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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre IX (1)

Chapitre IX (1)

– Bonsoir, mon cher Gaston, dit Marguerite à mon compagnon, je suis bien aise de vous voir. Pourquoi n'êtes-vous pas entré dans ma loge aux Variétés ?

– Je craignais d'être indiscret.

– Les amis, et Marguerite appuya sur ce mot, comme si elle eût voulu faire comprendre à ceux qui étaient là que, malgré la façon familière dont elle l'accueillait, Gaston n'était et n'avait toujours été qu'un ami, les amis ne sont jamais indiscrets.

– Alors, vous me permettez de vous présenter M. Armand Duval !

– J'avais déjà autorisé Prudence à le faire.

– Du reste, madame, dis-je alors en m'inclinant et en parvenant à rendre des sons à peu près intelligibles, j'ai déjà eu l'honneur de vous être présenté.

L'oeil charmant de Marguerite sembla chercher dans son souvenir, mais elle ne se souvint point, ou parut ne point se souvenir.

– Madame, repris-je alors, je vous suis reconnaissant d'avoir oublié cette première présentation, car j'y fus très ridicule et dus vous paraître très ennuyeux. C'était, il y a deux ans, à l'Opéra-Comique ; j'étais avec Ernest de *…

– Ah ! je me rappelle ! reprit Marguerite avec un sourire. Ce n'est pas vous qui étiez ridicule, c'est moi qui étais taquine, comme je le suis encore un peu, mais moins cependant. Vous m'avez pardonné, monsieur ?

Et elle me tendit sa main que je baisai.

– C'est vrai, reprit-elle. Figurez-vous que j'ai la mauvaise habitude de vouloir embarrasser les gens que je vois pour la première fois. C'est très sot. Mon médecin dit que c'est parce que je suis nerveuse et toujours souffrante : croyez mon médecin.

– Mais vous paraissez très bien portante.

– Oh ! j'ai été bien malade.

– Je le sais.

– Qui vous l'a dit ?

– Tout le monde le savait ; je suis venu souvent savoir de vos nouvelles, et j'ai appris avec plaisir votre convalescence.

– On ne m'a jamais remis votre carte.

– Je ne l'ai jamais laissée.

– Serait-ce vous, ce jeune homme qui venait tous les jours s'informer de moi pendant ma maladie, et qui n'a jamais voulu dire son nom ?

– C'est moi.

– Alors, vous êtes plus qu'indulgent, vous êtes généreux. Ce n'est pas vous, comte, qui auriez fait cela, ajouta-t-elle en se tournant vers M. de N…, et après avoir jeté sur moi un de ces regards par lesquels les femmes complètent leur opinion sur un homme.

– Je ne vous connais que depuis deux mois, répliqua le comte.

– Et monsieur qui ne me connaît que depuis cinq minutes ! Vous répondez toujours des niaiseries.

Les femmes sont impitoyables avec les gens qu'elles n'aiment pas.

Le comte rougit et se mordit les lèvres.

J'eus pitié de lui, car il paraissait être amoureux comme moi, et la dure franchise de Marguerite devait le rendre bien malheureux, surtout en présence de deux étrangers.

– Vous faisiez de la musique quand nous sommes entrés, dis-je alors pour changer la conversation, ne me ferez-vous pas le plaisir de me traiter en vieille connaissance, et ne continuerez-vous pas ?

– Oh ! fit-elle en se jetant sur le canapé et en nous faisant signe de nous y asseoir, Gaston sait bien quel genre de musique je fais. C'est bon quand je suis seule avec le comte, mais je ne voudrais pas vous faire endurer pareil supplice.

– Vous avez cette préférence pour moi ? Répliqua M. de N… avec un sourire qu'il essaya de rendre fin et ironique.

– Vous avez tort de me la reprocher ; c'est la seule.

Il était décidé que ce pauvre garçon ne dirait pas un mot. Il jeta sur la jeune femme un regard vraiment suppliant.

– Dites donc, Prudence, continua-t-elle, avez-vous fait ce que je vous avais priée de faire ?

– Oui.

– C'est bien, vous me conterez cela plus tard. Nous avons à causer, vous ne vous en irez pas sans que je vous parle.

