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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre XVIII (1)

Chapitre XVIII (1)

Vous donner des détails sur notre nouvelle vie serait chose difficile. Elle se composait d'une série d'enfantillages charmants pour nous, mais insignifiants pour ceux à qui je les raconterais.

Vous savez ce que c'est que d'aimer une femme, vous savez comment s'abrègent les journées, et avec quelle amoureuse paresse on se laisse porter au lendemain. Vous n'ignorez pas cet oubli de toutes choses, qui naît d'un amour violent, confiant et partagé. Tout être qui n'est pas la femme aimée semble un être inutile dans la création. On regrette d'avoir déjà jeté des parcelles de son coeur à d'autres femmes, et l'on n'entrevoit pas la possibilité de presser jamais une autre main que celle que l'on tient dans les siennes. Le cerveau n'admet ni travail ni souvenir, rien enfin de ce qui pourrait le distraire de l'unique pensée qu'on lui offre sans cesse. Chaque jour on découvre dans sa maîtresse un charme nouveau, une volupté inconnue. L'existence n'est plus que l'accomplissement réitéré d'un désir continu, l'âme n'est plus que la vestale chargée d'entretenir le feu sacré de l'amour.

Souvent nous allions, la nuit venue, nous asseoir sous le petit bois qui dominait la maison. Là nous écoutions les gaies harmonies du soir, en songeant tous deux à l'heure prochaine qui allait nous laisser jusqu'au lendemain dans les bras l'un de l'autre. D'autres fois nous restions couchés toute la journée, sans laisser même le soleil pénétrer dans notre chambre. Les rideaux étaient hermétiquement fermés, et le monde extérieur s'arrêtait un moment pour nous. Nanine seule avait le droit d'ouvrir notre porte, mais seulement pour apporter nos repas ; encore les prenions-nous sans nous lever, et en les interrompant sans cesse de rires et de folies. À cela succédait un sommeil de quelques instants, car disparaissant dans notre amour, nous étions comme deux plongeurs obstinés qui ne reviennent à la surface que pour reprendre haleine.

Cependant je surprenais des moments de tristesse et quelquefois même des larmes chez Marguerite ; je lui demandais d'où venait ce chagrin subit, et elle me répondait :

– Notre amour n'est pas un amour ordinaire, mon cher Armand. Tu m'aimes comme si je n'avais jamais appartenu à personne, et je tremble que plus tard, te repentant de ton amour et me faisant un crime de mon passé, tu ne me forces à me rejeter dans l'existence au milieu de laquelle tu m'as prise. Songe que maintenant que j'ai goûté d'une nouvelle vie, je mourrais en reprenant l'autre. Dis-moi donc que tu ne me quitteras jamais.

– Je te le jure !

À ce mot, elle me regardait comme pour lire dans mes yeux si mon serment était sincère, puis elle se jetait dans mes bras, et cachant sa tête dans ma poitrine, elle me disait :

– C'est que tu ne sais pas combien je t'aime !

Un soir, nous étions accoudés sur le balcon de la fenêtre, nous regardions la lune qui semblait sortir difficilement de son lit de nuages, et nous écoutions le vent agitant bruyamment les arbres, nous nous tenions la main, et depuis un grand quart d'heure nous ne parlions pas, quand Marguerite me dit :

– Voici l'hiver, veux-tu que nous partions ?

– Et pour quel endroit ?

– Pour l'Italie.

– Tu t'ennuies donc ?

– Je crains l'hiver, je crains surtout notre retour à Paris.

– Pourquoi ?

– Pour bien des choses.

Et elle reprit brusquement, sans me donner les raisons de ses craintes :

– Veux-tu partir ? Je vendrai tout ce que j'ai, nous nous en irons vivre là-bas, il ne me restera rien de ce que j'étais, personne ne saura qui je suis. Le veux-tu ?

