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Cinq semaines en ballon de Jules Verne, CHAPITRE XXXV

CHAPITRE XXXV

L'histoire de Joe.—L'île des Biddiomahs.—L'adoration.—L île engloutie.—Les rives du lac.—L'arbre aux serpents.—Voyage à pied.—Souffrances.—Moustiques et fourmis.—La faim.—Passage du Victoria.—Disparition du Victoria.—Désespoir.—Le marais.—Un dernier cri.

Qu'était devenu Joe pendant les vaines recherches de son maître ?

Lorsqu'il se fut précipité dans le lac, son premier mouvement à la surface fut de lever les yeux en l'air ; il vit le Victoria , déjà fort élevé au-dessus du lac, remonter avec rapidité, diminuer peu à peu, et, pris bientôt par un courant rapide, disparaître vers le nord.

Son maître, ses amis étaient sauvés.

« Il est heureux, se dit-il, que j'aie eu cette pensée de me jeter dans le Tchad ; elle n'eût pas manqué de venir à l'esprit de M. Kennedy, et certes il n'aurait pas hésité à faire comme moi, car il est bien naturel qu'un homme se sacrifie pour en sauver deux autres.

C'est mathématique.»

Rassuré sur ce point, Joe se mit à songer à lui ; il était au milieu d'un lac immense, entouré de peuplades inconnues, et probablement féroces.

Raison de plus pour se tirer d'affaire en ne comptant que sur lui ; il ne s'effraya donc pas autrement.

Avant l'attaque des oiseaux de proie, qui, selon lui, s'étaient conduits comme de vrais gypaètes, il avait avisé une île à l'horizon ; il résolut donc de se diriger vers elle, et se mit à déployer toutes ses connaissances dans l'art de la natation, après s'être débarrassé de la partie la plus gênante de ses vêtements ; il ne s'embarrassait guère d'une promenade de cinq ou six milles ; aussi, tant qu'il fut en plein lac, il ne songea qu'à nager vigoureusement et directement.

Au bout d'une heure et demie, la distance qui !e séparait de l'île se trouvait fort diminuée.

Mais à mesure qu'il s'approchait de terre, une pensée d'abord fugitive, tenace alors, s'empara de son esprit.

Il savait que les rives du lac sont hantées par d'énormes alligators, et il connaissait la voracité de ces animaux.

Quelle que fût sa manie de trouver tout naturel en ce monde, le digne garçon se sentait invinciblement ému ; il craignait que la chair blanche ne fût particulièrement du goût des crocodiles, et il ne s'avança donc qu'avec une extrême précaution, l' il aux aguets.

Il n'était plus qu'à une centaine de brasses d'un rivage ombragé d'arbres verts, quand une bouffée d'air chargé de l'odeur pénétrante du musc arriva jusqu'à lui.

« Bon, se dit-il !

voilà ce que je craignais ! le caïman n'est pas loin. » Et il plongea rapidement, mais pas assez pour éviter le contact d'un corps énorme dont l'épiderme écailleux l'écorcha au passage ; il se crut perdu, et se mit à nager avec une vitesse désespérée ; il revint à la surface de l'eau, respira et disparut de nouveau. Il eut là un quart d'heure d'une indicible angoisse que toute sa philosophie ne put surmonter, et croyait entendre derrière lui le bruit de cette vaste mâchoire prête à le happer. Il filait alors entre deux eaux, le plus doucement possible, quand il se sentit saisir par un bras, puis par le milieu du corps.

Pauvre Joe !

il eut une dernière pensée pour son maître, et se prit à lutter avec désespoir, en se sentant attiré non vers le fond du lac, ainsi que les crocodiles ont l'habitude de faire pour dévorer leur proie, mais à la surface même.

A peine eut-il pu respirer et ouvrir les yeux, qu'il se vit entre deux nègres d'un noir d'ébène ; ces Africains le tenaient vigoureusement et poussaient des cris étranges.

« Tiens!

ne put s'empêcher de s'écrier Joe! des nègres au lieu de caïmans ! Ma foi, j'aime encore mieux cela ! Mais comment ces gaillards-là osent-ils se baigner dans ces parages ! » Joe ignorait que les habitants des îles du Tchad, comme beaucoup de noirs, plongent impunément dans les eaux infestées d'alligators, sans se préoccuper de leur présence ; les amphibies de ce lac ont particulièrement une réputation assez mérité de sauriens inoffensifs. Mais Joe n'avait-il évité un danger que pour tomber dans un autre ?

C'est ce qu'il donna aux événements à décider, et puisqu il ne pouvait faire autrement, il se laissa conduire jusqu'au rivage sans montrer aucune crainte.

« Évidemment, se disait-il, ces gens-là ont vu le Victoria raser les eaux du lac comme un monstre des airs ; ils ont été les témoins éloignés de ma chute, et ils ne peuvent manquer d'avoir des égards pour un homme tombé du ciel !

Laissons-les faire ! » Joe en était là de ses réflexions, quand il prit terre au milieu d'une foule hurlante, de tout sexe, de tout âge, mais non de toutes couleurs. Il se trouvait au milieu d'une tribu de Biddiomahs d'un noir superbe. Il n'eut même pas à rougir de la légèreté de son costume ; il se trouvait « déshabillé » à la dernière mode du pays.

Mais avant qu'il eut le temps de se rendre compte de sa situation, il ne put se méprendre aux adorations dont il devint l'objet.

Cela ne laissa pas de le rassurer, bien que l'histoire de Kazeh lui revint à la mémoire.

« Je pressens que je vais redevenir un dieu, un fils de la Lune quelconque !

