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TEDx Talks, Changer de regard pour se redonner un futur | Jean-François Caron | TEDxVaugirardRoad (1)

Changer de regard pour se redonner un futur | Jean-François Caron | TEDxVaugirardRoad (1)

Transcription: eric vautier Relecteur: Hélène Vernet

Je viens d'un pays

où il n'y avait plus de futur,

et où j'ai passé 25 années

à essayer de construire un cheminement de reconversion.

Ce pays, petit pays, ça s'appelle le pays minier,

dans le Pas-de-Calais.

Vous connaissez peut-être, parce que, quand on passe à la télé,

les gens pensent qu'on ne parle pas français.

(Rires)

Alors, on nous met des sous-titrages.

(Rires)

Quand les journalistes font une image,

ils cherchent un enfant dont le nez coule,

et un carreau cassé.

Dans ma commune, le sol a baissé de 15 mètres,

à cause des affaissements miniers, le matériau qu'on a tiré en dessous...

C'est quand même surprenant parce que,

les rivières coulent en sens inverse,

et les réseaux d'eau sont fracturés ; les hommes mouraient

à 40 ans, 50 ans, de la silicose.

C'était normal de donner sa vie pour élever ses enfants.

C'était la règle.

Un de mes grands-oncles est mort à 34 ans de la silicose,

cette maladie qui ronge les poumons.

Voilà, c'était assez terrible.

Et les oiseaux étaient partis.

Je vous parle des oiseaux,

parce qu'un oiseau est revenu,

et qu'il a tout changé.

Comment il est revenu ?

Oui, j'ai oublié de dire, quand même, très important :

les richesses, il y en a eu énormément de produites.

Énormément,

mais elles sont parties ailleurs.

Et nous, moi, en tant qu'élu,

on doit faire face à toutes les pollutions, à toutes les reconstructions.

Mais rassurez-vous, l'oiseau est revenu.

Pourquoi l'oiseau est revenu ?

Figurez-vous que chez nous,

à l'arrière,

il y a quelques montagnes noires.

Les montagnes noires, on appelle ça des terrils.

Les terrils, c'est ce qui a été extrait au fond.

Jusqu'à moins 1000 mètres dans ma commune.

C'est du schiste, de la pierre, de la poutrelle.

On appelle ça des crassiers,

des tas de déchets, quoi.

Et puis,

parce que je suis ornithologue,

un jour, j'observe...

un traquet motteux.

Je n'ose pas demander qui connaît le traquet motteux.

Peut-être un ou deux. Enfin...

Si vous le voyez, vous le reconnaîtrez,

il a un petit croupion blanc, adorable, étincelant,

et c'est un oiseau qui vit en montagne.

Il a besoin de pierres pour nicher, sous la pelouse alpine.

Si vous allez faire du GR, vous en verrez.

Il vit dans les Alpes et en Scandinavie.

Et cet oiseau, qui remontait en migration prénuptiale,

il a trouvé, avec les terrils, un milieu qui lui convenait.

Et mon terril

hébergeait un oiseau rare.

Et ça a complètement changé mon regard sur les terrils

que je voyais depuis que j'étais tout petit, que j'allais à l'école,

comme ces montagnes qui étaient là, qui faisaient partie du paysage.

Je pensais qu'il y en avait partout.

Et, ce terril donc,

qui hébergeait cet oiseau rare,

ça a commencé à me faire changer de lunettes sur lui.

Et j'ai rencontré des gens qui sont devenus des amis.

J'ai rencontré des urbanistes, par exemple,

qui disaient qu'ils avaient changé leurs lunettes

et qui disaient : « Les terrils, dans ce pays plat du Nord,

ce sont nos seuls repères, ce sont nos beffrois.

Ils structurent le territoire. »

J'ai rencontré des artistes, qui sont devenus des amis ; ils me disaient :

« Regarde ces triangles merveilleux qui montent au ciel, tout noirs, tout purs. »

Il fallait un petit cheminement mais, c'est vrai que c'était beau.

J'ai rencontré des mineurs, qui disaient :

« Les terrils, c'est passé dans nos mains,

c'est plein de sueur,

c'est plein de notre sang,

c'est nous, ces terrils. »

Et donc, avec ces pionniers,

qui avions changé de lunettes,

on a décidé de s'organiser.

On a décidé de créer une association qui s'appelle la Chaîne des terrils,

parce qu'on en avait marre qu'en plus qu'on nous impose le chômage,

on nous dise qu'on soit pas beau,

et qu'on nous dise

qu'il fallait se renier.

