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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre XIV (1)

Chapitre XIV (1)

Rentré chez moi, je me mis à pleurer comme un enfant. Il n'y a pas d'homme qui n'ait été trompé au moins une fois, et qui ne sache ce que l'on souffre.

Je me dis, sous le poids de ces résolutions de la fièvre que l'on croit toujours avoir la force de tenir, qu'il fallait rompre immédiatement avec cet amour, et j'attendis le jour avec impatience pour aller retenir ma place, retourner auprès de mon père et de ma soeur, double amour dont j'étais certain, et qui ne me tromperait pas, lui.

Cependant je ne voulais pas partir sans que Marguerite sût bien pourquoi je partais. Seul, un homme qui n'aime décidément plus sa maîtresse la quitte sans lui écrire.

Je fis et refis vingt lettres dans ma tête.

J'avais eu affaire à une fille semblable à toutes les filles entretenues, je l'avais beaucoup trop poétisée, elle m'avait traité en écolier, en employant, pour me tromper, une ruse d'une simplicité insultante, c'était clair. Mon amour-propre prit alors le dessus. Il fallait quitter cette femme sans lui donner la satisfaction de savoir ce que cette rupture me faisait souffrir, et voici ce que je lui écrivis de mon écriture la plus élégante, et des larmes de rage et de douleur dans les yeux :

« Ma chère Marguerite,

« J'espère que votre indisposition d'hier aura été peu de chose. J'ai été, à onze heures du soir, demander de vos nouvelles, et l'on m'a répondu que vous n'étiez pas rentrée. M. de G… a été plus heureux que moi, car il s'est présenté quelques instants après, et à quatre heures du matin il était encore chez vous.

« Pardonnez-moi les quelques heures ennuyeuses que je vous ai fait passer, et soyez sûre que je n'oublierai jamais les moments heureux que je vous dois.

« Je serais bien allé savoir de vos nouvelles aujourd'hui, mais je compte retourner près de mon père.

« Adieu, ma chère Marguerite ; je ne suis ni assez riche pour vous aimer comme je le voudrais, ni assez pauvre pour vous aimer comme vous le voudriez. Oublions donc, vous, un nom qui doit vous être à peu près indifférent, moi, un bonheur qui me devient impossible.

« Je vous renvoie votre clef, qui ne m'a jamais servi et qui pourra vous être utile, si vous êtes souvent malade comme vous l'étiez hier. »

Vous le voyez, je n'avais pas eu la force de finir cette lettre sans une impertinente ironie, ce qui prouvait combien j'étais encore amoureux.

Je lus et relus dix fois cette lettre, et l'idée qu'elle ferait de la peine à Marguerite me calma un peu. J'essayai de m'enhardir dans les sentiments qu'elle affectait, et quand, à huit heures, mon domestique entra chez moi, je la lui remis pour qu'il la portât tout de suite.

– Faudra-t-il attendre une réponse ? Me demanda Joseph (mon domestique s'appelait Joseph, comme tous les domestiques).

– Si l'on vous demande s'il y a une réponse, vous direz que vous n'en savez rien et vous attendrez.

Je me rattachais à cette espérance qu'elle allait me répondre.

Pauvres et faibles que nous sommes !

Tout le temps que mon domestique resta dehors, je fus dans une agitation extrême. Tantôt me rappelant comment Marguerite s'était donnée à moi, je me demandais de quel droit je lui écrivais une lettre impertinente, quand elle pouvait me répondre que ce n'était pas M. de G… qui me trompait, mais moi qui trompais M. de G… ; raisonnement qui permet à bien des femmes d'avoir plusieurs amants. Tantôt, me rappelant les serments de cette fille, je voulais me convaincre que ma lettre était trop douce encore et qu'il n'y avait pas d'expressions assez fortes pour flétrir une femme qui se riait d'un amour aussi sincère que le mien. Puis, je me disais que j'aurais mieux fait de ne pas lui écrire, d'aller chez elle dans la journée, et que, de cette façon, j'aurais joui des larmes que je lui aurais fait répandre.

Enfin, je me demandais ce qu'elle allait me répondre, déjà prêt à croire l'excuse qu'elle me donnerait.

Joseph revint.

– Eh bien ? Lui dis-je.

– Monsieur, me répondit-il, madame était couchée et dormait encore, mais dès qu'elle sonnera, on lui remettra la lettre, et s'il y a une réponse on l'apportera.

