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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre XVI (1)

Chapitre XVI (1)

J'aurais pu, me dit Armand, vous raconter en quelques lignes les commencements de cette liaison, mais je voulais que vous vissiez bien par quels événements et par quelle gradation nous en sommes arrivés, moi, à consentir à tout ce que voulait Marguerite, Marguerite, à ne plus pouvoir vivre qu'avec moi.

C'est le lendemain de la soirée où elle était venue me trouver que je lui envoyai Manon Lescaut.

À partir de ce moment, comme je ne pouvais changer la vie de ma maîtresse, je changeai la mienne. Je voulais avant toute chose ne pas laisser à mon esprit le temps de réfléchir sur le rôle que je venais d'accepter, car, malgré moi, j'en eusse conçu une grande tristesse. Aussi ma vie, d'ordinaire si calme, revêtit-elle tout à coup une apparence de bruit et de désordre. N'allez pas croire que, si désintéressé qu'il soit, l'amour qu'une femme entretenue a pour vous ne coûte rien. Rien n'est cher comme les mille caprices de fleurs, de loges, de soupers, de parties de campagne qu'on ne peut jamais refuser à sa maîtresse.

Comme je vous l'ai dit, je n'avais pas de fortune. Mon père était et est encore receveur général à G… Il a une grande réputation de loyauté, grâce à laquelle il a trouvé le cautionnement qu'il lui fallait déposer pour entrer en fonction. Cette recette lui donne quarante mille francs par an, et depuis dix ans qu'il l'a, il a remboursé son cautionnement et s'est occupé de mettre de côté la dot de ma soeur. Mon père est l'homme le plus honorable qu'on puisse rencontrer. Ma mère, en mourant, a laissé six mille francs de rente qu'il a partagés entre ma soeur et moi le jour où il a obtenu la charge qu'il sollicitait ; puis, lorsque j'ai eu vingt et un ans, il a joint à ce petit revenu une pension annuelle de cinq mille francs, m'assurant qu'avec huit mille francs je pourrais être très heureux à Paris, si je voulais à côté de cette rente me créer une position, soit dans le barreau, soit dans la médecine. Je suis donc venu à Paris, j'ai fait mon droit, j'ai été reçu avocat, et, comme beaucoup de jeunes gens, j'ai mis mon diplôme dans ma poche et me suis laissé aller un peu à la vie nonchalante de Paris. Mes dépenses étaient fort modestes ; seulement je dépensais en huit mois mon revenu de l'année, et je passais les quatre mois d'été chez mon père, ce qui me faisait en somme douze mille livres de rente et me donnait la réputation d'un bon fils. Du reste pas un sou de dettes.

Voilà où j'en étais quand je fis la connaissance de Marguerite.

Vous comprenez que, malgré moi, mon train de vie augmenta. Marguerite était d'une nature fort capricieuse, et faisait partie de ces femmes qui n'ont jamais regardé comme une dépense sérieuse les mille distractions dont leur existence se compose. Il en résultait que, voulant passer avec moi le plus de temps possible, elle m'écrivait le matin qu'elle dînerait avec moi, non pas chez elle, mais chez quelque restaurateur, soit de Paris, soit de la campagne. J'allais la prendre, nous dînions, nous allions au spectacle, nous soupions souvent, et j'avais dépensé le soir quatre ou cinq louis, ce qui faisait deux mille cinq cents ou trois mille francs par mois, ce qui réduisait mon année à trois mois et demi, et me mettait dans la nécessité ou de faire des dettes, ou de quitter Marguerite.

Or, j'acceptais tout, excepté cette dernière éventualité.

Pardonnez-moi si je vous donne tous ces détails, mais vous verrez qu'ils furent la cause des événements qui vont suivre. Ce que je vous raconte est une histoire vraie, simple, et à laquelle je laisse toute la naïveté des détails et toute la simplicité des développements.

Je compris donc que, comme rien au monde n'aurait sur moi l'influence de me faire oublier ma maîtresse, il me fallait trouver un moyen de soutenir les dépenses qu'elle me faisait faire. – Puis, cet amour me bouleversait au point que tous les moments que je passais loin de Marguerite étaient des années, et que j'avais ressenti le besoin de brûler ces moments au feu d'une passion quelconque, et de les vivre tellement vite que je ne m'aperçusse pas que je les vivais.

