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Enlevé Kidnapped, Chapitre 22

Chapitre 22

XXII. La fuite dans la bruyère :le marais

Après sept heures d'une marche pénible et ininterrompue, nous atteignîmes, au début de la matinée, la fin d'une chaîne de montagnes. Devant nous s'étalait une plaine basse, entrecoupée et déserte, que nous avions à traverser. Le soleil, qui venait de se lever, nous donnait en plein dans les yeux ; une brume légère et ténue flottait comme une fumée à la surface du marécage ; si bien que (disait Alan) vingt escadrons de cavalerie auraient pu s'y trouver à notre insu. Aussi, en attendant que la brume se levât, nous nous arrêtâmes dans un creux de la pente, fîmes le drammach et tînmes conseil de guerre. – David, dit Alan, voici le hic. Resterons-nous ici jusqu'à la nuit, ou pousserons-nous de l'avant, à tout hasard ? – Ma foi, dis-je, je suis assez fatigué, mais je pourrais encore marcher autant pourvu qu'alors nous soyons au bout. – Oui, mais nous n'y serons pas, dit Alan, ni même à moitié. Voilà notre situation. Appin, c'est pour nous la mort sans phrases. Au sud, tout appartient aux Campbells, et il n'y faut pas songer. Au nord… eh bien, il n'y a pas grand-chose à gagner en allant au nord ; ni pour vous, qui désirez atteindre Queensferry, ni pour moi, qui veux aller en France. Cela étant, il nous reste l'est. – Va pour l'est ! dis-je assez gaiement ; mais je me disais en moi-même : « Oh ! l'ami, si seulement vous adoptiez un point de compas et m'en laissiez prendre un autre, cela vaudrait mieux pour tous les deux ! » – Eh bien donc, à l'est, voyez-vous, nous avons les marais, dit Alan. Une fois là, c'est pile ou face. Sur cette étendue plate et rase, où se cacher ! Viennent les habits-rouges à monter sur une hauteur, ils vous découvriront à des milles ; et le diable soit des sabots de leurs chevaux, ils vous rattraperont comme pour rire. Ce n'est pas là un bon endroit, David ; et même, je dois ajouter qu'il est plus mauvais de jour que de nuit. – Alan, dis-je, écoutez ce que j'en pense. Appin équivaut pour nous à la mort. Nous n'avons ni l'un ni l'autre trop d'argent, et guère non plus de farine ; à force de chercher, ils finiront bien par découvrir où nous sommes ; le risque est égal, et je vote pour aller de l'avant jusqu'à ce que nous tombions. Alan fut enchanté. – Il y a des fois, dit-il, où votre genre est un peu trop original et whig pour convenir à un gentilhomme de ma sorte, mais il y a d'autres moments où vous vous montrez plein d'esprit ; et c'est alors, David, que je vous aime comme un frère. La brume se leva et se dissipa, nous laissant voir une étendue de pays aussi vide que la mer ; seuls, les oiseaux de marais et les courlis piaulaient par-dessus, et dans la distance, vers l'est, une harde de daims faisait des points mobiles. Une partie de cette étendue était rousse de bruyère ; le reste, coupé de fondrières, d'étangs et de trous à tourbe ; ici, la bruyère était noircie par le feu ; plus loin, toute une forêt de sapins morts dressaient encore leurs squelettes. On ne vit jamais plus lugubre désert ; mais il était du moins libre de troupes, ce qui était pour nous le principal. Nous descendîmes donc dans cette plaine et entreprîmes d'atteindre, par un chemin fastidieusement contourné, sa limite orientale. Tout autour (il ne faut pas l'oublier) s'élevaient les cimes de montagnes d'où nous pouvions être à chaque instant découverts ; il convenait donc de nous tenir dans les parties creuses du marais, et quand celles-ci nous écartaient de notre direction, de n'avancer sur la surface nue qu'avec d'infinies précautions. Parfois, durant des demi-heures entières, il nous fallait ramper d'un buisson à l'autre, tels des chasseurs qui vont surprendre un daim. C'était de nouveau une journée pure, avec un soleil éclatant ; l'eau de notre gourde à eau-de-vie fut bientôt épuisée ; et, ma foi, si j'avais pu imaginer ce que cela signifiait, de ramper la moitié du temps à plat ventre et de marcher, le reste, plié en deux, j'aurais sans doute reculé devant une entreprise aussi harassante. À peiner, puis nous reposer pour peiner encore, la matinée se passa ; et vers midi nous nous couchâmes dans un épais fourré de bruyère, pour dormir. Alan prit le premier quart ; et il me sembla que je venais à peine de fermer les yeux quand il m'éveilla pour prendre le second. Nous n'avions pas de montre pour nous renseigner ; et afin d'en tenir lieu, Alan ficha dans le sol une baguette de bruyère : dès que son ombre atteindrait un point déterminé vers l'est, je saurais qu'il était temps de l'éveiller. Mais j'étais alors si recru que j'aurais bien dormi douze heures d'affilée ; j'avais le goût du sommeil dans la gorge ; mes membres dormaient tandis même que mon esprit veillait ; la chaude senteur de la bruyère avec le bourdonnement des abeilles sauvages, se liguaient pour m'engourdir ; et de temps à autre une secousse me traversait et m'apprenait que je venais de sommeiller. La dernière fois que je me réveillai, il me sembla revenir de plus loin, et je crus voir que le soleil avait fait beaucoup de chemin dans le ciel. Je regardai la baguette de bruyère, et faillis pousser un cri, car j'avais trahi ma consigne. J'étais éperdu de crainte et de honte ; et à ce que je vis, en regardant autour de moi sur le marais, mon cœur cessa de battre. Car, sans nul doute, un corps de cavaliers était survenu pendant mon sommeil, et ils arrivaient sur nous du sud-est, développés en éventail et poussant leurs chevaux çà et là parmi les fourrés de bruyère. Lorsque je réveillai Alan, il jeta un coup d'œil aux soldats d'abord, puis au repère et à la position du soleil, et fronça les sourcils en me lançant un bref regard, à la fois menaçant et inquiet. Mais ce fut là tout le reproche que je reçus de lui. – Qu'allons-nous faire ? demandai-je. – Nous