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Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas, Tome 2, 39. Les convives

39. Les convives

Les convives.

Dans cette maison de la rue du Helder, où Albert de Morcerf avait donné rendez-vous, à Rome, au comte de Monte-Cristo, tout se préparait dans la matinée du 21 mai pour faire honneur à la parole du jeune homme.

Albert de Morcerf habitait un pavillon situé à l'angle d'une grande cour et faisant face à un autre bâtiment destiné aux communs. Deux fenêtres de ce pavillon seulement donnaient sur la rue, les autres étaient percées, trois sur la cour et deux autres en retour sur le jardin.

Entre cette cour et ce jardin s'élevait, bâtie avec le mauvais goût de l'architecture impériale, l'habitation fashionable et vaste du comte et de la comtesse de Morcerf.

Sur toute la largeur de la propriété régnait, donnant sur la rue, un mur surmonté, de distance en distance, de vases de fleurs, et coupé au milieu par une grande grille aux lances dorées, qui servait aux entrées d'apparat; une petite porte presque accolée à la loge du concierge donnait passage aux gens de service ou aux maîtres entrant ou sortant à pied.

On devinait, dans ce choix du pavillon destiné à l'habitation d'Albert, la délicate prévoyance d'une mère qui, ne voulant pas se séparer de son fils, avait cependant compris qu'un jeune homme de l'âge du vicomte avait besoin de sa liberté tout entière. On y reconnaissait aussi, d'un autre côté, nous devons le dire, l'intelligent égoïsme du jeune homme, épris de cette vie libre et oisive, qui est celle des fils de famille, et qu'on lui dorait comme à l'oiseau sa cage.

Par les deux fenêtres donnant sur la rue, Albert de Morcerf pouvait faire ses explorations au-dehors. La vue du dehors est si nécessaire aux jeunes gens qui veulent toujours voir le monde traverser leur horizon, cet horizon ne fût-il que celui de la rue! Puis son exploration faite, si cette exploration paraissait mériter un examen plus approfondi, Albert de Morcerf pouvait, pour se livrer à ses recherches, sortir par une petite porte faisant pendant à celle que nous avons indiquée près de la loge du portier, et qui mérite une mention particulière.

C'était une petite porte qu'on eût dit oubliée de tout le monde depuis le jour où la maison avait été bâtie, et qu'on eût cru condamnée à tout jamais, tant elle semblait discrète et poudreuse, mais dont la serrure et les gonds, soigneusement huilés, annonçaient une pratique mystérieuse et suivie. Cette petite porte sournoise faisait concurrence aux deux autres et se moquait du concierge, à la vigilance et à la juridiction duquel elle échappait, s'ouvrant comme la fameuse porte de la caverne des Mille et une Nuits , comme la Sésame enchantée d'Ali-Baba, au moyen de quelques mots cabalistiques, ou de quelques grattements convenus, prononcés par les plus douces voix ou opérés par les doigts les plus effilés du monde.

Au bout d'un corridor vaste et calme, auquel communiquait cette petite porte et qui faisait antichambre, s'ouvrait, à droite, la salle à manger d'Albert donnant sur la cour, et, à gauche, son petit salon donnant sur le jardin. Des massifs, des plantes grimpantes s'élargissant en éventail devant les fenêtres, cachaient à la cour et au jardin l'intérieur de ces deux pièces, les seules placées au rez-de-chaussée comme elles l'étaient, où pussent pénétrer les regards indiscrets.

Au premier, ces deux pièces se répétaient, enrichies d'une troisième, prise sur l'antichambre. Ces trois pièces étaient un salon, une chambre à coucher et un boudoir.

Le salon d'en bas n'était qu'une espèce de divan algérien destiné aux fumeurs.

Le boudoir du premier donnait dans la chambre à coucher, et, par une porte invisible, communiquait avec l'escalier. On voit que toutes les mesures de précaution étaient prises.

Au-dessus de ce premier étage régnait un vaste atelier, que l'on avait agrandi en jetant bas murailles et cloisons, pandémonium que l'artiste disputait au dandy. Là se réfugiaient et s'entassaient tous les caprices successifs d'Albert, les cors de chasse, les basses, les flûtes, un orchestre complet, car Albert avait eu un instant, non pas le goût, mais la fantaisie de la musique; les chevalets, les palettes, les pastels, car à la fantaisie de la musique avait succédé la fatuité de la peinture; enfin les fleurets, les gants de boxe, les espadons et les cannes de tout genre; car enfin, suivant les traditions des jeunes gens à la mode de l'époque où nous sommes arrivés, Albert de Morcerf cultivait, avec infiniment plus de persévérance qu'il n'avait fait de la musique et de la peinture, ces trois arts qui complètent l'éducation léonine, c'est-à-dire l'escrime, la boxe et le bâton, et il recevait successivement dans cette pièce, destinée à tous les exercices du corps, Grisier, Cooks et Charles Leboucher.

Le reste des meubles de cette pièce privilégiée étaient de vieux bahuts du temps de François Ier, bahuts pleins de porcelaines de Chine, de vases du Japon, de faïences de Luca della Robbia et de plats de Bernard de Palissy; d'antiques fauteuils où s'étaient peut-être assis Henri IV ou Sully, Louis XIII ou Richelieu, car deux de ces fauteuils, ornés d'un écusson sculpté où brillaient sur l'azur les trois fleurs de lis de France surmontées d'une couronne royale, sortaient visiblement des garde-meubles du Louvre, ou tout au moins de celui de quelque château royal. Sur ces fauteuils aux fonds sombres et sévères, étaient jetées pêle-mêle de riches étoffes aux vives couleurs, teintes au soleil de la Perse ou écloses sous les doigts des femmes de Calcutta ou de Chandernagor. Ce que faisaient là ces étoffes, on n'eût pas pu le dire; elles attendaient, en récréant les yeux, une destination inconnue à leur propriétaire lui-même, et, en attendant, elles illuminaient l'appartement de leurs reflets soyeux et dorés.

À la place la plus apparente se dressait un piano, taillé par Roller et Blanchet dans du bois de rose, piano à la taille de nos salons de Lilliputiens, renfermant cependant un orchestre dans son étroite et sonore cavité, et gémissant sous le poids des chefs-d'œuvre de Beethoven, de Weber, de Mozart, d'Haydn, de Grétry et de Porpora.

Puis, partout, le long des murailles, au-dessus des portes, au plafond, des épées, des poignards, des criks, des masses, des haches, des armures complètes dorées, damasquinées, incrustées; des herbiers, des blocs de minéraux, des oiseaux bourrés de crin, ouvrant pour un vol immobile leurs ailes couleur de feu et leur bec qu'ils ne ferment jamais.

Il va sans dire que cette pièce était la pièce de prédilection d'Albert.

Cependant, le jour du rendez-vous, le jeune homme, en demi-toilette, avait établi son quartier général dans le petit salon du rez-de-chaussée. Là, sur une table entourée à distance d'un divan large et moelleux, tous les tabacs connus, depuis le tabac jaune de Pétersbourg, jusqu'au tabac noir du Sinaï, en passant par le maryland, le porto-rico et le latakiéh, resplendissaient dans les pots de faïence craquelée qu'adorent les Hollandais. À côté d'eux, dans des cases de bois odorant, étaient rangés, par ordre de taille et de qualité, les puros, les régalias, les havanes et les manilles; enfin dans une armoire tout ouverte, une collection de pipes allemandes, de chibouques aux bouquins d'ambre, ornées de corail, et de narguilés incrustés d'or, aux longs tuyaux de maroquin roulés comme des serpents, attendaient le caprice ou la sympathie des fumeurs. Albert avait présidé lui-même à l'arrangement ou plutôt au désordre symétrique qu'après le café, les convives d'un déjeuner moderne aiment à contempler à travers la vapeur qui s'échappe de leur bouche et qui monte au plafond en longues et capricieuses spirales.

À dix heures moins un quart, un valet de chambre entra. C'était un petit groom de quinze ans, ne parlant qu'anglais et répondant au nom de John, tout le domestique de Morcerf. Bien entendu que dans les jours ordinaires le cuisinier de l'hôtel était à sa disposition, et que dans les grandes occasions le chasseur du comte l'était également.

Ce valet de chambre, qui s'appelait Germain et qui jouissait de la confiance entière de son jeune maître, tenait à la main une liasse de journaux qu'il déposa sur une table, et un paquet de lettres qu'il remit à Albert.

Albert jeta un coup d'œil distrait sur ces différentes missives, en choisit deux aux écritures fines et aux enveloppes parfumées, les décacheta et les lut avec une certaine attention.

«Comment sont venues ces lettres? demanda-t-il.

—L'une est venue par la poste, l'autre a été apportée par le valet de chambre de Mme Danglars.

—Faites dire à Mme Danglars que j'accepte la place qu'elle m'offre dans sa loge.... Attendez donc... puis, dans la journée, vous passerez chez Rosa; vous lui direz que j'irai, comme elle m'y invite, souper avec elle en sortant de l'Opéra, et vous lui porterez six bouteilles de vins assortis, de Chypre, de Xérès, de Malaga, et un baril d'huîtres d'Ostende.... Prenez les huîtres chez Borel, et dites surtout que c'est pour moi.

—À quelle heure monsieur veut-il être servi?

—Quelle heure avons-nous?

—Dix heures moins un quart.

—Eh bien, servez pour dix heures et demie précises. Debray sera peut-être forcé d'aller à son ministère.... Et d'ailleurs... (Albert consulta ses tablettes), c'est bien l'heure que j'ai indiquée au comte, le 21 mai, à dix heures et demie du matin, et quoique je ne fasse pas grand fond sur sa promesse, je veux être exact. À propos, savez-vous si Mme la comtesse est levée?

—Si monsieur le vicomte le désire, je m'en informerai.

—Oui... vous lui demanderez une de ses caves à liqueurs, la mienne est incomplète, et vous lui direz que j'aurai l'honneur de passer chez elle vers trois heures, et que je lui fais demander la permission de lui présenter quelqu'un.»

