×

We use cookies to help make LingQ better. By visiting the site, you agree to our cookie policy.


image

Enlevé Kidnapped, Enlevé ! Chapitre 23

Enlevé ! Chapitre 23

XXIII. La Cage de Cluny

Nous arrivâmes enfin au bas d'un bois excessivement abrupt, qui escaladait la pente rocailleuse d'une montagne couronnée par une falaise nue. – C'est ici, dit un de nos guides. Et nous commençâmes l'ascension. Les arbres se cramponnaient à la pente comme des marins aux étais d'un navire ; et leurs troncs semblaient être les montants d'une échelle que nous gravissions. Tout en haut, et juste à l'endroit où la falaise jaillissait des ramures, nous trouvâmes cette bizarre demeure, connue dans le pays sous le nom de la Cage de Cluny. On avait réuni plusieurs troncs par un entrelacs de petites branches, fortifié de pilotis leurs intervalles et garni de terre battue en guise de plancher le terrain enclos par cette barricade. Un arbre, qui sortait du flanc de la montagne, constituait, tout en vie, la maîtresse-poutre du toit. Les murs étaient de branchages tressés et revêtus de mousse. La forme générale de la maison était celle d'un œuf ; et elle se trouvait à demi suspendue et reposait à demi, comme un nid de guêpes sur un buisson de ronces, dans ce fourré de l'abrupte pente. L'intérieur pouvait contenir à l'aise de cinq à six personnes. Une saillie de roc avait été ingénieusement transformée en âtre ; et la fumée, s'élevant le long de la falaise et se confondant presque avec sa teinte, devait être peu à peu invisible d'en bas. Ce n'était là qu'une des cachettes de Cluny ; il avait encore des grottes et des souterrains en divers lieux du pays ; et, d'après les rapports de ses éclaireurs, il passait de l'un à l'autre selon que les soldats se rapprochaient ou s'éloignaient. Par cette manière de vivre, et grâce à l'affection de son clan, non seulement il était demeuré toute cette période en sûreté, alors que tant d'autres avaient fui ou avaient été pris et tués, mais il demeura encore quatre ou cinq années avant de passer finalement en France, sur l'ordre exprès de son maître. Il ne tarda pas à y mourir, et il est curieux de songer qu'il dut y regretter sa Cage du Ben Adler. En arrivant sur le seuil, nous le trouvâmes assis devant la cheminée de roc, en train de surveiller les apprêts culinaires. Il était vêtu très simplement, avec un bonnet de nuit à fronces qui lui couvrait les oreilles, et fumait une mauvaise pipe écourtée. Néanmoins, il avait les allures d'un roi, et ce fut avec majesté qu'il se leva pour nous recevoir. – Allons, monsieur Stewart, avancez, monsieur, dit-il, et introduisez votre ami dont je ne sais pas le nom. – Et comment allez-vous, Cluny, dit Alan. J'aime à croire que vous vous portez à merveille, monsieur. Et je suis honoré de vous voir, et de vous présenter mon ami le laird de Shaws, M. David Balfour. Alan, lorsque nous étions seuls, ne pouvait mentionner mon titre, sans un soupçon d'ironie ; mais avec des étrangers, il faisait résonner les syllabes comme un héraut d'armes. – Entrez tous deux, messieurs, dit Cluny. Soyez les bienvenus sous mon toit. Cette demeure, certes, est bizarre et rustique ; mais j'y ai reçu, monsieur Stewart, une personne royale… vous savez sans doute de qui je veux parler. Nous boirons un coup à votre santé, et dès que ce mien maladroit de cuisinier aura apprêté les collops, nous dînerons et ferons une partie de cartes, comme il convient à des gentilshommes. Ma vie est un peu monotone, dit-il, en versant l'eau-de-vie ; je vois peu de monde, et reste à me tourner les pouces et à me remémorer un grand jour qui est passé, et à attendre cet autre grand jour qui, nous l'espérons tous, est en bon chemin. Et ainsi donc, je vous propose cette santé : À la Restauration ! Nous choquâmes nos verres, et bûmes. Assurément, je ne souhaitais pas de mal au roi George ; et si lui-même eût été là en personne, il aurait probablement fait comme moi. Je n'eus pas plutôt absorbé la goutte, que je me sentis beaucoup mieux, et je pus regarder et écouter, encore un rien obnubilé, peut-être ; mais plus avec le même effroi irraisonné ni la même détresse mentale. Le lieu était à coup sûr bizarre, comme notre hôte. Au cours de sa longue vie cachée, Cluny avait acquis toutes sortes de manies, à l'instar d'une vieille fille. Il avait sa place déterminée, où nul autre ne devait s'asseoir ; tout dans la Cage était rangé avec un ordre immuable, que personne ne devait troubler ; sa principale fantaisie était la cuisine, et tout en nous congratulant, il ne cessait de surveiller la confection des collops. De fois à autre, il allait voir ou recevait chez lui sa femme et un ou deux amis sûrs, sous le couvert de la nuit ; mais la plupart du temps, il vivait dans une complète solitude, et ne parlait qu'à ses sentinelles ou à ses clients, qui le servaient dans la cage. Le matin, dès son réveil, l'un d'eux, qui était barbier, venait le raser, et lui apporter les nouvelles du pays, dont il était des plus friands. Curieux comme un enfant, il posait des questions sans fin ; certaines réponses le secouaient de rires homériques, et il pouffait encore, à se les rappeler, des heures après le départ du barbier. Néanmoins, ses questions n'étaient pas toujours d'un caractère oiseux ; car il avait beau être séquestré de la sorte, et, comme les autres gentilshommes terriens de l'Écosse, dépouillé de pouvoirs juridiques, il n'en exerçait pas moins sur son clan une justice patriarcale. On venait jusque dans sa cachette lui soumettre des litiges ; et les hommes de son pays, qui se moquaient de la Cour d'assises, déposaient leurs rancunes et payaient des amendes, sur un mot de ce hors-la-loi confisqué et pourchassé. Lorsqu'il était en colère, ce qui lui arrivait souvent, il donnait ses ordres et lançait des menaces de châtiment, à l'instar d'un roi ; et ses clients tremblaient et rampaient devant