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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre XXV (1)

Chapitre XXV (1)

Armand, fatigué de ce long récit souvent interrompu par ses larmes, posa ses deux mains sur son front et ferma les yeux, soit pour penser, soit pour essayer de dormir, après m'avoir donné les pages écrites de la main de Marguerite.

Quelques instants après, une respiration un peu plus rapide me prouvait qu'Armand dormait, mais de ce sommeil léger que le moindre bruit fait envoler.

Voici ce que je lus, et que je transcris sans ajouter ni retrancher aucune syllabe :

« C'est aujourd'hui le 15 décembre. Je suis souffrante depuis trois ou quatre jours. Ce matin j'ai pris le lit ; le temps est sombre, je suis triste ; personne n'est auprès de moi, je pense à vous, Armand. Et vous, où êtes-vous à l'heure où j'écris ces lignes ? Loin de Paris, bien loin, m'a-t-on dit, et peut-être avez-vous déjà oublié Marguerite. Enfin, soyez heureux, vous à qui je dois les seuls moments de joie de ma vie.

« Je n'avais pu résister au désir de vous donner l'explication de ma conduite, et je vous avais écrit une lettre ; mais écrite par une fille comme moi, une pareille lettre peut être regardée comme un mensonge, à moins que la mort ne la sanctifie de son autorité, et qu'au lieu d'être une lettre, elle ne soit une confession.

« Aujourd'hui, je suis malade ; je puis mourir de cette maladie, car j'ai toujours eu le pressentiment que je mourrais jeune. Ma mère est morte de la poitrine, et la façon dont j'ai vécu jusqu'à présent n'a pu qu'empirer cette affection, le seul héritage qu'elle m'ait laissé ; mais je ne veux pas mourir sans que vous sachiez bien à quoi vous en tenir sur moi, si toutefois, lorsque vous reviendrez, vous vous inquiétez encore de la pauvre fille que vous aimiez avant de partir.

« Voici ce que contenait cette lettre, que je serai heureuse de récrire, pour me donner une nouvelle preuve de ma justification : vous vous rappelez, Armand, comment l'arrivée de votre père nous surprit à Bougival ; vous vous souvenez de la terreur involontaire que cette arrivée me causa, de la scène qui eut lieu entre vous et lui et que vous me racontâtes le soir.

« Le lendemain, pendant que vous étiez à Paris et que vous attendiez votre père qui ne rentrait pas, un homme se présentait chez moi, et me remettait une lettre de M. Duval.

« Cette lettre, que je joins à celle-ci, me priait, dans les termes les plus graves, de vous éloigner le lendemain sous un prétexte quelconque et de recevoir votre père ; il avait à me parler et me recommandait surtout de ne vous rien dire de sa démarche.

« Vous savez avec quelle insistance je vous conseillai à votre retour d'aller de nouveau à Paris le lendemain.

« Vous étiez parti depuis une heure quand votre père se présenta. Je vous fais grâce de l'impression que me causa son visage sévère. Votre père était imbu des vieilles théories, qui veulent que toute courtisane soit un être sans coeur, sans raison, une espèce de machine à prendre de l'or, toujours prête, comme les machines de fer, à broyer la main qui lui tend quelque chose, et à déchirer sans pitié, sans discernement celui qui la fait vivre et agir.

« Votre père m'avait écrit une lettre très convenable pour que je consentisse à le recevoir ; il ne se présenta pas tout à fait comme il avait écrit. Il y eut assez de hauteur, d'impertinence et même de menaces, dans ses premières paroles, pour que je lui fisse comprendre que j'étais chez moi et que je n'avais de compte à lui rendre de ma vie qu'à cause de la sincère affection que j'avais pour son fils.

« M. Duval se calma un peu, et se mit cependant à me dire qu'il ne pouvait souffrir plus longtemps que son fils se ruinât pour moi ; que j'étais belle, il est vrai, mais que, si belle que je fusse, je ne devais pas me servir de ma beauté pour perdre l'avenir d'un jeune homme par des dépenses comme celles que je faisais.