– Partons, si cela te fait plaisir, Marguerite ; allons faire un voyage, lui disais-je ; mais où est la nécessité de vendre des choses que tu seras heureuse de trouver au retour ? Je n'ai pas une assez grande fortune pour accepter un pareil sacrifice, mais j'en ai assez pour que nous puissions voyager grandement pendant cinq ou six mois, si cela t'amuse le moins du monde.

– Au fait, non, continua-t-elle en quittant la fenêtre et en allant s'asseoir sur le canapé dans l'ombre de la chambre ; à quoi bon aller dépenser de l'argent là-bas ? Je t'en coûte déjà bien assez ici.

– Tu me le reproches, Marguerite, ce n'est pas généreux.

– Pardon, ami, fit-elle en me tendant la main, ce temps d'orage me fait mal aux nerfs ; je ne dis pas ce que je veux dire.

Et, après m'avoir embrassé, elle tomba dans une longue rêverie.

Plusieurs fois des scènes semblables eurent lieu, et si j'ignorais ce qui les faisait naître, je ne surprenais pas moins chez Marguerite un sentiment d'inquiétude pour l'avenir. Elle ne pouvait douter de mon amour, car chaque jour il augmentait, et cependant je la voyais souvent triste sans qu'elle m'expliquât jamais le sujet de ses tristesses, autrement que par une cause physique.

Craignant qu'elle ne se fatiguât d'une vie trop monotone, je lui proposais de retourner à Paris, mais elle rejetait toujours cette proposition, et m'assurait ne pouvoir être heureuse nulle part comme elle l'était à la campagne.

Prudence ne venait plus que rarement, mais en revanche, elle écrivait des lettres que je n'avais jamais demandé à voir, quoique, chaque fois, elles jetassent Marguerite dans une préoccupation profonde. Je ne savais qu'imaginer.

Un jour Marguerite resta dans sa chambre.

J'entrai. Elle écrivait.

– À qui écris-tu ? lui demandai-je.

– À Prudence : veux-tu que je te lise ce que j'écris ?

J'avais horreur de tout ce qui pouvait paraître soupçon, je répondis donc à Marguerite que je n'avais pas besoin de savoir ce qu'elle écrivait, et cependant, j'en avais la certitude, cette lettre m'eût appris la véritable cause de ses tristesses.

Le lendemain, il faisait un temps superbe. Marguerite me proposa d'aller faire une promenade en bateau, et de visiter l'île de Croissy. Elle semblait fort gaie ; il était cinq heures quand nous rentrâmes.

– Madame Duvernoy est venue, dit Nanine en nous voyant entrer.

– Elle est repartie ? demanda Marguerite.

– Oui, dans la voiture de madame ; elle a dit que c'était convenu.

– Très bien, dit vivement Marguerite ; qu'on nous serve.

Deux jours après arriva une lettre de Prudence, et pendant quinze jours Marguerite parut avoir rompu avec ses mystérieuses mélancolies, dont elle ne cessait de me demander pardon depuis qu'elles n'existaient plus.

Cependant la voiture ne revenait pas.

– D'où vient que Prudence ne te renvoie pas ton coupé ?

demandai-je un jour.

– Un des deux chevaux est malade, et il y a des réparations à la voiture. Il vaut mieux que tout cela se fasse pendant que nous sommes encore ici, où nous n'avons pas besoin de voiture, que d'attendre notre retour à Paris.

Prudence vint nous voir quelques jours après, et me confirma ce que Marguerite m'avait dit.

Les deux femmes se promenèrent seules dans le jardin, et quand je vins les rejoindre, elles changèrent de conversation.

Le soir, en s'en allant, Prudence se plaignit du froid et pria Marguerite de lui prêter un cachemire.

Un mois se passa ainsi, pendant lequel Marguerite fut plus joyeuse et plus aimante qu'elle ne l'avait jamais été.