lui comme des enfants devant un père trop vif. À son entrée, il leur serrait à chacun la main, cérémonieusement, tout en faisant, comme eux, le salut militaire. Bref, j'avais là une belle occasion de voir un peu fonctionner le mécanisme intérieur d'un clan écossais ; et ce, avec un chef proscrit, fugitif, dont le pays était occupé par des troupes qui galopaient de tous côtés à sa recherche, quelquefois à un mille de sa retraite ; et alors que le dernier de ces pauvres hères qu'il taxait et menaçait aurait gagné une fortune en le livrant. Ce premier jour, sitôt que les collops furent prêts, Cluny, de sa main, exprima dessus le jus d'un citron (car il était bien approvisionné en friandises de ce genre) et nous invita à nous mettre à table. – Ce sont les pareils, dit-il, en parlant des collops, que j'ai servis à Son Altesse Royale, dans cette maison même ; jus de citron à part, toutefois, car, à cette époque-là, nous étions trop heureux d'avoir à manger, sans nous soucier de raffinements. Et il y avait plus de dragons que de citrons dans mon pays, en 46. Je ne sais si les collops étaient réellement très bons, mais le cœur me levait, à les voir, et j'y touchai à peine. Cependant, Cluny nous racontait des anecdotes ayant trait au prince Charles dans la Cage, citant les paroles mêmes des interlocuteurs et se levant de sa place pour nous faire voir où se tenait chacun. De tout ce qu'il dit, je conclus que le prince était un aimable et spirituel garçon, comme il convient au descendant d'une race de rois policés, mais que sa sagesse était loin de valoir celle de Salomon. Je soupçonnai également que, durant son séjour dans la Cage, il s'enivra souvent ; ainsi donc, le vice qui a depuis, d'un commun accord, ruiné sa santé avait dès lors commencé de se manifester. Nous avions à peine fini de manger que Cluny sortit un vieux paquet de cartes crasseuses, tels qu'on en trouve dans les auberges de dernier ordre ; et ses yeux s'allumèrent quand il nous proposa de faire une partie. Or, c'était la une des choses que l'on m'avait enseignées, dès mon enfance, à éviter comme un déshonneur : mon père soutenait que ce n'était le propre ni d'un chrétien ni d'un gentilhomme d'exposer son bien et de convoiter celui d'autrui, selon les combinaisons de bouts de carton peint. Sans doute, j'aurais dû plaider ma fatigue et l'excuse était bien suffisante ; mais je crus de mon devoir d'affirmer mes principes. Je dus rougir très fort, mais je parlai avec fermeté et déclarai que, sans prétendre à juger autrui, c'était là, à mes yeux, une matière où je n'avais rien à voir. Cluny s'arrêta de mêler les cartes. – Que diable veut dire ceci ? s'exclama-t-il. Ce langage est bon chez des whigs collet-monté ; mais pas sous le toit de Cluny Macpherson ! – Je mettrais ma main au feu pour M. Balfour, dit Alan. C'est un gentilhomme honnête et courageux, et je tiens à ce que vous vous rappeliez qui vous le dit. Je porte un nom royal, dit-il, en mettant son chapeau de côté, et moi comme tous ceux que j'appelle mes amis sont de bonne société pour les plus huppés. Mais ce gentilhomme est las, et ferait mieux de dormir ; s'il n'a pas envie de jouer aux cartes, cela ne doit nous déranger ni vous ni moi. Et je suis tout prêt, monsieur, à jouer n'importe quel jeu que vous puissiez nommer. – Monsieur, dit Cluny, sous ce pauvre toit qui est le mien, je tiens à ce que vous sachiez que tout gentilhomme peut suivre son bon plaisir. Si votre ami a la fantaisie de se tenir la tête en bas, libre à lui. Et si lui, ou vous, ou n'importe qui, n'est pas entièrement satisfait, je m'estimerai honoré d'aller dehors avec lui. Je n'avais aucune envie de voir ces deux amis se couper la gorge à mon occasion. – Monsieur, dis-je, je suis très fatigué, comme le dit Alan ; et, qui plus est, comme vous avez sans doute des fils, je vous dirai qu'il s'agit d'une promesse faite à mon père. – Suffit, monsieur, suffit, dit Cluny. Et il me désigna un lit de bruyère dans un coin de la Cage. Néanmoins, il restait assez mécontent, et me regardait de travers en grommelant. Et il faut bien avouer que tant mes scrupules que la façon de les exprimer fleuraient le covenantaire et se trouvaient fort déplacés chez de farouches jacobites des Highlands. Une singulière pesanteur, due à l'eau-de-vie, ou peut-être à la venaison, m'accablait ; et à peine couché, je fus pris d'une sorte de fièvre, qui ne me quitta plus de toute la durée de notre séjour dans la Cage. Tantôt j'étais bien éveillé et comprenais ce qui se passait ; tantôt le bruit des voix, ou celui des ronflements, faisait pour moi la rumeur d'un torrent lointain ; et les plaids accrochés au mur se contractaient et se développaient tour à tour comme les ombres que le foyer projetait sur le plafond. J'ai dû aussi parler ou m'écrier, car je me rappelle mon étonnement aux réponses que je recevais de temps à autre ; toutefois, je n'étais pas hanté par un cauchemar déterminé, mais par une terreur confuse, profonde et horrifiante, – terreur que m'inspiraient et le lieu où je me trouvais, et le lit où j'étais couché, et les plaids pendus aux murs, et les voix, et le feu, et moi-même. Le client-barbier, qui était aussi docteur, fut mandé pour me donner ses soins ; mais comme il parlait gaélique, je n'entendis rien à son diagnostic, et j'étais trop accablé pour en demander la traduction. Je savais seulement que j'étais malade, et cela me suffisait. Je fis peu attention à ce qui m'entourait, tant que je restai dans ce triste état. Mais Alan et Cluny passaient presque tout leur temps à jouer aux cartes, et je suis sûr qu'Alan avait dû gagner, au début ; car il me souvient de m'être relevé sur mon séant et de les avoir vus absorbés dans leur jeu, avec une pile étincelante d'au moins soixante ou cent guinées sur la table. Cela faisait un effet étrange, de voir toute cette richesse dans un nid accroché à la falaise et