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Enlevé Kidnapped, Enlevé ! Chapitre 24

Enlevé ! Chapitre 24

XXIV. La fuite dans la bruyère :la dispute

Nous passâmes le loch Errocht sous le couvert de la nuit, et gagnâmes, le long de sa rive orientale, non loin de l'embouchure du loch Rannech, une autre cachette, où nous conduisit un des clients de la Cage. Ce garçon portait notre bagage, avec par-dessus le marché le grand surtout d'Alan, et trottait allègrement sous ce faix, dont la moitié m'écrasait à l'ordinaire, comme un robuste poney de montagne porte sa plume à l'oreille ; c'était pourtant un homme que j'aurais, en combat loyal, cassé en deux sur mon genou. L'allégement était grand, certes, de marcher les mains libres ; et sans cela, peut-être, et la sensation résultante de liberté et d'alacrité, je n'aurais pas marché du tout. Je ne faisais que relever de maladie, et rien dans l'état de mes affaires n'était bien propre à me donner du cœur à la fatigue ; nous voyagions, comme je l'ai dit, parmi les plus lugubres déserts de l'Écosse, sous un ciel chargé de nuages, et la division couvait aux cœurs des voyageurs. Nous fûmes longtemps sans rien dire, marchant côte à côte ou l'un derrière l'autre, tous les deux d'un air rogue ; moi irrité et blessé dans mon amour-propre, et tirant mon peu de forces de ces deux sentiments violents et coupables ; Alan irrité et honteux, honteux d'avoir perdu mon argent, irrité de ce que j'avais si mal pris la chose. Le désir de la séparation ne m'en trottait que plus dans la cervelle ; et plus je l'approuvais, plus je rougissais de mon approbation. C'eût été une belle action, et généreuse certes, pour Alan, de se tourner vers moi et de me dire : « Allez-vous-en, je suis dans le plus extrême danger, et ma compagnie ne fait rien qu'augmenter le vôtre. » Mais que moi j'allasse me tourner vers cet ami qui à coup sûr me chérissait, et lui dire : « Vous courez un grand danger, le mien est beaucoup plus faible, votre amitié m'est un fardeau ; allez-vous-en, supportez tout seul vos risques et vos malheurs… » Non, c'était impossible ; et j'avais les joues brûlantes, de l'imaginer seulement dans mon for intérieur. Et pourtant, Alan s'était conduit comme un enfant, et voire pis ; comme un enfant perfide. M'avoir soutiré mon argent alors que j'étais presque inconscient ressemblait fort à un vol ; et pourtant il était ici, faisant route avec moi, sans un sou vaillant, et, à ce que je pouvais voir, tout disposé à vivre sur l'argent qu'il m'avait contraint de mendier. Au vrai, j'étais prêt à le partager avec lui, mais j'enrageais de le voir ainsi escompter ma bonne volonté. Je ne sortais pas de ces deux considérations ; et je n'aurais pu ouvrir la bouche sur l'une ou l'autre sans faire preuve de la plus noire ingratitude. Je fis donc ce qui était presque aussi mal : je ne disais mot, et ne jetais même pas un regard sur mon compagnon, si ce n'est du coin de l'œil. À la fin, comme nous avions traversé le loch Errocht et cheminions en terrain uni, où la marche était aisée, il ne put supporter plus longtemps mon silence, et se rapprocha de moi. – David, dit-il, cette façon de prendre un petit incident n'est guère amicale. J'ai à vous exprimer mes regrets, et voilà tout. Et maintenant, si vous avez quelque chose à dire, allez-y. – Oh ! répliquai-je, je n'ai rien à dire. Il parut déconcerté, ce qui m'enchanta bassement. – Non ? reprit-il, d'une voix un tant soit peu tremblante, même quand j'avoue que j'ai eu tort ? – Évidemment, vous avez eu tort, dis-je, d'un ton glacé ; et vous reconnaîtrez que je ne vous ai fait aucun reproche. – Aucun, dit-il ; mais vous savez fort bien, que vous avez fait pis. Faut-il nous séparer ? Vous l'avez déjà proposé une fois. Allez-vous le répéter une seconde ? Il y a suffisamment de montagnes et de bruyère d'ici aux deux mers, David ; et j'avoue que je n'ai pas grand désir de rester où l'on ne tient pas à m'avoir. Cette phrase me perça comme un glaive, et me sembla mettre à nu ma déloyauté. – Alan Breck ! m'écriai-je ; puis : – Me croyez-vous capable de vous tourner le dos dans votre urgente nécessité ? Vous n'oseriez pas me le dire en face. Toute ma conduite serait là pour vous démentir. Il est vrai que je me suis endormi dans le marais ; mais c'était de fatigue ; et il est mal à vous de me le reprocher… – C'est ce que je n'ai pas fait, interrompit Alan. – Mais à part cela, continuai-je, qu'ai-je fait pour que vous m'égaliez à un chien par une telle supposition ? Je n'ai jamais manqué à un ami, jusqu'à cette heure, et il n'y a pas de raison pour que je commence par vous. Il y a entre nous des choses que je ne puis oublier, même si vous le pouviez. – Je ne vous dirai qu'un mot, David, dit Alan, avec beaucoup de calme, c'est que je vous ai longtemps dû la vie, et qu'à présent je vous dois de l'argent. Vous devriez tâcher de me rendre ce fardeau léger. Cette parole était bien faite pour me toucher, et elle le fit d'une certaine manière, mais qui n'était pas la bonne. Je sentis que ma conduite était mauvaise ; et je devins non seulement irrité contre lui, mais irrité contre moi par-dessus le marché. J'en fus d'autant plus cruel. – Vous voulez que je parle, dis-je. Eh bien donc, je parlerai. Vous reconnaissez vous-même que vous m'avez rendu un mauvais service ; j'ai maintenant un affront à avaler ; je ne vous l'avais jamais reproché, je ne vous en avais jamais rien dit ; c'est vous qui commencez. Et voilà que vous me blâmez de n'être pas disposé à rire et à chanter, comme si je devais être heureux de cet affront. Ne faudra-t-il pas tout à l'heure que je vous en remercie à genoux ! Vous devriez songer un peu plus à autrui, Alan Breck. Si vous songiez davantage à autrui, vous parleriez sans doute moins de vous ; et quand un ami qui vous chérit a laissé, sans un mot, passer une offense, vous devriez bien n'y plus faire allusion, au lieu de la transformer en une arme pour lui briser le cœur. De votre propre aveu, c'est vous qui étiez à blâmer ; ce n'est donc pas à vous de me chercher noise. – Cela va bien, dit Alan ; plus un mot. Et, retombés dans notre silence antérieur, nous arrivâmes au bout de notre étape, mangeâmes et nous couchâmes, sans avoir prononcé une parole. Le lendemain à l'aube, le client de Cluny nous passa de l'autre côté du loch Rannoch, et nous donna son avis sur le chemin qu'il croyait le meilleur pour nous : – gagner aussitôt les hautes régions des montagnes ; faire un crochet par les sources des glens[32] Lyon, Lochay et Dorchart, et descendre vers les Basses-Terres par Kippen et la rive méridionale du Forth[33]. Alan n'aimait guère cet itinéraire qui traversait le pays de ses ennemis jurés, les Campbells Glenorchy. Il objecta qu'en appuyant vers l'est, nous serions tout de suite chez les Athole Stewarts, une race de ses nom et parenté, quoique soumise à un autre chef, et que nous arriverions ainsi par un chemin beaucoup plus direct et facile au but de notre course. Mais le client, qui était aussi le principal éclaireur de Cluny, trouva réponse à tout, dénombrant les corps de troupes cantonnées dans chaque district, et alléguant, pour finir (à ce que je crus comprendre) que nous ne serions nulle part aussi peu inquiétés que dans un pays de Campbells. Alan céda enfin, quoique à regret. – C'est l'une des contrées les plus arides de