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Arthur Bernède- Belphégor, 4-5 Belphégor

4-5 Belphégor

Belphégor

Au château de Courteuil, dans un cabinet de toilette d'une élégance un peu tapageuse, et qui n'était autre que celui de la baronne Papillon, la femme que nous avons vue précédemment descendre d'avion était assise devant une coiffeuse. Debout près d'elle, son compagnon, qui avait conservé son costume d'aviateur, concentrait son regard dans la glace du petit meuble qui lui renvoyait l'image de Mme Mauroy. Celle-ci, après s'être débarrassée de son casque, se contempla un instant dans la glace… Un étrange sourire erra sur ses lèvres. Ses yeux brillaient d'un éclat de fièvre… On eût dit déjà une autre femme. Lentement, elle commença à enlever le maquillage habile qui mettait une légère patte d'oie au coin de ses paupières, accentuait le pli de sa bouche et donnait à son teint une pâleur de fatigue et de souffrance… Ce travail délicat terminé, elle enleva sa perruque blonde… et, se tournant vers Maurice de Thouars qui, tout en épiant chacun de ses gestes, la dévorait des yeux, elle s'écria, tout en lissant ses cheveux courts et bruns, d'une voix mordante, sarcastique : – La comédie est terminée… J'en avais assez de faire la morte. Simone Desroches venait de ressusciter.

– Vous avez été extraordinaire, déclara M. de Thouars.

– Dites, mon cher, que j'ai eu du génie, affirma orgueilleusement Simone. – En effet, reconnaissait le gentilhomme dévoyé… Rien que d'avoir eu l'idée d'une pareille affaire mérite une admiration sans bornes. « Mais avoir joué jusqu'au bout, et sans la moindre défaillance, ce rôle de Belphégor que vous aviez assumé est une chose prodigieuse. « À chaque instant, je tremblais que vous ne fussiez découverte, et je dois vous avouer que Chantecoq m'a fait passer plus d'un frisson dans le dos. Simone eut un haussement d'épaules dédaigneux ; puis elle reprit : – L'essentiel est que tout ait bien marché… Je reconnais, d'ailleurs, que j'ai été fort bien secondée… D'abord par la chance, qui m'a permis de découvrir les précieux Mémoires de Ruggieri au fond d'un tiroir du bahut que j'avais acheté à cet imbécile de Papillon… puis par Elsa Bergen, qui a eu l'idée de me faire déguiser en Fantôme ; par Lüchner, qui a fabriqué les fausses lettres signées Belphégor… et a fait exécuter dans le plus grand mystère ce merveilleux mannequin de cire, grâce auquel j'ai pu si bien détourner de moi les soupçons de tous ; par ce petit Jack Teddy, qui s'est merveilleusement débrouillé… et enfin, par vous aussi, mon cher comte, qui m'avez utilement aidée à donner le change aux gens de notre entourage… – Croyez que je suis heureux que vous daigniez apprécier mon dévouement.

Simone reprenait :

– L'essentiel est d'avoir réussi… Il était temps ! Maintenant, je puis tout vous dire.

– Oh ! oui, parlez ! invitait M. de Thouars… car je ne sais que ce que vous avez bien voulu me révéler… c'est-à-dire très peu de chose… et je me suis contenté de vous obéir aveuglément. Simone Desroches reprit :

– Vous allez tout apprendre.

« Ma fortune était entamée à un tel point qu'il ne me restait plus que quelques centaines de mille francs. À peine de quoi vivre une année… Je ne pouvais guère espérer tirer de gros profits de mon talent de poétesse… Faire un mariage riche m'eût été possible… Mais mon caractère indépendant se révoltait à la perspective d'être à la merci d'un homme qui, probablement, m'eût achetée comme on s'offre un bibelot de prix ou un jouet de luxe, et avec lequel j'eusse été aussi malheureuse que lui avec moi. « Me lancer dans la galanterie ?… Pouah ! Les conséquences d'une aussi hideuse perspective me donnaient la nausée. Oh ! non pas par vertu… car il y a beau temps que je me suis débarrassée de tout principe… C'était une question purement physique… voilà tout. « Ah ! croyez-moi, mon cher, avant d'avoir découvert le manuscrit de Ruggieri, j'ai passé des heures bien sombres. « Mais dès que j'ai lu les Mémoires du fameux astrologue de la reine Catherine, j'ai considéré l'avenir sous un aspect un peu plus agréable et je me suis dit : « Après tout, pourquoi ne prendrais-je pas au sérieux les révélations contenues dans ce grimoire ? « Je n'ignorais pas que, sous le Ruggieri de la légende, c'est-à-dire sous l'empoisonneur, l'envoûteur, le jeteur de sorts et de maléfices, se cachait un savant d'une rare envergure. Confident de la reine, sur laquelle il exerçait un énorme ascendant, il n'y avait rien d'invraisemblable que celle-ci lui eût demandé de cacher le trésor des Valois dans une des salles du Louvre, dont l'émeute allait la contraindre de s'éloigner, mais où elle comptait bien rentrer promptement en maîtresse absolue. « Et puis, le ton de ces Mémoires était tellement sincère que j'eus l'impression immédiate qu'ils disaient la vérité. « Le tout était de savoir si le trésor se trouvait toujours dans sa cachette.