– Nous sommes sans doute indiscrets, dis-je alors, et, maintenant que nous avons ou plutôt que j'ai obtenu une seconde présentation pour faire oublier la première, nous allons nous retirer, Gaston et moi.

– Pas le moins du monde ; ce n'est pas pour vous que je dis cela. Je veux au contraire que vous restiez.

Le comte tira une montre fort élégante, à laquelle il regarda l'heure :

– Il est temps que j'aille au club, dit-il.

Marguerite ne répondit rien.

Le comte quitta alors la cheminée, et venant à elle :

– Adieu, madame.

Marguerite se leva.

– Adieu, mon cher comte, vous vous en allez déjà ?

– Oui, je crains de vous ennuyer.

– Vous ne m'ennuyez pas plus aujourd'hui que les autres jours. Quand vous verra-t-on ?

– Quand vous le permettrez.

– Adieu, alors !

C'était cruel, vous l'avouerez.

Le comte avait heureusement une fort bonne éducation et un excellent caractère. Il se contenta de baiser la main que Marguerite lui tendait assez nonchalamment, et de sortir après nous avoir salués.

Au moment où il franchissait la porte, il regarda Prudence.

Celle-ci leva les épaules d'un air qui signifiait :

– Que voulez-vous, j'ai fait tout ce que j'ai pu.

– Nanine ! cria Marguerite, éclaire M. le comte.

Nous entendîmes ouvrir et fermer la porte.

– Enfin ! s'écria Marguerite en reparaissant, le voilà parti ; ce garçon-là me porte horriblement sur les nerfs.

– Ma chère enfant, dit Prudence, vous êtes vraiment trop méchante avec lui, lui qui est si bon et si prévenant pour vous. Voilà encore sur votre cheminée une montre qu'il vous a donnée, et qui lui a coûté au moins mille écus, j'en suis sûre.

Et madame Duvernoy, qui s'était approchée de la cheminée, jouait avec le bijou dont elle parlait, et jetait dessus des regards de convoitise.

– Ma chère, dit Marguerite en s'asseyant à son piano quand je pèse d'un côté ce qu'il me donne et de l'autre ce qu'il me dit, je trouve que je lui passe ses visites bon marché.

– Ce pauvre garçon est amoureux de vous.

– S'il fallait que j'écoutasse tous ceux qui sont amoureux de moi, je n'aurais seulement pas le temps de dîner.

Et elle fit courir ses doigts sur le piano, après quoi se retournant elle nous dit :

– Voulez-vous prendre quelque chose ? Moi, je boirais bien un peu de punch.

– Et moi, je mangerais bien un peu de poulet, dit Prudence ; si nous soupions ?

– C'est cela, allons souper, dit Gaston.

– Non, nous allons souper ici.

Elle sonna. Nanine parut.

– Envoie chercher à souper.

– Que faut-il prendre ?

– Ce que tu voudras, mais tout de suite, tout de suite.

Nanine sortit.

– C'est cela, dit Marguerite en sautant comme une enfant, nous allons souper. Que cet imbécile de comte est ennuyeux !

Plus je voyais cette femme, plus elle m'enchantait. Elle était belle à ravir. Sa maigreur même était une grâce.

J'étais en contemplation.

Ce qui se passait en moi, j'aurais peine à l'expliquer. J'étais plein d'indulgence pour sa vie, plein d'admiration pour sa beauté. Cette preuve de désintéressement qu'elle donnait en n'acceptant pas un homme jeune, élégant et riche, tout prêt à se ruiner pour elle, excusait à mes yeux toutes ses fautes passées.

Il y avait dans cette femme quelque chose comme de la candeur.

On voyait qu'elle en était encore à la virginité du vice. Sa marche assurée, sa taille souple, ses narines roses et ouvertes, ses grands yeux légèrement cerclés de bleu, dénotaient une de ces natures ardentes qui répandent autour d'elles un parfum de volupté, comme ces flacons d'Orient qui, si bien fermés qu'ils soient, laissent échapper le parfum de la liqueur qu'ils renferment.

Enfin, soit nature, soit conséquence de son état maladif, il passait de temps en temps dans les yeux de cette femme des éclairs de désirs dont l'expansion eût été une révélation du ciel pour celui qu'elle eût aimé. Mais ceux qui avaient aimé Marguerite ne se comptaient plus, et ceux qu'elle avait aimés ne se comptaient pas encore.