Le valet sorti, Albert se jeta sur le divan, déchira l'enveloppe de deux ou trois journaux, regarda les spectacles, fit la grimace en reconnaissant que l'on jouait un opéra et non un ballet, chercha vainement dans les annonces de parfumerie un opiat pour les dents dont on lui avait parlé, et rejeta l'une après l'autre les trois feuilles les plus courues de Paris, en murmurant au milieu d'un bâillement prolongé:

«En vérité, ces journaux deviennent de plus en plus assommants.»

En ce moment une voiture légère s'arrêta devant la porte, et un instant après le valet de chambre rentra pour annoncer M. Lucien Debray. Un grand jeune homme blond, pâle, à l'œil gris et assuré, aux lèvres minces et froides, à l'habit bleu aux boutons d'or ciselés, à la cravate blanche, au lorgnon d'écaille suspendu par un fil de soie, et que, par un effort du nerf sourcilier et du nerf zygomatique, il parvenait à fixer de temps en temps dans la cavité de son œil droit, entra sans sourire, sans parler et d'un air demi-officiel.

«Bonjour, Lucien.... Bonjour! dit Albert.

Ah! vous m'effrayez, mon cher, avec votre exactitude! Que dis-je? exactitude! Vous que je n'attendais que le dernier, vous arrivez à dix heures moins cinq minutes, lorsque le rendez-vous définitif n'est qu'à dix heures et demie! C'est miraculeux! Le ministère serait-il renversé, par hasard?

—Non, très cher, dit le jeune homme en s'incrustant dans le divan; rassurez-vous, nous chancelons toujours, mais nous ne tombons jamais, et je commence à croire que nous passons tout bonnement à l'inamovibilité, sans compter que les affaires de la Péninsule vont nous consolider tout à fait.

—Ah! oui, c'est vrai, vous chassez don Carlos d'Espagne.

—Non pas, très cher, ne confondons point, nous le ramenons de l'autre côté de la frontière de France, et nous lui offrons une hospitalité royale à Bourges.

—À Bourges?

—Oui, il n'a pas à se plaindre, que diable! Bourges est la capitale du roi Charles VII. Comment! vous ne saviez pas cela? C'est connu depuis hier de tout Paris, et avant-hier la chose avait déjà transpiré à la Bourse, car M. Danglars (je ne sais point par quel moyen cet homme sait les nouvelles en même temps que nous), car M. Danglars a joué à la hausse et a gagné un million.

—Et vous, un ruban nouveau, à ce qu'il paraît; car je vois un liséré bleu ajouté à votre brochette?

—Heu! ils m'ont envoyé la plaque de Charles III, répondit négligemment Debray.

—Allons ne faites donc pas l'indifférent, et avouez que la chose vous a fait plaisir à recevoir.

—Ma foi, oui, comme complément de toilette, une plaque fait bien sur un habit noir boutonné, c'est élégant.

—Et, dit Morcerf en souriant, on a l'air du prince de Galles ou du duc de Reichstadt.

—Voilà donc pourquoi vous me voyez si matin, très cher.

—Parce que vous avez la plaque de Charles III et que vous vouliez m'annoncer cette bonne nouvelle?

—Non; parce que j'ai passé la nuit à expédier des lettres: vingt-cinq dépêches diplomatiques. Rentré chez moi ce matin au jour, j'ai voulu dormir; mais le mal de tête m'a pris, et je me suis relevé pour monter à cheval une heure. À Boulogne, l'ennui et la faim m'ont saisi, deux ennemis qui vont rarement ensemble, et qui cependant se sont ligués contre moi: une espèce d'alliance carlos-républicaine; je me suis alors souvenu que l'on festinait chez vous ce matin, et me voilà: j'ai faim, nourrissez-moi; je m'ennuie, amusez-moi.

—C'est mon devoir d'amphitryon, cher ami», dit Albert en sonnant le valet de chambre, tandis que Lucien faisait sauter, avec le bout de sa badine à pomme d'or incrustée de turquoise, les journaux dépliés. «Germain, un verre de xérès et un biscuit. En attendant, mon cher Lucien, voici des cigares de contrebande, bien entendu; je vous engage à en goûter et à inviter votre ministre à nous en vendre de pareils, au lieu de ces espèces de feuilles de noyer qu'il condamne les bons citoyens à fumer.

—Peste! je m'en garderais bien. Du moment où ils vous viendraient du gouvernement vous n'en voudriez plus et les trouveriez exécrables. D'ailleurs, cela ne regarde point l'intérieur, cela regarde les finances: adressez-vous à M. Humann, section des contributions indirectes, corridor A, n° 26.

—En vérité, dit Albert, vous m'étonnez par l'étendue de vos connaissances. Mais prenez donc un cigare!

—Ah! cher vicomte, dit Lucien en allumant un manille à une bougie rose brûlant dans un bougeoir de vermeil et en se renversant sur le divan, ah! cher vicomte, que vous êtes heureux de n'avoir rien à faire! En vérité, vous ne connaissez pas votre bonheur!

—Et que feriez-vous donc, mon cher pacificateur de royaumes, reprit Morcerf avec une légère ironie, si vous ne faisiez rien? Comment! secrétaire particulier d'un ministre, lancé à la fois dans la grande cabale européenne et dans les petites intrigues de Paris; ayant des rois, et, mieux que cela, des reines à protéger, des partis à réunir, des élections à diriger; faisant plus de votre cabinet avec votre plume et votre télégraphe, que Napoléon ne faisait de ses champs de bataille avec son épée et ses victoires; possédant vingt-cinq mille livres de rente en dehors de votre place; un cheval dont Château-Renaud vous a offert quatre cents louis, et que vous n'avez pas voulu donner; un tailleur qui ne vous manque jamais un pantalon; ayant l'Opéra, le Jockey-Club et le théâtre des Variétés, vous ne trouvez pas dans tout cela de quoi vous distraire? Eh bien, soit, je vous distrairai, moi.

—Comment cela?

—En vous faisant faire une connaissance nouvelle.

—En homme ou en femme?

—En homme.

—Oh! j'en connais déjà beaucoup!

—Mais vous n'en connaissez pas comme celui dont je vous parle.

—D'où vient-il donc? du bout du monde?

—De plus loin peut-être.

—Ah diable! j'espère qu'il n'apporte pas notre déjeuner?

—Non, soyez tranquille, notre déjeuner se confectionne dans les cuisines maternelles. Mais vous avez donc faim?

—Oui, je l'avoue, si humiliant que cela soit à dire. Mais j'ai dîné hier chez M. de Villefort; et avez-vous remarqué cela, cher ami? on dîne très mal chez tous ces gens du parquet; on dirait toujours qu'ils ont des remords.

—Ah! pardieu, dépréciez les dîners des autres, avec cela qu'on dîne bien chez vos ministres.

—Oui, mais nous n'invitons pas les gens comme il faut, au moins; et si nous n'étions pas obligés de faire les honneurs de notre table à quelques croquants qui pensent et surtout qui votent bien, nous nous garderions comme de la peste de dîner chez nous, je vous prie de croire.

—Alors, mon cher, prenez un second verre de xérès et un autre biscuit.

—Volontiers, votre vin d'Espagne est excellent; vous voyez bien que nous avons eu tout à fait raison de pacifier ce pays-là.

—Oui, mais don Carlos?

—Eh bien, don Carlos boira du vin de Bordeaux et dans dix ans nous marierons son fils à la petite reine.

—Ce qui vous vaudra la Toison d'or, si vous êtes encore au ministère.

—Je crois, Albert, que vous avez adopté pour système ce matin de me nourrir de fumée.

—Eh! c'est encore ce qui amuse le mieux l'estomac, convenez-en; mais, tenez, justement j'entends la voix de Beauchamp dans l'antichambre, vous vous disputerez, cela vous fera prendre patience.

—À propos de quoi?

—À propos de journaux.

—Oh! cher ami, dit Lucien avec un souverain mépris, est-ce que je lis les journaux!

—Raison de plus, alors vous vous disputerez bien davantage.

—M. Beauchamp! annonça le valet de chambre.

—Entrez, entrez! plume terrible! dit Albert en se levant et en allant au-devant du jeune homme. Tenez, voici Debray qui vous déteste sans vous lire, à ce qu'il dit du moins.

—Il a bien raison, dit Beauchamp, c'est comme moi, je le critique sans savoir ce qu'il fait. Bonjour, commandeur.

—Ah! vous savez déjà cela, répondit le secrétaire particulier en échangeant avec le journaliste une poignée de main et un sourire.

—Pardieu! reprit Beauchamp.

—Et qu'en dit-on dans le monde?

—Dans quel monde? Nous avons beaucoup de mondes en l'an de grâce 1838.

—Eh! dans le monde critico-politique, dont vous êtes un des lions.

—Mais on dit que c'est chose fort juste, et que vous semez assez de rouge pour qu'il pousse un peu de bleu.

—Allons, allons, pas mal, dit Lucien: pourquoi n'êtes vous pas des nôtres, mon cher Beauchamp? Ayant de l'esprit comme vous en avez, vous feriez fortune en trois ou quatre ans.

—Aussi, je n'attends qu'une chose pour suivre votre conseil: c'est un ministère qui soit assuré pour six mois. Maintenant, un seul mot, mon cher Albert, car aussi bien faut-il que je laisse respirer le pauvre Lucien. Déjeunons-nous ou dînons-nous? J'ai la Chambre, moi. Tout n'est pas rose, comme vous le voyez, dans notre métier.

—On déjeunera seulement; nous n'attendons plus que deux personnes, et l'on se mettra à table aussitôt qu'elles seront arrivées.

—Et quelles sortes de personnes attendez-vous à déjeuner? dit Beauchamp.

—Un gentilhomme et un diplomate, reprit Albert.

—Alors c'est l'affaire de deux petites heures pour le gentilhomme et de deux grandes heures pour le diplomate. Je reviendrai au dessert. Gardez-moi des fraises, du café et des cigares. Je mangerai une côtelette à la Chambre.