« À cela, il n'y avait qu'une chose à répondre, n'est-ce pas ? C'était de montrer les preuves que depuis que j'étais votre maîtresse, aucun sacrifice ne m'avait coûté pour vous rester fidèle sans vous demander plus d'argent que vous ne pouviez en donner. Je montrai les reconnaissances du Mont-de-Piété, les reçus des gens à qui j'avais vendu les objets que je n'avais pu engager, je fis part à votre père de ma résolution de me défaire de mon mobilier pour payer mes dettes, et pour vivre avec vous sans vous être une charge trop lourde. Je lui racontai notre bonheur, la révélation que vous m'aviez donnée d'une vie plus tranquille et plus heureuse, et il finit par se rendre à l'évidence, et me tendre la main, en me demandant pardon de la façon dont il s'était présenté d'abord.

« Puis il me dit :

« – Alors, madame, ce n'est plus par des remontrances et des menaces, mais par des prières, que j'essayerai d'obtenir de vous un sacrifice plus grand que tous ceux que vous avez encore faits pour mon fils.

« Je tremblai à ce préambule.

« Votre père se rapprocha de moi, me prit les deux mains et continua d'un ton affectueux : »

« – Mon enfant, ne prenez pas en mauvaise part ce que je vais vous dire ; comprenez seulement que la vie a parfois des nécessités cruelles pour le coeur, mais qu'il faut s'y soumettre. Vous êtes bonne, et votre âme a des générosités inconnues à bien des femmes qui peut-être vous méprisent et ne vous valent pas. Mais songez qu'à côté de la maîtresse, il y a la famille ; qu'outre l'amour, il y a les devoirs ; qu'à l'âge des passions succède l'âge où l'homme, pour être respecté, a besoin d'être solidement assis dans une position sérieuse. Mon fils n'a pas de fortune, et cependant il est prêt à vous abandonner l'héritage de sa mère. S'il acceptait de vous le sacrifice que vous êtes sur le point de faire, il serait de son honneur et de sa dignité de vous faire en échange cet abandon qui vous mettrait toujours à l'abri d'une adversité complète. Mais ce sacrifice, il ne peut l'accepter, parce que le monde, qui ne vous connaît pas, donnerait à ce consentement une cause déloyale qui ne doit pas atteindre le nom que nous portons. On ne regarderait pas si Armand vous aime, si vous l'aimez, si ce double amour est un bonheur pour lui et une réhabilitation pour vous ; on ne verrait qu'une chose, c'est qu'Armand Duval a souffert qu'une fille entretenue – pardonnez-moi, mon enfant, tout ce que je suis forcé de vous dire – vendît pour lui ce qu'elle possédait. Puis le jour des reproches et des regrets arriverait, soyez-en sûre, pour vous comme pour les autres, et vous porteriez tous deux une chaîne que vous ne pourriez briser. Que feriez-vous alors ? Votre jeunesse serait perdue, l'avenir de mon fils serait détruit ; et moi, son père, je n'aurais que de l'un de mes enfants la récompense que j'attends des deux.

« Vous êtes jeune, vous êtes belle, la vie vous consolera ; vous êtes noble, et le souvenir d'une bonne action rachètera pour vous bien des choses passées. Depuis six mois qu'il vous connaît, Armand m'oublie. Quatre fois je lui ai écrit sans qu'il songeât une fois à me répondre. J'aurais pu mourir sans qu'il le sût !

« Quelle que soit votre résolution de vivre autrement que vous n'avez vécu, Armand qui vous aime ne consentira pas à la réclusion à laquelle sa modeste position vous condamnerait, et qui n'est pas faite pour votre beauté. Qui sait ce qu'il ferait alors ! Il a joué, je l'ai su ; sans vous en rien dire, je le sais encore ; mais, dans un moment d'ivresse, il eût pu perdre une partie de ce que j'amasse, depuis bien des années, pour la dot de ma fille, pour lui, et pour la tranquillité de mes vieux jours. Ce qui eût pu arriver peut arriver encore.