entrelacé à des arbres vivants. Et même alors, il me sembla qu'Alan jouait bien gros jeu, lui, qui ne possédait au monde qu'une bourse verte et l'affaire de cinq livres. Le deuxième jour, la chance tourna. Vers midi, je fus comme à l'ordinaire éveillé pour le dîner, et comme à l'ordinaire refusai de manger, et l'on me fit boire une potion où le barbier avait mis infuser des plantes amères. Le soleil, pénétrant par la porte ouverte de la Cage, m'éblouissait douloureusement. Cluny, assis devant la table, mordillait le parquet de cartes. Alan, penché sur mon lit, approcha de mes yeux son visage ; et le trouble de la fièvre me le fit voir de la plus monstrueuse grosseur. Il me demanda de lui prêter mon argent. – Pour quoi faire ? dis-je. – Oh ! un simple prêt, répondit-il. – Mais pourquoi ? répétai-je. Je ne comprends pas. – Fi ! David ! voudriez-vous me refuser un prêt ? Certes, je l'aurais refusé, si j'avais eu ma lucidité ! Mais tout ce que je désirais alors était qu'il éloignât son visage, et je lui remis mon argent. Le matin du troisième jour, alors que nous avions déjà passé quarante-huit heures dans la Cage, je m'éveillai en meilleures dispositions d'esprit, encore très faible et las, mais voyant les choses de leurs dimensions exactes et sous leur aspect normal de tous les jours. J'avais même de l'appétit ; je me levai spontanément de mon lit ; et après, avoir déjeuné, m'avançai jusqu'au seuil de la Cage et m'assis à l'extérieur, au haut du bois. Le ciel était gris, l'air fade et insipide ; et je passai toute la matinée comme dans un rêve, que troublaient seules les allées et venues des éclaireurs de Cluny et des serviteurs apportant provisions ou rapports ; car à cette heure le danger était loin, et il tenait pour ainsi dire cour ouverte. Lorsque je rentrai, Alan et lui avaient déposé leurs jeux et questionnaient un client. Le chef, se retournant vers moi, m'adressa la parole en gaélique. – Je ne sais pas le gaélique, monsieur, dis-je. Or, depuis l'affaire des cartes, tout ce que je disais avait le privilège d'agacer Cluny. – Votre nom a plus de sens que vous, en ce cas, dit-il avec irritation, car il est de bon gaélique. Mais voici la chose. Mon éclaireur rapporte que la voie est libre dans le sud, et il s'agit de savoir si vous aurez la force de repartir ? Les cartes étaient sur la table, mais plus l'or ; rien qu'un tas de petits papiers écrits, tous du côté de Cluny. Alan, d'ailleurs, avait un drôle d'air, comme assez mal satisfait ; et je fus saisi d'un pressentiment. – Je ne sais si j'ai toutes les forces qu'il faudrait, dis-je, en regardant Alan ; mais le peu d'argent que nous avons doit nous mener très loin. Alan se mordit la lèvre inférieure, et baissa les yeux. – David, dit-il enfin, j'ai tout perdu : telle est la simple vérité. – Mon argent aussi ? – Votre argent aussi, dit Alan avec un soupir. Vous n'auriez pas dû me le donner. Je deviens fou quand je touche un jeu de cartes. – Ta ta ta ! dit Cluny. Tout cela était pour rire ; ce serait trop absurde. Naturellement, vous allez ravoir votre argent, et même le double, si vous me le permettez. Que je le garde, moi ? que je puisse gêner en quelque chose des gentilshommes dans votre situation ? Ce serait là une chose singulière ! s'écria-t-il. Et il se mit, en rougissant beaucoup, à extraire l'or de sa poche. Alan ne dit rien, et continua de regarder à terre. – Voulez-vous venir un instant avec moi jusqu'à la porte, monsieur ? dis-je à Cluny. Il me répondit qu'il en serait fort aise, et me suivit à l'instant, mais d'un air confus et la tête basse. – Et maintenant, monsieur, dis-je, j'ai d'abord à vous remercier de votre générosité. – Absurdité des absurdités ! s'écria Cluny. Où voyez-vous de la générosité ? Je n'y vois, moi, qu'un malheureux incident ; mais que voulez-vous que je fasse, – enfermé dans ma cage comme dans un rucher, – sinon atteler mes amis à une partie de cartes, lorsque j'en trouve l'occasion ? Et s'ils perdent, bien entendu, on n'irait pas s'imaginer… Il n'acheva pas. – Oui, dis-je, s'ils perdent, vous leur rendez leur argent ; et s'ils gagnent, ils emportent le vôtre dans leurs goussets ? J'ai dit que je reconnaissais votre générosité ; mais pour moi, monsieur, avouez que la situation a quelque chose de pénible. Il régna un bref silence, au cours duquel Cluny sembla sur le point de parler, mais il ne dit rien. Cependant il rougissait de plus en plus. – Je suis jeune, dis-je, et je vous demande un avis. Conseillez-moi comme si j'étais votre fils. Mon ami a loyalement perdu cet argent après vous avoir loyalement gagné une somme beaucoup plus forte ; puis-je accepter qu'on me la rende ? Est-ce vraiment ce que je dois faire ? Quoi que je fasse, vous voyez vous-même que cela doit paraître dur à quiconque est doué d'amour-propre. – C'est assez dur pour moi également, monsieur Balfour, dit Cluny, et vous m'avez tout l'air de m'avoir tendu un méchant piège. Je n'admettrais pas que des amis soient venus chez moi pour recevoir des affronts ; non, s'écria-t-il avec une irritation soudaine, pas plus que pour leur en infliger. – Vous voyez donc, monsieur, que je n'avais pas tellement tort, et que le jeu est une triste occupation pour des gentilshommes. Mais j'attends toujours votre réponse. À coup sûr, si jamais Cluny détesta quelqu'un, ce fut David Balfour. Il me considéra d'un œil belliqueux, et le défi lui monta aux lèvres. Mais il fut désarmé, soit par ma jeunesse, soit par son propre sens de la justice. À coup sûr, l'affaire était humiliante pour nous tous, et pour Cluny en particulier ; sa conduite lui fit d'autant plus d'honneur. – Monsieur Balfour, dit-il, je vous crois trop subtil et trop covenantaire, mais vous avez malgré cela l'étoffe d'un parfait gentilhomme. Sur ma foi d'honnête homme, vous pouvez prendre cet argent, – c'est là ce que je dirais à mon fils, – et voici ma main qui en répond.


