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Le Mystère de la chambre jaune, Chapitre 27. (1 de 2) Où Joseph Rouletabille apparaît dans toute sa gloire

Chapitre 27. (1 de 2) Où Joseph Rouletabille apparaît dans toute sa gloire

Chapitre 27. (1 de 2) Où Joseph Rouletabille apparaît dans toute sa gloire

Il y eut un remous terrible. On entendit des cris de femmes qui se trouvaient mal. On n'eût plus aucun égard pour « la majesté de la justice ». Ce fut une bousculade insensée. Tout le monde voulait voir Joseph Rouletabille. Le président cria qu'il allait faire évacuer la salle, mais personne ne l'entendit. Pendant ce temps, Rouletabille sautait par-dessus la balustrade qui le séparait du public assis, se faisait un chemin à grands coups de coude, arrivait auprès de son directeur qui l'embrassait avec effusion, lui prit « sa » lettre d'entre les mains, la glissa dans sa poche, pénétra dans la partie réservée du prétoire et parvint ainsi jusqu'à la barre des témoins, bousculé, bousculant, le visage souriant, heureux, boule écarlate qu'illuminait encore l'éclair intelligent de ses deux grands yeux ronds. Il avait ce costume anglais que je lui avais vu le matin de son départ — mais dans quel état, mon Dieu ! — l'ulster sur son bras et la casquette de voyage à la main. Et il dit :

« Je demande pardon, monsieur le président, le transatlantique a eu du retard ! J'arrive d'Amérique. Je suis Joseph Rouletabille ! ... »

On éclata de rire. Tout le monde était heureux de l'arrivée de ce gamin. Il semblait à toutes ces consciences qu'un immense poids venait de leur être enlevé. On respirait. On avait la certitude qu'il apportait réellement la vérité... qu'il allait faire connaître la vérité...

Mais le président était furieux :

« Ah ! vous êtes Joseph Rouletabille, reprit le président... eh bien, je vous apprendrai, jeune homme, à vous moquer de la justice... En attendant que la cour délibère sur votre cas, je vous retiens à la disposition de la justice... en vertu de mon pouvoir discrétionnaire.

— Mais, monsieur le président, je ne demande que cela : être à la disposition de la justice... je suis venu m'y mettre, à la disposition de la justice... Si mon entrée a fait un peu de tapage, j'en demande bien pardon à la cour... Croyez bien, monsieur le président, que nul, plus que moi, n'a le respect de la justice... Mais je suis entré comme j'ai pu... »

Et il se mit à rire. Et tout le monde rit.

« Emmenez-le ! » commanda le président.

Mais maître Henri-Robert intervint. Il commença par excuser le jeune homme, il le montra animé des meilleurs sentiments, il fit comprendre au président qu'on pouvait difficilement se passer de la déposition d'un témoin qui avait couché au Glandier pendant toute la semaine mystérieuse, d'un témoin surtout qui prétendait prouver l'innocence de l'accusé et apporter le nom de l'assassin.

« Vous allez nous dire le nom de l'assassin ? demanda le président, ébranlé mais sceptique.

— Mais, mon président, je ne suis venu que pour ça ! fit Rouletabille.

On faillit applaudir dans le prétoire, mais les chut ! énergiques des huissiers rétablirent le silence.

« Joseph Rouletabille, dit maître Henri-Robert, n'est pas cité régulièrement comme témoin, mais j'espère qu'en vertu de son pouvoir discrétionnaire, monsieur le président voudra bien l'interroger.

— C'est bien ! fit le président, nous l'interrogerons. Mais finissons-en d'abord... »

L'avocat général se leva :

« Il vaudrait peut-être mieux, fit remarquer le représentant du ministère public, que ce jeune homme nous dise tout de suite le nom de celui qu'il dénonce comme étant l'assassin. Le président acquiesça avec une ironique réserve :

« Si monsieur l'avocat général attache quelque importance à la déposition de M. Joseph Rouletabille, je ne vois point d'inconvénient à ce que le témoin nous dise tout de suite le nom de « son » assassin ! On eût entendu voler une mouche.

Rouletabille se taisait, regardant avec sympathie M. Robert Darzac, qui, lui, pour la première fois, depuis le commencement du débat, montrait un visage agité et plein d'angoisse.

« Eh bien, répéta le président, on vous écoute, monsieur Joseph Rouletabille. Nous attendons le nom de l'assassin. Rouletabille fouilla tranquillement dans la poche de son gousset, en tira un énorme oignon, y regarda l'heure, et dit :

« Monsieur le président, je ne pourrai vous dire le nom de l'assassin qu'à six heures et demie ! Nous avons encore quatre bonnes heures devant nous ! La salle fit entendre des murmures étonnés et désappointés. Quelques avocats dirent à haute voix :

« Il se moque de nous ! » Le président avait l'air enchanté ; maîtres Henri-Robert et André Hesse étaient ennuyés.

Le président dit :

« Cette plaisanterie a assez duré. Vous pouvez vous retirer, monsieur, dans la salle des témoins. Je vous garde à notre disposition. Rouletabille protesta :

« Je vous affirme, monsieur le président, s'écria-t-il, de sa voix aiguë et claironnante, je vous affirme que, lorsque je vous aurai dit le nom de l'assassin, vous comprendrez que je ne pouvais vous le dire qu'à six heures et demie ! Parole d'honnête homme ! Foi de Rouletabille ! ... Mais, en attendant, je peux toujours vous donner quelques explications sur l'assassinat du garde... M. Frédéric Larsan qui m'a vu « travailler » au Glandier pourrait vous dire avec quel soin j'ai étudié toute cette affaire. J'ai beau être d'un avis contraire au sien et prétendre qu'en faisant arrêter M. Robert Darzac, il a fait arrêter un innocent, il ne doute pas, lui, de ma bonne foi, ni de l'importance qu'il faut attacher à mes découvertes, qui ont souvent corroboré les siennes ! Frédéric Larsan dit :

« Monsieur le président, il serait intéressant d'entendre M. Joseph Rouletabille ; d'autant plus intéressant qu'il n'est pas de mon avis. Un murmure d'approbation accueillit cette parole du policier. Il acceptait le duel en beau joueur. La joute promettait d'être curieuse entre ces deux intelligences qui s'étaient acharnées au même tragique problème et qui étaient arrivées à deux solutions différentes.

Comme le président se taisait, Frédéric Larsan continua :

« Ainsi nous sommes d'accord pour le coup de couteau au coeur qui a été donné au garde par l'assassin de Mlle Stangerson ; mais, puisque nous ne sommes plus d'accord sur la question de la fuite de l'assassin, « dans le bout de cour », il serait curieux de savoir comment M. Rouletabille explique cette fuite.

— Évidemment, fit mon ami, ce serait curieux ! Toute la salle partit encore à rire. Le président déclara aussitôt que, si un pareil fait se renouvelait, il n'hésiterait pas à mettre à exécution sa menace de faire évacuer la salle.

« Vraiment, termina le président, dans une affaire comme celle-là, je ne vois pas ce qui peut prêter à rire.

— Moi non plus ! » dit Rouletabille.

Des gens, devant moi, s'enfoncèrent leur mouchoir dans la bouche pour ne pas éclater...

« Allons, fit le président, vous avez entendu, jeune homme, ce que vient de dire M. Frédéric Larsan. Comment, selon vous, l'assassin s'est-il enfui du « bout de cour » ?

Rouletabille regarda MmeMathieu, qui lui sourit tristement.

« Puisque MmeMathieu, dit-il, a bien voulu avouer tout l'intérêt qu'elle portait au garde...

— la coquine ! s'écria le père Mathieu.

— Faites sortir le père Mathieu ! « ordonna le président.

On emmena le père Mathieu.

Rouletabille reprit :

« ... Puisqu'elle a fait cet aveu, je puis bien vous dire qu'elle avait souvent des conversations, la nuit, avec le garde, au premier étage du donjon, dans la chambre qui fut, autrefois un oratoire. Ces conversations furent surtout fréquentes dans les derniers temps, quand le père Mathieu était cloué au lit par ses rhumatismes.

« Une piqûre de morphine, administrée à propos, donnait au père Mathieu le calme et le repos, et tranquillisait son épouse pour les quelques heures pendant lesquelles elle était dans la nécessité de s'absenter. MmeMathieu venait au château, la nuit, enveloppée dans un grand châle noir qui lui servait autant que possible à dissimuler sa personnalité et la faisait ressembler à un sombre fantôme qui, parfois, troubla les nuits du père Jacques. Pour prévenir son ami de sa présence, MmeMathieu avait emprunté au chat de la mère Agenoux, une vieille sorcière de Sainte-Geneviève- des-Bois, son miaulement sinistre ; aussitôt, le garde descendait de son donjon et venait ouvrir la petite poterne à sa maîtresse. Quand les réparations du donjon furent récemment entreprises, les rendez-vous n'en eurent pas moins lieu dans l'ancienne chambre du garde, au donjon même, la nouvelle chambre, qu'on avait momentanément abandonnée à ce malheureux serviteur, à l'extrémité de l'aile droite du château, n'étant séparée du ménage du maître d'hôtel et de la cuisinière que par une trop mince cloison.

« MmeMathieu venait de quitter le garde en parfaite santé, quand le drame du « petit bout de cour » survint. MmeMathieu et le garde, n'ayant plus rien à se dire, étaient sortis du donjon ensemble... Je n'ai appris ces détails, monsieur le président, que par l'examen auquel je me livrai des traces de pas dans la cour d'honneur, le lendemain matin... Bernier, le concierge, que j'avais placé, avec son fusil, en observation derrière le donjon, ainsi que je lui permettrai de vous l'expliquer lui-même , ne pouvait voir ce qui se passait dans la cour d'honneur. Il n'y arriva un peu plus tard qu'attiré par les coups de revolver, et tira à son tour. Voici donc le garde et MmeMathieu, dans la nuit et le silence de la cour d'honneur. Ils se souhaitent le bonsoir ; MmeMathieu se dirige vers la grille ouverte de cette cour, et lui s'en retourne se coucher dans sa petite pièce en encorbellement, à l'extrémité de l'aile droite du château.

« Il va atteindre sa porte, quand des coups de revolver retentissent ; il se retourne ; anxieux, il revient sur ses pas ; il va atteindre l'angle de l'aile droite du château quand une ombre bondit sur lui et le frappe. Il meurt. Son cadavre est ramassé tout de suite par des gens qui croient tenir l'assassin et qui n'emportent que l'assassiné. Pendant ce temps, que fait MmeMathieu ? Surprise par les détonations et par l'envahissement de la cour, elle se fait la plus petite qu'elle peut dans la nuit et dans la cour d'honneur. La cour est vaste, et, se trouvant près de la grille, MmeMathieu pouvait passer inaperçue. Mais elle ne « passa » pas. Elle resta et vit emporter le cadavre. Le coeur serré d'une angoisse bien compréhensible et poussée par un tragique pressentiment, elle vint jusqu'au vestibule du château, jeta un regard sur l'escalier éclairé par le lumignon du père Jacques, l'escalier où l'on avait étendu le corps de son ami ; elle « vit » et s'enfuit. Avait-elle éveillé l'attention du père Jacques ? Toujours est-il que celui-ci rejoignit le fantôme noir, qui déjà lui avait fait passer quelques nuits blanches.

