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Enlevé Kidnapped, Chapitre 12

Chapitre 12

XII. Où il est question du Renard-Rouge

Nous n'avions pas achevé de nettoyer la dunette, qu'une brise se leva, du N. -N. -E. Elle emporta au loin la pluie et amena le soleil.

Une explication est ici nécessaire, et le lecteur fera bien de suivre sur la carte. Le jour où le brouillard nous enveloppa et où nous coulâmes le bateau d'Alan, nous avions embouqué le Little Minch. Le soir après la bataille, nous étions en panne à l'est de l'île Canna, ou plus exactement entre celle-ci et l'île Eriskay située au sud de Long Island. Or, de là, pour gagner le loch Linnhe, le plus direct eût été de passer par le Sound of Mull. Mais le capitaine n'avait pas de carte ; il craignait d'aventurer son brick au milieu des îles ; et comme la brise le favorisait, il aima mieux prendre par l'ouest de Tiree et longer la côte sud de la grande île de Mull. Tout le jour la brise se maintint dans la même direction, fraîchissant au lieu de diminuer ; et, dans l'après-midi, une houle s'établit, venant du large des Hébrides. Nous devions, pour contourner les îles intérieures, nous diriger vers le sud-ouest, en sorte qu'au début nous eûmes cette houle par le travers, ce qui nous fit rouler fortement. Mais après la nuit tombée, quand nous eûmes doublé la pointe de Tiree et que nous mîmes le cap plus à l'est, la mer nous venait juste en poupe. Cependant, le début de la journée, avant que la houle se levât, fut très agréable ; car nous voguions sous un beau soleil, au centre d'un panorama d'îles montagneuses. Alan et moi étions assis dans la dunette avec les portes ouvertes de chaque côté (le vent venait juste de l'arrière) à fumer l'excellent tabac du capitaine. Ce fut alors que nous nous contâmes nos histoires réciproques, ce qui fut précieux pour moi, car j'appris ainsi à connaître ce sauvage pays du Highland où je devais aborder si peu de temps après. À cette époque, où la grande révolte[16] avait juste pris fin, il fallait y réfléchir à deux fois avant de se risquer sur la bruyère.

Ce fut moi qui donnai l'exemple, en lui racontant mes malheurs, qu'il écouta avec beaucoup de sympathie. Mais lorsque je vins à faire mention de mon excellent ami M. Campbell le ministre, Alan prit feu et déclara qu'il haïssait quiconque portait ce nom. – Mais, dis-je, c'est un homme à qui vous seriez fier de tendre la main. – Je ne sais trop ce que je pourrais offrir à un Campbell si ce n'est du plomb. Je tirerais volontiers sur tous ceux de ce nom, comme sur des corbeaux. Si j'étais à mon lit de mort, je ramperais sur les genoux jusqu'à la fenêtre de ma chambre pour en abattre un. – Bon Dieu, Alan, m'écriai-je, que vous ont fait les Campbell ? – Eh bien, vous savez que je suis un Appin Stewart, et que les Campbell depuis longtemps persécutent et exterminent ceux de mon nom ; oui, et ils nous ont arraché des terres par trahison – mais jamais à la pointe de l'épée ! cria-t-il très haut, en assenant un grand coup de poing sur la table. (Mais je n'y fis pas attention, car je savais cet argument familier aux vaincus.) Il y a bien autre chose encore, continua-t-il, et le tout du même tonneau : langage mensonger, papiers menteurs, tours de vieux routiers, et, toujours sous les apparences de la légalité, ce qui est encore plus irritant.

– Vous qui êtes si prodigue de vos boutons, dis-je, je doute fort que vous soyez bon juge en matière d'affaires. – Ah ! dit-il, en retrouvant son sourire, j'ai reçu ma prodigalité de la même main qui m'a donné les boutons, c'est-à-dire de mon pauvre père, Duncan Stewart, béni soit-il. C'était le plus charmant homme de sa race ; et la meilleure épée des Highlands, David, ce qui revient à dire : du monde, je le sais bien, car c'est lui qui m'a enseigné à tirer. Il fit partie de la Garde-Noire[17], dès les premiers enrôlements ; et, comme d'autres gentilshommes partisans, il se faisait suivre d'un écuyer pour lui porter son fusil, dans les marches. Or, le roi, dit-on, eut envie de voir un assaut d'épée du Highland. Mon père et trois autres nobles furent choisis, et envoyés à Londres, comme les meilleurs tireurs. On les mena donc au palais où, pendant deux heures d'affilée, ils déployèrent tout l'art de l'épée, devant le roi George[18] et la reine Caroline, et Cumberland le Boucher, et un tas d'autres que j'ignore. Et quand ce fut fini, le roi (qui n'était après tout qu'un vil usurpateur) leur donna de belles paroles et leur mit en main à chacun trois guinées. Or, en sortant du palais, ils passèrent devant une loge de portier ; et mon père, se disant qu'il était sans doute le premier gentilhomme highlander qui fût jamais passé par là, crut devoir donner au pauvre portier une haute idée de sa qualité. Il déposa donc les trois guinées du roi dans la main de cet homme, comme si c'était son habitude ordinaire. Les trois autres qui le suivaient font de même ; et les voilà dans la rue, sans un penny, certains disent que ce fut un tel, le premier à gratifier le portier du roi ; d'autres, que ce fut tel autre ; mais la vérité est que ce fut Duncan Stewart, comme je suis prêt à le soutenir aussi bien avec l'épée qu'avec le pistolet. Tel était mon père, Dieu ait son âme !

– Il n'a pas dû vous laisser beaucoup. – C'est vrai. À part mes culottes, il m'a laissé peu de chose. Et c'est pourquoi j'en suis venu à m'enrôler, ce qui a nui grandement à ma réputation, et me ferait encore plus de tort si je tombais aux mains des habits-rouges. – Hé quoi ! m'écriai-je, vous avez fait partie de l'armée anglaise ? – Oui, moi-même, dit Alan. Mais j'ai déserté du bon côté, à Preston-Pans[19], et cela me console un peu. Je n'étais pas de cet avis, car je tenais la désertion devant l'ennemi pour une faute impardonnable contre l'honneur. Toutefois, en dépit de ma jeunesse, je sus taire ma pensée.

– Mais, mon ami, dis-je, c'est la peine de mort ! – Oui, au cas où ils me prendraient, ce serait haut et court pour Alan ! Mais j'ai dans ma poche mon brevet signé du roi de France, qui me protégerait un peu. – J'en doute fort. – Moi aussi, répliqua-t-il sèchement.

