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Cinq semaines en ballon de Jules Verne, CHAPITRE XXIV

CHAPITRE XXIV

Le vent tombe.—Les approches du Désert.—Le décompte de la provision d'eau.—Les nuits de l'Équateur.—Inquiétudes de Samuel Fergusson.—La situation telle qu'elle est. Énergique réponses de Kennedy et de Joe.—Encore une nuit.

Le Victoria , accroché à un arbre solitaire et presque desséché, passa la nuit dans une tranquillité parfaite ; les voyageurs purent goûter un peu de ce sommeil dont ils avaient si grand besoin ; les émotions des journées précédentes leur avaient laissé de tristes souvenirs.

Vers le matin, le ciel reprit sa limpidité brillante et sa chaleur. Le ballon s'éleva dans les airs ; après plusieurs essais infructueux, il rencontra un courant, peu rapide d'ailleurs, qui le porta vers le nord-ouest. « Nous n'avançons plus, dit le docteur ; si je ne me trompe, nous avons accompli la moitié de notre voyage à peu près en dix jours ; mais, au train dont nous marchons, il nous faudra des mois pour le terminer. Cela est d'autant plus fâcheux que nous sommes menacés de manquer d'eau. —Mais nous en trouverons, répondit Dick ; il est impossible de ne pas rencontrer quelque rivière, quelque ruisseau, quelque étang, dans cette vaste étendue de pays.

—Je le désire.

—Ne serait-ce pas le chargement de Joe qui retarderait notre marche ? Kennedy parlait ainsi pour taquiner le brave garçon ; il le faisait d'autant plus volontiers, qu'il avait un instant éprouvé les hallucinations de Joe ; mais, n'en ayant rien fait paraître, il se posait en esprit fort ; le tout en riant, du reste. Joe lui lança un coup d' il piteux. Mais le docteur ne répondit pas. Il songeait, non sans de secrètes terreurs, aux vastes solitudes du Sahara ; là, des semaines se passant sans que les caravanes rencontrent un puits où se désaltérer. Aussi surveillait-il avec la plus soigneuse attention les moindres dépressions du sol.

Ces précautions et les derniers incidents avaient sensiblement modifié la disposition d'esprit des trois voyageurs ; ils parlaient moins ; ils s'absorbaient davantage dans leurs propres pensées. Le digne Joe n'était plus le même depuis que ses regards avaient plongé dans cet océan d'or ; il se taisait ; il considérait avec avidité ces pierres entassées dans la nacelle. sans valeur aujourd'hui, inestimables demain. L'aspect de cette partie de l'Afrique était inquiétant d'ailleurs. Le désert se faisait peu à peu. Plus un village, pas même une réunion de quelques huttes ; La végétation se retirait. A peine quelques plantes rabougries comme dans les terrains bruyéreux de l'Écosse, un commencement de sables blanchâtres et des pierres de feu, quelques lentisques et des boissons épineux. Au milieu de cette stérilité, la carcasse rudimentaire du globe apparaissant en arêtes de roches vives et tranchantes. Ces symptômes d'aridité donnaient à penser au docteur Fergusson. Il ne semblait pas qu'une caravane eût jamais affronté cette contrée déserte ; elle aurait laissé des traces visibles de campement, les ossements blanchis de ses hommes ou de ses bêtes. Mais rien Et l'on sentait que bientôt une immensité de sable s'emparerait de cette région désolée. Cependant on ne pouvait reculer ; il fallait aller en avant ; le docteur ne demandait pas mieux ; il eut souhaité une tempête pour l'entraînerait delà de ce pays. Et pas un nuage au ciel ! A la fin de cette journée, le Victoria n avait pas franchi trente milles.

Si l'eau n'eut pas manqué ! Mais il en restait en tout trois gallons [Treize litres et demi environ] ! Fergusson mit de côté un gallon destiné à étancher la soif ardente qu'une chaleur de quatre-vingt-dix degrés [50° centigrades] rendait intolérable ; deux gallons restaient donc pour alimenter le chalumeau ; ils ne pouvaient produire que quatre cent quatre-vingts pieds cubes de gaz ; or le chalumeau en dépensait neuf pieds cubes par heure environ ; on ne pouvait donc plus marcher que pendant cinquante-quatre heures. Tout cela était rigoureusement mathématique.