« Cette nuit même, avant le crime, il avait été réveillé par les cris de la « Bête du Bon Dieu » et avait aperçu, par sa fenêtre, le fantôme noir... Il s'était hâtivement vêtu et c'est ainsi que l'on s'explique qu'il arriva dans le vestibule, tout habillé, quand nous apportâmes le cadavre du garde. Donc, cette nuit-là, dans la cour d'honneur, il a voulu sans doute, une fois pour toutes, regarder de tout près la figure du fantôme. Il la reconnut. Le père Jacques est un vieil ami de MmeMathieu. Elle dut lui avouer ses nocturnes entretiens, et le supplier de la sauver de ce moment difficile ! L'état de MmeMathieu, qui venait de voir son ami mort, devait être pitoyable. Le père Jacques eut pitié et accompagna MmeMathieu, à travers la chênaie, et hors du parc, par delà même les bords de l'étang, jusqu'à la route d'Épinay. Là, elle n'avait plus que quelques mètres à faire pour rentrer chez elle. Le père Jacques revint au château, et, se rendant compte de l'importance judiciaire qu'il y aurait pour la maîtresse du garde à ce qu'on ignorât sa présence au château, cette nuit-là, essaya autant que possible de nous cacher cet épisode dramatique d'une nuit qui, déjà, en comptait tant ! Je n'ai nul besoin, ajouta Rouletabille, de demander à MmeMathieu et au père Jacques de corroborer ce récit. « Je sais » que les choses se sont passées ainsi ! Je ferai simplement appel aux souvenirs de M. Larsan qui, lui, comprend déjà comment j'ai tout appris, car il m'a vu, le lendemain matin, penché sur une double piste où l'on rencontrait voyageant de compagnie, l'empreinte des pas du père Jacques et de ceux de madame. Ici, Rouletabille se tourna vers MmeMathieu qui était restée à la barre, et lui fit un salut galant.

« Les empreintes des pieds de madame, expliqua Rouletabille, ont une ressemblance étrange avec les traces des « pieds élégants » de l'assassin... »

MmeMathieu tressaillit et fixa avec une curiosité farouche le jeune reporter. Qu'osait-il dire ? Que voulait-il dire ?

« Madame a le pied élégant, long et plutôt un peu grand pour une femme. C'est, au bout pointu de la bottine près, le pied de l'assassin... »

Il y eut quelques mouvements dans l'auditoire. Rouletabille, d'un geste, les fit cesser. On eût dit vraiment que c'était lui, maintenant, qui commandait la police de l'audience.

« Je m'empresse de dire, fit-il, que ceci ne signifie pas grand'chose et qu'un policier qui bâtirait un système sur des marques extérieures semblables, sans mettre une idée générale autour, irait tout de go à l'erreur judiciaire ! M. Robert Darzac, lui aussi, a les pieds de l'assassin, et cependant, il n'est pas l'assassin ! Nouveaux mouvements.

Le président demanda à MmeMathieu :

« C'est bien ainsi que, ce soir-là, les choses se sont passées pour vous, madame ?

— Oui, monsieur le président, répondit-elle. C'est à croire que M. Rouletabille était derrière nous.

— Vous avez donc vu fuir l'assassin jusqu'à l'extrémité de l'aile droite, madame ?

— Oui, comme j'ai vu emporter, une minute plus tard, le cadavre du garde.

— Et l'assassin, qu'est-il devenu ? Vous étiez restée seule dans la cour d'honneur, il serait tout naturel que vous l'ayez aperçu alors... Il ignorait votre présence et le moment était venu pour lui de s'échapper...

— Je n'ai rien vu, monsieur le président, gémit MmeMathieu. À ce moment la nuit était devenue très noire.

— C'est donc, fit le président, M. Rouletabille qui nous expliquera comment l'assassin s'est enfui.

— Évidemment ! » répliqua aussitôt le jeune homme avec une telle assurance que le président lui-même ne put s'empêcher de sourire.

Et Rouletabille reprit la parole :

« Il était impossible à l'assassin de s'enfuir normalement du bout de cour dans lequel il était entré sans que nous le vissions ! Si nous ne l'avions pas vu, nous l'eussions touché ! C'est un pauvre petit bout de cour de rien du tout, un carré entouré de fossés et de hautes grilles. L'assassin eût marché sur nous ou nous eussions marché sur lui ! Ce carré était aussi quasi-matériellement fermé par les fossés, les grilles et par nous-mêmes, que la « Chambre Jaune ! — Alors, dites-nous donc, puisque l'homme est entré dans ce carré, dites-nous donc comment il se fait que vous ne l'ayez point trouvé ! ... Voilà une demi-heure que je ne vous demande que cela ! ... »

Rouletabille ressortit une fois encore l'oignon qui garnissait la poche de son gilet ; il y jeta un regard calme, et dit :

« Monsieur le président, vous pouvez me demander cela encore pendant trois heures trente, je ne pourrai vous répondre sur ce point qu'à six heures et demie ! Cette fois-ci les murmures ne furent ni hostiles, ni désappointés. On commençait à avoir confiance en Rouletabille. « On lui faisait confiance. » Et l'on s'amusait de cette prétention qu'il avait de fixer une heure au président comme il eût fixé un rendez-vous à un camarade.

Quant au président, après s'être demandé s'il devait se fâcher, il prit son parti de s'amuser de ce gamin comme tout le monde. Rouletabille dégageait de la sympathie, et le président en était déjà tout imprégné. Enfin, il avait si nettement défini le rôle de MmeMathieu dans l'affaire, et si bien expliqué chacun de ses gestes, « cette nuit-là », que M. De Rocoux se voyait obligé de le prendre presque au sérieux.

« Eh bien, monsieur Rouletabille, fit-il, c'est comme vous voudrez ! Mais que je ne vous revoie plus avant six heures et demie ! Rouletabille salua le président, et, dodelinant de sa grosse tête, se dirigea vers la porte des témoins.

Son regard me cherchait. Il ne me vit point. Alors, je me dégageai tout doucement de la foule qui m'enserrait et je sortis de la salle d'audience, presque en même temps que Rouletabille. Cet excellent ami m'accueillit avec effusion. Il était heureux et loquace. Il me secouait les mains avec jubilation. Je lui dis :

« Je ne vous demanderai point, mon cher ami, ce que vous êtes allé faire en Amérique. Vous me répliqueriez sans doute, comme au président, que vous ne pouvez me répondre qu'à six heures et demie...

— Non, mon cher Sainclair, non, mon cher Sainclair ! Je vais vous dire tout de suite ce que je suis allé faire en Amérique, parce que vous, vous êtes un ami : je suis allé chercher le nom de la seconde moitié de l'assassin !

— Vraiment, vraiment, le nom de la seconde moitié...

— Parfaitement. Quand nous avons quitté le Glandier pour la dernière fois, je connaissais les deux moitiés de l'assassin et le nom de l'une de ces moitiés. C'est le nom de l'autre moitié que je suis allé chercher en Amérique... »

Nous entrions, à ce moment, dans la salle des témoins. Ils vinrent tous à Rouletabille avec force démonstrations. Le reporter fut très aimable, si ce n'est avec Arthur Rance auquel il montra une froideur marquée. Frédéric Larsan entrant alors dans la salle, Rouletabille alla à lui, lui administra une de ces poignées de main dont il avait le douloureux secret, et dont on revient avec les phalanges brisées. Pour lui montrer tant de sympathie, Rouletabille devait être bien sûr de l'avoir roulé. Larsan souriait, sûr de lui-même et lui demandant, à son tour, ce qu'il était allé faire en Amérique. Alors, Rouletabille, très aimable, le prit par le bras et lui conta dix anecdotes de son voyage. À un moment, ils s'éloignèrent, s'entretenant de choses plus sérieuses, et, par discrétion, je les quittai. Du reste, j'étais fort curieux de rentrer dans la salle d'audience où l'interrogatoire des témoins continuait. Je retournai à ma place et je pus constater tout de suite que le public n'attachait qu'une importance relative à ce qui se passait alors, et qu'il attendait impatiemment six heures et demie.

Ces six heures et demie sonnèrent et Joseph Rouletabille fut à nouveau introduit. Décrire l'émotion avec laquelle la foule le suivit des yeux à la barre serait impossible. On ne respirait plus. M. Robert Darzac s'était levé à son banc. Il était « pâle comme un mort ».

Le président dit avec gravité :

« Je ne vous fais pas prêter serment, monsieur ! Vous n'avez pas été cité régulièrement. Mais j'espère qu'il n'est pas besoin de vous expliquer toute l'importance des paroles que vous allez prononcer ici... »

Et il ajouta, menaçant :

« Toute l'importance de ces paroles... pour vous , sinon pour les autres ! ... »

Rouletabille, nullement ému, le regardait. Il dit :

« Oui, m'sieur !

— Voyons, fit le président. Nous parlions tout à l'heure de ce petit bout de cour qui avait servi de refuge à l'assassin, et vous nous promettiez de nous dire, à six heures et demie, comment l'assassin s'est enfui de ce bout de cour et aussi le nom de l'assassin. Il est six heures trente-cinq, monsieur Rouletabille, et nous ne savons encore rien !

— Voilà, m'sieur ! commença mon ami au milieu d'un silence si solennel que je ne me rappelle pas en avoir « vu » de semblable, je vous ai dit que ce bout de cour était fermé et qu'il était impossible pour l'assassin de s'échapper de ce carré sans que ceux qui étaient à sa recherche s'en aperçussent. C'est l'exacte vérité. Quand nous étions là, dans le carré de bout de cour, l'assassin s'y trouvait encore avec nous !

— Et vous ne l'avez pas vu ! ... c'est bien ce que l'accusation prétend...

— Et nous l'avons tous vu ! monsieur le président, s'écria Rouletabille.

— Et vous ne l'avez pas arrêté ! ...

— Il n'y avait que moi qui sût qu'il était l'assassin. Et j'avais besoin que l'assassin ne fût pas arrêté tout de suite ! Et puis, je n'avais d'autre preuve, à ce moment, que « ma raison » ! Oui, seule, ma raison me prouvait que l'assassin était là et que nous le voyions ! J'ai pris mon temps pour apporter, aujourd'hui, en cour d'assises, une preuve irréfutable, et qui, je m'y engage, contentera tout le monde.

— Mais parlez ! parlez, monsieur ! Dites-nous quel est le nom de l'assassin, fit le président...