« Êtes-vous sûre, en outre, que la vie que vous quitteriez pour lui ne vous attirerait pas de nouveau ? Êtes-vous sûre, vous qui l'avez aimé, de n'en point aimer un autre ? Ne souffrirez-vous pas enfin des entraves que votre liaison mettra dans la vie de votre amant, et dont vous ne pourrez peut-être pas le consoler, si, avec l'âge, des idées d'ambition succèdent à des rêves d'amour ? Réfléchissez à tout cela, madame : vous aimez Armand, prouvez-le-lui par le seul moyen qui vous reste de le lui prouver encore : en faisant à son avenir le sacrifice de votre amour. Aucun malheur n'est encore arrivé, mais il en arriverait, et peut-être de plus grands que ceux que je prévois. Armand peut devenir jaloux d'un homme qui vous a aimée ; il peut le provoquer, il peut se battre, il peut être tué enfin, et songez à ce que vous souffririez devant ce père qui vous demanderait compte de la vie de son fils. « Enfin, mon enfant, sachez tout, car je ne vous ai pas tout dit, sachez donc ce qui m'amenait à Paris. J'ai une fille, je viens de vous le dire, jeune, belle, pure comme un ange. Elle aime, et elle aussi elle a fait de cet amour le rêve de sa vie. J'avais écrit tout cela à Armand, mais tout occupé de vous, il ne m'a pas répondu. Eh bien, ma fille va se marier. Elle épouse l'homme qu'elle aime, elle entre dans une famille honorable qui veut que tout soit honorable dans la mienne. La famille de l'homme qui doit devenir mon gendre a appris comment Armand vit à Paris, et m'a déclaré reprendre sa parole si Armand continue cette vie. L'avenir d'une enfant qui ne vous a rien fait, et qui a le droit de compter sur l'avenir, est entre vos mains.

« Avez-vous le droit et vous sentez-vous la force de le briser ? Au nom de votre amour et de votre repentir, Marguerite, accordez-moi le bonheur de ma fille.

« Je pleurais silencieusement, mon ami, devant toutes ces réflexions que j'avais faites bien souvent, et qui, dans la bouche de votre père, acquéraient encore une plus sérieuse réalité. Je me disais tout ce que votre père n'osait pas me dire, et ce qui vingt fois lui était venu sur les lèvres : que je n'étais après tout qu'une fille entretenue, et que quelque raison que je donnasse à notre liaison, elle aurait toujours l'air d'un calcul ; que ma vie passée ne me laissait aucun droit de rêver un pareil avenir, et que j'acceptais des responsabilités auxquelles mes habitudes et ma réputation ne donnaient aucune garantie. Enfin, je vous aimais, Armand. La manière paternelle dont me parlait M. Duval, les chastes sentiments qu'il évoquait en moi, l'estime de ce vieillard loyal que j'allais conquérir, la vôtre que j'étais sûre d'avoir plus tard, tout cela éveillait en mon coeur de nobles pensées qui me relevaient à mes propres yeux, et faisaient parler de saintes vanités, inconnues jusqu'alors. Quand je songeais qu'un jour ce vieillard, qui m'implorait pour l'avenir de son fils, dirait à sa fille de mêler mon nom à ses prières, comme le nom d'une mystérieuse amie, je me transformais et j'étais fière de moi.

« L'exaltation du moment exagérait peut-être la vérité de ces impressions ; mais voilà ce que j'éprouvais, ami, et ces sentiments nouveaux faisaient taire les conseils que me donnait le souvenir des jours heureux passés avec vous. »

« – C'est bien, monsieur, dis-je à votre père en essuyant mes larmes. Croyez-vous que j'aime votre fils ?

« – Oui, me dit M. Duval.

« – D'un amour désintéressé ?

« – Oui.

« – Croyez-vous que j'avais fait de cet amour l'espoir, le rêve et le pardon de ma vie ?

« – Fermement.

« – Eh bien, monsieur, embrassez-moi une fois comme vous embrasseriez votre fille, et je vous jure que ce baiser, le seul vraiment chaste que j'aie reçu, me fera forte contre mon amour, et qu'avant huit jours votre fils sera retourné auprès de vous, peut-être malheureux pour quelque temps, mais guéri pour jamais.


Chapitre XXV (1) Kapitel XXV (1) Chapter XXV (1) Capítulo XXV (1)

Armand, fatigué de ce long récit souvent interrompu par ses larmes, posa ses deux mains sur son front et ferma les yeux, soit pour penser, soit pour essayer de dormir, après m'avoir donné les pages écrites de la main de Marguerite.