« Avant de courir le risque d'une expédition aussi aventureuse, je tenais à m'entourer de toutes les garanties de succès. Du côté de Ruggieri, j'étais tranquille. « En effet, à la fin de son grimoire, il expliquait clairement qu'après la mort de Catherine et l'assassinat de Henri III, plutôt que de faire bénéficier Henri IV, qu'il haïssait, des richesses dont il était désormais seul à connaître l'existence, et ne voulant pas s'emparer d'un bien qui avait été celui de sa bienfaitrice, il préférait qu'il restât enfoui pendant des siècles sous la dalle qui le recouvrait. « Or Catherine de Médicis qui, ainsi que Henri III, avait dû s'enfuir précipitamment de Paris, après la journée des Barricades, n'avaient jamais pu pénétrer dans la capitale. « Enfin, après avoir lu attentivement tous les livres et mémoires relatifs à l'histoire de ce temps, je constatai que nul ne parlait du trésor des Valois, ce qu'ils n'eussent point manqué de faire s'il avait été découvert par la suite. « J'en conclus que le trésor n'avait pas dû bouger de place. Il restait donc à m'assurer que la salle dont il était question existait encore. Je n'eus pas de peine à la retrouver… Elle était devenue la salle des Dieux barbares, et grâce aux détails contenus dans l'écrit de Ruggieri et au plan très complet qu'il avait adjoint, je ne tardai pas à me rendre compte que l'entrée de la cachette se trouvait exactement sous le piédestal de la statue d'un dieu nommé Belphégor. « C'était un sérieux obstacle que l'on ne pouvait déplacer que la nuit. « Mais si le souterrain si nettement décrit par Ruggieri existait encore, rien ne m'était plus facile que de m'introduire au Louvre, pendant la nuit, et, entre deux rondes de gardiens, de faire le nécessaire. « Elsa Bergen me proposa d'envoyer Lüchner en reconnaissance. « Mais, pour des raisons que vous devinez, je préférai agir moi-même.

Maurice de Thouars ponctua :

– Vous aviez peur que le bossu ne voulût profiter seul de l'aubaine ? – Évidemment… Il avait beau être le frère d'Elsa, je n'avais qu'à moitié confiance en lui. Ce fut alors que Mlle Bergen me suggéra l'idée du Fantôme. Je l'acceptai d'enthousiasme… Et le lendemain soir, emportant dans un paquet la défroque qu'Elsa avait confectionnée pour moi, je me laissai enfermer dans l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois… Je vous assure que, bien que décidée à tout, lorsque je me sentis seule dans ce sanctuaire, je sentis mon cœur battre un peu plus fort que de coutume… Mais, faisant appel à toute mon énergie, à toute ma volonté, je m'habillai en fantôme et, tout en m'éclairant à l'aide d'une lampe de poche, et en me guidant sur le plan que j'avais détaché du manuscrit, je me dirigeai ainsi qu'il l'indiquait vers la dalle qui se trouvait derrière le maître-autel… et était marquée d'une fleur de lis. « Toujours d'après les indications de Ruggieri, j'appuyai fortement le doigt sur cet emblème d'ailleurs aux trois quarts effacé… Rien ne bougea… J'appuyai avec plus d'insistance. Il me sembla que la dalle remuait légèrement… J'appuyai de toutes mes forces… Elle bascula légèrement, puis demeura immobile… perpendiculaire au sol… Je la poussai, afin de dégager l'excavation que j'entrevoyais déjà… J'y parvins, non sans peine… et je m'engageai dans un escalier en spirale qui aboutissait au souterrain. « Après avoir repéré une sorte de crypte qui devait ensuite me rendre un grand service, j'arrivai à un second escalier que je gravis… et je me trouvai devant un mur. « Je consultai de nouveau le plan de Ruggieri et je parvins à découvrir le mécanisme de l'entrée secrète qui devait me donner l'accès au Louvre… Mais il était tellement rouillé que je dus renoncer à le faire fonctionner. « Je recourus alors aux bons offices de Lüchner, qui revint avec moi le lendemain… Ce diable de bossu est vraiment d'une adresse surprenante… En effet, en moins d'une heure, il parvint à ouvrir la porte dissimulée dans la muraille… Nous nous trouvâmes alors sur le palier central de l'escalier de la Victoire de Samothrace. Alors, seule, sous mon suaire de Fantôme, je gagnai la salle des Dieux barbares.

« J'étais en train d'examiner la statue de Belphégor, lorsqu'un gardien apparut… Je m'enfuis précipitamment, non sans avoir essuyé le feu de son revolver… J'ai même senti une des balles siffler tout près de ma tête. – Et cependant, le lendemain, vous avez recommencé.