Bref, on reconnaissait dans cette fille la vierge qu'un rien avait faite courtisane, et la courtisane dont un rien eût fait la vierge la plus amoureuse et la plus pure. Il y avait encore chez Marguerite de la fierté et de l'indépendance : deux sentiments qui, blessés, sont capables de faire ce que fait la pudeur. Je ne disais rien, mon âme semblait être passée toute dans mon coeur et mon coeur dans mes yeux.

– Ainsi, reprit-elle tout à coup, c'est vous qui veniez savoir de mes nouvelles quand j'étais malade ?

– Oui.

– Savez-vous que c'est très beau, cela ! Et que puis-je faire pour vous remercier ?

– Me permettre de venir de temps en temps vous voir.

– Tant que vous voudrez, de cinq heures à six, de onze heures à minuit. Dites donc, Gaston, jouez-moi l'Invitation à la valse.

– Pourquoi ?

– Pour me faire plaisir d'abord, et ensuite parce que je ne puis pas arriver à la jouer seule.

– Qu'est-ce qui vous embarrasse donc ?

– La troisième partie, le passage en dièse.

Gaston se leva, se mit au piano et commença cette merveilleuse mélodie de Weber, dont la musique était ouverte sur le pupitre.

Marguerite, une main appuyée sur le piano, regardait le cahier, suivait des yeux chaque note qu'elle accompagnait tout bas de la voix, et, quand Gaston en arriva au passage qu'elle lui avait indiqué, elle chantonna en faisant aller ses doigts sur le dos du piano :

– Ré, mi, ré, do, ré, fa, mi, ré, voilà ce que je ne puis faire. Recommencez.

Gaston recommença, après quoi Marguerite lui dit :

– Maintenant laissez-moi essayer.

Elle prit sa place et joua à son tour ; mais ses doigts rebelles se trompaient toujours sur l'une des notes que nous venons de dire.

– Est-ce incroyable, dit-elle avec une véritable intonation d'enfant, que je ne puisse pas arriver à jouer ce passage ! Croiriez-vous que je reste quelquefois jusqu'à deux heures du matin dessus ! Et quand je pense que cet imbécile de comte le joue sans musique et admirablement, c'est cela qui me rend furieuse contre lui, je crois.

Et elle recommença, toujours avec les mêmes résultats.

– Que le diable emporte Weber, la musique et les pianos ! dit-elle en jetant le cahier à l'autre bout de la chambre ; comprend-on que je ne puisse pas faire huit dièses de suite ?

Et elle se croisait les bras en nous regardant et en frappant du pied.

Le sang lui monta aux joues et une toux légère entr'ouvrit ses lèvres.

– Voyons, voyons, dit Prudence, qui avait ôté son chapeau et qui lissait ses bandeaux devant la glace, vous allez encore vous mettre en colère et vous faire mal ; allons souper, cela vaudra mieux ; moi, je meurs de faim.

Marguerite sonna de nouveau, puis elle se remit au piano et commença à demi-voix une chanson libertine, dans l'accompagnement de laquelle elle ne s'embrouilla point.

Gaston savait cette chanson, et ils en firent une espèce de duo.

– Ne chantez donc pas ces saletés-là, dis-je familièrement à Marguerite et avec un ton de prière.

– Oh ! comme vous êtes chaste ! me dit-elle en souriant et en me tendant la main.

– Ce n'est pas pour moi, c'est pour vous.

Marguerite fit un geste qui voulait dire : oh ! il y a longtemps que j'en ai fini, moi, avec la chasteté.

En ce moment Nanine parut.

– Le souper est-il prêt ? demanda Marguerite.

– Oui, madame, dans un instant.

– À propos, me dit Prudence, vous n'avez pas vu l'appartement ; venez, que je vous le montre.

Vous le savez, le salon était une merveille.

Marguerite nous accompagna un peu, puis elle appela Gaston et passa avec lui dans la salle à manger pour voir si le souper était prêt.

– Tiens, dit tout haut Prudence en regardant sur une étagère et en y prenant une figure de Saxe, je ne vous connaissais pas ce petit bonhomme-là !

– Lequel ?

– Un petit berger qui tient une cage avec un oiseau.