allons jouer les lièvres, dit-il. Voyez-vous cette montagne là-bas ? – et il m'en désignait une à l'horizon nord-est. – Oui, dis-je. – Eh bien donc, dirigeons-nous dessus. Elle se nomme Ben Adler ; c'est une montagne âpre et déserte, pleine de trous et de bosses, et pourvu que nous y soyons avant le matin, nous sommes sauvés. – Mais, Alan, m'écriai-je, il nous faudra couper au beau milieu de ces soldats qui arrivent ! – Je le sais, dit-il, mais si nous nous laissons rabattre sur Appin, nous sommes deux hommes morts. Ainsi donc, David mon ami, du nerf ! Là-dessus il se mit à courir à quatre pattes, d'une vélocité incroyable, comme si c'eût été là son allure naturelle. Cependant, il ne cessait de faire des détours, en suivant les parties basses du marais qui nous dissimulaient le mieux. En de certains endroits, les buissons avaient été brûlés, ou du moins atteints par le feu ; et il nous montait à la figure (car nous avions le nez près de terre) une poussière aveuglante et asphyxiante, aussi subtile que de la fumée. Nous n'avions plus d'eau depuis longtemps ; et cette façon de courir à quatre pattes entraîne une faiblesse et une fatigue écrasantes, qui vous brisent les membres et font se dérober vos poignets sous votre poids. De temps à autre, il est vrai, quand nous trouvions un fourré convenable, nous nous y arrêtions pour souffler, et, en écartant les branches, nous regardions derrière nous les dragons. Ils ne nous avaient pas vus, car ils ne se détournaient pas. Ils étaient un demi-régiment, peut-être, et couvraient bien deux milles de terrain, qu'ils battaient à fond, à mesure de leur avance. Je ne m'étais pas éveillé trop tôt : une minute de plus et il nous aurait fallu fuir sous leur nez, au lieu de leur échapper latéralement. Même dans ces conditions, la moindre anicroche pouvait nous perdre ; et à chaque fois qu'un coq de bruyère s'enlevait des buissons avec un claquement d'ailes, nous gardions une immobilité de mort et n'osions plus respirer. La douleur et la faiblesse de mes membres, l'épuisement de mon cœur, les égratignures de mes mains et l'irritation de ma gorge et de mes yeux dans la fumée continuelle des cendres et de la poussière m'étaient bien vite devenus tellement insupportables que j'aurais volontiers renoncé à poursuivre. Seule, la crainte d'Alan me prêtait une sorte de courage artificiel qui me permettait d'avancer. Quant à lui (et l'on doit se souvenir qu'il était encombré de son grand surtout), son visage avait d'abord passé au cramoisi, mais à la longue ce cramoisi se marbra de taches blanches ; il avait la respiration rauque et sifflante ; quand nous faisions halte et qu'il me chuchotait ses avis à l'oreille, sa voix était méconnaissable. Mais par ailleurs il n'avait aucunement l'air abattu, il ne perdait rien de son agilité, et j'étais émerveillé de son endurance. À la fin, comme la nuit tombait, nous entendîmes un bruit de trompettes, et, regardant derrière nous, entre les bruyères, nous vîmes la troupe faire son rassemblement. Quelques minutes plus tard, le feu était allumé et le camp dressé pour la nuit vers le centre de la plaine. À cette vue, je priai et suppliai Alan qu'il nous permît de nous coucher et de dormir. – Il n'y aura pas de sommeil pour nous cette nuit ! répondit-il. Une fois reposés, ces dragons là-bas vont vous cerner le marais, et personne ne sortira plus d'Appin que la gent ailée. Nous venons de l'échapper belle, et vous voudriez nous faire perdre ce que nous avons gagné ! Non, non, il faut que le jour, en se levant, nous trouve, vous et moi, en lieu sûr au haut de Ben Adler. – Alan, dis-je, ce n'est pas la bonne volonté, c'est la force qui me manque. Si je pouvais, j'irais ; mais, aussi sûr que je vis, je n'en peux plus. – Très bien, dit Alan, je vous porterai donc. Je le regardai, croyant qu'il plaisantait ; mais non ! le petit homme était parfaitement sérieux ; et je rougis de le voir si résolu. – Laissez ! dis-je, je vous suis. Il me lança un coup d'œil qui signifiait : « Bravo, David ! » et se remit à courir de toute sa vitesse. La nuit avait amené quelque fraîcheur et même un peu (mais guère) d'obscurité. Le ciel était sans nuages ; nous étions encore en juillet, et très haut dans le nord ; au plus sombre de la nuit, il aurait fallu de bons yeux pour lire, mais néanmoins j'ai vu souvent des journées d'hiver plus sombres en plein midi. Une rosée dense tombait et trempait la plaine comme de la pluie ; et elle me ranima tout d'abord. Quand nous fîmes halte pour souffler et que j'eus le loisir de contempler autour de moi la nuit claire et douce, les profils comme endormis des montagnes, et derrière nous le feu, réduit par la distance à un point brillant sur le marais, une exaspération soudaine me saisit de devoir me traîner ainsi misérablement et manger de la poussière comme un ver. D'après ce que j'ai lu dans les livres, je crois que bien peu de ceux qui tinrent jamais une plume ont réellement connu la fatigue, sinon ils l'auraient décrite plus fortement. Je n'avais plus souci de ma vie, ni passée ni future, et je me souvenais à peine qu'il existât un garçon nommé David Balfour ; je pensais non plus à moi, mais uniquement à chacun de mes pas, dont le suivant me paraissait devoir être le dernier, avec désespoir, – et à Alan, la cause de tout, avec haine. Alan possédait la vraie méthode militaire : c'est le rôle de l'officier de faire en sorte que ses hommes continuent à exécuter les choses sans savoir pourquoi, et dans des circonstances où, si on le leur permettait, ils se coucheraient sur place et se laisseraient tuer. Et je pense que j'aurais fait un assez bon simple soldat, car, durant ces dernières heures, il ne me vint pas à l'idée que j'eusse la liberté de faire autre chose qu'obéir jusqu'au bout, et mourir en obéissant. Le jour vint peu à peu, après des années, me sembla-t-il.