– Mais bon Dieu, mon ami, m'écriai-je, vous qui êtes un rebelle condamné, un déserteur, et un homme du roi de France, pourquoi donc revenez-vous en ce pays ? C'est braver la Providence. – Bah ! je suis revenu tous les ans depuis 46.

– Et quoi donc vous pousse, ami ?

– Eh bien, voyez-vous, je m'ennuie de mes amis et de chez moi. La France est un beau pays, sans doute ; mais j'y regrette la bruyère et les daims. Et puis j'ai certaines petites commissions à remplir. Des fois, ce sont quelques gars que je ramène au roi de France : des recrues, pour tout dire ; et puis aussi un peu d'argent. Mais l'affaire la plus importante est celle de mon chef, Ardshiel. – Je croyais que votre chef s'appelait Appin. – Oui, mais Ardshiel est le capitaine du clan, dit-il (ce qui ne m'avança guère). Voyez-vous, David, celui qui toute sa vie a été un si grand personnage, et qui descend des rois et porte leur nom, est présentement réduit à vivre dans une ville de France comme un simple particulier. Lui qui avait quatre cents épées à sa suite, je l'ai vu, de mes yeux, acheter du beurre au marché, et le rapporter chez lui dans une feuille de chou. C'est plus qu'affligeant, c'est une honte pour nous tous de sa famille et de son clan. Il y a les petits, en outre, les enfants et l'espoir d'Appin, qui doivent apprendre à lire et à tenir une épée, dans ce lointain pays. Or, les tenanciers d'Appin ont à payer une rente au roi George ; mais leur cœur est ferme, ils sont fidèles à leur chef ; et tant par amour que par un rien de pression, et voire une menace ou deux, les pauvres gens raclent une seconde rente pour Ardshiel. Eh bien, David, c'est moi qui suis chargé de la porter. Et, frappant sur sa ceinture, il fit sonner les guinées.

– Ils payent donc deux fois ? m'écriai-je. – Oui, David, deux fois.

– Quoi ! Deux rentes ? répétai-je.

– Oui, David. J'ai raconté une autre histoire à cette espèce de capitaine ; mais je vous dis la vérité. Et je m'étonne moi-même du peu de pression qu'il y faut. Mais cela, c'est l'affaire de mon bon parent, cet ami de mon père, James des Glens ; James Stewart, c'est-à-dire : le demi-frère d'Ardshiel. C'est lui qui ramasse l'argent et en fait la répartition. Ce fut la première fois que j'entendis le nom de ce James Stewart, qui devint plus tard si fameux au temps de sa pendaison. Mais j'y fis peu d'attention sur le moment, car j'avais l'esprit trop préoccupé par la générosité de ces pauvres Highlanders. – Je trouve cela noble, m'écriai-je. Je suis un whig, ou peu s'en faut, mais je trouve cela noble ! – C'est vrai, vous êtes un whig, mais vous êtes aussi un gentilhomme, ce qui explique vos sentiments. Toutefois, si vous apparteniez à la race maudite des Campbell, vous grinceriez des dents, au contraire. Si vous étiez le Renard-Rouge…

Et sur ce nom ses mâchoires se serrèrent, et il se tut. Je n'ai jamais vu de visage plus féroce que celui d'Alan après qu'il eut nommé le Renard-Rouge. – Et qui est le Renard-Rouge ? demandai-je, effrayé mais pourtant curieux.

– Qui il est ? s'écria Alan. Eh bien, je vais vous le dire. Lorsque les hommes des clans eurent été écrasés à Culloden, et la bonne cause perdue, alors que les chevaux piétinaient jusqu'aux paturons dans le meilleur sang du Nord, Ardshiel fut obligé de fuir comme un cerf traqué sur les montagnes – lui, sa femme et ses enfants. Nous eûmes toutes les peines du monde à le faire embarquer. Et il tenait encore la bruyère, que ces gredins d'Anglais, faute de lui prendre la vie, s'attaquèrent à ses biens. On le dépouilla de ses droits, en le dépouillant de ses terres ; on arracha les armes à tous ceux du clan, qui avaient porté les armes depuis trente siècles ; oui, et jusqu'aux habits de leurs dos – tant que c'est devenu un crime de porter un plaid de tartan[20], et qu'on peut vous mettre en prison si vous avez un kilt[21] autour des jambes. Mais il y a une chose qu'ils n'ont pas pu tuer. C'est l'amour que ceux du clan portent à leur chef. Ces guinées en sont la preuve. Et alors voici qu'apparaît un homme, un Campbell, cette tête rouge de Colin de Glenure… – Est-ce lui que vous appelez le Renard-Rouge ? demandai-je.

– Allez-vous me le reprocher, s'écria farouchement Alan. Oui, c'est lui. Il arrive, exhibe des papiers du roi George, qui le nomment soi-disant agent royal sur les terres d'Appin. Au début, il file doux, et s'efforce d'amadouer Sheamus – c'est-à-dire James des Glens, l'agent de mon chef. Mais entre temps il lui vient aux oreilles ce que je vous ai raconté ; comme quoi les pauvres manants d'Appin, fermiers, laboureurs, bouviers, se dépouillent jusqu'à leurs plaids pour trouver une seconde rente, qui est envoyée outre-mer, à Ardshiel et ses pauvres enfants. Comment avez-vous jugé cela, quand je vous l'ai dit ? – Je l'ai jugé noble, Alan, répondis-je. – Et vous ne valez guère mieux qu'un simple whig ! s'écria-t-il. Mais quand cela parvint à Colin Roy, le noir sang des Campbell lui bouillit dans les veines. Il grinça des dents, attablé devant son vin.

Quoi ! un Stewart aurait une bouchée de pain, et lui ne pourrait l'empêcher ? Ah ! Renard-Rouge, si jamais je te tiens au bout de mon fusil, le Seigneur ait pitié de toi ! – (Alan s'arrêta pour ravaler sa colère) – Eh bien, David, que fait-il ? Il met toutes les fermes à louer. Et il se dit, dans son noir cœur : Je vais trouver d'autres tenanciers qui enchériront sur ces Stewarts, ces Maccols et ces Macrobs (car ce sont les noms de mon clan, David), et alors, pense-t-il, Ardshiel n'aura plus qu'à tendre son bonnet sur les routes de France. – Et après, dis-je, qu'est-ce qui arriva ? Alan déposa sa pipe, éteinte depuis longtemps, et mit ses deux mains à plat sur ses genoux.