Enlevé ! Chapitre 23 Kidnapped! Chapter 23 Secuestrados Capitulo 23

XXIII. XXIII. La Cage de Cluny La Cage de Cluny

Nous arrivâmes enfin au bas d’un bois excessivement abrupt, qui escaladait la pente rocailleuse d’une montagne couronnée par une falaise nue. We finally reached the bottom of an extremely steep wood, which climbed the rocky slope of a mountain crowned by a bare cliff. – C’est ici, dit un de nos guides. - This is it," says one of our guides. Et nous commençâmes l’ascension. And we began our ascent. Les arbres se cramponnaient à la pente comme des marins aux étais d’un navire ; et leurs troncs semblaient être les montants d’une échelle que nous gravissions. The trees clung to the slope like sailors to the props of a ship; and their trunks seemed like the stiles of a ladder we were climbing. Tout en haut, et juste à l’endroit où la falaise jaillissait des ramures, nous trouvâmes cette bizarre demeure, connue dans le pays sous le nom de la Cage de Cluny. At the very top, and just where the cliff jutted out from the branches, we found this bizarre dwelling, known in the country as the Cage de Cluny. On avait réuni plusieurs troncs par un entrelacs de petites branches, fortifié de pilotis leurs intervalles et garni de terre battue en guise de plancher le terrain enclos par cette barricade. Several trunks had been tied together with small branches, the gaps between them fortified with stilts, and the ground enclosed by the barricade lined with rammed earth. Un arbre, qui sortait du flanc de la montagne, constituait, tout en vie, la maîtresse-poutre du toit. A tree, emerging from the mountainside, formed the living main beam of the roof. Les murs étaient de branchages tressés et revêtus de mousse. The walls were made of woven branches and covered with moss. La forme générale de la maison était celle d’un œuf ; et elle se trouvait à demi suspendue et reposait à demi, comme un nid de guêpes sur un buisson de ronces, dans ce fourré de l’abrupte pente. The general shape of the house was that of an egg; and it lay half-hung and half-rested, like a wasp's nest on a bramble bush, in this thicket on the steep slope. L’intérieur pouvait contenir à l’aise de cinq à six personnes. The interior could comfortably accommodate five to six people. Une saillie de roc avait été ingénieusement transformée en âtre ; et la fumée, s’élevant le long de la falaise et se confondant presque avec sa teinte, devait être peu à peu invisible d’en bas. A protrusion of rock had been ingeniously transformed into a hearth; and the smoke, rising along the cliff and almost merging with its hue, must have been gradually invisible from below. Ce n’était là qu’une des cachettes de Cluny ; il avait encore des grottes et des souterrains en divers lieux du pays ; et, d’après les rapports de ses éclaireurs, il passait de l’un à l’autre selon que les soldats se rapprochaient ou s’éloignaient. This was just one of Cluny's hiding places; he still had caves and underground passages in various parts of the country; and, according to the reports of his scouts, he moved from one to another as the soldiers drew nearer or farther away. Par cette manière de vivre, et grâce à l’affection de son clan, non seulement il était demeuré toute cette période en sûreté, alors que tant d’autres avaient fui ou avaient été pris et tués, mais il demeura encore quatre ou cinq années avant de passer finalement en France, sur l’ordre exprès de son maître. Thanks to this way of life, and the affection of his clan, not only did he remain safe throughout this period, when so many others had fled or been caught and killed, but he stayed on for another four or five years before finally crossing over to France, on the express orders of his master. Il ne tarda pas à y mourir, et il est curieux de songer qu’il dut y regretter sa Cage du Ben Adler. He soon died there, and it's curious to think that he must have missed his Ben Adler Cage. En arrivant sur le seuil, nous le trouvâmes assis devant la cheminée de roc, en train de surveiller les apprêts culinaires. When we reached the threshold, we found him seated in front of the rock fireplace, watching over the culinary preparations. Il était vêtu très simplement, avec un bonnet de nuit à fronces qui lui couvrait les oreilles, et fumait une mauvaise pipe écourtée. He was dressed very simply, with a ruffled nightcap covering his ears, and smoking a bad, shortened pipe. Néanmoins, il avait les allures d’un roi, et ce fut avec majesté qu’il se leva pour nous recevoir. Nevertheless, he had the air of a king, and it was with majesty that he rose to receive us. – Allons, monsieur Stewart, avancez, monsieur, dit-il, et introduisez votre ami dont je ne sais pas le nom. - Come, Mr Stewart, step forward, sir," he said, "and introduce your friend, whose name I don't know. – Et comment allez-vous, Cluny, dit Alan. - And how are you, Cluny," says Alan. J’aime à croire que vous vous portez à merveille, monsieur. I'd like to think you're doing just fine, sir. Et je suis honoré de vous voir, et de vous présenter mon ami le laird de Shaws, M. David Balfour. And I'm honored to see you, and to introduce my friend the laird of Shaws, Mr. David Balfour. Alan, lorsque nous étions seuls, ne pouvait mentionner mon titre, sans un soupçon d’ironie ; mais avec des étrangers, il faisait résonner les syllabes comme un héraut d’armes. Alan, when we were alone, couldn't mention my title, without a hint of irony; but with strangers, he made the syllables sound like a herald of arms. – Entrez tous deux, messieurs, dit Cluny. - Come in, both of you, gentlemen," says Cluny. Soyez les bienvenus sous mon toit. Welcome to my home. Cette demeure, certes, est bizarre et rustique ; mais j’y ai reçu, monsieur Stewart, une personne royale… vous savez sans doute de qui je veux parler. It's a strange, rustic house, to be sure, but I've had a royal guest here, Mr. Stewart... and I'm sure you know who I mean. Nous boirons un coup à votre santé, et dès que ce mien maladroit de cuisinier aura apprêté les collops, nous dînerons et ferons une partie de cartes, comme il convient à des gentilshommes. We'll have a drink to your health, and as soon as that clumsy cook of mine has prepared the collops, we'll have dinner and a game of cards, as befits a gentleman. Ma vie est un peu monotone, dit-il, en versant l’eau-de-vie ; je vois peu de monde, et reste à me tourner les pouces et à me remémorer un grand jour qui est passé, et à attendre cet autre grand jour qui, nous l’espérons tous, est en bon chemin. My life is a bit monotonous," he says, pouring down the brandy; "I see few people, and stay twiddling my thumbs and reminiscing about