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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre XXIII (1)

Chapitre XXIII (1)

Quand toutes les choses de la vie eurent repris leur cours, je ne pus croire que le jour qui se levait ne serait pas semblable pour moi à ceux qui l'avaient précédé. Il y avait des moments où je me figurais qu'une circonstance, que je ne me rappelais pas, m'avait fait passer la nuit hors de chez Marguerite, mais que, si je retournais à Bougival, j'allais la retrouver inquiète, comme je l'avais été, et qu'elle me demanderait qui m'avait ainsi retenu loin d'elle.

Quand l'existence a contracté une habitude comme celle de cet amour, il semble impossible que cette habitude se rompe sans briser en même temps tous les autres ressorts de la vie.

J'étais donc forcé de temps en temps de relire la lettre de Marguerite, pour bien me convaincre que je n'avais pas rêvé.

Mon corps, succombant sous la secousse morale, était incapable d'un mouvement. L'inquiétude, la marche de la nuit, la nouvelle du matin m'avaient épuisé. Mon père profita de cette prostration totale de mes forces pour me demander la promesse formelle de partir avec lui.

Je promis tout ce qu'il voulut. J'étais incapable de soutenir une discussion, et j'avais besoin d'une affection réelle pour m'aider à vivre après ce qui venait de se passer.

J'étais trop heureux que mon père voulût bien me consoler d'un pareil chagrin.

Tout ce que je me rappelle, c'est que ce jour-là, vers cinq heures, il me fit monter avec lui dans une chaise de poste. Sans me rien dire, il avait fait préparer mes malles, les avait fait attacher avec les siennes derrière la voiture, et il m'emmenait.

Je ne sentis ce que je faisais que lorsque la ville eut disparu, et que la solitude de la route me rappela le vide de mon coeur.

Alors les larmes me reprirent.

Mon père avait compris que des paroles, même de lui, ne me consoleraient pas, et il me laissait pleurer sans me dire un mot, se contentant parfois de me serrer la main, comme pour me rappeler que j'avais un ami à côté de moi.

La nuit, je dormis un peu. Je rêvai de Marguerite.

Je me réveillai en sursaut, ne comprenant pas pourquoi j'étais dans une voiture.

Puis la réalité me revint à l'esprit et je laissai tomber ma tête sur ma poitrine.

Je n'osais entretenir mon père, je craignais toujours qu'il ne me dît :

« Tu vois que j'avais raison quand je niais l'amour de cette femme. »

Mais il n'abusa pas de son avantage, et nous arrivâmes à C… sans qu'il m'eût dit autre chose que des paroles complètement étrangères à l'événement qui m'avait fait partir.

Quand j'embrassai ma soeur, je me rappelai les mots de la lettre de Marguerite qui la concernaient, mais je compris tout de suite que, si bonne qu'elle fût, ma soeur serait insuffisante à me faire oublier ma maîtresse.

La chasse était ouverte, mon père pensa qu'elle serait une distraction pour moi. Il organisa donc des parties de chasse avec des voisins et des amis. J'y allai sans répugnance comme sans enthousiasme, avec cette sorte d'apathie qui était le caractère de toutes mes actions depuis mon départ.

Nous chassions au rabat. On me mettait à mon poste. Je posais mon fusil désarmé à côté de moi, et je rêvais.

Je regardais les nuages passer. Je laissais ma pensée errer dans les plaines solitaires, et de temps en temps je m'entendais appeler par quelque chasseur me montrant un lièvre à dix pas de moi.

Aucun de ces détails n'échappait à mon père, et il ne se laissait pas prendre à mon calme extérieur. Il comprenait bien que, si abattu qu'il fût, mon coeur aurait quelque jour une réaction terrible, dangereuse peut-être, et tout en évitant de paraître me consoler, il faisait son possible pour me distraire.

Ma soeur, naturellement, n'était pas dans la confidence de tous ces événements, elle ne s'expliquait donc pas pourquoi, moi, si gai autrefois, j'étais tout à coup devenu si rêveur et si triste.