Eh bien, autant ce métier-là qu'un autre quand on n'a pas le choix. Ce qu'il importe, c'est de gagner du temps. Si le Victoria vient à repasser, je profiterai de ma nouvelle position pour donner à mes adorateurs le spectacle d'une ascension miraculeuse. » Pendant que Joe réfléchissait de la sorte, là foule se resserrait autour de lui ; elle se prosternait, elle hurlait, elle le palpait, elle devenait familière ; mais, au moins, elle eut la pensée de lui offrir un festin magnifique, composé de lait aigre avec du riz pilé dans du miel, le digne garçon, prenant son parti de toutes choses, fit alors un des meilleurs repas de sa vie et donna à son peuple une haute idée de la façon dont les dieux dévorent dans les grandes occasions. Lorsque le soir fut arrivé, les sorciers de l'île le prirent respectueusement par la main, et le conduisirent à une espèce de case entourée de talismans ; avant d'y pénétrer, Joe jeta un regard assez inquiet sur des monceaux d'ossements qui s'élevaient autour de ce sanctuaire ; il eut d'ailleurs tout le temps de réfléchir à sa position quand il fut enfermé dans sa cabane.

Pendant la soirée et une partie de la nuit, il entendit des chants de fête, les retentissements d'une espèce de tambour et un bruit de ferraille bien doux pour des oreilles africaines ; des ch urs hurlés accompagnèrent d'interminables danses qui enlaçaient la cabane sacrée de leurs contorsions et de leurs grimaces.

Joe pouvait saisir cet ensemble assourdissant à travers les murailles de boue et de roseau de la case ; peut-être, en toute autre circonstance, eût-il pris un plaisir assez vif à ces étranges cérémonies ; mais son esprit fut bientôt tourmenté d'une idée fort déplaisante.

Tout en prenant les choses de leur bon côté, il trouvait stupide et même triste d'être perdu dans cette contrée sauvage, au milieu de pareilles peuplades. Peu de voyageurs avaient revu leur patrie, de ceux qui osèrent s'aventurer jusqu'à ces contrées. D'ailleurs pouvait-il se fier aux adorations dont il se voyait l'objet ! Il avait de bonnes raisons de croire à la vanité des grandeurs humaines ! Il se demanda si, dans ce pays, l'adoration n'allait pas jusqu'à manger l'adoré !

Malgré cette fâcheuse perspective, après quelques heures de réflexion, la fatigue l'emporta sur les idées noires, et Joe tomba dans un sommeil assez profond, qui se fût prolongé sans doute jusqu'au lever du jour, si une humidité inattendue n'eût réveillé le dormeur.

Bientôt cette humidité se fit eau, et cette eau monta si bien que Joe en eut jusqu'à mi-corps.

« Qu'est-ce là ?

dit-il, une inondation ! une trombe ! un nouveau supplice de ces nègres ! Ma foi, je n'attendrai pas d'en avoir jusqu'au cou ! » Et ce disant, il enfonça la muraille d'un coup d'épaule et se trouva où ? en plein lac ! D'île, il n'y en avait plus ! Submergée pendant la nuit ! A sa place l'immensité du Tchad !

« Triste pays pour les propriétaires !

» se dit Joe, et il reprit avec vigueur l'exercice de ses facultés natatoires.

Un de ces phénomènes assez fréquents sur le lac Tchad avait délivré le brave garçon ; plus d'une île a disparu ainsi, qui paraissait avoir la solidité du roc, et souvent les populations riveraines durent recueillir les malheureux échappés à ces terribles catastrophes.

Joe ignorait cette particularité, mais il ne se fit pas faute d'en profiter.

Il avisa une barque errante et l'accosta rapidement. C'était une sorte de tronc d'arbre grossièrement creusé une paire de pagaies s'y trouvait heureusement, et Joe, profitant d'un courant assez rapide, se laissa dériver.

« Orientons-nous, dit-il.

L'étoile polaire, qui fait honnêtement son métier d'indiquer la route du nord à tout le monde, voudra bien me venir en aide. » Il reconnut avec satisfaction que le courant le portait vers la rive septentrionale du Tchad, et il le laissa faire. Vers deux heures du matin, il prenait pied sur un promontoire couvert de roseaux épineux qui parurent fort importuns, même à un philosophe ; mais un arbre poussait là tout exprès pour lui offrir un lit dans ses branches. Joe y grimpa pour plus de sûreté, et attendit là, sans trop dormir, les premiers rayons du jour.

Le matin venu avec cette rapidité particulière aux régions équatoriales, Joe jeta un coup d' il sur l'arbre qui l'avait abrité pendant la nuit ; un spectacle assez inattendu le terrifia.

Les branches de cet arbre étaient littéralement couvertes de serpents et de caméléons ; le feuillage disparaissait sous leurs entrelacements ; on eût dit un arbre d'une nouvelle espèce qui produisait des reptiles ; sous les premiers rayons du soleil, tout cela rampait et se tordait. Joe éprouva un vif sentiment de terreur mêlé de dégoût, et s'élança à terre au milieu des sifflements de la bande.

« Voilà une chose qu'on ne voudra jamais croire, » dit-il.

Il ne savait pas que les dernières lettres du docteur Vogel avaient fait connaître cette singularité des rives du Tchad, où les reptiles sont plus nombreux qu'en aucun pays du monde.

Après ce qu'il venait de voir, Joe résolut d'être plus circonspect à l'avenir, et, s'orientant sur le soleil, il se mit en marche en se dirigeant vers le nord-est. Il évitait avec le plus grand soin cabanes, cases, huttes, tanières, en un mot tout ce qui peut servir de réceptacle à la race humaine.

Que de fois ses regards se portèrent en l'air !