Elle dormait !

Vingt fois je fus sur le point de renvoyer chercher cette lettre, mais je me disais toujours :

– On la lui a peut-être déjà remise, et j'aurais l'air de me repentir.

Plus l'heure à laquelle il était vraisemblable qu'elle me répondît approchait, plus je regrettais d'avoir écrit.

Dix heures, onze heures, midi sonnèrent.

À midi, je fus au moment d'aller au rendez-vous, comme si rien ne s'était passé. Enfin, je ne savais qu'imaginer pour sortir du cercle de fer qui m'étreignait.

Alors, je crus, avec cette superstition des gens qui attendent, que, si je sortais un peu, à mon retour je trouverais une réponse. Les réponses impatiemment attendues arrivent toujours quand on n'est pas chez soi.

Je sortis sous prétexte d'aller déjeuner.

Au lieu de déjeuner au café Foy, au coin du boulevard, comme j'avais l'habitude de le faire, je préférai aller déjeuner au Palais-Royal et passer par la rue d'Antin. Chaque fois que de loin j'apercevais une femme, je croyais voir Nanine m'apportant une réponse. Je passai rue d'Antin sans avoir même rencontré un commissionnaire. J'arrivai au Palais-Royal, j'entrai chez Véry. Le garçon me fit manger ou plutôt me servit ce qu'il voulut, car je ne mangeai pas.

Malgré moi, mes yeux se fixaient toujours sur la pendule.

Je rentrai, convaincu que j'allais trouver une lettre de Marguerite.

Le portier n'avait rien reçu. J'espérais encore dans mon domestique. Celui-ci n'avait vu personne depuis mon départ.

Si Marguerite avait dû me répondre, elle m'eût répondu depuis longtemps.

Alors, je me mis à regretter les termes de ma lettre ; j'aurais dû me taire complètement, ce qui eût sans doute fait faire une démarche à son inquiétude ; car, ne me voyant pas venir au rendez-vous la veille, elle m'eût demandé les raisons de mon absence, et alors seulement j'eusse dû les lui donner. De cette façon, elle n'eût pu faire autrement que de se disculper, et ce que je voulais, c'était qu'elle se disculpât. Je sentais déjà que, quelques raisons qu'elle m'eût objectées, je les aurais crues, et que j'aurais mieux tout aimé que de ne plus la voir.

J'en arrivai à croire qu'elle allait venir elle-même chez moi, mais les heures se passèrent et elle ne vint pas.

Décidément, Marguerite n'était pas comme toutes les femmes, car il y en a bien peu qui, en recevant une lettre semblable à celle que je venais d'écrire, ne répondent pas quelque chose.

À cinq heures, je courus aux Champs-Élysées.

– Si je la rencontre, pensais-je, j'affecterai un air indifférent, et elle sera convaincue que je ne songe déjà plus à elle.

Au tournant de la rue Royale, je la vis passer dans sa voiture ; la rencontre fut si brusque que je pâlis. J'ignore si elle vit mon émotion ; moi, j'étais si troublé que je ne vis que sa voiture.

Je ne continuai pas ma promenade aux Champs-Élysées. Je regardai les affiches des théâtres, car j'avais encore une chance de la voir.

Il y avait une première représentation au Palais-Royal. Marguerite devait évidemment y assister.

J'étais au théâtre à sept heures.

Toutes les loges s'emplirent, mais Marguerite ne parut pas.

Alors, je quittai le Palais-Royal, et j'entrai dans tous les théâtres où elle allait le plus souvent, au Vaudeville, aux Variétés, à l'Opéra-Comique.

Elle n'était nulle part.

Ou ma lettre lui avait fait trop de peine pour qu'elle s'occupât de spectacle, ou elle craignait de se trouver avec moi, et voulait éviter une explication.

Voilà ce que ma vanité me soufflait sur le boulevard, quand je rencontrai Gaston qui me demanda d'où je venais.

– Du Palais-Royal.

– Et moi de l'Opéra, me dit-il ; je croyais même vous y voir.

– Pourquoi ?

– Parce que Marguerite y était.

– Ah ! Elle y était ?

– Oui.

– Seule ?

– Non, avec une de ses amies.

– Voilà tout ?

– Le comte de G… est venu un instant dans sa loge ; mais elle s'en est allée avec le duc. À chaque instant, je croyais vous voir paraître. Il y avait à côté de moi une stalle qui est restée vide toute la soirée, et j'étais convaincu qu'elle était louée par vous.