– Ah ! dit-il, vous ne le devineriez jamais ! Car ces mêmes Stewarts, ces mêmes Maccols et ces Macrobs (qui avaient deux rentes à payer, l'une au roi George, par la force brutale, l'autre à Ardshiel, de bonne volonté) lui offrirent un meilleur prix que tous les Campbell de l'Écosse ; et il avait été les chercher au loin – jusqu'aux bords de la Clyde et à la Croix d'Édimbourg, – les priant et les suppliant de venir, car il y avait un Stewart à affamer et un chien de Campbell à tête rouge à favoriser ! – Ma foi, Alan, dis-je, l'histoire est singulière, et bien belle aussi. Tout whig que je suis, je suis enchanté que cet homme ait été battu.

– Lui battu ? répéta Alan. Vous ne connaissez pas les Campbells, et encore moins le Renard-Rouge ! Lui battu ? Non ; et il ne le sera pas, avant que son sang ne teigne la colline ! Mais s'il vient un jour, ami David, où je trouve le temps et le loisir de lui faire un peu la chasse, il n'y a pas assez de bruyère dans toute l'Écosse pour le mettre à l'abri de ma vengeance ! – Ami Alan, lui dis-je, ce n'est sage ni chrétien de proférer ces paroles de colère. Elles ne feront aucun mal à celui que vous appelez le Renard-Rouge, et aucun bien à vous. Racontez-moi simplement l'histoire. Que fit-il ensuite ?

– Votre remarque est juste, David, dit Alan. C'est bien vrai, que cela ne lui fait pas de mal ; et tant pis ! Mais sauf en ce qui concerne la religion (et là-dessus mon avis est tout différent, sinon je ne serais pas chrétien) je pense assez comme vous.

– Votre avis n'a rien à voir ici, on sait bien que la religion interdit la vengeance. – Ah ! comme on sent que vous avez reçu votre éducation d'un Campbell ! Le monde serait trop beau pour eux et leurs pareils, s'il n'existait des choses comme un gars avec son fusil derrière un buisson de bruyère ! Mais revenons à l'histoire. Voici donc ce qu'il fit. – Oui, dis-je, continuez.

– Eh bien, David, ne pouvant se débarrasser des loyaux paysans par les bons moyens, il jura d'en venir à bout par les mauvais. Ardshiel devait mourir de faim : tel était le résultat final à obtenir. Et puisque ceux qui le nourrissaient dans son exil refusaient de se laisser acheter – de gré ou de force il les chasserait. Il envoie donc chercher des gens de loi, des paperasses et des habits-rouges pour le seconder. Et les pauvres gens de ce pays durent tous faire leurs paquets et décamper, chaque fils hors de la maison paternelle, chacun loin de l'endroit où il avait été nourri et élevé, et où il avait joué dans son enfance. Et qui vint les remplacer ? Des gueux à jambes nues. Le roi George peut attendre ses rentes ; il lui faudra s'en passer et économiser le beurre sur son pain. Mais qu'importe à Colin le Rouge ? Faire du mal à Ardshiel, cela lui suffit ; s'il peut retirer le manger de la table de son chef, et les jouets des mains de ses enfants, il rentrera chez lui en chantant victoire. – Permettez-moi une remarque, dis-je. Soyez sûr que s'ils recueillent moins de rentes, soyez sûr que le gouvernement a mis la main au plat. Ce n'est pas la faute à ce Campbell, ami, c'est par ordre qu'il le fait. Et si demain vous tuez ce Colin, vous en porterez-vous mieux ? Il sera aussitôt remplacé par un autre agent, juste le temps de faire la route.

– Vous êtes un brave garçon dans le combat, dit Alan, mais l'ami, vous avez du sang whig en vous ! Il parlait assez doucement, mais il y avait sous son mépris une telle colère que je crus bon de changer de conversation. J'exprimai mon étonnement de voir qu'avec les Highlands couverts de troupes, et gardés comme une ville assiégée, un homme dans sa situation pût aller et venir sans être pris. – C'est plus facile que vous ne croyez, dit Alan. Un versant de colline découvert, voyez-vous, équivaut tout entier à une grand-route : s'il y a une sentinelle à un endroit, vous passez par un autre. Et puis la bruyère est d'un grand secours. Et partout il y a des maisons amies et des granges et du foin. Et encore, quand on parle d'un pays couvert de troupes, ce n'est là qu'une manière de parler. Un soldat ne couvre que juste l'espace de ses semelles de souliers. J'ai péché avec une sentinelle de l'autre côté du torrent et j'ai ramené une belle truite. Je suis resté dans un buisson de bruyère à six pieds d'une autre sentinelle, et j'ai appris de lui à siffler un air vraiment joli. Tenez, le voici.

Et il me le siffla.

– Et d'ailleurs, reprit-il, cela ne va plus aussi mal qu'en 46. Les Highlands sont ce qu'on appelle pacifiés. Rien d'étonnant, s'il ne reste pas un fusil ni un sabre, de Cantyre au cap Wrath, sauf ceux que les gens avisés ont cachés dans le chaume de leur toit. Mais je voudrais savoir, David, combien cela va durer ? Pas longtemps, dirait-on, avec des gens comme Ardshiel en exil, et au pays des gens comme le Renard-Rouge en train de siroter du vin et d'opprimer les pauvres. Mais il est difficile de savoir ce que le peuple supportera ou non… Ou comment Colin-le-Rouge pourrait cavalcader sur tout mon malheureux pays d'Appin, sans rencontrer jamais un brave garçon pour lui envoyer une balle. Sur quoi Alan se mit à rêver, et resta longtemps sans rien dire.

J'ajoute ici, à propos de mon ami, qu'il était habile sur les instruments de musique, en particulier sur la cornemuse, et poète réputé dans sa langue ; il avait lu assez de livres français et anglais ; c'était un tireur immanquable, un bon pêcheur à la ligne, un excellent escrimeur aussi bien à l'épée qu'à son arme spéciale[22]. Quant à ses défauts, il les portait sur le visage, et je les connaissais déjà tous. Mais le pire, sa propension puérile à prendre la mouche et à chercher querelle, il s'en départit avec moi, en considération de la bataille de la dunette. Mais si ce fut parce que je m'étais bien comporté, ou parce que j'avais été le témoin de ses beaucoup plus grandes prouesses, je ne saurais le dire. Car il avait beau estimer hautement le courage chez les autres, il l'admirait surtout chez Alan Breck.


