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LA MACHINE À EXPLORER LE TEMPS, CHAPITRE XIV – L'ULTIME VISION

CHAPITRE XIV – L'ULTIME VISION

« JE vous ai déjà dit quelles sensations nauséeuses et confuses donne un voyage dans le Temps ; et cette fois j'étais mal assis sur la selle, tout de côté et d'une façon peu stable. Pendant un temps indéfini, je me cramponnai à la Machine qui oscillait et vibrait, sans me soucier de savoir où j'allais, et, quand je me décidai à regarder les cadrans, je fus stupéfait de voir où j'étais arrivé. L'un des cadrans marque les jours, un autre les milliers de jours, un troisième les millions de jours, et le dernier les centaines de millions de jours. Au lieu d'avoir placé les leviers sur la marche arrière, je les avais mis sur la marche avant, et quand je jetai les yeux sur les indicateurs, je vis que l'aiguille des mille tournait – vers le futur – aussi vite que l'aiguille des secondes d'une montre.

« Pendant ce temps, un changement particulier se produisait dans l'apparence des choses. Le tremblotement gris qui m'entourait était devenu plus sombre ; alors, bien que la Machine fût encore lancée à une prodigieuse vitesse, le clignotement rapide qui marquait la succession du jour et de la nuit et indiquait habituellement un ralentissement d'allure revint d'une façon de plus en plus marquée. Tout d'abord, cela m'embarrassa fort. Les alternatives de jour et de nuit devinrent de plus en plus lentes, de même que le passage du soleil à travers le ciel, si bien qu'ils semblèrent s'étendre pendant des siècles. À la fin, un crépuscule continuel enveloppa la terre, un crépuscule que rompait seulement de temps en temps le flamboiement d'une comète dans le ciel ténébreux. La bande de lumière qui avait indiqué le soleil s'était depuis longtemps éteinte ; car le soleil ne se couchait plus – il se levait et s'abaissait seulement quelque peu à l'ouest et il était devenu plus large et plus rouge. Tout vestige de lune avait disparu. Les révolutions des étoiles, de plus en plus lentes, avaient fait place à des points lumineux qui avançaient presque imperceptiblement. Enfin, un peu avant que je ne fisse halte, le soleil rouge et très large s'arrêta immobile à l'horizon, vaste dôme brillant d'un éclat terni et subissant parfois une extinction momentanée. Une fois pourtant, il s'était pendant un peu de temps ranimé et avait brillé avec plus d'éclat, mais pour rapidement reprendre son rouge lugubre. Par ce ralentissement de son lever et de son coucher, je me rendis compte que l'œuvre des marées régulières était achevée. La terre maintenant se reposait, une de ses faces continuellement tournée vers le soleil, de même qu'à notre époque la lune présente toujours la même face à la terre. Avec de grandes précautions, car je me rappelais ma précédente chute, je commençai à renverser la marche. De plus en plus lentement tournèrent les aiguilles, jusqu'à ce que celle des milliers se fût arrêtée, et que celle des jours eût cessé d'être un simple nuage sur son cadran ; toujours plus lentement, jusqu'à ce que les contours vagues d'une grève désolée fussent devenus visibles.

« Je m'arrêtai tout doucement, et, restant assis sur la Machine, je promenai mes regards autour de moi. Le ciel n'était plus bleu. Vers le nord-est, il était d'un noir d'encre, et dans ces ténèbres brillaient vivement et continûment de pâles étoiles. Au-dessus de moi, le ciel était sans astres et d'un ocre rouge profond ; vers le sud-est, il devenait brillant jusqu'à l'écarlate vif là où l'horizon coupait le disque du soleil rouge et immobile. Les rochers, autour de moi, étaient d'une âpre couleur rougeâtre, et tout ce que je pus d'abord voir de vestiges de vie fut la végétation d'un vert intense qui recouvrait chaque flanc de rocher du côté du sud-est. C'était ce vert opulent qu'ont quelquefois les mousses des forêts ou les lichens dans les caves, et les plantes qui, comme celles-là, croissent dans un perpétuel crépuscule.