Je commençai à emprunter cinq ou six mille francs sur mon petit capital, et je me mis à jouer, car depuis qu'on a détruit les maisons de jeu on joue partout. Autrefois, quand on entrait à Frascati, on avait la chance d'y faire sa fortune : on jouait contre de l'argent, et si l'on perdait, on avait la consolation de se dire qu'on aurait pu gagner ; tandis que maintenant, excepté dans les cercles, où il y a encore une certaine sévérité pour le paiement, on a presque la certitude, du moment que l'on gagne une somme importante, de ne pas la recevoir. On comprendra facilement pourquoi.

Le jeu ne peut être pratiqué que par des jeunes gens ayant de grands besoins et manquant de la fortune nécessaire pour soutenir la vie qu'ils mènent ; ils jouent donc, et il en résulte naturellement ceci : ou ils gagnent, et alors les perdants servent à payer les chevaux et les maîtresses de ces messieurs, ce qui est fort désagréable. Des dettes se contractent, des relations commencées autour d'un tapis vert finissent par des querelles où l'honneur et la vie se déchirent toujours un peu ; et quand on est honnête homme, on se trouve ruiné par de très honnêtes jeunes gens qui n'avaient d'autre défaut que de ne pas avoir deux cent mille livres de rente.

Je n'ai pas besoin de vous parler de ceux qui volent au jeu, et dont un jour on apprend le départ nécessaire et la condamnation tardive.

Je me lançai donc dans cette vie rapide, bruyante, volcanique, qui m'effrayait autrefois quand j'y songeais, et qui était devenue pour moi le complément inévitable de mon amour pour Marguerite.

Que vouliez-vous que je fisse ?

Les nuits que je ne passais pas rue d'Antin, si je les avais passées seul chez moi, je n'aurais pas dormi. La jalousie m'eût tenu éveillé et m'eût brûlé la pensée et le sang ; tandis que le jeu détournait pour un moment la fièvre qui eût envahi mon coeur et le reportait sur une passion dont l'intérêt me saisissait malgré moi, jusqu'à ce que sonnât l'heure où je devais me rendre auprès de ma maîtresse. Alors, et c'est à cela que je reconnaissais la violence de mon amour, que je gagnasse ou perdisse, je quittais impitoyablement la table, plaignant ceux que j'y laissais et qui n'allaient pas trouver comme moi le bonheur en la quittant.

Pour la plupart, le jeu était une nécessité ; pour moi c'était un remède.

Guéri de Marguerite, j'étais guéri du jeu.

Aussi, au milieu de tout cela, gardais-je un assez grand sang-froid ; je ne perdais que ce que je pouvais payer, et je ne gagnais que ce que j'aurais pu perdre.

Du reste, la chance me favorisa. Je ne faisais pas de dettes, et je dépensais trois fois plus d'argent que lorsque je ne jouais pas. Il n'était pas facile de résister à une vie qui me permettait de satisfaire, sans me gêner, aux mille caprices de Marguerite. Quant à elle, elle m'aimait toujours autant et même davantage.

Comme je vous l'ai dit, j'avais commencé d'abord par n'être reçu que de minuit à six heures du matin, puis je fus admis de temps en temps dans les loges, puis elle vint dîner quelquefois avec moi. Un matin je ne m'en allai qu'à huit heures, et il arriva un jour où je ne m'en allai qu'à midi.

En attendant la métamorphose morale, une métamorphose physique s'était opérée chez Marguerite. J'avais entrepris sa guérison, et la pauvre fille, devinant mon but, m'obéissait pour me prouver sa reconnaissance. J'étais parvenu sans secousses et sans effort à l'isoler presque de ses anciennes habitudes. Mon médecin, avec qui je l'avais fait trouver, m'avait dit que le repos seul et le calme pouvaient lui conserver la santé, de sorte qu'aux soupers et aux insomnies, j'étais arrivé à substituer un régime hygiénique et le sommeil régulier. Malgré elle, Marguerite s'habituait à cette nouvelle existence dont elle ressentait les effets salutaires. Déjà elle commençait à passer quelques soirées chez elle, ou bien, s'il faisait beau, elle s'enveloppait d'un cachemire, se couvrait d'un voile, et nous allions à pied, comme deux enfants, courir le soir dans les allées sombres des Champs-Élysées. Elle rentrait fatiguée, soupait légèrement, se couchait après avoir fait un peu de musique ou après avoir lu, ce qui ne lui était jamais arrivé. Les toux, qui, chaque fois que je les entendais, me déchiraient la poitrine, avaient disparu presque complètement.