Chapitre 12 Chapter 12 Capítulo 12

XII. XII. Où il est question du Renard-Rouge The story of the Red Fox

Nous n'avions pas achevé de nettoyer la dunette, qu'une brise se leva, du N. We hadn't finished cleaning the dunette when a breeze picked up from the N. -N. -N. -E. Elle emporta au loin la pluie et amena le soleil. -E. She carried away the rain and brought in the sun.

Une explication est ici nécessaire, et le lecteur fera bien de suivre sur la carte. An explanation is necessary here, and the reader will do well to follow along on the map. Le jour où le brouillard nous enveloppa et où nous coulâmes le bateau d'Alan, nous avions embouqué le Little Minch. By the time the fog enveloped us and we sank Alan's boat, we had driven into the Little Minch. Le soir après la bataille, nous étions en panne à l'est de l'île Canna, ou plus exactement entre celle-ci et l'île Eriskay située au sud de Long Island. The evening after the battle, we were stranded east of Canna Island, or more precisely between it and Eriskay Island, south of Long Island. Or, de là, pour gagner le loch Linnhe, le plus direct eût été de passer par le Sound of Mull. From there, the most direct route to Loch Linnhe would have been via the Sound of Mull. Mais le capitaine n'avait pas de carte ; il craignait d'aventurer son brick au milieu des îles ; et comme la brise le favorisait, il aima mieux prendre par l'ouest de Tiree et longer la côte sud de la grande île de Mull. But the captain had no map; he was afraid to venture his brig into the middle of the islands; and as the breeze favored him, he preferred to go west of Tiree and skirt the south coast of the great Isle of Mull. Tout le jour la brise se maintint dans la même direction, fraîchissant au lieu de diminuer ; et, dans l'après-midi, une houle s'établit, venant du large des Hébrides. All day the breeze remained in the same direction, freshening instead of diminishing, and in the afternoon a swell set in from off the Hebrides. Nous devions, pour contourner les îles intérieures, nous diriger vers le sud-ouest, en sorte qu'au début nous eûmes cette houle par le travers, ce qui nous fit rouler fortement. To get around the inland islands, we had to head south-west, so at first we had this swell on our beam, which caused us to roll heavily. Mais après la nuit tombée, quand nous eûmes doublé la pointe de Tiree et que nous mîmes le cap plus à l'est, la mer nous venait juste en poupe. But after nightfall, when we rounded the tip of Tiree and headed further east, the sea came right at our stern. Cependant, le début de la journée, avant que la houle se levât, fut très agréable ; car nous voguions sous un beau soleil, au centre d'un panorama d'îles montagneuses. However, the early part of the day, before the swell rose, was very pleasant, as we sailed under a beautiful sun, in the center of a panorama of mountainous islands. Alan et moi étions assis dans la dunette avec les portes ouvertes de chaque côté (le vent venait juste de l'arrière) à fumer l'excellent tabac du capitaine. Alan and I were sitting in the dunette with the doors open on either side (the wind was just coming from astern) smoking the captain's excellent tobacco. Ce fut alors que nous nous contâmes nos histoires réciproques, ce qui fut précieux pour moi, car j'appris ainsi à connaître ce sauvage pays du Highland où je devais aborder si peu de temps après. It was then that we told each other our stories, which was invaluable for me, as I got to know the wild Highland country where I was to land so soon afterwards. À cette époque, où la grande révolte[16] avait juste pris fin, il fallait y réfléchir à deux fois avant de se risquer sur la bruyère. In those days, when the great revolt[16] had just ended, you had to think twice before venturing out onto the heather.

Ce fut moi qui donnai l'exemple, en lui racontant mes malheurs, qu'il écouta avec beaucoup de sympathie. It was I who set the example, telling him about my misfortunes, which he listened to with great sympathy. Mais lorsque je vins à faire mention de mon excellent ami M. Campbell le ministre, Alan prit feu et déclara qu'il haïssait quiconque portait ce nom. But when I mentioned my good friend Mr Campbell the minister, Alan burst into flames and declared he hated anyone with that name. – Mais, dis-je, c'est un homme à qui vous seriez fier de tendre la main. - But, I say, he's a man you'd be proud to reach out to. – Je ne sais trop ce que je pourrais offrir à un Campbell si ce n'est du plomb. - I'm not sure what I could offer a Campbell other than lead. Je tirerais volontiers sur tous ceux de ce nom, comme sur des corbeaux. I'd shoot anyone with that name like a crow. Si j'étais à mon lit de mort, je ramperais sur les genoux jusqu'à la fenêtre de ma chambre pour en abattre un. If I were on my deathbed, I'd crawl on my knees to my bedroom window and shoot one. – Bon Dieu, Alan, m'écriai-je, que vous ont fait les Campbell ? - Good God, Alan," I cried, "what have the Campbells done to you? – Eh bien, vous savez que je suis un Appin Stewart, et que les Campbell depuis longtemps persécutent et exterminent ceux de mon nom ; oui, et ils nous ont arraché des terres par trahison – mais jamais à la pointe de l'épée ! - Well, you know I'm an Appin Stewart, and that the Campbells have long persecuted and exterminated those of my name; yes, and they've wrested land from us by treachery - but never at the point of the sword! cria-t-il très haut, en assenant un grand coup de poing sur la table. he shouted loudly, slamming his fist down on the table. (Mais je n'y fis pas attention, car je savais cet argument familier aux vaincus.) (But I didn't pay any attention, because I knew this argument was familiar to the defeated). Il y a bien autre chose encore, continua-t-il, et le tout du même tonneau : langage mensonger, papiers menteurs, tours de vieux routiers, et, toujours sous les apparences de la légalité, ce qui est encore plus irritant. There's much more," he continued, "and it's all of the same barrel: misleading language, lying papers, old-fashioned tricks, and, always under the guise of legality, which is even more irritating.