Parce qu'à l'époque,

tout le monde disait : « Il faut raser tout ça. »

Un jour, un journaliste me dit,

- France 3, j'étais tout jeune -

« Monsieur Caron, je ne devrais pas vous interviewer,

j'ai vu Monsieur (bip) qui m'a dit :

« Mais arrêtez de donner la parole à ce mec, il est dangereux !

Nous, on veut ressembler à tout le monde. »

Et c'était terrible,

cette volonté de négation.

Alors que 29 nationalités étaient venues travailler chez nous,

qu'on avait un système de valeurs extraordinaire,

que la vie dans les cités minières était mille fois plus joyeuse et agréable.

Mais ce bassin minier recelait plein de systèmes de valeurs.

Donc, on s'est organisés et puis quand

la dernière gaillette est remontée.

Savez-vous ce qu'est une gaillette ?

Pas sûr non plus.

Un morceau de charbon.

Un petit, un moyen, un gros.

Un gros, c'est le jackpot !

Donc, quand on a remonté

la dernière gaillette de la fosse d'Oignies,

France 3, toujours, a organisé un débat.

Un débat entre le grand patron de l'empire des houillères,

un monsieur qui avait plein de diplômes.

Il faisait son job,

il était là pour faire gagner des sous à sa boîte.

Et pour lui, c'était des tas de matériaux.

Ça se vendait, c'était des dollars - on disait pas encore des euros.

Et moi, j'étais en face,

car j'étais un peu le représentant du monde qui va venir.

On savait pas quoi...

Mais, j'avais créé la Chaîne des terrils, on avait un regard.

On essayait de commencer à imaginer ce que pourrait être l'avenir.

Donc, on a fait ce débat.

Parce que j'étais quand même un peu tétanisé

devant ce monsieur,

docteur ès je ne sais quoi.

Mais moi, j'étais pas tout seul.

J'étais pas tout seul parce que j'avais mon arrière-grand-père avec moi

qui avait été délégué mineur au fond de la mine, meneur de grèves en 1900,

qui avait appelé ses enfants Rosa, Juvénal, Danton,

Ferrer, Églantine

et mon grand-père Voltaire.

(Rires)

Juvénal et Danton ont été gardes du corps de Léon Blum.

Eh ouais...

Ils sont venus à Paris.

J'étais pas tout seul parce que j'avais le traquet motteux avec moi.

Et j'avais la nature.

Et j'avais plein de culot.

Bref...

on a commencé à s'organiser et dire :

« On va pas se laisser faire, ni se laisser prendre nos terrils. »

Et on a gagné.

Le ministre de l'industrie, 1992,

a imposé à Charbonnages de France,

l'institution par excellence,

une partition entre les terrils qu'on allait garder pour la nature,

les terrils qu'on allait garder pour leur fonction symbolique,

comme par exemple le terril Renard,

à Denain, que Zola avait décrit dans Germinal.

Ça, Germinal, vous l'avez lu normalement.

Et puis les terrils quand même,

quelques terrils pour les matériaux.

Et à partir de là,

on a commencé à retrouver un peu de dignité et de fierté.

Tout simplement.

On n'avait pas réglé nos problèmes

mais on savait qu'il y avait de la valeur,

que tout ça, c'était fragile, qu'il fallait s'organiser.

Et on a commencé à avoir un certain nombre de premiers résultats.

J'ai créé une école de parapente.

Alors ça, TF1 adorait.

(Rires)

Des ailes rose fluo sur fond de terrils,

pour la télé, c'est du bonheur.

Enfin Antenne 2 aussi, on disait Antenne 2.

On a travaillé sur notre trajectoire :

qu'est-ce qui nous fondait ?

Et on l'a pris par le culturel.

On a organisé des sons et lumière avec des mineurs jouant leur propre rôle,

des sons et lumière participatifs.

On a fait du land art sur les terrils.

Pendant qu'ici Christo emballait le Pont-Neuf,

nous, on faisait le Fujiyama.

(Rires)

Entretemps, j'ai été élu au Conseil Régional,

parce que les gens avaient dû estimer que tout ça,

ça avait de l'importance, tous ces combats-là.

Puis je suis devenu élu local.

Et là, j'ai eu à m'occuper de l'urbanisme,

du plan d'occupation des sols.

Et très vite, il m'est apparu que

on ne pourrait pas faire

un plan d'occupation des sols sans un vrai projet de ville.