—N'en faites rien, Beauchamp, car le gentilhomme fût-il un Montmorency, et le diplomate un Metternich, nous déjeunerons à dix heures et demie précises; en attendant faites comme Debray, goûtez mon xérès et mes biscuits.

—Allons donc, soit, je reste. Il faut absolument que je me distraie ce matin.

—Bon, vous voilà comme Debray! Il me semble cependant que lorsque le ministère est triste l'opposition doit être gaie.

—Ah! voyez-vous, cher ami, c'est que vous ne savez point ce qui me menace. J'entendrai ce matin un discours de M. Danglars à la Chambre des députés, et ce soir, chez sa femme, une tragédie d'un pair de France. Le diable emporte le gouvernement constitutionnel! et puisque nous avions le choix, à ce qu'on dit, comment avons-nous choisi celui-là?

—Je comprends; vous avez besoin de faire provision d'hilarité.

—Ne dites donc pas de mal des discours de M. Danglars, dit Debray: il vote pour vous, il fait de l'opposition.

—Voilà, pardieu, bien le mal! aussi j'attends que vous l'envoyiez discourir au Luxembourg pour en rire tout à mon aise.

—Mon cher, dit Albert à Beauchamp, on voit bien que les affaires d'Espagne sont arrangées, vous êtes ce matin d'une aigreur révoltante. Rappelez-vous donc que la chronique parisienne parle d'un mariage entre moi et Mlle Eugénie Danglars. Je ne puis donc pas, en conscience, vous laisser mal parler de l'éloquence d'un homme qui doit me dire un jour: «Monsieur le vicomte, vous savez que je donne deux millions à ma fille.»

—Allons donc! dit Beauchamp, ce mariage ne se fera jamais. Le roi a pu le faire baron, il pourra le faire pair, mais il ne le fera point gentilhomme, et le comte de Morcerf est une épée trop aristocratique pour consentir, moyennant deux pauvres millions, à une mésalliance. Le vicomte de Morcerf ne doit épouser qu'une marquise.

—Deux millions! c'est cependant joli! reprit Morcerf.

—C'est le capital social d'un théâtre de boulevard ou d'un chemin de fer du jardin des Plantes à la Râpée.

—Laissez-le dire, Morcerf, reprit nonchalamment Debray, et mariez-vous. Vous épousez l'étiquette d'un sac, n'est-ce pas? eh bien, que vous importe! mieux vaut alors sur cette étiquette un blason de moins et un zéro de plus; vous avez sept merlettes dans vos armes, vous en donnerez trois à votre femme et il vous en restera encore quatre. C'est une de plus qu'a M. de Guise, qui a failli être roi de France, et dont le cousin germain était empereur d'Allemagne.

—Ma foi, je crois que vous avez raison, Lucien, répondit distraitement Albert.

—Et certainement! D'ailleurs tout millionnaire est noble comme un bâtard, c'est-à-dire qu'il peut l'être.

—Chut! ne dites pas cela, Debray, reprit en riant Beauchamp, car voici Château-Renaud qui, pour vous guérir de votre manie de paradoxer, vous passera au travers du corps l'épée de Renaud de Montauban, son ancêtre.

—Il dérogerait alors, répondit Lucien, car je suis vilain et très vilain.

—Bon! s'écria Beauchamp, voilà le ministère qui chante du Béranger, où allons-nous, mon Dieu?

—M. de Château-Renaud! M. Maximilien Morrel! dit le valet de chambre, en annonçant deux nouveaux convives.

—Complets alors! dit Beauchamp, et nous allons déjeuner; car, si je ne me trompe, vous n'attendiez plus que deux personnes, Albert?

—Morrel! murmura Albert surpris; Morrel! qu'est-ce que cela?»

Mais avant qu'il eût achevé, M. de Château-Renaud, beau jeune homme de trente ans, gentilhomme des pieds à la tête, c'est-à-dire avec la figure d'un Guiche et l'esprit d'un Mortemart, avait pris Albert par la main:

«Permettez-moi, mon cher, lui dit-il, de vous présenter M. le capitaine de spahis Maximilien Morrel, mon ami, et de plus mon sauveur. Au reste, l'homme se présente assez bien par lui-même. Saluez mon héros, vicomte.»

Et il se rangea pour démasquer ce grand et noble jeune homme au front large, à l'œil perçant, aux moustaches noires, que nos lecteurs se rappellent avoir vu à Marseille, dans une circonstance assez dramatique pour qu'ils ne l'aient point encore oublié. Un riche uniforme, demi-français, demi-oriental, admirablement porté faisait valoir sa large poitrine décorée de la croix de la Légion d'honneur, et ressortir la cambrure hardie de sa taille. Le jeune officier s'inclina avec une politesse d'élégance; Morrel était gracieux dans chacun de ses mouvements, parce qu'il était fort.

«Monsieur, dit Albert avec une affectueuse courtoisie, M. le baron de Château-Renaud savait d'avance tout le plaisir qu'il me procurait en me faisant faire votre connaissance; vous êtes de ses amis, monsieur, soyez des nôtres.

—Très bien, dit Château-Renaud, et souhaitez, mon cher vicomte, que le cas échéant il fasse pour vous ce qu'il a fait pour moi.

—Et qu'a-t-il donc fait? demanda Albert.

—Oh! dit Morrel, cela ne vaut pas la peine d'en parler, et monsieur exagère.

—Comment! dit Château-Renaud, cela ne vaut pas la peine d'en parler! La vie ne vaut pas la peine qu'on en parle!... En vérité, c'est par trop philosophique ce que vous dites là, mon cher monsieur Morrel.... Bon pour vous qui exposez votre vie tous les jours, mais pour moi qui l'expose une fois par hasard....

—Ce que je vois de plus clair dans tout cela, baron, c'est que M. le capitaine Morrel vous a sauvé la vie.

—Oh! mon Dieu, oui, tout bonnement, reprit Château-Renaud.

—Et à quelle occasion? demanda Beauchamp.

—Beauchamp, mon ami, vous saurez que je meurs de faim, dit Debray, ne donnez donc pas dans les histoires.

—Eh bien, mais, dit Beauchamp, je n'empêche pas qu'on se mette à table, moi.... Château-Renaud nous racontera cela à table.

—Messieurs, dit Morcerf, il n'est encore que dix heures un quart, remarquez bien cela, et nous attendons un dernier convive.

—Ah! c'est vrai, un diplomate, reprit Debray.

—Un diplomate, ou autre chose, je n'en sais rien, ce que je sais, c'est que pour mon compte je l'ai chargé d'une ambassade qu'il a si bien terminée à ma satisfaction, qui si j'avais été roi, je l'eusse fait à l'instant même chevalier de tous mes ordres, eussé-je eu à la fois la disposition de la Toison d'or et de la Jarretière.

—Alors, puisqu'on ne se met point encore à table, dit Debray, versez-vous un verre de xérès comme nous avons fait, et racontez-nous cela, baron.

—Vous savez tous que l'idée m'était venue d'aller en Afrique.

—C'est un chemin que vos ancêtres vous ont tracé, mon cher Château-Renaud, répondit galamment Morcerf.

—Oui, mais je doute que cela fût, comme eux, pour délivrer le tombeau du Christ.

—Et vous avez raison, Beauchamp, dit le jeune aristocrate; c'était tout bonnement pour faire le coup de pistolet en amateur. Le duel me répugne, comme vous savez, depuis que deux témoins, que j'avais choisis pour accommoder une affaire, m'ont forcé de casser le bras à un de mes meilleurs amis... eh pardieu! à ce pauvre Franz d'Épinay, que vous connaissez tous.

—Ah oui! c'est vrai, dit Debray, vous vous êtes battu dans le temps... À quel propos?

—Le diable m'emporte si je m'en souviens! dit Château-Renaud; mais ce que je me rappelle parfaitement, c'est qu'ayant honte de laisser dormir un talent comme le mien, j'ai voulu essayer sur les Arabes des pistolets neufs dont on venait de me faire cadeau. En conséquence je m'embarquai pour Oran; d'Oran je gagnai Constantine, et j'arrivai juste pour voir lever le siège. Je me mis en retraite comme les autres. Pendant quarante-huit heures je supportai assez bien la pluie le jour, la neige la nuit; enfin, dans la troisième matinée, mon cheval mourut de froid. Pauvre bête! accoutumée aux couvertures et au poêle de l'écurie... un cheval arabe qui seulement s'est trouvé un peu dépaysé en rencontrant dix degrés de froid en Arabie.

—C'est pour cela que vous voulez m'acheter mon cheval anglais, dit Debray; vous supposez qu'il supportera mieux le froid que votre arabe.

—Vous vous trompez, car j'ai fait vœu de ne plus retourner en Afrique.

—Vous avez donc eu bien peur? demanda Beauchamp.

—Ma foi, oui, je l'avoue, répondit Château-Renaud; et il y avait de quoi! Mon cheval était donc mort; je faisais ma retraite à pied; six Arabes vinrent au galop pour me couper la tête, j'en abattis deux de mes deux coups de fusil, deux de mes deux coups de pistolet, mouches pleines; mais il en restait deux, et j'étais désarmé. L'un me prit par les cheveux, c'est pour cela que je les porte courts maintenant, on ne sait pas ce qui peut arriver, l'autre m'enveloppa le cou de son yatagan, et je sentais déjà le froid aigu du fer, quand monsieur, que vous voyez, chargea à son tour sur eux, tua celui qui me tenait par les cheveux d'un coup de pistolet, et fendit la tête de celui qui s'apprêtait à me couper la gorge d'un coup de sabre. Monsieur s'était donné pour tâche de sauver un homme ce jour-là, le hasard a voulu que ce fût moi; quand je serai riche, je ferai faire par Klagmann ou par Marochetti une statue du Hasard.

—Oui, dit en souriant Morrel, c'était le 5 septembre, c'est-à-dire l'anniversaire d'un jour où mon père fut miraculeusement sauvé; aussi, autant qu'il est en mon pouvoir, je célèbre tous les ans ce jour-là par quelque action....