– Mais pourquoi irais-je où Marguerite va ?

– Parce que vous êtes son amant, pardieu !

– Et qui vous a dit cela ?

– Prudence, que j'ai rencontrée hier. Je vous en félicite, mon cher ; c'est une jolie maîtresse que n'a pas qui veut. Gardez-la, elle vous fera honneur.

Cette simple réflexion de Gaston me montra combien mes susceptibilités étaient ridicules.

Si je l'avais rencontré la veille et qu'il m'eût parlé ainsi, je n'eusse certainement pas écrit la sotte lettre du matin.

Je fus au moment d'aller chez Prudence et de l'envoyer dire à Marguerite que j'avais à lui parler ; mais je craignis que pour se venger elle ne me répondît qu'elle ne pouvait pas me recevoir, et je rentrai chez moi après être passé par la rue d'Antin.

Je demandai de nouveau à mon portier s'il avait une lettre pour moi.

Rien ! Elle aura voulu voir si je ferais quelque nouvelle démarche et si je rétracterais ma lettre aujourd'hui, me dis-je en me couchant ; mais, voyant que je ne lui écris pas, elle m'écrira demain.

Ce soir-là surtout je me repentis de ce que j'avais fait. J'étais seul chez moi, ne pouvant dormir, dévoré d'inquiétude et de jalousie quand, en laissant suivre aux choses leur véritable cours, j'aurais dû être auprès de Marguerite et m'entendre dire les mots charmants que je n'avais entendus que deux fois, et qui me brûlaient les oreilles dans ma solitude.

Ce qu'il y avait d'affreux dans ma situation, c'est que le raisonnement me donnait tort ; en effet, tout me disait que Marguerite m'aimait. D'abord, ce projet de passer un été avec moi seul à la campagne, puis cette certitude que rien ne la forçait à être ma maîtresse, puisque ma fortune était insuffisante à ses besoins et même à ses caprices. Il n'y avait donc eu chez elle que l'espérance de trouver en moi une affection sincère, capable de la reposer des amours mercenaires au milieu desquelles elle vivait, et dès le second jour je détruisais cette espérance, et je payais en ironie impertinente l'amour accepté pendant deux nuits. Ce que je faisais était donc plus que ridicule, c'était indélicat. Avais-je seulement payé cette femme, pour avoir le droit de blâmer sa vie, et n'avais-je pas l'air, en me retirant dès le second jour, d'un parasite d'amour qui craint qu'on ne lui donne la carte de son dîner ? Comment ! Il y avait trente-six heures que je connaissais Marguerite ; il y en avait vingt-quatre que j'étais son amant, et je faisais le susceptible ; et au lieu de me trouver trop heureux qu'elle partageât pour moi, je voulais avoir tout à moi seul, et la contraindre à briser d'un coup les relations de son passé qui étaient les revenus de son avenir. Qu'avais-je à lui reprocher ? Rien. Elle m'avait écrit qu'elle était souffrante, quand elle eût pu me dire tout crûment, avec la hideuse franchise de certaines femmes, qu'elle avait un amant à recevoir ; et au lieu de croire à sa lettre, au lieu d'aller me promener dans toutes les rues de Paris, excepté dans la rue d'Antin ; au lieu de passer ma soirée avec mes amis et de me présenter le lendemain à l'heure qu'elle m'indiquait, je faisais l'Othello, je l'espionnais, et je croyais la punir en ne la voyant plus. Mais elle devait être enchantée au contraire de cette séparation ; mais elle devait me trouver souverainement sot, et son silence n'était pas même de la rancune ; c'était du dédain.

J'aurais dû alors faire à Marguerite un cadeau qui ne lui laissât aucun doute sur ma générosité, et qui m'eût permis, la traitant comme une fille entretenue, de me croire quitte avec elle ; mais j'eusse cru offenser par la moindre apparence de trafic, sinon l'amour qu'elle avait pour moi, du moins l'amour que j'avais pour elle, et puisque cet amour était si pur qu'il n'admettait pas le partage, il ne pouvait payer par un présent, si beau qu'il fût, le bonheur qu'on lui avait donné, si court qu'eût été ce bonheur.