– Il fallait bien… D'ailleurs, j'étais assez tranquille… Jack Teddy avait appris que, la nuit suivante, le gardien en chef du musée avait obtenu de ses supérieurs l'autorisation de monter la garde seul, dans la salle des Dieux barbares… Cela ne nous arrêta pas… Je me munis d'un casse-tête… Et Simone scanda avec un accent diabolique :

– Vous avez vu que je n'ai pas hésité à en faire usage… Puis, elle continua comme si elle se délectait au souvenir de ses formidables et terribles exploits :

– Une fois débarrassée de ce témoin gênant, j'appelai Lüchner et l'homme à la salopette, qui m'attendaient dans une salle voisine… Tous deux se mirent à pousser la statue… afin de découvrir l'entrée de la cachette. « Mais ce maudit Belphégor, qui n'était pas vissé à son socle, dégringola sur les dalles… ce qui produisit un bruit considérable… Craignant que cela n'eût éveillé l'attention des gardiens ou des policiers qui pouvaient se trouver dans les environs, nous nous empressâmes de déguerpir. – Et après cela… s'écriait Maurice de Thouars, vous avez eu l'audace de revenir encore ? – Parfaitement ! Mais, cette fois, nous faillîmes tomber sur ce qu'on appelle vulgairement « un bec de gaz ». « En pénétrant seule dans la salle des Dieux barbares où, avant d'agir, avec mes deux hommes, il était indispensable que je fisse une reconnaissance – qu'est-ce que j'aperçois – en train d'examiner ce pauvre Belphégor qui, étendu sur les dalles, faisait une hideuse grimace ? Jacques Bellegarde… Je m'approchai de lui à pas de loup, bien décidée à lui faire subir le sort du gardien Sabarat. – Vous dites ?

– Laissez-moi continuer… Captivé par ses recherches, il ne m'avait ni vue ni entendue, et je pensai : « Toi, ton affaire est bonne ! » Mais à peine avais-je levé le bras pour lui asséner un coup de matraque… qu'une main se posait sur mon poignet… C'était celle d'un vieux monsieur… J'ai su depuis que c'était Chantecoq… qui, sorti de je ne sais où, intervenait de si fâcheuse manière. « D'un mouvement brusque, je me dégageai et je m'enfuis… J'escaladai quatre à quatre l'escalier de la Victoire de Samothrace, poursuivie par Bellegarde à coups de revolver, qui ne m'atteignirent pas. C'est à croire que je suis invulnérable. « Arrivée sur le palier au moment où il allait m'atteindre, je lui assenai un coup de matraque sur la nuque… Bien qu'il ait porté à faux, Bellegarde tomba… et j'allais me précipiter vers la porte secrète derrière laquelle Lüchner et l'homme à la salopette m'attendaient, lorsque, en haut de l'escalier, des lumières scintillèrent… C'était une ronde de policiers… Tandis qu'en bas une voix – celle de Chantecoq – clamait : « Barrez-lui la route, nous le tenons ! « D'un bond, je m'élançai vers la porte secrète, que le bossu referma derrière moi. Il était temps !…

« J'avoue que, ce soir-là, j'ai bien cru que la partie était perdue ! – Vous avez cependant récidivé.

– Oui… car je me suis tenu le raisonnement suivant : devant tant d'insistance, la police, persuadée que le Fantôme du Louvre reviendra certainement dans la salle des Dieux barbares, va y établir une souricière. – Ce qui s'est produit. – En effet. Mais l'inspecteur Ménardier, chargé d'arrêter Belphégor, avait compté sans les ressources de mon imagination. – C'est vous qui avez eu l'idée des gaz somnifères ? – Oui, c'est Lüchner qui s'est chargé de les fabriquer… Cette fois, tout s'est admirablement passé… Et maintenant, mon cher, vous en savez aussi long que moi-même. Tout aussi tranquille que si elle se fût trouvée dans son boudoir, elle prit dans un étui en or qui se trouvait sur la coiffeuse une cigarette orientale qu'elle alluma et dont elle lança au plafond les premières bouffées. Maurice de Thouars demeura un instant silencieux… Hypnotisé par cette femme extraordinaire qui incarnait vraiment le génie du mal, de plus en plus dominé par sa beauté et plus encore par son charme infernal, il la contempla d'un œil ardent de convoitise. Tout à coup, Simone éclata de rire.

– Voyez-vous, fit-elle, qu'il prenne aux Papillon l'idée de se rendre ici ! Le bellâtre esquissa un geste d'inquiétude. Toujours en ricanant, Simone Desroches reprenait :

– Soyez tranquille, Lüchner m'a donné, à ce sujet, tous les apaisements nécessaires… D'ailleurs, s'il plaisait à ce délicieux ménage de nous jouer ce mauvais tour, il ne serait pas long à faire connaissance avec les oubliettes que ce crétin de Papillon a fait reconstituer. De cette façon, elles serviraient à quelque chose.

Fixant à son tour Maurice de Thouars, dont la passion qu'elle lui inspirait se révélait sur ses traits, elle ajouta, cette fois sur un ton de coquetterie féminine : – Et vous, c'est tout ce que vous trouvez à me dire ?… Peut-être ai-je eu tort de vous raconter toutes ces choses, et maintenant vous n'osez plus parler d'amour à celle qui n'a pas craint de se faire l'égale des plus grandes criminelles des temps passés et modernes. – Simone, protestait le comte Maurice tout frémissant, je vous jure, au contraire, que je ne vous ai jamais autant adorée… et que rien désormais, ne pourra me séparer de vous.