Or nous, on n'avait plus de ville,

on n'avait plus de futur

comme au Far West,

quand on a quitté les mines d'or, et tout est resté en l'état.

Mais comment voulez-vous,

où voulez-vous mettre un million de personnes ?

Un petit peu à Dunkerque, un petit peu au Havre,

un petit peu à Paris.

C'était pas possible.

Et donc très vite, il m'est apparu qu'on ne pourrait faire de

véritable plan d'occupation des sols :

là où on mettrait l'agriculture, là où on mettrait les usines,

là où on pourrait construire.

On ne pourrait le faire que sur un vrai projet de ville,

ville nouvelle dans notre représentation.

Et que ça ne pourrait être qu'une oeuvre collective.

Que ça pouvait pas être à dire d'expert.

C'est pas un expert,

même si on a besoin des experts, qui pouvait nous dire notre futur.

C'était pas les élus, même si on en a besoin,

j'en fais partie, ils ont la légitimité.

Ça ne pouvait se faire que dans un processus collectif.

Et c'est comme ça qu'on a instillé le raisonnement, le virus,

d'habitant acteur.

De mettre les gens en situation de commencer à coproduire la ville.

Et, nos premières expérimentations ont découlé de là.

On avait une eau absolument catastrophique

100 mg de nitrate, le double de la norme.

Alors, dans le plan d'occupation des sols

et dans nos actions de ville,

il faudrait être draconien sur la protection de la ressource en eau.

Les maisons des mines où on avait le charbon gratuit

étaient des passoires.

Alors, l'écoconstruction et la réhabilitation thermique

devenaient absolument stratégiques.

Et c'est comme ça que nos premières expérimentations sont sorties.

Et que progressivement a commencé à se dessiner une vision.

Une vision d'un nouveau modèle de développement

mais avec des signaux faibles.

Un peu comme on dirait aujourd'hui,

on sort de la société du gaspillage,

on voit bien que le nouveau modèle

sera plutôt sur la sobriété et le recyclage.

En prenant le contrepied de nos histoires.

Et donc, ce nouveau modèle de développement

qui n'était pas encore apparu, mais dont on touchait,

par petits bouts,

ce qu'il pourrait devenir progressivement,

à nous qui avions vu l'Homme et la Nature martyrisés.

On devait, en même temps, construire la transition.

Et c'est très compliqué d'emmener une communauté, un collectif,

et de dire : « On va changer le monde mais on sait pas vers quel monde on va. »

C'est pour ça qu'on a beaucoup travaillé les questions de résilience,

avec des psychologues,

pour comprendre comment ça fonctionnait,

cette capacité à réagir après un choc qui nous avait complètement destructurés.

Progressivement, la confiance s'est réinstallée,

par la qualité des collectifs qu'on avait montés,

par le travail qu'on faisait ensemble, parce qu'on posait des actes,

sur la façon de reconquérir notre espace.

Et puis, j'ai beaucoup insisté

sur cette idée qu'il fallait libérer les initiatives.

On sortait d'une société encadrée par le système des houillères.

Le problème, c'est que, quand vous devez inventer un monde,

il faut faire des innovations.

Et une innovation, c'est une désobéissance qui a réussi.

Mais c'est d'abord une désobéissance.

Et donc, on a travaillé la question du droit à l'erreur.

Parce que si vous n'avez jamais le droit de vous tromper,

je vous garantis que jamais vous ne ferez quelque chose.

Si vous pistez vos enfants en permanence,

et vous les empêchez de transgresser un petit peu,

alors, ce sera difficile.

On a travaillé ces questions-là,

on a multiplié les processus de prise d'initiatives.

Et on est progressivement devenu une ville pilote du développement durable.

Progressivement.

D'abord on a fait apparaître,

on a essayé de travailler la question de la vision et du rêve.

Parce que c'est terrible, la période actuelle.

Nous, c'était il y a 25 ans.

Collectivement, à l'échelle mondiale,

où on en est aujourd'hui ?

Il est où, le rêve ?

La vision qui permet de mobiiser des collectifs ?

Qui permet de se mettre en mouvement ?

À beaucoup d'égards, nos actions politiques sont celles de boutiquiers.

On change des petits bouts de trucs

mais on n'a pas véritablement de perspectives.

On avait besoin de cette vision et de ce rêve.

Mais un rêve, c'est une étoile qui brille, qui vous donne envie.