– Vous qui êtes si prodigue de vos boutons, dis-je, je doute fort que vous soyez bon juge en matière d'affaires. - You who are so lavish with your buttons," I said, "I doubt very much whether you're a good judge of business matters. – Ah ! dit-il, en retrouvant son sourire, j'ai reçu ma prodigalité de la même main qui m'a donné les boutons, c'est-à-dire de mon pauvre père, Duncan Stewart, béni soit-il. he said, regaining his smile, I received my prodigality from the same hand that gave me the buttons, that is, from my poor father, Duncan Stewart, blessed be he. C'était le plus charmant homme de sa race ; et la meilleure épée des Highlands, David, ce qui revient à dire : du monde, je le sais bien, car c'est lui qui m'a enseigné à tirer. He was the most charming man of his race; and the best sword in the Highlands, David, which is to say: in the world, I know well, for it was he who taught me to shoot. Il fit partie de la Garde-Noire[17], dès les premiers enrôlements ; et, comme d'autres gentilshommes partisans, il se faisait suivre d'un écuyer pour lui porter son fusil, dans les marches. He was a member of the Garde-Noire[17] from the very first enlistments, and, like other partisan gentlemen, had a squire follow him on marches to carry his rifle. Or, le roi, dit-on, eut envie de voir un assaut d'épée du Highland. Now, the king, it is said, was keen to see a Highland sword assault. Mon père et trois autres nobles furent choisis, et envoyés à Londres, comme les meilleurs tireurs. My father and three other noblemen were chosen, and sent to London, as the best marksmen. On les mena donc au palais où, pendant deux heures d'affilée, ils déployèrent tout l'art de l'épée, devant le roi George[18] et la reine Caroline, et Cumberland le Boucher, et un tas d'autres que j'ignore. So they were led to the palace, where, for two hours straight, they displayed all the art of the sword, in front of King George[18] and Queen Caroline, and Cumberland the Butcher, and a bunch of others I don't know about. Et quand ce fut fini, le roi (qui n'était après tout qu'un vil usurpateur) leur donna de belles paroles et leur mit en main à chacun trois guinées. And when it was over, the king (who was, after all, only a vile usurper) gave them fine words and put three guineas in each of their hands. Or, en sortant du palais, ils passèrent devant une loge de portier ; et mon père, se disant qu'il était sans doute le premier gentilhomme highlander qui fût jamais passé par là, crut devoir donner au pauvre portier une haute idée de sa qualité. On their way out of the palace, they passed a porter's lodge, and my father, thinking that he was probably the first Highlander gentleman who had ever passed through there, thought he should give the poor porter a high opinion of his quality. Il déposa donc les trois guinées du roi dans la main de cet homme, comme si c'était son habitude ordinaire. So he placed the king's three guineas in the man's hand, as if it were his ordinary habit. Les trois autres qui le suivaient font de même ; et les voilà dans la rue, sans un penny, certains disent que ce fut un tel, le premier à gratifier le portier du roi ; d'autres, que ce fut tel autre ; mais la vérité est que ce fut Duncan Stewart, comme je suis prêt à le soutenir aussi bien avec l'épée qu'avec le pistolet. The other three who followed him did the same; and here they were in the street, without a penny, some say it was so-and-so, the first to grace the king's doorman; others, that it was so-and-so; but the truth is, it was Duncan Stewart, as I am ready to support with sword as well as pistol. Tel était mon père, Dieu ait son âme ! Such was my father, God rest his soul!

– Il n'a pas dû vous laisser beaucoup. - He can't have left you much. – C'est vrai. - That's right. À part mes culottes, il m'a laissé peu de chose. Apart from my panties, he left me very little. Et c'est pourquoi j'en suis venu à m'enrôler, ce qui a nui grandement à ma réputation, et me ferait encore plus de tort si je tombais aux mains des habits-rouges. And that's why I came to enlist, which greatly damaged my reputation, and would do me even more harm if I fell into the hands of the redcoats. – Hé quoi ! - Hey! m'écriai-je, vous avez fait partie de l'armée anglaise ? I exclaimed, were you in the English army? – Oui, moi-même, dit Alan. - Yes, myself," says Alan. Mais j'ai déserté du bon côté, à Preston-Pans[19], et cela me console un peu. But I deserted on the right side, at Preston-Pans[19], and that consoles me a little. Je n'étais pas de cet avis, car je tenais la désertion devant l'ennemi pour une faute impardonnable contre l'honneur. I disagreed, believing that desertion in the face of the enemy was an unforgivable offense against honor. Toutefois, en dépit de ma jeunesse, je sus taire ma pensée. However, despite my youth, I was able to keep my thoughts to myself.

– Mais, mon ami, dis-je, c'est la peine de mort ! - But, my friend," I said, "it's the death penalty! – Oui, au cas où ils me prendraient, ce serait haut et court pour Alan ! - Yes, in case they catch me, it would be high and short for Alan! Mais j'ai dans ma poche mon brevet signé du roi de France, qui me protégerait un peu. But I have in my pocket my patent signed by the King of France, which would protect me a little. – J'en doute fort. - I doubt it. – Moi aussi, répliqua-t-il sèchement. - Me too," he replied curtly.

– Mais bon Dieu, mon ami, m'écriai-je, vous qui êtes un rebelle condamné, un déserteur, et un homme du roi de France, pourquoi donc revenez-vous en ce pays ? - But my God, my friend," I cried, "you who are a condemned rebel, a deserter, and a man of the King of France, why do you come back to this country? C'est braver la Providence. It's braving Providence. – Bah ! - Bah! je suis revenu tous les ans depuis 46. I've come back every year since '46.

– Et quoi donc vous pousse, ami ? - And what drives you, friend?

– Eh bien, voyez-vous, je m'ennuie de mes amis et de chez moi. - Well, you see, I miss my friends and home. La France est un beau pays, sans doute ; mais j'y regrette la bruyère et les daims. France is a beautiful country, no doubt; but I miss the heather and the fallow deer. Et puis j'ai certaines petites commissions à remplir. And then I have some little errands to do. Des fois, ce sont quelques gars que je ramène au roi de France : des recrues, pour tout dire ; et puis aussi un peu d'argent. Sometimes, it's a few guys I bring back to the King of France: recruits, to be honest; and also a bit of money. Mais l'affaire la plus importante est celle de mon chef, Ardshiel. But the most important case is that of my boss, Ardshiel. – Je croyais que votre chef s'appelait Appin. - I thought your boss's name was Appin. – Oui, mais Ardshiel est le capitaine du clan, dit-il (ce qui ne m'avança guère). - Yes, but Ardshiel is the clan captain," he said (which didn't do me much good). Voyez-vous, David, celui qui toute sa vie a été un si grand personnage, et qui descend des rois et porte leur nom, est présentement réduit à vivre dans une ville de France comme un simple particulier. You see, David, the man who all his life has been such a great character, and who descends from kings and bears their name, is currently reduced to living in a French town as a simple private individual. Lui qui avait quatre cents épées à sa suite, je l'ai vu, de mes yeux, acheter du beurre au marché, et le rapporter chez lui dans une feuille de chou. With four hundred swords in his wake, I saw him buy butter at the market and take it home in a cabbage leaf. C'est plus qu'affligeant, c'est une honte pour nous tous de sa famille et de son clan. It's more than distressing, it's a disgrace for all of us in his family and clan. Il y a les petits, en outre, les enfants et l'espoir d'Appin, qui doivent apprendre à lire et à tenir une épée, dans ce lointain pays. And then there are the little ones, Appin's children and hope, who have to learn to read and hold a sword in this far-off land. Or, les tenanciers d'Appin ont à payer une rente au roi George ; mais leur cœur est ferme, ils sont fidèles à leur chef ; et tant par amour que par un rien de pression, et voire une menace ou deux, les pauvres gens raclent une seconde rente pour Ardshiel. Now, the tenants of Appin have to pay an annuity to King George; but their hearts are firm, they are loyal to their leader; and as much by love as by a nothing of pressure, and even a threat or two, the poor people scrape together a second annuity for Ardshiel. Eh bien, David, c'est moi qui suis chargé de la porter. Well, David, I'm in charge of carrying it. Et, frappant sur sa ceinture, il fit sonner les guinées. And, tapping his belt, he rang the guineas.