« Cinquante-quatre heures ! dit-il à ses compagnons. Or, comme je suis bien décidé à ne pas voyager la nuit, de peur de manquer un ruisseau, une source, une mare, c'est trois jours et demi de voyage qu'il nous reste, et pendant lesquels il faut trouver de l'eau à tout prix. J'ai cru devoir vous prévenir de cette situation grave, mes amis, car je ne réserve qu'un seul gallon pour notre soif, et nous devrons nous mettre à une ration sévère. —Rationne-nous, répondit le chasseur ; mais il n'est pas encore temps de se désespérer ; nous avons trois jours devant nous, dis-tu ? —Oui, mon cher Dick.

—Eh bien ! comme nos regrets ne sauraient qu'y faire, dans trois jours i1 sera temps de prendre un parti ; jusque-là redoublons de vigilance. Au repas du soir, l'eau fut donc strictement mesurée ; la quantité d'eau-de-vie s'accrut dans les grogs ; mais il fallait se défier de cette liqueur plus propre à altérer qu'à rafraîchir. La nacelle reposa pendant la nuit sur un immense plateau qui présentait une forte dépression. Sa hauteur était à peine de huit cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Cette circonstance rendit quelque espoir au docteur ; elle lui rappela les présomptions des géographes sur l'existence d'une vaste étendue d'eau au centre de l'Afrique. Mais, si ce lac existait, il y fallait parvenir ; or, pas un changement ne se faisait dans le ciel immobile.

A la nuit paisible, à sa magnificence étoilée, succédèrent le jour immuable et les rayons ardents du soleil ; dès ses premières lueurs, la température devenait brûlante. A cinq heures du matin, le docteur donna le signal du départ, et pendant un temps, assez long le Victoria demeura sans mouvement dans une atmosphère de plomb.

Le docteur aurait pu échapper à cette chaleur intense en s'élevant dans des zones supérieures ; mais il fallait dépenser une plus grande quantité d'eau, chose impossible alors. Il se contenta donc de maintenir son aérostat à cent pieds du sol ; là, un courant faible le poussait vers l'horizon occidental. Le déjeuner se composa d'un peu de viande séchée et de pemmican. Vers midi, le Victoria avait à peine fait quelques milles.

« Nous ne pouvons aller plus vite, dit le docteur. Nous ne commandons pas, nous obéissons.

—Ah ! mon cher Samuel, dit le chasseur, voilà une de ces occasions où un propulseur ne serait pas à dédaigner.

—Sans doute, Dick, en admettant toutefois qu'il ne dépensât pas d'eau pour se mettre en mouvement, car alors la situation serait exactement la même ; jusqu'ici, d'ailleurs, on n'a rien inventé qui fût praticable. Les ballons en sont encore au point où se trouvaient les navires avant l'invention de la vapeur On a mis six mille ans à imaginer les aubes et les hélices ; nous avons donc le temps d'attendre. —Maudite chaleur ! fit Joe en essuyant son front ruisselant.

—Si nous avions de l'eau, cette chaleur nous rendrait quelque service, car elle dilate l'hydrogène de l'aérostat et nécessite une : flamme moins forte dans le serpentin. Il est vrai que si nous n'étions pas à bout de liquide, nous n'aurions pas à l'économiser. Ah ! maudit sauvage qui nous a coûté cette précieuse caisse !

—Tu ne regrettes pas ce que tu as fait, Samuel ?

—Non, Dick, puisque nous avons pu soustraire cet infortuné à une mort horrible. Mais les cent livres d'eau que nous avons jetées nous seraient bien utiles ; c'étaient encore douze ou treize jours de marche assurés, et de quoi traverser certainement ce désert. —Nous avons fait au moins la moitié du voyage ? demanda Joe.

—Comme distance, oui ; comme durée, non, si le vent nous abandonne. Or il a une tendance à diminuer tout à fait.