Quelques instants après, une respiration un peu plus rapide me prouvait qu'Armand dormait, mais de ce sommeil léger que le moindre bruit fait envoler. A few moments later, a little faster breathing proved to me that Armand was sleeping, but with that light sleep that the slightest noise sends flying away.

Voici ce que je lus, et que je transcris sans ajouter ni retrancher aucune syllabe : Here is what I read, and which I transcribe without adding or subtracting any syllables:

« C'est aujourd'hui le 15 décembre. Je suis souffrante depuis trois ou quatre jours. Ce matin j'ai pris le lit ; le temps est sombre, je suis triste ; personne n'est auprès de moi, je pense à vous, Armand. Et vous, où êtes-vous à l'heure où j'écris ces lignes ? Loin de Paris, bien loin, m'a-t-on dit, et peut-être avez-vous déjà oublié Marguerite. Enfin, soyez heureux, vous à qui je dois les seuls moments de joie de ma vie.

« Je n'avais pu résister au désir de vous donner l'explication de ma conduite, et je vous avais écrit une lettre ; mais écrite par une fille comme moi, une pareille lettre peut être regardée comme un mensonge, à moins que la mort ne la sanctifie de son autorité, et qu'au lieu d'être une lettre, elle ne soit une confession. “I could not resist giving you an explanation of my conduct, and I had written you a letter; but written by a girl like me, such a letter may be regarded as a lie, unless death sanctifies it with its authority, and instead of being a letter, it is a confession.

« Aujourd'hui, je suis malade ; je puis mourir de cette maladie, car j'ai toujours eu le pressentiment que je mourrais jeune. Ma mère est morte de la poitrine, et la façon dont j'ai vécu jusqu'à présent n'a pu qu'empirer cette affection, le seul héritage qu'elle m'ait laissé ; mais je ne veux pas mourir sans que vous sachiez bien à quoi vous en tenir sur moi, si toutefois, lorsque vous reviendrez, vous vous inquiétez encore de la pauvre fille que vous aimiez avant de partir.

« Voici ce que contenait cette lettre, que je serai heureuse de récrire, pour me donner une nouvelle preuve de ma justification : vous vous rappelez, Armand, comment l'arrivée de votre père nous surprit à Bougival ; vous vous souvenez de la terreur involontaire que cette arrivée me causa, de la scène qui eut lieu entre vous et lui et que vous me racontâtes le soir.

« Le lendemain, pendant que vous étiez à Paris et que vous attendiez votre père qui ne rentrait pas, un homme se présentait chez moi, et me remettait une lettre de M. Duval.

« Cette lettre, que je joins à celle-ci, me priait, dans les termes les plus graves, de vous éloigner le lendemain sous un prétexte quelconque et de recevoir votre père ; il avait à me parler et me recommandait surtout de ne vous rien dire de sa démarche. “This letter, which I attach to this one, begged me, in the most serious terms, to send you away the next day under some pretext or other and to receive your father; he had something to talk to me about and recommended me above all not to tell you anything about his approach.

« Vous savez avec quelle insistance je vous conseillai à votre retour d'aller de nouveau à Paris le lendemain.

« Vous étiez parti depuis une heure quand votre père se présenta. Je vous fais grâce de l'impression que me causa son visage sévère. Ich erspare Ihnen den Eindruck, den sein strenges Gesicht auf mich machte. Votre père était imbu des vieilles théories, qui veulent que toute courtisane soit un être sans coeur, sans raison, une espèce de machine à prendre de l'or, toujours prête, comme les machines de fer, à broyer la main qui lui tend quelque chose, et à déchirer sans pitié, sans discernement celui qui la fait vivre et agir. Your father was imbued with the old theories, which hold that every courtesan is a heartless being, without reason, a kind of machine for taking gold, always ready, like iron machines, to crush the hand that offers her something. thing, and to tear without pity, without discernment the one who makes it live and act.

« Votre père m'avait écrit une lettre très convenable pour que je consentisse à le recevoir ; il ne se présenta pas tout à fait comme il avait écrit. “Your father had written me a very respectable letter asking me to consent to receive him; he did not present himself quite as he had written. Il y eut assez de hauteur, d'impertinence et même de menaces, dans ses premières paroles, pour que je lui fisse comprendre que j'étais chez moi et que je n'avais de compte à lui rendre de ma vie qu'à cause de la sincère affection que j'avais pour son fils.