Au bout de six semaines, il n'était plus question du comte, définitivement sacrifié ; le duc seul me forçait encore à cacher ma liaison avec Marguerite, et encore avait-il été congédié souvent pendant que j'étais là, sous prétexte que madame dormait et avait défendu qu'on la réveillât.

Il résulta de l'habitude et même du besoin que Marguerite avait contractés de me voir que j'abandonnai le jeu juste au moment où un adroit joueur l'eût quitté. Tout compte fait, je me trouvais, par suite de mes gains, à la tête d'une dizaine de mille francs qui me paraissaient un capital inépuisable.

L'époque à laquelle j'avais l'habitude d'aller rejoindre mon père et ma soeur était arrivée, et je ne partais pas ; aussi recevais-je fréquemment des lettres de l'un et de l'autre, lettres qui me priaient de me rendre auprès d'eux.

À toutes ces instances je répondais de mon mieux, en répétant toujours que je me portais bien et que je n'avais pas besoin d'argent, deux choses qui, je le croyais, consoleraient un peu mon père du retard que je mettais à ma visite annuelle.

Il arriva sur ces entrefaites, qu'un matin Marguerite, ayant été réveillée par un soleil éclatant, sauta en bas de son lit, et me demanda si je voulais la mener toute la journée à la campagne.

On envoya chercher Prudence et nous partîmes tous trois, après que Marguerite eut recommandé à Nanine de dire au duc qu'elle avait voulu profiter de ce beau jour, et qu'elle était allée à la campagne avec madame Duvernoy.

Outre que la présence de la Duvernoy était nécessaire pour tranquilliser le vieux duc, Prudence était une de ces femmes qui semblent faites exprès pour ces parties de campagne. Avec sa gaieté inaltérable et son appétit éternel, elle ne pouvait pas laisser un moment d'ennui à ceux qu'elle accompagnait, et devait s'entendre parfaitement à commander les oeufs, les cerises, le lait, le lapin sauté, et tout ce qui compose enfin le déjeuner traditionnel des environs de Paris.

Il ne nous restait plus qu'à savoir où nous irions.

Ce fut encore Prudence qui nous tira d'embarras.

– Est-ce à une vraie campagne que vous voulez aller ?

demanda-t-elle.

– Oui.

– Eh bien, allons à Bougival, au Point-du-Jour, chez la veuve Arnould. Armand, allez louer une calèche.

Une heure et demie après nous étions chez la veuve Arnould.

Vous connaissez peut-être cette auberge, hôtel de semaine, guinguette le dimanche. Du jardin, qui est à la hauteur d'un premier étage ordinaire, on découvre une vue magnifique. À gauche, l'aqueduc de Marly ferme l'horizon, à droite la vue s'étend sur un infini de collines ; la rivière, presque sans courant dans cet endroit, se déroule comme un large ruban blanc moiré, entre la plaine des Gabillons et l'île de Croissy, éternellement bercée par le frémissement de ses hauts peupliers et le murmure de ses saules.

Au fond, dans un large rayon de soleil, s'élèvent de petites maisons blanches à toits rouges, et des manufactures qui, perdant par la distance leur caractère dur et commercial, complètent admirablement le paysage.

Au fond, Paris dans la brume !

Comme nous l'avait dit Prudence, c'était une vraie campagne, et, je dois le dire, ce fut un vrai déjeuner.

Ce n'est pas par reconnaissance pour le bonheur que je lui ai dû que je dis tout cela, mais Bougival, malgré son nom affreux, est un des plus jolis pays que l'on puisse imaginer. J'ai beaucoup voyagé, j'ai vu de plus grandes choses, mais non de plus charmantes que ce petit village gaiement couché au pied de la colline qui le protège.


