×

We use cookies to help make LingQ better. By visiting the site, you agree to our cookie policy.


image

Les mots de l'actualité (2009), FICHIER   2009-10-20

FICHIER 2009-10-20

Il y a un peu plus d'un an, le projet Edvige était abandonné. Ce fichier envisagé avait suscité des critiques nombreuses, notamment parce qu'il prévoyait de regrouper des informations sur des gens que les services de police voulaient contrôler, en fonction de ce qu'ils avaient fait, mais aussi en fonction de ce qu'ils étaient susceptibles de faire, de ce qu'on pensait qu'il pouvaient faire. Un fichier des intentions, en quelque sorte. D'autre part, il prévoyait de ficher des mineurs, et sur bon nombre de fiches, de faire figurer les origines ethniques ou géographiques ainsi parfois que l'orientation sexuelle des gens en question.

Aujourd'hui, on annonce la création de deux bases de données qui doivent aider la police française dans ses investigations. On voit bien la nuance et la précaution : le nom de fichier n'est plus prononcé, et l'expression « base de données » semble être moins explosive. Est-ce à dire que, si on stocke des renseignements sur des gens, on ne les fiche plus ?

En fait, « ficher les gens » signifie qu'on les inclut dans un fichier, qu'on les met en fiche. Oh, cette fiche n'est pas toujours très concrète. Jadis elle l'était. En effet, le mot « fiche », ancien, d'origine latin,e a eu il y a longtemps le sens d'étiquette. Ces petits bouts de carton, relativement rigides, étaient plus faciles à classer et à ranger que du papier trop souple. Alors on peut confectionner une boite, et ranger les fiches dedans, par ordre alphabétique. Facile à compulser, à retrouver. Et bizarrement, ce mode de classement est devenu presque synonyme d'un ordre obsessionnel, qui ne laisse rien passer. Tout est en fiches ; j'ai tout mis dans mes fiches.

Mais cette manie du fichage inquiète encore plus quand ce n'est pas seulement une passion privée, mais qu'elle étend sa contagion au service public. On a l'impression que l'état veut tout contrôler, et par conséquent tout juger. Qu'il veut se donner la possibilité d'interdire ce qu'il veut, quand il veut. Et surtout que le citoyen – ou même disons l'habitant, puisque tous les habitants d'un pays n'en sont pas forcément citoyens – ne peut plus échapper à l'œil du pouvoir qui l'observe, le traque, le connaît. C'est le genre d'image et de peur qui ont été développées dans le célèbre roman de George Orwell 1984 .

On parle donc, très souvent, de fichiers à peu près dans le même sens qu'on parle de banque de données. Seulement le premier terme est bien plus péjoratif : dans une banque de données, on range des informations neutres, pense-t-on, qui ne concernent pas principalement des êtres humains. Alors qu'un fichier fonctionne un peu comme un annuaire. Les fichiers de la police, par exemeple : « il est fiché au grand banditisme » dit-on. Cela fait frissonner.

De même parle-t-on des fichiers des impôts, des contraventions, de la sécurité sociale, de toutes les façons d'accumuler des renseignements sur quelqu'un. Mais quand on dit de quelqu'un simplement « il est fiché », la phrase est sinistre. Comme si cela signifiait « il est connu de nos services ».

Alors, quand on parle de base de données, en effet, on a l'impression que c'est plus neutre.

Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/


FICHIER   2009-10-20 DATEI 2009-10-20 FILE 2009-10-20 PLIK 2009-10-20

Il y a un peu plus d’un an, le projet Edvige était abandonné. Ce fichier envisagé avait suscité des critiques nombreuses, notamment parce qu’il prévoyait de regrouper des informations sur des gens que les services de police voulaient contrôler, en fonction de ce qu’ils avaient fait, mais aussi en fonction de ce qu’ils étaient susceptibles de faire, de ce qu’on pensait qu’il pouvaient faire. Un fichier des intentions, en quelque sorte. D’autre part, il prévoyait de ficher des mineurs, et sur bon nombre de fiches, de faire figurer les origines ethniques ou géographiques ainsi parfois que l’orientation sexuelle des gens en question.

Aujourd’hui, on annonce la création de deux bases de données qui doivent aider la police française dans ses investigations. On voit bien la nuance et la précaution : le nom de fichier n’est plus prononcé, et l’expression « base de données » semble être moins explosive. Est-ce à dire que, si on stocke des renseignements sur des gens, on ne les fiche plus ?

En fait, « ficher les gens » signifie qu’on les inclut dans un fichier, qu’on les met en fiche. Oh, cette fiche n’est pas toujours très concrète. Jadis elle l’était. En effet, le mot « fiche », ancien, d’origine latin,e a eu il y a longtemps le sens d’étiquette. Indeed, the old word “fiche”, of Latin origin, long ago had the meaning of label. Ces petits bouts de carton, relativement rigides, étaient plus faciles à classer et à ranger que du papier trop souple. Alors on peut confectionner une boite, et ranger les fiches dedans, par ordre alphabétique. Facile à compulser, à retrouver. Et bizarrement, ce mode de classement est devenu presque synonyme d’un ordre obsessionnel, qui ne laisse rien passer. Tout est en fiches ; j’ai tout mis dans mes fiches.

Mais cette manie du fichage inquiète encore plus quand ce n’est pas seulement une passion privée, mais qu’elle étend sa contagion au service public. On a l’impression que l’état veut tout contrôler, et par conséquent tout juger. Qu’il veut se donner la possibilité d’interdire ce qu’il veut, quand il veut. Et surtout que le citoyen – ou même disons l’habitant, puisque tous les habitants d’un pays n’en sont pas forcément citoyens – ne peut plus échapper à l’œil du pouvoir qui l’observe, le traque, le connaît. C’est le genre d’image et de peur qui ont été développées dans le célèbre roman de George Orwell 1984 .

On parle donc, très souvent, de fichiers à peu près dans le même sens qu’on parle de banque de données. Seulement le premier terme est bien plus péjoratif : dans une banque de données, on range des informations neutres, pense-t-on, qui ne concernent pas principalement des êtres humains. Only the first term is much more pejorative: in a database, we store neutral information, we think, which does not mainly concern human beings. Alors qu’un fichier fonctionne un peu comme un annuaire. Les fichiers de la police, par exemeple : « il est fiché au grand banditisme » dit-on. Police files, for example: “he is stuck with organized crime” they say. Cela fait frissonner. It makes you shiver.

De même parle-t-on des fichiers des impôts, des contraventions, de la sécurité sociale, de toutes les façons d’accumuler des renseignements sur quelqu’un. Mais quand on dit de quelqu’un simplement « il est fiché », la phrase est sinistre. Comme si cela signifiait « il est connu de nos services ».

Alors, quand on parle de base de données, en effet, on a l’impression que c’est plus neutre.

Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/