Chapitre XIV (1) Kapitel XIV (1) Chapter XIV (1) Capítulo XIV (1)

Rentré chez moi, je me mis à pleurer comme un enfant. Il n'y a pas d'homme qui n'ait été trompé au moins une fois, et qui ne sache ce que l'on souffre. There is no man who has not been deceived at least once, and who does not know what one suffers.

Je me dis, sous le poids de ces résolutions de la fièvre que l'on croit toujours avoir la force de tenir, qu'il fallait rompre immédiatement avec cet amour, et j'attendis le jour avec impatience pour aller retenir ma place, retourner auprès de mon père et de ma soeur, double amour dont j'étais certain, et qui ne me tromperait pas, lui. Unter der Last dieser Fieberentschlüsse, von denen man immer glaubt, die Kraft zu haben, sie durchzuhalten, sagte ich mir, dass ich sofort mit dieser Liebe brechen müsse, und ich wartete ungeduldig auf den Tag, um meinen Platz zu halten und zu meinem Vater und meiner Schwester zurückzukehren, der doppelten Liebe, derer ich mir sicher war und die mich nicht täuschen würde. I said to myself, under the weight of these feverish resolutions that one always thinks one has the strength to hold, that it was necessary to break immediately with this love, and I waited impatiently for daylight to go and hold my place, to return with my father and my sister, a double love of which I was certain, and which would not deceive me.

Cependant je ne voulais pas partir sans que Marguerite sût bien pourquoi je partais. However, I did not want to leave without Marguerite knowing why I was leaving. Seul, un homme qui n'aime décidément plus sa maîtresse la quitte sans lui écrire. Allein: Ein Mann, der seine Geliebte entschieden nicht mehr liebt, verlässt sie, ohne ihr zu schreiben. Alone, a man who decidedly no longer loves his mistress leaves her without writing to her.

Je fis et refis vingt lettres dans ma tête.

J'avais eu affaire à une fille semblable à toutes les filles entretenues, je l'avais beaucoup trop poétisée, elle m'avait traité en écolier, en employant, pour me tromper, une ruse d'une simplicité insultante, c'était clair. Ich hatte mit einem Mädchen zu tun gehabt, das allen gepflegten Mädchen glich, ich hatte sie viel zu sehr poetisiert, sie hatte mich wie einen Schuljungen behandelt und einen Trick von beleidigender Einfachheit angewendet, um mich zu täuschen, das war klar. I had dealt with a girl like all kept girls, I had poetized her far too much, she had treated me like a schoolboy, using a ruse of insulting simplicity to deceive me, that was clear. . Mon amour-propre prit alors le dessus. My self-esteem then took over. Il fallait quitter cette femme sans lui donner la satisfaction de savoir ce que cette rupture me faisait souffrir, et voici ce que je lui écrivis de mon écriture la plus élégante, et des larmes de rage et de douleur dans les yeux :

« Ma chère Marguerite,

« J'espère que votre indisposition d'hier aura été peu de chose. "Ich hoffe, dass Ihre gestrige Unpässlichkeit nur eine Kleinigkeit gewesen ist. J'ai été, à onze heures du soir, demander de vos nouvelles, et l'on m'a répondu que vous n'étiez pas rentrée. M. de G… a été plus heureux que moi, car il s'est présenté quelques instants après, et à quatre heures du matin il était encore chez vous. M. de G… was happier than me, because he showed up a few moments later, and at four o'clock in the morning he was still with you.

« Pardonnez-moi les quelques heures ennuyeuses que je vous ai fait passer, et soyez sûre que je n'oublierai jamais les moments heureux que je vous dois. "Forgive me for the boring few hours I gave you, and be sure that I will never forget the happy times I owe you."

« Je serais bien allé savoir de vos nouvelles aujourd'hui, mais je compte retourner près de mon père.

« Adieu, ma chère Marguerite ; je ne suis ni assez riche pour vous aimer comme je le voudrais, ni assez pauvre pour vous aimer comme vous le voudriez. Oublions donc, vous, un nom qui doit vous être à peu près indifférent, moi, un bonheur qui me devient impossible. So let's forget, you, a name which must be almost indifferent to you, me, a happiness which becomes impossible for me.

« Je vous renvoie votre clef, qui ne m'a jamais servi et qui pourra vous être utile, si vous êtes souvent malade comme vous l'étiez hier. »

Vous le voyez, je n'avais pas eu la force de finir cette lettre sans une impertinente ironie, ce qui prouvait combien j'étais encore amoureux.