« La Machine s'était arrêtée sur une grève en pente. La mer s'étendait vers le sud-ouest et s'élevait nette et brillante à l'horizon, contre le ciel blême. Il n'y avait ni vagues, ni écueils, ni brise. Seule, une légère et huileuse ondulation s'élevait et s'abaissait pour montrer que la mer éternelle s'agitait encore et vivait. Et sur le rivage, où l'eau parfois se brisait, était une épaisse incrustation de sel, rose sous le ciel livide. Je me sentis la tête oppressée, et je remarquai que je respirais très vite. Cette sensation me rappela mon unique expérience d'ascension dans les montagnes, et je jugeai par là que l'air devait s'être considérablement raréfié.

« Très loin, au haut de la plaine désolée, j'entendis un cri discordant et je vis une chose semblable à un immense papillon blanc s'envoler, voltiger dans le ciel et, planant, disparaître enfin derrière quelques monticules peu élevés. Ce cri fut si lugubre que je frissonnai et m'installai plus solidement sur la selle. En portant de nouveau mes regards autour de moi, je vis que, tout près, ce que j'avais pris pour une masse rougeâtre de roche s'avançait lentement vers moi ; je vis alors que c'était en réalité une sorte de crabe monstrueux. Imaginez-vous un crabe aussi large que cette table là-bas, avec ses nombreux appendices, se mouvant lentement et en chancelant, brandissant ses énormes pinces et ses longues antennes, comme des fouets de charretier, et ses yeux proéminents vous épiant de chaque côté de son front métallique. Sa carapace était rugueuse et ornée de bosses tumultueuses, et des incrustations verdâtres la pustulaient ici et là. Je voyais, pendant qu'il avançait, les nombreuses palpes de sa bouche compliquée s'agiter et sentir.

« Tandis que je considérais avec ébahissement cette sinistre apparition rampant vers moi, je sentis sur ma joue un chatouillement, comme si un papillon venait de s'y poser, j'essayai de le chasser avec ma main, mais il revint aussitôt et, presque immédiatement, un autre vint se poser près de mon oreille. J'y portai vivement la main et attrapai une sorte de filament qui me glissa rapidement entre les doigts. Avec un soulèvement de cœur atroce, je me retournai et me rendis compte que j'avais saisi l'antenne d'un autre crabe monstrueux, qui se trouvait juste derrière moi. Ses mauvais yeux se tortillaient sur leurs tiges proéminentes ; sa bouche semblait animée d'un grand appétit et ses vastes pinces maladroites – barbouillées d'une bave gluante – s'abaissaient sur moi. En un instant, ma main fut sur le levier, et je mis un mois de distance entre ces monstres et moi. Mais j'étais toujours sur la même grève et je les aperçus. Des douzaines d'autres semblaient ramper de tous côtés, dans la sombre lumière, parmi les couches superposées de vert intense.

« Il m'est impossible de vous exprimer la sensation d'abominable désolation qui enveloppait le monde ; le ciel rouge à l'orient, la ténèbre septentrionale, la mer morte et salée, la grève rocheuse encombrée de ces lentes et répugnantes bêtes monstrueuses, le vert uniforme et d'aspect empoisonné des végétations de lichen, l'air raréfié qui vous blessait les poumons, tout cela contribuait à produire l'épouvante. Je franchis encore un siècle et il y avait toujours le même soleil rouge – un peu plus large, un peu plus morne –, la même mer mourante, le même air glacial, et le même grouillement de crustacés rampants parmi les végétations vertes et les rochers rougeâtres. Et dans le ciel occidental, je vis une pâle ligne courbe comme une immense lune naissante.

« Je continuai mon voyage, m'arrêtant de temps à autre, par grandes enjambées de milliers d'années ou plus, entraîné par le mystère du destin de la terre, guettant avec une étrange fascination le soleil toujours plus large et plus morne dans le ciel d'occident, et la vie de la vieille terre dans son déclin graduel. Enfin, à plus de trente millions d'années d'ici, l'immense dôme rouge du soleil avait fini par occuper presque la dixième partie des cieux sombres. Là, je m'arrêtai une fois encore, car la multitude des grands crabes avait disparu, et la grève rougeâtre, à part ses hépatiques et ses lichens d'un vert livide, paraissait dénuée de vie. Elle était maintenant recouverte d'une couche blanche ; un froid piquant m'assaillit. De rares flocons blancs tombaient parfois en tourbillonnant. Vers le nord-est, des reflets neigeux s'étendaient sous les étoiles d'un ciel de sable et j'apercevais les crêtes onduleuses de collines d'un blanc rosé. La mer était bordée de franges de glace, avec d'énormes glaçons qui voguaient au loin. Mais la vaste étendue de l'océan, tout rougeoyant sous l'éternel couchant, n'était pas encore gelée.