– Prenez-le, s'il vous fait plaisir.

– Ah ! Mais je crains de vous en priver.

– Je voulais le donner à ma femme de chambre, je le trouve hideux ; mais puisqu'il vous plaît, prenez-le.

Prudence ne vit que le cadeau et non la manière dont il était fait. Elle mit son bonhomme de côté, et m'emmena dans le cabinet de toilette, où, me montrant deux miniatures qui se faisaient pendant, elle me dit :


Chapitre IX (1) Kapitel IX (1) Chapter IX (1) Capítulo IX (1)

– Bonsoir, mon cher Gaston, dit Marguerite à mon compagnon, je suis bien aise de vous voir. Pourquoi n'êtes-vous pas entré dans ma loge aux Variétés ?

– Je craignais d'être indiscret.

– Les amis, et Marguerite appuya sur ce mot, comme si elle eût voulu faire comprendre à ceux qui étaient là que, malgré la façon familière dont elle l'accueillait, Gaston n'était et n'avait toujours été qu'un ami, les amis ne sont jamais indiscrets.

– Alors, vous me permettez de vous présenter M. Armand Duval !

– J'avais déjà autorisé Prudence à le faire.

– Du reste, madame, dis-je alors en m'inclinant et en parvenant à rendre des sons à peu près intelligibles, j'ai déjà eu l'honneur de vous être présenté.

L'oeil charmant de Marguerite sembla chercher dans son souvenir, mais elle ne se souvint point, ou parut ne point se souvenir.

– Madame, repris-je alors, je vous suis reconnaissant d'avoir oublié cette première présentation, car j'y fus très ridicule et dus vous paraître très ennuyeux. C'était, il y a deux ans, à l'Opéra-Comique ; j'étais avec Ernest de ***…

– Ah ! je me rappelle ! reprit Marguerite avec un sourire. Ce n'est pas vous qui étiez ridicule, c'est moi qui étais taquine, comme je le suis encore un peu, mais moins cependant. Vous m'avez pardonné, monsieur ?

Et elle me tendit sa main que je baisai.

– C'est vrai, reprit-elle. Figurez-vous que j'ai la mauvaise habitude de vouloir embarrasser les gens que je vois pour la première fois. C'est très sot. Mon médecin dit que c'est parce que je suis nerveuse et toujours souffrante : croyez mon médecin.

– Mais vous paraissez très bien portante.

– Oh ! j'ai été bien malade.

– Je le sais.

– Qui vous l'a dit ?

– Tout le monde le savait ; je suis venu souvent savoir de vos nouvelles, et j'ai appris avec plaisir votre convalescence. - Jeder wusste es; ich bin oft gekommen, um nach Ihnen zu fragen, und habe mit Freude von Ihrer Genesung gehört.

– On ne m'a jamais remis votre carte. - I was never given your card.

– Je ne l'ai jamais laissée.

– Serait-ce vous, ce jeune homme qui venait tous les jours s'informer de moi pendant ma maladie, et qui n'a jamais voulu dire son nom ? - Could it be you, the young man who came every day to ask about me during my illness, and who never wanted to give his name?

– C'est moi.

– Alors, vous êtes plus qu'indulgent, vous êtes généreux. Ce n'est pas vous, comte, qui auriez fait cela, ajouta-t-elle en se tournant vers M. de N…, et après avoir jeté sur moi un de ces regards par lesquels les femmes complètent leur opinion sur un homme.

– Je ne vous connais que depuis deux mois, répliqua le comte.

– Et monsieur qui ne me connaît que depuis cinq minutes ! Vous répondez toujours des niaiseries.

Les femmes sont impitoyables avec les gens qu'elles n'aiment pas.

Le comte rougit et se mordit les lèvres. The Count blushed and bit his lips.

J'eus pitié de lui, car il paraissait être amoureux comme moi, et la dure franchise de Marguerite devait le rendre bien malheureux, surtout en présence de deux étrangers.

– Vous faisiez de la musique quand nous sommes entrés, dis-je alors pour changer la conversation, ne me ferez-vous pas le plaisir de me traiter en vieille connaissance, et ne continuerez-vous pas ? - Sie haben Musik gemacht, als wir hereinkamen", sagte ich dann, um das Gespräch zu ändern, "werden Sie mir nicht die Freude machen, mich wie einen alten Bekannten zu behandeln, und werden Sie nicht fortfahren?