– Même si je vous ordonnais de disparaître de ma vie ?

M. de Thouars blêmit. Puis, d'une voix rauque où il y avait à la fois tous les désespoirs et toutes les prières, il s'écria : – Non, non, ne me demandez pas cela !… Ne m'imposez pas une aussi terrible épreuve. J'ai déjà trop souffert, je ne supporterais pas un tel surcroît de douleur. Et tandis qu'une flamme de menace illuminait son regard, il martela en serrant les poings : – Et qui sait, alors… ce qui arriverait ?…

Simone se releva et marcha droit sur lui…

Puis l'entourant de ses bras, elle fit avec un accent qui révélait enfin le secret qu'elle avait été assez forte pour garder en elle : – Imbécile !… c'est toi que j'ai toujours aimé. Bouleversé, M. de Thouars allait lui crier sa joie, son ivresse, mais Simone lui mit la main sur la bouche en lui ordonnant :

– Je sais ce que tu vas me dire ! Bellegarde, n'est-ce pas ? Eh bien ! je vais tout te raconter. J'ai été, je l'avoue, attirée vers ce journaliste et j'avais même eu l'espoir que je pourrais trouver en lui un auxiliaire… Ou plus précisément un complice… « Mais j'ai tout de suite compris que je faisais fausse route. D'abord, c'était un honnête homme, et puis il n'avait eu pour moi qu'un caprice… vite dissipé… J'en fus, je ne le cache pas, tellement mortifiée dans mon honneur de femme que je me mis à le haïr férocement. « Ce fut alors que j'eus l'idée de lui mettre sur le dos les exploits de Belphégor… Mais, avant tout, pour atteindre mon but, il était indispensable qu'il me crût toujours passionnément attachée à lui… « Voilà pourquoi je lui jouai la comédie que vous savez…

– Et qui m'a tant fait souffrir ! – Ne vous en plaignez pas… puisque votre chagrin m'a permis de me rendre compte que vous m'aimiez ainsi que j'entends l'être ! – Oui… aveuglément… passionnément… affirmait le beau Maurice.

Et sur un ton de tendre reproche, il ajouta :

– Ah ! si j'avais su ! Si j'avais pu deviner !… – Les amoureux sont trop imprudents pour qu'on leur fasse d'entières confidences. Je jouais une telle partie qu'une phrase, un mot, un rien pouvaient la compromettre. Bien qu'il m'en coûtât de vous torturer, je ne voulais pas risquer de perdre la victoire. Mais à présent que le trésor des Valois est à nous, je vais pouvoir enfin réaliser un rêve dont j'avais fait ma devise : Vivre ma vie… c'est-à-dire partir loin, très loin, voyager sans cesse à travers des pays nouveaux, inconnus… sous les cieux les plus divers, en pleine nature, parmi des paysages de songe… des décors formidables… et cela avec l'homme que j'ai choisi librement, entre tous, avec celui que j'aime, avec toi… toi !… Un long baiser scella ce pacte que contresignaient le crime, la lâcheté, l'infamie, toutes les hontes. On frappait à la porte. Les deux amants se séparèrent. Simone, d'un ton irrité, proféra : – Entrez !

La silhouette du bossu apparut.

À sa vue, Mlle Desroches eut un geste d'impatience. Avec un sourire hypocrite, Lüchner disait :

– Excusez-moi de vous déranger. Mais le temps presse.

Simone et Maurice de Thouars l'interrogèrent du regard. Le bossu reprit :

– Vous oubliez que nous n'avons pas réussi à nous débarrasser de Chantecoq, et tant qu'il sera vivant, nous pourrons toujours redouter qu'il découvre notre piste. – C'est juste, ponctua le bellâtre. Mais Simone s'écriait d'un air mystérieux et menaçant : – Belphégor n'a pas dit son dernier mot… Et M. Chantecoq fera bien de ne pas se mettre en travers de notre route… car je lui ménage une surprise à laquelle il ne s'attend pas. M. de Thouars et Lüchner échangèrent un regard de surprise.

Alors… d'une voix stridente, Mlle Desroches leur lança : – Puisque vous n'avez pas été assez adroits pour le supprimer ou tout au moins pour l'empêcher de nous nuire… moi, j'ai fait le nécessaire… « Dans quelques heures, la fille de notre ennemi sera entre nos mains… Nous verrons bien alors si M. Chantecoq ne fait pas « camarade » !

Le bossu allait parler… Mais, d'un signe d'impatience, elle lui imposa silence… Puis, elle fit, sur un ton d'autorité souveraine : – Allons nous reposer… Au point du jour, nous commencerons la fonte de l'or… M. de Thouars fit un pas vers elle.

– À demain, lui dit-elle.

Et s'approchant de lui, elle lui dit tout bas : – À toujours !…

Et soulevant une portière, elle disparut dans une pièce voisine.

– Quelle femme !… grommela le bossu… Mais malgré tout, je ne serai tout à fait tranquille que lorsque j'aurai ma part du magot !