— Vous le trouverez parmi les noms de ceux qui étaient dans le bout de cour », répliqua Rouletabille, qui, lui, ne semblait pas pressé...

On commençait à s'impatienter dans la salle...

« Le nom ! Le nom ! murmurait-on...

Rouletabille, sur un ton qui méritait des gifles, dit :

« Je laisse un peu traîner cette déposition, la mienne, m'sieur le président, parce que j'ai des raisons pour cela ! ...

— Le nom ! Le nom ! répétait la foule.

— Silence ! » glapit l'huissier.

Le président dit :

« Il faut tout de suite nous dire le nom, monsieur ! ... Ceux qui se trouvaient dans le bout de cour étaient : le garde, mort. Est-ce lui, l'assassin ?

— Non, m'sieur.

— Le père Jacques ? ...

— Non m'sieur.

— Le concierge, Bernier ?

— Non, m'sieur...

— M. Sainclair ?

— Non m'sieur...

— M. Arthur William Rance, alors ? Il ne reste que M. Arthur Rance et vous ! Vous n'êtes pas l'assassin, non ?

— Non, m'sieur !

— Alors, vous accusez M. Arthur Rance ?

—Non, m'sieur !

— Je ne comprends plus ! ... Où voulez-vous en venir ? ... il n'y avait plus personne dans le bout de cour.

— Si, m'sieur ! ... il n'y avait personne dans le bout de cour, ni au-dessous, mais il y avait quelqu'un au-dessus, quelqu'un penché à sa fenêtre, sur le bout de cour...

— Frédéric Larsan ! s'écria le président.

— Frédéric Larsan ! » répondit d'une voix éclatante Rouletabille.

Et, se retournant vers le public qui faisait entendre déjà des protestations, il lui lança ces mots avec une force dont je ne le croyais pas capable :

« Frédéric Larsan, l'assassin ! Une clameur où s'exprimaient l'ahurissement, la consternation, l'indignation, l'incrédulité, et, chez certains, l'enthousiasme pour le petit bonhomme assez audacieux pour oser une pareille accusation, remplit la salle. Le président n'essaya même pas de la calmer ; quand elle fut tombée d'elle-même, sous les chut ! énergiques de ceux qui voulaient tout de suite en savoir davantage, on entendit distinctement Robert Darzac, qui, se laissant retomber sur son banc, disait :

« C'est impossible ! Il est fou ! ... »

Le président :

« Vous osez, monsieur, accuser Frédéric Larsan ! Voyez l'effet d'une pareille accusation... M. Robert Darzac lui-même vous traite de fou ! ... Si vous ne l'êtes pas, vous devez avoir des preuves...

— Des preuves, m'sieur ! Vous voulez des preuves ! Ah ! je vais vous en donner une, de preuve... fit la voix aiguë de Rouletabille... Qu'on fasse venir Frédéric Larsan ! ... »

Le président :

« Huissier, appelez Frédéric Larsan. L'huissier courut à la petite porte, l'ouvrit, disparut... La petite porte était restée ouverte... Tous les yeux étaient sur cette petite porte. L'huissier réapparut. Il s'avança au milieu du prétoire et dit :

« Monsieur le président, Frédéric Larsan n'est pas là. Il est parti vers quatre heures et on ne l'a plus revu. Rouletabille clama, triomphant :

« Ma preuve, la voilà !

— Expliquez-vous... Quelle preuve ? demanda le président.

— Ma preuve irréfutable, fit le jeune reporter, ne voyez-vous pas que c'est la fuite de Larsan. Je vous jure qu'il ne reviendra pas, allez ! ... vous ne reverrez plus Frédéric Larsan... »

Rumeurs au fond de la salle.

« Si vous ne vous moquez pas de la justice, pourquoi, monsieur, n'avez-vous pas profité de ce que Larsan était avec vous, à cette barre, pour l'accuser en face ? Au moins, il aurait pu vous répondre ! ...

— Quelle réponse eût été plus complète que celle-ci, monsieur le président ? ... il ne me répond pas ! Il ne me répondra jamais ! J'accuse Larsan d'être l'assassin et il se sauve ! Vous trouvez que ce n'est pas une réponse, ça ! ...

— Nous ne voulons pas croire, nous ne croyons point que Larsan, comme vous dites,« se soit sauvé »... Comment se serait-il sauvé ? Il ne savait pas que vous alliez l'accuser ?

— Si, m'sieur, il le savait, puisque je le lui ai appris moi- même, tout à l'heure...

— Vous avez fait cela ! ... Vous croyez que Larsan est l'assassin et vous lui donnez les moyens de fuir ! ...

— Oui, m'sieur le président, j'ai fait cela, répliqua Rouletabille avec orgueil... Je ne suis pas de la « justice », moi ; je ne suis pas de la « police », moi ; je suis un humble journaliste, et mon métier n'est point de faire arrêter les gens ! Je sers la vérité comme je veux... c'est mon affaire... Préservez, vous autres, la société, comme vous pouvez, c'est la vôtre... Mais ce n'est pas moi qui apporterai une tête au bourreau ! ... Si vous êtes juste, monsieur le président — et vous l'êtes — vous trouverez que j'ai raison ! ... Ne vous ai-je pas dit, tout à l'heure, « que vous comprendriez que je ne pouvais prononcer le nom de l'assassin avant six heures et demie ». J'avais calculé que ce temps était nécessaire pour avertir Frédéric Larsan, lui permettre de prendre le train de 4 heures 17, pour Paris, où il saurait se mettre en sûreté... Une heure pour arriver à Paris, une heure et quart pour qu'il pût faire disparaître toute trace de son passage... Cela nous amenait à six heures et demie... Vous ne retrouverez pas Frédéric Larsan, déclara Rouletabille en fixant M. Robert Darzac... il est trop malin... C'est un homme qui vous a toujours échappé... et que vous avez longtemps et vainement poursuivi... S'il est moins fort que moi, ajouta Rouletabille, en riant de bon coeur et en riant tout seul, car personne n'avait plus envie de rire... il est plus fort que toutes les polices de la terre. Cet homme, qui, depuis quatre ans, s'est introduit à la Sûreté, et y est devenu célèbre sous le nom de Frédéric Larsan, est autrement célèbre sous un autre nom que vous connaissez bien. Frédéric Larsan, m'sieur le président, c'est Ballmeyer !

— Ballmeyer ! s'écria le président.

— Ballmeyer ! fit Robert Darzac, en se soulevant... Ballmeyer ! ... C'était donc vrai !

— Ah ! ah ! m'sieur Darzac, vous ne croyez plus que je suis fou, maintenant ! ... »

Ballmeyer !

Ballmeyer !

Ballmeyer !

On n'entendait plus que ce nom dans la salle. Le président suspendit l'audience.

Vous pensez si cette suspension d'audience fut mouvementée. Le public avait de quoi s'occuper. Ballmeyer !

On trouvait, décidément, le gamin « épatant » ! Ballmeyer !

Mais le bruit de sa mort avait couru, il y avait, de cela, quelques semaines. Ballmeyer avait donc échappé à la mort comme, toute sa vie, il avait échappé aux gendarmes. Est-il nécessaire que je rappelle ici les hauts faits de Ballmeyer ? Ils ont, pendant vingt ans, défrayé la chronique judiciaire et la rubrique des faits divers ; et, si quelques-uns de mes lecteurs ont pu oublier l'affaire de la « Chambre Jaune », ce nom de Ballmeyer n'est certainement pas sorti de leur mémoire. Ballmeyer fut le type même de l'escroc du grand monde ; il n'était point de gentleman plus gentleman que lui ; il n'était point de prestidigitateur plus habile de ses doigts que lui ; il n'était point d'« apache », comme on dit aujourd'hui, plus audacieux et plus terrible que lui. Reçu dans la meilleure société, inscrit dans les cercles les plus fermés, il avait volé l'honneur des familles et l'argent des pontes avec une maestria qui ne fut jamais dépassée. Dans certaines occasions difficiles, il n'avait pas hésité à faire le coup de couteau ou le coup de l'os de mouton. Du reste, il n'hésitait jamais, et aucune entreprise n'était au-dessus de ses forces. Étant tombé une fois entre les mains de la justice, il s'échappa, le matin de son procès, en jetant du poivre dans les yeux des gardes qui le conduisaient à la cour d'assises. On sut plus tard que, le jour de sa fuite, pendant que les plus fins limiers de la Sûreté étaient à ses trousses, il assistait, tranquillement, nullement maquillé, à une « première »du Théâtre-Français. Il avait ensuite quitté la France pour travailler en Amérique, et la police de l'état d'Ohio avait, un beau jour, mis la main sur l'exceptionnel bandit ; mais, le lendemain, il s'échappait encore... Ballmeyer, il faudrait un volume pour parler ici de Ballmeyer, et c'est cet homme qui était devenu Frédéric Larsan ! ... Et c'est ce petit gamin de Rouletabille qui avait découvert cela ! ... Et c'est lui aussi, ce moutard, qui, connaissant le passé d'un Ballmeyer, lui permettait, une fois de plus, de faire la nique à la société, en lui fournissant le moyen de s'échapper ! À ce dernier point de vue, je ne pouvais qu'admirer Rouletabille, car je savais que son dessein était de servir jusqu'au bout M. Robert Darzac et Mlle Stangerson en les débarrassant du bandit sans qu'il parlât.

On n'était pas encore remis d'une pareille révélation, et j'entendais déjà les plus pressés s'écrier : « En admettant que l'assassin soit Frédéric Larsan, cela ne nous explique pas comment il est sorti de la Chambre Jaune ! ... » quand l'audience fut reprise.