Il espérait apercevoir le Victoria , et bien qu'il l'eut vainement cherché pendant toute cette journée de marche, cela ne diminua pas sa confiance en son maître ; il lui fallait une grande énergie de caractère pour prendre si philosophiquement sa situation. La faim se joignait à la fatigue, car à le nourrir de racines, de moelle d'arbustes, tels que le « mélé, » ou des fruits du palmier doum, on ne refait pas un homme ; et cependant, suivant son estime, il s'avança d'une trentaine de milles vers l'ouest. Son corps portait en vingt endroits les traces des milliers d'épines dont les roseaux du lac, les acacias et les mimosas sont hérissés, et ses pieds ensanglantés rendaient sa marche extrêmement douloureuse. Mais enfin il put réagir contre ses souffrances, et, le soir venu, il résolut de passer la nuit sur les rives du Tchad.

Là, il eut à subir les atroces piqûres de myriades d'insectes : mouches, moustiques, fourmis longues d'un demi-pouce y couvrent littéralement la terre.

Au bout de deux heures, il ne restait pas à Joe un lambeau du peu de vêtements qui le couvraient ; les insectes avaient tout dévoré ! Ce fut une nuit terrible, qui ne donna pas une heure de sommeil au voyageur fatigué ; pendant ce temps, les sangliers, les buffles sauvages, l'ajoub, sorte de 1amentin assez dangereux faisaient rage dans les buissons et sous les eaux du lac ; le concert des bêtes féroces retentissait au milieu de la nuit. Joe n'osa remuer. Sa résignation et sa patience eurent de la peine à tenir contre une pareille situation.

Enfin le jour revint ; Joe se releva précipitamment, et que l'on juge du dégoût qu'il ressentit en voyant quel animal immonde avait partagé sa couche : un crapaud !

mais un crapaud de cinq pouces de large, une bête monstrueuse, repoussante, qui le regardait avec des yeux ronds. Joe sentit son coeur se soulever, et, reprenant quelque force dans sa répugnance, il courut à grands pas se plonger dans les eaux du lac. Ce bain calma un peu les démangeaisons qui le torturaient, et, après avoir mâché quelques feuilles, il reprit sa route avec une obstination, un entêtement dont il ne pouvait se rendre compte ; il n'avait plus le sentiment de ses actes, et néanmoins il sentait. en lui une puissance supérieure au désespoir.

Cependant une faim terrible le torturait ; son estomac, moins résigné que lui, se plaignait ; il fut obligé de serrer fortement une liane autour de son corps ; heureusement, sa soif pouvait s'étancher à chaque pas, et, en se rappelant les souffrances du désert, il trouvait un bonheur relatif à ne pas subir les tourments de cet impérieux besoin.

« Où peut être le Victoria ?

se demandait-il... Le vent souffle du nord ! Il devrait revenir sur le lac ! Sans doute M. Samuel aura procédé à une nouvelle installation pour rétablir l'équilibre ; mais la journée d'hier a dû suffire à ces travaux ; il ne serait donc pas impossible qu'aujourd'hui... Mais agissons comme si je ne devais jamais le revoir. Après tout, si je parvenais à gagner une des grandes villes du lac, je me trouverais dans la position des voyageurs dont mon maître nous a parlé. Pourquoi ne me tirerais-je pas d'affaire comme eux ? Il y en a qui en sont revenus, que diable !... Allons ! courage ! » Or, en parlant ainsi et en marchant toujours, l'intrépide Joe tomba en pleine forêt au milieu d'un attroupement de sauvages ; il s'arrêta à temps et ne fut pas vu. Les nègres s'occupaient à empoisonner leurs flèches avec le suc de l'euphorbe, grande occupation des peuplades de ces contrées, et qui se fait avec une sorte de cérémonie solennelle.

Joe, immobile, retenant son souffle, se cachait au milieu d'un fourré, lorsqu'en levant les yeux, par une éclaircie du feuillage, il aperçut le Victoria , le Victoria lui-même, se dirigeant vers le lac, à cent pieds à peine au-dessus de lui.

Impossible de se faire entendre ! impossible de se faire voir !

Une larme lui vint aux yeux, non de désespoir, mais de reconnaissance : son maître était à sa recherche !

son maître ne l'abandonnait pas ! Il lui fallut attendre le départ des noirs ; il put alors quitter sa retraite et courir vers les bords du Tchad.

Mais alors le Victoria se perdait au loin dans le ciel.

Joe résolut de l'attendre : il repasserait certainement ! Il repassa, en effet, mais plus à l'est. Joe courut, gesticula, cria... Ce fut en vain ! Un vent violent en-traînait le ballon avec une irrésistible vitesse !

Pour la première fois, l'énergie, l'espérance manquèrent au coeur de l'infortuné ; il se vit perdu ; il crut son maître parti sans retour ; il n'osait plus penser, i1 ne voulait plus réfléchir.

Comme un fou, les pieds en sang, le corps meurtri, il marcha pendant toute cette journée et une partie de la nuit.

Il se traînait, tantôt sur les genoux, tantôt sur les mains ; il voyait venir le moment où la force lui manquerait et où il faudrait mourir.

En avançant ainsi, il finit par se trouver en face d'un marais, ou plutôt de ce qu'il sut bientôt être un marais, car la nuit était venue depuis quelques heures ; il tomba inopinément dans une boue tenace ; malgré ses efforts, malgré sa résistance désespérée, il se sentit enfoncer peu à peu au milieu de ce terrain vaseux ; quelques minutes plus tard il en avait jusqu'à mi-corps.

« Voilà donc la mort !

se dit-il ; et quelle mort !... » Il se débattit avec rage ; mais ces efforts ne servaient qu'à l'ensevelir davantage dans cette tombe que le malheureux se creusait lui-même. Pas un morceau de bois qui pût l'arrêter, pas un roseau pour le retenir !.. Il comprit que c'en était fait de lui !... Ses yeux se fermèrent.

« Mon maître !

mon maître ! à moi !... » s'écria-t-il.

Et cette voix désespérée, isolée, étouffée déjà, se perdit dans la nuit.