– Ils payent donc deux fois ? - So they pay twice? m'écriai-je. I exclaimed. – Oui, David, deux fois. - Yes, David, twice.

– Quoi ! - What! Deux rentes ? Two annuities? répétai-je. I repeated.

– Oui, David. - Yes, David. J'ai raconté une autre histoire à cette espèce de capitaine ; mais je vous dis la vérité. I told another story to this kind of captain; but I'm telling you the truth. Et je m'étonne moi-même du peu de pression qu'il y faut. And I'm surprised at how little pressure it takes. Mais cela, c'est l'affaire de mon bon parent, cet ami de mon père, James des Glens ; James Stewart, c'est-à-dire : le demi-frère d'Ardshiel. But that's a matter for my good relative, that friend of my father's, James of the Glens; James Stewart, that is: Ardshiel's half-brother. C'est lui qui ramasse l'argent et en fait la répartition. He collects the money and distributes it. Ce fut la première fois que j'entendis le nom de ce James Stewart, qui devint plus tard si fameux au temps de sa pendaison. That was the first time I heard the name James Stewart, who later became so famous at the time of his hanging. Mais j'y fis peu d'attention sur le moment, car j'avais l'esprit trop préoccupé par la générosité de ces pauvres Highlanders. But I paid little attention to it at the time, for my mind was too preoccupied with the generosity of these poor Highlanders. – Je trouve cela noble, m'écriai-je. - I think that's noble," I exclaimed. Je suis un whig, ou peu s'en faut, mais je trouve cela noble ! I'm a Whig, or not much of one, but I think it's noble! – C'est vrai, vous êtes un whig, mais vous êtes aussi un gentilhomme, ce qui explique vos sentiments. - It's true, you're a Whig, but you're also a gentleman, which explains your feelings. Toutefois, si vous apparteniez à la race maudite des Campbell, vous grinceriez des dents, au contraire. However, if you belonged to the cursed Campbell race, you'd be gnashing your teeth, on the contrary. Si vous étiez le Renard-Rouge… If you were the Red Fox...

Et sur ce nom ses mâchoires se serrèrent, et il se tut. And at this name his jaws clenched, and he fell silent. Je n'ai jamais vu de visage plus féroce que celui d'Alan après qu'il eut nommé le Renard-Rouge. I've never seen a fiercer face than Alan's after he named the Red Fox. – Et qui est le Renard-Rouge ? - And who is the Red Fox? demandai-je, effrayé mais pourtant curieux. I asked, frightened but curious.

– Qui il est ? - Who is he? s'écria Alan. Alan exclaimed. Eh bien, je vais vous le dire. Well, I'll tell you. Lorsque les hommes des clans eurent été écrasés à Culloden, et la bonne cause perdue, alors que les chevaux piétinaient jusqu'aux paturons dans le meilleur sang du Nord, Ardshiel fut obligé de fuir comme un cerf traqué sur les montagnes – lui, sa femme et ses enfants. When the clansmen had been crushed at Culloden, and the good cause lost, while the horses trampled up to their pasterns in the best blood of the North, Ardshiel was forced to flee like a stalked deer over the mountains - he, his wife and children. Nous eûmes toutes les peines du monde à le faire embarquer. We had all the trouble in the world to get him on board. Et il tenait encore la bruyère, que ces gredins d'Anglais, faute de lui prendre la vie, s'attaquèrent à ses biens. And he was still holding the heather, when those scoundrels from England, failing to take his life, attacked his possessions. On le dépouilla de ses droits, en le dépouillant de ses terres ; on arracha les armes à tous ceux du clan, qui avaient porté les armes depuis trente siècles ; oui, et jusqu'aux habits de leurs dos – tant que c'est devenu un crime de porter un plaid de tartan[20], et qu'on peut vous mettre en prison si vous avez un kilt[21] autour des jambes. They stripped him of his rights, stripping him of his lands; they tore the weapons from all those of the clan who had borne arms for thirty centuries; yes, and right down to the clothes on their backs - so much so that it has become a crime to wear a tartan plaid[20], and they can put you in prison if you have a kilt[21] around your legs. Mais il y a une chose qu'ils n'ont pas pu tuer. But there's one thing they couldn't kill. C'est l'amour que ceux du clan portent à leur chef. It's the love of the clan for their leader. Ces guinées en sont la preuve. These guineas are the proof. Et alors voici qu'apparaît un homme, un Campbell, cette tête rouge de Colin de Glenure… And then a man appeared, a Campbell, the red head of Colin de Glenure... – Est-ce lui que vous appelez le Renard-Rouge ? - Is that who you call the Red Fox? demandai-je. I asked.

– Allez-vous me le reprocher, s'écria farouchement Alan. - Are you going to blame me," Alan exclaimed fiercely. Oui, c'est lui. Yes, it's him. Il arrive, exhibe des papiers du roi George, qui le nomment soi-disant agent royal sur les terres d'Appin. He arrives, displays papers from King George, which supposedly appoint him royal agent on Appin's lands. Au début, il file doux, et s'efforce d'amadouer Sheamus – c'est-à-dire James des Glens, l'agent de mon chef. At first, he takes it easy, trying to coax Sheamus - that's James of the Glens, my boss's agent. Mais entre temps il lui vient aux oreilles ce que je vous ai raconté ; comme quoi les pauvres manants d'Appin, fermiers, laboureurs, bouviers, se dépouillent jusqu'à leurs plaids pour trouver une seconde rente, qui est envoyée outre-mer, à Ardshiel et ses pauvres enfants. But in the meantime, he hears what I've told you: that the poor manants of Appin, farmers, ploughmen, herdsmen, are stripping down to their plaids to find a second annuity, which is sent overseas, to Ardshiel and his poor children. Comment avez-vous jugé cela, quand je vous l'ai dit ? What did you think when I told you? – Je l'ai jugé noble, Alan, répondis-je. - I thought it noble, Alan," I replied. – Et vous ne valez guère mieux qu'un simple whig ! - And you're no better than a mere Whig! s'écria-t-il. he exclaimed. Mais quand cela parvint à Colin Roy, le noir sang des Campbell lui bouillit dans les veines. But when it reached Colin Roy, the black blood of the Campbells boiled in his veins. Il grinça des dents, attablé devant son vin. He gritted his teeth as he sat down to his wine.