Chapitre 27. Kapitel 27: (1 von 2) Wo Joseph Rouletabille in seiner ganzen Herrlichkeit erscheint Chapter 27 (1 of 2) Where Joseph Rouletabille appears in all his glory فصل 27. (1 از 2) جایی که جوزف رولتابیل با شکوه تمام ظاهر می شود Capítulo 27 (1 de 2): Joseph Rouletabille em toda a sua glória Глава 27 (1 из 2): Жозеф Рулетабиль во всей красе (1 de 2) Où Joseph Rouletabille apparaît dans toute sa gloire

Chapitre 27. (1 de 2) Où Joseph Rouletabille apparaît dans toute sa gloire (1 von 2) Wo Joseph Rouletabille in all seiner Herrlichkeit erscheint (1 de 2) Onde Joseph Rouletabille aparece em toda a sua glória

Il y eut un remous terrible. Es gab eine schreckliche Aufregung. There was a terrible stir. On entendit des cris de femmes qui se trouvaient mal. Wir hörten Schreie von Frauen, die krank waren. We heard screams from women who were ill. On n’eût plus aucun égard pour « la majesté de la justice ». "Die Majestät der Gerechtigkeit" wurde nicht mehr berücksichtigt. There was no longer any regard for "the majesty of justice". Ce fut une bousculade insensée. Es war ein wahnsinniger Ansturm. It was an insane stampede. Tout le monde voulait voir Joseph Rouletabille. Le président cria qu’il allait faire évacuer la salle, mais personne ne l’entendit. Pendant ce temps, Rouletabille sautait par-dessus la balustrade qui le séparait du public assis, se faisait un chemin à grands coups de coude, arrivait auprès de son directeur qui l’embrassait avec effusion, lui prit « sa » lettre d’entre les mains, la glissa dans sa poche, pénétra dans la partie réservée du prétoire et parvint ainsi jusqu’à la barre des témoins, bousculé, bousculant, le visage souriant, heureux, boule écarlate qu’illuminait encore l’éclair intelligent de ses deux grands yeux ronds. Währenddessen sprang Rouletabille über das Geländer, das ihn vom sitzenden Publikum trennte, machte sich mit großen Ellbogen auf den Weg, kam zu seinem Regisseur, der ihn ausgiebig küsste und "seinen" Brief von ihnen nahm. Hände steckten es in seine Tasche, betraten den reservierten Teil des Gerichtssaals und erreichten so den Zeugenstand, angerempelt, angerempelt, smiley, fröhliches Gesicht, scharlachroter Ball, der immer noch vom intelligenten Blitz seiner beiden Großen beleuchtet wurde runde Augen. During this time, Rouletabille jumped over the balustrade which separated him from the seated public, made his way with great nudges, arrived near his director who kissed him effusively, took "his" letter from among the hands, slipped it into his pocket, entered the reserved part of the courtroom and thus reached the witness stand, jostled, jostling, the smiling, happy face, a scarlet ball which was still illuminated by the intelligent flash of its two grown-ups. round eyes. Durante esse tempo, Rouletabille saltou sobre a balaustrada que o separava do público sentado, abriu caminho com grandes cutucões, chegou perto de seu diretor que o beijou efusivamente, tirou "sua" carta das mãos, enfiou-a no bolso, entrou a parte reservada da sala do tribunal e assim alcançada o banco das testemunhas, empurrada, empurrando, o rosto sorridente, feliz, uma bola escarlate que ainda estava iluminada pelo flash inteligente de seus dois adultos olhos redondos. Il avait ce costume anglais que je lui avais vu le matin de son départ — mais dans quel état, mon Dieu ! — l’ulster sur son bras et la casquette de voyage à la main. - the ulster on his arm and the travel cap in his hand. Et il dit :

« Je demande pardon, monsieur le président, le transatlantique a eu du retard ! J’arrive d’Amérique. Je suis Joseph Rouletabille ! ... »

On éclata de rire. Caímos na gargalhada. Tout le monde était heureux de l’arrivée de ce gamin. Il semblait à toutes ces consciences qu’un immense poids venait de leur être enlevé. Parecia a todas essas consciências que um peso imenso acabava de ser tirado delas. On respirait. On avait la certitude qu’il apportait réellement la vérité... qu’il allait faire connaître la vérité...

Mais le président était furieux :

« Ah ! vous êtes Joseph Rouletabille, reprit le président... eh bien, je vous apprendrai, jeune homme, à vous moquer de la justice... En attendant que la cour délibère sur votre cas, je vous retiens à la disposition de la justice... en vertu de mon pouvoir discrétionnaire. you are Joseph Rouletabille, resumed the president ... well, I will teach you, young man, to make fun of justice ... Until the court deliberates on your case, I keep you at the disposal of justice. .. under my discretion. você é Joseph Rouletabille, assumiu a presidência ... sob minha discrição.

— Mais, monsieur le président, je ne demande que cela : être à la disposition de la justice... je suis venu m’y mettre, à la disposition de la justice... Si mon entrée a fait un peu de tapage, j’en demande bien pardon à la cour... Croyez bien, monsieur le président, que nul, plus que moi, n’a le respect de la justice... Mais je suis entré comme j’ai pu... »

Et il se mit à rire. Et tout le monde rit.

« Emmenez-le ! "Take him!" » commanda le président.

Mais maître Henri-Robert intervint. Il commença par excuser le jeune homme, il le montra animé des meilleurs sentiments, il fit comprendre au président qu’on pouvait difficilement se passer de la déposition d’un témoin qui avait couché au Glandier pendant toute la semaine mystérieuse, d’un témoin surtout qui prétendait prouver l’innocence de l’accusé et apporter le nom de l’assassin. He began by excusing the young man, he showed him animated with the best feelings, he made the president understand that it was difficult to do without the deposition of a witness who had slept at the Glandier during the whole mysterious week, of a witness especially who claimed to prove the innocence of the accused and to bring the name of the assassin.

« Vous allez nous dire le nom de l’assassin ? demanda le président, ébranlé mais sceptique.

— Mais, mon président, je ne suis venu que pour ça ! fit Rouletabille.

On faillit applaudir dans le prétoire, mais les chut ! We almost applauded in the courtroom, but shhh! Quase aplaudimos no tribunal, mas o shhhs! énergiques des huissiers rétablirent le silence. energetic ushers restored silence.

« Joseph Rouletabille, dit maître Henri-Robert, n’est pas cité régulièrement comme témoin, mais j’espère qu’en vertu de son pouvoir discrétionnaire, monsieur le président voudra bien l’interroger.

— C’est bien ! fit le président, nous l’interrogerons. said the president, we will question him. Mais finissons-en d’abord... » But let's finish it first ... "

L’avocat général se leva :

« Il vaudrait peut-être mieux, fit remarquer le représentant du ministère public, que ce jeune homme nous dise tout de suite le nom de celui qu’il dénonce comme étant l’assassin. "It might be better," remarked the representative of the public prosecutor, "if this young man told us immediately the name of the man he denounced as the murderer. “Talvez fosse melhor”, disse o representante do Ministério Público, “que este jovem nos dissesse imediatamente o nome daquele que denuncia como o assassino. Le président acquiesça avec une ironique réserve :

« Si monsieur l’avocat général attache quelque importance à la déposition de M. Joseph Rouletabille, je ne vois point d’inconvénient à ce que le témoin nous dise tout de suite le nom de « son » assassin ! "If the Advocate General attaches some importance to the testimony of Mr. Joseph Rouletabille, I have no problem with the witness telling us immediately the name of" his "murderer! On eût entendu voler une mouche. You would have heard a fly fly.

Rouletabille se taisait, regardant avec sympathie M. Robert Darzac, qui, lui, pour la première fois, depuis le commencement du débat, montrait un visage agité et plein d’angoisse. Rouletabille was silent, looking sympathetically at M. Robert Darzac, who, for the first time since the beginning of the debate, showed an agitated face full of anguish.

« Eh bien, répéta le président, on vous écoute, monsieur Joseph Rouletabille. Nous attendons le nom de l’assassin. Rouletabille fouilla tranquillement dans la poche de son gousset, en tira un énorme oignon, y regarda l’heure, et dit : Rouletabille quietly rummaged in the pocket of his gusset, took out a huge onion, looked at the time there, and said:

« Monsieur le président, je ne pourrai vous dire le nom de l’assassin qu’à six heures et demie ! "Mr. President, I won't be able to tell you the name of the assassin until half past six!" "Senhor presidente, não poderei dizer o nome do assassino antes das seis e meia!" Nous avons encore quatre bonnes heures devant nous ! We still have a good four hours ahead of us! La salle fit entendre des murmures étonnés et désappointés. Quelques avocats dirent à haute voix : Some lawyers said aloud:

« Il se moque de nous ! "He's laughing at us!" » Le président avait l’air enchanté ; maîtres Henri-Robert et André Hesse étaient ennuyés. The president looked delighted; Masters Henri-Robert and André Hesse were bored.

Le président dit :

« Cette plaisanterie a assez duré. “This joke has gone on long enough. Vous pouvez vous retirer, monsieur, dans la salle des témoins. Je vous garde à notre disposition. Eu mantenho você à nossa disposição. Rouletabille protesta :

« Je vous affirme, monsieur le président, s’écria-t-il, de sa voix aiguë et claironnante, je vous affirme que, lorsque je vous aurai dit le nom de l’assassin, vous comprendrez que je ne pouvais vous le dire qu’à six heures et demie ! "I assure you, Mr. President," he cried, in his shrill, trumpet-sounding voice, "I affirm to you that when I have told you the name of the assassin, you will understand that I could not tell you. at half past six! "Eu lhe digo, senhor presidente", gritou ele, com sua voz estridente e trombeta, "digo-lhe que, quando eu lhe disser o nome do assassino, compreenderá que não pude lhe dizer. Às seis e meia! Parole d’honnête homme ! Word of an honest man! Foi de Rouletabille ! Rouletabille Faith! ... Mais, en attendant, je peux toujours vous donner quelques explications sur l’assassinat du garde... M. Frédéric Larsan qui m’a vu « travailler » au Glandier pourrait vous dire avec quel soin j’ai étudié toute cette affaire. ... But, in the meantime, I can always give you some explanations on the assassination of the guard ... Mr. Frédéric Larsan who saw me "working" at the Glandier could tell you with what care I studied all this. case. J’ai beau être d’un avis contraire au sien et prétendre qu’en faisant arrêter M. Robert Darzac, il a fait arrêter un innocent, il ne doute pas, lui, de ma bonne foi, ni de l’importance qu’il faut attacher à mes découvertes, qui ont souvent corroboré les siennes ! I may be of an opinion contrary to his and pretend that by having Mr. Robert Darzac arrested, he had an innocent arrested, he does not doubt, he, of my good faith, nor of the importance that I must attach to my discoveries, which have often corroborated his own! Frédéric Larsan dit :

« Monsieur le président, il serait intéressant d’entendre M. Joseph Rouletabille ; d’autant plus intéressant qu’il n’est pas de mon avis. “Mr. President, it would be interesting to hear Mr. Joseph Rouletabille; all the more interesting since it is not in my opinion. Un murmure d’approbation accueillit cette parole du policier. A whisper of approval greeted the policeman's words. Il acceptait le duel en beau joueur. Ele aceitou o duelo como um bom jogador. La joute promettait d’être curieuse entre ces deux intelligences qui s’étaient acharnées au même tragique problème et qui étaient arrivées à deux solutions différentes. It was going to be a curious joust between these two intellects, who had tackled the same tragic problem and come up with two different solutions.

Comme le président se taisait, Frédéric Larsan continua :

« Ainsi nous sommes d’accord pour le coup de couteau au coeur qui a été donné au garde par l’assassin de Mlle Stangerson ; mais, puisque nous ne sommes plus d’accord sur la question de la fuite de l’assassin, « dans le bout de cour », il serait curieux de savoir comment M. Rouletabille explique cette fuite. “So we agree with the stab in the heart which was given to the guard by the murderer of Miss Stangerson; but, since we are no longer in agreement on the question of the escape of the murderer, "in the end of the courtyard", it would be curious to know how M. Rouletabille explains this flight. “Portanto, concordamos com a facada no coração que foi dada ao guarda pelo assassino da Srta. Stangerson; mas, como não estamos mais de acordo sobre a questão da fuga do assassino, "no fundo do pátio", seria curioso saber como M. Rouletabille explica esta fuga.