Nous avions alors passé le plus fort du danger et pouvions marcher debout comme des hommes, au lieu de ramper comme des bêtes. Mais quel couple nous devions faire, miséricorde ! allant courbés en deux comme des aïeuls, butant comme des enfants et pâles comme la mort. Nous n'échangions plus un mot ; chacun serrait les dents et regardait fixement devant lui ; chacun levait le pied et l'abaissait comme ceux qui soulèvent des poids, dans une fête de village ; et tout cela, parmi les piaulements des oiseaux de marais et tandis que la lumière grandissait peu à peu à l'orient. Alan, dis-je, faisait comme moi. Non pas que je lui accordais un seul regard, car j'avais trop à faire de surveiller mes pas ; mais parce que évidemment il devait être aussi abruti de fatigue que moi et qu'il regardait aussi peu ou nous allions, sans quoi nous ne nous serions pas jetés en aveugles dans une embuscade. Voici comment la chose arriva. Nous descendions une pente de lande broussailleuse, Alan ouvrant la marche, et moi d'un pas ou deux en arrière, tels un violoneux et sa femme, quand soudain il se fit un remuement dans les bruyères : trois ou quatre individus en haillons surgirent, et, une seconde plus tard, nous étions couchés sur le dos, un poignard chacun à la gorge. Peu m'importait, je crois ; la souffrance causée par ce traitement brutal n'était rien en comparaison de celles qui m'emplissaient déjà ; et j'étais trop heureux d'avoir cessé de marcher, pour me soucier d'un poignard. Je regardais à l'envers la face de l'homme qui me tenait, et je la revois toute hâlée de soleil, avec des yeux très brillants, mais je n'avais pas peur de lui. J'entendis Alan parler tout bas en gaélique avec un autre ; et ce qu'ils pouvaient dire m'était bien égal. Ensuite les poignards se relevèrent, on nous prit nos armes et on nous assit nez à nez dans la bruyère. – Ce sont les gens de Cluny, dit Alan. Nous ne pouvions mieux tomber. Nous n'avons qu'à rester ici avec ces sentinelles avancées, jusqu'à ce que le chef soit prévenu de notre arrivée. Or, Cluny Macpherson, le chef du clan Vourich, avait été l'un des promoteurs de la grande rébellion, six ans auparavant ; sa tête était mise à prix, et je le croyais depuis longtemps en France avec les autres chefs de ce parti vaincu. Malgré ma fatigue, je me réveillai à moitié, d'étonnement. – Quoi, m'écriai-je, Cluny est encore ici ? – Mais oui, il y est ! dit Alan. Toujours dans son pays, et gardé par son clan. Le roi George ne pourrait mieux faire. J'allais lui en demander plus, mais Alan me donna mon congé. – Je suis un peu fatigué, dit-il, et j'aimerais bien faire un petit somme. Et, sans plus de mots, il se laissa rouler face contre terre dans un épais buisson de bruyère et s'endormit instantanément. Je n'aurais su l'imiter. Vous avez entendu des sauterelles bruire dans l'herbe, aux jours d'été ? Eh bien, je n'eus pas plus tôt fermé les yeux que mon corps, et surtout ma tête, mon estomac et mes poignets me parurent pleins de sauterelles bruissantes ; et je dus rouvrir mes yeux aussitôt, et m'agiter et me retourner, et me relever et me recoucher, et regarder le ciel qui m'éblouissait, ou les sauvages et répugnantes sentinelles de Cluny qui regardaient par-dessus la crête de la lande et conversaient en gaélique. Telle fut la façon dont je me reposai, jusqu'au retour du messager. Cluny, rapporta-t-il, désirait nous voir ; il nous fallut nous relever et repartir. Alan était d'excellente humeur, son somme l'avait remis, il avait très faim, et envisageait agréablement la perspective d'un coup à boire et d'un plat de collops[31] chauds dont le messager lui avait dit deux mots. Pour ma part, la seule mention de nourriture me donnait la nausée. À ma mortelle fatigue s'ajoutait à présent une sorte de légèreté vertigineuse qui ne me permettait pas de marcher. J'allais tout de travers, comme un ivrogne ; le sol me semblait inconsistant comme une nuée, les montagnes légères comme des plumes, et l'air, plein de remous comme un torrent, m'emportait de çà de là. Enfin, une sorte d'effroi désespéré m'accablait, et j'aurais pleuré de me sentir en cet état. Je vis Alan froncer les sourcils en me regardant ; et, le croyant fâché, j'éprouvai, à l'instar d'un enfant, une crainte irraisonnée. Je me rappelle aussi que je souriais, et ne parvenais pas à ne plus sourire, malgré tous mes efforts, car je sentais cette manifestation déplacée. Mais mon excellent compagnon n'avait dans l'esprit que bonté à mon égard ; deux des hommes me prirent sous les bras, et je fus emporté à une allure rapide (ou du moins qui me parut telle, car elle devait être assez modérée, en fait) à travers un dédale de torrents à sec et de ravins, au cœur de cette mélancolique montagne de Ben Adler.


