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La Dame aux Camélias - Dumas Fils, Chapitre II

Chapitre II

La vente était pour le 16.

Un jour d'intervalle avait été laissé entre les visites et la vente pour donner aux tapissiers le temps de déclouer les tentures, rideaux, etc.

À cette époque, je revenais de voyage. Il était assez naturel que l'on ne m'eût pas appris la mort de Marguerite comme une de ces grandes nouvelles que ses amis apprennent toujours à celui qui revient dans la capitale des nouvelles. Marguerite était jolie, mais autant la vie recherchée de ces femmes fait de bruit, autant leur mort en fait peu. Ce sont de ces soleils qui se couchent comme ils se sont levés, sans éclat. Leur mort, quand elles meurent jeunes, est apprise de tous leurs amants en même temps, car, à Paris presque tous les amants d'une fille connue vivent en intimité. Quelques souvenirs s'échangent à son sujet, et la vie des uns et des autres continue sans que cet incident la trouble même d'une larme.

Aujourd'hui, quand on a vingt-cinq ans, les larmes deviennent une chose si rare qu'on ne peut les donner à la première venue. C'est tout au plus si les parents qui payent pour être pleurés le sont en raison du prix qu'ils y mettent.

Quant à moi, quoique mon chiffre ne se retrouvât sur aucun des nécessaires de Marguerite, cette indulgence instinctive, cette pitié naturelle que je viens d'avouer tout à l'heure me faisaient songer à sa mort plus longtemps qu'elle ne méritait peut-être que j'y songeasse.

Je me rappelais avoir rencontré Marguerite très souvent aux Champs-Élysées, où elle venait assidûment, tous les jours, dans un petit coupé bleu attelé de deux magnifiques chevaux bais, et avoir alors remarqué en elle une distinction peu commune à ses semblables, distinction que rehaussait encore une beauté vraiment exceptionnelle.

Ces malheureuses créatures sont toujours, quand elles sortent, accompagnées on ne sait de qui.

Comme aucun homme ne consent à afficher publiquement l'amour nocturne qu'il a pour elles, comme elles ont horreur de la solitude, elles emmènent ou celles qui, moins heureuses, n'ont pas de voiture, ou quelques-unes de ces vieilles élégantes dont rien ne motive l'élégance, et à qui l'on peut s'adresser sans crainte, quand on veut avoir quelques détails que ce soient sur la femme qu'elles accompagnent.

Il n'en était pas ainsi pour Marguerite. Elle arrivait aux Champs-Élysées toujours seule, dans sa voiture, où elle s'effaçait le plus possible, l'hiver enveloppée d'un grand cachemire, l'été vêtue de robes fort simples ; et, quoiqu'il y eût sur sa promenade favorite bien des gens qu'elle connût, quand par hasard elle leur souriait, le sourire était visible pour eux seuls, et une duchesse eût pu sourire ainsi.

Elle ne se promenait pas du rond-point à l'entrée des Champs-Élysées, comme le font et le faisaient toutes ses collègues. Ses deux chevaux l'emportaient rapidement au Bois. Là, elle descendait de voiture, marchait pendant une heure, remontait dans son coupé, et rentrait chez elle au grand trot de son attelage.

Toutes ces circonstances, dont j'avais quelquefois été le témoin, repassaient devant moi, et je regrettais la mort de cette fille comme on regrette la destruction totale d'une belle œuvre.

Or, il était impossible de voir une plus charmante beauté que celle de Marguerite.

Grande et mince jusqu'à l'exagération, elle possédait au suprême degré l'art de faire disparaître cet oubli de la nature par le simple arrangement des choses qu'elle revêtait. Son cachemire, dont la pointe touchait à terre, laissait échapper de chaque côté les larges volants d'une robe de soie, et l'épais manchon qui cachait ses mains et qu'elle appuyait contre sa poitrine, était entouré de plis si habilement ménagés, que l'œil n'avait rien à redire, si exigeant qu'il fut, au contour des lignes.

La tête, une merveille, était l'objet d'une coquetterie particulière. Elle était toute petite, et sa mère, comme dirait de Musset, semblait l'avoir faite ainsi pour la faire avec soin.