Cependant la voiture n'était pas revenue, le cachemire n'avait pas été renvoyé, tout cela m'intriguait malgré moi, et comme je savais dans quel tiroir Marguerite mettait les lettres de Prudence, je profitai d'un moment où elle était au fond du jardin, je courus à ce tiroir et j'essayai de l'ouvrir ; mais ce fut en vain, il était fermé au double tour.

Alors je fouillai ceux où se trouvaient d'ordinaire les bijoux et les diamants. Ceux-là s'ouvrirent sans résistance, mais les écrins avaient disparu, avec ce qu'ils contenaient, bien entendu.

Une crainte poignante me serra le coeur.

J'allais réclamer de Marguerite la vérité sur ces disparitions, mais certainement elle ne me l'avouerait pas.

– Ma bonne Marguerite, lui dis-je alors, je viens te demander la permission d'aller à Paris. On ne sait pas chez moi où je suis, et l'on doit avoir reçu des lettres de mon père ; il est inquiet, sans doute, il faut que je lui réponde.

– Va, mon ami, me dit-elle, mais sois ici de bonne heure.

Je partis. Je courus tout de suite chez Prudence.

– Voyons, lui dis-je sans autre préliminaire, répondez-moi franchement, où sont les chevaux de Marguerite ?

– Vendus.

– Le cachemire ?

– Vendu.

– Les diamants ?

– Engagés.

– Et qui a vendu et engagé ?

– Moi.

– Pourquoi ne m'en avez-vous pas averti ?

– Parce que Marguerite me l'avait défendu.

– Et pourquoi ne m'avez-vous pas demandé d'argent ?

– Parce qu'elle ne voulait pas.

– Et à quoi a passé cet argent ?

– À payer.

– Elle doit donc beaucoup ?

– Trente mille francs encore ou à peu près. Ah ! mon cher, je vous l'avais bien dit ? Vous n'avez pas voulu me croire ; eh bien, maintenant, vous voilà convaincu. Le tapissier vis-à-vis duquel le duc avait répondu a été mis à la porte quand il s'est présenté chez le duc, qui lui a écrit le lendemain qu'il ne ferait rien pour mademoiselle Gautier. Cet homme a voulu de l'argent, on lui a donné des acomptes, qui sont les quelques mille francs que je vous ai demandés ; puis, des âmes charitables l'ont averti que sa débitrice, abandonnée par le duc, vivait avec un garçon sans fortune ; les autres créanciers ont été prévenus de même, ils ont demandé de l'argent et ont fait des saisies. Marguerite a voulu tout vendre, mais il n'était plus temps, et d'ailleurs je m'y serais opposée. Il fallait bien payer, et pour ne pas vous demander d'argent, elle a vendu ses chevaux, ses cachemires et engagé ses bijoux. Voulez-vous les reçus des acheteurs et les reconnaissances du Mont-de-Piété ? Et Prudence, ouvrant un tiroir, me montrait ces papiers.

– Ah ! vous croyez, continua-t-elle avec cette persistance de la femme qui a le droit de dire : « J'avais raison ! » ah ! vous croyez qu'il suffit de s'aimer et d'aller vivre à la campagne d'une vie pastorale et vaporeuse ? Non, mon ami, non. À côté de la vie idéale, il y a la vie matérielle, et les résolutions les plus chastes sont retenues à terre par des fils ridicules, mais de fer, et que l'on ne brise pas facilement. Si Marguerite ne vous a pas trompé vingt fois, c'est qu'elle est d'une nature exceptionnelle. Ce n'est pas faute que je le lui aie conseillé, car cela me faisait peine de voir la pauvre fille se dépouiller de tout. Elle n'a pas voulu ! Elle m'a répondu qu'elle vous aimait et ne vous tromperait pour rien au monde. Tout cela est fort joli, fort poétique, mais ce n'est pas avec cette monnaie qu'on paye les créanciers, et aujourd'hui elle ne peut plus s'en tirer, à moins d'une trentaine de mille francs, je vous le répète.

– C'est bien, je donnerai cette somme.

– Vous allez l'emprunter ?