Parfois, surpris au milieu de ma tristesse par le regard inquiet de mon père, je lui tendais la main et je serrais la sienne comme pour lui demander tacitement pardon du mal que, malgré moi, je lui faisais.

Un mois se passa ainsi, mais ce fut tout ce que je pus supporter.

Le souvenir de Marguerite me poursuivait sans cesse. J'avais trop aimé et j'aimais trop cette femme pour qu'elle pût me devenir indifférente tout à coup. Il fallait ou que je l'aimasse ou que je la haïsse. Il fallait surtout, quelque sentiment que j'eusse pour elle, que je la revisse, et cela tout de suite.

Ce désir entra dans mon esprit, et s'y fixa avec toute la violence de la volonté qui reparaît enfin dans un corps inerte depuis longtemps.

Ce n'était pas dans l'avenir, dans un mois, dans huit jours qu'il me fallait Marguerite, c'était le lendemain même du jour où j'en avais eu l'idée ; et je vins dire à mon père que j'allais le quitter pour des affaires qui me rappelaient à Paris, mais que je reviendrais promptement.

Il devina sans doute le motif qui me faisait partir, car il insista pour que je restasse ; mais, voyant que l'inexécution de ce désir, dans l'état irritable où j'étais, pourrait avoir des conséquences fatales pour moi, il m'embrassa, et me pria, presque avec des larmes, de revenir bientôt auprès de lui.

Je ne dormis pas avant d'être arrivé à Paris.

Une fois arrivé, qu'allais-je faire ? Je l'ignorais ; mais il fallait avant tout que je m'occupasse de Marguerite.

J'allai chez moi m'habiller, et comme il faisait beau, et qu'il en était encore temps, je me rendis aux Champs-Élysées.

Au bout d'une demi-heure, je vis venir de loin, et du rond-point à la place de la Concorde, la voiture de Marguerite.

Elle avait racheté ses chevaux, car la voiture était telle qu'autrefois ; seulement elle n'était pas dedans.

À peine avais-je remarqué cette absence, qu'en reportant les yeux autour de moi, je vis Marguerite qui descendait à pied, accompagnée d'une femme que je n'avais jamais vue auparavant.

En passant à côté de moi, elle pâlit, et un sourire nerveux crispa ses lèvres. Quant à moi un violent battement de coeur m'ébranla la poitrine ; mais je parvins à donner une expression froide à mon visage, et je saluai froidement mon ancienne maîtresse, qui rejoignit presque aussitôt sa voiture, dans laquelle elle monta avec son amie.

Je connaissais Marguerite. Ma rencontre inattendue avait dû la bouleverser. Sans doute elle avait appris mon départ, qui l'avait tranquillisée sur la suite de notre rupture ; mais me voyant revenir, et se trouvant face à face avec moi, pâle comme je l'étais, elle avait compris que mon retour avait un but, et elle devait se demander ce qui allait avoir lieu.

Si j'avais retrouvé Marguerite malheureuse, si, pour me venger d'elle, j'avais pu venir à son secours, je lui aurais peut-être pardonné, et n'aurais certainement pas songé à lui faire du mal ; mais je la retrouvais heureuse, en apparence du moins ; un autre lui avait rendu le luxe que je n'avais pu lui continuer ; notre rupture, venue d'elle, prenait par conséquent le caractère du plus bas intérêt ; j'étais humilié dans mon amour-propre comme dans mon amour, il fallait nécessairement qu'elle payât ce que j'avais souffert.

Je ne pouvais être indifférent à ce que faisait cette femme ; par conséquent, ce qui devait lui faire le plus de mal, c'était mon indifférence ; c'était donc ce sentiment-là qu'il fallait feindre, non seulement à ses yeux, mais aux yeux des autres.

J'essayai de me faire un visage souriant, et je me rendis chez Prudence.

La femme de chambre alla m'annoncer et me fit attendre quelques instants dans le salon.