Dans un ovale d'une grâce indescriptible, mettez des yeux noirs surmontés de sourcils d'un arc si pur qu'il semblait peint ; voilez ces yeux de grands cils qui, lorsqu'ils s'abaissaient, jetaient de l'ombre sur la teinte rose des joues ; tracez un nez fin, droit, spirituel, aux narines un peu ouvertes par une aspiration ardente vers la vie sensuelle ; dessinez une bouche régulière, dont les lèvres s'ouvraient gracieusement sur des dents blanches comme du lait ; colorez la peau de ce velouté qui couvre les pêches qu'aucune main n'a touchées, et vous aurez l'ensemble de cette charmante tête.

Les cheveux, noirs comme du jais, ondés naturellement ou non, s'ouvraient sur le front en deux larges bandeaux, et se perdaient derrière la tête, en laissant voir un bout des oreilles, auxquelles brillaient deux diamants d'une valeur de quatre à cinq mille francs chacun.

Comment sa vie ardente laissait-elle au visage de Marguerite l'expression virginale, enfantine même qui le caractérisait ? C'est ce que nous sommes forcés de constater sans le comprendre.

Marguerite avait d'elle un merveilleux portrait fait par Vidal, le seul homme dont le crayon pouvait la reproduire. J'ai eu depuis sa mort ce portrait pendant quelques jours à ma disposition, et il était d'une si étonnante ressemblance qu'il m'a servi à donner les renseignements pour lesquels ma mémoire ne m'eût peut-être pas suffi.

Parmi les détails de ce chapitre, quelques-uns ne me sont parvenus que plus tard ; mais je les écris tout de suite pour n'avoir pas à y revenir, lorsque commencera l'histoire anecdotique de cette femme.

Marguerite assistait à toutes les premières représentations et passait toutes ses soirées au spectacle ou au bal. Chaque fois que l'on jouait une pièce nouvelle, on était sûr de l'y voir, avec trois choses qui ne la quittaient jamais, et qui occupaient toujours le devant de sa loge de rez-de-chaussée : sa lorgnette, un sac de bonbons et un bouquet de camélias.

Pendant vingt-cinq jours du mois, les camélias étaient blancs, et pendant cinq ils étaient rouges ; on n'a jamais su la raison de cette variété de couleurs, que je signale sans pouvoir l'expliquer, et que les habitués des théâtres où elle allait le plus fréquemment et ses amis avaient remarquée comme moi.

On n'avait jamais vu à Marguerite d'autres fleurs que des camélias. Aussi chez madame Barjon, sa fleuriste, avait-on fini par la surnommer la Dame aux Camélias, et ce surnom lui était resté.

Je savais, en outre, comme tous ceux qui vivent dans un certain monde, à Paris, que Marguerite avait été la maîtresse des jeunes gens les plus élégants, qu'elle le disait hautement, et qu'eux-mêmes s'en vantaient, ce qui prouvait qu'amants et maîtresse étaient contents l'un de l'autre.

Cependant, depuis trois ans environ, depuis un voyage à Bagnères, elle ne vivait plus, disait-on, qu'avec un vieux duc étranger, énormément riche et qui avait essayé de la détacher le plus possible de sa vie passée, ce que, du reste, elle avait paru se laisser faire d'assez bonne grâce.

Voici ce qu'on m'a raconté à ce sujet.

Au printemps de 1842, Marguerite était si faible, si changée que les médecins lui ordonnèrent les eaux, et qu'elle partit pour Bagnères.

Là, parmi les malades, se trouvait la fille de ce duc, laquelle avait non seulement la même maladie, mais encore le même visage que Marguerite, au point qu'on eût pu les prendre pour les deux sœurs. Seulement la jeune duchesse était au troisième degré de la phtisie, et peu de jours après l'arrivée de Marguerite elle succombait.

Un matin, le duc, resté à Bagnères comme on reste sur le sol qui ensevelit une partie du cœur, aperçut Marguerite au détour d'une allée.

Il lui sembla voir passer l'ombre de son enfant et, marchant vers elle, il lui prit les mains, l'embrassa en pleurant, et, sans lui demander qui elle était, implora la permission de la voir et d'aimer en elle l'image vivante de sa fille morte.