« Je regardai tout autour de moi pour voir s'il restait quelque trace de vie animale. Une certaine impression indéfinissable me faisait rester sur la selle de la Machine. Mais je ne vis rien remuer ni sur la terre, ni dans le ciel, ni sur la mer. Seule la vase verte sur les rochers témoignait que toute vie n'était pas encore abolie. Un banc de sable se montrait dans la mer et les eaux avaient abandonné le rivage. Je me figurai voir quelque objet voleter sur la grève, mais quand je l'observai, il resta immobile ; je crus que mes yeux avaient été abusés et que l'objet noir n'était que quelque fragment de roche. Les étoiles au ciel brillaient intensément et me paraissaient ne scintiller que fort peu.

« Tout à coup je remarquai que le contour occidental du soleil avait changé, qu'une concavité, qu'une baie apparaissait dans sa courbe. Je la vis s'accentuer ; pendant une minute peut-être je considérai, frappé de stupeur, ces ténèbres qui absorbaient la pâle clarté du jour, et je compris alors qu'une éclipse commençait. La lune ou la planète Mercure passait devant le disque du soleil. Naturellement, je crus d'abord que c'était la lune, mais j'ai bien des raisons de croire que ce que je vis était en réalité quelque planète s'interposant très près de la terre.

« L'obscurité croissait rapidement. Un vent froid commença à souffler de l'est par rafales fraîchissantes, et le vol des flocons s'épaissit. Du lointain de la mer s'approcha une ride légère et un murmure. Hors ces sons inanimés, le monde était plein de silence. Du silence ? Il est bien difficile d'exprimer ce calme qui pesait sur lui. Tous les bruits de l'humanité, le bêlement des troupeaux, le chant des oiseaux, le bourdonnement des insectes, toute l'agitation qui fait l'arrière-plan de nos vies, tout cela n'existait plus. Comme les ténèbres s'épaississaient, les flocons, tourbillonnant et dansant devant mes yeux, devinrent plus abondants et le froid de l'air devint plus intense… À la fin, un par un, les sommets blancs des collines lointaines s'évanouirent dans l'obscurité. La brise se changea en un vent gémissant. Je vis l'ombre centrale de l'éclipse s'étendre vers moi. En un autre instant, seules les pâles étoiles furent visibles. Tout le reste fut plongé dans la plus grande obscurité. Le ciel devint absolument noir.

« Une horreur me prit de ces grandes ténèbres. Le froid qui me pénétrait jusqu'aux moelles et la souffrance que me causait chacune de mes respirations eurent raison de moi. Je frissonnai et une nausée mortelle m'envahit. Alors, comme un grand fer rouge, réapparut au ciel le contour du disque solaire. Je descendis de la Machine pour reprendre mes sens, car je me sentais engourdi et incapable d'affronter le retour. Tandis que j'étais là, mal à l'aise et étourdi, je vis de nouveau, contre le fond rougeâtre de la mer, l'objet qui remuait sur le banc de sable : il n'y avait plus maintenant de méprise possible, c'était bien quelque chose d'animé, une chose ronde de la grosseur d'un ballon de football à peu près, ou peut-être un peu plus gros, avec des tentacules traînant par-derrière, qui paraissait noire contre le bouillonnement rouge-sang de la mer, et sautillait gauchement de-ci, de-là. À ce moment, je me sentis presque défaillir. Mais la peur terrible de rester privé de secours dans ce crépuscule reculé et épouvantable me donna des forces suffisantes pour regrimper sur la selle.