Madame Duvernoy parut enfin, et m'introduisit dans son boudoir ; au moment où je m'y asseyais, j'entendis ouvrir la porte du salon, et un pas léger fit crier le parquet, puis la porte du carré fut fermée violemment.

– Je vous dérange ? demandai-je à Prudence.

– Pas du tout, Marguerite était là. Quand elle vous a entendu annoncer, elle s'est sauvée : c'est elle qui vient de sortir.

– Je lui fais donc peur maintenant ?

– Non, mais elle craint qu'il ne vous soit désagréable de la revoir.

– Pourquoi donc ? dis-je en faisant un effort pour respirer librement, car l'émotion m'étouffait ; la pauvre fille m'a quitté pour ravoir sa voiture, ses meubles et ses diamants, elle a bien fait, et je ne dois pas lui en vouloir. Je l'ai rencontrée aujourd'hui, continuai-je négligemment.

– Où ? fit Prudence, qui me regardait et semblait se demander si cet homme était bien celui qu'elle avait connu si amoureux.

– Aux Champs-Élysées, elle était avec une autre femme fort jolie. Quelle est cette femme ?

– Comment est-elle ?

– Une blonde, mince, portant des anglaises ; des yeux bleus, très élégante.

– Ah ! c'est Olympe ; une très jolie fille, en effet.

– Avec qui vit-elle ?

– Avec personne, avec tout le monde.

– Et elle demeure ?

– Rue Tronchet, numéro… Ah çà, vous voulez lui faire la cour ?

– On ne sait pas ce qui peut arriver.

– Et Marguerite ?

– Vous dire que je ne pense plus du tout à elle, ce serait mentir ; mais je suis de ces hommes avec qui la façon de rompre fait beaucoup. Or, Marguerite m'a donné mon congé d'une façon si légère, que je me suis trouvé bien sot d'en avoir été amoureux comme je l'ai été, car j'ai été vraiment fort amoureux de cette fille.

Vous devinez avec quel ton j'essayais de dire ces choses-là :

l'eau me coulait sur le front.

– Elle vous aimait bien, allez, et elle vous aime toujours : la preuve, c'est qu'après vous avoir rencontré aujourd'hui, elle est venue tout de suite me faire part de cette rencontre. Quand elle est arrivée, elle était toute tremblante, près de se trouver mal.

– Eh bien, que vous a-t-elle dit ?

– Elle m'a dit : « Sans doute il viendra vous voir », et elle m'a priée d'implorer de vous son pardon.

– Je lui ai pardonné, vous pouvez le lui dire. C'est une bonne fille, mais c'est une fille ; et ce qu'elle m'a fait, je devais m'y attendre. Je lui suis même reconnaissant de sa résolution, car aujourd'hui je me demande à quoi nous aurait menés mon idée de vivre tout à fait avec elle. C'était de la folie.

– Elle sera bien contente en apprenant que vous avez pris votre parti de la nécessité où elle se trouvait. Il était temps qu'elle vous quittât, mon cher. Le gredin d'homme d'affaires à qui elle avait proposé de vendre son mobilier avait été trouver ses créanciers pour leur demander combien elle leur devait ; ceux-ci avaient eu peur, et l'on allait vendre dans deux jours.

– Et maintenant, c'est payé ?

– À peu près.

– Et qui a fait les fonds ?

– Le comte de N… Ah ! mon cher ! il y a des hommes faits exprès pour cela. Bref, il a donné vingt mille francs ; mais il en est arrivé à ses fins. Il sait bien que Marguerite n'est pas amoureuse de lui, ce qui ne l'empêche pas d'être très gentil pour elle. Vous avez vu, il lui a racheté ses chevaux, il lui a retiré ses bijoux et lui donne autant d'argent que le duc lui en donnait ; si elle veut vivre tranquillement, cet homme-là restera longtemps avec elle.

– Et que fait-elle ? Habite-t-elle tout à fait Paris ?

– Elle n'a jamais voulu retourner à Bougival depuis que vous êtes parti. C'est moi qui suis allée y chercher toutes ses affaires, et même les vôtres, dont j'ai fait un paquet que vous ferez prendre ici. Il y a tout, excepté un petit portefeuille avec votre chiffre. Marguerite a voulu le prendre et l'a chez elle. Si vous y tenez, je le lui redemanderai.