l'Écosse, dit-il. Il n'y a rien par là que je sache, si ce n'est de la bruyère, des corbeaux et des Campbells. Mais je vois que vous êtes un homme de sens ; qu'il en soit fait selon votre désir ! Nous suivîmes donc cet itinéraire ; et durant la plus grande partie des trois nuits, nous voyageâmes parmi des cimes de montagnes et des sources de rivières torrentueuses, ensevelis fréquemment dans le brouillard, battus par un vent et une pluie presque continuels, et pas un seul instant réjouis par un rayon de soleil. Le jour, nous nous couchions pour dormir dans la bruyère ruisselante ; la nuit, nous escaladions sans trêve des pentes à nous casser le cou, au long d'affreux précipices. Nous nous trompions quelquefois de chemin ; nous étions quelquefois enveloppés dans un brouillard si dense qu'il nous fallait attendre qu'il s'éclaircît. Du feu, on n'y pouvait songer. Notre seule nourriture était le drammach et un morceau de viande froide que nous avions emporté de la Cage ; mais quant à la boisson, Dieu sait que l'eau ne nous manquait pas. Ce furent des heures abominables, rendues plus odieuses encore par le caractère sinistre du temps et du pays. Je ne cessais d'avoir froid ; je claquais des dents ; j'avais un fort mal de gorge, comme sur mon île ; un point de côté, qui ne me quittait pas, me lancinait ; et quand je m'endormais sur ma couche humide, c'était pour revivre en imagination les pires de mes aventures, – pour voir la tour de Shaws dans la lueur de l'éclair, Ransome emporté à dos d'homme, Shuan agonisant sur le plancher de la dunette, ou Colin Campbell s'efforçant de déboutonner son habit. Après ces cauchemars, je me réveillais au crépuscule, pour m'asseoir dans le même trou d'eau où j'avais dormi, et manger le drammach froid ; la pluie me chassait au visage ou me dégoulinait le long du dos en ruisselets de glace ; le brouillard nous enveloppait sinistrement de ses plis, – ou bien, si le vent soufflait, il s'entr'ouvrait soudain et nous découvrait l'abîme de quelque val ténébreux où des torrents se précipitaient à grand bruit. La rumeur d'une infinité de cours d'eau s'élevait de toutes parts. Cette pluie incessante avait débondé les sources de la montagne ; chaque ravine se dégorgeait comme une citerne ; chaque torrent était en pleine crue et son lit débordé. Durant nos courses nocturnes, leurs voix solennelles emplissaient les vallées, tantôt de roulements de tonnerre, tantôt de rugissements furieux. Je comprenais alors l'histoire du Kelpie des Eaux, ce démon des rivières, que la légende a enchaîné au torrent, où il gémit et hurle, en l'attente de l'infortuné voyageur. Alan et moi finissions par y croire, ou tout comme ; et quand le fracas du torrent s'élevait au-dessus de son diapason ordinaire, je ne m'étonnais plus (j'étais toutefois encore un peu scandalisé) de voir mon ami faire le signe de croix à la façon des catholiques. C'est à peine, au cours de ces errances affreuses, si nous eûmes la moindre communication, même en paroles. Il est vrai que je n'aspirais plus qu'au tombeau, et c'est là ma meilleure excuse. Mais en outre j'ai toujours été d'un naturel rancunier, lent à m'offenser, plus lent à oublier l'offense, et j'étais alors exaspéré autant contre moi que contre mon compagnon. Durant presque deux jours, il se montra d'une inlassable complaisance ; muet, mais toujours prêt à me venir en aide, et toujours espérant (je le voyais très bien) que ma lubie se dissiperait. Durant ce même temps, je me renfermai en moi-même, à ruminer ma colère, repoussant avec rudesse ses offres de service, et n'arrêtant pas plus mes yeux sur lui que s'il eût été un buisson ou une pierre. La deuxième nuit, ou plutôt l'aube du troisième jour, nous trouva sur une hauteur des plus pelées, en sorte qu'il nous fut impossible de suivre notre programme habituel et de nous coucher aussitôt pour manger et dormir. Avant que nous eussions atteint un abri, le ciel, de gris était devenu très clair, car malgré la pluie persistante, les nuages passaient plus haut ; et Alan me regarda en face, avec quelques signes d'inquiétude. – Vous devriez me laisser porter votre paquet, dit-il, pour la neuvième fois peut-être depuis que nous avions quitté l'éclaireur au bord du loch Rannoch. – Je le porte très bien, je vous remercie, dis-je, froid comme glace. Alan rougit fortement : – Je ne vous l'offrirai plus, dit-il. Je ne suis pas un homme patient, David. – Je n'ai jamais dit que vous l'étiez, répondis-je, tout juste comme l'eût fait ridiculement un gamin de dix ans. Alan ne me répliqua rien, mais sa conduite répondit pour lui. Il y a tout lieu de croire que, dorénavant, il s'accordait l'absolution plénière pour l'aventure de chez Cluny ; et, remettant son chapeau de côté, il marcha d'un air crâne, sifflant des airs, et me lançant des sourires obliques et provocateurs. Nous devions, la troisième nuit, traverser l'extrême ouest du pays de Balquhidder. Il faisait pur et froid, il y avait de la gelée dans l'air, et un vent du nord qui dispersait les nuages et faisait briller les étoiles. Les torrents étaient gros, bien entendu, et emplissaient toujours les ravins de leur tumulte ; mais je notai qu'Alan ne songeait plus au Kelpie, et qu'il était d'excellente humeur. Quant à moi, le beau temps arrivait trop tard ; j'avais couché dans la boue si longtemps que (selon le mot de la Bible) mes habits mêmes « avaient horreur de moi » ; j'étais rompu de fatigue, affreusement mal à l'aise et cousu de douleurs et de frissons ; le froid du vent me transperçait, et son bruit m'emplissait les oreilles. Ce fut dans ce triste état que j'eus à supporter de la part de mon compagnon quelque chose qui ressemblait fort à une persécution. Il parlait beaucoup, et jamais sans allusion piquante. « Whig » était le meilleur qualificatif qu'il trouvât à me donner. « Voici, disait-il, voici un fossé à sauter pour vous, mon petit whig ! Vous êtes un si fier sauteur ! » Et ainsi de suite, tout le temps avec une voix railleuse et perfide. C'était bien ma faute, à moi et à personne d'autre, je le savais ; mais j'étais trop misérable pour me repentir. Je me sentais incapable de me traîner beaucoup plus loin ; avant peu, il me faudrait me coucher pour mourir sur ces montagnes détrempées, comme un mouton ou un renard, et mes os blanchiraient là comme ceux d'un animal. Ma tête se perdait, sans doute ; mais peu à peu je prenais goût à cette idée, je trouvais enviable de mourir ainsi, seul dans le désert, où les aigles farouches environneraient mes derniers moments. Alan regretterait alors sa conduite, me disais-je ; il se souviendrait, après ma mort, de tout ce qu'il me devait, et ce souvenir lui serait une torture. Je continuai donc de la sorte, comme un petit sot et un mauvais cœur d'écolier malade, à nourrir ma vengeance contre un frère humain, alors que j'aurais dû plutôt me mettre à genoux et demander pardon à Dieu. Et au contraire, à chacune des attaques d'Alan, je m'applaudissais. « Ah ! me disais-je, je vous apprête mieux que cela ; quand je me coucherai pour mourir, vous croirez recevoir un soufflet au visage. Ah ! quelle revanche, alors ! ah ! comme vous regretterez votre ingratitude et votre cruauté ! » Cependant, mon état empirait toujours. Une fois déjà, j'étais tombé : mes jambes s'étaient dérobées subitement sous moi, et la chose avait frappé Alan sur le coup ; mais je fus si vite relevé, et me remis en marche d'un air si naturel, qu'il eut bientôt oublié l'incident. Des bouffées de chaleur me parcouraient, avec de soudains frissons. Mon point de côté devenait intolérable. Enfin, je sentis que je ne pouvais me traîner plus loin ; et là-dessus, le souhait me vint tout à coup d'en finir avec Alan, de donner libre cours à ma colère, et de terminer ma vie d'une façon plus rapide. Il venait justement de m'appeler « whig ». Je fis halte. – Monsieur Stewart, dis-je, d'une voix qui vibrait comme une corde de violon, vous êtes plus âgé que moi, et devriez savoir vous tenir. Croyez-vous qu'il soit bien sage ou spirituel de me jeter au nez mes opinions politiques ? Je m'imaginais que, lorsqu'ils différaient sur ce point, c'était le propre des gentlemen de différer avec politesse ; et par ailleurs je puis vous le dire, je suis capable de trouver une ironie meilleure que certaines des vôtres. Alan s'était arrêté me faisant face, le chapeau de côté, les mains dans les poches de sa culotte, la tête un peu sur l'épaule. Il m'écouta, avec un sourire mauvais que je distinguais au clair d'étoiles ; et quand j'eus fini de parler, il se mit à siffler un air jacobite. C'était l'air composé en dérision de la défaite du général Cope à Preston-pans : Hohé, Johnnie Cope, marchez-vous toujours ? Est-ce que vos tambours sont toujours battants ? Et il me revint à l'esprit que, le jour de cette bataille, Alan faisait partie de l'armée royale. – Pourquoi choisissez-vous cet air, monsieur Stewart ? dis-je. Est-ce pour me faire souvenir que vous avez été battu des deux côtés. L'air s'arrêta sur les lèvres d'Alan. – David ! dit-il. – Mais il est temps que ces manières cessent, continuai-je ; et je tiens à ce que vous parliez désormais civilement de mon roi et de mes bons amis les Campbells. – Je suis un Stewart… reprit Alan. – Oh ! dis-je, je sais que vous portez un nom royal. Mais il faut vous rappeler que, depuis que j'ai été dans les Highlands, j'ai vu pas mal de gens dans le même cas ; et le moins que je puisse dire de ces gens-là, c'est qu'ils ne feraient pas mal de se débarbouiller. – Savez-vous bien que vous m'insultez ? dit Alan d'une voix très grave. – Je le regrette, dis-je, car je n'ai pas fini, et si l'exorde de mon sermon vous déplaît, je crains fort que sa péroraison ne vous plaise guère non plus. Vous avez été poursuivi sur le champ de bataille par les hommes de mon parti ; le divertissement n'est pas du meilleur goût, de venir braver un garçon de mon âge. Whigs et Campbells, les uns et les autres vous ont battu ; vous avez fui comme un lièvre devant eux. Il vous convient de ne parler d'eux qu'avec respect. Alan demeurait parfaitement immobile, et les pans de son surtout claquaient au vent derrière lui. – C'est un malheur, dit-il. Voilà des choses qu'on ne peut laisser passer. – Je ne vous demande rien de tel. Je suis prêt tout comme vous. – Prêt ? – Prêt, répétai-je. Je ne suis ni vantard ni fanfaron comme certains que je pourrais nommer. Allons ! Et, tirant mon épée, je tombai en garde ainsi qu'Alan lui-même me l'avait enseigné. – David ! s'écria-t-il. Êtes-vous fou ? Je ne puis tirer l'épée contre vous, David. Ce serait un véritable meurtre. – Vous l'aviez prévu quand vous m'insultiez, dis-je. – C'est vrai ! s'écria Alan. Et il resta une minute, la main à son menton, qu'il tourmentait, comme examinant un problème insoluble. – C'est la pure vérité, dit-il, en tirant son épée. Mais je n'avais pas encore engagé ma lame, qu'il rejeta la sienne loin de lui et se laissa tomber à terre. – Non, non, répétait-il, non, non… je ne peux pas, je ne peux pas. À cette vue, le restant de ma colère s'échappa de moi ; et je ne fus plus que malade, triste, hagard, et m'étonnant de moi-même. J'aurais donné tout au monde pour reprendre ce que j'avais dit ; mais, une parole une fois lâchée, qui peut la rattraper ? Je me rappelai toute la bonté et le courage passés d'Alan, comment il m'avait aidé, ranimé et soutenu durant nos mauvais jours ; et puis mes insultes me revinrent, et je vis que j'avais perdu pour jamais cet ami si dévoué. En même temps, le malaise qui pesait sur moi me parut redoubler, et ma douleur au côté devint aiguë comme un glaive. Je pensai m'évanouir sur place. Alors, il me vint une idée. Nulle excuse ne pouvait effacer ce que j'avais dit ; inutile d'y songer, aucune ne couvrirait l'offense ; mais là où une excuse était vaine, un simple cri d'appel au secours était capable de me ramener Alan. J'abdiquai mon amour-propre : – Alan ! dis-je ; si vous ne me secourez pas, je vais mourir ici même. Il se dressa d'un bond, et me regarda. – C'est la vérité, repris-je. J'en suis à ce point. Oh ! être sous un toit… j'y mourrais plus content. Je n'avais pas à jouer la comédie ; que je le voulusse ou non, je parlais d'une voix larmoyante capable d'attendrir un cœur de pierre. – Pouvez-vous marcher ? demanda Alan. – Non, dis-je, pas tout seul. Cette dernière heure, mes jambes faiblissaient sous moi ; j'ai au côté un point pareil à un fer rouge ; je respire à peine. Si je meurs, me pardonnerez-vous, Alan ? Au fond du cœur, je vous aimais toujours… même quand j'étais le plus en colère. – Chut ! chut ! dit Alan. Ne dites pas cela ! David, mon ami, vous savez bien… (Il ravala un sanglot). – Je vais vous passer mon bras autour de la taille, continua-t-il, oui, c'est cela même qu'il faut faire ! Maintenant, appuyez-vous sur moi, fort. Dieu sait où il y a une habitation ! Nous sommes en Balquhidder, pourtant ; il n'y doit pas manquer de maisons, ni voire de maisons amies… Cela va-t-il mieux comme ça, David ? – Oui, dis-je, je peux marcher ainsi ; et je pressai son bras de ma main. Il faillit de nouveau sangloter. – David, dit-il, je suis un très méchant homme ; je n'ai ni raison ni bonté ; j'avais oublié que vous n'étiez qu'un enfant ; je ne voyais pas que vous alliez mourir tout debout. David, vous tâcherez de me pardonner, n'est-ce pas ? – Oh ! ami, ne parlons plus de cela ! dis-je. Nous n'avons ni l'un ni l'autre à nous faire de reproches, voilà tout. Il nous faut souffrir et supporter, ami Alan… Oh ! mais que mon point me fait mal ! N'y a-t-il pas de maison quelque part ? – Je vous trouverai une maison. David, dit-il avec force. Nous allons descendre ce ravin ; il doit à coup sûr s'y trouver des maisons. Mon pauvre petit, ne seriez-vous pas mieux sur mon dos ? – Oh ! Alan ! dis-je ; avec mes douze bons pouces de plus que vous ! – Pas tant que cela, s'écria-t-il, avec un sursaut. Peut-être l'affaire d'un pouce ou deux… Je ne veux pas dire toutefois que je suis réellement ce qu'on appelle un homme grand… Et après tout, ajouta-t-il, en baissant le ton d'une manière risible, quand j'y réfléchis, je crois que vous pourriez avoir raison… Oui, ce peut être un pied, ou pas loin… ou même davantage, peut-être, qui sait ! Il était délicieusement drôle d'entendre Alan ravaler ses mots par crainte d'une nouvelle dispute. J'aurais ri, si mon point ne m'en eût empêché ; mais si j'avais ri, je pense que j'aurais pleuré en même temps. – Alan ! m'écriai-je, pourquoi êtes-vous si bon avec moi ? Pourquoi vous souciez-vous d'un si ingrat individu ? – Ma foi, je ne sais, dit Alan. Car je me figurais précisément vous aimer à cause que vous ne vous disputiez jamais… et voilà qu'à présent je vous en aime davantage !