Quoi ! What! un Stewart aurait une bouchée de pain, et lui ne pourrait l'empêcher ? a Stewart would have a mouthful of bread, and he couldn't stop it? Ah ! Ah! Renard-Rouge, si jamais je te tiens au bout de mon fusil, le Seigneur ait pitié de toi ! Red Fox, if I ever hold you at gunpoint, may the Lord have mercy on you! – (Alan s'arrêta pour ravaler sa colère) – Eh bien, David, que fait-il ? - (Alan paused to swallow his anger) - Well, David, what does he do? Il met toutes les fermes à louer. He puts all the farms up for rent. Et il se dit, dans son noir cœur : Je vais trouver d'autres tenanciers qui enchériront sur ces Stewarts, ces Maccols et ces Macrobs (car ce sont les noms de mon clan, David), et alors, pense-t-il, Ardshiel n'aura plus qu'à tendre son bonnet sur les routes de France. And he says to himself, in his dark heart: I'll find other tenants who'll bid on these Stewarts, Maccols and Macrobs (for those are the names of my clan, David), and then, he thinks, Ardshiel will just have to stretch out his bonnet on the roads of France. – Et après, dis-je, qu'est-ce qui arriva ? - And then," I said, "what happened? Alan déposa sa pipe, éteinte depuis longtemps, et mit ses deux mains à plat sur ses genoux. Alan put down his long-extinguished pipe and placed both hands flat on his knees.

– Ah ! - Ah! dit-il, vous ne le devineriez jamais ! you'd never guess! Car ces mêmes Stewarts, ces mêmes Maccols et ces Macrobs (qui avaient deux rentes à payer, l'une au roi George, par la force brutale, l'autre à Ardshiel, de bonne volonté) lui offrirent un meilleur prix que tous les Campbell de l'Écosse ; et il avait été les chercher au loin – jusqu'aux bords de la Clyde et à la Croix d'Édimbourg, – les priant et les suppliant de venir, car il y avait un Stewart à affamer et un chien de Campbell à tête rouge à favoriser ! For these same Stewarts, these same Maccols and Macrobs (who had two rents to pay, one to King George, by brute force, the other to Ardshiel, of good will) offered him a better price than all the Campbells of Scotland; and he had gone to seek them far and wide - to the banks of the Clyde and the Cross of Edinburgh, - begging and pleading with them to come, for there was a Stewart to starve and a red-headed Campbell dog to favor! – Ma foi, Alan, dis-je, l'histoire est singulière, et bien belle aussi. - Well, Alan," I said, "it's a peculiar story, and a beautiful one too. Tout whig que je suis, je suis enchanté que cet homme ait été battu. Whig that I am, I'm delighted that this man has been beaten.

– Lui battu ? - Him beaten? répéta Alan. Alan repeated. Vous ne connaissez pas les Campbells, et encore moins le Renard-Rouge ! You don't know the Campbells, let alone the Red Fox! Lui battu ? Him beaten? Non ; et il ne le sera pas, avant que son sang ne teigne la colline ! No, and he won't be, before his blood stains the hill! Mais s'il vient un jour, ami David, où je trouve le temps et le loisir de lui faire un peu la chasse, il n'y a pas assez de bruyère dans toute l'Écosse pour le mettre à l'abri de ma vengeance ! But if the day ever comes, friend David, when I find the time and leisure to do a bit of hunting for him, there isn't enough heather in all Scotland to keep him safe from my vengeance! – Ami Alan, lui dis-je, ce n'est sage ni chrétien de proférer ces paroles de colère. - Friend Alan," I said, "it's neither wise nor Christian to utter such angry words. Elles ne feront aucun mal à celui que vous appelez le Renard-Rouge, et aucun bien à vous. They'll do no harm to the man you call Red Fox, and no good to you. Racontez-moi simplement l'histoire. Just tell me the story. Que fit-il ensuite ? What did he do next?

– Votre remarque est juste, David, dit Alan. - Your point is well made, David," says Alan. C'est bien vrai, que cela ne lui fait pas de mal ; et tant pis ! It's true, it doesn't do him any harm; and so much the worse! Mais sauf en ce qui concerne la religion (et là-dessus mon avis est tout différent, sinon je ne serais pas chrétien) je pense assez comme vous. But except when it comes to religion (and here my opinion is quite different, otherwise I wouldn't be a Christian) I think pretty much the same as you.

– Votre avis n'a rien à voir ici, on sait bien que la religion interdit la vengeance. - Your opinion has nothing to do here, we know that religion forbids revenge. – Ah ! - Ah! comme on sent que vous avez reçu votre éducation d'un Campbell ! how you seem to have been educated by a Campbell! Le monde serait trop beau pour eux et leurs pareils, s'il n'existait des choses comme un gars avec son fusil derrière un buisson de bruyère ! The world would be too beautiful for them and their ilk, if it weren't for things like a guy with a rifle behind a briar bush! Mais revenons à l'histoire. But back to the story. Voici donc ce qu'il fit. So this is what he did. – Oui, dis-je, continuez. - Yes," I said, "go on.