Si vous n'avez pas les petits cailloux blancs qui mènent à l'étoile,


Changer de regard pour se redonner un futur | Jean-François Caron | TEDxVaugirardRoad (1) Den Blick ändern, um sich eine Zukunft zu geben | Jean-François Caron | TEDxVaugirardRoad (1) Jean-François Caron | TEDxVaugirardRoad (1)

Transcription: eric vautier Relecteur: Hélène Vernet

Je viens d'un pays

où il n'y avait plus de futur,

et où j'ai passé 25 années

à essayer de construire un cheminement de reconversion.

Ce pays, petit pays, ça s'appelle le pays minier,

dans le Pas-de-Calais.

Vous connaissez peut-être, parce que, quand on passe à la télé,

les gens pensent qu'on ne parle pas français.

(Rires)

Alors, on nous met des sous-titrages.

(Rires)

Quand les journalistes font une image,

ils cherchent un enfant dont le nez coule,

et un carreau cassé.

Dans ma commune, le sol a baissé de 15 mètres,

à cause des affaissements miniers, le matériau qu'on a tiré en dessous...

C'est quand même surprenant parce que,

les rivières coulent en sens inverse,

et les réseaux d'eau sont fracturés ; les hommes mouraient

à 40 ans, 50 ans, de la silicose.

C'était normal de donner sa vie pour élever ses enfants.

C'était la règle.

Un de mes grands-oncles est mort à 34 ans de la silicose,

cette maladie qui ronge les poumons.

Voilà, c'était assez terrible.

Et les oiseaux étaient partis.

Je vous parle des oiseaux,

parce qu'un oiseau est revenu,

et qu'il a tout changé.

Comment il est revenu ?

Oui, j'ai oublié de dire, quand même, très important :

les richesses, il y en a eu énormément de produites.

Énormément,

mais elles sont parties ailleurs.

Et nous, moi, en tant qu'élu,

on doit faire face à toutes les pollutions, à toutes les reconstructions.

Mais rassurez-vous, l'oiseau est revenu.

Pourquoi l'oiseau est revenu ?

Figurez-vous que chez nous,

à l'arrière,

il y a quelques montagnes noires.

Les montagnes noires, on appelle ça des terrils.

Les terrils, c'est ce qui a été extrait au fond.

Jusqu'à moins 1000 mètres dans ma commune.

C'est du schiste, de la pierre, de la poutrelle.

On appelle ça des crassiers,

des tas de déchets, quoi.

Et puis,

parce que je suis ornithologue,

un jour, j'observe...

un traquet motteux.

Je n'ose pas demander qui connaît le traquet motteux.

Peut-être un ou deux. Enfin...

Si vous le voyez, vous le reconnaîtrez,

il a un petit croupion blanc, adorable, étincelant,

et c'est un oiseau qui vit en montagne.

Il a besoin de pierres pour nicher, sous la pelouse alpine.

Si vous allez faire du GR, vous en verrez.

Il vit dans les Alpes et en Scandinavie.

Et cet oiseau, qui remontait en migration prénuptiale,

il a trouvé, avec les terrils, un milieu qui lui convenait.

Et mon terril

hébergeait un oiseau rare.

Et ça a complètement changé mon regard sur les terrils

que je voyais depuis que j'étais tout petit, que j'allais à l'école,

comme ces montagnes qui étaient là, qui faisaient partie du paysage.

Je pensais qu'il y en avait partout.

Et, ce terril donc,

qui hébergeait cet oiseau rare,

ça a commencé à me faire changer de lunettes sur lui.

Et j'ai rencontré des gens qui sont devenus des amis.

J'ai rencontré des urbanistes, par exemple,

qui disaient qu'ils avaient changé leurs lunettes

et qui disaient : « Les terrils, dans ce pays plat du Nord,

ce sont nos seuls repères, ce sont nos beffrois.

Ils structurent le territoire. »

J'ai rencontré des artistes, qui sont devenus des amis ; ils me disaient :

« Regarde ces triangles merveilleux qui montent au ciel, tout noirs, tout purs. »

Il fallait un petit cheminement mais, c'est vrai que c'était beau.

J'ai rencontré des mineurs, qui disaient :

« Les terrils, c'est passé dans nos mains,

c'est plein de sueur,

c'est plein de notre sang,

c'est nous, ces terrils. »

Et donc, avec ces pionniers,

qui avions changé de lunettes,

on a décidé de s'organiser.

On a décidé de créer une association qui s'appelle la Chaîne des terrils,

parce qu'on en avait marre qu'en plus qu'on nous impose le chômage,

on nous dise qu'on soit pas beau,

et qu'on nous dise

qu'il fallait se renier.