– Oh ! fit-elle en se jetant sur le canapé et en nous faisant signe de nous y asseoir, Gaston sait bien quel genre de musique je fais. C'est bon quand je suis seule avec le comte, mais je ne voudrais pas vous faire endurer pareil supplice. Es ist gut, wenn ich mit dem Grafen allein bin, aber ich möchte nicht, dass Sie solche Qualen erleiden müssen.

– Vous avez cette préférence pour moi ? Répliqua M. de N… avec un sourire qu'il essaya de rendre fin et ironique.

– Vous avez tort de me la reprocher ; c'est la seule.

Il était décidé que ce pauvre garçon ne dirait pas un mot. Es war beschlossene Sache, dass der arme Junge kein Wort sagen würde. Il jeta sur la jeune femme un regard vraiment suppliant.

– Dites donc, Prudence, continua-t-elle, avez-vous fait ce que je vous avais priée de faire ?

– Oui.

– C'est bien, vous me conterez cela plus tard. Nous avons à causer, vous ne vous en irez pas sans que je vous parle.

– Nous sommes sans doute indiscrets, dis-je alors, et, maintenant que nous avons ou plutôt que j'ai obtenu une seconde présentation pour faire oublier la première, nous allons nous retirer, Gaston et moi.

– Pas le moins du monde ; ce n'est pas pour vous que je dis cela. Je veux au contraire que vous restiez.

Le comte tira une montre fort élégante, à laquelle il regarda l'heure :

– Il est temps que j'aille au club, dit-il.

Marguerite ne répondit rien.

Le comte quitta alors la cheminée, et venant à elle :

– Adieu, madame.

Marguerite se leva.

– Adieu, mon cher comte, vous vous en allez déjà ?

– Oui, je crains de vous ennuyer.

– Vous ne m'ennuyez pas plus aujourd'hui que les autres jours. Quand vous verra-t-on ? When will we see you?

– Quand vous le permettrez.

– Adieu, alors !

C'était cruel, vous l'avouerez. Das war grausam, das müssen Sie zugeben.

Le comte avait heureusement une fort bonne éducation et un excellent caractère. Il se contenta de baiser la main que Marguerite lui tendait assez nonchalamment, et de sortir après nous avoir salués.

Au moment où il franchissait la porte, il regarda Prudence.

Celle-ci leva les épaules d'un air qui signifiait :

– Que voulez-vous, j'ai fait tout ce que j'ai pu. - What can I say, I did everything I could.

– Nanine ! cria Marguerite, éclaire M. le comte. rief Margarete, kläre den Herrn Grafen auf.

Nous entendîmes ouvrir et fermer la porte.

– Enfin ! s'écria Marguerite en reparaissant, le voilà parti ; ce garçon-là me porte horriblement sur les nerfs. exclaimed Marguerite as she reappeared, "there he goes; that boy's got my nerves on edge.

– Ma chère enfant, dit Prudence, vous êtes vraiment trop méchante avec lui, lui qui est si bon et si prévenant pour vous. Voilà encore sur votre cheminée une montre qu'il vous a donnée, et qui lui a coûté au moins mille écus, j'en suis sûre.

Et madame Duvernoy, qui s'était approchée de la cheminée, jouait avec le bijou dont elle parlait, et jetait dessus des regards de convoitise.

– Ma chère, dit Marguerite en s'asseyant à son piano quand je pèse d'un côté ce qu'il me donne et de l'autre ce qu'il me dit, je trouve que je lui passe ses visites bon marché.

– Ce pauvre garçon est amoureux de vous.

– S'il fallait que j'écoutasse tous ceux qui sont amoureux de moi, je n'aurais seulement pas le temps de dîner. “If I had to listen to everyone who's in love with me, I wouldn't even have time for dinner.

Et elle fit courir ses doigts sur le piano, après quoi se retournant elle nous dit :

– Voulez-vous prendre quelque chose ? Moi, je boirais bien un peu de punch.

– Et moi, je mangerais bien un peu de poulet, dit Prudence ; si nous soupions ? - Und ich würde gerne ein bisschen Huhn essen", sagte Prudence; "wenn wir seufzen?