— Évidemment, fit mon ami, ce serait curieux ! - Obviously, said my friend, that would be curious! Toute la salle partit encore à rire. Le président déclara aussitôt que, si un pareil fait se renouvelait, il n’hésiterait pas à mettre à exécution sa menace de faire évacuer la salle.

« Vraiment, termina le président, dans une affaire comme celle-là, je ne vois pas ce qui peut prêter à rire. “Really,” the president finished, “in a case like this, I don't see what can be laughed at.

— Moi non plus ! » dit Rouletabille.

Des gens, devant moi, s’enfoncèrent leur mouchoir dans la bouche pour ne pas éclater...

« Allons, fit le président, vous avez entendu, jeune homme, ce que vient de dire M. Frédéric Larsan. Comment, selon vous, l’assassin s’est-il enfui du « bout de cour » ?

Rouletabille regarda MmeMathieu, qui lui sourit tristement. Rouletabille looked at Madame Mathieu, who smiled sadly at him.

« Puisque MmeMathieu, dit-il, a bien voulu avouer tout l’intérêt qu’elle portait au garde... "Since Mme. Mathieu, he said, was kind enough to admit the interest she had in the guard ...

— la coquine ! - the naughty! s’écria le père Mathieu. exclaimed Father Mathieu.

— Faites sortir le père Mathieu ! - Get Father Mathieu out! « ordonna le président.

On emmena le père Mathieu. Father Mathieu was taken away.

Rouletabille reprit : Rouletabille continued:

« ... Puisqu’elle a fait cet aveu, je puis bien vous dire qu’elle avait souvent des conversations, la nuit, avec le garde, au premier étage du donjon, dans la chambre qui fut, autrefois un oratoire. "... Desde que ela fez esta confissão, posso dizer-lhe que muitas vezes conversava à noite com o guarda, no primeiro andar da torre de menagem, na sala que outrora foi um oratório. Ces conversations furent surtout fréquentes dans les derniers temps, quand le père Mathieu était cloué au lit par ses rhumatismes. These conversations were especially frequent in the last days, when Father Mathieu was bedridden by his rheumatism.

« Une piqûre de morphine, administrée à propos, donnait au père Mathieu le calme et le repos, et tranquillisait son épouse pour les quelques heures pendant lesquelles elle était dans la nécessité de s’absenter. “An injection of morphine, administered appropriately, gave Father Mathieu peace and rest, and reassured his wife for the few hours during which she had to be away. MmeMathieu venait au château, la nuit, enveloppée dans un grand châle noir qui lui servait autant que possible à dissimuler sa personnalité et la faisait ressembler à un sombre fantôme qui, parfois, troubla les nuits du père Jacques. Madame Mathieu came to the chateau at night, wrapped in a large black shawl which served as much as possible to conceal her personality and made her look like a dark phantom which sometimes disturbed Father Jacques' nights. Pour prévenir son ami de sa présence, MmeMathieu avait emprunté au chat de la mère Agenoux, une vieille sorcière de Sainte-Geneviève- des-Bois, son miaulement sinistre ; aussitôt, le garde descendait de son donjon et venait ouvrir la petite poterne à sa maîtresse. To warn her friend of his presence, Madame Mathieu had borrowed from the cat of Mother Agenoux, an old witch of Sainte-Geneviève-des-Bois, her sinister meow; Immediately, the guard descended from his dungeon and came to open the little postern to his mistress. Para avisar a amiga de sua presença, Madame Mathieu havia emprestado da gata de Madre Agenoux, uma velha bruxa de Sainte-Geneviève-des-Bois, seu miado sinistro; Imediatamente, o guarda desceu de sua fortaleza e foi abrir o pequeno portão para sua senhora. Quand les réparations du donjon furent récemment entreprises, les rendez-vous n’en eurent pas moins lieu dans l’ancienne chambre du garde, au donjon même, la nouvelle chambre, qu’on avait momentanément abandonnée à ce malheureux serviteur, à l’extrémité de l’aile droite du château, n’étant séparée du ménage du maître d’hôtel et de la cuisinière que par une trop mince cloison. When the dungeon repairs were recently undertaken, the meetings nevertheless took place in the old guard's room, in the dungeon itself, the new room, which had been temporarily abandoned to this unfortunate servant, to the end of the right wing of the castle, being separated from the household of the butler and the cook only by a too thin partition.

« MmeMathieu venait de quitter le garde en parfaite santé, quand le drame du « petit bout de cour » survint. "Madame Mathieu had just left the guard in perfect health, when the drama of the" little end of the courtyard "arose. MmeMathieu et le garde, n’ayant plus rien à se dire, étaient sortis du donjon ensemble... Je n’ai appris ces détails, monsieur le président, que par l’examen auquel je me livrai des traces de pas dans la cour d’honneur, le lendemain matin... Bernier, le concierge, que j’avais placé, avec son fusil, en observation derrière le donjon, ainsi que je lui permettrai de vous l’expliquer lui-même , ne pouvait voir ce qui se passait dans la cour d’honneur. Madame Mathieu and the guard, having nothing more to say to each other, had left the dungeon together ... I only learned these details, Mr. President, by examining the footprints in the courtyard. of honor, the next morning ... Bernier, the concierge, whom I had placed, with his rifle, for observation behind the keep, as I will allow him to explain to you himself, could not see what took place in the main courtyard. Il n’y arriva un peu plus tard qu’attiré par les coups de revolver, et tira à son tour. He did not arrive there a little later, only attracted by the revolver shots, and fired in his turn. Voici donc le garde et MmeMathieu, dans la nuit et le silence de la cour d’honneur. So here is the guard and Madame Mathieu, in the night and the silence of the main courtyard. Ils se souhaitent le bonsoir ; MmeMathieu se dirige vers la grille ouverte de cette cour, et lui s’en retourne se coucher dans sa petite pièce en encorbellement, à l’extrémité de l’aile droite du château. They wish each other good evening; Madame Mathieu goes towards the open gate of this courtyard, and he goes back to bed in his little corbelled room, at the end of the right wing of the chateau.

« Il va atteindre sa porte, quand des coups de revolver retentissent ; il se retourne ; anxieux, il revient sur ses pas ; il va atteindre l’angle de l’aile droite du château quand une ombre bondit sur lui et le frappe. “He is going to reach his door when revolver shots are heard; he turns ; anxious, he retraces his steps; he will reach the corner of the right wing of the castle when a shadow leaps over him and hits him. “Ele vai chegar à sua porta, quando ouvir tiros de revólver; ele vira ; ansioso, ele refaz seus passos; ele está prestes a alcançar o canto da ala direita do castelo quando uma sombra salta sobre ele e o atinge. Il meurt. He dies. Son cadavre est ramassé tout de suite par des gens qui croient tenir l’assassin et qui n’emportent que l’assassiné. His body is immediately picked up by people who believe they are holding the murderer and who carry only the murdered. Pendant ce temps, que fait MmeMathieu ? Meanwhile, what is Madame Mathieu doing? Surprise par les détonations et par l’envahissement de la cour, elle se fait la plus petite qu’elle peut dans la nuit et dans la cour d’honneur. Surprised by the detonations and by the invasion of the courtyard, she made herself as small as she could at night and in the main courtyard. La cour est vaste, et, se trouvant près de la grille, MmeMathieu pouvait passer inaperçue. Mais elle ne « passa » pas. But it did not "pass". Elle resta et vit emporter le cadavre. She stayed and saw the corpse taken away. Le coeur serré d’une angoisse bien compréhensible et poussée par un tragique pressentiment, elle vint jusqu’au vestibule du château, jeta un regard sur l’escalier éclairé par le lumignon du père Jacques, l’escalier où l’on avait étendu le corps de son ami ; elle « vit » et s’enfuit. Her heart squeezed with understandable anguish and driven by a tragic presentiment, she came to the vestibule of the castle, glanced at the staircase lit by Father Jacques' lamp, the staircase on which the body of his friend; she "lives" and flees. Avait-elle éveillé l’attention du père Jacques ? Had she aroused the attention of Father Jacques? Toujours est-il que celui-ci rejoignit le fantôme noir, qui déjà lui avait fait passer quelques nuits blanches. The fact remains that he joined the black ghost, who had already made him spend a few sleepless nights.

« Cette nuit même, avant le crime, il avait été réveillé par les cris de la « Bête du Bon Dieu » et avait aperçu, par sa fenêtre, le fantôme noir... Il s’était hâtivement vêtu et c’est ainsi que l’on s’explique qu’il arriva dans le vestibule, tout habillé, quand nous apportâmes le cadavre du garde. “That very night, before the crime, he had been awakened by the cries of the 'Beast of God' and had seen, through his window, the black ghost ... He had dressed hastily and that is how it is understandable that he arrived in the hall fully dressed when we brought the body of the guard. Donc, cette nuit-là, dans la cour d’honneur, il a voulu sans doute, une fois pour toutes, regarder de tout près la figure du fantôme. So, that night, in the main courtyard, he undoubtedly wanted, once and for all, to look closely at the figure of the ghost. Il la reconnut. He recognized her. Le père Jacques est un vieil ami de MmeMathieu. Father Jacques is an old friend of Mme Mathieu. Elle dut lui avouer ses nocturnes entretiens, et le supplier de la sauver de ce moment difficile ! She had to confess to him his nocturnal talks, and beg him to save her from this difficult moment! L’état de MmeMathieu, qui venait de voir son ami mort, devait être pitoyable. Le père Jacques eut pitié et accompagna MmeMathieu, à travers la chênaie, et hors du parc, par delà même les bords de l’étang, jusqu’à la route d’Épinay. Father Jacques took pity and accompanied Mme Mathieu, through the oak grove, and out of the park, even beyond the edges of the pond, to the road to Épinay. Là, elle n’avait plus que quelques mètres à faire pour rentrer chez elle. Le père Jacques revint au château, et, se rendant compte de l’importance judiciaire qu’il y aurait pour la maîtresse du garde à ce qu’on ignorât sa présence au château, cette nuit-là, essaya autant que possible de nous cacher cet épisode dramatique d’une nuit qui, déjà, en comptait tant ! Father Jacques returned to the castle, and realizing the legal importance it would have for the mistress of the guard if they did not know her presence at the castle that night, tried as much as possible to hide us. this dramatic one-night episode which already counted so much! Je n’ai nul besoin, ajouta Rouletabille, de demander à MmeMathieu et au père Jacques de corroborer ce récit. I have no need, added Rouletabille, to ask Madame Mathieu and Father Jacques to corroborate this account. « Je sais » que les choses se sont passées ainsi ! "I know" that things happened like this! Je ferai simplement appel aux souvenirs de M. Larsan qui, lui, comprend déjà comment j’ai tout appris, car il m’a vu, le lendemain matin, penché sur une double piste où l’on rencontrait voyageant de compagnie, l’empreinte des pas du père Jacques et de ceux de madame. I will simply call upon the memories of Mr. Larsan who, himself, already understands how I learned everything, because he saw me, the next morning, bent over a double track where we encountered traveling with companions, the imprint of Father Jacques' and Madame's footsteps. Ici, Rouletabille se tourna vers MmeMathieu qui était restée à la barre, et lui fit un salut galant. Here Rouletabille turned to Madame Mathieu, who had remained at the bar, and gave her a gallant bow.