a great day that has passed, and waiting for that other great day which we all hope is well on its way. Et ainsi donc, je vous propose cette santé : À la Restauration ! And so, I propose this cheers: To the Restoration! Nous choquâmes nos verres, et bûmes. We clinked our glasses and drank. Assurément, je ne souhaitais pas de mal au roi George ; et si lui-même eût été là en personne, il aurait probablement fait comme moi. I certainly didn't wish King George any harm, and if he'd been there himself, he'd probably have done the same. Je n’eus pas plutôt absorbé la goutte, que je me sentis beaucoup mieux, et je pus regarder et écouter, encore un rien obnubilé, peut-être ; mais plus avec le même effroi irraisonné ni la même détresse mentale. No sooner had I absorbed the drop than I felt much better, and I could look and listen, still a little obsessed, perhaps, but no longer with the same irrational dread or mental distress. Le lieu était à coup sûr bizarre, comme notre hôte. The place was certainly bizarre, like our host. Au cours de sa longue vie cachée, Cluny avait acquis toutes sortes de manies, à l’instar d’une vieille fille. In the course of her long, hidden life, Cluny had acquired all sorts of quirks, just like an old maid. Il avait sa place déterminée, où nul autre ne devait s’asseoir ; tout dans la Cage était rangé avec un ordre immuable, que personne ne devait troubler ; sa principale fantaisie était la cuisine, et tout en nous congratulant, il ne cessait de surveiller la confection des collops. He had his own place, where no one else was allowed to sit; everything in the Cage was arranged in immutable order, and no one was allowed to disturb it; his main fantasy was the kitchen, and while congratulating us, he never ceased to supervise the making of the collops. De fois à autre, il allait voir ou recevait chez lui sa femme et un ou deux amis sûrs, sous le couvert de la nuit ; mais la plupart du temps, il vivait dans une complète solitude, et ne parlait qu’à ses sentinelles ou à ses clients, qui le servaient dans la cage. From time to time, he would visit or entertain his wife and one or two trusted friends at home, under cover of night; but most of the time, he lived in complete solitude, and spoke only to his sentries or customers, who served him in the cage. Le matin, dès son réveil, l’un d’eux, qui était barbier, venait le raser, et lui apporter les nouvelles du pays, dont il était des plus friands. As soon as he woke up in the morning, one of them, who was a barber, would come and shave him, and bring him the news from the country, of which he was most fond. Curieux comme un enfant, il posait des questions sans fin ; certaines réponses le secouaient de rires homériques, et il pouffait encore, à se les rappeler, des heures après le départ du barbier. Curious as a child, he asked endless questions; some of the answers shook him with homeric laughter, and he was still chuckling, remembering them, hours after the barber had left. Néanmoins, ses questions n’étaient pas toujours d’un caractère oiseux ; car il avait beau être séquestré de la sorte, et, comme les autres gentilshommes terriens de l’Écosse, dépouillé de pouvoirs juridiques, il n’en exerçait pas moins sur son clan une justice patriarcale. Nevertheless, his questions were not always of an idle nature; for he may have been sequestered in this way, and, like the other landed gentlemen of Scotland, stripped of legal powers, he nonetheless exercised patriarchal justice over his clan. On venait jusque dans sa cachette lui soumettre des litiges ; et les hommes de son pays, qui se moquaient de la Cour d’assises, déposaient leurs rancunes et payaient des amendes, sur un mot de ce hors-la-loi confisqué et pourchassé. Disputes were submitted to him even in his hideaway, and his countrymen, who scoffed at the Assize Court, would lay down their grudges and pay fines at the word of this confiscated and hunted outlaw. Lorsqu’il était en colère, ce qui lui arrivait souvent, il donnait ses ordres et lançait des menaces de châtiment, à l’instar d’un roi ; et ses clients tremblaient et rampaient devant lui comme des enfants devant un père trop vif. When he was angry, as he often was, he would give his orders and issue threats of punishment, like a king; and his customers would tremble and grovel before him like children before an over-aggressive father. À son entrée, il leur serrait à chacun la main, cérémonieusement, tout en faisant, comme eux, le salut militaire. As he entered, he ceremoniously shook hands with each of them, and, like them, performed the military salute. Bref, j’avais là une belle occasion de voir un peu fonctionner le mécanisme intérieur d’un clan écossais ; et ce, avec un chef proscrit, fugitif, dont le pays était occupé par des troupes qui galopaient de tous côtés à sa recherche, quelquefois à un mille de sa retraite ; et alors que le dernier de ces pauvres hères qu’il taxait et menaçait aurait gagné une fortune en le livrant. In short, I had here a fine opportunity to see a little of the inner workings of a Scottish clan; and this, with an outlawed, fugitive chief, whose country was occupied by troops galloping on all sides in search of him, sometimes within a mile of his retreat; and while the last of those poor fellows he taxed and threatened would have made a fortune by turning him in. Ce premier jour, sitôt que les collops furent prêts, Cluny, de sa main, exprima dessus le jus d’un citron (car il était bien approvisionné en friandises de ce genre) et nous invita à nous mettre à table. That first day, as soon as the collops were ready, Cluny used his hand to squeeze the juice of a lemon over them (for he was well stocked with such treats) and invited us to sit down to table. – Ce sont les pareils, dit-il, en parlant des collops, que j’ai servis à Son Altesse Royale, dans cette maison même ; jus de citron à part, toutefois, car, à cette époque-là, nous étions trop heureux d’avoir à manger, sans nous soucier de raffinements. - They're the same," he says, referring to the collops I served to His Royal Highness in this very house; lemon juice aside, however, because, in those days, we were too happy to have food, without worrying about refinements. Et il y avait plus de dragons que de citrons dans mon pays, en 46. And there were more dragons than lemons in my country in '46. Je ne sais si les collops étaient réellement très bons, mais le cœur me levait, à les voir, et j’y touchai à peine. I don't know how good the collops really were, but my heart leapt at the sight of them, and I barely touched them. Cependant, Cluny nous racontait des anecdotes ayant trait au prince Charles dans la Cage, citant