Chapitre XVI (1) Kapitel XVI (1) Chapter XVI (1) Capítulo XVI (1)

J'aurais pu, me dit Armand, vous raconter en quelques lignes les commencements de cette liaison, mais je voulais que vous vissiez bien par quels événements et par quelle gradation nous en sommes arrivés, moi, à consentir à tout ce que voulait Marguerite, Marguerite, à ne plus pouvoir vivre qu'avec moi. I could have, Armand told me, told you in a few lines the beginnings of this liaison, but I wanted you to see clearly by what events and by what gradation we arrived, me, to consent to everything that Marguerite wanted, Marguerite, to no longer be able to live except with me.

C'est le lendemain de la soirée où elle était venue me trouver que je lui envoyai Manon Lescaut.

À partir de ce moment, comme je ne pouvais changer la vie de ma maîtresse, je changeai la mienne. Je voulais avant toute chose ne pas laisser à mon esprit le temps de réfléchir sur le rôle que je venais d'accepter, car, malgré moi, j'en eusse conçu une grande tristesse. I wanted above all not to leave my mind time to reflect on the role I had just accepted, because, in spite of myself, I would have conceived a great sadness. Aussi ma vie, d'ordinaire si calme, revêtit-elle tout à coup une apparence de bruit et de désordre. N'allez pas croire que, si désintéressé qu'il soit, l'amour qu'une femme entretenue a pour vous ne coûte rien. Do not think that, however disinterested it may be, the love that a kept woman has for you costs nothing. Rien n'est cher comme les mille caprices de fleurs, de loges, de soupers, de parties de campagne qu'on ne peut jamais refuser à sa maîtresse. Nichts ist so teuer wie die tausend Launen von Blumen, Logen, Abendessen und Landpartien, die man seiner Geliebten nie abschlagen kann. Nothing is more expensive than the thousand caprices of flowers, boxes, suppers, country parties that one can never refuse to one's mistress.

Comme je vous l'ai dit, je n'avais pas de fortune. As I told you, I had no fortune. Mon père était et est encore receveur général à G… Il a une grande réputation de loyauté, grâce à laquelle il a trouvé le cautionnement qu'il lui fallait déposer pour entrer en fonction. My father was and still is Receiver General at G… He has a great reputation for loyalty, thanks to which he found the bond he needed to deposit to take office. Cette recette lui donne quarante mille francs par an, et depuis dix ans qu'il l'a, il a remboursé son cautionnement et s'est occupé de mettre de côté la dot de ma soeur. This receipt gives him forty thousand francs a year, and for the ten years he has had it, he has repaid his deposit and has taken care of setting aside my sister's dowry. Mon père est l'homme le plus honorable qu'on puisse rencontrer. Ma mère, en mourant, a laissé six mille francs de rente qu'il a partagés entre ma soeur et moi le jour où il a obtenu la charge qu'il sollicitait ; puis, lorsque j'ai eu vingt et un ans, il a joint à ce petit revenu une pension annuelle de cinq mille francs, m'assurant qu'avec huit mille francs je pourrais être très heureux à Paris, si je voulais à côté de cette rente me créer une position, soit dans le barreau, soit dans la médecine. Je suis donc venu à Paris, j'ai fait mon droit, j'ai été reçu avocat, et, comme beaucoup de jeunes gens, j'ai mis mon diplôme dans ma poche et me suis laissé aller un peu à la vie nonchalante de Paris. Mes dépenses étaient fort modestes ; seulement je dépensais en huit mois mon revenu de l'année, et je passais les quatre mois d'été chez mon père, ce qui me faisait en somme douze mille livres de rente et me donnait la réputation d'un bon fils. Du reste pas un sou de dettes.

Voilà où j'en étais quand je fis la connaissance de Marguerite.