CHAPITRE XXXV CHAPTER XXXV CAPÍTULO XXXV

L'histoire de Joe.—L'île des Biddiomahs.—L'adoration.—L île engloutie.—Les rives du lac.—L'arbre aux serpents.—Voyage à pied.—Souffrances.—Moustiques et fourmis.—La faim.—Passage du Victoria.—Disparition du Victoria.—Désespoir.—Le marais.—Un dernier cri. The Story of Joe.—The Island of the Biddiomahs.—The Adoration.—The Sunken Island.—The Shores of the Lake.—The Serpent Tree.—Travel on Foot.—Sufferings.—Mosquitoes and Ants.— Hunger.—Passage of the Victoria.—Disappearance of the Victoria.—Despair.—The swamp.—A last cry.

Qu'était devenu Joe pendant les vaines recherches de son maître ? What had become of Joe during his master's vain searches?

Lorsqu'il se fut précipité dans le lac, son premier mouvement à la surface fut de lever les yeux en l'air ; il vit le  Victoria , déjà fort élevé au-dessus du lac, remonter avec rapidité, diminuer peu à peu, et, pris bientôt par un courant rapide, disparaître vers le nord. When he had rushed into the lake, his first movement on the surface was to look up; he saw the Victoria, already very high above the lake, rise rapidly, diminish little by little, and, soon taken by a rapid current, disappear towards the north.

Son maître, ses amis étaient sauvés. His master, his friends were saved.

« Il est heureux, se dit-il, que j'aie eu cette pensée de me jeter dans le Tchad ; elle n'eût pas manqué de venir à l'esprit de M. Kennedy, et certes il n'aurait pas hésité à faire comme moi, car il est bien naturel qu'un homme se sacrifie pour en sauver deux autres. "It is fortunate," he said to himself, "that I had the thought of throwing myself into Chad; it would not have failed to come to mind for Mr. Kennedy, and certainly he would not have hesitated to do as I did, for it is quite natural that a man should sacrifice himself to save two others.

C'est mathématique.» It's mathematical. "

Rassuré sur ce point, Joe se mit à songer à lui ; il était au milieu d'un lac immense, entouré de peuplades inconnues, et probablement féroces. Reassured on this point, Joe began to think of him; it was in the middle of a huge lake, surrounded by unknown, and probably ferocious, peoples.

Raison de plus pour se tirer d'affaire en ne comptant que sur lui ; il ne s'effraya donc pas autrement. All the more reason to get out of it by relying only on him; he was therefore not frightened otherwise.

Avant l'attaque des oiseaux de proie, qui, selon lui, s'étaient conduits comme de vrais gypaètes, il avait avisé une île à l'horizon ; il résolut donc de se diriger vers elle, et se mit à déployer toutes ses connaissances dans l'art de la natation, après s'être débarrassé de la partie la plus gênante de ses vêtements ; il ne s'embarrassait guère d'une promenade de cinq ou six milles ; aussi, tant qu'il fut en plein lac, il ne songea qu'à nager vigoureusement et directement. Before the attack by the birds of prey, which, according to him, had behaved like real vultures, he had noticed an island on the horizon; he therefore resolved to go towards her, and began to deploy all his knowledge in the art of swimming, after having got rid of the most troublesome part of his clothes; he hardly bothered with a walk of five or six miles; so, while he was in the middle of the lake, he thought only of swimming vigorously and directly.

Au bout d'une heure et demie, la distance qui !e séparait de l'île se trouvait fort diminuée. At the end of an hour and a half, the distance which separated the island was greatly diminished.

Mais à mesure qu'il s'approchait de terre, une pensée d'abord fugitive, tenace alors, s'empara de son esprit. But as he approached the ground, a thought at first fleeting, tenacious then, seized his mind.

Il savait que les rives du lac sont hantées par d'énormes alligators, et il connaissait la voracité de ces animaux. He knew that the shores of the lake are haunted by huge alligators, and he knew the voracity of these animals.

Quelle que fût sa manie de trouver tout naturel en ce monde, le digne garçon se sentait invinciblement ému ; il craignait que la chair blanche ne fût particulièrement du goût des crocodiles, et il ne s'avança donc qu'avec une extrême précaution, l' il aux aguets. Whatever his mania for finding everything natural in this world, the worthy boy felt invincibly moved; he feared that the white flesh was particularly to the taste of crocodiles, and he therefore advanced only with extreme caution, his eye on the watch.

Il n'était plus qu'à une centaine de brasses d'un rivage ombragé d'arbres verts, quand une bouffée d'air chargé de l'odeur pénétrante du musc arriva jusqu'à lui. He was only a hundred fathoms from a shore shaded by green trees, when a breath of air laden with the penetrating scent of musk reached him.

« Bon, se dit-il ! "Good," he said to himself!

voilà ce que je craignais ! this is what I feared! le caïman n'est pas loin. the caiman is not far away. » Et il plongea rapidement, mais pas assez pour éviter le contact d'un corps énorme dont l'épiderme écailleux l'écorcha au passage ; il se crut perdu, et se mit à nager avec une vitesse désespérée ; il revint à la surface de l'eau, respira et disparut de nouveau. And he dived quickly, but not enough to avoid contact with a huge body whose scaly epidermis flayed him in passing; he believed himself lost, and began to swim with desperate speed; he returned to the surface of the water, breathed, and disappeared again. Il eut là un quart d'heure d'une indicible angoisse que toute sa philosophie ne put surmonter, et croyait entendre derrière lui le bruit de cette vaste mâchoire prête à le happer. There he had a quarter of an hour of unspeakable anguish that his whole philosophy could not overcome, and thought he heard behind him the noise of that vast jaw ready to catch him. Il filait alors entre deux eaux, le plus doucement possible, quand il se sentit saisir par un bras, puis par le milieu du corps. He then spun between two waters, as gently as possible, when he felt himself grabbed by an arm, then by the middle of the body.