—Allons, Monsieur, reprit Joe, il ne faut pas nous plaindre ; nous nous en sommes assez bien tirés jusqu'ici, et, quoi que je fasse, il m'est impossible de me désespérer. Nous trouverons de l'eau, c'est moi qui vous le dis. Le sol, cependant, se déprimait de mille en mille ; les ondulations des montagnes aurifères venaient mourir sur la plaine ; c'étaient les derniers ressauts d'une nature épuisée. Les herbes éparses remplaçaient les beaux arbres de l'est ; quelques bandes d'une verdure altérée luttaient encore contre l'envahissement des sables ; les grandes roches tombées des sommets lointains, écrasées dans leur chute, s'éparpillaient en cailloux aigus, qui bientôt se feraient sable grossier, puis poussière impalpable. « Voici l'Afrique, telle que tu te la représentais, Joe ; j'avais raison de te dire : Prends patience ! —Eh bien, Monsieur, répliqua Joe, voilà qui est naturel, au moins ! de la chaleur et du sable ! il serait absurde de rechercher autre chose dans un pareil pays. Voyez-vous, ajouta-t-il en riant, moi je n'avais pas confiance dans vos forêts et vos prairies ; c'est un contre-sens ! ce n'est pas la peine de venir si loin pour rencontrer la campagne d'Angleterre. Voici la première fois que je me crois en Afrique, et je ne suis pas fâché d'en goûter un peu. Vers le soir, le docteur constata que le Victoria n'avait pas gagné vingt milles pendant cette journée brûlante. Une obscurité chaude l'enveloppa dès que le soleil eut disparu derrière, un horizon tracé avec la netteté d'une ligne droite. Le lendemain était le 1er mai, un jeudi ; mais les jours se succédaient avec une monotonie désespérante ; le matin valait le matin qui l'avait précédé ; midi jetait à profusion ses mêmes rayons toujours inépuisables, et la nuit condensait dans son ombre cette chaleur éparse que le jour suivant devait léguer encore à la nuit suivante. Le vent, à peine sensible, devenait plutôt une expiration qu'un souffle, et l'on pouvait pressentir le moment où cette haleine s'éteindrait elle-même. Le docteur réagissait contre la tristesse de cette situation ; il conservait le calme et le sang-froid d'un coeur aguerri. Sa lunette à la main, il interrogeait tous les points de l'horizon ; il voyait décroître insensiblement les dernières collines et s'effacer la dernière végétation ; devant lui s'étendait toute l'immensité du désert. La responsabilité qui pesait sur lui l'affectait beaucoup, bien qu'il n'en laissât rien paraître. Ces deux hommes, Dick et Joe, deux amis tous les deux, il les avait entraînés au loin, presque par la force de l'amitié ou du devoir. Avait-il bien agit ? N'était-ce pas tenter les voies défendues ? N'essayait-il pas dans ce voyage de franchir les limites de l'impossible ? Dieu n'avait-il pas réservé à des siècles plus reculés la connaissance de ce continent ingrat ! Toutes ces pensées, comme il arrive aux heures de découragement, se multiplièrent dans sa tête, et, par une irrésistible association d'idées, Samuel s'emportait au-delà de la logique et du raisonnement. Après avoir constaté ce qu'il n'eût pas dû faire. il se demandait ce qu'il fallait faire alors. Serait-il impossible de retourner sur ses pas ? N'existait-il pas des courants supérieurs qui le repousseraient vers des contrées moins arides. Sûr du pays passé, il ignorait le pays à venir ; aussi, sa conscience parlant haut, il résolut de s'expliquer franchement avec ses deux compagnons ; il leur exposa nettement la situation ; il leur montra ce qui avait été fait et ce qui restait à faire ; à la rigueur on pouvait revenir, le tenter du moins ; quelle était leur opinion ? Je n'ai d'autre opinion que celle de mon maître, répondit Joe. Ce qu'il souffrira, je puis le souffrir, et mieux que lui où il ira, j'irai. —Et toi, Kennedy !

—Moi ? mon cher Samuel, je ne suis pas homme à me désespérer ; personne n'ignorait moins que moi les périls de l'entreprise ; mais je n'ai plus voulu les voir du moment que tu les affrontais. Je suis donc à toi corps et âme. Dans la situation présente, mon avis est que nous devons persévérer, aller jusqu'au bout. Les dangers, d'ailleurs, me paraissent aussi grands pour revenir. Ainsi donc, en avant, tu peux compter sur nous.

—Merci, mes dignes amis, répondit le docteur véritablement ému. Je m'attendais à tant de dévouement ; mais il me fallait ces encourageantes paroles. Encore une fois, merci. Et ces trois hommes se serrèrent la main avec effusion.

« Écoutez-moi, reprit Fergusson. D'après mes relèvements, nous ne sommes pas à plus de trois cents milles du golfe de Guinée ; le désert ne peut donc s'étendre indéfiniment, puisque la côte est habitée et reconnue jusqu'à une certaine profondeur dans les terres. S'il le faut, nous nous dirigerons vers cette côte, et il est impossible que nous ne rencontrions pas quelque oasis, quelque puits où renouveler notre provision d'eau. Mais ce qui nous manque, c'est le vent, et, sans lui, nous sommes retenus en calme plat au milieu des airs. —Attendons avec résignation, » dit le chasseur.

