence tombé, mais les acteurs
de cette triste époque n'ont pour autant pas tous abandonné leurs vieilles idées.
Voilà, voilà, c'était fun hein ? On s'amuse ! Mais c'est aussi ça l'Histoire,
c'est pas que du fun et des paillettes, des morts absurdes, des jobs à la con...C'est
aussi des sujets aussi sérieux et grave que l'épuration et il ne faut surtout pas l'oublier.
Je vous l'ai précisé au début de la vidéo, les éditions 10*18 sortent un livre de François
Médéline, “La sacrifiée du Vercors”. Un roman noir qui se déroule dans le contexte de l'Epuration,
à la fin de la seconde guerre mondiale. Marie, une jeune femme est retrouvé égorgée et personne
ne veut parler à l'enquêteur, le commissaire Georges Duroy. Est ce que c'est les miliciens
qui se sont vengés en tuant la jeune fille, issue d'une famille de résistant ? Est ce
qu'elle a couché avec un allemand ce qui de facto faisait d'elle une collaboratrice ? Que
faire des coupables s'ils se révèlent être des résistants héroïques que l'on glorifie sur la
fin du conflit ? Autant de questionnement qui vont permettre à l'auteur d'aborder plein de
thématiques comme la résistance dans le Vercors mais aussi le rôle très ambigu de certains
résistants, la collaboration, les rivalités entre gaullistes et communistes...Bref, un contexte bien
particulier qui se prête carrément au roman noir et qui permet, vous savez que j'aime bien ça,
de casser le manichéisme de la guerre : les bons d'un côté, les méchants de l'autre ! Je vous
mets plus d'informations dans la description si vous voulez acheter l'ouvrage,je sais que
certains d'entre vous ont craqué quand j'avais recommandé un de leur bouquins sur les Cathares
et j'avais eu de bons retours alors il n'y a pas de raisons que vous ne kiffiez pas celui
là ! Merci à Julien Hervieux de la chaîne l'odieux Connard pour la préparation de cette émission.
A très vite sur Nota Bene pour de nouveau épisodes. Ciao !