– Qu'elle le garde, balbutiai-je, car je sentais les larmes monter de mon coeur à mes yeux au souvenir de ce village où j'avais été si heureux, et à l'idée que Marguerite tenait à garder une chose qui venait de moi et me rappelait à elle.


Chapitre XXIII (1) Kapitel XXIII (1) Chapter XXIII (1) Capítulo XXIII (1)

Quand toutes les choses de la vie eurent repris leur cours, je ne pus croire que le jour qui se levait ne serait pas semblable pour moi à ceux qui l'avaient précédé. Il y avait des moments où je me figurais qu'une circonstance, que je ne me rappelais pas, m'avait fait passer la nuit hors de chez Marguerite, mais que, si je retournais à Bougival, j'allais la retrouver inquiète, comme je l'avais été, et qu'elle me demanderait qui m'avait ainsi retenu loin d'elle. There were times when I imagined that some circumstance, which I did not remember, had made me spend the night away from Marguerite's, but that, if I returned to Bougival, I was going to find her worried, as I had been, and she would ask me who had kept me away from her.

Quand l'existence a contracté une habitude comme celle de cet amour, il semble impossible que cette habitude se rompe sans briser en même temps tous les autres ressorts de la vie. Wenn die Existenz eine Gewohnheit wie die dieser Liebe eingegangen ist, scheint es unmöglich, dass diese Gewohnheit zerbricht, ohne gleichzeitig alle anderen Triebfedern des Lebens zu brechen. When existence has contracted a habit like that of this love, it seems impossible for this habit to be broken without at the same time breaking all the other springs of life.

J'étais donc forcé de temps en temps de relire la lettre de Marguerite, pour bien me convaincre que je n'avais pas rêvé.

Mon corps, succombant sous la secousse morale, était incapable d'un mouvement. My body, succumbing to the moral shock, was incapable of movement. L'inquiétude, la marche de la nuit, la nouvelle du matin m'avaient épuisé. The worry, the night walk, the morning news had exhausted me. Mon père profita de cette prostration totale de mes forces pour me demander la promesse formelle de partir avec lui.

Je promis tout ce qu'il voulut. J'étais incapable de soutenir une discussion, et j'avais besoin d'une affection réelle pour m'aider à vivre après ce qui venait de se passer.

J'étais trop heureux que mon père voulût bien me consoler d'un pareil chagrin.

Tout ce que je me rappelle, c'est que ce jour-là, vers cinq heures, il me fit monter avec lui dans une chaise de poste. All I remember is that that day, around five o'clock, he made me get into a post chaise with him. Sans me rien dire, il avait fait préparer mes malles, les avait fait attacher avec les siennes derrière la voiture, et il m'emmenait.

Je ne sentis ce que je faisais que lorsque la ville eut disparu, et que la solitude de la route me rappela le vide de mon coeur. I only felt what I was doing when the town had disappeared, and the loneliness of the road reminded me of the emptiness of my heart.

Alors les larmes me reprirent.

Mon père avait compris que des paroles, même de lui, ne me consoleraient pas, et il me laissait pleurer sans me dire un mot, se contentant parfois de me serrer la main, comme pour me rappeler que j'avais un ami à côté de moi.

La nuit, je dormis un peu. Je rêvai de Marguerite.

Je me réveillai en sursaut, ne comprenant pas pourquoi j'étais dans une voiture. I woke up with a start, not understanding why I was in a car.

Puis la réalité me revint à l'esprit et je laissai tomber ma tête sur ma poitrine.

Je n'osais entretenir mon père, je craignais toujours qu'il ne me dît : Ich wagte es nicht, meinen Vater zu unterhalten, denn ich hatte immer Angst, er könnte sagen:

« Tu vois que j'avais raison quand je niais l'amour de cette femme. »

Mais il n'abusa pas de son avantage, et nous arrivâmes à C… sans qu'il m'eût dit autre chose que des paroles complètement étrangères à l'événement qui m'avait fait partir.