Je lus et relus dix fois cette lettre, et l'idée qu'elle ferait de la peine à Marguerite me calma un peu. Ich las den Brief zehnmal und der Gedanke, dass er Marguerite Kummer bereiten würde, beruhigte mich ein wenig. J'essayai de m'enhardir dans les sentiments qu'elle affectait, et quand, à huit heures, mon domestique entra chez moi, je la lui remis pour qu'il la portât tout de suite. I tried to embolden myself in the feelings it affected, and when, at eight o'clock, my servant came into my room, I handed it to him to wear it at once.

– Faudra-t-il attendre une réponse ? Me demanda Joseph (mon domestique s'appelait Joseph, comme tous les domestiques).

– Si l'on vous demande s'il y a une réponse, vous direz que vous n'en savez rien et vous attendrez. – If you are asked if there is an answer, you will say that you don't know and you will wait.

Je me rattachais à cette espérance qu'elle allait me répondre.

Pauvres et faibles que nous sommes !

Tout le temps que mon domestique resta dehors, je fus dans une agitation extrême. Tantôt me rappelant comment Marguerite s'était donnée à moi, je me demandais de quel droit je lui écrivais une lettre impertinente, quand elle pouvait me répondre que ce n'était pas M. de G… qui me trompait, mais moi qui trompais M. de G… ; raisonnement qui permet à bien des femmes d'avoir plusieurs amants. Sometimes remembering how Marguerite had given herself to me, I wondered what right I had to write her an impertinent letter, when she could answer me that it was not M. de G… who was deceiving me, but I who was deceiving Mme. . of G…; reasoning which allows many women to have several lovers. Tantôt, me rappelant les serments de cette fille, je voulais me convaincre que ma lettre était trop douce encore et qu'il n'y avait pas d'expressions assez fortes pour flétrir une femme qui se riait d'un amour aussi sincère que le mien. Puis, je me disais que j'aurais mieux fait de ne pas lui écrire, d'aller chez elle dans la journée, et que, de cette façon, j'aurais joui des larmes que je lui aurais fait répandre. Then I said to myself that I would have done better not to write to her, to go to her house during the day, and that, in this way, I would have enjoyed the tears that I would have caused her to shed.

Enfin, je me demandais ce qu'elle allait me répondre, déjà prêt à croire l'excuse qu'elle me donnerait.

Joseph revint.

– Eh bien ? Lui dis-je.

– Monsieur, me répondit-il, madame était couchée et dormait encore, mais dès qu'elle sonnera, on lui remettra la lettre, et s'il y a une réponse on l'apportera.

Elle dormait !

Vingt fois je fus sur le point de renvoyer chercher cette lettre, mais je me disais toujours : Twenty times I was on the point of sending back for this letter, but I always said to myself:

– On la lui a peut-être déjà remise, et j'aurais l'air de me repentir. “Perhaps it has already been given to him, and I would seem to repent.

Plus l'heure à laquelle il était vraisemblable qu'elle me répondît approchait, plus je regrettais d'avoir écrit.

Dix heures, onze heures, midi sonnèrent.

À midi, je fus au moment d'aller au rendez-vous, comme si rien ne s'était passé. Um 12 Uhr mittags stand ich vor der Verabredung, als wäre nichts geschehen. Enfin, je ne savais qu'imaginer pour sortir du cercle de fer qui m'étreignait.

Alors, je crus, avec cette superstition des gens qui attendent, que, si je sortais un peu, à mon retour je trouverais une réponse. So I believed, with this superstition of people who wait, that if I went out for a bit, when I came back I would find an answer. Les réponses impatiemment attendues arrivent toujours quand on n'est pas chez soi.

Je sortis sous prétexte d'aller déjeuner.

Au lieu de déjeuner au café Foy, au coin du boulevard, comme j'avais l'habitude de le faire, je préférai aller déjeuner au Palais-Royal et passer par la rue d'Antin. Chaque fois que de loin j'apercevais une femme, je croyais voir Nanine m'apportant une réponse. Je passai rue d'Antin sans avoir même rencontré un commissionnaire. J'arrivai au Palais-Royal, j'entrai chez Véry. Le garçon me fit manger ou plutôt me servit ce qu'il voulut, car je ne mangeai pas. Der Junge ließ mich essen oder servierte mir vielmehr, was er wollte, denn ich aß nicht.

Malgré moi, mes yeux se fixaient toujours sur la pendule.