les paroles mêmes des interlocuteurs et se levant de sa place pour nous faire voir où se tenait chacun. However, Cluny would tell us anecdotes about Prince Charles in the Cage, quoting the very words of the speakers and rising from his seat to let us see where everyone was standing. De tout ce qu’il dit, je conclus que le prince était un aimable et spirituel garçon, comme il convient au descendant d’une race de rois policés, mais que sa sagesse était loin de valoir celle de Salomon. From all that he says, I conclude that the prince was an amiable and witty boy, as befits the descendant of a race of polite kings, but that his wisdom was nowhere near that of Solomon. Je soupçonnai également que, durant son séjour dans la Cage, il s’enivra souvent ; ainsi donc, le vice qui a depuis, d’un commun accord, ruiné sa santé avait dès lors commencé de se manifester. I also suspected that, during his stay in the Cage, he often got drunk; thus, the vice that has since, by common consent, ruined his health had already begun to manifest itself. Nous avions à peine fini de manger que Cluny sortit un vieux paquet de cartes crasseuses, tels qu’on en trouve dans les auberges de dernier ordre ; et ses yeux s’allumèrent quand il nous proposa de faire une partie. We'd barely finished eating when Cluny pulled out a grimy old deck of cards, such as you'd find in a last-rate inn; and his eyes lit up as he suggested we play a game. Or, c’était la une des choses que l’on m’avait enseignées, dès mon enfance, à éviter comme un déshonneur : mon père soutenait que ce n’était le propre ni d’un chrétien ni d’un gentilhomme d’exposer son bien et de convoiter celui d’autrui, selon les combinaisons de bouts de carton peint. Now, this was one of the things I had been taught, from childhood, to avoid as a dishonor: my father maintained that it was neither the proper of a Christian nor of a gentleman to expose his property and covet that of another, according to the combinations of bits of painted cardboard. Sans doute, j’aurais dû plaider ma fatigue et l’excuse était bien suffisante ; mais je crus de mon devoir d’affirmer mes principes. No doubt I should have pleaded my fatigue, and that was excuse enough; but I felt it my duty to assert my principles. Je dus rougir très fort, mais je parlai avec fermeté et déclarai que, sans prétendre à juger autrui, c’était là, à mes yeux, une matière où je n’avais rien à voir. I had to blush very hard, but I spoke firmly and declared that, without claiming to judge others, this was, in my eyes, a matter in which I had nothing to do. Cluny s’arrêta de mêler les cartes. Cluny stopped shuffling his cards. – Que diable veut dire ceci ? - What the hell does this mean? s’exclama-t-il. he exclaimed. Ce langage est bon chez des whigs collet-monté ; mais pas sous le toit de Cluny Macpherson ! This language is fine in the home of collet-monté Whigs; but not under the roof of Cluny Macpherson! – Je mettrais ma main au feu pour M. Balfour, dit Alan. - I'd put my hand in the fire for Mr. Balfour," says Alan. C’est un gentilhomme honnête et courageux, et je tiens à ce que vous vous rappeliez qui vous le dit. He's an honest and courageous gentleman, and I want you to remember who told you so. Je porte un nom royal, dit-il, en mettant son chapeau de côté, et moi comme tous ceux que j’appelle mes amis sont de bonne société pour les plus huppés. I bear a royal name," he says, putting his hat aside, "and I and all those I call friends are good company for the posh ones. Mais ce gentilhomme est las, et ferait mieux de dormir ; s’il n’a pas envie de jouer aux cartes, cela ne doit nous déranger ni vous ni moi. But this gentleman is weary, and would do better to sleep; if he doesn't feel like playing cards, neither you nor I should mind. Et je suis tout prêt, monsieur, à jouer n’importe quel jeu que vous puissiez nommer. And I'm ready, sir, to play any game you can name. – Monsieur, dit Cluny, sous ce pauvre toit qui est le mien, je tiens à ce que vous sachiez que tout gentilhomme peut suivre son bon plaisir. - Sir," says Cluny, "under this poor roof of mine, I want you to know that any gentleman can follow his own pleasure. Si votre ami a la fantaisie de se tenir la tête en bas, libre à lui. If your friend fancies standing upside down, that's up to him. Et si lui, ou vous, ou n’importe qui, n’est pas entièrement satisfait, je m’estimerai honoré d’aller dehors avec lui. And if he, or you, or anyone else, isn't entirely satisfied, I'll consider myself honored to go outside with him. Je n’avais aucune envie de voir ces deux amis se couper la gorge à mon occasion. I had no desire to see these two friends cut each other's throats on my occasion. – Monsieur, dis-je, je suis très fatigué, comme le dit Alan ; et, qui plus est, comme vous avez sans doute des fils, je vous dirai qu’il s’agit d’une promesse faite à mon père. - Sir," I said, "I'm very tired, as Alan says; and, what's more, as you doubtless have sons, I'll tell you that it's a promise to my father. – Suffit, monsieur, suffit, dit Cluny. - Enough, sir, enough," says Cluny. Et il me désigna un lit de bruyère dans un coin de la Cage. And he pointed to a heather bed in the corner of the Cage. Néanmoins, il restait assez mécontent, et me regardait de travers en grommelant. Nonetheless, he remained quite disgruntled, looking at me sideways and grumbling. Et il faut bien avouer que tant mes scrupules que la façon de les exprimer fleuraient le covenantaire et se trouvaient fort déplacés chez de farouches jacobites des Highlands. And it has to be said that both my scruples and the way I expressed them smacked of covenantarianism and were highly out of place among fierce Highland Jacobites. Une singulière pesanteur, due à l’eau-de-vie, ou peut-être à la venaison, m’accablait ; et à peine couché, je fus pris d’une sorte de fièvre, qui ne me quitta plus de toute la durée de notre séjour dans la Cage. A singular heaviness, due to the brandy, or perhaps the venison, overwhelmed me; and as soon as I lay down, I was seized with a kind of fever, which never left me for the duration of our stay in the Cage. Tantôt j’étais bien éveillé et comprenais ce qui se passait ; tantôt le bruit des voix, ou celui des ronflements, faisait pour moi la rumeur d’un torrent lointain ; et les plaids accrochés au mur se contractaient et se développaient tour à tour comme les ombres que le foyer projetait sur le plafond. Sometimes I was wide awake and understood what was going on; sometimes the sound of voices, or of snoring, made for me the rumor of a distant torrent; and the plaids hanging on the wall alternately contracted and expanded like the shadows the