Quand j'embrassai ma soeur, je me rappelai les mots de la lettre de Marguerite qui la concernaient, mais je compris tout de suite que, si bonne qu'elle fût, ma soeur serait insuffisante à me faire oublier ma maîtresse.

La chasse était ouverte, mon père pensa qu'elle serait une distraction pour moi. Il organisa donc des parties de chasse avec des voisins et des amis. Er organisierte daher Jagdausflüge mit Nachbarn und Freunden. J'y allai sans répugnance comme sans enthousiasme, avec cette sorte d'apathie qui était le caractère de toutes mes actions depuis mon départ.

Nous chassions au rabat. Wir jagten in der Rabat. We were hunting at the flap. On me mettait à mon poste. Je posais mon fusil désarmé à côté de moi, et je rêvais.

Je regardais les nuages passer. Je laissais ma pensée errer dans les plaines solitaires, et de temps en temps je m'entendais appeler par quelque chasseur me montrant un lièvre à dix pas de moi. I let my thoughts wander over the solitary plains, and from time to time I heard myself called by some hunter showing me a hare ten paces from me.

Aucun de ces détails n'échappait à mon père, et il ne se laissait pas prendre à mon calme extérieur. Meinem Vater entging keines dieser Details, und er ließ sich auch nicht von meiner äußeren Ruhe einfangen. Il comprenait bien que, si abattu qu'il fût, mon coeur aurait quelque jour une réaction terrible, dangereuse peut-être, et tout en évitant de paraître me consoler, il faisait son possible pour me distraire.

Ma soeur, naturellement, n'était pas dans la confidence de tous ces événements, elle ne s'expliquait donc pas pourquoi, moi, si gai autrefois, j'étais tout à coup devenu si rêveur et si triste. My sister, naturally, was not in the confidence of all these events, so she couldn't explain why I, once so cheerful, had suddenly become so dreamy and so sad.

Parfois, surpris au milieu de ma tristesse par le regard inquiet de mon père, je lui tendais la main et je serrais la sienne comme pour lui demander tacitement pardon du mal que, malgré moi, je lui faisais. Sometimes, surprised in the midst of my sadness by my father's worried gaze, I held out my hand to him and shook his as if to tacitly ask his forgiveness for the harm that, in spite of myself, I had caused him.

Un mois se passa ainsi, mais ce fut tout ce que je pus supporter.

Le souvenir de Marguerite me poursuivait sans cesse. The memory of Marguerite haunted me unceasingly. J'avais trop aimé et j'aimais trop cette femme pour qu'elle pût me devenir indifférente tout à coup. Il fallait ou que je l'aimasse ou que je la haïsse. I either had to love her or hate her. Il fallait surtout, quelque sentiment que j'eusse pour elle, que je la revisse, et cela tout de suite. Above all, whatever feeling I had for her, I had to see her again, and that right away.

Ce désir entra dans mon esprit, et s'y fixa avec toute la violence de la volonté qui reparaît enfin dans un corps inerte depuis longtemps.

Ce n'était pas dans l'avenir, dans un mois, dans huit jours qu'il me fallait Marguerite, c'était le lendemain même du jour où j'en avais eu l'idée ; et je vins dire à mon père que j'allais le quitter pour des affaires qui me rappelaient à Paris, mais que je reviendrais promptement. It was not in the future, in a month, in a week that I needed Marguerite, it was the very day after the day when I had had the idea; and I went to tell my father that I was going to leave him on business which called me back to Paris, but that I would return promptly.

Il devina sans doute le motif qui me faisait partir, car il insista pour que je restasse ; mais, voyant que l'inexécution de ce désir, dans l'état irritable où j'étais, pourrait avoir des conséquences fatales pour moi, il m'embrassa, et me pria, presque avec des larmes, de revenir bientôt auprès de lui.

Je ne dormis pas avant d'être arrivé à Paris.