Pauvre Joe !

il eut une dernière pensée pour son maître, et se prit à lutter avec désespoir, en se sentant attiré non vers le fond du lac, ainsi que les crocodiles ont l'habitude de faire pour dévorer leur proie, mais à la surface même. he had a last thought for his master, and began to fight with despair, feeling drawn not to the bottom of the lake, as crocodiles are used to do to devour their prey, but on the surface itself.

A peine eut-il pu respirer et ouvrir les yeux, qu'il se vit entre deux nègres d'un noir d'ébène ; ces Africains le tenaient vigoureusement et poussaient des cris étranges. No sooner had he been able to breathe and open his eyes than he saw himself between two ebony black negroes; these Africans held him vigorously and uttered strange cries.

« Tiens! " Here!

ne put s'empêcher de s'écrier Joe! couldn't help but cry Joe! des nègres au lieu de caïmans ! negroes instead of caimans! Ma foi, j'aime encore mieux cela ! Well, I like it even better! Mais comment ces gaillards-là osent-ils se baigner dans ces parages ! But how dare these fellows bathe in these parts! » Joe ignorait que les habitants des îles du Tchad, comme beaucoup de noirs, plongent impunément dans les eaux infestées d'alligators, sans se préoccuper de leur présence ; les amphibies de ce lac ont particulièrement une réputation assez mérité de sauriens inoffensifs. Joe was unaware that the inhabitants of the islands of Chad, like many blacks, dive with impunity infested with alligators, without worrying about their presence; the amphibians of this lake have a particularly well-deserved reputation as harmless saurians. Mais Joe n'avait-il évité un danger que pour tomber dans un autre ? But had Joe only avoided danger to fall into another?

C'est ce qu'il donna aux événements à décider, et puisqu il ne pouvait faire autrement, il se laissa conduire jusqu'au rivage sans montrer aucune crainte. This is what he gave to events to decide, and since he could not do otherwise, he allowed himself to be led to the shore without showing any fear.

« Évidemment, se disait-il, ces gens-là ont vu le  Victoria raser les eaux du lac comme un monstre des airs ; ils ont été les témoins éloignés de ma chute, et ils ne peuvent manquer d'avoir des égards pour un homme tombé du ciel ! "Obviously," he said to himself, "these people saw the Victoria raze the waters of the lake like a monster from the air; they were distant witnesses of my fall, and they cannot fail to have regard for a man fallen from the sky!

Laissons-les faire ! Let them do it! » Joe en était là de ses réflexions, quand il prit terre au milieu d'une foule hurlante, de tout sexe, de tout âge, mais non de toutes couleurs. Joe was there with his thoughts, when he landed in the midst of a screaming crowd, of all sexes, of all ages, but not of all colors. Il se trouvait au milieu d'une tribu de Biddiomahs d'un noir superbe. He found himself in the midst of a tribe of superbly black Biddiomahs. Il n'eut même pas à rougir de la légèreté de son costume ; il se trouvait « déshabillé » à la dernière mode du pays. He did not even have to blush for the lightness of his costume; he found himself "undressed" in the latest fashion in the country.

Mais avant qu'il eut le temps de se rendre compte de sa situation, il ne put se méprendre aux adorations dont il devint l'objet. But before he had time to realize his situation, he could not mistake the worship of which he became the object.

Cela ne laissa pas de le rassurer, bien que l'histoire de Kazeh lui revint à la mémoire. This did not stop reassuring him, although the story of Kazeh came to his mind.

« Je pressens que je vais redevenir un dieu, un fils de la Lune quelconque ! "I sense that I will become a god again, some son of the Moon!

Eh bien, autant ce métier-là qu'un autre quand on n'a pas le choix. Well, this job as much as any other when you have no choice. Ce qu'il importe, c'est de gagner du temps. Si le  Victoria vient à repasser, je profiterai de ma nouvelle position pour donner à mes adorateurs le spectacle d'une ascension miraculeuse. If the Victoria comes to iron, I will take advantage of my new position to give my worshipers the spectacle of a miraculous ascent. » Pendant que Joe réfléchissait de la sorte, là foule se resserrait autour de lui ; elle se prosternait, elle hurlait, elle le palpait, elle devenait familière ; mais, au moins, elle eut la pensée de lui offrir un festin magnifique, composé de lait aigre avec du riz pilé dans du miel, le digne garçon, prenant son parti de toutes choses, fit alors un des meilleurs repas de sa vie et donna à son peuple une haute idée de la façon dont les dieux dévorent dans les grandes occasions. While Joe was thinking like that, the crowd gathered around him; she bowed down, howled, she felt him, she became familiar; but, at least, she thought of offering him a magnificent feast, composed of sour milk with rice pounded in honey, the worthy boy, taking his part in all things, then made one of the best meals of his life and gave to his people a high idea of how the gods devour on special occasions. Lorsque le soir fut arrivé, les sorciers de l'île le prirent respectueusement par la main, et le conduisirent à une espèce de case entourée de talismans ; avant d'y pénétrer, Joe jeta un regard assez inquiet sur des monceaux d'ossements qui s'élevaient autour de ce sanctuaire ; il eut d'ailleurs tout le temps de réfléchir à sa position quand il fut enfermé dans sa cabane. When evening had arrived, the wizards of the island took him respectfully by the hand, and led him to a sort of hut surrounded by talismans; before entering it, Joe cast a rather anxious glance on heaps of bones which rose around this sanctuary; he had plenty of time to think about his position when he was locked up in his cabin.

Pendant la soirée et une partie de la nuit, il entendit des chants de fête, les retentissements d'une espèce de tambour et un bruit de ferraille bien doux pour des oreilles africaines ; des ch urs hurlés accompagnèrent d'interminables danses qui enlaçaient la cabane sacrée de leurs contorsions et de leurs grimaces. During the evening and part of the night, he heard festive songs, the sounds of a kind of drum, and the sound of scrap metal very soft for African ears; screamed choruses accompanied endless dances which entwined the sacred hut with their contortions and their grimaces.