Chapitre 22 Kapitel 22 Chapter 22 Capítulo 22

XXII. XXII. La fuite dans la bruyère :le marais Escape into the heather: the swamp

Après sept heures d’une marche pénible et ininterrompue, nous atteignîmes, au début de la matinée, la fin d’une chaîne de montagnes. After seven hours of arduous, uninterrupted walking, we reached the end of a mountain range in the early morning. Devant nous s’étalait une plaine basse, entrecoupée et déserte, que nous avions à traverser. In front of us lay a low plain, intersected and deserted, which we had to cross. Le soleil, qui venait de se lever, nous donnait en plein dans les yeux ; une brume légère et ténue flottait comme une fumée à la surface du marécage ; si bien que (disait Alan) vingt escadrons de cavalerie auraient pu s’y trouver à notre insu. The sun, which had just risen, was right in our eyes; a light, tenuous mist floated like smoke on the surface of the swamp; so much so that (said Alan) twenty squadrons of cavalry could have been there without our knowledge. Aussi, en attendant que la brume se levât, nous nous arrêtâmes dans un creux de la pente, fîmes le drammach et tînmes conseil de guerre. So, while we waited for the fog to lift, we stopped in a hollow on the slope, played the drammach and held a council of war. – David, dit Alan, voici le hic. - David," says Alan, "here's the rub. Resterons-nous ici jusqu’à la nuit, ou pousserons-nous de l’avant, à tout hasard ? Are we going to stay here until dark, or are we going to push ahead, just in case? – Ma foi, dis-je, je suis assez fatigué, mais je pourrais encore marcher autant pourvu qu’alors nous soyons au bout. - Well," I said, "I'm pretty tired, but I could still walk that far, as long as we got to the end. – Oui, mais nous n’y serons pas, dit Alan, ni même à moitié. - Yes, but we won't be there," says Alan, "not even halfway. Voilà notre situation. This is our situation. Appin, c’est pour nous la mort sans phrases. For us, Appin means death without sentences. Au sud, tout appartient aux Campbells, et il n’y faut pas songer. To the south, everything belongs to the Campbells, and you shouldn't even think about it. Au nord… eh bien, il n’y a pas grand-chose à gagner en allant au nord ; ni pour vous, qui désirez atteindre Queensferry, ni pour moi, qui veux aller en France. North... well, there's not much to be gained by going north; neither for you, who want to reach Queensferry, nor for me, who want to go to France. Cela étant, il nous reste l’est. That said, we still have the East. – Va pour l’est ! - Head east! dis-je assez gaiement ; mais je me disais en moi-même : « Oh ! I said cheerfully enough, but I thought to myself, "Oh! l’ami, si seulement vous adoptiez un point de compas et m’en laissiez prendre un autre, cela vaudrait mieux pour tous les deux ! my friend, if only you'd adopt one compass point and let me take another, it would be better for both of us! » – Eh bien donc, à l’est, voyez-vous, nous avons les marais, dit Alan. "- Well then, to the east, you see, we have the marshes," says Alan. Une fois là, c’est pile ou face. Once there, it's a toss-up. Sur cette étendue plate et rase, où se cacher ! There's nowhere to hide on this flat, barren expanse! Viennent les habits-rouges à monter sur une hauteur, ils vous découvriront à des milles ; et le diable soit des sabots de leurs chevaux, ils vous rattraperont comme pour rire. Come the redcoats to ride on a height, they'll discover you miles away; and the devil be of their horses' hooves, they'll catch you up as if for laughs. Ce n’est pas là un bon endroit, David ; et même, je dois ajouter qu’il est plus mauvais de jour que de nuit. This is not a good place, David; in fact, it's worse by day than by night, I might add. – Alan, dis-je, écoutez ce que j’en pense. - Alan," I said, "listen to what I think. Appin équivaut pour nous à la mort. For us, Appin means death. Nous n’avons ni l’un ni l’autre trop d’argent, et guère non plus de farine ; à force de chercher, ils finiront bien par découvrir où nous sommes ; le risque est égal, et je vote pour aller de l’avant jusqu’à ce que nous tombions. Neither of us has too much money, and hardly any flour either; by dint of searching, they'll eventually find out where we are; the risk is equal, and I vote for going ahead until we fall. Alan fut enchanté. Alan was delighted. – Il y a des fois, dit-il, où votre genre est un peu trop original et whig pour convenir à un gentilhomme de ma sorte, mais il y a d’autres moments où vous vous montrez plein d’esprit ; et c’est alors, David, que je vous aime comme un frère. - There are times, he said, when your genre is a little too original and whig-like to suit a gentleman of my kind, but there are other times when you show yourself full of wit; and it is then, David, that I love you like a brother. La brume se leva et se dissipa, nous laissant voir une étendue de pays aussi vide que la mer ; seuls, les oiseaux de marais et les courlis piaulaient par-dessus, et dans la distance, vers l’est, une harde de daims faisait des points mobiles. The mist lifted and dissipated, leaving us to see an expanse of country as empty as the sea; only marsh birds and curlews chirped overhead, and in the distance to the east, a herd of fallow deer made moving dots. Une partie de cette étendue était rousse de bruyère ; le reste, coupé de fondrières, d’étangs et de trous à tourbe ; ici, la bruyère était noircie par le feu ; plus loin, toute une forêt de sapins morts dressaient encore leurs squelettes. Part of this expanse was reddened with heather; the rest, cut with muskeg, ponds and peat holes; here, the heather was blackened by fire; further on, a whole forest of dead fir trees still erected their skeletons. On ne vit jamais plus lugubre désert ; mais il était du moins libre de troupes, ce qui était pour nous le principal. But it was at least free of troops, which was the main thing for us. Nous descendîmes donc dans cette plaine et entreprîmes d’atteindre, par un chemin fastidieusement contourné, sa limite orientale. So we descended into this plain and set out to reach its eastern boundary via a tediously contoured path. Tout autour (il ne faut pas