Une fois arrivé, qu'allais-je faire ? Once there, what was I going to do? Je l'ignorais ; mais il fallait avant tout que je m'occupasse de Marguerite. I did not know; but above all I had to take care of Marguerite.

J'allai chez moi m'habiller, et comme il faisait beau, et qu'il en était encore temps, je me rendis aux Champs-Élysées. Ich ging nach Hause, um mich anzuziehen, und da das Wetter schön war und es noch Zeit war, machte ich mich auf den Weg zu den Champs-Élysées.

Au bout d'une demi-heure, je vis venir de loin, et du rond-point à la place de la Concorde, la voiture de Marguerite.

Elle avait racheté ses chevaux, car la voiture était telle qu'autrefois ; seulement elle n'était pas dedans. She had bought back her horses, for the carriage was as it was before; only she wasn't in it.

À peine avais-je remarqué cette absence, qu'en reportant les yeux autour de moi, je vis Marguerite qui descendait à pied, accompagnée d'une femme que je n'avais jamais vue auparavant.

En passant à côté de moi, elle pâlit, et un sourire nerveux crispa ses lèvres. Quant à moi un violent battement de coeur m'ébranla la poitrine ; mais je parvins à donner une expression froide à mon visage, et je saluai froidement mon ancienne maîtresse, qui rejoignit presque aussitôt sa voiture, dans laquelle elle monta avec son amie.

Je connaissais Marguerite. Ma rencontre inattendue avait dû la bouleverser. Sans doute elle avait appris mon départ, qui l'avait tranquillisée sur la suite de notre rupture ; mais me voyant revenir, et se trouvant face à face avec moi, pâle comme je l'étais, elle avait compris que mon retour avait un but, et elle devait se demander ce qui allait avoir lieu. Doubtless she had learned of my departure, which had reassured her about the consequences of our breakup; but seeing me return, and finding herself face to face with me, pale as I was, she understood that my return had a purpose, and she must have wondered what was going to take place.

Si j'avais retrouvé Marguerite malheureuse, si, pour me venger d'elle, j'avais pu venir à son secours, je lui aurais peut-être pardonné, et n'aurais certainement pas songé à lui faire du mal ; mais je la retrouvais heureuse, en apparence du moins ; un autre lui avait rendu le luxe que je n'avais pu lui continuer ; notre rupture, venue d'elle, prenait par conséquent le caractère du plus bas intérêt ; j'étais humilié dans mon amour-propre comme dans mon amour, il fallait nécessairement qu'elle payât ce que j'avais souffert. Wenn ich Margarete unglücklich vorgefunden hätte, wenn ich, um mich an ihr zu rächen, ihr zu Hilfe hätte kommen können, hätte ich ihr vielleicht verziehen und sicherlich nicht daran gedacht, ihr etwas anzutun; aber ich fand sie glücklich vor, zumindest dem Anschein nach; Ein anderer hatte ihr den Luxus zurückgegeben, den ich ihr nicht hatte fortsetzen können; unser Bruch, der von ihr ausging, nahm daher den Charakter des niedrigsten Interesses an; ich war in meiner Selbstachtung wie in meiner Liebe gedemütigt, sie musste notwendigerweise das bezahlen, was ich erlitten hatte. If I had found Marguerite unhappy, if, to avenge myself on her, I had been able to come to her aid, I would perhaps have forgiven her, and certainly would not have thought of hurting her; but I found her happy, at least in appearance; another had restored to him the luxury that I had not been able to continue; our rupture, coming from her, consequently assumed the character of the lowest self-interest; I was humiliated in my self-esteem as in my love, she had to pay for what I had suffered.

Je ne pouvais être indifférent à ce que faisait cette femme ; par conséquent, ce qui devait lui faire le plus de mal, c'était mon indifférence ; c'était donc ce sentiment-là qu'il fallait feindre, non seulement à ses yeux, mais aux yeux des autres. I could not be indifferent to what this woman was doing; consequently, what must have hurt him the most was my indifference; it was therefore this feeling that he had to feign, not only in his own eyes, but in the eyes of others.