CHAPITRE XIV – L'ULTIME VISION CHAPTER XIV - THE ULTIMATE VISION CAPÍTULO XIV - LA VISIÓN DEFINITIVA ГЛАВА XIV - ОКОНЧАТЕЛЬНОЕ ВИДЕНИЕ

« JE vous ai déjà dit quelles sensations nauséeuses et confuses donne un voyage dans le Temps ; et cette fois j'étais mal assis sur la selle, tout de côté et d'une façon peu stable. “I have already told you what nauseating and confusing sensations Time travel gives; and this time I was badly seated on the saddle, sideways and unsteadily. Pendant un temps indéfini, je me cramponnai à la Machine qui oscillait et vibrait, sans me soucier de savoir où j'allais, et, quand je me décidai à regarder les cadrans, je fus stupéfait de voir où j'étais arrivé. For an indefinite time I clung to the oscillating and vibrating Machine, not caring where I was going, and when I decided to look at the dials I was amazed to see where I had arrived. L'un des cadrans marque les jours, un autre les milliers de jours, un troisième les millions de jours, et le dernier les centaines de millions de jours. One of the dials marks the days, another the thousands of days, a third the millions of days, and the last the hundreds of millions of days. Au lieu d'avoir placé les leviers sur la marche arrière, je les avais mis sur la marche avant, et quand je jetai les yeux sur les indicateurs, je vis que l'aiguille des mille tournait – vers le futur – aussi vite que l'aiguille des secondes d'une montre. Instead of putting the levers in reverse, I had put them in forward, and when I looked at the indicators, I saw that the mile hand was turning—towards the future—as fast as the second hand of a watch.

« Pendant ce temps, un changement particulier se produisait dans l'apparence des choses. “During this time, a particular change was taking place in the way things looked. Le tremblotement gris qui m'entourait était devenu plus sombre ; alors, bien que la Machine fût encore lancée à une prodigieuse vitesse, le clignotement rapide qui marquait la succession du jour et de la nuit et indiquait habituellement un ralentissement d'allure revint d'une façon de plus en plus marquée. The gray quivering around me had become darker; then, although the Machine was still going at prodigious speed, the rapid flashing which marked the succession of day and night and usually indicated a slackening of pace returned more and more markedly. Tout d'abord, cela m'embarrassa fort. First of all, it embarrassed me very much. Les alternatives de jour et de nuit devinrent de plus en plus lentes, de même que le passage du soleil à travers le ciel, si bien qu'ils semblèrent s'étendre pendant des siècles. The alternations of day and night became slower and slower, as did the passage of the sun across the sky, so that they seemed to stretch on for centuries. À la fin, un crépuscule continuel enveloppa la terre, un crépuscule que rompait seulement de temps en temps le flamboiement d'une comète dans le ciel ténébreux. At last a continual twilight enveloped the earth, a twilight broken only now and then by the flare of a comet in the dark sky. La bande de lumière qui avait indiqué le soleil s'était depuis longtemps éteinte ; car le soleil ne se couchait plus – il se levait et s'abaissait seulement quelque peu à l'ouest et il était devenu plus large et plus rouge. The band of light that had pointed to the sun had long since died out; for the sun was no longer setting – it was rising and sinking only a little in the west and it had grown wider and redder. Tout vestige de lune avait disparu. All remnants of the moon had disappeared. Les révolutions des étoiles, de plus en plus lentes, avaient fait place à des points lumineux qui avançaient presque imperceptiblement. The revolutions of the stars, slower and slower, had given way to luminous points which advanced almost imperceptibly. Enfin, un peu avant que je ne fisse halte, le soleil rouge et très large s'arrêta immobile à l'horizon, vaste dôme brillant d'un éclat terni et subissant parfois une extinction momentanée. Finally, a little before I came to a halt, the very wide red sun stopped motionless on the horizon, a vast dome shining with a dull brilliance and sometimes undergoing a momentary extinction. Une fois pourtant, il s'était pendant un peu de temps ranimé et avait brillé avec plus d'éclat, mais pour rapidement reprendre son rouge lugubre. Once, however, it revived for a little while and shone more brightly, but quickly resumed its gloomy red. Par ce ralentissement de son lever et de son coucher, je me rendis compte que l'œuvre des marées régulières était achevée. By this slowing of its rising and setting, I realized that the work of the regular tides was completed. La terre maintenant se reposait, une de ses faces continuellement tournée vers le soleil, de même qu'à notre époque la lune présente toujours la même face à la terre. The earth now rested, one of its faces continually turned towards the sun, just as in our time the moon always presents the same face to the earth. La tierra estaba ahora en reposo, con una de sus caras continuamente vuelta hacia el sol, igual que en nuestro tiempo la luna presenta siempre la misma cara hacia la tierra. Avec de grandes précautions, car je me rappelais ma précédente chute, je commençai à renverser la marche. With great care, remembering my previous fall, I began to reverse the course. De plus en plus lentement tournèrent les aiguilles, jusqu'à ce que celle des milliers se fût arrêtée, et que celle des jours eût cessé d'être un simple nuage sur son cadran ; toujours plus lentement, jusqu'à ce que les contours vagues d'une grève désolée fussent devenus visibles. More and more slowly turned the hands, until that of the thousands had stopped, and that of the days had ceased to be a simple cloud on its dial; ever more slowly, until the vague outlines of a desolate beach became visible.