Je rentrai, convaincu que j'allais trouver une lettre de Marguerite.

Le portier n'avait rien reçu. J'espérais encore dans mon domestique. Celui-ci n'avait vu personne depuis mon départ.

Si Marguerite avait dû me répondre, elle m'eût répondu depuis longtemps.

Alors, je me mis à regretter les termes de ma lettre ; j'aurais dû me taire complètement, ce qui eût sans doute fait faire une démarche à son inquiétude ; car, ne me voyant pas venir au rendez-vous la veille, elle m'eût demandé les raisons de mon absence, et alors seulement j'eusse dû les lui donner. So I began to regret the terms of my letter; I should have been completely silent, which no doubt would have made her uneasiness take steps; for, not seeing me come to the rendezvous the day before, she would have asked me the reasons for my absence, and only then would I have had to give them to her. De cette façon, elle n'eût pu faire autrement que de se disculper, et ce que je voulais, c'était qu'elle se disculpât. That way, she couldn't help exculpating herself, and what I wanted was for her to exonerate herself. Je sentais déjà que, quelques raisons qu'elle m'eût objectées, je les aurais crues, et que j'aurais mieux tout aimé que de ne plus la voir. Ich spürte bereits, dass ich ihr alle Gründe, die sie mir entgegengehalten hätte, geglaubt hätte und dass ich alles lieber gehabt hätte, als sie nicht mehr zu sehen.

J'en arrivai à croire qu'elle allait venir elle-même chez moi, mais les heures se passèrent et elle ne vint pas.

Décidément, Marguerite n'était pas comme toutes les femmes, car il y en a bien peu qui, en recevant une lettre semblable à celle que je venais d'écrire, ne répondent pas quelque chose.

À cinq heures, je courus aux Champs-Élysées.

– Si je la rencontre, pensais-je, j'affecterai un air indifférent, et elle sera convaincue que je ne songe déjà plus à elle. - If I meet her, I thought, I will affect an air of indifference, and she will be convinced that I no longer think of her.

Au tournant de la rue Royale, je la vis passer dans sa voiture ; la rencontre fut si brusque que je pâlis. At the corner of the rue Royale, I saw her pass in her carriage; the meeting was so sudden that I turned pale. J'ignore si elle vit mon émotion ; moi, j'étais si troublé que je ne vis que sa voiture.

Je ne continuai pas ma promenade aux Champs-Élysées. Je regardai les affiches des théâtres, car j'avais encore une chance de la voir.

Il y avait une première représentation au Palais-Royal. Marguerite devait évidemment y assister.

J'étais au théâtre à sept heures.

Toutes les loges s'emplirent, mais Marguerite ne parut pas.

Alors, je quittai le Palais-Royal, et j'entrai dans tous les théâtres où elle allait le plus souvent, au Vaudeville, aux Variétés, à l'Opéra-Comique.

Elle n'était nulle part.

Ou ma lettre lui avait fait trop de peine pour qu'elle s'occupât de spectacle, ou elle craignait de se trouver avec moi, et voulait éviter une explication.

Voilà ce que ma vanité me soufflait sur le boulevard, quand je rencontrai Gaston qui me demanda d'où je venais.

– Du Palais-Royal.

– Et moi de l'Opéra, me dit-il ; je croyais même vous y voir.

– Pourquoi ?

– Parce que Marguerite y était.

– Ah ! Elle y était ?

– Oui.

– Seule ?

– Non, avec une de ses amies.

– Voilà tout ? - Ist das alles?

– Le comte de G… est venu un instant dans sa loge ; mais elle s'en est allée avec le duc. À chaque instant, je croyais vous voir paraître. Il y avait à côté de moi une stalle qui est restée vide toute la soirée, et j'étais convaincu qu'elle était louée par vous.

– Mais pourquoi irais-je où Marguerite va ?

– Parce que vous êtes son amant, pardieu !

– Et qui vous a dit cela ?

– Prudence, que j'ai rencontrée hier. Je vous en félicite, mon cher ; c'est une jolie maîtresse que n'a pas qui veut. Gardez-la, elle vous fera honneur.

Cette simple réflexion de Gaston me montra combien mes susceptibilités étaient ridicules.

Si je l'avais rencontré la veille et qu'il m'eût parlé ainsi, je n'eusse certainement pas écrit la sotte lettre du matin.