Mais chacun à son tour interrogea vainement l'espace pendant cette interminable journée ; rien n'apparut qui pût faire naître une espérance. Les derniers mouvements du sol disparurent au soleil couchant, dont les rayons horizontaux s'allongèrent en longues lignes de feu sur cette plate immensité. C'était le désert. Les voyageurs n'avaient pas franchi une distance de quinze milles, ayant dépensé, ainsi que le jour précèdent, cent trente pieds cube de gaz pour alimenter le chalumeau, et deux pintes d'eau sur huit durent être sacrifiées à l'étanchement d'une soit ardente. La nuit se passa tranquille, trop tranquille ! Le docteur ne dormit pas.


CHAPITRE XXIV CHAPTER XXIV CAPÍTULO XXIV CAPÍTULO XXIV

Le vent tombe.—Les approches du Désert.—Le décompte de la provision d'eau.—Les nuits de l'Équateur.—Inquiétudes de Samuel Fergusson.—La situation telle qu'elle est. The wind is falling. — Approaches to the Desert. — Counting the water supply. — The nights of the Equator. — Concerns of Samuel Fergusson. — The situation as it is. Énergique réponses de Kennedy et de Joe.—Encore une nuit. Energetic responses from Kennedy and Joe. — Another night.

Le  Victoria , accroché à un arbre solitaire et presque desséché, passa la nuit dans une tranquillité parfaite ; les voyageurs purent goûter un peu de ce sommeil dont ils avaient si grand besoin ; les émotions des journées précédentes leur avaient laissé de tristes souvenirs.

Vers le matin, le ciel reprit sa limpidité brillante et sa chaleur. Le ballon s'éleva dans les airs ; après plusieurs essais infructueux, il rencontra un courant, peu rapide d'ailleurs, qui le porta vers le nord-ouest. « Nous n'avançons plus, dit le docteur ; si je ne me trompe, nous avons accompli la moitié de notre voyage à peu près en dix jours ; mais, au train dont nous marchons, il nous faudra des mois pour le terminer. Cela est d'autant plus fâcheux que nous sommes menacés de manquer d'eau. This is all the more unfortunate that we are threatened with running out of water. —Mais nous en trouverons, répondit Dick ; il est impossible de ne pas rencontrer quelque rivière, quelque ruisseau, quelque étang, dans cette vaste étendue de pays.

—Je le désire.

—Ne serait-ce pas le chargement de Joe qui retarderait notre marche ? "Wouldn't it be Joe's load that would delay our march?" Kennedy parlait ainsi pour taquiner le brave garçon ; il le faisait d'autant plus volontiers, qu'il avait un instant éprouvé les hallucinations de Joe ; mais, n'en ayant rien fait paraître, il se posait en esprit fort ; le tout en riant, du reste. Kennedy spoke thus to tease the good boy; he did it all the more willingly, since he had experienced Joe's hallucinations for an instant; but, having made nothing of it appear, he posed in a strong mind; all while laughing. Joe lui lança un coup d' il piteux. Mais le docteur ne répondit pas. Il songeait, non sans de secrètes terreurs, aux vastes solitudes du Sahara ; là, des semaines se passant sans que les caravanes rencontrent un puits où se désaltérer. He was thinking, not without secret terrors, of the vast solitudes of the Sahara; there, weeks passing without the caravans encountering a well where to drink. Aussi surveillait-il avec la plus soigneuse attention les moindres dépressions du sol. So he watched with the greatest care the slightest depressions in the ground.