« Les empreintes des pieds de madame, expliqua Rouletabille, ont une ressemblance étrange avec les traces des « pieds élégants » de l’assassin... » "The prints of madame's feet," Rouletabille explained, "bear a strange resemblance to the traces of the assassin's 'elegant feet' ..."

MmeMathieu tressaillit et fixa avec une curiosité farouche le jeune reporter. Madame Mathieu started and stared at the young reporter with fierce curiosity. Qu’osait-il dire ? What did he dare say? Que voulait-il dire ? What did he mean?

« Madame a le pied élégant, long et plutôt un peu grand pour une femme. “Madame has an elegant, long and rather large foot for a woman. C’est, au bout pointu de la bottine près, le pied de l’assassin... » It is, at the pointed end of the boot, the foot of the assassin ... " É, perto da ponta da bota, o pé do assassino ... "

Il y eut quelques mouvements dans l’auditoire. There was some movement in the audience. Rouletabille, d’un geste, les fit cesser. Rouletabille made them stop with a gesture. On eût dit vraiment que c’était lui, maintenant, qui commandait la police de l’audience. It really looked like it was he now who commanded the police at the hearing.

« Je m’empresse de dire, fit-il, que ceci ne signifie pas grand’chose et qu’un policier qui bâtirait un système sur des marques extérieures semblables, sans mettre une idée générale autour, irait tout de go à l’erreur judiciaire ! "I hasten to say," he said, "that this does not mean much and that a policeman who would build a system on similar external marks, without putting a general idea around, would suddenly go into error. judicial! M. Robert Darzac, lui aussi, a les pieds de l’assassin, et cependant, il n’est pas l’assassin ! M. Robert Darzac, too, has the assassin's feet, and yet he is not the assassin! Nouveaux mouvements.

Le président demanda à MmeMathieu :

« C’est bien ainsi que, ce soir-là, les choses se sont passées pour vous, madame ? "Is that how things turned out for you that night, ma'am?"

— Oui, monsieur le président, répondit-elle. C’est à croire que M. Rouletabille était derrière nous. It seems that Mr. Rouletabille was behind us.

— Vous avez donc vu fuir l’assassin jusqu’à l’extrémité de l’aile droite, madame ? "So you saw the assassin flee to the end of the right wing, madam?"

— Oui, comme j’ai vu emporter, une minute plus tard, le cadavre du garde. - Yes, as I saw the body of the guard taken away a minute later.

— Et l’assassin, qu’est-il devenu ? - And what about the assassin? Vous étiez restée seule dans la cour d’honneur, il serait tout naturel que vous l’ayez aperçu alors... Il ignorait votre présence et le moment était venu pour lui de s’échapper... You were left alone in the main courtyard, it would be natural for you to have seen him then ... He ignored your presence and the time had come for him to escape ...

— Je n’ai rien vu, monsieur le président, gémit MmeMathieu. "I saw nothing, Mr. President," moaned Madame Mathieu. À ce moment la nuit était devenue très noire. By this time the night had become very dark.

— C’est donc, fit le président, M. Rouletabille qui nous expliquera comment l’assassin s’est enfui. - It is therefore, said the president, M. Rouletabille who will explain to us how the assassin fled.

— Évidemment ! » répliqua aussitôt le jeune homme avec une telle assurance que le président lui-même ne put s’empêcher de sourire.

Et Rouletabille reprit la parole :

« Il était impossible à l’assassin de s’enfuir normalement du bout de cour dans lequel il était entré sans que nous le vissions ! "It was impossible for the assassin to escape normally from the end of the courtyard into which he had entered without our seeing him!" Si nous ne l’avions pas vu, nous l’eussions touché ! If we hadn't seen it, we would have touched it! C’est un pauvre petit bout de cour de rien du tout, un carré entouré de fossés et de hautes grilles. It's a poor little piece of courtyard with nothing at all, a square surrounded by ditches and high gates. L’assassin eût marché sur nous ou nous eussions marché sur lui ! The assassin would have stepped on us or we would have stepped on him! Ce carré était aussi quasi-matériellement fermé par les fossés, les grilles et par nous-mêmes, que la « Chambre Jaune ! This square was as almost materially closed by the ditches, the gates and by ourselves, as the “Yellow Room! — Alors, dites-nous donc, puisque l’homme est entré dans ce carré, dites-nous donc comment il se fait que vous ne l’ayez point trouvé ! - So tell us, since the man has entered this square, tell us how it is that you did not find him! ... Voilà une demi-heure que je ne vous demande que cela ! ... I've only asked you that for half an hour! ... Eu só perguntei isso por meia hora! ... »

Rouletabille ressortit une fois encore l’oignon qui garnissait la poche de son gilet ; il y jeta un regard calme, et dit :

« Monsieur le président, vous pouvez me demander cela encore pendant trois heures trente, je ne pourrai vous répondre sur ce point qu’à six heures et demie ! "Mr. President, you can ask me that again for three and a half hours, I will not be able to answer you on this point until half past six!" Cette fois-ci les murmures ne furent ni hostiles, ni désappointés. This time the murmurs were neither hostile nor disappointed. On commençait à avoir confiance en Rouletabille. We were beginning to trust Rouletabille. « On lui faisait confiance. "We trusted him. » Et l’on s’amusait de cette prétention qu’il avait de fixer une heure au président comme il eût fixé un rendez-vous à un camarade. And we were amused by this pretension that he had of fixing an hour for the president as he would have fixed an appointment with a comrade.

Quant au président, après s’être demandé s’il devait se fâcher, il prit son parti de s’amuser de ce gamin comme tout le monde. As for the president, after wondering if he should get angry, he made up his mind to have fun with this kid like everyone else. Já o presidente, depois de se perguntar se deveria ficar com raiva, decidiu se divertir com o garoto como todo mundo. Rouletabille dégageait de la sympathie, et le président en était déjà tout imprégné. Rouletabille radiated sympathy, and the president was already imbued with it. Rouletabille irradiava simpatia e o presidente já estava imbuído dela. Enfin, il avait si nettement défini le rôle de MmeMathieu dans l’affaire, et si bien expliqué chacun de ses gestes, « cette nuit-là », que M. De Rocoux se voyait obligé de le prendre presque au sérieux. Finally, he had so clearly defined Madame Mathieu's role in the affair, and explained her every gesture so clearly, "that night," that Monsieur De Rocoux saw himself obliged to take it almost seriously.

« Eh bien, monsieur Rouletabille, fit-il, c’est comme vous voudrez ! “Well, Monsieur Rouletabille,” he said, “it's as you like! Mais que je ne vous revoie plus avant six heures et demie ! But don't let me see you again before half past six! Rouletabille salua le président, et, dodelinant de sa grosse tête, se dirigea vers la porte des témoins. Rouletabille bowed to the president, and, nodding with his big head, walked towards the witness door.

Son regard me cherchait. His gaze searched for me. Il ne me vit point. He did not see me. Alors, je me dégageai tout doucement de la foule qui m’enserrait et je sortis de la salle d’audience, presque en même temps que Rouletabille. So I slowly freed myself from the crowd that surrounded me and left the courtroom, almost at the same time as Rouletabille. Cet excellent ami m’accueillit avec effusion. This excellent friend welcomed me with effusion. Il était heureux et loquace. He was happy and talkative. Il me secouait les mains avec jubilation. He shook my hands jubilantly. Je lui dis :

« Je ne vous demanderai point, mon cher ami, ce que vous êtes allé faire en Amérique. “I won't ask you, my dear friend, what you went to do in America. Vous me répliqueriez sans doute, comme au président, que vous ne pouvez me répondre qu’à six heures et demie... You would no doubt reply to me, as to the President, that you cannot answer me until half past six ...

— Non, mon cher Sainclair, non, mon cher Sainclair ! Je vais vous dire tout de suite ce que je suis allé faire en Amérique, parce que vous, vous êtes un ami : je suis allé chercher le nom de la seconde moitié de l’assassin ! I'll tell you right away what I went to do in America, because you, you are a friend: I went to find the name of the second half of the assassin!

— Vraiment, vraiment, le nom de la seconde moitié...

— Parfaitement. Quand nous avons quitté le Glandier pour la dernière fois, je connaissais les deux moitiés de l’assassin et le nom de l’une de ces moitiés. C’est le nom de l’autre moitié que je suis allé chercher en Amérique... »

Nous entrions, à ce moment, dans la salle des témoins. We were entering, at this time, the witness room. Ils vinrent tous à Rouletabille avec force démonstrations. They all came to Rouletabille with great demonstrations. Todos eles vieram a Rouletabille com grandes demonstrações. Le reporter fut très aimable, si ce n’est avec Arthur Rance auquel il montra une froideur marquée. The reporter was very kind, if not to Arthur Rance to whom he showed marked coldness. O repórter foi muito gentil, senão com Arthur Rance, com quem mostrou uma frieza marcante. Frédéric Larsan entrant alors dans la salle, Rouletabille alla à lui, lui administra une de ces poignées de main dont il avait le douloureux secret, et dont on revient avec les phalanges brisées. Frédéric Larsan then entering the room, Rouletabille went to him, administered to him one of those handshakes of which he had the painful secret, and which we come back with broken knuckles. Pour lui montrer tant de sympathie, Rouletabille devait être bien sûr de l’avoir roulé. To show him so much sympathy, Rouletabille had to be sure of having rolled it. Larsan souriait, sûr de lui-même et lui demandant, à son tour, ce qu’il était allé faire en Amérique. Alors, Rouletabille, très aimable, le prit par le bras et lui conta dix anecdotes de son voyage. Then Rouletabille, very amiable, took him by the arm and told him ten anecdotes from his trip. À un moment, ils s’éloignèrent, s’entretenant de choses plus sérieuses, et, par discrétion, je les quittai. At one point they walked away, talking about more serious things, and, out of discretion, I left them. Du reste, j’étais fort curieux de rentrer dans la salle d’audience où l’interrogatoire des témoins continuait. Besides, I was very curious to enter the courtroom where the examination of witnesses continued. Je retournai à ma place et je pus constater tout de suite que le public n’attachait qu’une importance relative à ce qui se passait alors, et qu’il attendait impatiemment six heures et demie. I returned to my seat and could see immediately that the audience attached only relative importance to what was happening then, and that they were impatiently waiting six and a half hours.