—Héroïque, n'est-ce pas? interrompit Château-Renaud; bref, je fus l'élu, mais ce n'est pas tout. Après m'avoir sauvé du fer, il me sauva du froid, en me donnant, non pas la moitié de son manteau, comme faisait saint Martin, mais en me le donnant tout entier; puis de la faim, en partageant avec moi, devinez quoi?

—Un pâté de chez Félix? demanda Beauchamp.

—Non pas, son cheval, dont nous mangeâmes chacun un morceau de grand appétit: c'était dur.

—Le cheval? demanda en riant Morcerf.

—Non, le sacrifice, répondit Château-Renaud. Demandez à Debray s'il sacrifierait son anglais pour un étranger?

—Pour un étranger, non, dit Debray mais pour un ami, peut-être.

—Je devinai que vous deviendriez le mien, monsieur le baron, dit Morrel; d'ailleurs, j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, héroïsme ou non, sacrifice ou non, ce jour-là je devais une offrande à la mauvaise fortune en récompense de la faveur que nous avait faite autrefois la bonne.

—Cette histoire à laquelle M. Morrel fait allusion, continua Château-Renaud, est toute une admirable histoire qu'il vous racontera un jour, quand vous aurez fait avec lui plus ample connaissance; pour aujourd'hui, garnissons l'estomac et non la mémoire. À quelle heure déjeunez-vous, Albert.

—À dix heures et demie.

—Précises? demanda Debray en tirant sa montre.

—Oh! vous m'accorderez bien les cinq minutes de grâce, dit Morcerf, car, moi aussi, j'attends un sauveur.

—À qui?

—À moi, parbleu! répondit Morcerf.

Croyez-vous donc qu'on ne puisse pas me sauver comme un autre et qu'il n'y a que les Arabes qui coupent la tête! Notre déjeuner est un déjeuner philanthropique, et nous aurons à notre table, je l'espère du moins, deux bienfaiteurs de l'humanité.

—Comment ferons-nous? dit Debray, nous n'avons qu'un prix Montyon?

—Eh bien, mais on le donnera à quelqu'un qui n'aura rien fait pour l'avoir, dit Beauchamp. C'est de cette façon-là que d'ordinaire l'Académie se tire d'embarras.

—Et d'où vient-il? demanda Debray; excusez l'insistance; vous avez déjà, je le sais bien, répondu à cette question, mais assez vaguement pour que je me permette de la poser une seconde fois.

—En vérité, dit Albert, je n'en sais rien. Quand je l'ai invité, il y a trois mois de cela, il était à Rome; mais depuis ce temps-là, qui peut dire le chemin qu'il a fait!

—Et le croyez-vous capable d'être exact? demanda Debray.

—Je le crois capable de tout, répondit Morcerf.

—Faites attention qu'avec les cinq minutes de grâce, nous n'avons plus que dix minutes.

—Eh bien, j'en profiterai pour vous dire un mot de mon convive.

—Pardon, dit Beauchamp, y a-t-il matière à un feuilleton dans ce que vous allez nous raconter?

—Oui, certes, dit Morcerf, et des plus curieux, même.

—Dites alors, car je vois bien que je manquerai la Chambre; il faut bien que je me rattrape.

—J'étais à Rome au carnaval dernier.

—Nous savons cela, dit Beauchamp.

—Oui, mais ce que vous ne savez pas, c'est que j'avais été enlevé par des brigands.

—Il n'y a pas de brigands, dit Debray.

—Si fait, il y en a, et de hideux même, c'est-à-dire d'admirables, car je les ai trouvés beaux à faire peur.

—Voyons, mon cher Albert, dit Debray, avouez que votre cuisinier est en retard, que les huîtres ne sont pas arrivées de Marennes ou d'Ostende, et qu'à l'exemple de Mme de Maintenon, vous voulez remplacer le plat par un comte. Dites-le, mon cher, nous sommes d'assez bonne compagnie pour vous le pardonner et pour écouter votre histoire, toute fabuleuse qu'elle promet d'être.

—Et, moi, je vous dis, toute fabuleuse qu'elle est, que je vous la donne pour vraie d'un bout à l'autre. Les brigands m'avaient donc enlevé et m'avaient conduit dans un endroit fort triste qu'on appelle les catacombes de Saint-Sébastien.

—Je connais cela, dit Château-Renaud, j'ai manqué d'y attraper la fièvre.

—Et, moi, j'ai fait mieux que cela, dit Morcerf, je l'ai eue réellement. On m'avait annoncé que j'étais prisonnier sauf rançon, une misère, quatre mille écus romains, vingt-six mille livres tournois. Malheureusement je n'en avais plus que quinze cents; j'étais au bout de mon voyage et mon crédit était épuisé. J'écrivis à Franz. Et, pardieu! tenez, Franz en était, et vous pouvez lui demander si je mens d'une virgule; j'écrivis à Franz que s'il n'arrivait pas à six heures du matin avec les quatre mille écus, à six heures dix minutes j'aurais rejoint les bienheureux saints et les glorieux martyrs dans la compagnie desquels j'avais eu l'honneur de me trouver. Et M. Luigi Vampa, c'est le nom de mon chef de brigands, m'aurait, je vous prie de le croire, tenu scrupuleusement parole.

—Mais Franz arriva avec les quatre mille écus? dit Château-Renaud.

Que diable! on n'est pas embarrassé pour quatre mille écus quand on s'appelle Franz d'Épinay ou Albert de Morcerf.

—Non, il arriva purement et simplement accompagné du convive que je vous annonce et que j'espère vous présenter.

—Ah çà! mais c'est donc un Hercule tuant Cacus, que ce monsieur, un Persée délivrant Andromède?

—Non, c'est un homme de ma taille à peu près.

—Armé jusqu'aux dents?

—Il n'avait pas même une aiguille à tricoter.

—Mais il traita de votre rançon?

—Il dit deux mots à l'oreille du chef, et je fus libre.

—On lui fit même des excuses de vous avoir arrêté, dit Beauchamp.

—Justement, dit Morcerf.

—Ah çà! mais c'était donc l'Arioste que cet homme?

—Non, c'était tout simplement le comte de Monte-Cristo.

—On ne s'appelle pas le comte de Monte-Cristo, dit Debray.

—Je ne crois pas, ajouta Château-Renaud avec le sang-froid d'un homme qui connaît sur le bout du doigt son nobilaire européen; qui est-ce qui connaît quelque part un comte de Monte-Cristo?

—Il vient peut-être de Terre Sainte, dit Beauchamp; un de ses aïeux aura possédé le Calvaire, comme les Mortemart la mer Morte.

—Pardon, dit Maximilien, mais je crois que je vais vous tirer d'embarras, messieurs; Monte-Cristo est une petite île dont j'ai souvent entendu parler aux marins qu'employait mon père: un grain de sable au milieu de la Méditerranée, un atome dans l'infini.

—C'est parfaitement cela, monsieur! dit Albert.

Eh bien, de ce grain de sable, de cet atome, est seigneur et roi celui dont je vous parle; il aura acheté ce brevet de comte quelque part en Toscane.

—Il est donc riche, votre comte?

—Ma foi, je le crois.

—Mais cela doit se voir, ce me semble?

—Voilà ce qui vous trompe, Debray.

—Je ne vous comprends plus.

—Avez-vous lu les Mille et une Nuits ?

—Parbleu! belle question!

—Eh bien, savez-vous donc si les gens qu'on y voit sont riches ou pauvres? si leurs grains de blé ne sont pas des rubis ou des diamants? Ils ont l'air de misérables pêcheurs, n'est-ce pas? vous les traitez comme tels, et tout à coup ils vous ouvrent quelque caverne mystérieuse, où vous trouvez un trésor à acheter l'Inde.

—Après?

—Après, mon comte de Monte-Cristo est un de ces pêcheurs-là. Il a même un nom tiré de la chose, il s'appelle Simbad le marin et possède une caverne pleine d'or.

—Et vous avez vu cette caverne, Morcerf? demanda Beauchamp.

—Non, pas moi, Franz. Mais, chut! il ne faut pas dire un mot de cela devant lui. Franz y est descendu les yeux bandés, et il a été servi par des muets et par des femmes près desquelles, à ce qu'il paraît, Cléopâtre n'est qu'une lorette. Seulement des femmes il n'en est pas bien sûr, vu qu'elles ne sont entrées qu'après qu'il eut mangé du haschich; de sorte qu'il se pourrait bien que ce qu'il a pris pour des femmes fût tout bonnement un quadrille de statues.»

Les jeunes gens regardèrent Morcerf d'un œil qui voulait dire:

«Ah çà, mon cher, devenez-vous insensé, ou vous moquez-vous de nous?

—En effet, dit Morrel pensif, j'ai entendu raconter encore par un vieux marin nommé Penelon quelque chose de pareil à ce que dit là M. de Morcerf.

—Ah! fit Albert, c'est bien heureux que M. Morrel me vienne en aide. Cela vous contrarie, n'est-ce pas, qu'il jette ainsi un peloton de fil dans mon labyrinthe?

—Pardon, cher ami, dit Debray, c'est que vous nous racontez des choses si invraisemblables....

—Ah parbleu! parce que vos ambassadeurs, vos consuls ne vous en parlent pas! Ils n'ont pas le temps, il faut bien qu'ils molestent leurs compatriotes qui voyagent.

—Ah! bon, voilà que vous vous fâchez, et que vous tombez sur nos pauvres agents. Eh! mon Dieu! avec quoi voulez-vous qu'ils vous protègent? la Chambre leur rogne tous les jours leurs appointements; c'est au point qu'on n'en trouve plus. Voulez-vous être ambassadeur, Albert? je vous fais nommer à Constantinople.

—Non pas! pour que le sultan, à la première démonstration que je ferai en faveur de Méhémet-Ali, m'envoie le cordon et que mes secrétaires m'étranglent.

—Vous voyez bien, dit Debray.

—Oui, mais tout cela n'empêche pas mon comte de Monte-Cristo d'exister!

—Pardieu! tout le monde existe, le beau miracle!