Ces précautions et les derniers incidents avaient sensiblement modifié la disposition d'esprit des trois voyageurs ; ils parlaient moins ; ils s'absorbaient davantage dans leurs propres pensées. These precautions and the latest incidents had significantly changed the mood of the three travelers; they spoke less; they were more absorbed in their own thoughts. Le digne Joe n'était plus le même depuis que ses regards avaient plongé dans cet océan d'or ; il se taisait ; il considérait avec avidité ces pierres entassées dans la nacelle. The worthy Joe had not been the same since his eyes had plunged into this ocean of gold; he was silent; he eagerly considered these stones piled up in the basket. sans valeur aujourd'hui, inestimables demain. worthless today, priceless tomorrow. L'aspect de cette partie de l'Afrique était inquiétant d'ailleurs. The aspect of this part of Africa was worrying besides. Le désert se faisait peu à peu. The desert was growing gradually. Plus un village, pas même une réunion de quelques huttes ; La végétation se retirait. More a village, not even a meeting of a few huts; The vegetation was withdrawing. A peine quelques plantes rabougries comme dans les terrains bruyéreux de l'Écosse, un commencement de sables blanchâtres et des pierres de feu, quelques lentisques et des boissons épineux. Barely a few stunted plants as in the heathery lands of Scotland, a beginning of whitish sands and stones of fire, some mastic trees and thorny drinks. Au milieu de cette stérilité, la carcasse rudimentaire du globe apparaissant en arêtes de roches vives et tranchantes. In the midst of this sterility, the rudimentary carcass of the globe appearing in sharp and sharp rock edges. Ces symptômes d'aridité donnaient à penser au docteur Fergusson. These arid symptoms suggested Dr. Fergusson. Il ne semblait pas qu'une caravane eût jamais affronté cette contrée déserte ; elle aurait laissé des traces visibles de campement, les ossements blanchis de ses hommes ou de ses bêtes. Mais rien Et l'on sentait que bientôt une immensité de sable s'emparerait de cette région désolée. But nothing And we felt that soon an immensity of sand would seize this desolate region. Cependant on ne pouvait reculer ; il fallait aller en avant ; le docteur ne demandait pas mieux ; il eut souhaité une tempête pour l'entraînerait delà de ce pays. However, one could not go back; we had to go forward; the doctor asked for nothing better; he would have liked a storm to drag him beyond this country. Et pas un nuage au ciel ! A la fin de cette journée, le  Victoria n avait pas franchi trente milles.

Si l'eau n'eut pas manqué ! Mais il en restait en tout trois gallons [Treize litres et demi environ] ! Fergusson mit de côté un gallon destiné à étancher la soif ardente qu'une chaleur de quatre-vingt-dix degrés [50° centigrades] rendait intolérable ; deux gallons restaient donc pour alimenter le chalumeau ; ils ne pouvaient produire que quatre cent quatre-vingts pieds cubes de gaz ; or le chalumeau en dépensait neuf pieds cubes par heure environ ; on ne pouvait donc plus marcher que pendant cinquante-quatre heures. Fergusson set aside a gallon intended to quench the burning thirst that a heat of ninety degrees [50 ° centigrade] made intolerable; two gallons were left to feed the torch; they could only produce four hundred and eighty cubic feet of gas; now the torch spent about nine cubic feet per hour; we could therefore only walk for fifty-four hours. Tout cela était rigoureusement mathématique.

« Cinquante-quatre heures ! "Fifty-four hours!" dit-il à ses compagnons. Or, comme je suis bien décidé à ne pas voyager la nuit, de peur de manquer un ruisseau, une source, une mare, c'est trois jours et demi de voyage qu'il nous reste, et pendant lesquels il faut trouver de l'eau à tout prix. Now, as I am determined not to travel at night, for fear of missing a stream, a spring, a pond, we have three and a half days of travel left, and during which we must find at all costs. J'ai cru devoir vous prévenir de cette situation grave, mes amis, car je ne réserve qu'un seul gallon pour notre soif, et nous devrons nous mettre à une ration sévère. I thought I should warn you of this serious situation, my friends, because I only reserve one gallon for our thirst, and we will have to put ourselves on a severe ration. —Rationne-nous, répondit le chasseur ; mais il n'est pas encore temps de se désespérer ; nous avons trois jours devant nous, dis-tu ? "Tell us," replied the hunter; but it is not yet time to despair; we have three days ahead of us, you say? —Oui, mon cher Dick.

—Eh bien ! comme nos regrets ne sauraient qu'y faire, dans trois jours i1 sera temps de prendre un parti ; jusque-là redoublons de vigilance. as our regrets can only do about it, in three days it will be time to make up our minds; until then let us redouble our vigilance. Au repas du soir, l'eau fut donc strictement mesurée ; la quantité d'eau-de-vie s'accrut dans les grogs ; mais il fallait se défier de cette liqueur plus propre à altérer qu'à rafraîchir. At the evening meal, the water was therefore strictly measured; the quantity of brandy increased in the grogs; but it was necessary to be wary of this liquor, more suitable to alter than to refresh. La nacelle reposa pendant la nuit sur un immense plateau qui présentait une forte dépression. Sa hauteur était à peine de huit cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Cette circonstance rendit quelque espoir au docteur ; elle lui rappela les présomptions des géographes sur l'existence d'une vaste étendue d'eau au centre de l'Afrique. Mais, si ce lac existait, il y fallait parvenir ; or, pas un changement ne se faisait dans le ciel immobile. But, if this lake existed, it had to be achieved; however, no change was made in the still sky.