Vous comprenez que, malgré moi, mon train de vie augmenta. Sie verstehen, dass mein Lebensstandard gegen meinen Willen stieg. Marguerite était d'une nature fort capricieuse, et faisait partie de ces femmes qui n'ont jamais regardé comme une dépense sérieuse les mille distractions dont leur existence se compose. Il en résultait que, voulant passer avec moi le plus de temps possible, elle m'écrivait le matin qu'elle dînerait avec moi, non pas chez elle, mais chez quelque restaurateur, soit de Paris, soit de la campagne. J'allais la prendre, nous dînions, nous allions au spectacle, nous soupions souvent, et j'avais dépensé le soir quatre ou cinq louis, ce qui faisait deux mille cinq cents ou trois mille francs par mois, ce qui réduisait mon année à trois mois et demi, et me mettait dans la nécessité ou de faire des dettes, ou de quitter Marguerite.

Or, j'acceptais tout, excepté cette dernière éventualité.

Pardonnez-moi si je vous donne tous ces détails, mais vous verrez qu'ils furent la cause des événements qui vont suivre. Ce que je vous raconte est une histoire vraie, simple, et à laquelle je laisse toute la naïveté des détails et toute la simplicité des développements.

Je compris donc que, comme rien au monde n'aurait sur moi l'influence de me faire oublier ma maîtresse, il me fallait trouver un moyen de soutenir les dépenses qu'elle me faisait faire. – Puis, cet amour me bouleversait au point que tous les moments que je passais loin de Marguerite étaient des années, et que j'avais ressenti le besoin de brûler ces moments au feu d'une passion quelconque, et de les vivre tellement vite que je ne m'aperçusse pas que je les vivais. – Then, this love overwhelmed me to the point that all the moments I spent away from Marguerite lasted for years, and that I had felt the need to burn these moments in the fire of some passion, and to live them so quickly that I did not realize that I was living them.

Je commençai à emprunter cinq ou six mille francs sur mon petit capital, et je me mis à jouer, car depuis qu'on a détruit les maisons de jeu on joue partout. Autrefois, quand on entrait à Frascati, on avait la chance d'y faire sa fortune : on jouait contre de l'argent, et si l'on perdait, on avait la consolation de se dire qu'on aurait pu gagner ; tandis que maintenant, excepté dans les cercles, où il y a encore une certaine sévérité pour le paiement, on a presque la certitude, du moment que l'on gagne une somme importante, de ne pas la recevoir. On comprendra facilement pourquoi.

Le jeu ne peut être pratiqué que par des jeunes gens ayant de grands besoins et manquant de la fortune nécessaire pour soutenir la vie qu'ils mènent ; ils jouent donc, et il en résulte naturellement ceci : ou ils gagnent, et alors les perdants servent à payer les chevaux et les maîtresses de ces messieurs, ce qui est fort désagréable. Gambling can only be practiced by young people who are in great need and lack the necessary fortune to support the life they lead; So they play, and the natural result is this: either they win, and then the losers go to pay for the horses and the mistresses of these gentlemen, which is very disagreeable. Des dettes se contractent, des relations commencées autour d'un tapis vert finissent par des querelles où l'honneur et la vie se déchirent toujours un peu ; et quand on est honnête homme, on se trouve ruiné par de très honnêtes jeunes gens qui n'avaient d'autre défaut que de ne pas avoir deux cent mille livres de rente. Debts are contracted, relationships begun around a green carpet end in quarrels where honor and life always tear each other a little; and when one is an honest man, one finds himself ruined by very honest young people who had no other fault than not having two hundred thousand francs a year.

Je n'ai pas besoin de vous parler de ceux qui volent au jeu, et dont un jour on apprend le départ nécessaire et la condamnation tardive. I don't need to tell you about those who steal at play, and of whom one day we learn of the necessary departure and belated condemnation.

Je me lançai donc dans cette vie rapide, bruyante, volcanique, qui m'effrayait autrefois quand j'y songeais, et qui était devenue pour moi le complément inévitable de mon amour pour Marguerite.

Que vouliez-vous que je fisse ?

Les nuits que je ne passais pas rue d'Antin, si je les avais passées seul chez moi, je n'aurais pas dormi. La jalousie m'eût tenu éveillé et m'eût brûlé la pensée et le sang ; tandis que le jeu détournait pour un moment la fièvre qui eût envahi mon coeur et le reportait sur une passion dont l'intérêt me saisissait malgré moi, jusqu'à ce que sonnât l'heure où je devais me rendre auprès de ma maîtresse. Alors, et c'est à cela que je reconnaissais la violence de mon amour, que je gagnasse ou perdisse, je quittais impitoyablement la table, plaignant ceux que j'y laissais et qui n'allaient pas trouver comme moi le bonheur en la quittant.