« M. Duval se calma un peu, et se mit cependant à me dire qu'il ne pouvait souffrir plus longtemps que son fils se ruinât pour moi ; que j'étais belle, il est vrai, mais que, si belle que je fusse, je ne devais pas me servir de ma beauté pour perdre l'avenir d'un jeune homme par des dépenses comme celles que je faisais. “M. Duval calmed down a little, and nevertheless began to tell me that he could no longer suffer his son to ruin himself for me; that I was beautiful, it is true, but that, beautiful as I was, I should not use my beauty to ruin the future of a young man by spending such as I was incurring.

« À cela, il n'y avait qu'une chose à répondre, n'est-ce pas ? C'était de montrer les preuves que depuis que j'étais votre maîtresse, aucun sacrifice ne m'avait coûté pour vous rester fidèle sans vous demander plus d'argent que vous ne pouviez en donner. Es ging darum, Beweise dafür vorzulegen, dass mich, seit ich Ihre Geliebte war, kein Opfer gekostet hatte, um Ihnen treu zu bleiben, ohne mehr Geld von Ihnen zu verlangen, als Sie geben konnten. It was to show the proofs that since I was your mistress, no sacrifice had cost me to remain faithful to you without asking you for more money than you could give. Je montrai les reconnaissances du Mont-de-Piété, les reçus des gens à qui j'avais vendu les objets que je n'avais pu engager, je fis part à votre père de ma résolution de me défaire de mon mobilier pour payer mes dettes, et pour vivre avec vous sans vous être une charge trop lourde. Je lui racontai notre bonheur, la révélation que vous m'aviez donnée d'une vie plus tranquille et plus heureuse, et il finit par se rendre à l'évidence, et me tendre la main, en me demandant pardon de la façon dont il s'était présenté d'abord. I told him about our happiness, the revelation you had given me of a quieter and happier life, and he ended up realizing it, and held out his hand to me, asking forgiveness for the way he introduced himself first.

« Puis il me dit :

« – Alors, madame, ce n'est plus par des remontrances et des menaces, mais par des prières, que j'essayerai d'obtenir de vous un sacrifice plus grand que tous ceux que vous avez encore faits pour mon fils.

« Je tremblai à ce préambule.

« Votre père se rapprocha de moi, me prit les deux mains et continua d'un ton affectueux : »

« – Mon enfant, ne prenez pas en mauvaise part ce que je vais vous dire ; comprenez seulement que la vie a parfois des nécessités cruelles pour le coeur, mais qu'il faut s'y soumettre. Vous êtes bonne, et votre âme a des générosités inconnues à bien des femmes qui peut-être vous méprisent et ne vous valent pas. You are good, and your soul has generosity unknown to many women who perhaps despise you and are not equal to you. Mais songez qu'à côté de la maîtresse, il y a la famille ; qu'outre l'amour, il y a les devoirs ; qu'à l'âge des passions succède l'âge où l'homme, pour être respecté, a besoin d'être solidement assis dans une position sérieuse. Mon fils n'a pas de fortune, et cependant il est prêt à vous abandonner l'héritage de sa mère. S'il acceptait de vous le sacrifice que vous êtes sur le point de faire, il serait de son honneur et de sa dignité de vous faire en échange cet abandon qui vous mettrait toujours à l'abri d'une adversité complète. If he accepted from you the sacrifice you are about to make, it would be his honor and his dignity to give you in exchange this abandonment which would always protect you from complete adversity. Mais ce sacrifice, il ne peut l'accepter, parce que le monde, qui ne vous connaît pas, donnerait à ce consentement une cause déloyale qui ne doit pas atteindre le nom que nous portons. But this sacrifice, he cannot accept it, because the world, which does not know you, would give to this consent an unfair cause which must not affect the name we bear. On ne regarderait pas si Armand vous aime, si vous l'aimez, si ce double amour est un bonheur pour lui et une réhabilitation pour vous ; on ne verrait qu'une chose, c'est qu'Armand Duval a souffert qu'une fille entretenue – pardonnez-moi, mon enfant, tout ce que je suis forcé de vous dire – vendît pour lui ce qu'elle possédait. No one would consider whether Armand loves you, whether you love him, whether this double love is happiness for him and a rehabilitation for you; we would only see one thing, and that is that Armand Duval allowed a kept girl – forgive me, my child, all that I am forced to tell you – to sell what she owned for him. Puis le jour des reproches et des regrets arriverait, soyez-en sûre, pour vous comme pour les autres, et vous porteriez tous deux une chaîne que vous ne pourriez briser. Then the day of reproaches and regrets would come, be sure of it, for you as for the others, and you would both carry a chain that you could not break. Que feriez-vous alors ? Votre jeunesse serait perdue, l'avenir de mon fils serait détruit ; et moi, son père, je n'aurais que de l'un de mes enfants la récompense que j'attends des deux. Your youth would be lost, my son's future would be destroyed; and I, his father, would only have from one of my children the reward that I expect from both.