A la nuit paisible, à sa magnificence étoilée, succédèrent le jour immuable et les rayons ardents du soleil ; dès ses premières lueurs, la température devenait brûlante. The peaceful night, its starry magnificence, was followed by the immutable day and the fiery rays of the sun; from its first gleams, the temperature became hot. A cinq heures du matin, le docteur donna le signal du départ, et pendant un temps, assez long le Victoria demeura sans mouvement dans une atmosphère de plomb. At five o'clock in the morning the doctor gave the signal for departure, and for a long time the Victoria remained motionless in a leaden atmosphere.

Le docteur aurait pu échapper à cette chaleur intense en s'élevant dans des zones supérieures ; mais il fallait dépenser une plus grande quantité d'eau, chose impossible alors. The doctor could have escaped this intense heat by climbing into higher areas; but more water had to be spent, which was impossible then. Il se contenta donc de maintenir son aérostat à cent pieds du sol ; là, un courant faible le poussait vers l'horizon occidental. He therefore contented himself with keeping his aerostat a hundred feet from the ground; there, a weak current pushed it towards the western horizon. Le déjeuner se composa d'un peu de viande séchée et de pemmican. Vers midi, le  Victoria avait à peine fait quelques milles.

« Nous ne pouvons aller plus vite, dit le docteur. Nous ne commandons pas, nous obéissons. We don't order, we obey.

—Ah ! mon cher Samuel, dit le chasseur, voilà une de ces occasions où un propulseur ne serait pas à dédaigner. my dear Samuel, said the hunter, this is one of those occasions when a propellant should not be disdained.

—Sans doute, Dick, en admettant toutefois qu'il ne dépensât pas d'eau pour se mettre en mouvement, car alors la situation serait exactement la même ; jusqu'ici, d'ailleurs, on n'a rien inventé qui fût praticable. "Doubtless, Dick, admitting, however, that he did not expend water to set in motion, for then the situation would be exactly the same; so far, moreover, nothing has been invented that was practicable. Les ballons en sont encore au point où se trouvaient les navires avant l'invention de la vapeur On a mis six mille ans à imaginer les aubes et les hélices ; nous avons donc le temps d'attendre. The balloons are still at the point where the ships were before the invention of steam. It took six thousand years to imagine the blades and propellers; so we have time to wait. —Maudite chaleur ! "Damn heat!" fit Joe en essuyant son front ruisselant. said Joe, wiping his dripping forehead.

—Si nous avions de l'eau, cette chaleur nous rendrait quelque service, car elle dilate l'hydrogène de l'aérostat et nécessite une : flamme moins forte dans le serpentin. - If we had water, this heat would do us some service, because it expands the hydrogen of the aerostat and requires a: less strong flame in the coil. Il est vrai que si nous n'étions pas à bout de liquide, nous n'aurions pas à l'économiser. It is true that if we were not running out of cash, we would not have to save it. Ah ! maudit sauvage qui nous a coûté cette précieuse caisse ! cursed savage who cost us this precious case!

—Tu ne regrettes pas ce que tu as fait, Samuel ?

—Non, Dick, puisque nous avons pu soustraire cet infortuné à une mort horrible. "No, Dick, since we were able to save this unfortunate man from a horrible death." Mais les cent livres d'eau que nous avons jetées nous seraient bien utiles ; c'étaient encore douze ou treize jours de marche assurés, et de quoi traverser certainement ce désert. But the hundred pounds of water that we have thrown away would be very useful; there were still twelve or thirteen days of assured walking, and enough to certainly cross this desert. —Nous avons fait au moins la moitié du voyage ? “Did we do at least half the trip? demanda Joe.

—Comme distance, oui ; comme durée, non, si le vent nous abandonne. Or il a une tendance à diminuer tout à fait. Now it has a tendency to decrease altogether.