« Je m'arrêtai tout doucement, et, restant assis sur la Machine, je promenai mes regards autour de moi. “I stopped very slowly, and, remaining seated on the Machine, I looked around me. Le ciel n'était plus bleu. The sky was no longer blue. Vers le nord-est, il était d'un noir d'encre, et dans ces ténèbres brillaient vivement et continûment de pâles étoiles. To the northeast it was pitch black, and in that darkness dim stars shone brightly and steadily. Au-dessus de moi, le ciel était sans astres et d'un ocre rouge profond ; vers le sud-est, il devenait brillant jusqu'à l'écarlate vif là où l'horizon coupait le disque du soleil rouge et immobile. Above me the sky was starless and deep red ochre; to the south-east it brightened to vivid scarlet where the horizon intersected the disk of the still red sun. Les rochers, autour de moi, étaient d'une âpre couleur rougeâtre, et tout ce que je pus d'abord voir de vestiges de vie fut la végétation d'un vert intense qui recouvrait chaque flanc de rocher du côté du sud-est. The rocks around me were a harsh reddish color, and all that I could see of life at first was the intense green vegetation that covered each side of the rock on the southeast side. C'était ce vert opulent qu'ont quelquefois les mousses des forêts ou les lichens dans les caves, et les plantes qui, comme celles-là, croissent dans un perpétuel crépuscule. It was that opulent green which the mosses of the forests or the lichens in the cellars sometimes have, and the plants which, like these, grow in a perpetual twilight.

« La Machine s'était arrêtée sur une grève en pente. “The Machine had stopped on a sloping shore. La mer s'étendait vers le sud-ouest et s'élevait nette et brillante à l'horizon, contre le ciel blême. The sea stretched to the southwest and stood clear and bright on the horizon against the pale sky. Il n'y avait ni vagues, ni écueils, ni brise. There were no waves, no reefs, no breeze. Seule, une légère et huileuse ondulation s'élevait et s'abaissait pour montrer que la mer éternelle s'agitait encore et vivait. Only a light, oily ripple rose and fell to show that the eternal sea was still moving and alive. Et sur le rivage, où l'eau parfois se brisait, était une épaisse incrustation de sel, rose sous le ciel livide. And on the shore, where the water sometimes broke, was a thick encrustation of salt, pink under the livid sky. Je me sentis la tête oppressée, et je remarquai que je respirais très vite. I felt my head oppressed, and I noticed that I was breathing very quickly. Cette sensation me rappela mon unique expérience d'ascension dans les montagnes, et je jugeai par là que l'air devait s'être considérablement raréfié. This sensation reminded me of my unique experience of climbing in the mountains, and I judged by this that the air must have become considerably rarefied.