Je fus au moment d'aller chez Prudence et de l'envoyer dire à Marguerite que j'avais à lui parler ; mais je craignis que pour se venger elle ne me répondît qu'elle ne pouvait pas me recevoir, et je rentrai chez moi après être passé par la rue d'Antin.

Je demandai de nouveau à mon portier s'il avait une lettre pour moi.

Rien ! Elle aura voulu voir si je ferais quelque nouvelle démarche et si je rétracterais ma lettre aujourd'hui, me dis-je en me couchant ; mais, voyant que je ne lui écris pas, elle m'écrira demain.

Ce soir-là surtout je me repentis de ce que j'avais fait. J'étais seul chez moi, ne pouvant dormir, dévoré d'inquiétude et de jalousie quand, en laissant suivre aux choses leur véritable cours, j'aurais dû être auprès de Marguerite et m'entendre dire les mots charmants que je n'avais entendus que deux fois, et qui me brûlaient les oreilles dans ma solitude.

Ce qu'il y avait d'affreux dans ma situation, c'est que le raisonnement me donnait tort ; en effet, tout me disait que Marguerite m'aimait. D'abord, ce projet de passer un été avec moi seul à la campagne, puis cette certitude que rien ne la forçait à être ma maîtresse, puisque ma fortune était insuffisante à ses besoins et même à ses caprices. Il n'y avait donc eu chez elle que l'espérance de trouver en moi une affection sincère, capable de la reposer des amours mercenaires au milieu desquelles elle vivait, et dès le second jour je détruisais cette espérance, et je payais en ironie impertinente l'amour accepté pendant deux nuits. Ce que je faisais était donc plus que ridicule, c'était indélicat. Avais-je seulement payé cette femme, pour avoir le droit de blâmer sa vie, et n'avais-je pas l'air, en me retirant dès le second jour, d'un parasite d'amour qui craint qu'on ne lui donne la carte de son dîner ? Had I only paid this woman, to have the right to blame her life, and did I not look, when I withdrew on the second day, like a parasite of love who fears that we will not give her dinner menu? Comment ! Il y avait trente-six heures que je connaissais Marguerite ; il y en avait vingt-quatre que j'étais son amant, et je faisais le susceptible ; et au lieu de me trouver trop heureux qu'elle partageât pour moi, je voulais avoir tout à moi seul, et la contraindre à briser d'un coup les relations de son passé qui étaient les revenus de son avenir. I had known Marguerite for thirty-six hours; there were twenty-four that I was her lover, and I acted susceptible; and instead of finding myself too happy that she shared for me, I wanted to have everything to myself, and to force her to break at once the relations of her past which were the income of her future. Qu'avais-je à lui reprocher ? What had I to reproach him for? Rien. Elle m'avait écrit qu'elle était souffrante, quand elle eût pu me dire tout crûment, avec la hideuse franchise de certaines femmes, qu'elle avait un amant à recevoir ; et au lieu de croire à sa lettre, au lieu d'aller me promener dans toutes les rues de Paris, excepté dans la rue d'Antin ; au lieu de passer ma soirée avec mes amis et de me présenter le lendemain à l'heure qu'elle m'indiquait, je faisais l'Othello, je l'espionnais, et je croyais la punir en ne la voyant plus. Mais elle devait être enchantée au contraire de cette séparation ; mais elle devait me trouver souverainement sot, et son silence n'était pas même de la rancune ; c'était du dédain. But she must have been delighted, on the contrary, with this separation; but she must have found me supremely stupid, and her silence was not even resentment; it was disdain.

J'aurais dû alors faire à Marguerite un cadeau qui ne lui laissât aucun doute sur ma générosité, et qui m'eût permis, la traitant comme une fille entretenue, de me croire quitte avec elle ; mais j'eusse cru offenser par la moindre apparence de trafic, sinon l'amour qu'elle avait pour moi, du moins l'amour que j'avais pour elle, et puisque cet amour était si pur qu'il n'admettait pas le partage, il ne pouvait payer par un présent, si beau qu'il fût, le bonheur qu'on lui avait donné, si court qu'eût été ce bonheur. I ought then to have given Marguerite a present which would leave her in no doubt as to my generosity, and which would have enabled me, treating her like a kept girl, to believe myself quit with her; but I thought I would offend by the slightest appearance of traffic, if not the love she had for me, at least the love I had for her, and since this love was so pure that it did not admit the sharing, he could not pay with a present, however beautiful, the happiness that had been given him, however short that happiness might have been.