—Allons, Monsieur, reprit Joe, il ne faut pas nous plaindre ; nous nous en sommes assez bien tirés jusqu'ici, et, quoi que je fasse, il m'est impossible de me désespérer. "Come, sir," said Joe, "we must not complain; we have done fairly well so far, and, whatever i do, it is impossible for me to despair. Nous trouverons de l'eau, c'est moi qui vous le dis. We will find water, I tell you. Le sol, cependant, se déprimait de mille en mille ; les ondulations des montagnes aurifères venaient mourir sur la plaine ; c'étaient les derniers ressauts d'une nature épuisée. The ground, however, depressed from mile to mile; the undulations of the gold mountains came to die on the plain; these were the last bursts of exhausted nature. Les herbes éparses remplaçaient les beaux arbres de l'est ; quelques bandes d'une verdure altérée luttaient encore contre l'envahissement des sables ; les grandes roches tombées des sommets lointains, écrasées dans leur chute, s'éparpillaient en cailloux aigus, qui bientôt se feraient sable grossier, puis poussière impalpable. Scattered grasses replaced the beautiful eastern trees; some bands of weathered greenery were still fighting against the invasion of the sands; the great rocks fallen from distant summits, crushed in their fall, scattered in sharp pebbles, which would soon become coarse sand, then impalpable dust. « Voici l'Afrique, telle que tu te la représentais, Joe ; j'avais raison de te dire : Prends patience ! “Here is Africa, as you imagined it, Joe; I was right to tell you: Have patience! —Eh bien, Monsieur, répliqua Joe, voilà qui est naturel, au moins ! "Well, sir," replied Joe, "that's natural, at least!" de la chaleur et du sable ! il serait absurde de rechercher autre chose dans un pareil pays. it would be absurd to seek something else in such a country. Voyez-vous, ajouta-t-il en riant, moi je n'avais pas confiance dans vos forêts et vos prairies ; c'est un contre-sens ! You see, he added laughing, I did not trust your forests and your meadows; it's a nonsense! ce n'est pas la peine de venir si loin pour rencontrer la campagne d'Angleterre. it is not worth coming so far to meet the countryside of England. Voici la première fois que je me crois en Afrique, et je ne suis pas fâché d'en goûter un peu. This is the first time that I believe I am in Africa, and I am not sorry to taste a little. Vers le soir, le docteur constata que le  Victoria n'avait pas gagné vingt milles pendant cette journée brûlante. Towards evening, the doctor noticed that the Victoria had not gained twenty miles during that burning day. Une obscurité chaude l'enveloppa dès que le soleil eut disparu derrière, un horizon tracé avec la netteté d'une ligne droite. A warm darkness enveloped him as soon as the sun had disappeared behind, a horizon drawn with the sharpness of a straight line. Le lendemain était le 1er mai, un jeudi ; mais les jours se succédaient avec une monotonie désespérante ; le matin valait le matin qui l'avait précédé ; midi jetait à profusion ses mêmes rayons toujours inépuisables, et la nuit condensait dans son ombre cette chaleur éparse que le jour suivant devait léguer encore à la nuit suivante. The next day was May 1, a Thursday; but the days succeeded each other with desperate monotony; the morning was as good as the morning before it; noon threw in profusion its same inexhaustible rays, and the night condensed in its shadow that sparse heat which the following day was to bequeath again to the following night. Le vent, à peine sensible, devenait plutôt une expiration qu'un souffle, et l'on pouvait pressentir le moment où cette haleine s'éteindrait elle-même. The barely perceptible wind became more of an expiration than a breath, and one could sense the moment when this breath would extinguish itself. Le docteur réagissait contre la tristesse de cette situation ; il conservait le calme et le sang-froid d'un coeur aguerri. The doctor reacted against the sadness of this situation; he retained the calm and composure of a seasoned heart. Sa lunette à la main, il interrogeait tous les points de l'horizon ; il voyait décroître insensiblement les dernières collines et s'effacer la dernière végétation ; devant lui s'étendait toute l'immensité du désert. La responsabilité qui pesait sur lui l'affectait beaucoup, bien qu'il n'en laissât rien paraître. The responsibility which weighed on him affected him very much, although he did not let it appear. Ces deux hommes, Dick et Joe, deux amis tous les deux, il les avait entraînés au loin, presque par la force de l'amitié ou du devoir. These two men, Dick and Joe, two friends both, he had drawn them away, almost by force of friendship or duty. Avait-il bien agit ? Did he act well? N'était-ce pas tenter les voies défendues ? Was it not trying the forbidden paths? N'essayait-il pas dans ce voyage de franchir les limites de l'impossible ? Was he not trying on this journey to cross the limits of the impossible? Dieu n'avait-il pas réservé à des siècles plus reculés la connaissance de ce continent ingrat ! Had not God reserved knowledge of this ungrateful continent for more distant centuries! Toutes ces pensées, comme il arrive aux heures de découragement, se multiplièrent dans sa tête, et, par une irrésistible association d'idées, Samuel s'emportait au-delà de la logique et du raisonnement. All these thoughts, as it happens at times of discouragement, multiplied in his head, and, by an irresistible association of ideas, Samuel got carried away beyond logic and reasoning. Après avoir constaté ce qu'il n'eût pas dû faire. After seeing what he shouldn't have done. il se demandait ce qu'il fallait faire alors. he wondered what to do then. Serait-il impossible de retourner sur ses pas ? Would it be impossible to retrace one's steps? N'existait-il pas des courants supérieurs qui le repousseraient vers des contrées moins arides. Were there not higher currents which would push him towards less arid regions. Sûr du pays passé, il ignorait le pays à venir ; aussi, sa conscience parlant haut, il résolut de s'expliquer franchement avec ses deux compagnons ; il leur exposa nettement la situation ; il leur montra ce qui avait été fait et ce qui restait à faire ; à la rigueur on pouvait revenir, le tenter du moins ; quelle était leur opinion ? Sure of the past country, he ignored the country to come; also, his conscience speaking loudly, he resolved to explain himself frankly with his two companions; he clearly explained the situation to them; he showed them what had been done and what remained to be done; if need be, one could return, at least attempt it; what was their opinion? Je n'ai d'autre opinion que celle de mon maître, répondit Joe. Ce qu'il souffrira, je puis le souffrir, et mieux que lui où il ira, j'irai. What he will suffer, I can suffer, and better than him where he will go, I will go. —Et toi, Kennedy !