Joe pouvait saisir cet ensemble assourdissant à travers les murailles de boue et de roseau de la case ; peut-être, en toute autre circonstance, eût-il pris un plaisir assez vif à ces étranges cérémonies ; mais son esprit fut bientôt tourmenté d'une idée fort déplaisante. Joe could grasp this deafening set through the mud and reed walls of the hut; perhaps, in all other circumstances, he would have taken a rather lively pleasure in these strange ceremonies; but his mind was soon tormented by a very unpleasant idea.

Tout en prenant les choses de leur bon côté, il trouvait stupide et même triste d'être perdu dans cette contrée sauvage, au milieu de pareilles peuplades. While taking things on their good side, he found it stupid and even sad to be lost in this wilderness, in the midst of such peoples. Peu de voyageurs avaient revu leur patrie, de ceux qui osèrent s'aventurer jusqu'à ces contrées. Few travelers had seen their homeland again, of those who dared to venture to these countries. D'ailleurs pouvait-il se fier aux adorations dont il se voyait l'objet ! Besides, could he trust the adoration of which he saw himself the object! Il avait de bonnes raisons de croire à la vanité des grandeurs humaines ! He had good reason to believe in the vanity of human grandeur! Il se demanda si, dans ce pays, l'adoration n'allait pas jusqu'à manger l'adoré ! He wondered if, in this country, adoration did not go so far as to eat the adored!

Malgré cette fâcheuse perspective, après quelques heures de réflexion, la fatigue l'emporta sur les idées noires, et Joe tomba dans un sommeil assez profond, qui se fût prolongé sans doute jusqu'au lever du jour, si une humidité inattendue n'eût réveillé le dormeur. Despite this unfortunate prospect, after a few hours of reflection, fatigue prevailed over dark ideas, and Joe fell into a fairly deep sleep, which would probably have lasted until daybreak, if unexpected humidity had not woke up the sleeper.

Bientôt cette humidité se fit eau, et cette eau monta si bien que Joe en eut jusqu'à mi-corps. Soon this humidity became water, and this water rose so well that Joe had half-body.

« Qu'est-ce là ?

dit-il, une inondation ! he said, a flood! une trombe ! a tornado! un nouveau supplice de ces nègres ! a new torture of these negroes! Ma foi, je n'attendrai pas d'en avoir jusqu'au cou ! Well, I will not wait to have it up to my neck! » Et ce disant, il enfonça la muraille d'un coup d'épaule et se trouva où ? And saying that, he knocked down the wall and found himself where? en plein lac ! D'île, il n'y en avait plus ! There were no more islands! Submergée pendant la nuit ! Submerged overnight! A sa place l'immensité du Tchad ! In its place, the vastness of Chad!

« Triste pays pour les propriétaires ! “Sad country for the owners!

» se dit Joe, et il reprit avec vigueur l'exercice de ses facultés natatoires. Said Joe to himself, and resumed vigorously the exercise of his swimming faculties.

Un de ces phénomènes assez fréquents sur le lac Tchad avait délivré le brave garçon ; plus d'une île a disparu ainsi, qui paraissait avoir la solidité du roc, et souvent les populations riveraines durent recueillir les malheureux échappés à ces terribles catastrophes. One of these fairly frequent phenomena on Lake Chad had delivered the brave boy; more than one island has thus disappeared, which seemed to have the solidity of the rock, and often the neighboring populations had to collect the unfortunate escaped from these terrible catastrophes.

Joe ignorait cette particularité, mais il ne se fit pas faute d'en profiter. Joe was unaware of this particularity, but he did not fail to take advantage of it.

Il avisa une barque errante et l'accosta rapidement. He noticed a stray boat and quickly accosted it. C'était une sorte de tronc d'arbre grossièrement creusé une paire de pagaies s'y trouvait heureusement, et Joe, profitant d'un courant assez rapide, se laissa dériver. It was a kind of roughly dug tree trunk a pair of paddles was there fortunately, and Joe, taking advantage of a fairly rapid current, allowed himself to drift.

« Orientons-nous, dit-il. "Let us orient ourselves," he said.

L'étoile polaire, qui fait honnêtement son métier d'indiquer la route du nord à tout le monde, voudra bien me venir en aide. The North Star, who honestly does his job of showing the north route to everyone, will help me. » Il reconnut avec satisfaction que le courant le portait vers la rive septentrionale du Tchad, et il le laissa faire. He recognized with satisfaction that the current was carrying him towards the northern bank of Chad, and he let him do it. Vers deux heures du matin, il prenait pied sur un promontoire couvert de roseaux épineux qui parurent fort importuns, même à un philosophe ; mais un arbre poussait là tout exprès pour lui offrir un lit dans ses branches. Towards two o'clock in the morning, he set foot on a promontory covered with thorny reeds which seemed very annoying, even to a philosopher; but a tree grew there on purpose to offer him a bed in its branches. Joe y grimpa pour plus de sûreté, et attendit là, sans trop dormir, les premiers rayons du jour. Joe climbed into it for safety, and waited there, without sleeping too much, for the first rays of day.

Le matin venu avec cette rapidité particulière aux régions équatoriales, Joe jeta un coup d' il sur l'arbre qui l'avait abrité pendant la nuit ; un spectacle assez inattendu le terrifia. In the morning, with such rapidity peculiar to the equatorial regions, Joe glanced at the tree which had sheltered him during the night; a rather unexpected spectacle terrified him.