J'essayai de me faire un visage souriant, et je me rendis chez Prudence.

La femme de chambre alla m'annoncer et me fit attendre quelques instants dans le salon.

Madame Duvernoy parut enfin, et m'introduisit dans son boudoir ; au moment où je m'y asseyais, j'entendis ouvrir la porte du salon, et un pas léger fit crier le parquet, puis la porte du carré fut fermée violemment. Madame Duvernoy erschien schließlich und führte mich in ihr Boudoir; als ich mich gerade hinsetzte, hörte ich, wie die Tür zum Salon geöffnet wurde, und ein leichter Schritt ließ den Parkettboden aufschreien, dann wurde die Tür zum Karree gewaltsam geschlossen. Madame Duvernoy finally appeared, and ushered me into her boudoir; as I sat down there, I heard the drawing-room door open, and a light step made the floor creak, then the door to the saloon was slammed shut.

– Je vous dérange ? - Am I bothering you ? demandai-je à Prudence.

– Pas du tout, Marguerite était là. Quand elle vous a entendu annoncer, elle s'est sauvée : c'est elle qui vient de sortir. When she heard you announce, she ran away: she was the one who had just left.

– Je lui fais donc peur maintenant ? "So am I scaring him now?"

– Non, mais elle craint qu'il ne vous soit désagréable de la revoir. – No, but she fears that it will be unpleasant for you to see her again.

– Pourquoi donc ? dis-je en faisant un effort pour respirer librement, car l'émotion m'étouffait ; la pauvre fille m'a quitté pour ravoir sa voiture, ses meubles et ses diamants, elle a bien fait, et je ne dois pas lui en vouloir. I said, making an effort to breathe freely, for the emotion was choking me; the poor girl left me to get back her car, her furniture and her diamonds, she did well, and I shouldn't blame her. Je l'ai rencontrée aujourd'hui, continuai-je négligemment.

– Où ? fit Prudence, qui me regardait et semblait se demander si cet homme était bien celui qu'elle avait connu si amoureux. asked Prudence, who looked at me and seemed to wonder if this man was really the one she had known so in love.

– Aux Champs-Élysées, elle était avec une autre femme fort jolie. Quelle est cette femme ?

– Comment est-elle ?

– Une blonde, mince, portant des anglaises ; des yeux bleus, très élégante. - Eine schlanke Blondine, die Engländer trägt; blaue Augen, sehr elegant. – A blonde, slim, wearing ringlets; blue eyes, very elegant.

– Ah ! c'est Olympe ; une très jolie fille, en effet. it is Olympus; a very pretty girl, indeed.

– Avec qui vit-elle ?

– Avec personne, avec tout le monde.

– Et elle demeure ? "And she remains?"

– Rue Tronchet, numéro… Ah çà, vous voulez lui faire la cour ? – Rue Tronchet, number… Oh, you want to court her?

– On ne sait pas ce qui peut arriver. - We don't know what can happen.

– Et Marguerite ?

– Vous dire que je ne pense plus du tout à elle, ce serait mentir ; mais je suis de ces hommes avec qui la façon de rompre fait beaucoup. “To tell you that I no longer think of her at all would be lying; but I am one of those men with whom the way of breaking up matters a lot. Or, Marguerite m'a donné mon congé d'une façon si légère, que je me suis trouvé bien sot d'en avoir été amoureux comme je l'ai été, car j'ai été vraiment fort amoureux de cette fille. Now, Marguerite gave me my leave in such a frivolous way, that I thought myself very stupid to have been in love with her as I was, because I was really very much in love with this girl.

Vous devinez avec quel ton j'essayais de dire ces choses-là :

l'eau me coulait sur le front. the water ran down my forehead.

– Elle vous aimait bien, allez, et elle vous aime toujours : la preuve, c'est qu'après vous avoir rencontré aujourd'hui, elle est venue tout de suite me faire part de cette rencontre. – She loved you, come on, and she still loves you: the proof is that after meeting you today, she came right away to tell me about this meeting. Quand elle est arrivée, elle était toute tremblante, près de se trouver mal. When she arrived, she was all trembling, almost fainting.