—Moi ? mon cher Samuel, je ne suis pas homme à me désespérer ; personne n'ignorait moins que moi les périls de l'entreprise ; mais je n'ai plus voulu les voir du moment que tu les affrontais. my dear Samuel, I am not a man to despair; no one was less aware than I was of the dangers of the enterprise; but I didn't want to see them anymore as long as you faced them. Je suis donc à toi corps et âme. So I am yours body and soul. Dans la situation présente, mon avis est que nous devons persévérer, aller jusqu'au bout. In the present situation, my opinion is that we must persevere, go to the end. Les dangers, d'ailleurs, me paraissent aussi grands pour revenir. The dangers, moreover, seem to me as great to return. Ainsi donc, en avant, tu peux compter sur nous. So, forward, you can count on us.

—Merci, mes dignes amis, répondit le docteur véritablement ému. "Thank you, my worthy friends," replied the doctor, deeply moved. Je m'attendais à tant de dévouement ; mais il me fallait ces encourageantes paroles. I expected so much dedication; but I needed these encouraging words. Encore une fois, merci. Once again thank you. Et ces trois hommes se serrèrent la main avec effusion. And these three men shook hands with effusion.

« Écoutez-moi, reprit Fergusson. D'après mes relèvements, nous ne sommes pas à plus de trois cents milles du golfe de Guinée ; le désert ne peut donc s'étendre indéfiniment, puisque la côte est habitée et reconnue jusqu'à une certaine profondeur dans les terres. According to my bearings, we are not more than three hundred miles from the Gulf of Guinea; the desert cannot therefore extend indefinitely, since the coast is inhabited and recognized up to a certain depth inland. S'il le faut, nous nous dirigerons vers cette côte, et il est impossible que nous ne rencontrions pas quelque oasis, quelque puits où renouveler notre provision d'eau. If necessary, we will go to this coast, and it is impossible that we will not meet some oasis, some well where to renew our supply of water. Mais ce qui nous manque, c'est le vent, et, sans lui, nous sommes retenus en calme plat au milieu des airs. But what we lack is the wind, and without it we are held flat in the midst of the air. —Attendons avec résignation, » dit le chasseur.

Mais chacun à son tour interrogea vainement l'espace pendant cette interminable journée ; rien n'apparut qui pût faire naître une espérance. But each in turn interrogated the space in vain during this interminable day; nothing appeared that could give birth to hope. Les derniers mouvements du sol disparurent au soleil couchant, dont les rayons horizontaux s'allongèrent en longues lignes de feu sur cette plate immensité. C'était le désert. Les voyageurs n'avaient pas franchi une distance de quinze milles, ayant dépensé, ainsi que le jour précèdent, cent trente pieds cube de gaz pour alimenter le chalumeau, et deux pintes d'eau sur huit durent être sacrifiées à l'étanchement d'une soit ardente. The travelers had not crossed a distance of fifteen miles, having spent, as the day before, one hundred and thirty cubic feet of gas to supply the torch, and two quarts of water out of eight had to be sacrificed for the sealing of one be fiery. La nuit se passa tranquille, trop tranquille ! The night passed quiet, too quiet! Le docteur ne dormit pas.