– Mon Dieu, oui.

– Vous allez faire là une belle chose ; vous brouiller avec votre père, entraver vos ressources, et l'on ne trouve pas ainsi trente mille francs du jour au lendemain. Croyez-moi, mon cher Armand, je connais mieux les femmes que vous ; ne faites pas cette folie, dont vous vous repentiriez un jour. Soyez raisonnable. Je ne vous dis pas de quitter Marguerite, mais vivez avec elle comme vous viviez au commencement de l'été. Laissez-lui trouver les moyens de sortir d'embarras. Le duc reviendra peu à peu à elle. Le comte de N…, si elle le prend, il me le disait encore hier, lui payera toutes ses dettes, et lui donnera quatre ou cinq mille francs par mois. Il a deux cent mille livres de rente. Ce sera une position pour elle, tandis que vous, il faudra toujours que vous la quittiez ; n'attendez pas pour cela que vous soyez ruiné, d'autant plus que ce comte de N… est un imbécile, et que rien ne vous empêchera d'être l'amant de Marguerite. Elle pleurera un peu au commencement, mais elle finira par s'y habituer, et vous remerciera un jour de ce que vous aurez fait. Supposez que Marguerite est mariée, et trompez le mari, voilà tout.

« Je vous ai déjà dit tout cela une fois ; seulement à cette époque, ce n'était encore qu'un conseil, et aujourd'hui, c'est presque une nécessité.


Chapitre XVIII (1) Kapitel XVIII (1) Chapter XVIII (1) Capítulo XVIII (1)

Vous donner des détails sur notre nouvelle vie serait chose difficile. Elle se composait d'une série d'enfantillages charmants pour nous, mais insignifiants pour ceux à qui je les raconterais.

Vous savez ce que c'est que d'aimer une femme, vous savez comment s'abrègent les journées, et avec quelle amoureuse paresse on se laisse porter au lendemain. Vous n'ignorez pas cet oubli de toutes choses, qui naît d'un amour violent, confiant et partagé. Sie kennen dieses Vergessen aller Dinge, das aus einer heftigen, vertrauensvollen und gemeinsamen Liebe entsteht. You are not unaware of this oblivion of all things, which is born of a violent, trusting and shared love. Tout être qui n'est pas la femme aimée semble un être inutile dans la création. Any being who is not the beloved woman seems a useless being in creation. On regrette d'avoir déjà jeté des parcelles de son coeur à d'autres femmes, et l'on n'entrevoit pas la possibilité de presser jamais une autre main que celle que l'on tient dans les siennes. One regrets having already thrown fragments of one's heart to other women, and one does not see the possibility of ever squeezing another hand than the one one holds in one's own. Le cerveau n'admet ni travail ni souvenir, rien enfin de ce qui pourrait le distraire de l'unique pensée qu'on lui offre sans cesse. The brain admits neither work nor memory, nothing in short that could distract it from the unique thought that is constantly offered to it. Chaque jour on découvre dans sa maîtresse un charme nouveau, une volupté inconnue. Every day one discovers in his mistress a new charm, an unknown voluptuousness. L'existence n'est plus que l'accomplissement réitéré d'un désir continu, l'âme n'est plus que la vestale chargée d'entretenir le feu sacré de l'amour.

Souvent nous allions, la nuit venue, nous asseoir sous le petit bois qui dominait la maison. Là nous écoutions les gaies harmonies du soir, en songeant tous deux à l'heure prochaine qui allait nous laisser jusqu'au lendemain dans les bras l'un de l'autre. There we listened to the gay harmonies of the evening, both thinking of the next hour which was going to leave us until the next day in each other's arms. D'autres fois nous restions couchés toute la journée, sans laisser même le soleil pénétrer dans notre chambre. Les rideaux étaient hermétiquement fermés, et le monde extérieur s'arrêtait un moment pour nous. Nanine seule avait le droit d'ouvrir notre porte, mais seulement pour apporter nos repas ; encore les prenions-nous sans nous lever, et en les interrompant sans cesse de rires et de folies. À cela succédait un sommeil de quelques instants, car disparaissant dans notre amour, nous étions comme deux plongeurs obstinés qui ne reviennent à la surface que pour reprendre haleine.