« Très loin, au haut de la plaine désolée, j'entendis un cri discordant et je vis une chose semblable à un immense papillon blanc s'envoler, voltiger dans le ciel et, planant, disparaître enfin derrière quelques monticules peu élevés. “Far away, at the top of the desolate plain, I heard a discordant cry and I saw a thing like a huge white butterfly fly away, flutter in the sky and, hovering, finally disappear behind some low mounds. "A lo lejos, en lo alto de la desolada llanura, oí un grito discordante y vi algo parecido a una inmensa mariposa blanca que levantaba el vuelo, revoloteaba por el cielo y, planeando, desaparecía al fin detrás de unos montículos bajos. Ce cri fut si lugubre que je frissonnai et m'installai plus solidement sur la selle. This cry was so mournful that I shivered and settled myself more firmly in the saddle. En portant de nouveau mes regards autour de moi, je vis que, tout près, ce que j'avais pris pour une masse rougeâtre de roche s'avançait lentement vers moi ; je vis alors que c'était en réalité une sorte de crabe monstrueux. Looking around me again, I saw that nearby, what I had taken to be a reddish mass of rock was slowly advancing towards me; I then saw that it was in reality a kind of monstrous crab. Imaginez-vous un crabe aussi large que cette table là-bas, avec ses nombreux appendices, se mouvant lentement et en chancelant, brandissant ses énormes pinces et ses longues antennes, comme des fouets de charretier, et ses yeux proéminents vous épiant de chaque côté de son front métallique. Imagine a crab as large as that table over there, with its many appendages, moving slowly and staggeringly, brandishing its huge claws and long antennae like carter's whips, and its prominent eyes peering at you from every side. of his metallic forehead. Imagina un cangrejo tan grande como esa mesa de ahí, con sus numerosos apéndices, moviéndose lenta y tambaleante, blandiendo sus enormes pinzas y sus largas antenas como volteretas, y sus prominentes ojos mirándote a ambos lados de su frente metálica. Sa carapace était rugueuse et ornée de bosses tumultueuses, et des incrustations verdâtres la pustulaient ici et là. Its carapace was rough and lined with tumultuous bumps, and greenish encrustations pustulated here and there. Su caparazón era rugoso y estaba adornado con tumultuosas protuberancias, e incrustaciones verdosas lo pustulaban aquí y allá. Je voyais, pendant qu'il avançait, les nombreuses palpes de sa bouche compliquée s'agiter et sentir. I saw, as he advanced, the many palps of his complicated mouth moving and feeling. A medida que avanzaba, pude ver los numerosos palpos de su complicada boca crisparse y oler.

« Tandis que je considérais avec ébahissement cette sinistre apparition rampant vers moi, je sentis sur ma joue un chatouillement, comme si un papillon venait de s'y poser, j'essayai de le chasser avec ma main, mais il revint aussitôt et, presque immédiatement, un autre vint se poser près de mon oreille. "As I gazed in amazement at this sinister apparition crawling towards me, I felt a tickle on my cheek, as if a butterfly had just landed there, I tried to chase it away with my hand, but it immediately returned and, almost immediately, another came to rest near my ear. "Mientras contemplaba asombrado esta siniestra aparición que se arrastraba hacia mí, sentí un cosquilleo en la mejilla, como si una mariposa acabara de posarse allí. Intenté ahuyentarla con la mano, pero volvió enseguida y, casi de inmediato, otra se posó cerca de mi oreja. J'y portai vivement la main et attrapai une sorte de filament qui me glissa rapidement entre les doigts. I brought my hand to it quickly and grabbed a kind of filament which quickly slipped between my fingers. Avec un soulèvement de cœur atroce, je me retournai et me rendis compte que j'avais saisi l'antenne d'un autre crabe monstrueux, qui se trouvait juste derrière moi. Ses mauvais yeux se tortillaient sur leurs tiges proéminentes ; sa bouche semblait animée d'un grand appétit et ses vastes pinces maladroites – barbouillées d'une bave gluante – s'abaissaient sur moi. His evil eyes wiggled on their prominent stalks; its mouth seemed to have a great appetite and its large, clumsy claws – smeared with sticky drool – were lowering down on me. En un instant, ma main fut sur le levier, et je mis un mois de distance entre ces monstres et moi. In an instant, my hand was on the lever, and I put a month's distance between these monsters and me. Mais j'étais toujours sur la même grève et je les aperçus. But I was still on the same beach and I saw them. Des douzaines d'autres semblaient ramper de tous côtés, dans la sombre lumière, parmi les couches superposées de vert intense. Dozens of others seemed to be crawling around in the dark light, among the superimposed layers of intense green.