– C'est cela, allons souper, dit Gaston. - Das ist richtig, gehen wir zum Abendessen", sagte Gaston. "That's it, let's go to supper," said Gaston.

– Non, nous allons souper ici.

Elle sonna. She rang. Nanine parut. Nanine appeared.

– Envoie chercher à souper.

– Que faut-il prendre ? – What should I take?

– Ce que tu voudras, mais tout de suite, tout de suite.

Nanine sortit.

– C'est cela, dit Marguerite en sautant comme une enfant, nous allons souper. Que cet imbécile de comte est ennuyeux ! What an annoying idiot the Count is!

Plus je voyais cette femme, plus elle m'enchantait. Elle était belle à ravir. Sa maigreur même était une grâce.

J'étais en contemplation.

Ce qui se passait en moi, j'aurais peine à l'expliquer. J'étais plein d'indulgence pour sa vie, plein d'admiration pour sa beauté. Cette preuve de désintéressement qu'elle donnait en n'acceptant pas un homme jeune, élégant et riche, tout prêt à se ruiner pour elle, excusait à mes yeux toutes ses fautes passées.

Il y avait dans cette femme quelque chose comme de la candeur. There was something like candor in this woman.

On voyait qu'elle en était encore à la virginité du vice. You could see that she was still in the virginity of vice. Sa marche assurée, sa taille souple, ses narines roses et ouvertes, ses grands yeux légèrement cerclés de bleu, dénotaient une de ces natures ardentes qui répandent autour d'elles un parfum de volupté, comme ces flacons d'Orient qui, si bien fermés qu'ils soient, laissent échapper le parfum de la liqueur qu'ils renferment. Her confident walk, her supple waist, her pink and open nostrils, her large eyes slightly circled in blue, denoted one of those ardent natures which spread around them a perfume of voluptuousness, like those Oriental flasks which, so tightly closed whatever they are, let out the perfume of the liquor they contain.

Enfin, soit nature, soit conséquence de son état maladif, il passait de temps en temps dans les yeux de cette femme des éclairs de désirs dont l'expansion eût été une révélation du ciel pour celui qu'elle eût aimé. Mais ceux qui avaient aimé Marguerite ne se comptaient plus, et ceux qu'elle avait aimés ne se comptaient pas encore.

Bref, on reconnaissait dans cette fille la vierge qu'un rien avait faite courtisane, et la courtisane dont un rien eût fait la vierge la plus amoureuse et la plus pure. In short, one recognized in this girl the virgin whom nothing had made a courtesan, and the courtesan whom nothing had made the most amorous and purest virgin. Il y avait encore chez Marguerite de la fierté et de l'indépendance : deux sentiments qui, blessés, sont capables de faire ce que fait la pudeur. There was still pride and independence in Marguerite: two feelings which, wounded, are capable of doing what modesty does. Je ne disais rien, mon âme semblait être passée toute dans mon coeur et mon coeur dans mes yeux. I said nothing, my soul seemed to have passed entirely through my heart and my heart through my eyes.

– Ainsi, reprit-elle tout à coup, c'est vous qui veniez savoir de mes nouvelles quand j'étais malade ?

– Oui.

– Savez-vous que c'est très beau, cela ! - Do you know that it is very beautiful, that! Et que puis-je faire pour vous remercier ? And what can I do to thank you?

– Me permettre de venir de temps en temps vous voir.

– Tant que vous voudrez, de cinq heures à six, de onze heures à minuit. “As long as you like, from five to six, from eleven to midnight. Dites donc, Gaston, jouez-moi l'Invitation à la valse.

– Pourquoi ?

– Pour me faire plaisir d'abord, et ensuite parce que je ne puis pas arriver à la jouer seule. – To please me first, and then because I can't manage to play it alone.

– Qu'est-ce qui vous embarrasse donc ? "So what embarrasses you?"

– La troisième partie, le passage en dièse. – The third part, the sharp passage.

Gaston se leva, se mit au piano et commença cette merveilleuse mélodie de Weber, dont la musique était ouverte sur le pupitre.