– Eh bien, David, ne pouvant se débarrasser des loyaux paysans par les bons moyens, il jura d'en venir à bout par les mauvais. - Well, David, not being able to get rid of the loyal peasants by the right means, he vowed to get rid of them by the wrong ones. Ardshiel devait mourir de faim : tel était le résultat final à obtenir. Ardshiel had to starve: that was the end result. Et puisque ceux qui le nourrissaient dans son exil refusaient de se laisser acheter – de gré ou de force il les chasserait. And since those who fed him in exile refused to be bought off - willingly or unwillingly - he would drive them out. Il envoie donc chercher des gens de loi, des paperasses et des habits-rouges pour le seconder. So he sent out for lawyers, paperwork and redcoats to assist him. Et les pauvres gens de ce pays durent tous faire leurs paquets et décamper, chaque fils hors de la maison paternelle, chacun loin de l'endroit où il avait été nourri et élevé, et où il avait joué dans son enfance. And the poor people of this country all had to pack up and decamp, each son away from his father's house, each far from the place where he had been fed and raised, and where he had played as a child. Et qui vint les remplacer ? And who came to replace them? Des gueux à jambes nues. Bare-legged beggars. Le roi George peut attendre ses rentes ; il lui faudra s'en passer et économiser le beurre sur son pain. King George can wait for his annuities; he'll have to do without them and save the butter on his bread. Mais qu'importe à Colin le Rouge ? But what does Colin the Red care? Faire du mal à Ardshiel, cela lui suffit ; s'il peut retirer le manger de la table de son chef, et les jouets des mains de ses enfants, il rentrera chez lui en chantant victoire. Hurting Ardshiel is enough for him; if he can take the food off his chef's table, and the toys out of his children's hands, he'll go home singing victory. – Permettez-moi une remarque, dis-je. - Allow me to make a comment," I said. Soyez sûr que s'ils recueillent moins de rentes, soyez sûr que le gouvernement a mis la main au plat. Rest assured that if they collect less in annuities, rest assured that the government has put its hand in the dish. Ce n'est pas la faute à ce Campbell, ami, c'est par ordre qu'il le fait. It's not Campbell's fault, friend, he's doing it by order. Et si demain vous tuez ce Colin, vous en porterez-vous mieux ? And if you killed Colin tomorrow, would you be better off? Il sera aussitôt remplacé par un autre agent, juste le temps de faire la route. He was immediately replaced by another agent, just long enough to make the trip.

– Vous êtes un brave garçon dans le combat, dit Alan, mais l'ami, vous avez du sang whig en vous ! - You're a brave lad in a fight, says Alan, but mate, you've got some Whig blood in you! Il parlait assez doucement, mais il y avait sous son mépris une telle colère que je crus bon de changer de conversation. He spoke softly enough, but there was such anger underneath his contempt that I thought it best to change the conversation. J'exprimai mon étonnement de voir qu'avec les Highlands couverts de troupes, et gardés comme une ville assiégée, un homme dans sa situation pût aller et venir sans être pris. I expressed my astonishment that with the Highlands covered with troops, and guarded like a city under siege, a man in his situation could come and go without being caught. – C'est plus facile que vous ne croyez, dit Alan. - It's easier than you think," says Alan. Un versant de colline découvert, voyez-vous, équivaut tout entier à une grand-route : s'il y a une sentinelle à un endroit, vous passez par un autre. An open hillside, you see, is the entire equivalent of a highway: if there's a sentry in one place, you go through another. Et puis la bruyère est d'un grand secours. And heather is a great help. Et partout il y a des maisons amies et des granges et du foin. And everywhere there are friendly houses and barns and hay. Et encore, quand on parle d'un pays couvert de troupes, ce n'est là qu'une manière de parler. And when we talk about a country covered in troops, that's just a figure of speech. Un soldat ne couvre que juste l'espace de ses semelles de souliers. A soldier covers only as much space as the soles of his shoes. J'ai péché avec une sentinelle de l'autre côté du torrent et j'ai ramené une belle truite. I fished with a sentinel on the other side of the torrent and brought in a nice trout. Je suis resté dans un buisson de bruyère à six pieds d'une autre sentinelle, et j'ai appris de lui à siffler un air vraiment joli. I stayed in a briar bush six feet from another sentry, and learned from him to whistle a really pretty tune. Tenez, le voici. Here it is.

Et il me le siffla. And he whistled it at me.

– Et d'ailleurs, reprit-il, cela ne va plus aussi mal qu'en 46. - And besides," he continues, "things aren't as bad as they were in '46. Les Highlands sont ce qu'on appelle pacifiés. The Highlands are what we call pacified. Rien d'étonnant, s'il ne reste pas un fusil ni un sabre, de Cantyre au cap Wrath, sauf ceux que les gens avisés ont cachés dans le chaume de leur toit. No wonder there's not a rifle or saber to be found from Cantyre to Cape Wrath, except for those hidden by wise folk in the thatch of their roofs. Mais je voudrais savoir, David, combien cela va durer ? But I would like to know, David, how long will it last? Pas longtemps, dirait-on, avec des gens comme Ardshiel en exil, et au pays des gens comme le Renard-Rouge en train de siroter du vin et d'opprimer les pauvres. Not for long, we'd say, with the likes of Ardshiel in exile, and in the land of the likes of Red Fox sipping wine and oppressing the poor. Mais il est difficile de savoir ce que le peuple supportera ou non… Ou comment Colin-le-Rouge pourrait cavalcader sur tout mon malheureux pays d'Appin, sans rencontrer jamais un brave garçon pour lui envoyer une balle. But it's hard to know what the people will or won't put up with... Or how Colin-the-Red could cavalcade all over my unfortunate Appin country, without ever meeting a brave lad to send him a bullet. Sur quoi Alan se mit à rêver, et resta longtemps sans rien dire. Alan then began to dream, and remained silent for a long time.

J'ajoute ici, à propos de mon ami, qu'il était habile sur les instruments de musique, en particulier sur la cornemuse, et poète réputé dans sa langue ; il avait lu assez de livres français et anglais ; c'était un tireur immanquable, un bon pêcheur à la ligne, un excellent escrimeur aussi bien à l'épée qu'à son arme spéciale[22]. I'd like to add here, in connection with my friend, that he was skilled on musical instruments, particularly the bagpipe, and a renowned poet in his own language; he had read enough French and English books; he was an unmistakable marksman, a good angler, an excellent fencer both with the sword and with his special weapon[22]. Quant à ses défauts, il les portait sur le visage, et je les connaissais déjà tous. As for his faults, he wore them on his face, and I already knew all of them. Mais le pire, sa propension puérile à prendre la mouche et à chercher querelle, il s'en départit avec moi, en considération de la bataille de la dunette. But worst of all, his childish propensity to pick fights and pick quarrels, he parted with me, in consideration of the dock battle. Mais si ce fut parce que je m'étais bien comporté, ou parce que j'avais été le témoin de ses beaucoup plus grandes prouesses, je ne saurais le dire. But whether this was because I had behaved well, or because I had witnessed his much greater prowess, I couldn't say. Car il avait beau estimer hautement le courage chez les autres, il l'admirait surtout chez Alan Breck. For as much as he highly esteemed courage in others, he especially admired it in Alan Breck.