l’oublier) s’élevaient les cimes de montagnes d’où nous pouvions être à chaque instant découverts ; il convenait donc de nous tenir dans les parties creuses du marais, et quand celles-ci nous écartaient de notre direction, de n’avancer sur la surface nue qu’avec d’infinies précautions. All around us (and we mustn't forget this) were mountain peaks from which we could be discovered at any moment; it was therefore advisable to keep to the hollow parts of the marsh, and when these led us astray, to advance over the bare surface only with infinite caution. Parfois, durant des demi-heures entières, il nous fallait ramper d’un buisson à l’autre, tels des chasseurs qui vont surprendre un daim. Sometimes, for half an hour at a time, we had to crawl from one bush to the next, like hunters on their way to stalk a deer. C’était de nouveau une journée pure, avec un soleil éclatant ; l’eau de notre gourde à eau-de-vie fut bientôt épuisée ; et, ma foi, si j’avais pu imaginer ce que cela signifiait, de ramper la moitié du temps à plat ventre et de marcher, le reste, plié en deux, j’aurais sans doute reculé devant une entreprise aussi harassante. It was a pure day again, with bright sunshine; the water in our brandy gourd was soon exhausted; and, my goodness, if I could have imagined what it meant to crawl half the time on my stomach and walk the rest of the way bent double, I'd probably have shrunk from such a harrowing undertaking. À peiner, puis nous reposer pour peiner encore, la matinée se passa ; et vers midi nous nous couchâmes dans un épais fourré de bruyère, pour dormir. The morning was spent toiling, then resting to toil again, and around noon we lay down to sleep in a thick thicket of heather. Alan prit le premier quart ; et il me sembla que je venais à peine de fermer les yeux quand il m’éveilla pour prendre le second. Alan took the first quart; and it seemed to me that I had hardly closed my eyes when he woke me to take the second. Nous n’avions pas de montre pour nous renseigner ; et afin d’en tenir lieu, Alan ficha dans le sol une baguette de bruyère : dès que son ombre atteindrait un point déterminé vers l’est, je saurais qu’il était temps de l’éveiller. We didn't have a watch to tell us what was going on; and to take its place, Alan stuck a briar stick in the ground: as soon as his shadow reached a certain point to the east, I'd know it was time to wake him. Mais j’étais alors si recru que j’aurais bien dormi douze heures d’affilée ; j’avais le goût du sommeil dans la gorge ; mes membres dormaient tandis même que mon esprit veillait ; la chaude senteur de la bruyère avec le bourdonnement des abeilles sauvages, se liguaient pour m’engourdir ; et de temps à autre une secousse me traversait et m’apprenait que je venais de sommeiller. But then I was so rookie that I could have slept for twelve hours straight; I had the taste of sleep in my throat; my limbs slept even as my mind kept watch; the warm scent of heather with the buzz of wild bees, combined to numb me; and every now and then a jolt would run through me and tell me I'd just dozed off. La dernière fois que je me réveillai, il me sembla revenir de plus loin, et je crus voir que le soleil avait fait beaucoup de chemin dans le ciel. The last time I woke up, I seemed to have come back from further away, and I thought I saw that the sun had come a long way in the sky. Je regardai la baguette de bruyère, et faillis pousser un cri, car j’avais trahi ma consigne. I looked at the briar wand and almost screamed, for I had betrayed my instructions. J’étais éperdu de crainte et de honte ; et à ce que je vis, en regardant autour de moi sur le marais, mon cœur cessa de battre. I was distraught with fear and shame, and as I looked around at the marsh, my heart stopped beating. Car, sans nul doute, un corps de cavaliers était survenu pendant mon sommeil, et ils arrivaient sur nous du sud-est, développés en éventail et poussant leurs chevaux çà et là parmi les fourrés de bruyère. For, without a doubt, a body of horsemen had arrived while I was asleep, and they were coming at us from the southeast, fanning out and pushing their horses here and there through the heather thickets. Lorsque je réveillai Alan, il jeta un coup d’œil aux soldats d’abord, puis au repère et à la position du soleil, et fronça les sourcils en me lançant un bref regard, à la fois menaçant et inquiet. When I woke Alan, he glanced first at the soldiers, then at the marker and the position of the sun, and frowned as he gave me a brief look, both threatening and worried. Mais ce fut là tout le reproche que je reçus de lui. But that was all the reproach I received from him. – Qu’allons-nous faire ? - What are we going to do about it? demandai-je. I asked. – Nous allons jouer les lièvres, dit-il. - We're going to play the hare," he says. Voyez-vous cette montagne là-bas ? Do you see that mountain over there? – et il m’en désignait une à l’horizon nord-est. - and he pointed to one on the northeast horizon. – Oui, dis-je. - Yes," I said. – Eh bien donc, dirigeons-nous dessus. - Well then, let's get on with it. Elle se nomme Ben Adler ; c’est une montagne âpre et déserte, pleine de trous et de bosses, et pourvu que nous y soyons avant le matin, nous sommes sauvés. It's called Ben Adler; it's a harsh, deserted mountain, full of holes and bumps, and as long as we get there before morning, we're saved. – Mais, Alan, m’écriai-je, il nous faudra couper au beau milieu de ces soldats qui arrivent ! - But, Alan," I exclaimed, "we'll have to cut right through the middle of these oncoming soldiers! – Je le sais, dit-il, mais si nous nous laissons rabattre sur Appin, nous sommes deux hommes morts. - I know," he says, "but if we let Appin get us down, we're two dead men. Ainsi donc, David mon ami, du nerf ! So, David, my friend, come on! Là-dessus il se mit à courir à quatre pattes, d’une vélocité incroyable, comme si c’eût été là son allure naturelle. Then he started running on all fours, with incredible velocity, as if that were his natural pace. Cependant, il ne cessait de faire des détours, en suivant les parties basses du marais qui nous dissimulaient le mieux. However, he kept taking