Cependant je surprenais des moments de tristesse et quelquefois même des larmes chez Marguerite ; je lui demandais d'où venait ce chagrin subit, et elle me répondait :

– Notre amour n'est pas un amour ordinaire, mon cher Armand. Tu m'aimes comme si je n'avais jamais appartenu à personne, et je tremble que plus tard, te repentant de ton amour et me faisant un crime de mon passé, tu ne me forces à me rejeter dans l'existence au milieu de laquelle tu m'as prise. You love me as if I had never belonged to anyone, and I tremble that later, repenting of your love and making me a crime of my past, you force me to throw myself back into existence in the midst of which you took from me. Songe que maintenant que j'ai goûté d'une nouvelle vie, je mourrais en reprenant l'autre. Dis-moi donc que tu ne me quitteras jamais.

– Je te le jure !

À ce mot, elle me regardait comme pour lire dans mes yeux si mon serment était sincère, puis elle se jetait dans mes bras, et cachant sa tête dans ma poitrine, elle me disait : At this word, she looked at me as if to read in my eyes if my oath was sincere, then she threw herself into my arms, and hiding her head in my chest, she said to me:

– C'est que tu ne sais pas combien je t'aime ! - You don't know how much I love you!

Un soir, nous étions accoudés sur le balcon de la fenêtre, nous regardions la lune qui semblait sortir difficilement de son lit de nuages, et nous écoutions le vent agitant bruyamment les arbres, nous nous tenions la main, et depuis un grand quart d'heure nous ne parlions pas, quand Marguerite me dit :

– Voici l'hiver, veux-tu que nous partions ?

– Et pour quel endroit ? – And for which place?

– Pour l'Italie.

– Tu t'ennuies donc ?

– Je crains l'hiver, je crains surtout notre retour à Paris. – I'm afraid of winter, I'm especially afraid of our return to Paris.

– Pourquoi ?

– Pour bien des choses.

Et elle reprit brusquement, sans me donner les raisons de ses craintes :

– Veux-tu partir ? Je vendrai tout ce que j'ai, nous nous en irons vivre là-bas, il ne me restera rien de ce que j'étais, personne ne saura qui je suis. I'll sell everything I have, we'll go live there, I won't have anything left of what I was, no one will know who I am. Le veux-tu ?

– Partons, si cela te fait plaisir, Marguerite ; allons faire un voyage, lui disais-je ; mais où est la nécessité de vendre des choses que tu seras heureuse de trouver au retour ? Je n'ai pas une assez grande fortune pour accepter un pareil sacrifice, mais j'en ai assez pour que nous puissions voyager grandement pendant cinq ou six mois, si cela t'amuse le moins du monde. I don't have a fortune large enough to accept such a sacrifice, but I have enough for us to be able to travel extensively for five or six months, if that amuses you the least in the world.

– Au fait, non, continua-t-elle en quittant la fenêtre et en allant s'asseoir sur le canapé dans l'ombre de la chambre ; à quoi bon aller dépenser de l'argent là-bas ? - Übrigens, nein", fuhr sie fort, verließ das Fenster und setzte sich auf das Sofa im Schatten des Zimmers; wozu sollte ich dort Geld ausgeben? “By the way, no,” she continued, leaving the window and going to sit on the sofa in the shade of the room; what's the point of spending money there? Je t'en coûte déjà bien assez ici. I'm already costing you enough here.

– Tu me le reproches, Marguerite, ce n'est pas généreux.

– Pardon, ami, fit-elle en me tendant la main, ce temps d'orage me fait mal aux nerfs ; je ne dis pas ce que je veux dire.