– Eh bien, que vous a-t-elle dit ? "Well, what did she tell you?"

– Elle m'a dit : « Sans doute il viendra vous voir », et elle m'a priée d'implorer de vous son pardon. “She said to me: 'No doubt he will come to see you,' and she begged me to implore his forgiveness from you.

– Je lui ai pardonné, vous pouvez le lui dire. C'est une bonne fille, mais c'est une fille ; et ce qu'elle m'a fait, je devais m'y attendre. She's a good girl, but she's a girl; and what she did to me, I must have expected. Je lui suis même reconnaissant de sa résolution, car aujourd'hui je me demande à quoi nous aurait menés mon idée de vivre tout à fait avec elle. C'était de la folie.

– Elle sera bien contente en apprenant que vous avez pris votre parti de la nécessité où elle se trouvait. - Sie wird sehr zufrieden sein, wenn sie erfährt, dass Sie sich auf Ihre Seite geschlagen haben, als sie sich in einer Notlage befand. Il était temps qu'elle vous quittât, mon cher. It was time she left you, my dear. Le gredin d'homme d'affaires à qui elle avait proposé de vendre son mobilier avait été trouver ses créanciers pour leur demander combien elle leur devait ; ceux-ci avaient eu peur, et l'on allait vendre dans deux jours. Der Schuft von einem Geschäftsmann, dem sie vorgeschlagen hatte, ihre Möbel zu verkaufen, war zu ihren Gläubigern gegangen, um sie zu fragen, wie viel sie ihnen schuldete; die Gläubiger hatten Angst bekommen, und in zwei Tagen sollte verkauft werden. The rascal of a businessman to whom she had offered to sell her furniture had gone to find her creditors to ask them how much she owed them; they had been frightened, and they were going to sell in two days.

– Et maintenant, c'est payé ?

– À peu près. - Roughly.

– Et qui a fait les fonds ? "And who made the funds?"

– Le comte de N… Ah ! mon cher ! il y a des hommes faits exprès pour cela. Bref, il a donné vingt mille francs ; mais il en est arrivé à ses fins. Il sait bien que Marguerite n'est pas amoureuse de lui, ce qui ne l'empêche pas d'être très gentil pour elle. He knows very well that Marguerite is not in love with him, which does not prevent him from being very kind to her. Vous avez vu, il lui a racheté ses chevaux, il lui a retiré ses bijoux et lui donne autant d'argent que le duc lui en donnait ; si elle veut vivre tranquillement, cet homme-là restera longtemps avec elle. You have seen, he has bought back her horses, he has taken away her jewels and gives her as much money as the Duke gave her; if she wants to live quietly, that man will stay with her for a long time.

– Et que fait-elle ? Habite-t-elle tout à fait Paris ? Does she really live in Paris?

– Elle n'a jamais voulu retourner à Bougival depuis que vous êtes parti. “She never wanted to go back to Bougival since you left. C'est moi qui suis allée y chercher toutes ses affaires, et même les vôtres, dont j'ai fait un paquet que vous ferez prendre ici. It was I who went there to get all his belongings, and even yours, of which I made a bundle which you will have taken here. Il y a tout, excepté un petit portefeuille avec votre chiffre. There is everything except a small wallet with your number. Marguerite a voulu le prendre et l'a chez elle. Marguerite wanted to take it and brought it to her house. Si vous y tenez, je le lui redemanderai. If you insist on it, I will ask him again.

– Qu'elle le garde, balbutiai-je, car je sentais les larmes monter de mon coeur à mes yeux au souvenir de ce village où j'avais été si heureux, et à l'idée que Marguerite tenait à garder une chose qui venait de moi et me rappelait à elle. "Let her keep it," I stammered, for I felt the tears rising from my heart to my eyes at the memory of this village where I had been so happy, and at the idea that Marguerite wanted to keep something that was coming. of me and reminded me of her.