detours, following the low-lying parts of the marsh that best concealed us. En de certains endroits, les buissons avaient été brûlés, ou du moins atteints par le feu ; et il nous montait à la figure (car nous avions le nez près de terre) une poussière aveuglante et asphyxiante, aussi subtile que de la fumée. In some places, the bushes had been burnt, or at least affected by the fire; and a blinding, asphyxiating dust, as subtle as smoke, was rising in our faces (for our noses were close to the ground). Nous n’avions plus d’eau depuis longtemps ; et cette façon de courir à quatre pattes entraîne une faiblesse et une fatigue écrasantes, qui vous brisent les membres et font se dérober vos poignets sous votre poids. We'd been out of water for a long time; and this way of running on all fours leads to overwhelming weakness and fatigue, breaking your limbs and making your wrists buckle under your weight. De temps à autre, il est vrai, quand nous trouvions un fourré convenable, nous nous y arrêtions pour souffler, et, en écartant les branches, nous regardions derrière nous les dragons. From time to time, it's true, when we found a suitable thicket, we'd stop there to blow, and, spreading the branches, we'd look behind us at the dragons. Ils ne nous avaient pas vus, car ils ne se détournaient pas. They hadn't seen us, because they didn't turn away. Ils étaient un demi-régiment, peut-être, et couvraient bien deux milles de terrain, qu’ils battaient à fond, à mesure de leur avance. They were half a regiment, perhaps, and covered a good two miles of ground, which they beat to a pulp as they advanced. Je ne m’étais pas éveillé trop tôt : une minute de plus et il nous aurait fallu fuir sous leur nez, au lieu de leur échapper latéralement. I hadn't woken up too early: another minute and we'd have had to flee under their noses, instead of escaping sideways. Même dans ces conditions, la moindre anicroche pouvait nous perdre ; et à chaque fois qu’un coq de bruyère s’enlevait des buissons avec un claquement d’ailes, nous gardions une immobilité de mort et n’osions plus respirer. Even in these conditions, the slightest hitch could get us lost; and every time a rooster flew out of the bushes with a flap of its wings, we remained deathly still and didn't dare breathe. La douleur et la faiblesse de mes membres, l’épuisement de mon cœur, les égratignures de mes mains et l’irritation de ma gorge et de mes yeux dans la fumée continuelle des cendres et de la poussière m’étaient bien vite devenus tellement insupportables que j’aurais volontiers renoncé à poursuivre. The pain and weakness of my limbs, the exhaustion of my heart, the scratching of my hands and the irritation of my throat and eyes in the continuous smoke of ash and dust soon became so unbearable that I would have gladly given up. Seule, la crainte d’Alan me prêtait une sorte de courage artificiel qui me permettait d’avancer. Only Alan's fear lent me a kind of artificial courage that kept me going. Quant à lui (et l’on doit se souvenir qu’il était encombré de son grand surtout), son visage avait d’abord passé au cramoisi, mais à la longue ce cramoisi se marbra de taches blanches ; il avait la respiration rauque et sifflante ; quand nous faisions halte et qu’il me chuchotait ses avis à l’oreille, sa voix était méconnaissable. As for him (and it must be remembered that he was especially encumbered by his large size), his face had first turned crimson, but in time this crimson became marbled with white spots; his breathing was hoarse and wheezy; when we stopped and he whispered his advice in my ear, his voice was unrecognizable. Mais par ailleurs il n’avait aucunement l’air abattu, il ne perdait rien de son agilité, et j’étais émerveillé de son endurance. But on the other hand, he didn't look at all dejected, he hadn't lost any of his agility, and I marveled at his stamina. À la fin, comme la nuit tombait, nous entendîmes un bruit de trompettes, et, regardant derrière nous, entre les bruyères, nous vîmes la troupe faire son rassemblement. At last, as night fell, we heard the sound of trumpets, and looking back through the heather, we saw the troop gathering. Quelques minutes plus tard, le feu était allumé et le camp dressé pour la nuit vers le centre de la plaine. A few minutes later, the fire was lit and the camp set up for the night towards the center of the plain. À cette vue, je priai et suppliai Alan qu’il nous permît de nous coucher et de dormir. At this sight, I prayed and begged Alan to allow us to lie down and sleep. – Il n’y aura pas de sommeil pour nous cette nuit ! - There'll be no sleep for us tonight! répondit-il. he replied. Une fois reposés, ces dragons là-bas vont vous cerner le marais, et personne ne sortira plus d’Appin que la gent ailée. Once they've rested, those dragons over there will surround the swamp for you, and no one will get out of Appin more than the winged gentry. Nous venons de l’échapper belle, et vous voudriez nous faire perdre ce que nous avons gagné ! We've just had a narrow escape, and you want to take away what we've earned! Non, non, il faut que le jour, en se levant, nous trouve, vous et moi, en lieu sûr au haut de Ben Adler. No, no, the day must dawn and find you and me in a safe place at the top of Ben Adler. – Alan, dis-je, ce n’est pas la bonne volonté, c’est la force qui me manque. - Alan," I said, "it's not good will I lack, it's strength. Si je pouvais, j’irais ; mais, aussi sûr que je vis, je n’en peux plus. If I could, I'd go; but, as sure as I live, I can't take it anymore. – Très bien, dit Alan, je vous porterai donc. - Very well," says Alan, "I'll carry you. Je le regardai, croyant qu’il plaisantait ; mais non ! I looked at him, thinking he was joking, but he wasn't! le petit homme était parfaitement sérieux ; et je rougis de le voir si résolu. the little man was perfectly serious; and I blushed to see him so resolute. – Laissez ! - Leave it! dis-je, je vous suis. I say, I'll follow you. Il me lança un coup d’œil qui signifiait : « Bravo, David ! He gave me a look that meant: "Bravo, David! » et se remit à courir de toute sa vitesse. "and started running again at full speed. La nuit avait amené