Marguerite, seule à Bagnères avec sa femme de chambre, et d'ailleurs n'ayant aucune crainte de se compromettre, accorda au duc ce qu'il lui demandait.

Il se trouvait à Bagnères des gens qui la connaissaient, et qui vinrent officiellement avertir le duc de la véritable position de mademoiselle Gautier. Ce fut un coup pour le vieillard, car là cessait la ressemblance avec sa fille ; mais il était trop tard. La jeune femme était devenue un besoin de son cœur et son seul prétexte, sa seule excuse de vivre encore.

Il ne lui fit aucun reproche, il n'avait pas le droit de lui en faire, mais il lui demanda si elle se sentait capable de changer sa vie, lui offrant en échange de ce sacrifice toutes les compensations qu'elle pourrait désirer. Elle promit.

Il faut dire qu'à cette époque, Marguerite, nature enthousiaste, était malade. Le passé lui apparaissait comme une des causes principales de sa maladie, et une sorte de superstition lui fit espérer que Dieu lui laisserait la beauté et la santé, en échange de son repentir et de sa conversion.

En effet, les eaux, les promenades, la fatigue naturelle et le sommeil l'avaient à peu près rétablie quand vint la fin de l'été.

Le duc accompagna Marguerite à Paris, où il continua de venir la voir comme à Bagnères.

Cette liaison, dont on ne connaissait ni la véritable origine, ni le véritable motif, causa une grande sensation ici, car le duc, connu par sa grande fortune, se faisait connaître maintenant par sa prodigalité.

On attribua au libertinage, fréquent chez les vieillards riches, ce rapprochement du vieux duc et de la jeune femme. On supposa tout, excepté ce qui était.

Cependant le sentiment de ce père pour Marguerite avait une cause si chaste, que tout autre rapport que des rapports de cœur avec elle lui eût semblé un inceste, et jamais il ne lui avait dit un mot que sa fille n'eût pu entendre.

Loin de nous la pensée de faire de notre héroïne autre chose que ce qu'elle était. Nous dirons donc que tant qu'elle était restée à Bagnères, la promesse faite au duc n'avait pas été difficile à tenir, et qu'elle avait été tenue ; mais une fois de retour à Paris, il avait semblé à cette fille habituée à la vie dissipée, aux bals, aux orgies même, que sa solitude, troublée seulement par les visites périodiques du duc, la ferait mourir d'ennui, et les souffles brûlants de sa vie d'autrefois passaient à la fois sur sa tête et sur son cœur.

Ajoutez que Marguerite était revenue de ce voyage plus belle qu'elle n'avait jamais été, qu'elle avait vingt ans, et que la maladie endormie, mais non vaincue, continuait à lui donner ces désirs fiévreux qui sont presque toujours le résultat des affections de poitrine.

Le duc eut donc une grande douleur le jour où ses amis, sans cesse aux aguets pour surprendre un scandale de la part de la jeune femme avec laquelle il se compromettait, disaient-ils, vinrent lui dire et lui prouver qu'à l'heure où elle était sûre de ne pas le voir venir, elle recevait des visites, et que ces visites se prolongeaient souvent jusqu'au lendemain.

Interrogée, Marguerite avoua tout au duc, lui conseillant, sans arrière-pensée, de cesser de s'occuper d'elle, car elle ne se sentait pas la force de tenir les engagements pris, et ne voulait pas recevoir plus longtemps les bienfaits d'un homme qu'elle trompait.

Le duc resta huit jours sans paraître ; ce fut tout ce qu'il put faire, et, le huitième jour, il vint supplier Marguerite de l'admettre encore, lui promettant de l'accepter telle qu'elle serait, pourvu qu'il la vît, et lui jurant que, dût-il mourir, il ne lui ferait jamais un reproche.

Voilà où en étaient les choses trois mois après le retour de Marguerite, c'est-à-dire en novembre ou décembre 1842.


Chapitre II Kapitel II Chapter II Capítulo II Capítulo II 第二章

La vente était pour le 16.

Un jour d'intervalle avait été laissé entre les visites et la vente pour donner aux tapissiers le temps de déclouer les tentures, rideaux, etc.

À cette époque, je revenais de voyage. Il était assez naturel que l'on ne m'eût pas appris la mort de Marguerite comme une de ces grandes nouvelles que ses amis apprennent toujours à celui qui revient dans la capitale des nouvelles. It was quite natural that I had not been told of Marguerite's death as one of those great pieces of news that friends always tell to those who return to the news capital. Marguerite était jolie, mais autant la vie recherchée de ces femmes fait de bruit, autant leur mort en fait peu. Marguerite was pretty, but as much as the sought-after life of these women makes noise, their death makes little noise. Ce sont de ces soleils qui se couchent comme ils se sont levés, sans éclat. These are the suns that set as they rose, without brilliance. Leur mort, quand elles meurent jeunes, est apprise de tous leurs amants en même temps, car, à Paris presque tous les amants d'une fille connue vivent en intimité. Ihr Tod, wenn sie jung sterben, wird von allen ihren Liebhabern gleichzeitig erfahren, denn in Paris leben fast alle Liebhaber eines bekannten Mädchens in trauter Zweisamkeit. Their death, when they die young, is learned from all their lovers at the same time, because in Paris almost all the lovers of a known girl live in intimacy. Quelques souvenirs s'échangent à son sujet, et la vie des uns et des autres continue sans que cet incident la trouble même d'une larme. A few memories are exchanged about him, and the life of each other continues without this incident disturbing it even by a tear.

Aujourd'hui, quand on a vingt-cinq ans, les larmes deviennent une chose si rare qu'on ne peut les donner à la première venue. Today, when one is twenty-five years old, tears become such a rare thing that one cannot give them on the first comer. C'est tout au plus si les parents qui payent pour être pleurés le sont en raison du prix qu'ils y mettent. It is at most if the parents who pay to be mourned are so because of the price they put on it.

Quant à moi, quoique mon chiffre ne se retrouvât sur aucun des nécessaires de Marguerite, cette indulgence instinctive, cette pitié naturelle que je viens d'avouer tout à l'heure me faisaient songer à sa mort plus longtemps qu'elle ne méritait peut-être que j'y songeasse. As for me, although my figure was not to be found on any of Marguerite's cases, this instinctive indulgence, this natural pity which I have just confessed made me think of her death longer than she perhaps deserved. be that I was thinking about it.

Je me rappelais avoir rencontré Marguerite très souvent aux Champs-Élysées, où elle venait assidûment, tous les jours, dans un petit coupé bleu attelé de deux magnifiques chevaux bais, et avoir alors remarqué en elle une distinction peu commune à ses semblables, distinction que rehaussait encore une beauté vraiment exceptionnelle. Ich erinnerte mich, dass ich Marguerite sehr oft auf den Champs-Élysées getroffen hatte, wo sie jeden Tag in einem kleinen blauen Coupé mit zwei prächtigen Bais-Pferden eintraf, und dass ich damals eine Vornehmheit an ihr bemerkt hatte, die ihren Mitmenschen ungewöhnlich war und die durch ihre wirklich außergewöhnliche Schönheit noch verstärkt wurde. I remembered meeting Marguerite very often at the Champs-Élysées, where she came assiduously, every day, in a little blue coupé harnessed to two magnificent bay horses, and then noticing in her a distinction uncommon to her peers, a distinction further enhanced by a truly exceptional beauty.

Ces malheureuses créatures sont toujours, quand elles sortent, accompagnées on ne sait de qui. These unfortunate creatures are always, when they go out, accompanied by no one knows by whom.

Comme aucun homme ne consent à afficher publiquement l'amour nocturne qu'il a pour elles, comme elles ont horreur de la solitude, elles emmènent ou celles qui, moins heureuses, n'ont pas de voiture, ou quelques-unes de ces vieilles élégantes dont rien ne motive l'élégance, et à qui l'on peut s'adresser sans crainte, quand on veut avoir quelques détails que ce soient sur la femme qu'elles accompagnent. Da kein Mann bereit ist, seine nächtliche Liebe zu ihnen öffentlich zu zeigen, und sie Einsamkeit verabscheuen, nehmen sie entweder diejenigen mit, die weniger glücklich sind und kein Auto haben, oder einige der älteren Eleganten, deren Eleganz durch nichts zu begründen ist und an die man sich getrost wenden kann, wenn man Details über die Frau, die sie begleiten, wissen möchte. As no man agrees to publicly display the nocturnal love he has for them, as they abhor solitude, they take either those who, less fortunate, do not have a car, or some of these old elegant women whose elegance is unmotivated, and to whom one can turn without fear, when one wants to have any details whatsoever about the woman they are accompanying.

Il n'en était pas ainsi pour Marguerite. It was not so with Marguerite. Elle arrivait aux Champs-Élysées toujours seule, dans sa voiture, où elle s'effaçait le plus possible, l'hiver enveloppée d'un grand cachemire, l'été vêtue de robes fort simples ; et, quoiqu'il y eût sur sa promenade favorite bien des gens qu'elle connût, quand par hasard elle leur souriait, le sourire était visible pour eux seuls, et une duchesse eût pu sourire ainsi. She arrived at the Champs-Élysées always alone, in her car, where she hid herself as much as possible, in winter wrapped in a large cashmere, in summer dressed in very simple dresses; and, although there were many people she knew on her favorite promenade, when she happened to smile at them, the smile was visible to them alone, and a duchess might have smiled thus.

Elle ne se promenait pas du rond-point à l'entrée des Champs-Élysées, comme le font et le faisaient toutes ses collègues. She did not walk from the roundabout to the entrance to the Champs-Élysées, as all her colleagues do and did. Ses deux chevaux l'emportaient rapidement au Bois. His two horses quickly took him to the Bois. Là, elle descendait de voiture, marchait pendant une heure, remontait dans son coupé, et rentrait chez elle au grand trot de son attelage. There she got out of the car, walked for an hour, got back into her coupé, and returned home at a brisk trot in her team.

Toutes ces circonstances, dont j'avais quelquefois été le témoin, repassaient devant moi, et je regrettais la mort de cette fille comme on regrette la destruction totale d'une belle œuvre. All these circumstances, which I had sometimes witnessed, replayed before me, and I regretted the death of this girl as one regrets the total destruction of a beautiful work.

Or, il était impossible de voir une plus charmante beauté que celle de Marguerite.

Grande et mince jusqu'à l'exagération, elle possédait au suprême degré l'art de faire disparaître cet oubli de la nature par le simple arrangement des choses qu'elle revêtait. Tall and slender to the point of exaggeration, she possessed to the highest degree the art of erasing this oblivion of nature by the simple arrangement of the things she wore. Son cachemire, dont la pointe touchait à terre, laissait échapper de chaque côté les larges volants d'une robe de soie, et l'épais manchon qui cachait ses mains et qu'elle appuyait contre sa poitrine, était entouré de plis si habilement ménagés, que l'œil n'avait rien à redire, si exigeant qu'il fut, au contour des lignes. Her cashmere, the point of which touched the ground, allowed the wide flounces of a silk dress to escape on each side, and the thick sleeve which hid her hands and which she pressed against her chest, was surrounded by folds so skilfully contrived , that the eye had nothing to say, however demanding it was, to the outline of the lines.

La tête, une merveille, était l'objet d'une coquetterie particulière. Elle était toute petite, et sa mère, comme dirait de Musset, semblait l'avoir faite ainsi pour la faire avec soin. Sie war sehr klein, und ihre Mutter, wie de Musset sagen würde, schien sie so gemacht zu haben, um sie sorgfältig zu machen. She was very small, and her mother, as de Musset would say, seemed to have made her that way to make her with care.

Dans un ovale d'une grâce indescriptible, mettez des yeux noirs surmontés de sourcils d'un arc si pur qu'il semblait peint ; voilez ces yeux de grands cils qui, lorsqu'ils s'abaissaient, jetaient de l'ombre sur la teinte rose des joues ; tracez un nez fin, droit, spirituel, aux narines un peu ouvertes par une aspiration ardente vers la vie sensuelle ; dessinez une bouche régulière, dont les lèvres s'ouvraient gracieusement sur des dents blanches comme du lait ; colorez la peau de ce velouté qui couvre les pêches qu'aucune main n'a touchées, et vous aurez l'ensemble de cette charmante tête. In an oval of indescribable grace, set black eyes surmounted by eyebrows of a bow so pure it seemed painted; veil these eyes with large lashes which, when lowered, cast a shadow over the rosy tint of the cheeks; trace a fine, straight, spiritual nose, with nostrils slightly opened by an ardent aspiration towards sensual life; Draw a regular mouth, whose lips opened gracefully over milk-white teeth; color the skin with the velvety texture that covers peaches that no hand has touched, and you'll have the whole of this charming head.

Les cheveux, noirs comme du jais, ondés naturellement ou non, s'ouvraient sur le front en deux larges bandeaux, et se perdaient derrière la tête, en laissant voir un bout des oreilles, auxquelles brillaient deux diamants d'une valeur de quatre à cinq mille francs chacun. The jet-black hair, naturally wavy or not, opened on the forehead in two wide bands, and fell behind the head, revealing the tips of the ears, on which shone two diamonds worth four to five thousand francs each.

Comment sa vie ardente laissait-elle au visage de Marguerite l'expression virginale, enfantine même qui le caractérisait ? How did his fiery life leave Marguerite's face with the virginal, even childlike expression that characterized it? C'est ce que nous sommes forcés de constater sans le comprendre. This is what we are forced to notice without understanding it.

Marguerite avait d'elle un merveilleux portrait fait par Vidal, le seul homme dont le crayon pouvait la reproduire. J'ai eu depuis sa mort ce portrait pendant quelques jours à ma disposition, et il était d'une si étonnante ressemblance qu'il m'a servi à donner les renseignements pour lesquels ma mémoire ne m'eût peut-être pas suffi. Since his death, I had this portrait at my disposal for a few days, and it was of such an astonishing resemblance that it served me to give information for which my memory would perhaps not have been sufficient.

Parmi les détails de ce chapitre, quelques-uns ne me sont parvenus que plus tard ; mais je les écris tout de suite pour n'avoir pas à y revenir, lorsque commencera l'histoire anecdotique de cette femme. Some of the details of this chapter did not reach me until later, but I am writing them now so that I will not have to return to them when the anecdotal story of this woman begins.

Marguerite assistait à toutes les premières représentations et passait toutes ses soirées au spectacle ou au bal. Marguerite attended all the first performances and spent every evening at the show or the ball. Chaque fois que l'on jouait une pièce nouvelle, on était sûr de l'y voir, avec trois choses qui ne la quittaient jamais, et qui occupaient toujours le devant de sa loge de rez-de-chaussée : sa lorgnette, un sac de bonbons et un bouquet de camélias.

Pendant vingt-cinq jours du mois, les camélias étaient blancs, et pendant cinq ils étaient rouges ; on n'a jamais su la raison de cette variété de couleurs, que je signale sans pouvoir l'expliquer, et que les habitués des théâtres où elle allait le plus fréquemment et ses amis avaient remarquée comme moi. For twenty-five days of the month, the camellias were white, and for five they were red; the reason for this variety of colors, which I point out without being able to explain it, and which the regulars of the theaters where she went most frequently and her friends had noticed like me, was never known.

On n'avait jamais vu à Marguerite d'autres fleurs que des camélias. Aussi chez madame Barjon, sa fleuriste, avait-on fini par la surnommer la Dame aux Camélias, et ce surnom lui était resté. At Madame Barjon's, her florist, she came to be known as the Lady of the Camellias, and the nickname stuck.

Je savais, en outre, comme tous ceux qui vivent dans un certain monde, à Paris, que Marguerite avait été la maîtresse des jeunes gens les plus élégants, qu'elle le disait hautement, et qu'eux-mêmes s'en vantaient, ce qui prouvait qu'amants et maîtresse étaient contents l'un de l'autre. I knew, moreover, like all those who live in a certain world, in Paris, that Marguerite had been the mistress of the most elegant young people, that she said it loudly, and that they themselves boasted of it, which proved that lovers and mistress were pleased with each other.

Cependant, depuis trois ans environ, depuis un voyage à Bagnères, elle ne vivait plus, disait-on, qu'avec un vieux duc étranger, énormément riche et qui avait essayé de la détacher le plus possible de sa vie passée, ce que, du reste, elle avait paru se laisser faire d'assez bonne grâce. Seit etwa drei Jahren, seit einer Reise nach Bagnères, lebte sie jedoch angeblich nur noch mit einem alten, ausländischen Herzog zusammen, der enorm reich war und versucht hatte, sie so weit wie möglich von ihrem früheren Leben loszulösen, was sie übrigens recht bereitwillig mit sich geschehen zu lassen schien. However, for about three years, since a trip to Bagnères, she had been living, it was said, only with an old foreign duke, enormously rich and who had tried to detach her as much as possible from her past life, which, moreover, she had seemed to allow herself to do quite willingly.

Voici ce qu'on m'a raconté à ce sujet. Here is what I was told about it.

Au printemps de 1842, Marguerite était si faible, si changée que les médecins lui ordonnèrent les eaux, et qu'elle partit pour Bagnères. In the spring of 1842, Marguerite was so weak, so changed that the doctors ordered her to take the waters, and she left for Bagnères.

Là, parmi les malades, se trouvait la fille de ce duc, laquelle avait non seulement la même maladie, mais encore le même visage que Marguerite, au point qu'on eût pu les prendre pour les deux sœurs. Seulement la jeune duchesse était au troisième degré de la phtisie, et peu de jours après l'arrivée de Marguerite elle succombait. But the young duchess was in the third stage of phthisis, and a few days after Marguerite's arrival she succumbed.

Un matin, le duc, resté à Bagnères comme on reste sur le sol qui ensevelit une partie du cœur, aperçut Marguerite au détour d'une allée. One morning the duke, who had remained in Bagneres as one remains on the ground which buried part of the heart, saw Marguerite at the bend of an alley.

Il lui sembla voir passer l'ombre de son enfant et, marchant vers elle, il lui prit les mains, l'embrassa en pleurant, et, sans lui demander qui elle était, implora la permission de la voir et d'aimer en elle l'image vivante de sa fille morte.

Marguerite, seule à Bagnères avec sa femme de chambre, et d'ailleurs n'ayant aucune crainte de se compromettre, accorda au duc ce qu'il lui demandait. Marguerite, alone in Bagnères with her maid, and with no fear of compromising herself, agreed to the duke's request.

Il se trouvait à Bagnères des gens qui la connaissaient, et qui vinrent officiellement avertir le duc de la véritable position de mademoiselle Gautier. There were people in Bagnères who knew her, and who came officially to warn the duke of the true position of Miss Gautier. Ce fut un coup pour le vieillard, car là cessait la ressemblance avec sa fille ; mais il était trop tard. La jeune femme était devenue un besoin de son cœur et son seul prétexte, sa seule excuse de vivre encore.

Il ne lui fit aucun reproche, il n'avait pas le droit de lui en faire, mais il lui demanda si elle se sentait capable de changer sa vie, lui offrant en échange de ce sacrifice toutes les compensations qu'elle pourrait désirer. Elle promit.

Il faut dire qu'à cette époque, Marguerite, nature enthousiaste, était malade. Le passé lui apparaissait comme une des causes principales de sa maladie, et une sorte de superstition lui fit espérer que Dieu lui laisserait la beauté et la santé, en échange de son repentir et de sa conversion. The past appeared to him as one of the main causes of his illness, and a kind of superstition made him hope that God would leave him beauty and health, in exchange for his repentance and conversion.

En effet, les eaux, les promenades, la fatigue naturelle et le sommeil l'avaient à peu près rétablie quand vint la fin de l'été. Indeed, the waters, the walks, natural fatigue and sleep had more or less restored her by the end of summer.

Le duc accompagna Marguerite à Paris, où il continua de venir la voir comme à Bagnères.

Cette liaison, dont on ne connaissait ni la véritable origine, ni le véritable motif, causa une grande sensation ici, car le duc, connu par sa grande fortune, se faisait connaître maintenant par sa prodigalité. This affair, of which neither the true origin nor the true motive was known, caused a great sensation here, because the duke, known by his great fortune, was now known by his prodigality.

On attribua au libertinage, fréquent chez les vieillards riches, ce rapprochement du vieux duc et de la jeune femme. This connection between the old duke and the young woman was attributed to libertinism, which is common among rich old men. On supposa tout, excepté ce qui était.

Cependant le sentiment de ce père pour Marguerite avait une cause si chaste, que tout autre rapport que des rapports de cœur avec elle lui eût semblé un inceste, et jamais il ne lui avait dit un mot que sa fille n'eût pu entendre. However, this father's feeling for Marguerite had such a chaste cause, that any other relationship than heart-to-heart with her would have seemed incestuous to him, and he had never said a word to her that his daughter could not hear.

Loin de nous la pensée de faire de notre héroïne autre chose que ce qu'elle était. Es liegt uns fern, aus unserer Heldin etwas anderes zu machen als das, was sie war. Far be it from us to make our heroine anything other than what she was. Nous dirons donc que tant qu'elle était restée à Bagnères, la promesse faite au duc n'avait pas été difficile à tenir, et qu'elle avait été tenue ; mais une fois de retour à Paris, il avait semblé à cette fille habituée à la vie dissipée, aux bals, aux orgies même, que sa solitude, troublée seulement par les visites périodiques du duc, la ferait mourir d'ennui, et les souffles brûlants de sa vie d'autrefois passaient à la fois sur sa tête et sur son cœur. But once back in Paris, it seemed to this girl accustomed to a dissipated life, to balls, even orgies, that her solitude, disturbed only by the Duke's periodic visits, would kill her with boredom, and the burning breaths of her former life passed over both her head and her heart.

Ajoutez que Marguerite était revenue de ce voyage plus belle qu'elle n'avait jamais été, qu'elle avait vingt ans, et que la maladie endormie, mais non vaincue, continuait à lui donner ces désirs fiévreux qui sont presque toujours le résultat des affections de poitrine. Add that Marguerite had returned from this trip more beautiful than she had ever been, that she was twenty years old, and that the illness, dormant but not overcome, continued to give her those feverish desires which are almost always the result of chest ailments.

Le duc eut donc une grande douleur le jour où ses amis, sans cesse aux aguets pour surprendre un scandale de la part de la jeune femme avec laquelle il se compromettait, disaient-ils, vinrent lui dire et lui prouver qu'à l'heure où elle était sûre de ne pas le voir venir, elle recevait des visites, et que ces visites se prolongeaient souvent jusqu'au lendemain. The duke was therefore deeply distressed when his friends, constantly on the lookout for a scandal from the young woman with whom he was compromising himself, they said, came to tell him and prove to him that at the hour when she was sure he was not coming, she was receiving visitors, and that these visits often lasted until the following day.

Interrogée, Marguerite avoua tout au duc, lui conseillant, sans arrière-pensée, de cesser de s'occuper d'elle, car elle ne se sentait pas la force de tenir les engagements pris, et ne voulait pas recevoir plus longtemps les bienfaits d'un homme qu'elle trompait. Questioned, Marguerite confessed everything to the duke, advising him, without any ulterior motive, to stop caring for her, because she did not feel strong enough to keep the commitments she had made, and did not want to receive any longer the benefits of a man she was deceiving.

Le duc resta huit jours sans paraître ; ce fut tout ce qu'il put faire, et, le huitième jour, il vint supplier Marguerite de l'admettre encore, lui promettant de l'accepter telle qu'elle serait, pourvu qu'il la vît, et lui jurant que, dût-il mourir, il ne lui ferait jamais un reproche. Am achten Tag kam er zu Margarete und bat sie, ihn wieder aufzunehmen. Er versprach ihr, sie so zu akzeptieren, wie sie sei, wenn er sie nur sehen würde, und schwor ihr, dass er ihr nie einen Vorwurf machen würde, auch wenn er sterben sollte. The duke remained eight days without appearing; that was all he could do, and on the eighth day he came to beg Marguerite to admit him again, promising to accept her as she was, provided he saw her, and swearing that, even if he died, he would never reproach her.

Voilà où en étaient les choses trois mois après le retour de Marguerite, c'est-à-dire en novembre ou décembre 1842. This is where things stood three months after Marguerite's return, in November or December 1842.