Enlevé ! Chapitre 24 Kidnapped! Chapter 24 Secuestrados Capítulo 24 Sequestrado! Capítulo 24

XXIV. XXIV. La fuite dans la bruyère :la dispute Escape to the heather: the argument

Nous passâmes le loch Errocht sous le couvert de la nuit, et gagnâmes, le long de sa rive orientale, non loin de l’embouchure du loch Rannech, une autre cachette, où nous conduisit un des clients de la Cage. We passed loch Errocht under the cover of night, and gained, along its eastern shore, not far from the mouth of loch Rannech, another hiding place, to which one of the Cage's customers led us. Ce garçon portait notre bagage, avec par-dessus le marché le grand surtout d’Alan, et trottait allègrement sous ce faix, dont la moitié m’écrasait à l’ordinaire, comme un robuste poney de montagne porte sa plume à l’oreille ; c’était pourtant un homme que j’aurais, en combat loyal, cassé en deux sur mon genou. This boy carried our luggage, with Alan's large one above all else, and trotted merrily under this faix, half of which usually crushed me, like a sturdy mountain pony wears its feather in its ear; yet he was a man whom I would, in fair combat, have broken in two over my knee. L’allégement était grand, certes, de marcher les mains libres ; et sans cela, peut-être, et la sensation résultante de liberté et d’alacrité, je n’aurais pas marché du tout. The relief was great, certainly, to walk hands-free; and without that, perhaps, and the resulting sensation of freedom and alacrity, I wouldn't have walked at all. Je ne faisais que relever de maladie, et rien dans l’état de mes affaires n’était bien propre à me donner du cœur à la fatigue ; nous voyagions, comme je l’ai dit, parmi les plus lugubres déserts de l’Écosse, sous un ciel chargé de nuages, et la division couvait aux cœurs des voyageurs. I was only recovering from illness, and there was nothing in the state of my affairs to give me heart for fatigue; we were traveling, as I said, among the bleakest deserts of Scotland, under a cloud-laden sky, and division brooded in the hearts of the travelers. Nous fûmes longtemps sans rien dire, marchant côte à côte ou l’un derrière l’autre, tous les deux d’un air rogue ; moi irrité et blessé dans mon amour-propre, et tirant mon peu de forces de ces deux sentiments violents et coupables ; Alan irrité et honteux, honteux d’avoir perdu mon argent, irrité de ce que j’avais si mal pris la chose. We stood for a long time without saying a word, walking side by side or one behind the other, both with a rogue air; I irritated and wounded in my self-esteem, and drawing my little strength from these two violent and guilty feelings; Alan irritated and ashamed, ashamed to have lost my money, irritated that I had taken the thing so badly. Le désir de la séparation ne m’en trottait que plus dans la cervelle ; et plus je l’approuvais, plus je rougissais de mon approbation. The desire for separation was all the more in my mind; and the more I approved of it, the more I blushed at my approval. C’eût été une belle action, et généreuse certes, pour Alan, de se tourner vers moi et de me dire : « Allez-vous-en, je suis dans le plus extrême danger, et ma compagnie ne fait rien qu’augmenter le vôtre. It would have been a fine and generous deed for Alan to turn to me and say: "Go away, I'm in the most extreme danger, and my company only increases yours. » Mais que moi j’allasse me tourner vers cet ami qui à coup sûr me chérissait, et lui dire : « Vous courez un grand danger, le mien est beaucoup plus faible, votre amitié m’est un fardeau ; allez-vous-en, supportez tout seul vos risques et vos malheurs… » Non, c’était impossible ; et j’avais les joues brûlantes, de l’imaginer seulement dans mon for intérieur. "But for me to turn to this friend, who undoubtedly cherished me, and say: "You're in great danger, mine is much weaker, your friendship is a burden to me; go away, bear your risks and misfortunes alone...". No, it was impossible; and my cheeks burned, just imagining it in my mind. Et pourtant, Alan s’était conduit comme un enfant, et voire pis ; comme un enfant perfide. And yet Alan had behaved like a child, and even worse; like a perfidious child. M’avoir soutiré mon argent alors que j’étais presque inconscient ressemblait fort à un vol ; et pourtant il était ici, faisant route avec moi, sans un sou vaillant, et, à ce que je pouvais voir, tout disposé à vivre sur l’argent qu’il m’avait contraint de mendier. To have taken my money when I was almost unconscious looked very much like a robbery; and yet here he was, riding with me, without a penny to his name, and, as far as I could see, quite willing to live on the money he'd forced me to beg for. Au vrai, j’étais prêt à le partager avec lui, mais j’enrageais de le voir ainsi escompter ma bonne volonté. In truth, I was ready to share it with him, but I was enraged to see him expect my good will. Je ne sortais pas de ces deux considérations ; et je n’aurais pu ouvrir la bouche sur l’une ou l’autre sans faire preuve de la plus noire ingratitude. I couldn't get out of these two considerations, and I couldn't have opened my mouth about either of them without showing the blackest ingratitude. Je fis donc ce qui était presque aussi mal : je ne disais mot, et ne jetais même pas un regard sur mon compagnon, si ce n’est du coin de l’œil. So I did what was almost as bad: I said nothing, and didn't even glance at my companion, except out of the corner of my eye. À la fin, comme nous avions traversé le loch Errocht et cheminions en terrain uni, où la marche était aisée, il ne put supporter plus longtemps mon silence, et se rapprocha de moi. In the end, as we crossed Errocht loch and made our way over level ground, where walking was easy, he couldn't bear my silence any longer, and moved closer to me. – David, dit-il, cette façon de prendre un petit incident n’est guère amicale. - David," he says, "this is hardly a friendly way to handle a little incident. J’ai à vous exprimer mes regrets, et voilà tout. I have to express my regrets, and that's all there is to it. Et maintenant, si vous avez quelque chose à dire, allez-y. And now, if you have something to say, go ahead. – Oh ! - Oh! répliquai-je, je n’ai rien à dire. I replied, "I have nothing to say. Il parut déconcerté, ce qui m’enchanta bassement. He seemed disconcerted, which delighted me to no end. – Non ? - No? reprit-il, d’une voix un tant soit peu tremblante, même quand j’avoue que j’ai eu tort ? he continued, his voice a little shaky, even when I admit I was wrong? – Évidemment, vous avez eu tort, dis-je, d’un ton glacé ; et vous reconnaîtrez que je ne vous ai fait aucun reproche. - Obviously, you were wrong," I said, in an icy tone, "and you'll agree that I didn't reproach you. – Aucun, dit-il ; mais vous savez fort bien, que vous avez fait pis. - None," he says, "but you know very well that you've done worse. Faut-il nous séparer ? Should we split up? Vous l’avez déjà proposé une fois. You've already suggested it once. Allez-vous le répéter une seconde ? Would you mind repeating that for a second? Il y a suffisamment de montagnes et de bruyère d’ici aux deux mers, David ; et j’avoue que je n’ai pas grand désir de rester où l’on ne tient pas à m’avoir. There are mountains and heather enough from here to the two seas, David; and I confess I have no great desire to stay where I am not anxious to be had. Cette phrase me perça comme un glaive, et me sembla mettre à nu ma déloyauté. This sentence pierced me like a sword, and seemed to expose my disloyalty. – Alan Breck ! - Alan Breck! m’écriai-je ; puis : – Me croyez-vous capable de vous tourner le dos dans votre urgente nécessité ? do you think I'd turn my back on you in your urgent need? Vous n’oseriez pas me le dire en face. You wouldn't dare say that to my face. Toute ma conduite serait là pour vous démentir. All my conduct would be there to contradict you. Il est vrai que je me suis endormi dans le marais ; mais c’était de fatigue ; et il est mal à vous de me le reprocher… – C’est ce que je n’ai pas fait, interrompit Alan. It's true I fell asleep in the swamp, but it was from exhaustion, and it's wrong of you to blame me... - I didn't, Alan interrupted. – Mais à part cela, continuai-je, qu’ai-je fait pour que vous m’égaliez à un chien par une telle