quelque fraîcheur et même un peu (mais guère) d’obscurité. The night had brought some coolness and even a little (but not much) darkness. Le ciel était sans nuages ; nous étions encore en juillet, et très haut dans le nord ; au plus sombre de la nuit, il aurait fallu de bons yeux pour lire, mais néanmoins j’ai vu souvent des journées d’hiver plus sombres en plein midi. The sky was cloudless; it was still July, and very high in the north; in the darkest of nights, it would have taken good eyes to read, but nevertheless I've often seen darker winter days at high noon. Une rosée dense tombait et trempait la plaine comme de la pluie ; et elle me ranima tout d’abord. A dense dew fell and soaked the plain like rain; and it revived me at first. Quand nous fîmes halte pour souffler et que j’eus le loisir de contempler autour de moi la nuit claire et douce, les profils comme endormis des montagnes, et derrière nous le feu, réduit par la distance à un point brillant sur le marais, une exaspération soudaine me saisit de devoir me traîner ainsi misérablement et manger de la poussière comme un ver. When we stopped for breath and I had time to gaze around me at the clear, soft night, the sleepy profiles of the mountains, and behind us the fire, reduced by distance to a bright spot on the marsh, a sudden exasperation seized me at having to drag myself along miserably and eat dust like a worm. D’après ce que j’ai lu dans les livres, je crois que bien peu de ceux qui tinrent jamais une plume ont réellement connu la fatigue, sinon ils l’auraient décrite plus fortement. From what I've read in books, I believe that very few of those who ever held a pen actually experienced fatigue, otherwise they would have described it more strongly. Je n’avais plus souci de ma vie, ni passée ni future, et je me souvenais à peine qu’il existât un garçon nommé David Balfour ; je pensais non plus à moi, mais uniquement à chacun de mes pas, dont le suivant me paraissait devoir être le dernier, avec désespoir, – et à Alan, la cause de tout, avec haine. I no longer cared about my life, past or future, and could hardly remember that there was a boy named David Balfour; I thought no longer of myself, but only of each of my steps, the next of which seemed to me to be the last, with despair, - and of Alan, the cause of everything, with hatred. Alan possédait la vraie méthode militaire : c’est le rôle de l’officier de faire en sorte que ses hommes continuent à exécuter les choses sans savoir pourquoi, et dans des circonstances où, si on le leur permettait, ils se coucheraient sur place et se laisseraient tuer. Alan possessed the true military method: it's an officer's job to get his men to carry on doing things without knowing why, and in circumstances where, if allowed, they'd lie down and let themselves be killed. Et je pense que j’aurais fait un assez bon simple soldat, car, durant ces dernières heures, il ne me vint pas à l’idée que j’eusse la liberté de faire autre chose qu’obéir jusqu’au bout, et mourir en obéissant. And I think I would have made a pretty good private soldier, because in those last hours it didn't occur to me that I had the freedom to do anything other than obey to the end, and die obeying. Le jour vint peu à peu, après des années, me sembla-t-il. The day came gradually, after years, it seemed to me.

Nous avions alors passé le plus fort du danger et pouvions marcher debout comme des hommes, au lieu de ramper comme des bêtes. By then, we'd got through the worst of the danger and could walk upright like men, instead of crawling like beasts. Mais quel couple nous devions faire, miséricorde ! But what a couple we had to make, mercy! allant courbés en deux comme des aïeuls, butant comme des enfants et pâles comme la mort. going bent double like grandfathers, stumbling like children and pale as death. Nous n’échangions plus un mot ; chacun serrait les dents et regardait fixement devant lui ; chacun levait le pied et l’abaissait comme ceux qui soulèvent des poids, dans une fête de village ; et tout cela, parmi les piaulements des oiseaux de marais et tandis que la lumière grandissait peu à peu à l’orient. We didn't exchange a word; each clenched his teeth and stared ahead; each lifted and lowered his foot like those lifting weights at a village fete; and all this amid the chirping of marsh birds and as the light gradually grew in the east. Alan, dis-je, faisait comme moi. Alan, I said, was like me. Non pas que je lui accordais un seul regard, car j’avais trop à faire de surveiller mes pas ; mais parce que évidemment il devait être aussi abruti de fatigue que moi et qu’il regardait aussi peu ou nous allions, sans quoi nous ne nous serions pas jetés en aveugles dans une embuscade. Not that I gave him a single glance, because I had too much to do to watch my steps; but because obviously he must have been as stunned with fatigue as I was, and looked just as little at where we were going, otherwise we wouldn't have thrown ourselves blindly into an ambush. Voici comment la chose arriva. This is how it happened. Nous descendions une pente de lande broussailleuse, Alan ouvrant la marche, et moi d’un pas ou deux en arrière, tels un violoneux et sa femme, quand soudain il se fit un remuement dans les bruyères : trois ou quatre individus en haillons surgirent, et, une seconde plus tard, nous étions couchés sur le dos, un poignard chacun à la gorge. We were descending a slope of scrubby moorland, Alan leading the way, and I a step or two behind, like a fiddler and his wife, when suddenly there was a stir in the heather: three or four ragged individuals emerged, and a second later we were lying on our backs, each with a dagger at our throat. Peu m’importait, je crois ; la souffrance causée par ce traitement brutal n’était rien en comparaison de celles qui m’emplissaient déjà ; et j’étais trop heureux d’avoir cessé de marcher, pour me soucier d’un poignard. It didn't matter to me, I think; the pain caused by this brutal treatment was nothing compared to the pain that was already filling me; and I was too happy to have stopped walking, to worry about a dagger. Je regardais à l’envers la face de l’homme qui me tenait, et