—Tout le monde existe, sans doute, mais pas dans des conditions pareilles. Tout le monde n'a pas des esclaves noirs, des galeries princières, des armes comme à la casauba, des chevaux de six mille francs pièce, des maîtresses grecques!

—L'avez-vous vue, la maîtresse grecque?

—Oui, je l'ai vue et entendue. Vue au théâtre Valle, entendue un jour que j'ai déjeuné chez le comte.

—Il mange donc, votre homme extraordinaire?

—Ma foi, s'il mange, c'est si peu, que ce n'est point la peine d'en parler.

—Vous verrez que c'est un vampire.

—Riez si vous voulez. C'était l'opinion de la comtesse G..., qui, comme vous le savez, a connu Lord Ruthwen.

—Ah! joli! dit Beauchamp, voilà pour un homme non journaliste le pendant du fameux serpent de mer du Constitutionnel ; un vampire, c'est parfait!

—Oeil fauve dont la prunelle diminue et se dilate à volonté, dit Debray; angle facial développé, front magnifique, teint livide, barbe noire, dents blanches et aiguës, politesse toute pareille.

—Eh bien, c'est justement cela, Lucien, dit Morcerf, et le signalement est tracé trait pour trait. Oui, politesse aiguë et incisive. Cet homme m'a souvent donné le frisson; un jour entre autres, que nous regardions ensemble une exécution, j'ai cru que j'allais me trouver mal, bien plus de le voir et de l'entendre causer froidement sur tous les supplices de la terre, que de voir le bourreau remplir son office et que d'entendre les cris du patient.

—Ne vous a-t-il pas conduit un peu dans les ruines du Colisée pour vous sucer le sang, Morcerf? demanda Beauchamp.

—Ou, après vous avoir délivré, ne vous a-t-il pas fait signer quelque parchemin couleur de feu, par lequel vous lui cédiez votre âme, comme Ésaü son droit d'aînesse?

—Raillez! raillez tant que vous voudrez, messieurs! dit Morcerf un peu piqué. Quand je vous regarde, vous autres beaux Parisiens, habitués du boulevard de Gand, promeneurs du bois de Boulogne, et que je me rappelle cet homme, eh bien, il me semble que nous ne sommes pas de la même espèce.

—Je m'en flatte! dit Beauchamp.

—Toujours est-il, ajouta Château-Renaud, que votre comte de Monte-Cristo est un galant homme dans ses moments perdus, sauf toutefois ses petits arrangements avec les bandits italiens.

—Eh! il n'y a pas de bandits italiens! dit Debray.

—Pas de vampires! ajouta Beauchamp.

—Pas de comte de Monte-Cristo, ajouta Debray. Tenez, cher Albert, voilà dix heures et demie qui sonnent.

—Avouez que vous avez eu le cauchemar, et allons déjeuner», dit Beauchamp.

Mais la vibration de la pendule ne s'était pas encore éteinte, lorsque la porte s'ouvrit, et que Germain annonça:

«Son Excellence le comte de Monte-Cristo!»

Tous les auditeurs firent malgré eux un bond qui dénotait la préoccupation que le récit de Morcerf avait infiltrée dans leurs âmes. Albert lui-même ne put se défendre d'une émotion soudaine.

On n'avait entendu ni voiture dans la rue, ni pas dans l'antichambre; la porte elle-même s'était ouverte sans bruit.

Le comte parut sur le seuil, vêtu avec la plus grande simplicité, mais le lion le plus exigeant n'eût rien trouvé à reprendre à sa toilette. Tout était d'un goût exquis, tout sortait des mains des plus élégants fournisseurs, habits, chapeau et linge.

Il paraissait âgé de trente-cinq ans à peine, et, ce qui frappa tout le monde, ce fut son extrême ressemblance avec le portrait qu'avait tracé de lui Debray.

Le comte s'avança en souriant au milieu du salon, et vint droit à Albert, qui, marchant au-devant de lui, lui offrit la main avec empressement.

«L'exactitude, dit Monte-Cristo, est la politesse des rois, à ce qu'a prétendu, je crois, un de nos souverains. Mais quelle que soit leur bonne volonté, elle n'est pas toujours celle des voyageurs. Cependant j'espère, mon cher vicomte, que vous excuserez, en faveur de ma bonne volonté, les deux ou trois secondes de retard que je crois avoir mises à paraître au rendez-vous. Cinq cents lieues ne se font pas sans quelque contrariété, surtout en France, où il est défendu, à ce qu'il paraît, de battre les postillons.

—Monsieur le comte, répondit Albert, j'étais en train d'annoncer votre visite à quelques-uns de mes amis que j'ai réunis à l'occasion de la promesse que vous avez bien voulu me faire, et que j'ai l'honneur de vous présenter. Ce sont M. le comte de Château-Renaud, dont la noblesse remonte aux Douze pairs, et dont les ancêtres ont eu leur place à la Table Ronde; M. Lucien Debray, secrétaire particulier du ministre de l'intérieur; M. Beauchamp, terrible journaliste, l'effroi du gouvernement français, mais dont peut-être, malgré sa célébrité nationale, vous n'avez jamais entendu parler en Italie, attendu que son journal n'y entre pas; enfin M. Maximilien Morrel, capitaine de spahis.»

À ce nom, le comte, qui avait jusque-là salué courtoisement, mais avec une froideur et une impassibilité tout anglaises, fit malgré lui un pas en avant, et un léger ton de vermillon passa comme l'éclair sur ses joues pâles.

«Monsieur porte l'uniforme des nouveaux vainqueurs français, dit-il, c'est un bel uniforme.»

On n'eût pas pu dire quel était le sentiment qui donnait à la voix du comte une si profonde vibration et qui faisait briller, comme malgré lui, son œil si beau, si calme et si limpide, quand il n'avait point un motif quelconque pour le voiler.

«Vous n'aviez jamais vu nos Africains, monsieur? dit Albert.

—Jamais, répliqua le comte, redevenu parfaitement libre de lui.

—Eh bien, monsieur, sous cet uniforme bat un des cœurs les plus braves et les plus nobles de l'armée.

—Oh! monsieur le comte, interrompit Morrel.

—Laissez-moi dire, capitaine.... Et nous venons, continua Albert, d'apprendre de monsieur un fait si héroïque, que, quoique je l'aie vu aujourd'hui pour la première fois, je réclame de lui la faveur de vous le présenter comme mon ami.»

Et l'on put encore, à ces paroles, remarquer chez Monte-Cristo ce regard étrange de fixité, cette rougeur furtive et ce léger tremblement de la paupière qui, chez lui, décelaient l'émotion.

«Ah! Monsieur est un noble cœur, dit le comte, tant mieux!»

Cette espèce d'exclamation, qui répondait à la propre pensée du comte plutôt qu'à ce que venait de dire Albert, surprit tout le monde et surtout Morrel, qui regarda Monte-Cristo avec étonnement. Mais en même temps l'intonation était si douce et pour ainsi dire si suave que, quelque étrange que fût cette exclamation, il n'y avait pas moyen de s'en fâcher.

«Pourquoi en douterait-il? dit Beauchamp à Château-Renaud.

—En vérité, répondit celui-ci, qui, avec son habitude du monde et la netteté de son œil aristocratique, avait pénétré de Monte-Cristo tout ce qui était pénétrable en lui, en vérité Albert ne nous a point trompés, et c'est un singulier personnage que le comte; qu'en dites-vous, Morrel?

—Ma foi, dit celui-ci, il a l'œil franc et la voix sympathique, de sorte qu'il me plaît, malgré la réflexion bizarre qu'il vient de faire à mon endroit.

—Messieurs, dit Albert, Germain m'annonce que vous êtes servis. Mon cher comte, permettez-moi de vous montrer le chemin.»

On passa silencieusement dans la salle à manger. Chacun prit sa place.

«Messieurs, dit le comte en s'asseyant, permettez-moi un aveu qui sera mon excuse pour toutes les inconvenances que je pourrai faire: je suis étranger, mais étranger à tel point que c'est la première fois que je viens à Paris. La vie française m'est donc parfaitement inconnue, et je n'ai guère jusqu'à présent pratiqué que la vie orientale, la plus antipathique aux bonnes traditions parisiennes. Je vous prie donc de m'excuser si vous trouvez en moi quelque chose de trop turc, de trop napolitain ou de trop arabe. Cela dit, messieurs, déjeunons.

—Comme il dit tout cela! murmura Beauchamp; c'est décidément un grand seigneur.

—Un grand seigneur, ajouta Debray.

—Un grand seigneur de tous les pays, monsieur Debray», dit Château-Renaud.


39. Les convives 39. The guests 39. Os convidados

Les convives. The guests.

Dans cette maison de la rue du Helder, où Albert de Morcerf avait donné rendez-vous, à Rome, au comte de Monte-Cristo, tout se préparait dans la matinée du 21 mai pour faire honneur à la parole du jeune homme. In this house in the rue du Helder, where Albert de Morcerf had made an appointment, in Rome, with the Count of Monte-Cristo, everything was being prepared on the morning of May 21 to honor the young man's word.

Albert de Morcerf habitait un pavillon situé à l’angle d’une grande cour et faisant face à un autre bâtiment destiné aux communs. Albert de Morcerf lived in a pavilion located at the corner of a large courtyard and facing another building intended for the commons. Deux fenêtres de ce pavillon seulement donnaient sur la rue, les autres étaient percées, trois sur la cour et deux autres en retour sur le jardin. Only two windows of this pavilion looked out onto the street, the others were pierced, three on the courtyard and two others back on the garden.

Entre cette cour et ce jardin s’élevait, bâtie avec le mauvais goût de l’architecture impériale, l’habitation fashionable et vaste du comte et de la comtesse de Morcerf. Between this courtyard and this garden rose, built with the bad taste of imperial architecture, the fashionable and vast dwelling of the Count and Countess of Morcerf.