« Vous êtes jeune, vous êtes belle, la vie vous consolera ; vous êtes noble, et le souvenir d'une bonne action rachètera pour vous bien des choses passées. Depuis six mois qu'il vous connaît, Armand m'oublie. For six months that he has known you, Armand has forgotten me. Quatre fois je lui ai écrit sans qu'il songeât une fois à me répondre. Four times I wrote to him without his once thinking of answering me. J'aurais pu mourir sans qu'il le sût ! I could have died without his knowing it!

« Quelle que soit votre résolution de vivre autrement que vous n'avez vécu, Armand qui vous aime ne consentira pas à la réclusion à laquelle sa modeste position vous condamnerait, et qui n'est pas faite pour votre beauté. “Whatever your resolution to live otherwise than you have lived, Armand who loves you will not consent to the seclusion to which his modest position would condemn you, and which is not made for your beauty. Qui sait ce qu'il ferait alors ! Who knows what he would do then! Il a joué, je l'ai su ; sans vous en rien dire, je le sais encore ; mais, dans un moment d'ivresse, il eût pu perdre une partie de ce que j'amasse, depuis bien des années, pour la dot de ma fille, pour lui, et pour la tranquillité de mes vieux jours. He played, I knew it; without telling you anything, I still know it; but, in a moment of intoxication, he might have lost part of what I have been hoarding for many years, for my daughter's dowry, for him, and for the tranquility of my old age. Ce qui eût pu arriver peut arriver encore. What could have happened can happen again.

« Êtes-vous sûre, en outre, que la vie que vous quitteriez pour lui ne vous attirerait pas de nouveau ? “Are you sure, moreover, that the life you would leave for him would not draw you back? Êtes-vous sûre, vous qui l'avez aimé, de n'en point aimer un autre ? Sind Sie sicher, dass Sie, die Sie ihn geliebt haben, nicht einen anderen lieben? Are you sure, you who loved him, of not loving another? Ne souffrirez-vous pas enfin des entraves que votre liaison mettra dans la vie de votre amant, et dont vous ne pourrez peut-être pas le consoler, si, avec l'âge, des idées d'ambition succèdent à des rêves d'amour ? Will you not finally suffer from the shackles that your liaison will place in the life of your lover, and for which you may not be able to console him, if, with age, ideas of ambition succeed to dreams of love? ? Réfléchissez à tout cela, madame : vous aimez Armand, prouvez-le-lui par le seul moyen qui vous reste de le lui prouver encore : en faisant à son avenir le sacrifice de votre amour. Aucun malheur n'est encore arrivé, mais il en arriverait, et peut-être de plus grands que ceux que je prévois. No misfortune has happened yet, but some will happen, and perhaps greater ones than I foresee. Armand peut devenir jaloux d'un homme qui vous a aimée ; il peut le provoquer, il peut se battre, il peut être tué enfin, et songez à ce que vous souffririez devant ce père qui vous demanderait compte de la vie de son fils. Armand can become jealous of a man who has loved you; he can provoke him, he can fight, he can be killed in short, and think of what you would suffer before this father who would ask you to account for the life of his son. « Enfin, mon enfant, sachez tout, car je ne vous ai pas tout dit, sachez donc ce qui m'amenait à Paris. “Finally, my child, know everything, because I haven't told you everything, so know what brought me to Paris. J'ai une fille, je viens de vous le dire, jeune, belle, pure comme un ange. I have a daughter, I just told you, young, beautiful, pure as an angel. Elle aime, et elle aussi elle a fait de cet amour le rêve de sa vie. She loves, and she too has made this love the dream of her life. J'avais écrit tout cela à Armand, mais tout occupé de vous, il ne m'a pas répondu. Eh bien, ma fille va se marier. Elle épouse l'homme qu'elle aime, elle entre dans une famille honorable qui veut que tout soit honorable dans la mienne. La famille de l'homme qui doit devenir mon gendre a appris comment Armand vit à Paris, et m'a déclaré reprendre sa parole si Armand continue cette vie. Die Familie des Mannes, der mein Schwiegersohn werden soll, hat erfahren, wie Armand in Paris lebt, und hat mir erklärt, ihr Wort zurückzunehmen, wenn Armand dieses Leben fortsetzt. The family of the man who is to become my son-in-law learned how Armand lives in Paris, and told me to take back his word if Armand continues this life. L'avenir d'une enfant qui ne vous a rien fait, et qui a le droit de compter sur l'avenir, est entre vos mains.