je la revois toute hâlée de soleil, avec des yeux très brillants, mais je n’avais pas peur de lui. I looked back at the face of the man holding me, and I saw it again, all sunburnt, with very bright eyes, but I wasn't afraid of him. J’entendis Alan parler tout bas en gaélique avec un autre ; et ce qu’ils pouvaient dire m’était bien égal. I heard Alan speaking softly in Gaelic with another; and I didn't care what they said. Ensuite les poignards se relevèrent, on nous prit nos armes et on nous assit nez à nez dans la bruyère. Then the daggers were raised, our weapons taken from us and we sat nose to nose in the heather. – Ce sont les gens de Cluny, dit Alan. - It's the people from Cluny," says Alan. Nous ne pouvions mieux tomber. The timing couldn't be better. Nous n’avons qu’à rester ici avec ces sentinelles avancées, jusqu’à ce que le chef soit prévenu de notre arrivée. All we have to do is stay here with these advanced sentries, until the chief is notified of our arrival. Or, Cluny Macpherson, le chef du clan Vourich, avait été l’un des promoteurs de la grande rébellion, six ans auparavant ; sa tête était mise à prix, et je le croyais depuis longtemps en France avec les autres chefs de ce parti vaincu. Now, Cluny Macpherson, the chief of the Vourich clan, had been one of the promoters of the great rebellion six years earlier; there was a price on his head, and I'd long since believed him to be in France with the other leaders of this defeated party. Malgré ma fatigue, je me réveillai à moitié, d’étonnement. Despite my fatigue, I woke up half-astonished. – Quoi, m’écriai-je, Cluny est encore ici ? - What," I cried, "is Cluny still here? – Mais oui, il y est ! - Yes, it is! dit Alan. says Alan. Toujours dans son pays, et gardé par son clan. Still in his country, and guarded by his clan. Le roi George ne pourrait mieux faire. King George couldn't have done it better himself. J’allais lui en demander plus, mais Alan me donna mon congé. I was going to ask him for more, but Alan gave me the day off. – Je suis un peu fatigué, dit-il, et j’aimerais bien faire un petit somme. - I'm a little tired," he says, "and I'd like to take a nap. Et, sans plus de mots, il se laissa rouler face contre terre dans un épais buisson de bruyère et s’endormit instantanément. And, without further words, he rolled face-down into a thick heather bush and fell instantly asleep. Je n’aurais su l’imiter. I couldn't have imitated him. Vous avez entendu des sauterelles bruire dans l’herbe, aux jours d’été ? Have you ever heard grasshoppers rustling in the grass on a summer's day? Eh bien, je n’eus pas plus tôt fermé les yeux que mon corps, et surtout ma tête, mon estomac et mes poignets me parurent pleins de sauterelles bruissantes ; et je dus rouvrir mes yeux aussitôt, et m’agiter et me retourner, et me relever et me recoucher, et regarder le ciel qui m’éblouissait, ou les sauvages et répugnantes sentinelles de Cluny qui regardaient par-dessus la crête de la lande et conversaient en gaélique. Well, no sooner had I closed my eyes than my body, and especially my head, stomach and wrists seemed full of rustling grasshoppers; and I had to open my eyes again at once, and fidget and turn, and sit up and lie down again, and look up at the sky that dazzled me, or at the savage and repulsive sentinels of Cluny who peered over the crest of the moor and conversed in Gaelic. Telle fut la façon dont je me reposai, jusqu’au retour du messager. This was how I rested until the messenger returned. Cluny, rapporta-t-il, désirait nous voir ; il nous fallut nous relever et repartir. Cluny," he reported, "wanted to see us, so we had to get up and set off again. Alan était d’excellente humeur, son somme l’avait remis, il avait très faim, et envisageait agréablement la perspective d’un coup à boire et d’un plat de collops[31] chauds dont le messager lui avait dit deux mots. Alan was in excellent spirits, his nap had recovered him, he was very hungry, and was pleasantly considering the prospect of a shot to drink and a dish of hot collops[31] which the messenger had told him two words about. Pour ma part, la seule mention de nourriture me donnait la nausée. For my part, the mere mention of food made me nauseous. À ma mortelle fatigue s’ajoutait à présent une sorte de légèreté vertigineuse qui ne me permettait pas de marcher. To my mortal fatigue was now added a sort of dizzying lightness that made it impossible for me to walk. J’allais tout de travers, comme un ivrogne ; le sol me semblait inconsistant comme une nuée, les montagnes légères comme des plumes, et l’air, plein de remous comme un torrent, m’emportait de çà de là. I was going sideways, like a drunkard; the ground seemed as inconsistent as a cloud, the mountains as light as feathers, and the air, full of eddies like a torrent, carried me from here to there. Enfin, une sorte d’effroi désespéré m’accablait, et j’aurais pleuré de me sentir en cet état. Finally, a sort of desperate dread overcame me, and I would have wept to feel in this state. Je vis Alan froncer les sourcils en me regardant ; et, le croyant fâché, j’éprouvai, à l’instar d’un enfant, une crainte irraisonnée. I saw Alan frown as he looked at me; and, believing him to be angry, I felt, like a child, an irrational fear. Je me rappelle aussi que je souriais, et ne parvenais pas à ne plus sourire, malgré tous mes efforts, car je sentais cette manifestation déplacée. I also remember smiling, and I couldn't stop smiling, despite my best efforts, because I felt it was out of place. Mais mon excellent compagnon n’avait dans l’esprit que bonté à mon égard ; deux des hommes me prirent sous les bras, et je fus emporté à une allure rapide (ou du moins qui me parut telle, car elle devait être assez modérée, en fait) à travers un dédale de torrents à sec et de ravins, au cœur de cette mélancolique montagne de Ben Adler. But my excellent companion had only kindness in mind for me; two of the men took me under the arms, and I was carried at a rapid pace (or so it seemed to me, for it must have been quite moderate, in fact) through a maze of dry torrents and ravines, into the heart of that melancholy mountain of Ben Adler.