Sur toute la largeur de la propriété régnait, donnant sur la rue, un mur surmonté, de distance en distance, de vases de fleurs, et coupé au milieu par une grande grille aux lances dorées, qui servait aux entrées d’apparat; une petite porte presque accolée à la loge du concierge donnait passage aux gens de service ou aux maîtres entrant ou sortant à pied. Over the entire width of the property reigned, facing the street, a wall surmounted, at intervals, by vases of flowers, and cut in the middle by a large gate with gilded lances, which served as the ceremonial entrances; a small door almost adjoining the concierge's lodge gave passage to the servants or to the masters entering or leaving on foot.

On devinait, dans ce choix du pavillon destiné à l’habitation d’Albert, la délicate prévoyance d’une mère qui, ne voulant pas se séparer de son fils, avait cependant compris qu’un jeune homme de l’âge du vicomte avait besoin de sa liberté tout entière. One guessed, in this choice of the pavilion intended for Albert's dwelling, the delicate foresight of a mother who, not wishing to part with her son, had nevertheless understood that a young man of the viscount's age had need his entire freedom. В этом выборе павильона, предназначенного для жилища Альберта, тонкая дальновидность матери, которая, не желая расставаться со своим сыном, поняла, что молодой человек в возрасте виконта нужна вся его свобода. On y reconnaissait aussi, d’un autre côté, nous devons le dire, l’intelligent égoïsme du jeune homme, épris de cette vie libre et oisive, qui est celle des fils de famille, et qu’on lui dorait comme à l’oiseau sa cage. We also recognized there, on the other hand, we must say it, the intelligent egoism of the young man, enamored of this free and idle life, which is that of the sons of family, and which one gilded to him as to the bird his cage. С другой стороны, мы должны признать это, разумный эгоизм молодого человека, влюбленного в эту свободную и праздную жизнь, которая принадлежит сыновьям семьи, и что она была позолочена ему, как птица его клетка.

Par les deux fenêtres donnant sur la rue, Albert de Morcerf pouvait faire ses explorations au-dehors. Through the two windows facing the street, Albert de Morcerf could make his explorations outside. La vue du dehors est si nécessaire aux jeunes gens qui veulent toujours voir le monde traverser leur horizon, cet horizon ne fût-il que celui de la rue! The view from the outside is so necessary to young people who always want to see the world cross their horizon, this horizon was only that of the street! Puis son exploration faite, si cette exploration paraissait mériter un examen plus approfondi, Albert de Morcerf pouvait, pour se livrer à ses recherches, sortir par une petite porte faisant pendant à celle que nous avons indiquée près de la loge du portier, et qui mérite une mention particulière. Then, after his exploration, if this exploration seemed to merit further examination, Albert de Morcerf could, in order to carry out his research, come out by a small door, parallel to that which we have indicated near the porter's lodge, and which deserves a special mention.

C’était une petite porte qu’on eût dit oubliée de tout le monde depuis le jour où la maison avait été bâtie, et qu’on eût cru condamnée à tout jamais, tant elle semblait discrète et poudreuse, mais dont la serrure et les gonds, soigneusement huilés, annonçaient une pratique mystérieuse et suivie. It was a little door that had been said to have been forgotten by everyone since the day when the house was built, and which would have been thought to have been condemned forever, so discreet and dusty it seemed, but whose lock and hinges, carefully oiled, announced a mysterious and followed practice. Cette petite porte sournoise faisait concurrence aux deux autres et se moquait du concierge, à la vigilance et à la juridiction duquel elle échappait, s’ouvrant comme la fameuse porte de la caverne des  Mille et une Nuits , comme la Sésame enchantée d’Ali-Baba, au moyen de quelques mots cabalistiques, ou de quelques grattements convenus, prononcés par les plus douces voix ou opérés par les doigts les plus effilés du monde. This sneaky little door was competing with the other two and making fun of the concierge, the vigilance and jurisdiction of which she escaped, opening like the famous gate of the Thousand and One Nights cave, like the Enchanted Sesame of Ali. Baba, by means of some cabalistic words, or some agreed scratches, uttered by the sweetest voices or operated by the finest fingers of the world.

Au bout d’un corridor vaste et calme, auquel communiquait cette petite porte et qui faisait antichambre, s’ouvrait, à droite, la salle à manger d’Albert donnant sur la cour, et, à gauche, son petit salon donnant sur le jardin. At the end of a wide and calm corridor, to which this little door communicated and which made anteroom, opened, on the right, the dining room of Albert giving on the court, and, on the left, its small living room overlooking the garden. Des massifs, des plantes grimpantes s’élargissant en éventail devant les fenêtres, cachaient à la cour et au jardin l’intérieur de ces deux pièces, les seules placées au rez-de-chaussée comme elles l’étaient, où pussent pénétrer les regards indiscrets. Clumps, climbing plants expanding in a fan in front of the windows, hid the interior of these two rooms from the courtyard and the garden, the only ones placed on the ground floor as they were, where the eyes could penetrate. indiscreet.

Au premier, ces deux pièces se répétaient, enrichies d’une troisième, prise sur l’antichambre. At first, these two pieces were repeated, enriched by a third, taken on the antechamber. Ces trois pièces étaient un salon, une chambre à coucher et un boudoir. These three rooms were a living room, a bedroom and a boudoir.

Le salon d’en bas n’était qu’une espèce de divan algérien destiné aux fumeurs. The downstairs living room was just a sort of Algerian couch intended for smokers.

Le boudoir du premier donnait dans la chambre à coucher, et, par une porte invisible, communiquait avec l’escalier. The boudoir of the first opened into the bedroom, and through an invisible door communicated with the staircase. On voit que toutes les mesures de précaution étaient prises. We see that all precautionary measures were taken.

Au-dessus de ce premier étage régnait un vaste atelier, que l’on avait agrandi en jetant bas murailles et cloisons, pandémonium que l’artiste disputait au dandy. Above this first floor reigned a vast workshop, which had been enlarged by throwing down walls and partitions, pandemonium that the artist disputed with the dandy. Над этим первым этажем царила обширная мастерская, которая была увеличена путем сбрасывания стен и перегородок, что привело к тому, что художник спорил с денди. Là se réfugiaient et s’entassaient tous les caprices successifs d’Albert, les cors de chasse, les basses, les flûtes, un orchestre complet, car Albert avait eu un instant, non pas le goût, mais la fantaisie de la musique; les chevalets, les palettes, les pastels, car à la fantaisie de la musique avait succédé la fatuité de la peinture; enfin les fleurets, les gants de boxe, les espadons et les cannes de tout genre; car enfin, suivant les traditions des jeunes gens à la mode de l’époque où nous sommes arrivés, Albert de Morcerf cultivait, avec infiniment plus de persévérance qu’il n’avait fait de la musique et de la peinture, ces trois arts qui complètent l’éducation léonine, c’est-à-dire l’escrime, la boxe et le bâton, et il recevait successivement dans cette pièce, destinée à tous les exercices du corps, Grisier, Cooks et Charles Leboucher. There hid and piled up all the successive caprices of Albert, the hunting horns, the basses, the flutes, a complete orchestra, for Albert had for a moment, not the taste, but the fancy of the music; the easels, the palettes, the pastels, because to the fancy of the music had succeeded the fatuity of the painting; finally, foils, boxing gloves, swordfish and canes of all kinds; for, after all, according to the traditions of the fashionable young people of the time we arrived, Albert de Morcerf cultivated, with infinitely more perseverance than he had done with music and painting, those three arts which They complete the leonine education, fencing, boxing, and the baton, and he received successively in this piece, intended for all the exercises of the body, Grisier, Cooks, and Charles Leboucher.

Le reste des meubles de cette pièce privilégiée étaient de vieux bahuts du temps de François Ier, bahuts pleins de porcelaines de Chine, de vases du Japon, de faïences de Luca della Robbia et de plats de Bernard de Palissy; d’antiques fauteuils où s’étaient peut-être assis Henri IV ou Sully, Louis XIII ou Richelieu, car deux de ces fauteuils, ornés d’un écusson sculpté où brillaient sur l’azur les trois fleurs de lis de France surmontées d’une couronne royale, sortaient visiblement des garde-meubles du Louvre, ou tout au moins de celui de quelque château royal. The rest of the furniture in this privileged room were old sideboards from the time of Francis I, sideboards full of Chinese porcelain, Japanese vases, earthenware by Luca della Robbia and dishes by Bernard de Palissy; antique armchairs where Henri IV or Sully, Louis XIII or Richelieu had perhaps sat, because two of these armchairs, adorned with a carved escutcheon where shone on the azure the three fleur-de-lis from France surmounted by a royal crown, visibly issued from the furniture of the Louvre, or at least from that of some royal castle. Sur ces fauteuils aux fonds sombres et sévères, étaient jetées pêle-mêle de riches étoffes aux vives couleurs, teintes au soleil de la Perse ou écloses sous les doigts des femmes de Calcutta ou de Chandernagor. On these armchairs with dark and severe backgrounds, were thrown pell-mell rich fabrics in bright colors, dyed in the Persian sun or hatched under the fingers of the women of Calcutta or Chandernagor. Sobre estes cadeirões, com os seus fundos sombrios e severos, era atirado um emaranhado de tecidos ricos e de cores vivas, tingidos pelo sol da Pérsia ou desenhados pelas mulheres de Calcutá ou de Chandernagor. Ce que faisaient là ces étoffes, on n’eût pas pu le dire; elles attendaient, en récréant les yeux, une destination inconnue à leur propriétaire lui-même, et, en attendant, elles illuminaient l’appartement de leurs reflets soyeux et dorés. What these fabrics were doing there, one could not have said; they awaited, recreating the eyes, a destination unknown to their owner himself, and, in the meantime, they illuminated the apartment with their silky and golden reflections.

À la place la plus apparente se dressait un piano, taillé par Roller et Blanchet dans du bois de rose, piano à la taille de nos salons de Lilliputiens, renfermant cependant un orchestre dans son étroite et sonore cavité, et gémissant sous le poids des chefs-d’œuvre de Beethoven, de Weber, de Mozart, d’Haydn, de Grétry et de Porpora. In the most visible place stood a piano, carved by Roller and Blanchet from rosewood, a piano the size of our Lilliputian salons, however enclosing an orchestra in its narrow and sonorous cavity, and groaning under the weight of the conductors. -work of Beethoven, Weber, Mozart, Haydn, Grétry and Porpora.