Parce qu'à l'époque,

tout le monde disait : « Il faut raser tout ça. »

Un jour, un journaliste me dit,

- France 3, j'étais tout jeune -

« Monsieur Caron, je ne devrais pas vous interviewer,

j'ai vu Monsieur (bip) qui m'a dit :

« Mais arrêtez de donner la parole à ce mec, il est dangereux !

Nous, on veut ressembler à tout le monde. »

Et c'était terrible,

cette volonté de négation.

Alors que 29 nationalités étaient venues travailler chez nous,

qu'on avait un système de valeurs extraordinaire,

que la vie dans les cités minières était mille fois plus joyeuse et agréable.

Mais ce bassin minier recelait plein de systèmes de valeurs.

Donc, on s'est organisés et puis quand

la dernière gaillette est remontée.

Savez-vous ce qu'est une gaillette ?

Pas sûr non plus.

Un morceau de charbon.

Un petit, un moyen, un gros.

Un gros, c'est le jackpot !

Donc, quand on a remonté

la dernière gaillette de la fosse d'Oignies,

France 3, toujours, a organisé un débat.

Un débat entre le grand patron de l'empire des houillères,

un monsieur qui avait plein de diplômes.

Il faisait son job,

il était là pour faire gagner des sous à sa boîte.

Et pour lui, c'était des tas de matériaux.

Ça se vendait, c'était des dollars - on disait pas encore des euros.

Et moi, j'étais en face,

car j'étais un peu le représentant du monde qui va venir.

On savait pas quoi...

Mais, j'avais créé la Chaîne des terrils, on avait un regard.

On essayait de commencer à imaginer ce que pourrait être l'avenir.

Donc, on a fait ce débat.

Parce que j'étais quand même un peu tétanisé

devant ce monsieur,

docteur ès je ne sais quoi.

Mais moi, j'étais pas tout seul.

J'étais pas tout seul parce que j'avais mon arrière-grand-père avec moi

qui avait été délégué mineur au fond de la mine, meneur de grèves en 1900,

qui avait appelé ses enfants Rosa, Juvénal, Danton,

Ferrer, Églantine

et mon grand-père Voltaire.

(Rires)

Juvénal et Danton ont été gardes du corps de Léon Blum.

Eh ouais...

Ils sont venus à Paris.

J'étais pas tout seul parce que j'avais le traquet motteux avec moi.

Et j'avais la nature.

Et j'avais plein de culot.

Bref...

on a commencé à s'organiser et dire :

« On va pas se laisser faire, ni se laisser prendre nos terrils. »

Et on a gagné.

Le ministre de l'industrie, 1992,

a imposé à Charbonnages de France,

l'institution par excellence,

une partition entre les terrils qu'on allait garder pour la nature,

les terrils qu'on allait garder pour leur fonction symbolique,

comme par exemple le terril Renard,

à Denain, que Zola avait décrit dans Germinal.

Ça, Germinal, vous l'avez lu normalement.

Et puis les terrils quand même,

quelques terrils pour les matériaux.

Et à partir de là,

on a commencé à retrouver un peu de dignité et de fierté.

Tout simplement.

On n'avait pas réglé nos problèmes

mais on savait qu'il y avait de la valeur,

que tout ça, c'était fragile, qu'il fallait s'organiser.

Et on a commencé à avoir un certain nombre de premiers résultats.

J'ai créé une école de parapente.

Alors ça, TF1 adorait.

(Rires)

Des ailes rose fluo sur fond de terrils,

pour la télé, c'est du bonheur.

Enfin Antenne 2 aussi, on disait Antenne 2.

On a travaillé sur notre trajectoire :

qu'est-ce qui nous fondait ?

Et on l'a pris par le culturel.

On a organisé des sons et lumière avec des mineurs jouant leur propre rôle,

des sons et lumière participatifs.

On a fait du land art sur les terrils.

Pendant qu'ici Christo emballait le Pont-Neuf,

nous, on faisait le Fujiyama.

(Rires)

Entretemps, j'ai été élu au Conseil Régional,

parce que les gens avaient dû estimer que tout ça,

ça avait de l'importance, tous ces combats-là.

Puis je suis devenu élu local.

Et là, j'ai eu à m'occuper de l'urbanisme,

du plan d'occupation des sols.

Et très vite, il m'est apparu que

on ne pourrait pas faire

un plan d'occupation des sols sans un vrai projet de ville.