Pour la plupart, le jeu était une nécessité ; pour moi c'était un remède.

Guéri de Marguerite, j'étais guéri du jeu. Cured of Marguerite, I was cured of gambling.

Aussi, au milieu de tout cela, gardais-je un assez grand sang-froid ; je ne perdais que ce que je pouvais payer, et je ne gagnais que ce que j'aurais pu perdre. So, in the midst of all this, I kept quite a cool head; I only lost what I could pay, and I only gained what I could have lost.

Du reste, la chance me favorisa. Je ne faisais pas de dettes, et je dépensais trois fois plus d'argent que lorsque je ne jouais pas. I wasn't in debt, and I was spending three times as much money as when I wasn't gambling. Il n'était pas facile de résister à une vie qui me permettait de satisfaire, sans me gêner, aux mille caprices de Marguerite. It was not easy to resist a life that allowed me to satisfy Marguerite's thousand whims without getting in the way. Quant à elle, elle m'aimait toujours autant et même davantage. As for her, she still loved me as much and even more.

Comme je vous l'ai dit, j'avais commencé d'abord par n'être reçu que de minuit à six heures du matin, puis je fus admis de temps en temps dans les loges, puis elle vint dîner quelquefois avec moi. Un matin je ne m'en allai qu'à huit heures, et il arriva un jour où je ne m'en allai qu'à midi. One morning I didn't leave until eight o'clock, and there came a day when I didn't leave until noon.

En attendant la métamorphose morale, une métamorphose physique s'était opérée chez Marguerite. While waiting for the moral metamorphosis, a physical metamorphosis had taken place in Marguerite. J'avais entrepris sa guérison, et la pauvre fille, devinant mon but, m'obéissait pour me prouver sa reconnaissance. I had undertaken her cure, and the poor girl, guessing my goal, obeyed me to prove her gratitude to me. J'étais parvenu sans secousses et sans effort à l'isoler presque de ses anciennes habitudes. I had succeeded without jolts and without effort in almost isolating him from his old habits. Mon médecin, avec qui je l'avais fait trouver, m'avait dit que le repos seul et le calme pouvaient lui conserver la santé, de sorte qu'aux soupers et aux insomnies, j'étais arrivé à substituer un régime hygiénique et le sommeil régulier. Mein Arzt, mit dem ich ihn hatte finden lassen, hatte mir gesagt, dass Ruhe und Gelassenheit allein seine Gesundheit erhalten könnten, sodass ich die Abendessen und die Schlaflosigkeit durch eine hygienische Diät und regelmäßigen Schlaf ersetzt hatte. My doctor, with whom I had found him, had told me that only rest and calm could preserve his health, so that for suppers and insomnia, I had managed to substitute a hygienic diet and the regular sleep. Malgré elle, Marguerite s'habituait à cette nouvelle existence dont elle ressentait les effets salutaires. Déjà elle commençait à passer quelques soirées chez elle, ou bien, s'il faisait beau, elle s'enveloppait d'un cachemire, se couvrait d'un voile, et nous allions à pied, comme deux enfants, courir le soir dans les allées sombres des Champs-Élysées. Elle rentrait fatiguée, soupait légèrement, se couchait après avoir fait un peu de musique ou après avoir lu, ce qui ne lui était jamais arrivé. Les toux, qui, chaque fois que je les entendais, me déchiraient la poitrine, avaient disparu presque complètement.

Au bout de six semaines, il n'était plus question du comte, définitivement sacrifié ; le duc seul me forçait encore à cacher ma liaison avec Marguerite, et encore avait-il été congédié souvent pendant que j'étais là, sous prétexte que madame dormait et avait défendu qu'on la réveillât. At the end of six weeks, there was no longer any question of the count, definitively sacrificed; the duke alone still forced me to hide my liaison with Marguerite, and even then he had often been dismissed while I was there, on the pretext that Madame was asleep and had forbidden anyone to wake her.