« Il m'est impossible de vous exprimer la sensation d'abominable désolation qui enveloppait le monde ; le ciel rouge à l'orient, la ténèbre septentrionale, la mer morte et salée, la grève rocheuse encombrée de ces lentes et répugnantes bêtes monstrueuses, le vert uniforme et d'aspect empoisonné des végétations de lichen, l'air raréfié qui vous blessait les poumons, tout cela contribuait à produire l'épouvante. Je franchis encore un siècle et il y avait toujours le même soleil rouge – un peu plus large, un peu plus morne –, la même mer mourante, le même air glacial, et le même grouillement de crustacés rampants parmi les végétations vertes et les rochers rougeâtres. I crossed another century and there was still the same red sun – a little wider, a little more gloomy –, the same dying sea, the same icy air, and the same swarming of crawling crustaceans among the green vegetation and the rocks. reddish. Et dans le ciel occidental, je vis une pâle ligne courbe comme une immense lune naissante. And in the western sky I saw a faint curved line like a huge rising moon.

« Je continuai mon voyage, m'arrêtant de temps à autre, par grandes enjambées de milliers d'années ou plus, entraîné par le mystère du destin de la terre, guettant avec une étrange fascination le soleil toujours plus large et plus morne dans le ciel d'occident, et la vie de la vieille terre dans son déclin graduel. "I continued my journey, stopping now and then, in long strides of thousands of years or more, carried away by the mystery of the earth's fate, watching with strange fascination the ever wider and dimmer sun in the western skies, and the life of the old earth in its gradual decline. Enfin, à plus de trente millions d'années d'ici, l'immense dôme rouge du soleil avait fini par occuper presque la dixième partie des cieux sombres. Finally, more than thirty million years from now, the immense red dome of the sun had ended up occupying almost a tenth part of the dark skies. Là, je m'arrêtai une fois encore, car la multitude des grands crabes avait disparu, et la grève rougeâtre, à part ses hépatiques et ses lichens d'un vert livide, paraissait dénuée de vie. There I stopped once more, for the multitude of great crabs had disappeared, and the reddish beach, apart from its liverworts and its livid green lichens, seemed devoid of life. Elle était maintenant recouverte d'une couche blanche ; un froid piquant m'assaillit. She was now covered with a white layer; a biting cold assailed me. De rares flocons blancs tombaient parfois en tourbillonnant. Rare white flakes occasionally swirled down. Vers le nord-est, des reflets neigeux s'étendaient sous les étoiles d'un ciel de sable et j'apercevais les crêtes onduleuses de collines d'un blanc rosé. To the northeast, snowy reflections stretched under the stars of a sandy sky, and I could see the rolling crests of pinkish-white hills. La mer était bordée de franges de glace, avec d'énormes glaçons qui voguaient au loin. The sea was edged with fringes of ice, with huge ice floes floating in the distance. Mais la vaste étendue de l'océan, tout rougeoyant sous l'éternel couchant, n'était pas encore gelée. But the vast expanse of the ocean, all glowing under the eternal sunset, was not yet frozen.

« Je regardai tout autour de moi pour voir s'il restait quelque trace de vie animale. Une certaine impression indéfinissable me faisait rester sur la selle de la Machine. A certain indefinable feeling made me stay in the saddle of the Machine. Mais je ne vis rien remuer ni sur la terre, ni dans le ciel, ni sur la mer. But I saw nothing move either on the earth, or in the sky, or on the sea. Seule la vase verte sur les rochers témoignait que toute vie n'était pas encore abolie. Only the green slime on the rocks testified that all life was not yet abolished. Un banc de sable se montrait dans la mer et les eaux avaient abandonné le rivage. A sand bank showed itself in the sea and the waters had abandoned the shore. Je me figurai voir quelque objet voleter sur la grève, mais quand je l'observai, il resta immobile ; je crus que mes yeux avaient été abusés et que l'objet noir n'était que quelque fragment de roche. I imagined seeing some object hovering on the beach, but when I watched it, it remained motionless; I thought my eyes had been tricked and the black object was just some rock fragment. Les étoiles au ciel brillaient intensément et me paraissaient ne scintiller que fort peu. The stars in the sky shone intensely and seemed to me to sparkle very little.