Or nous, on n'avait plus de ville,

on n'avait plus de futur

comme au Far West,

quand on a quitté les mines d'or, et tout est resté en l'état.

Mais comment voulez-vous,

où voulez-vous mettre un million de personnes ?

Un petit peu à Dunkerque, un petit peu au Havre,

un petit peu à Paris.

C'était pas possible.

Et donc très vite, il m'est apparu qu'on ne pourrait faire de

véritable plan d'occupation des sols :

là où on mettrait l'agriculture, là où on mettrait les usines,

là où on pourrait construire.

On ne pourrait le faire que sur un vrai projet de ville,

ville nouvelle dans notre représentation.

Et que ça ne pourrait être qu'une oeuvre collective.

Que ça pouvait pas être à dire d'expert.

C'est pas un expert,

même si on a besoin des experts, qui pouvait nous dire notre futur.

C'était pas les élus, même si on en a besoin,

j'en fais partie, ils ont la légitimité.

Ça ne pouvait se faire que dans un processus collectif.

Et c'est comme ça qu'on a instillé le raisonnement, le virus,

d'habitant acteur.

De mettre les gens en situation de commencer à coproduire la ville.

Et, nos premières expérimentations ont découlé de là.

On avait une eau absolument catastrophique

100 mg de nitrate, le double de la norme.

Alors, dans le plan d'occupation des sols

et dans nos actions de ville,

il faudrait être draconien sur la protection de la ressource en eau.

Les maisons des mines où on avait le charbon gratuit

étaient des passoires.

Alors, l'écoconstruction et la réhabilitation thermique

devenaient absolument stratégiques.

Et c'est comme ça que nos premières expérimentations sont sorties.

Et que progressivement a commencé à se dessiner une vision.

Une vision d'un nouveau modèle de développement

mais avec des signaux faibles.

Un peu comme on dirait aujourd'hui,

on sort de la société du gaspillage,

on voit bien que le nouveau modèle

sera plutôt sur la sobriété et le recyclage.

En prenant le contrepied de nos histoires.

Et donc, ce nouveau modèle de développement

qui n'était pas encore apparu, mais dont on touchait,

par petits bouts,

ce qu'il pourrait devenir progressivement,

à nous qui avions vu l'Homme et la Nature martyrisés.

On devait, en même temps, construire la transition.

Et c'est très compliqué d'emmener une communauté, un collectif,

et de dire : « On va changer le monde mais on sait pas vers quel monde on va. »

C'est pour ça qu'on a beaucoup travaillé les questions de résilience,

avec des psychologues,

pour comprendre comment ça fonctionnait,

cette capacité à réagir après un choc qui nous avait complètement destructurés.

Progressivement, la confiance s'est réinstallée,

par la qualité des collectifs qu'on avait montés,

par le travail qu'on faisait ensemble, parce qu'on posait des actes,

sur la façon de reconquérir notre espace.

Et puis, j'ai beaucoup insisté

sur cette idée qu'il fallait libérer les initiatives.

On sortait d'une société encadrée par le système des houillères.

Le problème, c'est que, quand vous devez inventer un monde,

il faut faire des innovations.

Et une innovation, c'est une désobéissance qui a réussi.

Mais c'est d'abord une désobéissance.

Et donc, on a travaillé la question du droit à l'erreur.

Parce que si vous n'avez jamais le droit de vous tromper,

je vous garantis que jamais vous ne ferez quelque chose.

Si vous pistez vos enfants en permanence,

et vous les empêchez de transgresser un petit peu,

alors, ce sera difficile.

On a travaillé ces questions-là,

on a multiplié les processus de prise d'initiatives.

Et on est progressivement devenu une ville pilote du développement durable.

Progressivement.

D'abord on a fait apparaître,

on a essayé de travailler la question de la vision et du rêve.

Parce que c'est terrible, la période actuelle.

Nous, c'était il y a 25 ans.

Collectivement, à l'échelle mondiale,

où on en est aujourd'hui ?

Il est où, le rêve ?

La vision qui permet de mobiiser des collectifs ?

Qui permet de se mettre en mouvement ?

À beaucoup d'égards, nos actions politiques sont celles de boutiquiers.

On change des petits bouts de trucs

mais on n'a pas véritablement de perspectives.

On avait besoin de cette vision et de ce rêve.

Mais un rêve, c'est une étoile qui brille, qui vous donne envie.

Si vous n'avez pas les petits cailloux blancs qui mènent à l'étoile,