4-5 Belphégor 4-5 Belphégor

Belphégor

Au château de Courteuil, dans un cabinet de toilette d'une élégance un peu tapageuse, et qui n'était autre que celui de la baronne Papillon, la femme que nous avons vue précédemment descendre d'avion était assise devant une coiffeuse. Debout près d'elle, son compagnon, qui avait conservé son costume d'aviateur, concentrait son regard dans la glace du petit meuble qui lui renvoyait l'image de Mme Mauroy. Celle-ci, après s'être débarrassée de son casque, se contempla un instant dans la glace… Un étrange sourire erra sur ses lèvres. Ses yeux brillaient d'un éclat de fièvre… On eût dit déjà une autre femme. Lentement, elle commença à enlever le maquillage habile qui mettait une légère patte d'oie au coin de ses paupières, accentuait le pli de sa bouche et donnait à son teint une pâleur de fatigue et de souffrance… Ce travail délicat terminé, elle enleva sa perruque blonde… et, se tournant vers Maurice de Thouars qui, tout en épiant chacun de ses gestes, la dévorait des yeux, elle s'écria, tout en lissant ses cheveux courts et bruns, d'une voix mordante, sarcastique : – La comédie est terminée… J'en avais assez de faire la morte. Simone Desroches venait de ressusciter.

– Vous avez été extraordinaire, déclara M. de Thouars.

– Dites, mon cher, que j'ai eu du génie, affirma orgueilleusement Simone. – En effet, reconnaissait le gentilhomme dévoyé… Rien que d'avoir eu l'idée d'une pareille affaire mérite une admiration sans bornes. « Mais avoir joué jusqu'au bout, et sans la moindre défaillance, ce rôle de Belphégor que vous aviez assumé est une chose prodigieuse. « À chaque instant, je tremblais que vous ne fussiez découverte, et je dois vous avouer que Chantecoq m'a fait passer plus d'un frisson dans le dos. Simone eut un haussement d'épaules dédaigneux ; puis elle reprit : – L'essentiel est que tout ait bien marché… Je reconnais, d'ailleurs, que j'ai été fort bien secondée… D'abord par la chance, qui m'a permis de découvrir les précieux Mémoires de Ruggieri au fond d'un tiroir du bahut que j'avais acheté à cet imbécile de Papillon… puis par Elsa Bergen, qui a eu l'idée de me faire déguiser en Fantôme ; par Lüchner, qui a fabriqué les fausses lettres signées Belphégor… et a fait exécuter dans le plus grand mystère ce merveilleux mannequin de cire, grâce auquel j'ai pu si bien détourner de moi les soupçons de tous ; par ce petit Jack Teddy, qui s'est merveilleusement débrouillé… et enfin, par vous aussi, mon cher comte, qui m'avez utilement aidée à donner le change aux gens de notre entourage… – Croyez que je suis heureux que vous daigniez apprécier mon dévouement.

Simone reprenait :

– L'essentiel est d'avoir réussi… Il était temps ! Maintenant, je puis tout vous dire.

– Oh ! oui, parlez ! invitait M. de Thouars… car je ne sais que ce que vous avez bien voulu me révéler… c'est-à-dire très peu de chose… et je me suis contenté de vous obéir aveuglément. Simone Desroches reprit :

– Vous allez tout apprendre.

« Ma fortune était entamée à un tel point qu'il ne me restait plus que quelques centaines de mille francs. À peine de quoi vivre une année… Je ne pouvais guère espérer tirer de gros profits de mon talent de poétesse… Faire un mariage riche m'eût été possible… Mais mon caractère indépendant se révoltait à la perspective d'être à la merci d'un homme qui, probablement, m'eût achetée comme on s'offre un bibelot de prix ou un jouet de luxe, et avec lequel j'eusse été aussi malheureuse que lui avec moi. « Me lancer dans la galanterie ?… Pouah ! Les conséquences d'une aussi hideuse perspective me donnaient la nausée. Oh ! non pas par vertu… car il y a beau temps que je me suis débarrassée de tout principe… C'était une question purement physique… voilà tout. « Ah ! croyez-moi, mon cher, avant d'avoir découvert le manuscrit de Ruggieri, j'ai passé des heures bien sombres. « Mais dès que j'ai lu les Mémoires du fameux astrologue de la reine Catherine, j'ai considéré l'avenir sous un aspect un peu plus agréable et je me suis dit : « Après tout, pourquoi ne prendrais-je pas au sérieux les révélations contenues dans ce grimoire ? « Je n'ignorais pas que, sous le Ruggieri de la légende, c'est-à-dire sous l'empoisonneur, l'envoûteur, le jeteur de sorts et de maléfices, se cachait un savant d'une rare envergure. Confident de la reine, sur laquelle il exerçait un énorme ascendant, il n'y avait rien d'invraisemblable que celle-ci lui eût demandé de cacher le trésor des Valois dans une des salles du Louvre, dont l'émeute allait la contraindre de s'éloigner, mais où elle comptait bien rentrer promptement en maîtresse absolue. « Et puis, le ton de ces Mémoires était tellement sincère que j'eus l'impression immédiate qu'ils disaient la vérité. « Le tout était de savoir si le trésor se trouvait toujours dans sa cachette.