Et, après m'avoir embrassé, elle tomba dans une longue rêverie. And, after kissing me, she fell into a long reverie.

Plusieurs fois des scènes semblables eurent lieu, et si j'ignorais ce qui les faisait naître, je ne surprenais pas moins chez Marguerite un sentiment d'inquiétude pour l'avenir. Several times similar scenes took place, and if I did not know what gave rise to them, I none the less surprised in Marguerite a feeling of uneasiness for the future. Elle ne pouvait douter de mon amour, car chaque jour il augmentait, et cependant je la voyais souvent triste sans qu'elle m'expliquât jamais le sujet de ses tristesses, autrement que par une cause physique. She could not doubt my love, for it increased every day, and yet I often saw her sad without her ever explaining to me the subject of her sadness, other than from a physical cause.

Craignant qu'elle ne se fatiguât d'une vie trop monotone, je lui proposais de retourner à Paris, mais elle rejetait toujours cette proposition, et m'assurait ne pouvoir être heureuse nulle part comme elle l'était à la campagne. Fearing that she would tire of too monotonous a life, I suggested that she return to Paris, but she always rejected this proposal, and assured me that she could not be happy anywhere as she was in the country.

Prudence ne venait plus que rarement, mais en revanche, elle écrivait des lettres que je n'avais jamais demandé à voir, quoique, chaque fois, elles jetassent Marguerite dans une préoccupation profonde. Je ne savais qu'imaginer.

Un jour Marguerite resta dans sa chambre.

J'entrai. Elle écrivait.

– À qui écris-tu ? lui demandai-je.

– À Prudence : veux-tu que je te lise ce que j'écris ?

J'avais horreur de tout ce qui pouvait paraître soupçon, je répondis donc à Marguerite que je n'avais pas besoin de savoir ce qu'elle écrivait, et cependant, j'en avais la certitude, cette lettre m'eût appris la véritable cause de ses tristesses. Ich verabscheute alles, was nach Verdacht aussah, und antwortete Marguerite, dass ich nicht zu wissen brauche, was sie schreibt. I had a horror of anything that might seem suspicious, so I replied to Marguerite that I did not need to know what she was writing, and yet, I was sure, this letter would have taught me the real truth. because of his sadness.

Le lendemain, il faisait un temps superbe. Marguerite me proposa d'aller faire une promenade en bateau, et de visiter l'île de Croissy. Elle semblait fort gaie ; il était cinq heures quand nous rentrâmes.

– Madame Duvernoy est venue, dit Nanine en nous voyant entrer.

– Elle est repartie ? - Has she left? demanda Marguerite.

– Oui, dans la voiture de madame ; elle a dit que c'était convenu. “Yes, in Madame's carriage; she said it was agreed.

– Très bien, dit vivement Marguerite ; qu'on nous serve. - Sehr gut", sagte Marguerite lebhaft; man möge uns bedienen. “Very well,” said Marguerite quickly; let us be served.

Deux jours après arriva une lettre de Prudence, et pendant quinze jours Marguerite parut avoir rompu avec ses mystérieuses mélancolies, dont elle ne cessait de me demander pardon depuis qu'elles n'existaient plus. Two days later a letter from Prudence arrived, and for a fortnight Marguerite seemed to have broken with her mysterious melancholy, for which she had ceaselessly begged my pardon since they no longer existed.

Cependant la voiture ne revenait pas.

– D'où vient que Prudence ne te renvoie pas ton coupé ? "How is it that Prudence doesn't send your coupé back to you?"

demandai-je un jour.

– Un des deux chevaux est malade, et il y a des réparations à la voiture. Il vaut mieux que tout cela se fasse pendant que nous sommes encore ici, où nous n'avons pas besoin de voiture, que d'attendre notre retour à Paris.

Prudence vint nous voir quelques jours après, et me confirma ce que Marguerite m'avait dit.

Les deux femmes se promenèrent seules dans le jardin, et quand je vins les rejoindre, elles changèrent de conversation.