fireplace cast on the ceiling. J’ai dû aussi parler ou m’écrier, car je me rappelle mon étonnement aux réponses que je recevais de temps à autre ; toutefois, je n’étais pas hanté par un cauchemar déterminé, mais par une terreur confuse, profonde et horrifiante, – terreur que m’inspiraient et le lieu où je me trouvais, et le lit où j’étais couché, et les plaids pendus aux murs, et les voix, et le feu, et moi-même. I must also have spoken or cried out, for I remember my astonishment at the responses I received from time to time; however, I was not haunted by a determined nightmare, but by a confused, deep and horrifying terror, - terror inspired by both the place where I was, and the bed where I lay, and the plaids hanging on the walls, and the voices, and the fire, and myself. Le client-barbier, qui était aussi docteur, fut mandé pour me donner ses soins ; mais comme il parlait gaélique, je n’entendis rien à son diagnostic, et j’étais trop accablé pour en demander la traduction. The client-barber, who was also a doctor, was summoned to give me his care; but as he spoke Gaelic, I heard nothing of his diagnosis, and was too overwhelmed to ask for a translation. Je savais seulement que j’étais malade, et cela me suffisait. All I knew was that I was sick, and that was enough for me. Je fis peu attention à ce qui m’entourait, tant que je restai dans ce triste état. I paid little attention to my surroundings as long as I remained in this sad state. Mais Alan et Cluny passaient presque tout leur temps à jouer aux cartes, et je suis sûr qu’Alan avait dû gagner, au début ; car il me souvient de m’être relevé sur mon séant et de les avoir vus absorbés dans leur jeu, avec une pile étincelante d’au moins soixante ou cent guinées sur la table. But Alan and Cluny spent almost all their time playing cards, and I'm sure Alan must have won, at first; for I remember rising to my feet and seeing them absorbed in their game, with a glittering pile of at least sixty or a hundred guineas on the table. Cela faisait un effet étrange, de voir toute cette richesse dans un nid accroché à la falaise et entrelacé à des arbres vivants. It felt strange, seeing all that wealth in a nest clinging to the cliff and intertwined with living trees. Et même alors, il me sembla qu’Alan jouait bien gros jeu, lui, qui ne possédait au monde qu’une bourse verte et l’affaire de cinq livres. And even then, it seemed to me that Alan, who possessed nothing in the world but a green purse and a five-pound bargain, was playing for high stakes. Le deuxième jour, la chance tourna. On the second day, our luck changed. Vers midi, je fus comme à l’ordinaire éveillé pour le dîner, et comme à l’ordinaire refusai de manger, et l’on me fit boire une potion où le barbier avait mis infuser des plantes amères. Around noon, I was awakened as usual for dinner, and as usual refused to eat, being made to drink a potion in which the barber had infused bitter herbs. Le soleil, pénétrant par la porte ouverte de la Cage, m’éblouissait douloureusement. The sun, penetrating through the open door of the Cage, dazzled me painfully. Cluny, assis devant la table, mordillait le parquet de cartes. Cluny, seated in front of the table, was chewing on the parquet of cards. Alan, penché sur mon lit, approcha de mes yeux son visage ; et le trouble de la fièvre me le fit voir de la plus monstrueuse grosseur. Alan, leaning over my bed, brought his face close to my eyes; and the turmoil of fever made me see it in the most monstrous lump. Il me demanda de lui prêter mon argent. He asked me to lend him my money. – Pour quoi faire ? - What for? dis-je. I said. – Oh ! - Oh! un simple prêt, répondit-il. a simple loan," he replied. – Mais pourquoi ? - But why? répétai-je. I repeated. Je ne comprends pas. I don't get it. – Fi ! - Fi! David ! David! voudriez-vous me refuser un prêt ? would you deny me a loan? Certes, je l’aurais refusé, si j’avais eu ma lucidité ! Of course, I would have refused, if I'd had my wits about me! Mais tout ce que je désirais alors était qu’il éloignât son visage, et je lui remis mon argent. But all I wanted then was for him to put his face away, and I handed him my money. Le matin du troisième jour, alors que nous avions déjà passé quarante-huit heures dans la Cage, je m’éveillai en meilleures dispositions d’esprit, encore très faible et las, mais voyant les choses de leurs dimensions exactes et sous leur aspect normal de tous les jours. On the morning of the third day, when we had already spent forty-eight hours in the Cage, I awoke in a better frame of mind, still very weak and weary, but seeing things from their exact dimensions and in their normal everyday aspect. J’avais même de l’appétit ; je me levai spontanément de mon lit ; et après, avoir déjeuné, m’avançai jusqu’au seuil de la Cage et m’assis à l’extérieur, au haut du bois. I even had an appetite, so I spontaneously got out of bed and, after breakfast, walked over to the threshold of the Cage and sat down outside, at the top of the wood. Le ciel était gris, l’air fade et insipide ; et je passai toute la matinée comme dans un rêve, que troublaient seules les allées et venues des éclaireurs de Cluny et des serviteurs apportant provisions ou rapports ; car à cette heure le danger était loin, et il tenait pour ainsi dire cour ouverte. The sky was gray, the air bland and insipid; and I spent the whole morning as if in a dream, disturbed only by the comings and goings of Cluny's scouts and servants bringing supplies or reports; for at this hour danger was far away, and he held court, as it were. Lorsque je rentrai, Alan et lui avaient déposé leurs jeux et questionnaient un client. When I returned, he and Alan had put down their games and were questioning a customer. Le chef, se retournant vers moi, m’adressa la parole en gaélique. The chief turned to me and spoke in Gaelic. – Je ne sais pas le gaélique, monsieur, dis-je. - I don't know Gaelic, sir," I said. Or, depuis l’affaire des cartes, tout ce que je disais avait le privilège d’agacer Cluny. But since the card affair, everything I said had the privilege of annoying Cluny. – Votre nom a plus de sens que vous, en ce cas, dit-il avec irritation, car il est de bon gaélique. - Your name makes more sense than you, in that case," he said irritably, "because it's good Gaelic. Mais voici la chose. But here's the thing. Mon éclaireur rapporte que la voie est libre dans le sud, et il s’agit de savoir si vous aurez la force de repartir ? My scout reports that the way is clear in the south, and the question is whether you'll have the strength to set off again? Les cartes étaient sur la table, mais plus l’or ; rien qu’un tas de