supposition ? - But apart from that," I continued, "what have I done to make you equate me with a dog by such an assumption? Je n’ai jamais manqué à un ami, jusqu’à cette heure, et il n’y a pas de raison pour que je commence par vous. I've never missed a friend, until now, and there's no reason why I should start with you. Il y a entre nous des choses que je ne puis oublier, même si vous le pouviez. There are things between us that I couldn't forget, even if you could. – Je ne vous dirai qu’un mot, David, dit Alan, avec beaucoup de calme, c’est que je vous ai longtemps dû la vie, et qu’à présent je vous dois de l’argent. - I'll tell you one thing, David," said Alan, very calmly, "I've owed you my life for a long time, and now I owe you money. Vous devriez tâcher de me rendre ce fardeau léger. You should try to make this burden lighter for me. Cette parole était bien faite pour me toucher, et elle le fit d’une certaine manière, mais qui n’était pas la bonne. It was a word well meant to touch me, and it did in a certain way, but it wasn't the right way. Je sentis que ma conduite était mauvaise ; et je devins non seulement irrité contre lui, mais irrité contre moi par-dessus le marché. I felt that my behavior was wrong; and I became not only irritated with him, but irritated with myself to boot. J’en fus d’autant plus cruel. It made me all the crueler. – Vous voulez que je parle, dis-je. - You want me to talk," I said. Eh bien donc, je parlerai. Well then, I'll talk. Vous reconnaissez vous-même que vous m’avez rendu un mauvais service ; j’ai maintenant un affront à avaler ; je ne vous l’avais jamais reproché, je ne vous en avais jamais rien dit ; c’est vous qui commencez. You yourself admit that you've done me a disservice; now I've got an affront to swallow; I've never reproached you for it, I've never told you about it; it's you who's starting it. Et voilà que vous me blâmez de n’être pas disposé à rire et à chanter, comme si je devais être heureux de cet affront. And now you're blaming me for not being willing to laugh and sing, as if I should be happy about this affront. Ne faudra-t-il pas tout à l’heure que je vous en remercie à genoux ! Won't I have to thank you on my knees later! Vous devriez songer un peu plus à autrui, Alan Breck. You should give a little more thought to others, Alan Breck. Si vous songiez davantage à autrui, vous parleriez sans doute moins de vous ; et quand un ami qui vous chérit a laissé, sans un mot, passer une offense, vous devriez bien n’y plus faire allusion, au lieu de la transformer en une arme pour lui briser le cœur. If you thought more about others, you'd probably talk less about yourself; and when a friend who cherishes you has let an offense go by without a word, you should never mention it again, instead of turning it into a weapon to break his heart. De votre propre aveu, c’est vous qui étiez à blâmer ; ce n’est donc pas à vous de me chercher noise. By your own admission, you were the one to blame, so it's not your place to mess with me. – Cela va bien, dit Alan ; plus un mot. - I'm fine," says Alan; "not another word. Et, retombés dans notre silence antérieur, nous arrivâmes au bout de notre étape, mangeâmes et nous couchâmes, sans avoir prononcé une parole. And, falling back into our earlier silence, we reached the end of our stage, ate and went to bed, without having spoken a word. Le lendemain à l’aube, le client de Cluny nous passa de l’autre côté du loch Rannoch, et nous donna son avis sur le chemin qu’il croyait le meilleur pour nous : – gagner aussitôt les hautes régions des montagnes ; faire un crochet par les sources des glens[32] Lyon, Lochay et Dorchart, et descendre vers les Basses-Terres par Kippen et la rive méridionale du Forth[33]. At dawn the next day, Cluny's client passed us on the other side of loch Rannoch, and gave us his opinion on the route he thought best for us: - gain the high mountain regions at once; make a detour via the sources of the glens[32] Lyon, Lochay and Dorchart, and descend to the Lowlands via Kippen and the southern bank of the Forth[33]. Alan n’aimait guère cet itinéraire qui traversait le pays de ses ennemis jurés, les Campbells Glenorchy. Alan didn't like this route, which took him through the country of his sworn enemies, the Campbells Glenorchy. Il objecta qu’en appuyant vers l’est, nous serions tout de suite chez les Athole Stewarts, une race de ses nom et parenté, quoique soumise à un autre chef, et que nous arriverions ainsi par un chemin beaucoup plus direct et facile au but de notre course. He objected that if we pressed eastward, we would immediately be among the Athole Stewarts, a race of his name and kinship, though subject to another chief, and that we would thus arrive by a much more direct and easier route at the goal of our errand. Mais le client, qui était aussi le principal éclaireur de Cluny, trouva réponse à tout, dénombrant les corps de troupes cantonnées dans chaque district, et alléguant, pour finir (à ce que je crus comprendre) que nous ne serions nulle part aussi peu inquiétés que dans un pays de Campbells. But the customer, who was also Cluny's main scout, had an answer for everything, counting the number of troops stationed in each district, and finally claiming (as I understood it) that nowhere would we be so untroubled as in a Campbell country. Alan céda enfin, quoique à regret. Alan finally gave in, albeit reluctantly. – C’est l’une des contrées les plus arides de l’Écosse, dit-il. - It's one of the driest parts of Scotland," he says. Il n’y a rien par là que je sache, si ce n’est de la bruyère, des corbeaux et des Campbells. There's nothing out there that I know of, except heather, crows and Campbells. Mais je vois que vous êtes un homme de sens ; qu’il en soit fait selon votre désir ! But I can see that you are a man of sense; let it be as you wish! Nous suivîmes donc cet itinéraire ; et durant la plus grande partie des trois nuits, nous voyageâmes parmi des cimes de montagnes et des sources de rivières torrentueuses, ensevelis fréquemment dans le brouillard, battus par un vent et une pluie presque continuels, et pas un seul instant réjouis par un rayon de soleil. So we followed this itinerary; and for the best part of three nights, we traveled among mountain peaks and torrential river springs, frequently buried in fog, battered by almost continuous wind and rain, and not for a moment cheered by a ray of sunshine. Le jour, nous nous couchions pour dormir dans la bruyère ruisselante ; la nuit, nous escaladions sans trêve des pentes à nous casser le cou, au long d’affreux précipices. By day, we lay down to sleep in the dripping heather; by night, we climbed relentlessly up neck-breaking slopes, along dreadful precipices. Nous nous trompions quelquefois de chemin ; nous étions quelquefois enveloppés dans un brouillard si dense qu’il nous fallait attendre qu’il s’éclaircît. Sometimes we took the wrong path; sometimes we were enveloped in a fog so dense that we had to wait for it to clear. Du feu, on n’y pouvait songer. Fire was out of the question. Notre seule nourriture était le drammach et un morceau de viande froide que nous avions emporté de la Cage ; mais quant à la boisson, Dieu sait que l’eau ne nous manquait pas. Our only food was drammach and a piece of cold meat we'd brought from the Cage; but as for drink, God knows we didn't lack for water. Ce furent des heures abominables, rendues plus odieuses encore par le caractère sinistre du temps et du pays. They were abominable hours, made even more odious by the sinister nature of the weather and the country. Je ne cessais d’avoir froid ; je claquais des dents ; j’avais un fort mal de gorge, comme sur mon île ; un point de côté, qui ne me quittait pas, me lancinait ; et quand je m’endormais sur ma couche humide, c’était pour revivre en imagination les pires de mes aventures, – pour voir la tour de Shaws dans la lueur de l’éclair, Ransome emporté à dos d’homme, Shuan agonisant sur le plancher de la dunette, ou Colin Campbell s’efforçant de déboutonner son habit. I was always cold; I chattered my teeth; I had a strong sore throat, just like on my island; a side stitch, which never left me, throbbed ; and when I fell asleep on my damp bed, it was to relive in my imagination the worst of