Le soir, en s'en allant, Prudence se plaignit du froid et pria Marguerite de lui prêter un cachemire. That evening, on leaving, Prudence complained of the cold and asked Marguerite to lend her a cashmere.

Un mois se passa ainsi, pendant lequel Marguerite fut plus joyeuse et plus aimante qu'elle ne l'avait jamais été.

Cependant la voiture n'était pas revenue, le cachemire n'avait pas été renvoyé, tout cela m'intriguait malgré moi, et comme je savais dans quel tiroir Marguerite mettait les lettres de Prudence, je profitai d'un moment où elle était au fond du jardin, je courus à ce tiroir et j'essayai de l'ouvrir ; mais ce fut en vain, il était fermé au double tour. However, the carriage had not returned, the cashmere had not been sent back, all this intrigued me in spite of myself, and as I knew in which drawer Marguerite put Prudence's letters, I took advantage of a moment when she was at home. bottom of the garden, I ran to this drawer and tried to open it; but it was in vain, it was double-locked.

Alors je fouillai ceux où se trouvaient d'ordinaire les bijoux et les diamants. So I searched those where the jewels and diamonds were usually kept. Ceux-là s'ouvrirent sans résistance, mais les écrins avaient disparu, avec ce qu'ils contenaient, bien entendu. Those opened without resistance, but the cases had disappeared, with what they contained, of course.

Une crainte poignante me serra le coeur. A poignant fear gripped my heart.

J'allais réclamer de Marguerite la vérité sur ces disparitions, mais certainement elle ne me l'avouerait pas.

– Ma bonne Marguerite, lui dis-je alors, je viens te demander la permission d'aller à Paris. On ne sait pas chez moi où je suis, et l'on doit avoir reçu des lettres de mon père ; il est inquiet, sans doute, il faut que je lui réponde.

– Va, mon ami, me dit-elle, mais sois ici de bonne heure. “Go, my friend,” she said to me, “but be here early.

Je partis. Je courus tout de suite chez Prudence. I ran immediately to Prudence.

– Voyons, lui dis-je sans autre préliminaire, répondez-moi franchement, où sont les chevaux de Marguerite ?

– Vendus.

– Le cachemire ?

– Vendu.

– Les diamants ?

– Engagés. – Committed.

– Et qui a vendu et engagé ?

– Moi.

– Pourquoi ne m'en avez-vous pas averti ?

– Parce que Marguerite me l'avait défendu.

– Et pourquoi ne m'avez-vous pas demandé d'argent ?

– Parce qu'elle ne voulait pas.

– Et à quoi a passé cet argent ?

– À payer.

– Elle doit donc beaucoup ?

– Trente mille francs encore ou à peu près. Ah ! mon cher, je vous l'avais bien dit ? Vous n'avez pas voulu me croire ; eh bien, maintenant, vous voilà convaincu. Le tapissier vis-à-vis duquel le duc avait répondu a été mis à la porte quand il s'est présenté chez le duc, qui lui a écrit le lendemain qu'il ne ferait rien pour mademoiselle Gautier. The upholsterer to whom the duke had replied was thrown out when he presented himself to the duke, who wrote to him the next day that he would do nothing for Mademoiselle Gautier. Cet homme a voulu de l'argent, on lui a donné des acomptes, qui sont les quelques mille francs que je vous ai demandés ; puis, des âmes charitables l'ont averti que sa débitrice, abandonnée par le duc, vivait avec un garçon sans fortune ; les autres créanciers ont été prévenus de même, ils ont demandé de l'argent et ont fait des saisies. This man wanted money, they gave him installments, which are the few thousand francs that I asked you; then, charitable souls informed him that his debtor, abandoned by the duke, lived with a boy without fortune; the other creditors were notified in the same way, they asked for money and made seizures. Marguerite a voulu tout vendre, mais il n'était plus temps, et d'ailleurs je m'y serais opposée. Il fallait bien payer, et pour ne pas vous demander d'argent, elle a vendu ses chevaux, ses cachemires et engagé ses bijoux. Voulez-vous les reçus des acheteurs et les reconnaissances du Mont-de-Piété ? Do you want buyer's receipts and Mont-de-Piété acknowledgments? Et Prudence, ouvrant un tiroir, me montrait ces papiers.