Ces six heures et demie sonnèrent et Joseph Rouletabille fut à nouveau introduit. These half past six struck and Joseph Rouletabille was again introduced. Décrire l’émotion avec laquelle la foule le suivit des yeux à la barre serait impossible. Describing the emotion with which the crowd watched him from the stand would be impossible. Descrever a emoção com que a multidão o assistia da arquibancada seria impossível. On ne respirait plus. M. Robert Darzac s’était levé à son banc. M. Robert Darzac had risen to his bench. Il était « pâle comme un mort ».

Le président dit avec gravité :

« Je ne vous fais pas prêter serment, monsieur ! "I'm not making you take the oath, sir!" - Não estou obrigando você a fazer um juramento, senhor! Vous n’avez pas été cité régulièrement. You were not quoted regularly. Mais j’espère qu’il n’est pas besoin de vous expliquer toute l’importance des paroles que vous allez prononcer ici... » But I hope there is no need to explain to you the importance of the words you are going to say here ... "

Et il ajouta, menaçant :

« Toute l’importance de ces paroles... pour vous , sinon pour les autres ! "The importance of these words ... for you, if not for others!" ... »

Rouletabille, nullement ému, le regardait. Rouletabille, in no way moved, looked at him. Il dit :

« Oui, m’sieur ! "Yes, sir!"

— Voyons, fit le président. Nous parlions tout à l’heure de ce petit bout de cour qui avait servi de refuge à l’assassin, et vous nous promettiez de nous dire, à six heures et demie, comment l’assassin s’est enfui de ce bout de cour et aussi le nom de l’assassin. We were talking earlier about this little piece of courtyard which had served as a refuge for the murderer, and you promised to tell us, at half past six, how the murderer escaped from this piece of courtyard. and also the name of the assassin. Estávamos conversando sobre este pequeno pedaço de pátio que havia servido de refúgio para o assassino, e você prometeu nos contar, às seis e meia, como o assassino escapou desse pedaço de pátio e também o nome do assassino. Il est six heures trente-cinq, monsieur Rouletabille, et nous ne savons encore rien ! It's six thirty-five, Monsieur Rouletabille, and we don't know anything yet!

— Voilà, m’sieur ! - There, sir! commença mon ami au milieu d’un silence si solennel que je ne me rappelle pas en avoir « vu » de semblable, je vous ai dit que ce bout de cour était fermé et qu’il était impossible pour l’assassin de s’échapper de ce carré sans que ceux qui étaient à sa recherche s’en aperçussent. began my friend in the middle of a silence so solemn that I do not remember having "seen" similar, I told you that this end of the yard was closed and that it was impossible for the assassin to escape of this square without those who were looking for it noticing. C’est l’exacte vérité. Quand nous étions là, dans le carré de bout de cour, l’assassin s’y trouvait encore avec nous ! When we were there, in the square at the end of the courtyard, the assassin was still there with us!

— Et vous ne l’avez pas vu ! - And you haven't seen it! ... c’est bien ce que l’accusation prétend... ... that is what the prosecution claims ...

— Et nous l’avons tous vu ! - And we've all seen it! monsieur le président, s’écria Rouletabille. Monsieur le President, exclaimed Rouletabille.

— Et vous ne l’avez pas arrêté ! - And you didn't stop him! ...

— Il n’y avait que moi qui sût qu’il était l’assassin. - It was only me who knew he was the murderer. Et j’avais besoin que l’assassin ne fût pas arrêté tout de suite ! And I needed the assassin not to be arrested right away! Et puis, je n’avais d’autre preuve, à ce moment, que « ma raison » ! And then, I had no other proof, at that moment, than "my reason"! Oui, seule, ma raison me prouvait que l’assassin était là et que nous le voyions ! J’ai pris mon temps pour apporter, aujourd’hui, en cour d’assises, une preuve irréfutable, et qui, je m’y engage, contentera tout le monde. I took my time today to provide irrefutable proof, which, I agree, will please everyone. Demorei a trazer, hoje, no Tribunal de Justiça, provas irrefutáveis, e que, prometo, irão satisfazer a todos.

— Mais parlez ! parlez, monsieur ! Dites-nous quel est le nom de l’assassin, fit le président...

— Vous le trouverez parmi les noms de ceux qui étaient dans le bout de cour », répliqua Rouletabille, qui, lui, ne semblait pas pressé... "You will find him among the names of those who were at the end of the yard," replied Rouletabille, who did not seem in a hurry ... "Você o encontrará entre os nomes daqueles que estavam no final do pátio", respondeu Rouletabille, que não parecia ter pressa ...

On commençait à s’impatienter dans la salle... We were starting to get impatient in the room ...

« Le nom ! Le nom ! murmurait-on...

Rouletabille, sur un ton qui méritait des gifles, dit : Rouletabille, in a tone which deserved a slap in the face, said:

« Je laisse un peu traîner cette déposition, la mienne, m’sieur le président, parce que j’ai des raisons pour cela ! "I let this deposition drag a little, mine, m'sieur the president, because I have reasons for that!" "Eu deixei esse depoimento se arrastar um pouco, meu, senhor presidente, porque tenho motivos para isso!" ...

— Le nom ! Le nom ! répétait la foule.

— Silence ! » glapit l’huissier. Yelped the usher.

Le président dit :

« Il faut tout de suite nous dire le nom, monsieur ! ... Ceux qui se trouvaient dans le bout de cour étaient : le garde, mort. ... Those who were at the end of the yard were: the guard, dead. Est-ce lui, l’assassin ? Is he the murderer?

— Non, m’sieur.

— Le père Jacques ? ...

— Non m’sieur.

— Le concierge, Bernier ?

— Non, m’sieur...

— M. Sainclair ?

— Non m’sieur...

— M. Arthur William Rance, alors ? Il ne reste que M. Arthur Rance et vous ! Only you and Mr. Arthur Rance are left! Restam apenas você e o Sr. Arthur Rance! Vous n’êtes pas l’assassin, non ? You're not the murderer, are you?

— Non, m’sieur !

— Alors, vous accusez M. Arthur Rance ? - So you're accusing Mr. Arthur Rance?

—Non, m’sieur !

— Je ne comprends plus ! ... Où voulez-vous en venir ? ... where are you coming from? ... il n’y avait plus personne dans le bout de cour. ... there was no one left at the end of the courtyard.

— Si, m’sieur ! - Yes, sir! ... il n’y avait personne dans le bout de cour, ni au-dessous, mais il y avait quelqu’un au-dessus, quelqu’un penché à sa fenêtre, sur le bout de cour... ... there was no one at the end of the yard, nor below, but there was someone above, someone leaning at his window, on the end of the yard ...

— Frédéric Larsan ! - Frédéric Larsan! s’écria le président.

— Frédéric Larsan ! » répondit d’une voix éclatante Rouletabille.

Et, se retournant vers le public qui faisait entendre déjà des protestations, il lui lança ces mots avec une force dont je ne le croyais pas capable : And, turning to the audience, who were already making protests heard, he hurled these words at her with a force of which I did not believe him capable:

« Frédéric Larsan, l’assassin ! “Frédéric Larsan, the murderer! Une clameur où s’exprimaient l’ahurissement, la consternation, l’indignation, l’incrédulité, et, chez certains, l’enthousiasme pour le petit bonhomme assez audacieux pour oser une pareille accusation, remplit la salle. A clamor of bewilderment, consternation, indignation, incredulity, and, among some, enthusiasm for the little fellow bold enough to dare such an accusation, filled the room. Le président n’essaya même pas de la calmer ; quand elle fut tombée d’elle-même, sous les chut ! The president didn't even try to calm her down; when she had fallen of herself, under the shhs! O presidente nem tentou acalmá-la; quando ela caiu de si mesma, sob os shhs! énergiques de ceux qui voulaient tout de suite en savoir davantage, on entendit distinctement Robert Darzac, qui, se laissant retomber sur son banc, disait : energetic of those who immediately wanted to know more, Robert Darzac was distinctly heard, letting himself fall back on his bench, saying:

« C’est impossible ! Il est fou ! He is crazy ! ... »

Le président :

« Vous osez, monsieur, accuser Frédéric Larsan ! “You dare, sir, to accuse Frédéric Larsan! Voyez l’effet d’une pareille accusation... M. Robert Darzac lui-même vous traite de fou ! See the effect of such an accusation ... Mr. Robert Darzac himself calls you mad! Veja o efeito de tal acusação ... O próprio Sr. Robert Darzac chama você de louco! ... Si vous ne l’êtes pas, vous devez avoir des preuves... ... If you are not, you must have proof ...

— Des preuves, m’sieur ! Vous voulez des preuves ! Ah ! je vais vous en donner une, de preuve... fit la voix aiguë de Rouletabille... Qu’on fasse venir Frédéric Larsan ! I'll give you one, proof ... said the shrill voice of Rouletabille ... Let Frédéric Larsan come! Vou te dar uma, como prova ... disse a voz estridente de Rouletabille ... Deixe Frédéric Larsan entrar! ... »

Le président :

« Huissier, appelez Frédéric Larsan. L’huissier courut à la petite porte, l’ouvrit, disparut... La petite porte était restée ouverte... Tous les yeux étaient sur cette petite porte. L’huissier réapparut. Il s’avança au milieu du prétoire et dit :

« Monsieur le président, Frédéric Larsan n’est pas là. Il est parti vers quatre heures et on ne l’a plus revu. He left around four o'clock and we never saw him again. Rouletabille clama, triomphant :

« Ma preuve, la voilà !

— Expliquez-vous... Quelle preuve ? demanda le président.

— Ma preuve irréfutable, fit le jeune reporter, ne voyez-vous pas que c’est la fuite de Larsan. 'My irrefutable proof,' said the young reporter, 'can't you see it's Larsan's flight? Je vous jure qu’il ne reviendra pas, allez ! I swear he won't come back, come on! ... vous ne reverrez plus Frédéric Larsan... »

Rumeurs au fond de la salle.

« Si vous ne vous moquez pas de la justice, pourquoi, monsieur, n’avez-vous pas profité de ce que Larsan était avec vous, à cette barre, pour l’accuser en face ? "If you don't laugh at justice, why, sir, didn't you take advantage of the fact that Larsan was with you at this bar to accuse him opposite?" Au moins, il aurait pu vous répondre ! At least he could have answered you! ...

— Quelle réponse eût été plus complète que celle-ci, monsieur le président ? - What answer would have been more complete than this, Mr. President? ... il ne me répond pas ! Il ne me répondra jamais ! He will never answer me! J’accuse Larsan d’être l’assassin et il se sauve ! I accuse Larsan of being the murderer and he runs away! Vous trouvez que ce n’est pas une réponse, ça ! You find that is not an answer, that! ...