« Avant de courir le risque d'une expédition aussi aventureuse, je tenais à m'entourer de toutes les garanties de succès. Du côté de Ruggieri, j'étais tranquille. « En effet, à la fin de son grimoire, il expliquait clairement qu'après la mort de Catherine et l'assassinat de Henri III, plutôt que de faire bénéficier Henri IV, qu'il haïssait, des richesses dont il était désormais seul à connaître l'existence, et ne voulant pas s'emparer d'un bien qui avait été celui de sa bienfaitrice, il préférait qu'il restât enfoui pendant des siècles sous la dalle qui le recouvrait. « Or Catherine de Médicis qui, ainsi que Henri III, avait dû s'enfuir précipitamment de Paris, après la journée des Barricades, n'avaient jamais pu pénétrer dans la capitale. « Enfin, après avoir lu attentivement tous les livres et mémoires relatifs à l'histoire de ce temps, je constatai que nul ne parlait du trésor des Valois, ce qu'ils n'eussent point manqué de faire s'il avait été découvert par la suite. « J'en conclus que le trésor n'avait pas dû bouger de place. Il restait donc à m'assurer que la salle dont il était question existait encore. Je n'eus pas de peine à la retrouver… Elle était devenue la salle des Dieux barbares, et grâce aux détails contenus dans l'écrit de Ruggieri et au plan très complet qu'il avait adjoint, je ne tardai pas à me rendre compte que l'entrée de la cachette se trouvait exactement sous le piédestal de la statue d'un dieu nommé Belphégor. « C'était un sérieux obstacle que l'on ne pouvait déplacer que la nuit. « Mais si le souterrain si nettement décrit par Ruggieri existait encore, rien ne m'était plus facile que de m'introduire au Louvre, pendant la nuit, et, entre deux rondes de gardiens, de faire le nécessaire. « Elsa Bergen me proposa d'envoyer Lüchner en reconnaissance. « Mais, pour des raisons que vous devinez, je préférai agir moi-même.

Maurice de Thouars ponctua :

– Vous aviez peur que le bossu ne voulût profiter seul de l'aubaine ? – Évidemment… Il avait beau être le frère d'Elsa, je n'avais qu'à moitié confiance en lui. Ce fut alors que Mlle Bergen me suggéra l'idée du Fantôme. Je l'acceptai d'enthousiasme… Et le lendemain soir, emportant dans un paquet la défroque qu'Elsa avait confectionnée pour moi, je me laissai enfermer dans l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois… Je vous assure que, bien que décidée à tout, lorsque je me sentis seule dans ce sanctuaire, je sentis mon cœur battre un peu plus fort que de coutume… Mais, faisant appel à toute mon énergie, à toute ma volonté, je m'habillai en fantôme et, tout en m'éclairant à l'aide d'une lampe de poche, et en me guidant sur le plan que j'avais détaché du manuscrit, je me dirigeai ainsi qu'il l'indiquait vers la dalle qui se trouvait derrière le maître-autel… et était marquée d'une fleur de lis. « Toujours d'après les indications de Ruggieri, j'appuyai fortement le doigt sur cet emblème d'ailleurs aux trois quarts effacé… Rien ne bougea… J'appuyai avec plus d'insistance. Il me sembla que la dalle remuait légèrement… J'appuyai de toutes mes forces… Elle bascula légèrement, puis demeura immobile… perpendiculaire au sol… Je la poussai, afin de dégager l'excavation que j'entrevoyais déjà… J'y parvins, non sans peine… et je m'engageai dans un escalier en spirale qui aboutissait au souterrain. « Après avoir repéré une sorte de crypte qui devait ensuite me rendre un grand service, j'arrivai à un second escalier que je gravis… et je me trouvai devant un mur. « Je consultai de nouveau le plan de Ruggieri et je parvins à découvrir le mécanisme de l'entrée secrète qui devait me donner l'accès au Louvre… Mais il était tellement rouillé que je dus renoncer à le faire fonctionner. « Je recourus alors aux bons offices de Lüchner, qui revint avec moi le lendemain… Ce diable de bossu est vraiment d'une adresse surprenante… En effet, en moins d'une heure, il parvint à ouvrir la porte dissimulée dans la muraille… Nous nous trouvâmes alors sur le palier central de l'escalier de la Victoire de Samothrace. Alors, seule, sous mon suaire de Fantôme, je gagnai la salle des Dieux barbares.

« J'étais en train d'examiner la statue de Belphégor, lorsqu'un gardien apparut… Je m'enfuis précipitamment, non sans avoir essuyé le feu de son revolver… J'ai même senti une des balles siffler tout près de ma tête. – Et cependant, le lendemain, vous avez recommencé.