my adventures, - to see Shaws' tower in the glow of lightning, Ransome carried off on the back of a man, Shuan dying on the floor of the poop deck, or Colin Campbell struggling to unbutton his suit. Après ces cauchemars, je me réveillais au crépuscule, pour m’asseoir dans le même trou d’eau où j’avais dormi, et manger le drammach froid ; la pluie me chassait au visage ou me dégoulinait le long du dos en ruisselets de glace ; le brouillard nous enveloppait sinistrement de ses plis, – ou bien, si le vent soufflait, il s’entr’ouvrait soudain et nous découvrait l’abîme de quelque val ténébreux où des torrents se précipitaient à grand bruit. After these nightmares, I'd wake up at dusk, to sit in the same watering hole where I'd slept, and eat the cold drammach; the rain would chase me in the face or drip down my back in rivulets of ice; the fog would envelop us eerily in its folds, - or, if the wind blew, it would suddenly open up and reveal to us the abyss of some murky valley where torrents rushed with great noise. La rumeur d’une infinité de cours d’eau s’élevait de toutes parts. The rumor of an infinite number of waterways rose up from all sides. Cette pluie incessante avait débondé les sources de la montagne ; chaque ravine se dégorgeait comme une citerne ; chaque torrent était en pleine crue et son lit débordé. This incessant rain had overflowed the mountain springs; every gully disgorged like a cistern; every torrent was in full flood and its bed overflowed. Durant nos courses nocturnes, leurs voix solennelles emplissaient les vallées, tantôt de roulements de tonnerre, tantôt de rugissements furieux. During our nocturnal runs, their solemn voices filled the valleys, sometimes with rolls of thunder, sometimes with furious roars. Je comprenais alors l’histoire du Kelpie des Eaux, ce démon des rivières, que la légende a enchaîné au torrent, où il gémit et hurle, en l’attente de l’infortuné voyageur. I then understood the story of the Kelpie des Eaux, the river demon, whom legend has chained to the torrent, where he moans and howls, waiting for the unfortunate traveler. Alan et moi finissions par y croire, ou tout comme ; et quand le fracas du torrent s’élevait au-dessus de son diapason ordinaire, je ne m’étonnais plus (j’étais toutefois encore un peu scandalisé) de voir mon ami faire le signe de croix à la façon des catholiques. Alan and I came to believe it, or just like it; and when the crash of the torrent rose above its ordinary pitch, I was no longer surprised (though I was still a little scandalized) to see my friend make the sign of the cross in Catholic fashion. C’est à peine, au cours de ces errances affreuses, si nous eûmes la moindre communication, même en paroles. During these dreadful wanderings, we barely had the slightest communication, even in words. Il est vrai que je n’aspirais plus qu’au tombeau, et c’est là ma meilleure excuse. It's true that I was longing for the grave, and that's my best excuse. Mais en outre j’ai toujours été d’un naturel rancunier, lent à m’offenser, plus lent à oublier l’offense, et j’étais alors exaspéré autant contre moi que contre mon compagnon. But then I've always been a natural grudge-holder, slow to take offense, slower to forget the offense, and then I was exasperated as much with myself as with my companion. Durant presque deux jours, il se montra d’une inlassable complaisance ; muet, mais toujours prêt à me venir en aide, et toujours espérant (je le voyais très bien) que ma lubie se dissiperait. For almost two days, he was tirelessly indulgent; mute, but always ready to help me, and always hoping (I could tell) that my whim would go away. Durant ce même temps, je me renfermai en moi-même, à ruminer ma colère, repoussant avec rudesse ses offres de service, et n’arrêtant pas plus mes yeux sur lui que s’il eût été un buisson ou une pierre. During this time, I shut myself away, brooding over my anger, rudely rejecting his offers of service, and no more stopping my eyes on him than if he had been a bush or a stone. La deuxième nuit, ou plutôt l’aube du troisième jour, nous trouva sur une hauteur des plus pelées, en sorte qu’il nous fut impossible de suivre notre programme habituel et de nous coucher aussitôt pour manger et dormir. The second night, or rather the dawn of the third day, found us on the most rugged of heights, making it impossible for us to follow our usual schedule and go straight to bed to eat and sleep. Avant que nous eussions atteint un abri, le ciel, de gris était devenu très clair, car malgré la pluie persistante, les nuages passaient plus haut ; et Alan me regarda en face, avec quelques signes d’inquiétude. Before we had reached a shelter, the sky had gone from gray to very clear, for despite the persistent rain, the clouds were passing higher up; and Alan looked me in the face, with some signs of concern. – Vous devriez me laisser porter votre paquet, dit-il, pour la neuvième fois peut-être depuis que nous avions quitté l’éclaireur au bord du loch Rannoch. - You should let me carry your package," he said, for perhaps the ninth time since we left the scout on the edge of Rannoch loch. – Je le porte très bien, je vous remercie, dis-je, froid comme glace. - I'm wearing it very well, thank you," I say, cold as ice. Alan rougit fortement : – Je ne vous l’offrirai plus, dit-il. Alan blushed hard: -I won't offer it to you again, he said. Je ne suis pas un homme patient, David. I'm not a patient man, David. – Je n’ai jamais dit que vous l’étiez, répondis-je, tout juste comme l’eût fait ridiculement un gamin de dix ans. - I never said you were," I replied, just as a ten-year-old ridiculously would have done. Alan ne me répliqua rien, mais sa conduite répondit pour lui. Alan didn't reply to me, but his behavior answered for him. Il y a tout lieu de croire que, dorénavant, il s’accordait l’absolution plénière pour l’aventure de chez Cluny ; et, remettant son chapeau de côté, il marcha d’un air crâne, sifflant des airs, et me lançant des sourires obliques et provocateurs. There's every reason to believe that, from now on, he would grant himself plenary absolution for the adventure at Cluny's; and, putting his hat back aside, he walked with a cranial air, whistling tunes, and throwing me oblique, provocative smiles. Nous devions, la troisième nuit, traverser l’extrême ouest du pays de Balquhidder. On the third night, we had to cross the extreme west of Balquhidder country. Il faisait pur et froid, il y avait de la gelée dans l’air, et un vent du nord qui dispersait les nuages et faisait briller les étoiles. It was pure and cold, with frost in the air and a northerly wind that dispersed the clouds and made the stars shine. Les torrents étaient gros, bien entendu, et emplissaient toujours les ravins de leur tumulte ; mais je notai qu’Alan ne songeait plus au Kelpie, et qu’il était d’excellente humeur. The torrents were big, of course, and still filled the ravines with their tumult; but I noted that Alan was no longer thinking about the Kelpie, and was in excellent spirits. Quant à moi, le beau temps arrivait trop tard ; j’avais couché dans la boue si longtemps que (selon le mot de la Bible) mes habits mêmes « avaient horreur de moi » ; j’étais rompu de fatigue, affreusement mal à l’aise et cousu de douleurs et de frissons ; le froid du vent me transperçait, et son bruit m’emplissait les oreilles. As for me, the fine weather came too late; I had lain in the mud so long that (in the words of the Bible) my very clothes "abhorred me"; I was broken with fatigue, dreadfully uncomfortable and sewn with pains and shivers; the cold of the wind pierced me, and its noise filled my ears. Ce fut dans ce triste état que j’eus à supporter de la part de mon compagnon quelque chose qui ressemblait fort à une persécution. It was in this sad state that I had to endure something very similar to persecution from my companion. Il parlait beaucoup, et jamais sans allusion piquante. He talked a lot, and never without piquant allusion. « Whig » était le meilleur qualificatif qu’il trouvât à me donner. "Whig" was the best he could come up with for me. « Voici, disait-il, voici un fossé à sauter pour vous, mon petit whig ! "Here," he said, "here's a ditch for you to jump, my little Whig! Vous êtes un si fier sauteur ! You're such a proud jumper! » Et ainsi de suite, tout le temps avec une voix railleuse et perfide. "And so on, all the time in a mocking, perfidious voice. C’était bien ma faute, à moi et à personne d’autre, je le savais ; mais j’étais trop misérable pour me repentir. It was my fault, mine and nobody else's, I knew; but I was too miserable to repent. Je me sentais incapable de me traîner beaucoup plus loin ; avant peu, il me faudrait me coucher pour mourir sur ces montagnes détrempées, comme un mouton ou un renard, et mes os blanchiraient là comme ceux d’un animal. I felt unable to drag myself much further; before long, I'd have to lie down to die on these sodden mountains, like a sheep or a fox, and my bones would bleach there like an animal's. Ma tête se perdait, sans doute ; mais peu à peu je prenais goût à cette idée, je trouvais enviable de mourir ainsi, seul dans le désert, où les aigles farouches environneraient mes derniers moments. My head was getting lost, no doubt; but little by little I was getting used to the idea, and I found it enviable to die like that, alone in the desert, where the fierce eagles would surround my last moments. Alan regretterait alors sa conduite, me disais-je ; il se souviendrait, après ma mort, de tout ce qu’il me devait, et ce souvenir lui serait une torture. Alan would then regret his conduct, I told myself; he would remember, after my death, all that he owed me, and this memory would be torture for him. Je continuai donc de la sorte, comme un petit sot et un mauvais cœur d’écolier malade, à nourrir ma vengeance contre un frère humain, alors que j’aurais dû plutôt me mettre à genoux et demander pardon à Dieu. So I continued in this way, like a little fool and a sickly schoolboy's bad heart, to feed my vengeance against a human brother, when I should rather have got down on my knees and asked God for forgiveness. Et au contraire, à chacune des attaques d’Alan, je m’applaudissais. On the contrary, every time Alan attacked, I applauded myself. « Ah ! "Ah! me disais-je, je vous apprête mieux que cela ; quand je me coucherai pour mourir, vous croirez recevoir un soufflet au visage. When I lie down to die, you'll think you've had a blow in the face. Ah ! Ah! quelle revanche, alors ! What a revenge! ah ! ah! comme vous regretterez votre ingratitude et votre cruauté ! how you'll regret your ingratitude and cruelty! » Cependant, mon état empirait toujours. "However, my condition continued to worsen. Une fois déjà, j’étais tombé : mes jambes s’étaient dérobées subitement sous moi, et la chose avait frappé Alan sur le coup ; mais je fus si vite relevé, et me remis en marche d’un air si naturel, qu’il eut bientôt oublié l’incident. Once before, I had fallen: my legs had suddenly given way beneath me, and the thing had struck Alan on the spot; but I was up again so quickly, and walked on with such a natural air, that he soon forgot the incident. Des bouffées de chaleur me parcouraient, avec de soudains frissons. Hot flashes ran through me, with sudden shivers. Mon point de côté devenait intolérable. My side point was becoming intolerable. Enfin, je sentis que je ne pouvais me traîner plus loin ; et là-dessus, le souhait me vint tout à coup d’en finir avec Alan, de donner libre cours à ma colère, et de terminer ma vie d’une façon plus rapide. At last, I felt I could drag myself no further; and on this, the wish suddenly came to me to end it all with Alan, to give vent to my anger, and end my life in a quicker way. Il venait justement de m’appeler « whig ». He had just called me "whig". Je fis halte. I stopped. – Monsieur Stewart, dis-je, d’une voix qui vibrait comme une corde de violon, vous êtes plus âgé que moi, et devriez savoir vous tenir. - Mr. Stewart," I said, in a voice that vibrated like a violin string, "you're older than me, and should know how to behave. Croyez-vous qu’il soit bien sage ou spirituel de me jeter au nez mes opinions politiques ? Do you think it's wise or witty to throw my political opinions in my face? Je m’imaginais que, lorsqu’ils différaient sur ce point, c’était le propre des gentlemen de différer avec politesse ; et par ailleurs je puis vous le dire, je suis capable de trouver une ironie meilleure que certaines des vôtres. I imagined that, when they differed on this point, it was proper for gentlemen to differ politely; and besides I can tell you, I'm capable of finding a better irony than some of yours. Alan s’était arrêté me faisant face, le chapeau de côté, les mains dans les poches de sa culotte, la tête un peu sur l’épaule. Alan had stopped facing me, his hat sideways, his hands in his trouser pockets, his head a little on his shoulder. Il m’écouta, avec un sourire mauvais que je distinguais au clair d’étoiles ; et quand j’eus fini de parler, il se mit à siffler un air jacobite. He listened to me, with an evil smile that I could make out in the starlight; and when I'd finished speaking, he began whistling a Jacobite tune. C’était l’air composé en dérision de la défaite du général Cope à Preston-pans : Hohé, Johnnie Cope, marchez-vous toujours ? It was the tune composed in derision of General Cope's defeat at Preston-pans: Hohé, Johnnie Cope, are you still walking? Est-ce que vos tambours sont toujours battants ? Are your drums still beating? Et il me revint à l’esprit que, le jour de cette bataille, Alan faisait partie de l’armée royale. And it occurred to me that, on the day of that battle, Alan was part of the royal army. – Pourquoi choisissez-vous cet air, monsieur Stewart ? - Why do you choose this tune, Mr. Stewart? dis-je. I said. Est-ce pour me faire souvenir que vous avez été battu des deux côtés. Is this to remind me that you've been beaten on both sides? L’air s’arrêta sur les lèvres d’Alan. The air stopped on Alan's lips. – David ! - David! dit-il. he says. – Mais il est temps que ces manières cessent, continuai-je ; et je tiens à ce que vous parliez désormais civilement de mon roi et de mes bons amis les Campbells. - But it's time for these manners to stop," I continued, "and I want you to speak civilly from now on about my king and my good friends the Campbells. – Je suis un Stewart… reprit Alan. - I'm a Stewart..." resumed Alan. – Oh ! - Oh! dis-je, je sais que vous portez un nom royal. I say, I know you bear a royal name. Mais il faut vous rappeler que, depuis que j’ai été dans les Highlands, j’ai vu pas mal de gens dans le même cas ; et le moins que je puisse dire de ces gens-là, c’est qu’ils ne feraient pas mal de se débarbouiller. But I must remind you that, since I've been in the Highlands, I've seen quite a few people in the same situation; and the least I can say about these people is that they wouldn't mind a good wash. – Savez-vous bien que vous m’insultez ? - Do you know that you're insulting me? dit Alan d’une voix très grave. said Alan in a very deep voice. – Je le regrette, dis-je, car je n’ai pas fini, et si l’exorde de mon sermon vous déplaît, je crains fort que sa péroraison ne vous plaise guère non plus. - I'm sorry," I said, "because I haven't finished, and if you don't like the exordium of my sermon, I'm afraid you won't like the peroration either. Vous avez été poursuivi sur le champ de bataille par les hommes de mon parti ; le divertissement n’est pas du meilleur goût, de venir braver un garçon de mon âge. You've been pursued on the battlefield by men of my party; it's not in the best taste, to come and brave a boy of my age. Whigs et Campbells, les uns et les autres vous ont battu ; vous avez fui comme un lièvre devant eux. Whigs and Campbells, both beat you; you fled like a hare from them. Il vous convient de ne parler d’eux qu’avec respect. You should speak of them only with respect. Alan demeurait parfaitement immobile, et les pans de son surtout claquaient au vent derrière lui. Alan remained perfectly still, the flaps of his surtout flapping in the wind behind him. – C’est un malheur, dit-il. - It's a misfortune," he says. Voilà des choses qu’on ne peut laisser passer. These are things you just can't pass up. – Je ne vous demande rien de tel. - I'm not asking you to do that. Je suis prêt tout comme vous. I'm as ready as you are. – Prêt ? - Ready to go? – Prêt, répétai-je. - Ready," I repeated. Je ne suis ni vantard ni fanfaron comme certains