— Nous ne voulons pas croire, nous ne croyons point que Larsan, comme vous dites,« se soit sauvé »... Comment se serait-il sauvé ? - We do not want to believe, we do not believe that Larsan, as you say, "escaped" ... How would he have escaped? - Não queremos acreditar, não acreditamos que Larsan, como você diz, “se salvou” ... Como ele teria se salvado? Il ne savait pas que vous alliez l’accuser ? Didn't he know you were going to accuse him?

— Si, m’sieur, il le savait, puisque je le lui ai appris moi- même, tout à l’heure... - Yes, sir, he knew, since I taught him myself, earlier ...

— Vous avez fait cela ! - You did that! ... Vous croyez que Larsan est l’assassin et vous lui donnez les moyens de fuir ! ... You believe that Larsan is the murderer and you give him the means to flee! ...

— Oui, m’sieur le président, j’ai fait cela, répliqua Rouletabille avec orgueil... Je ne suis pas de la « justice », moi ; je ne suis pas de la « police », moi ; je suis un humble journaliste, et mon métier n’est point de faire arrêter les gens ! - Yes, Monsieur le President, I did that, replied Rouletabille proudly. I am not from the “police”, me; I am a humble journalist, and my job is not to make people stop! Je sers la vérité comme je veux... c’est mon affaire... Préservez, vous autres, la société, comme vous pouvez, c’est la vôtre... Mais ce n’est pas moi qui apporterai une tête au bourreau ! I serve the truth as I want ... it is my business ... Preserve, you others, society, as you can, it is yours ... But it is not I who will bring a head to the executioner! ... Si vous êtes juste, monsieur le président — et vous l’êtes — vous trouverez que j’ai raison ! ... If you are fair, Mr. Chairman - and you are - you will find that I am right! ... Ne vous ai-je pas dit, tout à l’heure, « que vous comprendriez que je ne pouvais prononcer le nom de l’assassin avant six heures et demie ». ... Did I not tell you earlier, "that you would understand that I could not pronounce the name of the assassin before half past six"? J’avais calculé que ce temps était nécessaire pour avertir Frédéric Larsan, lui permettre de prendre le train de 4 heures 17, pour Paris, où il saurait se mettre en sûreté... Une heure pour arriver à Paris, une heure et quart pour qu’il pût faire disparaître toute trace de son passage... Cela nous amenait à six heures et demie... Vous ne retrouverez pas Frédéric Larsan, déclara Rouletabille en fixant M. Robert Darzac... il est trop malin... C’est un homme qui vous a toujours échappé... et que vous avez longtemps et vainement poursuivi... S’il est moins fort que moi, ajouta Rouletabille, en riant de bon coeur et en riant tout seul, car personne n’avait plus envie de rire... il est plus fort que toutes les polices de la terre. I had calculated that this time was necessary to warn Frédéric Larsan, to allow him to take the 4.15 am train to Paris, where he would know how to get to safety ... One hour to arrive in Paris, one hour and a quarter for that he could make all traces of his passage disappear ... That brought us to half past six ... You will not find Frédéric Larsan, declared Rouletabille, staring at Mr. Robert Darzac ... he is too smart ... He is a man who has always escaped you ... and whom you have pursued for a long time and in vain ... If he is weaker than me, added Rouletabille, laughing heartily and laughing to himself, for no one 'wanted to laugh more ... he's stronger than all the police in the world. Eu tinha calculado que esse tempo seria necessário para avisar Frédéric Larsan, para permitir que ele pegasse o trem das 4:15 da manhã para Paris, onde ele saberia como chegar em segurança ... Uma hora para chegar a Paris, uma hora e quinze para que ele poderia fazer desaparecer todos os vestígios de sua passagem ... Isso nos levou às seis e meia ... Você não vai encontrar Frédéric Larsan, declarou Rouletabille, olhando para o Sr. Robert Darzac ... ele é muito inteligente ... Ele é um homem que sempre te escapou ... e a quem perseguiste há muito tempo e em vão ... Se for mais fraco que eu, acrescentou Rouletabille, rindo com vontade e rindo de si mesmo, pois ninguém 'queria rir mais ... ele é mais forte do que todos os policiais do mundo. Cet homme, qui, depuis quatre ans, s’est introduit à la Sûreté, et y est devenu célèbre sous le nom de Frédéric Larsan, est autrement célèbre sous un autre nom que vous connaissez bien. This man, who four years ago entered the Sûreté and became famous there under the name of Frédéric Larsan, is otherwise famous under another name that you know well. Frédéric Larsan, m’sieur le président, c’est Ballmeyer ! Frédéric Larsan, m'sieur the president, it's Ballmeyer!

— Ballmeyer ! s’écria le président.

— Ballmeyer ! fit Robert Darzac, en se soulevant... Ballmeyer ! said Robert Darzac, rising to his feet. Ballmeyer! ... C’était donc vrai ! ... So it was true!

— Ah ! ah ! m’sieur Darzac, vous ne croyez plus que je suis fou, maintenant ! M'sieur Darzac, you no longer believe that I am mad now! ... »

Ballmeyer !

Ballmeyer !

Ballmeyer !

On n’entendait plus que ce nom dans la salle. We only heard that name in the room. Le président suspendit l’audience. The President suspended the hearing.

Vous pensez si cette suspension d’audience fut mouvementée. You think if this suspension of hearing was eventful. Le public avait de quoi s’occuper. The public had something to take care of. Ballmeyer !

On trouvait, décidément, le gamin « épatant » ! We definitely found the kid "amazing"! Nós definitivamente achamos o garoto "incrível"! Ballmeyer !

Mais le bruit de sa mort avait couru, il y avait, de cela, quelques semaines. But the rumor of his death had circulated a few weeks ago. Mas o boato de sua morte se espalhou algumas semanas atrás. Ballmeyer avait donc échappé à la mort comme, toute sa vie, il avait échappé aux gendarmes. Ballmeyer had therefore escaped death as he had escaped the police all his life. Ballmeyer havia, portanto, escapado da morte como, durante toda a sua vida, ele havia escapado da polícia. Est-il nécessaire que je rappelle ici les hauts faits de Ballmeyer ? Is it necessary that I recall here the achievements of Ballmeyer? Ils ont, pendant vingt ans, défrayé la chronique judiciaire et la rubrique des faits divers ; et, si quelques-uns de mes lecteurs ont pu oublier l’affaire de la « Chambre Jaune », ce nom de Ballmeyer n’est certainement pas sorti de leur mémoire. They have, for twenty years, hit the headlines and the rubric of miscellaneous facts; and, if some of my readers have forgotten the "Yellow Room" affair, this Ballmeyer name has certainly not come out of their memory. Ballmeyer fut le type même de l’escroc du grand monde ; il n’était point de gentleman plus gentleman que lui ; il n’était point de prestidigitateur plus habile de ses doigts que lui ; il n’était point d'« apache », comme on dit aujourd’hui, plus audacieux et plus terrible que lui. Ballmeyer was the very type of the swindler of the big world; there was no gentleman more gentleman than he; there was no conjurer more skilful with his fingers than he; he was not an "apache", as they say today, more daring and more terrible than him. Ballmeyer era exatamente o tipo de vigarista do grande mundo; não havia cavalheiro mais cavalheiro do que ele; não havia mágico mais hábil com os dedos do que ele; ele não era um "apache", como dizem hoje, mais ousado e mais terrível do que ele. Reçu dans la meilleure société, inscrit dans les cercles les plus fermés, il avait volé l’honneur des familles et l’argent des pontes avec une maestria qui ne fut jamais dépassée. Received in the best society, enrolled in the most closed circles, he had stolen the honor of families and the money of pundits with a mastery that was never exceeded. Dans certaines occasions difficiles, il n’avait pas hésité à faire le coup de couteau ou le coup de l’os de mouton. On certain difficult occasions, he had not hesitated to stab or stab the sheep bone. Du reste, il n’hésitait jamais, et aucune entreprise n’était au-dessus de ses forces. Besides, he never hesitated, and no enterprise was beyond his strength. Étant tombé une fois entre les mains de la justice, il s’échappa, le matin de son procès, en jetant du poivre dans les yeux des gardes qui le conduisaient à la cour d’assises. Having once fallen into the hands of justice, he escaped the morning of his trial, throwing pepper in the eyes of the guards who led him to the Assize Court. On sut plus tard que, le jour de sa fuite, pendant que les plus fins limiers de la Sûreté étaient à ses trousses, il assistait, tranquillement, nullement maquillé, à une « première »du Théâtre-Français. It was later known that, on the day of his flight, while the finest bloodhounders of the Sûreté were chasing him, he was quietly attending, in no way made up, a "premiere" of the Théâtre-Français. Mais tarde soube-se que, no dia da sua fuga, enquanto os melhores detetives da Sûreté o perseguiam, assistia discretamente, sem maquilhagem, a uma "estreia" do Théâtre-Français. Il avait ensuite quitté la France pour travailler en Amérique, et la police de l’état d’Ohio avait, un beau jour, mis la main sur l’exceptionnel bandit ; mais, le lendemain, il s’échappait encore... Ballmeyer, il faudrait un volume pour parler ici de Ballmeyer, et c’est cet homme qui était devenu Frédéric Larsan ! He then left France to work in America, and the Ohio state police one day got their hands on the exceptional bandit; but, the next day, he escaped again ... Ballmeyer, it would take a volume to talk about Ballmeyer here, and it was this man who had become Frédéric Larsan! ... Et c’est ce petit gamin de Rouletabille qui avait découvert cela ! ... Et c’est lui aussi, ce moutard, qui, connaissant le passé d’un Ballmeyer, lui permettait, une fois de plus, de faire la nique à la société, en lui fournissant le moyen de s’échapper ! ... And it is him too, this mustard, who, knowing the past of a Ballmeyer, allowed him, once again, to fuck off society, by providing him with the means to escape! ... E é também ele, esta mostarda, que, conhecendo o passado de um Ballmeyer, mais uma vez lhe permitiu zombar da sociedade, dando-lhe os meios para escapar! À ce dernier point de vue, je ne pouvais qu’admirer Rouletabille, car je savais que son dessein était de servir jusqu’au bout M. Robert Darzac et Mlle Stangerson en les débarrassant du bandit sans qu’il parlât. From this last point of view, I could not but admire Rouletabille, for I knew that his plan was to serve M. Robert Darzac and Mlle Stangerson to the end by ridding them of the bandit without his speaking.

On n’était pas encore remis d’une pareille révélation, et j’entendais déjà les plus pressés s’écrier : « En admettant que l’assassin soit Frédéric Larsan, cela ne nous explique pas comment il est sorti de la Chambre Jaune ! We had not yet recovered from such a revelation, and I could already hear those most in a hurry exclaim: "Assuming that the murderer is Frédéric Larsan, that does not explain to us how he left the Yellow Room!" ... » quand l’audience fut reprise. ... "when the hearing was resumed. ... ”quando a audiência foi retomada.