– Il fallait bien… D'ailleurs, j'étais assez tranquille… Jack Teddy avait appris que, la nuit suivante, le gardien en chef du musée avait obtenu de ses supérieurs l'autorisation de monter la garde seul, dans la salle des Dieux barbares… Cela ne nous arrêta pas… Je me munis d'un casse-tête… Et Simone scanda avec un accent diabolique :

– Vous avez vu que je n'ai pas hésité à en faire usage… Puis, elle continua comme si elle se délectait au souvenir de ses formidables et terribles exploits :

– Une fois débarrassée de ce témoin gênant, j'appelai Lüchner et l'homme à la salopette, qui m'attendaient dans une salle voisine… Tous deux se mirent à pousser la statue… afin de découvrir l'entrée de la cachette. « Mais ce maudit Belphégor, qui n'était pas vissé à son socle, dégringola sur les dalles… ce qui produisit un bruit considérable… Craignant que cela n'eût éveillé l'attention des gardiens ou des policiers qui pouvaient se trouver dans les environs, nous nous empressâmes de déguerpir. – Et après cela… s'écriait Maurice de Thouars, vous avez eu l'audace de revenir encore ? – Parfaitement ! Mais, cette fois, nous faillîmes tomber sur ce qu'on appelle vulgairement « un bec de gaz ». « En pénétrant seule dans la salle des Dieux barbares où, avant d'agir, avec mes deux hommes, il était indispensable que je fisse une reconnaissance – qu'est-ce que j'aperçois – en train d'examiner ce pauvre Belphégor qui, étendu sur les dalles, faisait une hideuse grimace ? Jacques Bellegarde… Je m'approchai de lui à pas de loup, bien décidée à lui faire subir le sort du gardien Sabarat. – Vous dites ?

– Laissez-moi continuer… Captivé par ses recherches, il ne m'avait ni vue ni entendue, et je pensai : « Toi, ton affaire est bonne ! » Mais à peine avais-je levé le bras pour lui asséner un coup de matraque… qu'une main se posait sur mon poignet… C'était celle d'un vieux monsieur… J'ai su depuis que c'était Chantecoq… qui, sorti de je ne sais où, intervenait de si fâcheuse manière. « D'un mouvement brusque, je me dégageai et je m'enfuis… J'escaladai quatre à quatre l'escalier de la Victoire de Samothrace, poursuivie par Bellegarde à coups de revolver, qui ne m'atteignirent pas. C'est à croire que je suis invulnérable. « Arrivée sur le palier au moment où il allait m'atteindre, je lui assenai un coup de matraque sur la nuque… Bien qu'il ait porté à faux, Bellegarde tomba… et j'allais me précipiter vers la porte secrète derrière laquelle Lüchner et l'homme à la salopette m'attendaient, lorsque, en haut de l'escalier, des lumières scintillèrent… C'était une ronde de policiers… Tandis qu'en bas une voix – celle de Chantecoq – clamait : « Barrez-lui la route, nous le tenons ! « D'un bond, je m'élançai vers la porte secrète, que le bossu referma derrière moi. Il était temps !…

« J'avoue que, ce soir-là, j'ai bien cru que la partie était perdue ! – Vous avez cependant récidivé.

– Oui… car je me suis tenu le raisonnement suivant : devant tant d'insistance, la police, persuadée que le Fantôme du Louvre reviendra certainement dans la salle des Dieux barbares, va y établir une souricière. – Ce qui s'est produit. – En effet. Mais l'inspecteur Ménardier, chargé d'arrêter Belphégor, avait compté sans les ressources de mon imagination. – C'est vous qui avez eu l'idée des gaz somnifères ? – Oui, c'est Lüchner qui s'est chargé de les fabriquer… Cette fois, tout s'est admirablement passé… Et maintenant, mon cher, vous en savez aussi long que moi-même. Tout aussi tranquille que si elle se fût trouvée dans son boudoir, elle prit dans un étui en or qui se trouvait sur la coiffeuse une cigarette orientale qu'elle alluma et dont elle lança au plafond les premières bouffées. Maurice de Thouars demeura un instant silencieux… Hypnotisé par cette femme extraordinaire qui incarnait vraiment le génie du mal, de plus en plus dominé par sa beauté et plus encore par son charme infernal, il la contempla d'un œil ardent de convoitise. Tout à coup, Simone éclata de rire.

– Voyez-vous, fit-elle, qu'il prenne aux Papillon l'idée de se rendre ici ! Le bellâtre esquissa un geste d'inquiétude. Toujours en ricanant, Simone Desroches reprenait :

– Soyez tranquille, Lüchner m'a donné, à ce sujet, tous les apaisements nécessaires… D'ailleurs, s'il plaisait à ce délicieux ménage de nous jouer ce mauvais tour, il ne serait pas long à faire connaissance avec les oubliettes que ce crétin de Papillon a fait reconstituer. De cette façon, elles serviraient à quelque chose.

Fixant à son tour Maurice de Thouars, dont la passion qu'elle lui inspirait se révélait sur ses traits, elle ajouta, cette fois sur un ton de coquetterie féminine : – Et vous, c'est tout ce que vous trouvez à me dire ?… Peut-être ai-je eu tort de vous raconter toutes ces choses, et maintenant vous n'osez plus parler d'amour à celle qui n'a pas craint de se faire l'égale des plus grandes criminelles des temps passés et modernes. – Simone, protestait le comte Maurice tout frémissant, je vous jure, au contraire, que je ne vous ai jamais autant adorée… et que rien désormais, ne pourra me séparer de vous.