Les branches de cet arbre étaient littéralement couvertes de serpents et de caméléons ; le feuillage disparaissait sous leurs entrelacements ; on eût dit un arbre d'une nouvelle espèce qui produisait des reptiles ; sous les premiers rayons du soleil, tout cela rampait et se tordait. The branches of this tree were literally covered with snakes and chameleons; the foliage disappeared beneath their interlacing; it looked like a tree of a new species which produced reptiles; under the first rays of the sun, it all crawled and twisted. Joe éprouva un vif sentiment de terreur mêlé de dégoût, et s'élança à terre au milieu des sifflements de la bande. Joe felt a strong feeling of dread mixed with disgust, and rushed to the ground amidst the whistles of the gang.

« Voilà une chose qu'on ne voudra jamais croire, » dit-il. "This is something you will never want to believe," he said.

Il ne savait pas que les dernières lettres du docteur Vogel avaient fait connaître cette singularité des rives du Tchad, où les reptiles sont plus nombreux qu'en aucun pays du monde. He did not know that the last letters of Doctor Vogel had made known this peculiarity of the banks of Chad, where the reptiles are more numerous than in any country in the world.

Après ce qu'il venait de voir, Joe résolut d'être plus circonspect à l'avenir, et, s'orientant sur le soleil, il se mit en marche en se dirigeant vers le nord-est. After what he had just seen, Joe resolved to be more cautious in the future, and, orienting himself on the sun, he set off walking towards the northeast. Il évitait avec le plus grand soin cabanes, cases, huttes, tanières, en un mot tout ce qui peut servir de réceptacle à la race humaine. He avoided with the greatest care huts, huts, huts, dens, in a word everything that can serve as a receptacle for the human race.

Que de fois ses regards se portèrent en l'air ! How often his eyes went up in the air!

Il espérait apercevoir le  Victoria , et bien qu'il l'eut vainement cherché pendant toute cette journée de marche, cela ne diminua pas sa confiance en son maître ; il lui fallait une grande énergie de caractère pour prendre si philosophiquement sa situation. He hoped to see the Victoria, and although he had vainly searched for it during the whole day of walking, it did not diminish his confidence in his master; he needed a great energy of character to take his situation so philosophically. La faim se joignait à la fatigue, car à le nourrir de racines, de moelle d'arbustes, tels que le « mélé, » ou des fruits du palmier doum, on ne refait pas un homme ; et cependant, suivant son estime, il s'avança d'une trentaine de milles vers l'ouest. Hunger was combined with fatigue, because in nourishing it with roots, marrow of shrubs, such as "melee," or fruits of the doum palm, one does not make a man again; and yet, according to his estimation, he advanced thirty miles to the west. Son corps portait en vingt endroits les traces des milliers d'épines dont les roseaux du lac, les acacias et les mimosas sont hérissés, et ses pieds ensanglantés rendaient sa marche extrêmement douloureuse. His body bore in twenty places the traces of the thousands of thorns with which the reeds of the lake, the acacias and the mimosas are bristling, and his bloody feet made his walk extremely painful. Mais enfin il put réagir contre ses souffrances, et, le soir venu, il résolut de passer la nuit sur les rives du Tchad. But at last he was able to react against his sufferings, and, when evening came, he resolved to spend the night on the banks of Chad.

Là, il eut à subir les atroces piqûres de myriades d'insectes : mouches, moustiques, fourmis longues d'un demi-pouce y couvrent littéralement la terre. There he had to undergo the excruciating bites of myriads of insects: flies, mosquitoes, ants half an inch long literally cover the earth.

Au bout de deux heures, il ne restait pas à Joe un lambeau du peu de vêtements qui le couvraient ; les insectes avaient tout dévoré ! At the end of two hours, there was not a fragment of Joe left of the few clothes which covered him; the insects had devoured everything! Ce fut une nuit terrible, qui ne donna pas une heure de sommeil au voyageur fatigué ; pendant ce temps, les sangliers, les buffles sauvages, l'ajoub, sorte de 1amentin assez dangereux faisaient rage dans les buissons et sous les eaux du lac ; le concert des bêtes féroces retentissait au milieu de la nuit. Joe n'osa remuer. Joe dared not move. Sa résignation et sa patience eurent de la peine à tenir contre une pareille situation. His resignation and patience found it difficult to hold out against such a situation.

Enfin le jour revint ; Joe se releva précipitamment, et que l'on juge du dégoût qu'il ressentit en voyant quel animal immonde avait partagé sa couche : un crapaud ! Finally the day returned; Joe got up quickly, and you can judge the disgust he felt when he saw what a foul animal had shared his diaper: a toad!

mais un crapaud de cinq pouces de large, une bête monstrueuse, repoussante, qui le regardait avec des yeux ronds. but a toad five inches wide, a monstrous, repulsive beast, which looked at him with round eyes. Joe sentit son coeur se soulever, et, reprenant quelque force dans sa répugnance, il courut à grands pas se plonger dans les eaux du lac. Ce bain calma un peu les démangeaisons qui le torturaient, et, après avoir mâché quelques feuilles, il reprit sa route avec une obstination, un entêtement dont il ne pouvait se rendre compte ; il n'avait plus le sentiment de ses actes, et néanmoins il sentait. This bath calmed a little the itching which tortured him, and, after having chewed a few leaves, he resumed his journey with obstinacy, a stubbornness of which he could not be aware; he no longer had the feeling of his actions, and nevertheless he felt. en lui une puissance supérieure au désespoir. in him a power greater than despair.

Cependant une faim terrible le torturait ; son estomac, moins résigné que lui, se plaignait ; il fut obligé de serrer fortement une liane autour de son corps ; heureusement, sa soif pouvait s'étancher à chaque pas, et, en se rappelant les souffrances du désert, il trouvait un bonheur relatif à ne pas subir les tourments de cet impérieux besoin. However, a terrible hunger tortured him; his stomach, less resigned than himself, complained; he was obliged to tighten a vine tightly around his body; fortunately, his thirst could be quenched at every step, and, remembering the sufferings of the desert, he found relative happiness in not suffering the torments of this imperious need.