Il résulta de l'habitude et même du besoin que Marguerite avait contractés de me voir que j'abandonnai le jeu juste au moment où un adroit joueur l'eût quitté. It resulted from the habit and even from the need that Marguerite had contracted to see me that I gave up the game just as a skilful player had left it. Tout compte fait, je me trouvais, par suite de mes gains, à la tête d'une dizaine de mille francs qui me paraissaient un capital inépuisable.

L'époque à laquelle j'avais l'habitude d'aller rejoindre mon père et ma soeur était arrivée, et je ne partais pas ; aussi recevais-je fréquemment des lettres de l'un et de l'autre, lettres qui me priaient de me rendre auprès d'eux. The time when I used to go to join my father and my sister had arrived, and I was not leaving; so I frequently received letters from both of them, letters asking me to go to them.

À toutes ces instances je répondais de mon mieux, en répétant toujours que je me portais bien et que je n'avais pas besoin d'argent, deux choses qui, je le croyais, consoleraient un peu mon père du retard que je mettais à ma visite annuelle. To all these entreaties I answered as best I could, always repeating that I was well and that I did not need the money, two things which, I believed, would console my father a little for the delay I was putting on my annual visit.

Il arriva sur ces entrefaites, qu'un matin Marguerite, ayant été réveillée par un soleil éclatant, sauta en bas de son lit, et me demanda si je voulais la mener toute la journée à la campagne. It happened in the meantime that one morning Marguerite, having been awakened by a bright sun, jumped out of bed and asked me if I wanted to take her all day to the country.

On envoya chercher Prudence et nous partîmes tous trois, après que Marguerite eut recommandé à Nanine de dire au duc qu'elle avait voulu profiter de ce beau jour, et qu'elle était allée à la campagne avec madame Duvernoy.

Outre que la présence de la Duvernoy était nécessaire pour tranquilliser le vieux duc, Prudence était une de ces femmes qui semblent faites exprès pour ces parties de campagne. Avec sa gaieté inaltérable et son appétit éternel, elle ne pouvait pas laisser un moment d'ennui à ceux qu'elle accompagnait, et devait s'entendre parfaitement à commander les oeufs, les cerises, le lait, le lapin sauté, et tout ce qui compose enfin le déjeuner traditionnel des environs de Paris.

Il ne nous restait plus qu'à savoir où nous irions.

Ce fut encore Prudence qui nous tira d'embarras. Es war wieder Prudence, die uns aus der Verlegenheit half.

– Est-ce à une vraie campagne que vous voulez aller ?

demanda-t-elle.

– Oui.

– Eh bien, allons à Bougival, au Point-du-Jour, chez la veuve Arnould. Armand, allez louer une calèche. Armand, go hire a carriage.

Une heure et demie après nous étions chez la veuve Arnould.

Vous connaissez peut-être cette auberge, hôtel de semaine, guinguette le dimanche. Du jardin, qui est à la hauteur d'un premier étage ordinaire, on découvre une vue magnifique. À gauche, l'aqueduc de Marly ferme l'horizon, à droite la vue s'étend sur un infini de collines ; la rivière, presque sans courant dans cet endroit, se déroule comme un large ruban blanc moiré, entre la plaine des Gabillons et l'île de Croissy, éternellement bercée par le frémissement de ses hauts peupliers et le murmure de ses saules. On the left, the aqueduct of Marly closes the horizon, on the right the view extends over an infinity of hills; the river, almost without current in this place, unrolls like a wide shimmering white ribbon, between the plain of Gabillons and the island of Croissy, eternally cradled by the quivering of its tall poplars and the murmur of its willows.

Au fond, dans un large rayon de soleil, s'élèvent de petites maisons blanches à toits rouges, et des manufactures qui, perdant par la distance leur caractère dur et commercial, complètent admirablement le paysage.

Au fond, Paris dans la brume !

Comme nous l'avait dit Prudence, c'était une vraie campagne, et, je dois le dire, ce fut un vrai déjeuner.

Ce n'est pas par reconnaissance pour le bonheur que je lui ai dû que je dis tout cela, mais Bougival, malgré son nom affreux, est un des plus jolis pays que l'on puisse imaginer. J'ai beaucoup voyagé, j'ai vu de plus grandes choses, mais non de plus charmantes que ce petit village gaiement couché au pied de la colline qui le protège.