Puis, partout, le long des murailles, au-dessus des portes, au plafond, des épées, des poignards, des criks, des masses, des haches, des armures complètes dorées, damasquinées, incrustées; des herbiers, des blocs de minéraux, des oiseaux bourrés de crin, ouvrant pour un vol immobile leurs ailes couleur de feu et leur bec qu’ils ne ferment jamais. Then, everywhere, along the walls, above the doors, on the ceiling, swords, daggers, criks, masses, axes, complete armor gilded, damasked, inlaid; herbs, blocks of minerals, birds crammed with horsehair, opening for a steady flight their fire-colored wings and beaks which they never close.

Il va sans dire que cette pièce était la pièce de prédilection d’Albert. It goes without saying that this piece was Albert's favorite piece.

Cependant, le jour du rendez-vous, le jeune homme, en demi-toilette, avait établi son quartier général dans le petit salon du rez-de-chaussée. However, on the day of the rendezvous, the young man, half-dressed, had established his headquarters in the little salon on the ground floor. Là, sur une table entourée à distance d’un divan large et moelleux, tous les tabacs connus, depuis le tabac jaune de Pétersbourg, jusqu’au tabac noir du Sinaï, en passant par le maryland, le porto-rico et le latakiéh, resplendissaient dans les pots de faïence craquelée qu’adorent les Hollandais. There, on a table surrounded at a distance by a wide and mellow couch, all the tobaccos known, from the yellow tobacco of Petersburg, to the black tobacco of the Sinai, passing by the maryland, porto-rico and latakieh, shone in the cracked earthenware jars adored by the Dutch. À côté d’eux, dans des cases de bois odorant, étaient rangés, par ordre de taille et de qualité, les puros, les régalias, les havanes et les manilles; enfin dans une armoire tout ouverte, une collection de pipes allemandes, de chibouques aux bouquins d’ambre, ornées de corail, et de narguilés incrustés d’or, aux longs tuyaux de maroquin roulés comme des serpents, attendaient le caprice ou la sympathie des fumeurs. Beside them, in boxes of fragrant wood, were arranged, in order of size and quality, the puros, the regalias, the Havanas and the manillas; finally, in an open cupboard, a collection of German pipes, chibouques with amber books, adorned with coral, and hookahs encrusted with gold, with long morocco pipes rolled up like snakes, awaited the whim or the sympathy of the smokers. Albert avait présidé lui-même à l’arrangement ou plutôt au désordre symétrique qu’après le café, les convives d’un déjeuner moderne aiment à contempler à travers la vapeur qui s’échappe de leur bouche et qui monte au plafond en longues et capricieuses spirales. Albert himself had presided over the arrangement or rather the symmetrical disorder that after coffee, the guests of a modern lunch like to contemplate through the steam which escapes from their mouths and which rises to the ceiling in long and long lines. capricious spirals.

À dix heures moins un quart, un valet de chambre entra. At a quarter to ten a valet entered. C’était un petit groom de quinze ans, ne parlant qu’anglais et répondant au nom de John, tout le domestique de Morcerf. He was a little fifteen-year-old groom, speaking only English and answering John's name, all Morcerf's servant. Bien entendu que dans les jours ordinaires le cuisinier de l’hôtel était à sa disposition, et que dans les grandes occasions le chasseur du comte l’était également. Of course, in ordinary days the cook of the hotel was at his disposal, and on great occasions the huntsman of the count was also at his disposal.

Ce valet de chambre, qui s’appelait Germain et qui jouissait de la confiance entière de son jeune maître, tenait à la main une liasse de journaux qu’il déposa sur une table, et un paquet de lettres qu’il remit à Albert. This valet de chambre, whose name was Germain, and who enjoyed the complete confidence of his young master, held in his hand a bundle of newspapers which he placed on a table, and a bundle of letters which he handed to Albert.

Albert jeta un coup d’œil distrait sur ces différentes missives, en choisit deux aux écritures fines et aux enveloppes parfumées, les décacheta et les lut avec une certaine attention. Albert cast a distracted glance at these different missives, selected two of them with fine writings and scented envelopes, opened them and read them with some attention.

«Comment sont venues ces lettres? "How did these letters come from?" demanda-t-il.

—L’une est venue par la poste, l’autre a été apportée par le valet de chambre de Mme Danglars. One came by post, the other was brought by Mrs. Danglars' valet de chambre.

—Faites dire à Mme Danglars que j’accepte la place qu’elle m’offre dans sa loge.... Attendez donc... puis, dans la journée, vous passerez chez Rosa; vous lui direz que j’irai, comme elle m’y invite, souper avec elle en sortant de l’Opéra, et vous lui porterez six bouteilles de vins assortis, de Chypre, de Xérès, de Malaga, et un baril d’huîtres d’Ostende.... Prenez les huîtres chez Borel, et dites surtout que c’est pour moi. -Mess to say to Mrs. Danglars that I accept the place she offers me in her dressing room .... Wait then ... then, during the day, you will pass to Rosa's house; you will tell her that I will go, as she invites me, to supper with her on leaving the Opera, and you will bring her six bottles of assorted wines, Cyprus, Sherry, Malaga, and a barrel of oysters. from Ostend .... Take the oysters at Borel, and say that it's for me.

—À quelle heure monsieur veut-il être servi? “At what time does Monsieur want to be served?

—Quelle heure avons-nous? -What time do we have?

—Dix heures moins un quart. -Too minutes to a quarter.

—Eh bien, servez pour dix heures et demie précises. "Well, serve for ten thirty sharp." Debray sera peut-être forcé d’aller à son ministère.... Et d’ailleurs... (Albert consulta ses tablettes), c’est bien l’heure que j’ai indiquée au comte, le 21 mai, à dix heures et demie du matin, et quoique je ne fasse pas grand fond sur sa promesse, je veux être exact. Debray may be forced to go to his ministry .... And besides ... (Albert consulted his tablets), this is the time I indicated to the count, May 21, at Half-past ten o'clock in the morning, and though I do not dwell on his promise, I want to be exact. À propos, savez-vous si Mme la comtesse est levée? By the way, do you know if Madame la Comtesse is up?

—Si monsieur le vicomte le désire, je m’en informerai. "If Monsieur le Vicomte wishes it, I will inform myself of it.

—Oui... vous lui demanderez une de ses caves à liqueurs, la mienne est incomplète, et vous lui direz que j’aurai l’honneur de passer chez elle vers trois heures, et que je lui fais demander la permission de lui présenter quelqu’un.» -Yes ... you will ask her one of her liquor cellars, mine is incomplete, and you will tell her that I will have the honor of spending three hours at her house, and that I ask her to ask permission to introduce her. somebody."

Le valet sorti, Albert se jeta sur le divan, déchira l’enveloppe de deux ou trois journaux, regarda les spectacles, fit la grimace en reconnaissant que l’on jouait un opéra et non un ballet, chercha vainement dans les annonces de parfumerie un opiat pour les dents dont on lui avait parlé, et rejeta l’une après l’autre les trois feuilles les plus courues de Paris, en murmurant au milieu d’un bâillement prolongé: When the valet came out, Albert threw himself on the divan, tore the envelope of two or three newspapers, looked at the spectacles, made a face at the sight of an opera rather than a ballet, and vainly sought in the perfumery opiat for the teeth of which he had been spoken, and rejected one after the other the three most popular leaves of Paris, murmuring in the midst of a prolonged yawn:

«En vérité, ces journaux deviennent de plus en plus assommants.» "The truth is, these journals are getting more and more boring."

En ce moment une voiture légère s’arrêta devant la porte, et un instant après le valet de chambre rentra pour annoncer M. Lucien Debray. Un grand jeune homme blond, pâle, à l’œil gris et assuré, aux lèvres minces et froides, à l’habit bleu aux boutons d’or ciselés, à la cravate blanche, au lorgnon d’écaille suspendu par un fil de soie, et que, par un effort du nerf sourcilier et du nerf zygomatique, il parvenait à fixer de temps en temps dans la cavité de son œil droit, entra sans sourire, sans parler et d’un air demi-officiel. A tall, fair-haired young man, pale, with a gray, assured eye, with thin, cold lips, a blue coat with chiseled gold buttons, a white tie, and a tortoise-eyed tortoiseshell hanging from a silk thread. and that, by an effort of the nerve and the zygomatic nerve, he was able to fix from time to time in the cavity of his right eye, entered without a smile, without speaking, and with a semi-official air.

«Bonjour, Lucien.... Bonjour! dit Albert.

Ah! vous m’effrayez, mon cher, avec votre exactitude! you frighten me, my dear, with your exactitude! Que dis-je? What did I say? exactitude! Vous que je n’attendais que le dernier, vous arrivez à dix heures moins cinq minutes, lorsque le rendez-vous définitif n’est qu’à dix heures et demie! As long as I waited for the last one, you arrive at ten minutes to five, when the final rendezvous is at ten-thirty! C’est miraculeux! It's miraculous! Le ministère serait-il renversé, par hasard? Would the department be overthrown, by chance?

—Non, très cher, dit le jeune homme en s’incrustant dans le divan; rassurez-vous, nous chancelons toujours, mais nous ne tombons jamais, et je commence à croire que nous passons tout bonnement à l’inamovibilité, sans compter que les affaires de la Péninsule vont nous consolider tout à fait. "No, very dear," said the young man, encrusting himself in the divan; rest assured, we are still stumbling, but we never fall, and I begin to believe that we are simply going to irremovability, not to mention that the affairs of the Peninsula will consolidate us completely.

—Ah! oui, c’est vrai, vous chassez don Carlos d’Espagne. yes, that's right, you are driving Don Carlos from Spain.

—Non pas, très cher, ne confondons point, nous le ramenons de l’autre côté de la frontière de France, et nous lui offrons une hospitalité royale à Bourges. "No, very dear, do not confuse us, we bring him back to the other side of the French frontier, and we offer him a royal hospitality at Bourges."