– Même si je vous ordonnais de disparaître de ma vie ?

M. de Thouars blêmit. Puis, d'une voix rauque où il y avait à la fois tous les désespoirs et toutes les prières, il s'écria : – Non, non, ne me demandez pas cela !… Ne m'imposez pas une aussi terrible épreuve. J'ai déjà trop souffert, je ne supporterais pas un tel surcroît de douleur. Et tandis qu'une flamme de menace illuminait son regard, il martela en serrant les poings : – Et qui sait, alors… ce qui arriverait ?…

Simone se releva et marcha droit sur lui…

Puis l'entourant de ses bras, elle fit avec un accent qui révélait enfin le secret qu'elle avait été assez forte pour garder en elle : – Imbécile !… c'est toi que j'ai toujours aimé. Bouleversé, M. de Thouars allait lui crier sa joie, son ivresse, mais Simone lui mit la main sur la bouche en lui ordonnant :

– Je sais ce que tu vas me dire ! Bellegarde, n'est-ce pas ? Eh bien ! je vais tout te raconter. J'ai été, je l'avoue, attirée vers ce journaliste et j'avais même eu l'espoir que je pourrais trouver en lui un auxiliaire… Ou plus précisément un complice… « Mais j'ai tout de suite compris que je faisais fausse route. D'abord, c'était un honnête homme, et puis il n'avait eu pour moi qu'un caprice… vite dissipé… J'en fus, je ne le cache pas, tellement mortifiée dans mon honneur de femme que je me mis à le haïr férocement. « Ce fut alors que j'eus l'idée de lui mettre sur le dos les exploits de Belphégor… Mais, avant tout, pour atteindre mon but, il était indispensable qu'il me crût toujours passionnément attachée à lui… « Voilà pourquoi je lui jouai la comédie que vous savez…

– Et qui m'a tant fait souffrir ! – Ne vous en plaignez pas… puisque votre chagrin m'a permis de me rendre compte que vous m'aimiez ainsi que j'entends l'être ! – Oui… aveuglément… passionnément… affirmait le beau Maurice.

Et sur un ton de tendre reproche, il ajouta :

– Ah ! si j'avais su ! Si j'avais pu deviner !… – Les amoureux sont trop imprudents pour qu'on leur fasse d'entières confidences. Je jouais une telle partie qu'une phrase, un mot, un rien pouvaient la compromettre. Bien qu'il m'en coûtât de vous torturer, je ne voulais pas risquer de perdre la victoire. Mais à présent que le trésor des Valois est à nous, je vais pouvoir enfin réaliser un rêve dont j'avais fait ma devise : Vivre ma vie… c'est-à-dire partir loin, très loin, voyager sans cesse à travers des pays nouveaux, inconnus… sous les cieux les plus divers, en pleine nature, parmi des paysages de songe… des décors formidables… et cela avec l'homme que j'ai choisi librement, entre tous, avec celui que j'aime, avec toi… toi !… Un long baiser scella ce pacte que contresignaient le crime, la lâcheté, l'infamie, toutes les hontes. On frappait à la porte. Les deux amants se séparèrent. Simone, d'un ton irrité, proféra : – Entrez !

La silhouette du bossu apparut.

À sa vue, Mlle Desroches eut un geste d'impatience. Avec un sourire hypocrite, Lüchner disait :

– Excusez-moi de vous déranger. Mais le temps presse.

Simone et Maurice de Thouars l'interrogèrent du regard. Le bossu reprit :

– Vous oubliez que nous n'avons pas réussi à nous débarrasser de Chantecoq, et tant qu'il sera vivant, nous pourrons toujours redouter qu'il découvre notre piste. – C'est juste, ponctua le bellâtre. Mais Simone s'écriait d'un air mystérieux et menaçant : – Belphégor n'a pas dit son dernier mot… Et M. Chantecoq fera bien de ne pas se mettre en travers de notre route… car je lui ménage une surprise à laquelle il ne s'attend pas. M. de Thouars et Lüchner échangèrent un regard de surprise.

Alors… d'une voix stridente, Mlle Desroches leur lança : – Puisque vous n'avez pas été assez adroits pour le supprimer ou tout au moins pour l'empêcher de nous nuire… moi, j'ai fait le nécessaire… « Dans quelques heures, la fille de notre ennemi sera entre nos mains… Nous verrons bien alors si M. Chantecoq ne fait pas « camarade » !

Le bossu allait parler… Mais, d'un signe d'impatience, elle lui imposa silence… Puis, elle fit, sur un ton d'autorité souveraine : – Allons nous reposer… Au point du jour, nous commencerons la fonte de l'or… M. de Thouars fit un pas vers elle.

– À demain, lui dit-elle.

Et s'approchant de lui, elle lui dit tout bas : – À toujours !…

Et soulevant une portière, elle disparut dans une pièce voisine.

– Quelle femme !… grommela le bossu… Mais malgré tout, je ne serai tout à fait tranquille que lorsque j'aurai ma part du magot !