petits papiers écrits, tous du côté de Cluny. The cards were on the table, but the gold was gone; nothing but a pile of small written papers, all on the Cluny side. Alan, d’ailleurs, avait un drôle d’air, comme assez mal satisfait ; et je fus saisi d’un pressentiment. Alan, moreover, had a funny look on his face, as if quite unsatisfied; and I was seized with a presentiment. – Je ne sais si j’ai toutes les forces qu’il faudrait, dis-je, en regardant Alan ; mais le peu d’argent que nous avons doit nous mener très loin. - I don't know if I have all the strength it would take," I said, looking at Alan, "but the little money we have must take us very far. Alan se mordit la lèvre inférieure, et baissa les yeux. Alan bit his lower lip and lowered his eyes. – David, dit-il enfin, j’ai tout perdu : telle est la simple vérité. - David," he said at last, "I've lost everything: that's the simple truth. – Mon argent aussi ? - My money too? – Votre argent aussi, dit Alan avec un soupir. - Your money too," says Alan with a sigh. Vous n’auriez pas dû me le donner. You shouldn't have given it to me. Je deviens fou quand je touche un jeu de cartes. I go crazy when I touch a deck of cards. – Ta ta ta ! - Ta ta ta! dit Cluny. says Cluny. Tout cela était pour rire ; ce serait trop absurde. It was all in fun; it would be too absurd. Naturellement, vous allez ravoir votre argent, et même le double, si vous me le permettez. Naturally, you'll get your money back - and twice as much, if you don't mind me saying so. Que je le garde, moi ? You want me to keep it? que je puisse gêner en quelque chose des gentilshommes dans votre situation ? that I might get in the way of some gentlemen in your situation? Ce serait là une chose singulière ! That would be a peculiar thing! s’écria-t-il. he exclaimed. Et il se mit, en rougissant beaucoup, à extraire l’or de sa poche. And he began, blushing deeply, to extract the gold from his pocket. Alan ne dit rien, et continua de regarder à terre. Alan said nothing, and continued to stare at the ground. – Voulez-vous venir un instant avec moi jusqu’à la porte, monsieur ? - Would you come with me to the door for a moment, sir? dis-je à Cluny. I said to Cluny. Il me répondit qu’il en serait fort aise, et me suivit à l’instant, mais d’un air confus et la tête basse. He replied that he'd be delighted, and followed me immediately, but with a confused look on his face and his head down. – Et maintenant, monsieur, dis-je, j’ai d’abord à vous remercier de votre générosité. - And now, sir," I said, "I must first thank you for your generosity. – Absurdité des absurdités ! - Absurdity of absurdities! s’écria Cluny. exclaimed Cluny. Où voyez-vous de la générosité ? Where do you see generosity? Je n’y vois, moi, qu’un malheureux incident ; mais que voulez-vous que je fasse, – enfermé dans ma cage comme dans un rucher, – sinon atteler mes amis à une partie de cartes, lorsque j’en trouve l’occasion ? But what do you expect me to do - cooped up in my cage like an apiary - but hitch my friends up to a game of cards whenever I get the chance? Et s’ils perdent, bien entendu, on n’irait pas s’imaginer… Il n’acheva pas. And if they lose, of course, we wouldn't dream of... He didn't finish. – Oui, dis-je, s’ils perdent, vous leur rendez leur argent ; et s’ils gagnent, ils emportent le vôtre dans leurs goussets ? - Yes," I said, "if they lose, you give them their money back; and if they win, they take yours in their pockets? J’ai dit que je reconnaissais votre générosité ; mais pour moi, monsieur, avouez que la situation a quelque chose de pénible. I said I recognized your generosity; but for me, sir, you must admit that the situation is a bit painful. Il régna un bref silence, au cours duquel Cluny sembla sur le point de parler, mais il ne dit rien. There was a brief silence, during which Cluny seemed about to speak, but said nothing. Cependant il rougissait de plus en plus. But he was blushing more and more. – Je suis jeune, dis-je, et je vous demande un avis. - I'm young," I said, "and I'm asking for your advice. Conseillez-moi comme si j’étais votre fils. Advise me as if I were your son. Mon ami a loyalement perdu cet argent après vous avoir loyalement gagné une somme beaucoup plus forte ; puis-je accepter qu’on me la rende ? My friend has loyally lost this money after having loyally won a much larger sum from you; can I accept it back? Est-ce vraiment ce que je dois faire ? Is this really what I have to do? Quoi que je fasse, vous voyez vous-même que cela doit paraître dur à quiconque est doué d’amour-propre. Whatever I do, you can see for yourself that it must seem harsh to anyone with self-respect. – C’est assez dur pour moi également, monsieur Balfour, dit Cluny, et vous m’avez tout l’air de m’avoir tendu un méchant piège. - That's hard enough for me too, Mr. Balfour," says Cluny, "and you seem to have set a nasty trap for me. Je n’admettrais pas que des amis soient venus chez moi pour recevoir des affronts ; non, s’écria-t-il avec une irritation soudaine, pas plus que pour leur en infliger. I wouldn't admit that friends have come to my house to receive affronts; no," he exclaimed with sudden irritation, "nor to inflict them. – Vous voyez donc, monsieur, que je n’avais pas tellement tort, et que le jeu est une triste occupation pour des gentilshommes. - So you see, sir, I wasn't so wrong, and gambling is a sad occupation for gentlemen. Mais j’attends toujours votre réponse. But I'm still waiting for your answer. À coup sûr, si jamais Cluny détesta quelqu’un, ce fut David Balfour. If Cluny ever hated anyone, it was David Balfour. Il me considéra d’un œil belliqueux, et le défi lui monta aux lèvres. He looked at me warily, and defiance rose to his lips. Mais il fut désarmé, soit par ma jeunesse, soit par son propre sens de la justice. But he was disarmed, either by my youth or by his own sense of justice. À coup sûr, l’affaire était humiliante pour nous tous, et pour Cluny en particulier ; sa conduite lui fit d’autant plus d’honneur. Certainly, the affair was humiliating for us all, and for Cluny in particular; his conduct did him all the more honor. – Monsieur Balfour, dit-il, je vous crois trop subtil et trop covenantaire, mais vous avez malgré cela l’étoffe d’un parfait gentilhomme. - Monsieur Balfour," he said, "I think you're too subtle and too covenantal, but despite that you have the makings of a perfect gentleman. Sur ma foi d’honnête homme, vous pouvez prendre cet argent, – c’est là ce que je dirais à mon fils, – et voici ma main qui en répond. On my word as an honest man, you can take this money - that's what I'd say to my son - and here's my hand to vouch for it.