« Où peut être le  Victoria ? "Where can the Victoria be?"

se demandait-il... Le vent souffle du nord ! Il devrait revenir sur le lac ! Sans doute M. Samuel aura procédé à une nouvelle installation pour rétablir l'équilibre ; mais la journée d'hier a dû suffire à ces travaux ; il ne serait donc pas impossible qu'aujourd'hui... Mais agissons comme si je ne devais jamais le revoir. No doubt Mr. Samuel will have carried out a new installation to restore balance; but yesterday's day must have been enough for these works; So it would not be impossible today ... But let's act as if I should never see him again. Après tout, si je parvenais à gagner une des grandes villes du lac, je me trouverais dans la position des voyageurs dont mon maître nous a parlé. After all, if I succeeded in reaching one of the great cities of the lake, I would find myself in the position of the travelers of which my master spoke to us. Pourquoi ne me tirerais-je pas d'affaire comme eux ? Why don't I get away with it like them? Il y en a qui en sont revenus, que diable !... There are some who came back, what the hell! ... Allons ! courage ! » Or, en parlant ainsi et en marchant toujours, l'intrépide Joe tomba en pleine forêt au milieu d'un attroupement de sauvages ; il s'arrêta à temps et ne fut pas vu. Now, speaking thus and still walking, the intrepid Joe fell in the middle of the forest in the midst of a crowd of savages; he stopped in time and was not seen. Les nègres s'occupaient à empoisonner leurs flèches avec le suc de l'euphorbe, grande occupation des peuplades de ces contrées, et qui se fait avec une sorte de cérémonie solennelle. The negroes occupied themselves in poisoning their arrows with the juice of the spurge, a great occupation of the peoples of these countries, and which is done with a sort of solemn ceremony.

Joe, immobile, retenant son souffle, se cachait au milieu d'un fourré, lorsqu'en levant les yeux, par une éclaircie du feuillage, il aperçut le  Victoria , le  Victoria lui-même, se dirigeant vers le lac, à cent pieds à peine au-dessus de lui. Joe, motionless, holding his breath, was hiding in the middle of a thicket, when looking up, through a thinning of the foliage, he saw the Victoria, the Victoria itself, heading towards the lake, a hundred feet barely above him.

Impossible de se faire entendre ! Impossible to be heard! impossible de se faire voir ! impossible to be seen!

Une larme lui vint aux yeux, non de désespoir, mais de reconnaissance : son maître était à sa recherche ! A tear came to his eyes, not from despair, but from recognition: his master was looking for him!

son maître ne l'abandonnait pas ! his master did not abandon him! Il lui fallut attendre le départ des noirs ; il put alors quitter sa retraite et courir vers les bords du Tchad. He had to wait for the blacks to leave; he could then leave his retirement and run towards the edges of Chad.

Mais alors le  Victoria se perdait au loin dans le ciel. But then the Victoria was lost in the sky.

Joe résolut de l'attendre : il repasserait certainement ! Joe resolved to wait for him: he would certainly come back! Il repassa, en effet, mais plus à l'est. He went back, in fact, but further to the east. Joe courut, gesticula, cria... Ce fut en vain ! Joe ran, gesticulated, shouted... It was in vain! Un vent violent en-traînait le ballon avec une irrésistible vitesse ! A violent wind dragged the balloon with irresistible speed!

Pour la première fois, l'énergie, l'espérance manquèrent au coeur de l'infortuné ; il se vit perdu ; il crut son maître parti sans retour ; il n'osait plus penser, i1 ne voulait plus réfléchir. For the first time, energy and hope were lacking in the heart of the unfortunate; he saw himself lost; he believed his master gone without return; he no longer dared to think, he no longer wanted to think.

Comme un fou, les pieds en sang, le corps meurtri, il marcha pendant toute cette journée et une partie de la nuit. Like a madman, his feet bleeding, his body bruised, he walked all day and part of the night.

Il se traînait, tantôt sur les genoux, tantôt sur les mains ; il voyait venir le moment où la force lui manquerait et où il faudrait mourir. He dragged himself, sometimes on his knees, sometimes on his hands; he saw the moment coming when his strength would fail him and he would have to die.

En avançant ainsi, il finit par se trouver en face d'un marais, ou plutôt de ce qu'il sut bientôt être un marais, car la nuit était venue depuis quelques heures ; il tomba inopinément dans une boue tenace ; malgré ses efforts, malgré sa résistance désespérée, il se sentit enfoncer peu à peu au milieu de ce terrain vaseux ; quelques minutes plus tard il en avait jusqu'à mi-corps. Advancing thus, he finally found himself in front of a swamp, or rather of what he soon knew to be a swamp, for night had fallen for a few hours; he fell unexpectedly into a tenacious mud; Despite his efforts, despite his desperate resistance, he felt himself sinking little by little into the middle of this muddy ground; a few minutes later he was up to his waist.

« Voilà donc la mort ! “There, then, is death!

se dit-il ; et quelle mort !... he says to him ; and what a death!... » Il se débattit avec rage ; mais ces efforts ne servaient qu'à l'ensevelir davantage dans cette tombe que le malheureux se creusait lui-même. He struggled angrily; but these efforts only served to bury him further in the grave which the unfortunate man was digging for himself. Pas un morceau de bois qui pût l'arrêter, pas un roseau pour le retenir !.. Not a piece of wood could stop him, not a reed to hold him back!... Il comprit que c'en était fait de lui !... He understood that it was all over with him!... Ses yeux se fermèrent. His eyes closed.

« Mon maître !

mon maître ! my teacher ! à moi !... to me !... » s'écria-t-il.

Et cette voix désespérée, isolée, étouffée déjà, se perdit dans la nuit. And that desperate voice, isolated, already muffled, was lost in the night.