– Ah ! vous croyez, continua-t-elle avec cette persistance de la femme qui a le droit de dire : « J'avais raison ! you think so,' she continued with that persistence of a woman who has the right to say: 'I was right! » ah ! vous croyez qu'il suffit de s'aimer et d'aller vivre à la campagne d'une vie pastorale et vaporeuse ? do you believe that it is enough to love each other and to go and live in the countryside with a pastoral and vaporous life? Non, mon ami, non. À côté de la vie idéale, il y a la vie matérielle, et les résolutions les plus chastes sont retenues à terre par des fils ridicules, mais de fer, et que l'on ne brise pas facilement. Si Marguerite ne vous a pas trompé vingt fois, c'est qu'elle est d'une nature exceptionnelle. If Marguerite has not deceived you twenty times, it is because she is of an exceptional nature. Ce n'est pas faute que je le lui aie conseillé, car cela me faisait peine de voir la pauvre fille se dépouiller de tout. It's not for lack that I advised her, because it pained me to see the poor girl stripping herself of everything. Elle n'a pas voulu ! Elle m'a répondu qu'elle vous aimait et ne vous tromperait pour rien au monde. Tout cela est fort joli, fort poétique, mais ce n'est pas avec cette monnaie qu'on paye les créanciers, et aujourd'hui elle ne peut plus s'en tirer, à moins d'une trentaine de mille francs, je vous le répète. It's all very pretty, very poetic, but it's not with this currency that we pay creditors, and today she can't get away with anything less than thirty thousand francs, I tell you. repeat it.

– C'est bien, je donnerai cette somme.

– Vous allez l'emprunter ? - Are you going to borrow it?

– Mon Dieu, oui.

– Vous allez faire là une belle chose ; vous brouiller avec votre père, entraver vos ressources, et l'on ne trouve pas ainsi trente mille francs du jour au lendemain. “You are going to do a fine thing there; to quarrel with your father, to hamper your resources, and one does not thus find thirty thousand francs from one day to the next. Croyez-moi, mon cher Armand, je connais mieux les femmes que vous ; ne faites pas cette folie, dont vous vous repentiriez un jour. Soyez raisonnable. Je ne vous dis pas de quitter Marguerite, mais vivez avec elle comme vous viviez au commencement de l'été. Laissez-lui trouver les moyens de sortir d'embarras. Let him find ways to get out of trouble. Le duc reviendra peu à peu à elle. Le comte de N…, si elle le prend, il me le disait encore hier, lui payera toutes ses dettes, et lui donnera quatre ou cinq mille francs par mois. Il a deux cent mille livres de rente. Ce sera une position pour elle, tandis que vous, il faudra toujours que vous la quittiez ; n'attendez pas pour cela que vous soyez ruiné, d'autant plus que ce comte de N… est un imbécile, et que rien ne vous empêchera d'être l'amant de Marguerite. It will be a position for her, while you will always have to leave her; don't wait for that until you are ruined, especially since this Comte de N… is an imbecile, and nothing will prevent you from being Marguerite's lover. Elle pleurera un peu au commencement, mais elle finira par s'y habituer, et vous remerciera un jour de ce que vous aurez fait. Supposez que Marguerite est mariée, et trompez le mari, voilà tout. Suppose Marguerite is married, and deceive the husband, that's all.

« Je vous ai déjà dit tout cela une fois ; seulement à cette époque, ce n'était encore qu'un conseil, et aujourd'hui, c'est presque une nécessité. “I have already told you all this once; only at that time it was still just advice, and today it is almost a necessity.