que je pourrais nommer. I'm not a braggart like some people I could name. Allons ! Come on! Et, tirant mon épée, je tombai en garde ainsi qu’Alan lui-même me l’avait enseigné. And, drawing my sword, I fell on guard as Alan himself had taught me. – David ! - David! s’écria-t-il. he exclaimed. Êtes-vous fou ? Are you crazy? Je ne puis tirer l’épée contre vous, David. I cannot draw the sword against you, David. Ce serait un véritable meurtre. That would be murder. – Vous l’aviez prévu quand vous m’insultiez, dis-je. - You predicted it when you insulted me," I said. – C’est vrai ! - It's true! s’écria Alan. Alan exclaimed. Et il resta une minute, la main à son menton, qu’il tourmentait, comme examinant un problème insoluble. And he remained for a minute, his hand on his chin, which he tormented, as if examining an insoluble problem. – C’est la pure vérité, dit-il, en tirant son épée. - It's the truth," he says, drawing his sword. Mais je n’avais pas encore engagé ma lame, qu’il rejeta la sienne loin de lui et se laissa tomber à terre. But I hadn't even engaged my blade when he threw his away and dropped to the ground. – Non, non, répétait-il, non, non… je ne peux pas, je ne peux pas. - No, no, he repeated, no, no... I can't, I can't. À cette vue, le restant de ma colère s’échappa de moi ; et je ne fus plus que malade, triste, hagard, et m’étonnant de moi-même. At this sight, the rest of my anger fled from me; and I was nothing but sick, sad, haggard, and wondering at myself. J’aurais donné tout au monde pour reprendre ce que j’avais dit ; mais, une parole une fois lâchée, qui peut la rattraper ? I would have given anything in the world to take back what I had said; but, once a word is out, who can take it back? Je me rappelai toute la bonté et le courage passés d’Alan, comment il m’avait aidé, ranimé et soutenu durant nos mauvais jours ; et puis mes insultes me revinrent, et je vis que j’avais perdu pour jamais cet ami si dévoué. I remembered all Alan's past kindness and courage, how he had helped, revived and supported me during our bad days; and then my insults came back to me, and I saw that I had lost forever this most devoted friend. En même temps, le malaise qui pesait sur moi me parut redoubler, et ma douleur au côté devint aiguë comme un glaive. At the same time, the discomfort that weighed on me seemed to redouble, and the pain in my side became as sharp as a sword. Je pensai m’évanouir sur place. I thought I'd faint on the spot. Alors, il me vint une idée. Then I had an idea. Nulle excuse ne pouvait effacer ce que j’avais dit ; inutile d’y songer, aucune ne couvrirait l’offense ; mais là où une excuse était vaine, un simple cri d’appel au secours était capable de me ramener Alan. No apology could erase what I'd said; there was no point thinking about it, none would cover the offense; but where an apology was futile, a simple cry for help was capable of bringing Alan back to me. J’abdiquai mon amour-propre : – Alan ! I abdicated my self-respect: - Alan! dis-je ; si vous ne me secourez pas, je vais mourir ici même. I said; if you don't help me, I'm going to die right here. Il se dressa d’un bond, et me regarda. He jumped to his feet and looked at me. – C’est la vérité, repris-je. - That's the truth," I said. J’en suis à ce point. I'm at that point now. Oh ! Oh! être sous un toit… j’y mourrais plus content. to be under a roof... I'd die happier there. Je n’avais pas à jouer la comédie ; que je le voulusse ou non, je parlais d’une voix larmoyante capable d’attendrir un cœur de pierre. I didn't have to act; whether I wanted to or not, I spoke with a tearful voice capable of softening a heart of stone. – Pouvez-vous marcher ? - Can you walk? demanda Alan. Alan asked. – Non, dis-je, pas tout seul. - No, I said, not alone. Cette dernière heure, mes jambes faiblissaient sous moi ; j’ai au côté un point pareil à un fer rouge ; je respire à peine. For the last hour, my legs have been weakening under me; I have a spot on my side like a red-hot iron; I can barely breathe. Si je meurs, me pardonnerez-vous, Alan ? If I die, will you forgive me, Alan? Au fond du cœur, je vous aimais toujours… même quand j’étais le plus en colère. In my heart, I always loved you... even when I was the angriest. – Chut ! - Hush! chut ! hush! dit Alan. says Alan. Ne dites pas cela ! Don't say that! David, mon ami, vous savez bien… (Il ravala un sanglot). David, my friend, you know... (He swallowed a sob). – Je vais vous passer mon bras autour de la taille, continua-t-il, oui, c’est cela même qu’il faut faire ! - I'm going to put my arm around your waist," he continued, "yes, that's the right thing to do! Maintenant, appuyez-vous sur moi, fort. Now lean on me, hard. Dieu sait où il y a une habitation ! God knows where there's a dwelling! Nous sommes en Balquhidder, pourtant ; il n’y doit pas manquer de maisons, ni voire de maisons amies… Cela va-t-il mieux comme ça, David ? We're in Balquhidder, though; there must be no shortage of houses, or even friendly houses... Is this better, David? – Oui, dis-je, je peux marcher ainsi ; et je pressai son bras de ma main. - Yes," I said, "I can walk like this," and squeezed his arm with my hand. Il faillit de nouveau sangloter. He almost sobbed again. – David, dit-il, je suis un très méchant homme ; je n’ai ni raison ni bonté ; j’avais oublié que vous n’étiez qu’un enfant ; je ne voyais pas que vous alliez mourir tout debout. - David," he said, "I'm a very bad man; I have neither reason nor kindness; I had forgotten that you were only a child; I didn't see that you were going to die standing up. David, vous tâcherez de me pardonner, n’est-ce pas ? David, you will try to forgive me, won't you? – Oh ! - Oh! ami, ne parlons plus de cela ! friend, let's not talk about it anymore! dis-je. I said. Nous n’avons ni l’un ni l’autre à nous faire de reproches, voilà tout. We have nothing to reproach each other for, that's all. Il nous faut souffrir et supporter, ami Alan… Oh ! We must suffer and endure, friend Alan... Oh! mais que mon point me fait mal ! but my point hurts! N’y a-t-il pas de maison quelque part ? Isn't there a house somewhere? – Je vous trouverai une maison. - I'll find you a house. David, dit-il avec force. David," he said forcefully. Nous allons descendre ce ravin ; il doit à coup sûr s’y trouver des maisons. We're going to go down this ravine; there are bound to be houses there. Mon pauvre petit, ne seriez-vous pas mieux sur mon dos ? Wouldn't you be better off on my back? – Oh ! - Oh! Alan ! Alan! dis-je ; avec mes douze bons pouces de plus que vous ! I said, with my twelve good inches more than you! – Pas tant que cela, s’écria-t-il, avec un sursaut. - Not so much," he exclaimed, startled. Peut-être l’affaire d’un pouce ou deux… Je ne veux pas dire toutefois que je suis réellement ce qu’on appelle un homme grand… Et après tout, ajouta-t-il, en baissant le ton d’une manière risible, quand j’y réfléchis, je crois que vous pourriez avoir raison… Oui, ce peut être un pied, ou pas loin… ou même davantage, peut-être, qui sait ! Perhaps the matter of an inch or two... I don't mean, however, that I'm really what you'd call a big man... And after all," he added, lowering his tone in a laughing manner, "when I think about it, I think you might be right... Yes, it might be a foot, or not far off... or even more, perhaps, who knows! Il était délicieusement drôle d’entendre Alan ravaler ses mots par crainte d’une nouvelle dispute. It was deliciously funny to hear Alan swallow his words for fear of another argument. J’aurais ri, si mon point ne m’en eût empêché ; mais si j’avais ri, je pense que j’aurais pleuré en même temps. I would have laughed, if my point hadn't prevented me; but if I had laughed, I think I would have cried at the same time. – Alan ! - Alan! m’écriai-je, pourquoi êtes-vous si bon avec moi ? why are you so good to me? Pourquoi vous souciez-vous d’un si ingrat individu ? Why do you care about such an ungrateful individual? – Ma foi, je ne sais, dit Alan. - Well, I don't know," says Alan. Car je me figurais précisément vous aimer à cause que vous ne vous disputiez jamais… et voilà qu’à présent je vous en aime davantage ! Because I thought I loved you precisely because you never quarreled... and now I love you even more!