« Tout à coup je remarquai que le contour occidental du soleil avait changé, qu'une concavité, qu'une baie apparaissait dans sa courbe. “Suddenly I noticed that the western contour of the sun had changed, that a concavity, a bay appeared in its curve. Je la vis s'accentuer ; pendant une minute peut-être je considérai, frappé de stupeur, ces ténèbres qui absorbaient la pâle clarté du jour, et je compris alors qu'une éclipse commençait. I saw it increase; for a minute perhaps I gazed in amazement at the darkness that absorbed the pale light of day, and then I realized that an eclipse was beginning. La lune ou la planète Mercure passait devant le disque du soleil. The moon or Mercury passed in front of the sun's disc. Naturellement, je crus d'abord que c'était la lune, mais j'ai bien des raisons de croire que ce que je vis était en réalité quelque planète s'interposant très près de la terre. Naturally, at first I thought it was the moon, but I have many reasons to believe that what I saw was in reality some planet intervening very close to the earth.

« L'obscurité croissait rapidement. Un vent froid commença à souffler de l'est par rafales fraîchissantes, et le vol des flocons s'épaissit. A cold wind began to blow from the east in refreshing gusts, and the flight of snowflakes thickened. Du lointain de la mer s'approcha une ride légère et un murmure. From the distance of the sea approached a slight ripple and a murmur. Hors ces sons inanimés, le monde était plein de silence. Apart from these inanimate sounds, the world was full of silence. Du silence ? Il est bien difficile d'exprimer ce calme qui pesait sur lui. Tous les bruits de l'humanité, le bêlement des troupeaux, le chant des oiseaux, le bourdonnement des insectes, toute l'agitation qui fait l'arrière-plan de nos vies, tout cela n'existait plus. All the noises of humanity, the bleating of herds, the chirping of birds, the buzzing of insects, all the commotion that forms the background of our lives, all that no longer existed. Comme les ténèbres s'épaississaient, les flocons, tourbillonnant et dansant devant mes yeux, devinrent plus abondants et le froid de l'air devint plus intense… À la fin, un par un, les sommets blancs des collines lointaines s'évanouirent dans l'obscurité. As the darkness deepened, the flakes, swirling and dancing before my eyes, became more abundant and the chill in the air became more intense... At last, one by one, the white peaks of the distant hills vanished into the 'darkness. La brise se changea en un vent gémissant. The breeze changed to a moaning wind. Je vis l'ombre centrale de l'éclipse s'étendre vers moi. I saw the central shadow of the eclipse extending towards me. En un autre instant, seules les pâles étoiles furent visibles. In another moment, only the faint stars were visible. Tout le reste fut plongé dans la plus grande obscurité. Everything else was plunged into utter darkness. Le ciel devint absolument noir. The sky became absolutely black.

« Une horreur me prit de ces grandes ténèbres. “A horror seized me from this great darkness. Le froid qui me pénétrait jusqu'aux moelles et la souffrance que me causait chacune de mes respirations eurent raison de moi. The cold that penetrated me to the marrow and the pain caused by each of my breaths got the better of me. Je frissonnai et une nausée mortelle m'envahit. I shivered and a deathly nausea washed over me. Alors, comme un grand fer rouge, réapparut au ciel le contour du disque solaire. Then, like a great red-hot iron, the outline of the solar disk reappeared in the sky. Je descendis de la Machine pour reprendre mes sens, car je me sentais engourdi et incapable d'affronter le retour. I climbed out of the Machine to regain my senses, for I felt numb and unable to face the return. Tandis que j'étais là, mal à l'aise et étourdi, je vis de nouveau, contre le fond rougeâtre de la mer, l'objet qui remuait sur le banc de sable : il n'y avait plus maintenant de méprise possible, c'était bien quelque chose d'animé, une chose ronde de la grosseur d'un ballon de football à peu près, ou peut-être un peu plus gros, avec des tentacules traînant par-derrière, qui paraissait noire contre le bouillonnement rouge-sang de la mer, et sautillait gauchement de-ci, de-là. While I was there, ill at ease and dazed, I saw again, against the reddish bottom of the sea, the object which moved on the sand bank: there was now no longer any possible misunderstanding, it was definitely something animated, a round thing about the size of a football or maybe a little bigger, with tentacles trailing behind it, that looked black against the red bubbling -blood of the sea, and hopped awkwardly here and there. À ce moment, je me sentis presque défaillir. At that moment, I almost felt faint. Mais la peur terrible de rester privé de secours dans ce crépuscule reculé et épouvantable me donna des forces suffisantes pour regrimper sur la selle. But the terrible fear of being deprived of help in this remote and dreadful twilight gave me sufficient strength to climb back into the saddle.