Marguerite, une main appuyée sur le piano, regardait le cahier, suivait des yeux chaque note qu'elle accompagnait tout bas de la voix, et, quand Gaston en arriva au passage qu'elle lui avait indiqué, elle chantonna en faisant aller ses doigts sur le dos du piano :

– Ré, mi, ré, do, ré, fa, mi, ré, voilà ce que je ne puis faire. - D, E, D, C, D, F, E, D, that's what I can't do. Recommencez.

Gaston recommença, après quoi Marguerite lui dit :

– Maintenant laissez-moi essayer.

Elle prit sa place et joua à son tour ; mais ses doigts rebelles se trompaient toujours sur l'une des notes que nous venons de dire.

– Est-ce incroyable, dit-elle avec une véritable intonation d'enfant, que je ne puisse pas arriver à jouer ce passage ! Croiriez-vous que je reste quelquefois jusqu'à deux heures du matin dessus ! Et quand je pense que cet imbécile de comte le joue sans musique et admirablement, c'est cela qui me rend furieuse contre lui, je crois. And when I think that stupid count plays it without music and admirably, that's what makes me furious with him, I think.

Et elle recommença, toujours avec les mêmes résultats.

– Que le diable emporte Weber, la musique et les pianos ! - Der Teufel soll Weber, die Musik und die Klaviere holen! - Devil take Weber, music and pianos! dit-elle en jetant le cahier à l'autre bout de la chambre ; comprend-on que je ne puisse pas faire huit dièses de suite ?

Et elle se croisait les bras en nous regardant et en frappant du pied. And she crossed her arms, looking at us and stamping her foot.

Le sang lui monta aux joues et une toux légère entr'ouvrit ses lèvres. Blood rushed to his cheeks and a light cough parted his lips.

– Voyons, voyons, dit Prudence, qui avait ôté son chapeau et qui lissait ses bandeaux devant la glace, vous allez encore vous mettre en colère et vous faire mal ; allons souper, cela vaudra mieux ; moi, je meurs de faim.

Marguerite sonna de nouveau, puis elle se remit au piano et commença à demi-voix une chanson libertine, dans l'accompagnement de laquelle elle ne s'embrouilla point. Marguerite rang again, then went back to the piano and began a libertine song in a low voice, in the accompaniment of which she did not get confused.

Gaston savait cette chanson, et ils en firent une espèce de duo. Gaston knew this song, and they made a sort of duet of it.

– Ne chantez donc pas ces saletés-là, dis-je familièrement à Marguerite et avec un ton de prière. "Don't sing that filth," I said familiarly to Marguerite and in a prayerful tone.

– Oh ! comme vous êtes chaste ! me dit-elle en souriant et en me tendant la main.

– Ce n'est pas pour moi, c'est pour vous.

Marguerite fit un geste qui voulait dire : oh ! il y a longtemps que j'en ai fini, moi, avec la chasteté.

En ce moment Nanine parut.

– Le souper est-il prêt ? demanda Marguerite.

– Oui, madame, dans un instant.

– À propos, me dit Prudence, vous n'avez pas vu l'appartement ; venez, que je vous le montre.

Vous le savez, le salon était une merveille.

Marguerite nous accompagna un peu, puis elle appela Gaston et passa avec lui dans la salle à manger pour voir si le souper était prêt.

– Tiens, dit tout haut Prudence en regardant sur une étagère et en y prenant une figure de Saxe, je ne vous connaissais pas ce petit bonhomme-là ! “Here,” said Prudence aloud, looking on a shelf and taking a figure of Saxony from it, “I didn't know you, that little fellow!

– Lequel ?

– Un petit berger qui tient une cage avec un oiseau.

– Prenez-le, s'il vous fait plaisir.

– Ah ! Mais je crains de vous en priver.

– Je voulais le donner à ma femme de chambre, je le trouve hideux ; mais puisqu'il vous plaît, prenez-le.

Prudence ne vit que le cadeau et non la manière dont il était fait. Prudence saw only the gift, not the way it was given. Elle mit son bonhomme de côté, et m'emmena dans le cabinet de toilette, où, me montrant deux miniatures qui se faisaient pendant, elle me dit : Sie legte ihr Männchen beiseite und nahm mich mit in den Toilettenraum, wo sie mir zwei Miniaturen zeigte, die sich gegenüberstanden, und sagte: She put her man aside and led me into the dressing room, where, showing me two pendant miniatures, she said to me: