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George Sand : La Mare au Diable, chapitre 6

chapitre 6

PETIT-PIERRE

La Grise était jeune, belle et vigoureuse. Elle portait sans effort son double fardeau, couchant les oreilles et rongeant son frein, comme une fière et ardente jument qu'elle était. En passant devant le pré-long, elle aperçut sa mère, qui s'appelait la vieille Grise, comme elle la jeune Grise, et elle hennit en signe d'adieu. La vieille Grise approcha de la haie en faisant résonner ses enferges, essaya de galoper sur la marge du pré pour suivre sa fille; puis, la voyant prendre le grand trot, elle hennit à son tour, et resta pensive, inquiète, le nez au vent, la bouche pleine d'herbes qu'elle ne songeait plus à manger. Cette pauvre bête connaît toujours sa progéniture, dit Germain pour distraire la petite Marie de son chagrin. Ça me fait penser que je n'ai pas embrassé mon Petit-Pierre avant de partir Le mauvais enfant n'était pas là! Il voulait, hier au soir, me faire promettre de l'emmener, et il a pleuré pendant une heure dans son lit. Ce matin, encore, il a tout essayé pour me persuader. Oh! qu'il est adroit et câlin! mais quand il a vu que ça ne se pouvait pas, monsieur s'est fâché: il est parti dans les champs, et je ne l'ai pas revu de la journée. Moi, je l'ai vu, dit la petite Marie en faisant effort pour rentrer ses larmes. Il courait avec les enfants de Soulas du côté des tailles, et je me suis bien doutée qu'il était hors de la maison depuis longtemps, car il avait faim et mangeait des prunelles et des mûres de buisson. Je lui ai donné le pain de mon goûter, et il m'a dit: "Merci, ma Marie mignonne: quand tu viendras chez nous, je te donnerai de la galette." C'est un enfant trop gentil que vous avez là, Germain! Oui, qu'il est gentil, reprit le laboureur, et je ne sais pas ce que je ne ferais pas pour lui! Si sa grand'mère n'avait pas eu plus de raison que moi, je n'aurais pas pu me tenir de l'emmener, quand je le voyais pleurer si fort que son pauvre petit cur en était tout gonflé. Eh bien! pourquoi ne l'auriez-vous pas emmené, Germain? Il ne vous aurait guère embarrassé; il est si raisonnable quand on fait sa volonté!

Il paraît qu'il aurait été de trop là où je vais. Du moins c'était l'avis du père Maurice… Moi, pourtant, j'aurais pensé qu'au contraire il fallait voir comment on le recevrait, et qu'un si gentil enfant ne pouvait qu'être pris en bonne amitié… Mais ils disent à la maison qu'il ne faut pas commencer par faire voir les charges du ménage… Je ne sais pas pourquoi je te parle de ça, petite Marie; tu n'y comprends rien. Si fait, Germain; je sais que vous allez vous marier; ma mère me l'a dit, en me recommandant de n'en parler à personne, ni chez vous, ni là où je vais, et vous pouvez être tranquille: je n'en dirai mot. Tu feras bien, car ce n'est pas fait; peut-être que je ne conviendrai pas à la femme en question. Il faut espérer que si, Germain. Pourquoi donc ne lui conviendrez-vous pas?

Qui sait? J'ai trois enfants, et c'est lourd pour une femme qui n'est pas leur mère! C'est vrai, mais vos enfants ne sont pas comme d'autres enfants. Crois-tu?

Ils sont beaux comme des petits anges, et si bien élevés qu'on n'en peut pas voir de plus aimables. Il y a Sylvain qui n'est pas trop commode. Il est tout petit! il ne peut pas être autrement que terrible, mais il a tant d'esprit! C'est vrai qu'il a de l'esprit: et un courage! Il ne craint ni vaches, ni taureaux, et si on le laissait faire, il grimperait déjà sur les chevaux avec son aîné.

Moi, à votre place, j'aurais amené l'aîné. Bien sûr ça vous aurait fait aimer tout de suite, d'avoir un enfant si beau! Oui, si la femme aime les enfants; mais si elle ne les aime pas!

Est-ce qu'il y a des femmes qui n'aiment pas les enfants? Pas beaucoup, je pense; mais enfin il y en a, et c'est là ce qui me tourmente. Vous ne la connaissez donc pas du tout cette femme?

Pas plus que toi, et je crains de ne pas la mieux connaître, après que je l'aurai vue. Je ne suis pas méfiant, moi. Quand on me dit de bonnes paroles, j'y crois: mais j'ai été plus d'une fois à même de m'en repentir, car les paroles ne sont pas des actions. On dit que c'est une fort brave femme. Qui dit cela? le père Maurice!

Oui, votre beau-père.

C'est fort bien; mais il ne la connaît pas non plus. Eh bien, vous la verrez tantôt, vous ferez grande attention, et il faut espérer que vous ne vous tromperez pas, Germain.

Tiens, petite Marie, je serais bien aise que tu entres un peu dans la maison, avant de t'en aller tout droit aux Ormeaux: tu es fine, toi, tu as toujours montré de l'esprit, et tu fais attention à tout. Si tu vois quelque chose qui te donne à penser, tu m'en avertiras tout doucement. Oh! non, Germain, je ne ferai pas cela! je craindrais trop de me tromper; et, d'ailleurs, si une parole dite à la légère venait à vous dégoûter de ce mariage, vos parents m'en voudraient, et j'ai bien assez de chagrins comme ça, sans en attirer d'autres sur ma pauvre chère femme de mère. Comme ils devisaient ainsi, la Grise fit un écart en dressant les oreilles, puis revint sur ses pas, et se rapprocha du buisson, où quelque chose qu'elle commençait à reconnaître l'avait d'abord effrayée. Germain jeta un regard sur le buisson, et vit dans le fossé, sous les branches épaisses et encore fraîches d'un têteau de chêne, quelque chose qu'il prit pour un agneau. C'est une bête égarée, dit-il, ou morte, car elle ne bouge. Peut-être que quelqu'un la cherche; il faut voir! Ce n'est pas une bête, s'écria la petite Marie: c'est un enfant qui dort; c'est votre Petit-Pierre. Par exemple! dit Germain en descendant de cheval; voyez ce petit garnement qui dort là, si loin de la maison, et dans un fossé où quelque serpent pourrait bien le trouver!

Il prit dans ses bras l'enfant, qui lui sourit en ouvrant les yeux et jeta ses bras autour de son cou en lui disant: Mon petit père, tu vas m'emmener avec toi! Ah oui! toujours la même chanson! Que faisiez-vous là, mauvais Pierre?

J'attendais mon petit père à passer, dit l'enfant; je regardais sur le chemin, et à force de regarder, je me suis endormi. Et si j'étais passé sans te voir, tu serais resté toute la nuit dehors, et le loup t'aurait mangé! Oh! je savais bien que tu me verrais! répondit Petit-Pierre avec confiance.

Eh bien, à présent, mon Pierre, embrasse-moi, dis moi adieu, et retourne vite à la maison, si tu ne veux pas qu'on soupe sans toi. Tu ne veux donc pas m'emmener? s'écria le petit en commençant à frotter ses yeux pour montrer qu'il avait dessein de pleurer. Tu sais bien que grand-père et grand'mère ne le veulent pas, dit Germain, se retranchant derrière l'autorité des vieux parents, comme un homme qui ne compte guère sur la sienne propre. Mais l'enfant n'entendit rien. Il se prit à pleurer tout de bon, disant que puisque son père emmenait la petite Marie, il pouvait bien l'emmener aussi. On lui objecta qu'il fallait passer les grands bois, qu'il y avait là beaucoup de méchantes bêtes qui mangeaient les petits enfants, que la Grise ne voulait pas porter trois personnes, qu'elle l'avait déclaré en partant, et que dans le pays où l'on se rendait, il n'y avait ni lit ni souper pour les marmots. Toutes ces excellentes raisons ne persuadèrent point Petit-Pierre; il se jeta sur l'herbe, et s'y roula, en criant que son petit père ne l'aimait plus, et que s'il ne l'emmenait pas, il ne rentrerait point du jour ni de la nuit à la maison. Germain avait un cur de père aussi tendre et aussi faible que celui d'une femme. La mort de la sienne, les soins qu'il avait été forcé de rendre seul à ses petits, aussi la pensée que ces pauvres enfants sans mère avaient besoin d'être beaucoup aimés, avaient contribué à le rendre ainsi, et il se fit en lui un si rude combat, d'autant plus qu'il rougissait de sa faiblesse et s'efforçait de cacher son malaise à la petite Marie, que la sueur lui en vint au front et que ses yeux se bordèrent de rouge, prêts à pleurer aussi. Enfin il essaya de se mettre en colère; mais en se retournant vers la petite Marie, comme pour la prendre à témoin de sa fermeté d'âme, il vit que le visage de cette bonne fille était baigné de larmes, et tout son courage l'abandonnant, il lui fut impossible de retenir les siennes, bien qu'il grondât et menaçât encore. Vrai, vous avez le cur trop dur, lui dit enfin la petite Marie, et, pour ma part, je ne pourrais jamais résister comme cela à un enfant qui a un si gros chagrin. Voyons, Germain, emmenez-le. Votre jument est bien habituée à porter deux personnes et un enfant, à preuve que votre beau-frère et sa femme, qui est plus lourde que moi de beaucoup, vont au marché le samedi avec leur garçon, sur le dos de cette bonne bête. Vous le mettrez à cheval devant vous, et d'ailleurs j'aime mieux m'en aller toute seule à pied que de faire de la peine à ce petit. Qu'à cela ne tienne, répondit Germain, qui mourait d'envie de se laisser convaincre. La Grise est forte et en porterait deux de plus, s'il y avait place sur son échine. Mais que ferons-nous de cet enfant en route? il aura froid, il aura faim… et qui prendra soin de lui ce soir et demain pour le coucher, le laver et le rhabiller? Je n'ose pas donner cet ennui-là à une femme que je ne connais pas, et qui trouvera, sans doute, que je suis bien sans façons avec elle pour commencer. D'après l'amitié ou l'ennui qu'elle montrera, vous la connaîtrez tout de suite, Germain, croyez-moi; et d'ailleurs, si elle rebute votre Pierre, moi je m'en charge. J'irai chez elle l'habiller et je l'emmènerai aux champs demain. Je l'amuserai toute la journée et j'aurai soin qu'il ne manque de rien. Et il t'ennuiera, ma pauvre fille! Il te gênera! toute une journée, c'est long! Ça me fera plaisir, au contraire, ça me tiendra compagnie, et ça me rendra moins triste le premier jour que j'aurai à passer dans un nouveau pays. Je me figurerai que je suis encore chez nous.

L'enfant, voyant que la petite Marie prenait son parti, s'était cramponné à sa jupe et la tenait si fort qu'il eût fallu lui faire du mal pour l'en arracher. Quand il reconnut que son père cédait, il prit la main de Marie dans ses deux petites mains brunies par le soleil, et l'embrassa en sautant de joie et en la tirant vers la jument, avec cette impatience ardente que les enfants portent dans leurs désirs. Allons, allons, dit la jeune fille, en le soulevant dans ses bras, tâchons d'apaiser ce pauvre cur qui saute comme un petit oiseau, et si tu sens le froid quand la nuit viendra, dis-le-moi, mon Pierre, je te serrerai dans ma cape. Embrasse ton petit père, et demande-lui pardon d'avoir fait le méchant. Dis que ça ne t'arrivera plus, jamais! jamais, entends-tu?

Oui, oui, à condition que je ferai toujours sa volonté, n'est-ce pas? dit Germain en essuyant les yeux du petit avec son mouchoir: ah! Marie, vous me le gâtez, ce drôle-là!… Et vraiment, tu es une trop bonne fille, petite Marie. Je ne sais pas pourquoi tu n'es pas entrée bergère chez nous à la Saint- Jean dernière. Tu aurais pris soin de mes enfants, et j'aurais mieux aimé te payer un bon prix pour les servir, que d'aller chercher une femme qui croira peut-être me faire beaucoup de grâce en ne les détestant pas. Il ne faut pas voir comme ça les choses par le mauvais côté, répondit la petite Marie, en tenant la bride du cheval pendant que Germain plaçait son fils sur le devant du large bât garni de peau de chèvre: si votre femme n'aime pas les enfants, vous me prendrez à votre service l'an prochain, et, soyez tranquille, je les amuserai si bien qu'ils ne s'apercevront de rien.


chapitre 6 chapter 6 capítulo 6

PETIT-PIERRE PETIT-PIERRE

La  Grise était jeune, belle et vigoureuse. La Grise was young, beautiful and vigorous. Elle portait sans effort son double fardeau, couchant les oreilles et rongeant son frein, comme une fière et ardente jument qu'elle était. She effortlessly carried her double burden, laying down her ears and biting her bridle, like the proud and fiery mare that she was. En passant devant le pré-long, elle aperçut sa mère, qui s'appelait la vieille Grise, comme elle la jeune Grise, et elle hennit en signe d'adieu. As she passed the meadow, she caught sight of her mother, who was called Old Gray, like her young Gray, and she neighed in farewell. La vieille Grise approcha de la haie en faisant résonner ses enferges, essaya de galoper sur la marge du pré pour suivre sa fille; puis, la voyant prendre le grand trot, elle hennit à son tour, et resta pensive, inquiète, le nez au vent, la bouche pleine d'herbes qu'elle ne songeait plus à manger. Old Grise approached the hedge, making her hell echo, tried to gallop on the edge of the meadow to follow her daughter; then, seeing her take the full trot, she neighed in her turn, and remained pensive, uneasy, her nose in the wind, her mouth full of herbs that she no longer thought of eating. Cette pauvre bête connaît toujours sa progéniture, dit Germain pour distraire la petite Marie de son chagrin. This poor beast still knows its offspring, says Germain, to distract little Marie from her grief. Ça me fait penser que je n'ai pas embrassé mon Petit-Pierre avant de partir Le mauvais enfant n'était pas là! It makes me think that I did not kiss my Petit-Pierre before leaving The bad child was not there! Il voulait, hier au soir, me faire promettre de l'emmener, et il a pleuré pendant une heure dans son lit. He wanted to make me promise to take him last night, and he cried for an hour in his bed. Ce matin, encore, il a tout essayé pour me persuader. This morning, again, he tried everything to persuade me. Oh! qu'il est adroit et câlin! how skilful and cuddly he is! mais quand il a vu que ça ne se pouvait pas, monsieur s'est fâché: il est parti dans les champs, et je ne l'ai pas revu de la journée. but when he saw that it couldn't be, Monsieur got angry: he left for the fields, and I haven't seen him all day. Moi, je l'ai vu, dit la petite Marie en faisant effort pour rentrer ses larmes. I saw him, said little Marie, making an effort to hold back her tears. Il courait avec les enfants de Soulas du côté des tailles, et je me suis bien doutée qu'il était hors de la maison depuis longtemps, car il avait faim et mangeait des prunelles et des mûres de buisson. He was running with Soulas' children on the waist side, and I suspected that he had been out of the house for a long time, because he was hungry and ate blackberries and bushes. Je lui ai donné le pain de mon goûter, et il m'a dit: "Merci, ma Marie mignonne: quand tu viendras chez nous, je te donnerai de la galette." I gave him the bread for my snack, and he said to me: "Thank you, my cute Marie: when you come to us, I will give you some pancakes." C'est un enfant trop gentil que vous avez là, Germain! You have a too nice child here, Germain! Oui, qu'il est gentil, reprit le laboureur, et je ne sais pas ce que je ne ferais pas pour lui! Yes, how nice he is, replied the plowman, and I don't know what I wouldn't do for him! Si sa grand'mère n'avait pas eu plus de raison que moi, je n'aurais pas pu me tenir de l'emmener, quand je le voyais pleurer si fort que son pauvre petit cur en était tout gonflé. If his grandmother hadn't been more reason than I was, I couldn't have stopped taking him away, when I saw him cry so hard that his poor little heart was swollen with it. Eh bien! pourquoi ne l'auriez-vous pas emmené, Germain? why wouldn't you have taken him, Germain? Il ne vous aurait guère embarrassé; il est si raisonnable quand on fait sa volonté! He would hardly have embarrassed you; it is so reasonable when you do your will!

Il paraît qu'il aurait été de trop là où je vais. It seems he would have been too many where I'm going. Du moins c'était l'avis du père Maurice… Moi, pourtant, j'aurais pensé qu'au contraire il fallait voir comment on le recevrait, et qu'un si gentil enfant ne pouvait qu'être pris en bonne amitié… Mais ils disent à la maison qu'il ne faut pas commencer par faire voir les charges du ménage… Je ne sais pas pourquoi je te parle de ça, petite Marie; tu n'y comprends rien. At least that was Father Maurice's opinion ... Me, however, I would have thought that on the contrary it was necessary to see how we would receive him, and that such a nice child could only be taken in good friendship ... But they tell the house that we shouldn't start by showing the household expenses… I don't know why I'm talking to you about this, little Marie; you don't understand anything. Si fait, Germain; je sais que vous allez vous marier; ma mère me l'a dit, en me recommandant de n'en parler à personne, ni chez vous, ni là où je vais, et vous pouvez être tranquille: je n'en dirai mot. Yes, Germain; I know you are going to get married; my mother told me so, recommending me not to tell anyone, neither at your place, nor where I am going, and you can rest assured: I will not say a word about it. Tu feras bien, car ce n'est pas fait; peut-être que je ne conviendrai pas à la femme en question. You will do well, because it is not done; maybe I won't suit the woman in question. Il faut espérer que si, Germain. We have to hope that it is, Germain. Pourquoi donc ne lui conviendrez-vous pas? Why then will you not suit him?

Qui sait? Who knows? J'ai trois enfants, et c'est lourd pour une femme qui n'est pas leur mère! I have three children, and it is heavy for a woman who is not their mother! C'est vrai, mais vos enfants ne sont pas comme d'autres enfants. It is true, but your children are not like other children. Crois-tu? Do you believe?

Ils sont beaux comme des petits anges, et si bien élevés qu'on n'en peut pas voir de plus aimables. They are beautiful as little angels, and so well brought up that one cannot see any more lovable. Il y a Sylvain qui n'est pas trop commode. There is Sylvain who is not too convenient. Il est tout petit! He is very small! il ne peut pas être autrement que terrible, mais il a tant d'esprit! he cannot be other than terrible, but he has so much wit! C'est vrai qu'il a de l'esprit: et un courage! It is true that he has wit: and courage! Il ne craint ni vaches, ni taureaux, et si on le laissait faire, il grimperait déjà sur les chevaux avec son aîné. He fears neither cows nor bulls, and if left to do so, he would already be climbing on horses with his elder brother.

Moi, à votre place, j'aurais amené l'aîné. I, in your place, would have brought the elder. Bien sûr ça vous aurait fait aimer tout de suite, d'avoir un enfant si beau! Of course it would have made you love right away, to have such a beautiful child! Oui, si la femme aime les enfants; mais si elle ne les aime pas! Yes, if the woman loves children; but if she doesn't like them!

Est-ce qu'il y a des femmes qui n'aiment pas les enfants? Are there women who don't like children? Pas beaucoup, je pense; mais enfin il y en a, et c'est là ce qui me tourmente. Not a lot, I think; but still there is, and that is what torments me. Vous ne la connaissez donc pas du tout cette femme? So you don't know this woman at all?

Pas plus que toi, et je crains de ne pas la mieux connaître, après que je l'aurai vue. Neither do you, and I'm afraid I won't know her better after I see her. Je ne suis pas méfiant, moi. I am not suspicious, me. Quand on me dit de bonnes paroles, j'y crois: mais j'ai été plus d'une fois à même de m'en repentir, car les paroles ne sont pas des actions. When people say good words to me, I believe in them: but more than once I have been able to repent, for words are not actions. On dit que c'est une fort brave femme. They say she is a very good woman. Qui dit cela? Who says that? le père Maurice! Father Maurice!

Oui, votre beau-père. Yes, your stepfather.

C'est fort bien; mais il ne la connaît pas non plus. Eh bien, vous la verrez tantôt, vous ferez grande attention, et il faut espérer que vous ne vous tromperez pas, Germain. Well, you will see her shortly, you will pay close attention, and it is to be hoped that you will not be mistaken, Germain.

Tiens, petite Marie, je serais bien aise que tu entres un peu dans la maison, avant de t'en aller tout droit aux Ormeaux: tu es fine, toi, tu as toujours montré de l'esprit, et tu fais attention à tout. Here, little Marie, I would be very happy if you entered the house a little, before going straight to the Ormeaux: you are fine, you, you have always shown wit, and you pay attention to everything . Si tu vois quelque chose qui te donne à penser, tu m'en avertiras tout doucement. If you see something that gives you to think, you will warn me very slowly. Oh! non, Germain, je ne ferai pas cela! no, Germain, I won't do that! je craindrais trop de me tromper; et, d'ailleurs, si une parole dite à la légère venait à vous dégoûter de ce mariage, vos parents m'en voudraient, et j'ai bien assez de chagrins comme ça, sans en attirer d'autres sur ma pauvre chère femme de mère. I would be too afraid of making a mistake; and, moreover, if a word spoken lightly were to disgust you with this marriage, your parents would be angry with me, and I have enough sorrows like that, without attracting others to my poor dear wife. from mother. Comme ils devisaient ainsi, la Grise fit un écart en dressant les oreilles, puis revint sur ses pas, et se rapprocha du buisson, où quelque chose qu'elle commençait à reconnaître l'avait d'abord effrayée. As they were chatting thus, the Gray swerved, pricking up her ears, then retraced her steps, and approached the bush, where something she was beginning to recognize had frightened her at first. Germain jeta un regard sur le buisson, et vit dans le fossé, sous les branches épaisses et encore fraîches d'un têteau de chêne, quelque chose qu'il prit pour un agneau. Germain glanced at the bush, and saw in the ditch, under the thick and still fresh branches of an oak tree, something which he took for a lamb. C'est une bête égarée, dit-il, ou morte, car elle ne bouge. It is a stray beast, he said, or dead, because it does not move. Peut-être que quelqu'un la cherche; il faut voir! Maybe someone is looking for her; we must see! Ce n'est pas une bête, s'écria la petite Marie: c'est un enfant qui dort; c'est votre Petit-Pierre. It is not an animal, cried little Marie: it is a sleeping child; it is your Petit-Pierre. Par exemple! dit Germain en descendant de cheval; voyez ce petit garnement qui dort là, si loin de la maison, et dans un fossé où quelque serpent pourrait bien le trouver! said Germain, dismounting; see that little rascal sleeping there, so far from home, and in a ditch where some snake might find him!

Il prit dans ses bras l'enfant, qui lui sourit en ouvrant les yeux et jeta ses bras autour de son cou en lui disant: Mon petit père, tu vas m'emmener avec toi! He took the child in his arms, who smiled at him opening his eyes and threw his arms around his neck saying: My little father, you are going to take me with you! Ah oui! Oh yes! toujours la même chanson! always the same song! Que faisiez-vous là, mauvais Pierre? What were you doing there, bad Peter?

J'attendais mon petit père à passer, dit l'enfant; je regardais sur le chemin, et à force de regarder, je me suis endormi. I was waiting for my little father to pass, said the child; I looked on the road, and by dint of looking, I fell asleep. Et si j'étais passé sans te voir, tu serais resté toute la nuit dehors, et le loup t'aurait mangé! And if I had passed without seeing you, you would have stayed outside all night, and the wolf would have eaten you! Oh! Oh! je savais bien que tu me verrais! I knew you would see me! répondit Petit-Pierre avec confiance.

Eh bien, à présent, mon Pierre, embrasse-moi, dis moi adieu, et retourne vite à la maison, si tu ne veux pas qu'on soupe sans toi. Well, now, my Pierre, kiss me, say goodbye to me, and go home quickly, if you don't want dinner without you. Tu ne veux donc pas m'emmener? So you don't want to take me? s'écria le petit en commençant à frotter ses yeux pour montrer qu'il avait dessein de pleurer. cried the little one, starting to rub his eyes to show that he intended to cry. Tu sais bien que grand-père et grand'mère ne le veulent pas, dit Germain, se retranchant derrière l'autorité des vieux parents, comme un homme qui ne compte guère sur la sienne propre. You know very well that grandfather and grandmother don't want it, said Germain, taking refuge behind the authority of old parents, like a man who hardly relies on his own. Mais l'enfant n'entendit rien. But the child heard nothing. Il se prit à pleurer tout de bon, disant que puisque son père emmenait la petite Marie, il pouvait bien l'emmener aussi. He began to cry all the time, saying that since his father was taking little Marie, he could take her too. On lui objecta qu'il fallait passer les grands bois, qu'il y avait là beaucoup de méchantes bêtes qui mangeaient les petits enfants, que la Grise ne voulait pas porter trois personnes, qu'elle l'avait déclaré en partant, et que dans le pays où l'on se rendait, il n'y avait ni lit ni souper pour les marmots. They objected to her that she had to go through the great woods, that there were many wicked beasts there that ate little children, that the Gray did not want to carry three people, that she had declared as she left, and that in the country to which we were going, there was neither bed nor supper for the children. Toutes ces excellentes raisons ne persuadèrent point Petit-Pierre; il se jeta sur l'herbe, et s'y roula, en criant que son petit père ne l'aimait plus, et que s'il ne l'emmenait pas, il ne rentrerait point du jour ni de la nuit à la maison. All these excellent reasons did not persuade Petit-Pierre; he threw himself on the grass and rolled around, crying that his little father no longer loved him, and that if he did not take him away, he would not come home day or night. . Germain avait un cur de père aussi tendre et aussi faible que celui d'une femme. Germain had a father's heart as tender and as weak as that of a woman. La mort de la sienne, les soins qu'il avait été forcé de rendre seul à ses petits, aussi la pensée que ces pauvres enfants sans mère avaient besoin d'être beaucoup aimés, avaient contribué à le rendre ainsi, et il se fit en lui un si rude combat, d'autant plus qu'il rougissait de sa faiblesse et s'efforçait de cacher son malaise à la petite Marie, que la sueur lui en vint au front et que ses yeux se bordèrent de rouge, prêts à pleurer aussi. The death of his own, the care he had been forced to render alone to his little ones, also the thought that these poor motherless children needed to be loved much, had helped to make him so, and he was made in him such a hard fight, especially as he blushed at his weakness and tried to hide his discomfort from little Marie, that the sweat came to his forehead and his eyes were bordered with red, ready to cry too. Enfin il essaya de se mettre en colère; mais en se retournant vers la petite Marie, comme pour la prendre à témoin de sa fermeté d'âme, il vit que le visage de cette bonne fille était baigné de larmes, et tout son courage l'abandonnant, il lui fut impossible de retenir les siennes, bien qu'il grondât et menaçât encore. Finally he tried to get angry; but turning to little Marie, as if to call her to witness her firmness of soul, he saw that the face of this good girl was bathed in tears, and all her courage abandoning him, it was impossible for him to hold back his own, though he scolded and threatened again. Vrai, vous avez le cur trop dur, lui dit enfin la petite Marie, et, pour ma part, je ne pourrais jamais résister comme cela à un enfant qui a un si gros chagrin. True, you have a too hard heart, said little Marie at last, and, for my part, I could never resist like that to a child who has such a great sorrow. Voyons, Germain, emmenez-le. Come on, Germain, take him away. Votre jument est bien habituée à porter deux personnes et un enfant, à preuve que votre beau-frère et sa femme, qui est plus lourde que moi de beaucoup, vont au marché le samedi avec leur garçon, sur le dos de cette bonne bête. Your mare is used to carrying two people and a child, proof that your brother-in-law and his wife, who is much heavier than me, go to the market on Saturdays with their boy, on the back of this good beast. Vous le mettrez à cheval devant vous, et d'ailleurs j'aime mieux m'en aller toute seule à pied que de faire de la peine à ce petit. You will put him on horseback in front of you, and besides, I would rather go off on foot alone than to hurt this little one. Qu'à cela ne tienne, répondit Germain, qui mourait d'envie de se laisser convaincre. Never mind, replied Germain, who was dying to be convinced. La Grise est forte et en porterait deux de plus, s'il y avait place sur son échine. La Grise is strong and would carry two more, if there was room on her spine. Mais que ferons-nous de cet enfant en route? But what will we do with this child on the way? il aura froid, il aura faim… et qui prendra soin de lui ce soir et demain pour le coucher, le laver et le rhabiller? he will be cold, he will be hungry… and who will take care of him tonight and tomorrow to put him to bed, wash him and dress him again? Je n'ose pas donner cet ennui-là à une femme que je ne connais pas, et qui trouvera, sans doute, que je suis bien sans façons avec elle pour commencer. I dare not give this boredom to a woman whom I do not know, and who will doubtless find that I am quite comfortable with her to begin with. D'après l'amitié ou l'ennui qu'elle montrera, vous la connaîtrez tout de suite, Germain, croyez-moi; et d'ailleurs, si elle rebute votre Pierre, moi je m'en charge. From the friendship or the boredom she shows, you will know her right away, Germain, believe me; and besides, if it rejects your Pierre, I will take care of it. J'irai chez elle l'habiller et je l'emmènerai aux champs demain. I will go to her house to dress her and take her to the fields tomorrow. Je l'amuserai toute la journée et j'aurai soin qu'il ne manque de rien. I'll keep him entertained all day and make sure he doesn't miss anything. Et il t'ennuiera, ma pauvre fille! And it will bore you, my poor girl! Il te gênera! It will embarrass you! toute une journée, c'est long! a whole day is a long time! Ça me fera plaisir, au contraire, ça me tiendra compagnie, et ça me rendra moins triste le premier jour que j'aurai à passer dans un nouveau pays. It will make me happy, on the contrary, it will keep me company, and it will make me less sad the first day I have to spend in a new country. Je me figurerai que je suis encore chez nous. I will imagine that I am still at home.

L'enfant, voyant que la petite Marie prenait son parti, s'était cramponné à sa jupe et la tenait si fort qu'il eût fallu lui faire du mal pour l'en arracher. The child, seeing that little Marie was making up her mind, had clung to her skirt and held it so tight that it would have been necessary to hurt her to tear it off. Quand il reconnut que son père cédait, il prit la main de Marie dans ses deux petites mains brunies par le soleil, et l'embrassa en sautant de joie et en la tirant vers la jument, avec cette impatience ardente que les enfants portent dans leurs désirs. When he recognized that his father was giving in, he took Marie's hand in his two little hands browned by the sun, and kissed her, jumping for joy and pulling her towards the mare, with that ardent impatience that children carry in their hearts. desires. Allons, allons, dit la jeune fille, en le soulevant dans ses bras, tâchons d'apaiser ce pauvre cur qui saute comme un petit oiseau, et si tu sens le froid quand la nuit viendra, dis-le-moi, mon Pierre, je te serrerai dans ma cape. Come, come, said the young girl, lifting him in her arms, let us try to appease this poor heart which jumps like a little bird, and if you feel the cold when the night comes, tell me, my Pierre, I will hug you in my cloak. Embrasse ton petit père, et demande-lui pardon d'avoir fait le méchant. Kiss your little father, and beg his forgiveness for playing bad. Dis que ça ne t'arrivera plus, jamais! Say that will never happen to you again! jamais, entends-tu?

Oui, oui, à condition que je ferai toujours sa volonté, n'est-ce pas? Yes, yes, provided that I will always do his will, right? dit Germain en essuyant les yeux du petit avec son mouchoir: ah! said Germain, wiping the boy's eyes with his handkerchief: ah! Marie, vous me le gâtez, ce drôle-là!… Et vraiment, tu es une trop bonne fille, petite Marie. Marie, you spoil him for me, that funny one!… And really, you are too good a girl, little Marie. Je ne sais pas pourquoi tu n'es pas entrée bergère chez nous à la Saint- Jean dernière. I don't know why you didn't come as a shepherdess with us last Midsummer's Day. Tu aurais pris soin de mes enfants, et j'aurais mieux aimé te payer un bon prix pour les servir, que d'aller chercher une femme qui croira peut-être me faire beaucoup de grâce en ne les détestant pas. You would have taken care of my children, and I would have preferred to pay you a good price to serve them, than to go find a woman who will perhaps believe that she is doing me a great deal of favor by not hating them. Il ne faut pas voir comme ça les choses par le mauvais côté, répondit la petite Marie, en tenant la bride du cheval pendant que Germain plaçait son fils sur le devant du large bât garni de peau de chèvre: si votre femme n'aime pas les enfants, vous me prendrez à votre service l'an prochain, et, soyez tranquille, je les amuserai si bien qu'ils ne s'apercevront de rien. You shouldn't see things like that from the wrong side, replied little Marie, holding the horse's bridle while Germain placed her son on the front of the large goatskin-lined pack: if your wife doesn't like it. children, you will take me into your service next year, and, rest assured, I will amuse them so well that they will notice nothing.