« Avez-vous le droit et vous sentez-vous la force de le briser ? Au nom de votre amour et de votre repentir, Marguerite, accordez-moi le bonheur de ma fille.

« Je pleurais silencieusement, mon ami, devant toutes ces réflexions que j'avais faites bien souvent, et qui, dans la bouche de votre père, acquéraient encore une plus sérieuse réalité. Je me disais tout ce que votre père n'osait pas me dire, et ce qui vingt fois lui était venu sur les lèvres : que je n'étais après tout qu'une fille entretenue, et que quelque raison que je donnasse à notre liaison, elle aurait toujours l'air d'un calcul ; que ma vie passée ne me laissait aucun droit de rêver un pareil avenir, et que j'acceptais des responsabilités auxquelles mes habitudes et ma réputation ne donnaient aucune garantie. Enfin, je vous aimais, Armand. La manière paternelle dont me parlait M. Duval, les chastes sentiments qu'il évoquait en moi, l'estime de ce vieillard loyal que j'allais conquérir, la vôtre que j'étais sûre d'avoir plus tard, tout cela éveillait en mon coeur de nobles pensées qui me relevaient à mes propres yeux, et faisaient parler de saintes vanités, inconnues jusqu'alors. The paternal manner in which M. Duval spoke to me, the chaste sentiments he evoked in me, the esteem of this loyal old man whom I was about to conquer, yours which I was sure to have later, all this awoke in my heart with noble thoughts which lifted me up in my own eyes, and made speak of holy vanities, hitherto unknown. Quand je songeais qu'un jour ce vieillard, qui m'implorait pour l'avenir de son fils, dirait à sa fille de mêler mon nom à ses prières, comme le nom d'une mystérieuse amie, je me transformais et j'étais fière de moi. When I thought that one day this old man, who was imploring me for his son's future, would tell his daughter to add my name to her prayers, like the name of a mysterious friend, I was transformed and I was proud of myself.

« L'exaltation du moment exagérait peut-être la vérité de ces impressions ; mais voilà ce que j'éprouvais, ami, et ces sentiments nouveaux faisaient taire les conseils que me donnait le souvenir des jours heureux passés avec vous. »

« – C'est bien, monsieur, dis-je à votre père en essuyant mes larmes. “'That's good, sir,' I said to your father, wiping away my tears. Croyez-vous que j'aime votre fils ?

« – Oui, me dit M. Duval.

« – D'un amour désintéressé ?

« – Oui.

« – Croyez-vous que j'avais fait de cet amour l'espoir, le rêve et le pardon de ma vie ?

« – Fermement.

« – Eh bien, monsieur, embrassez-moi une fois comme vous embrasseriez votre fille, et je vous jure que ce baiser, le seul vraiment chaste que j'aie reçu, me fera forte contre mon amour, et qu'avant huit jours votre fils sera retourné auprès de vous, peut-être malheureux pour quelque temps, mais guéri pour jamais. "Well, sir, kiss me once as you would kiss your daughter, and I swear to you that this kiss, the only truly chaste one that I have received, will make me strong against my love, and that within a week your son will be returned to you, perhaps unhappy for a while, but healed forever.