—À Bourges?

—Oui, il n’a pas à se plaindre, que diable! -Yes, he does not have to complain, damn it! Bourges est la capitale du roi Charles VII. Comment! vous ne saviez pas cela? you did not know that? C’est connu depuis hier de tout Paris, et avant-hier la chose avait déjà transpiré à la Bourse, car M. Danglars (je ne sais point par quel moyen cet homme sait les nouvelles en même temps que nous), car M. Danglars a joué à la hausse et a gagné un million. It has been known since yesterday of all Paris, and the day before yesterday the thing had already transpired on the Stock Exchange, for M. Danglars (I do not know by what means this man knows the news at the same time as us), because M. Danglars played on the rise and won a million.

—Et vous, un ruban nouveau, à ce qu’il paraît; car je vois un liséré bleu ajouté à votre brochette? "And you, a new ribbon, as it seems; because I see a blue edging added to your skewer?

—Heu! “Uh! ils m’ont envoyé la plaque de Charles III, répondit négligemment Debray. they sent me the Charles III plaque, replied Debray carelessly.

—Allons ne faites donc pas l’indifférent, et avouez que la chose vous a fait plaisir à recevoir. "Well, do not be indifferent, and admit that it pleased you to receive.

—Ma foi, oui, comme complément de toilette, une plaque fait bien sur un habit noir boutonné, c’est élégant. "Faith, yes, as a complement to a toilet, a plaque does well on a black buttoned coat, it's elegant.

—Et, dit Morcerf en souriant, on a l’air du prince de Galles ou du duc de Reichstadt. “And,” said Morcerf, smiling, “one looks like the Prince of Wales or the Duke of Reichstadt.

—Voilà donc pourquoi vous me voyez si matin, très cher. -So that's why you see me this morning, my dear.

—Parce que vous avez la plaque de Charles III et que vous vouliez m’annoncer cette bonne nouvelle? "Because you have the Charles III plaque and you wanted to tell me this good news?"

—Non; parce que j’ai passé la nuit à expédier des lettres: vingt-cinq dépêches diplomatiques. -No; because I spent the night sending letters: twenty-five diplomatic despatches. Rentré chez moi ce matin au jour, j’ai voulu dormir; mais le mal de tête m’a pris, et je me suis relevé pour monter à cheval une heure. When I got home that morning, I wanted to sleep; but the headache took me, and I got up to ride an hour. À Boulogne, l’ennui et la faim m’ont saisi, deux ennemis qui vont rarement ensemble, et qui cependant se sont ligués contre moi: une espèce d’alliance carlos-républicaine; je me suis alors souvenu que l’on festinait chez vous ce matin, et me voilà: j’ai faim, nourrissez-moi; je m’ennuie, amusez-moi. At Boulogne, boredom and hunger seized me, two enemies who rarely go together, and who, however, have leagued against me: a sort of Carlos-Republican alliance; I then remembered that people were feasting with you this morning, and here I am: I am hungry, feed me; I am bored, amuse me.

—C’est mon devoir d’amphitryon, cher ami», dit Albert en sonnant le valet de chambre, tandis que Lucien faisait sauter, avec le bout de sa badine à pomme d’or incrustée de turquoise, les journaux dépliés. "It is my duty as host, my dear friend," said Albert, sounding the valet de chambre, while Lucien, with the tip of his turquoise-encrusted gold-plated bow, was throwing the unfolded newspapers. «Germain, un verre de xérès et un biscuit. “Germain, a glass of sherry and a cookie. En attendant, mon cher Lucien, voici des cigares de contrebande, bien entendu; je vous engage à en goûter et à inviter votre ministre à nous en vendre de pareils, au lieu de ces espèces de feuilles de noyer qu’il condamne les bons citoyens à fumer. Meanwhile, my dear Lucien, here are cigars of contraband, of course; I urge you to taste it and to invite your minister to sell it to us, instead of those kinds of walnut leaves which he condemns good citizens to smoke.

—Peste! -Plague! je m’en garderais bien. I would be careful not to. Du moment où ils vous viendraient du gouvernement vous n’en voudriez plus et les trouveriez exécrables. The moment they come to you from the government you will not want them any more and find them execrable. D’ailleurs, cela ne regarde point l’intérieur, cela regarde les finances: adressez-vous à M. Humann, section des contributions indirectes, corridor A, n° 26. Besides, it does not look inwards, it's about finance: go to Mr. Humann, Indirect Taxation Section, Corridor A, No. 26.

—En vérité, dit Albert, vous m’étonnez par l’étendue de vos connaissances. "In truth," said Albert, "you astonish me by the extent of your knowledge. Mais prenez donc un cigare!

—Ah! cher vicomte, dit Lucien en allumant un manille à une bougie rose brûlant dans un bougeoir de vermeil et en se renversant sur le divan, ah! dear viscount, said Lucien, lighting a shackle with a burning pink candle in a vermeil candlestick and leaning back on the divan, ah! cher vicomte, que vous êtes heureux de n’avoir rien à faire! dear viscount, how happy you are that you have nothing to do! En vérité, vous ne connaissez pas votre bonheur! In truth, you do not know your happiness!

—Et que feriez-vous donc, mon cher pacificateur de royaumes, reprit Morcerf avec une légère ironie, si vous ne faisiez rien? "And what would you do, my dear peacemaker of kingdoms," replied Morcerf, with a slight irony, "if you did not do anything? Comment! secrétaire particulier d’un ministre, lancé à la fois dans la grande cabale européenne et dans les petites intrigues de Paris; ayant des rois, et, mieux que cela, des reines à protéger, des partis à réunir, des élections à diriger; faisant plus de votre cabinet avec votre plume et votre télégraphe, que Napoléon ne faisait de ses champs de bataille avec son épée et ses victoires; possédant vingt-cinq mille livres de rente en dehors de votre place; un cheval dont Château-Renaud vous a offert quatre cents louis, et que vous n’avez pas voulu donner; un tailleur qui ne vous manque jamais un pantalon; ayant l’Opéra, le Jockey-Club et le théâtre des Variétés, vous ne trouvez pas dans tout cela de quoi vous distraire? private secretary to a minister, launched at once in the great European cabal and in the little intrigues of Paris; having kings, and better than that, queens to protect, parties to meet, elections to run; making more of your cabinet with your pen and your telegraph than Napoleon made of his battlefields with his sword and his victories; having twenty-five thousand francs a year outside your place; a horse of which Chateau-Renaud has offered you four hundred louis, and which you have refused to give; a tailor who never misses you a pair of trousers; Having the Opera, the Jockey Club and the Variety Theater, you can not find all that in it to distract you? Eh bien, soit, je vous distrairai, moi. Well, either, I will distract you.

—Comment cela? -What do you mean?

—En vous faisant faire une connaissance nouvelle. -By making you make a new acquaintance.

—En homme ou en femme?

—En homme.

—Oh! j’en connais déjà beaucoup! I already know a lot!

—Mais vous n’en connaissez pas comme celui dont je vous parle. "But you do not know him like the one I'm talking about.

—D’où vient-il donc? Where does he come from? Откуда он? du bout du monde? from the back of the World? с конца света?

—De plus loin peut-être.

—Ah diable! j’espère qu’il n’apporte pas notre déjeuner? I hope he does not bring our lunch? Надеюсь, он не принесет обед?

—Non, soyez tranquille, notre déjeuner se confectionne dans les cuisines maternelles. -No, be quiet, our lunch is made in the kitchens. Mais vous avez donc faim? But are you hungry?

—Oui, je l’avoue, si humiliant que cela soit à dire. “Yes, I admit, humiliating though that is to say. Mais j’ai dîné hier chez M. de Villefort; et avez-vous remarqué cela, cher ami? But I dined yesterday at M. de Villefort's; and did you notice that, dear friend? on dîne très mal chez tous ces gens du parquet; on dirait toujours qu’ils ont des remords. we dine very badly in all these people of the floor; they always look like they have remorse.

—Ah! pardieu, dépréciez les dîners des autres, avec cela qu’on dîne bien chez vos ministres. pardon, deprecate the dinners of others, so that one dines well with your ministers. прощайте, осуждайте обеды других, чтобы вы хорошо пообедали с вашими министрами.

—Oui, mais nous n’invitons pas les gens comme il faut, au moins; et si nous n’étions pas obligés de faire les honneurs de notre table à quelques croquants qui pensent et surtout qui votent bien, nous nous garderions comme de la peste de dîner chez nous, je vous prie de croire. -Yes, but we do not invite people properly, at least; and if we were not obliged to do the honors of our table to a few crisp people who think and especially who vote well, we would be guarding ourselves like the plague of dining at home, I beg you to believe.

—Alors, mon cher, prenez un second verre de xérès et un autre biscuit.

—Volontiers, votre vin d’Espagne est excellent; vous voyez bien que nous avons eu tout à fait raison de pacifier ce pays-là. “Willingly, your Spanish wine is excellent; you can see that we were absolutely right to pacify that country.

—Oui, mais don Carlos? -Yes, but don Carlos?

—Eh bien, don Carlos boira du vin de Bordeaux et dans dix ans nous marierons son fils à la petite reine. “Well, Don Carlos will drink Bordeaux wine and in ten years we will marry his son to the little queen.

—Ce qui vous vaudra la Toison d’or, si vous êtes encore au ministère. -Which will earn you the Golden Fleece, if you are still in the ministry.

—Je crois, Albert, que vous avez adopté pour système ce matin de me nourrir de fumée. “I believe, Albert, that you adopted the system this morning of feeding me smoke.

—Eh! c’est encore ce qui amuse le mieux l’estomac, convenez-en; mais, tenez, justement j’entends la voix de Beauchamp dans l’antichambre, vous vous disputerez, cela vous fera prendre patience. this is what amuses the stomach the best, agree with it; but, listen, I hear the voice of Beauchamp in the antechamber, you will argue, it will cause you patience.

—À propos de quoi? -About what?

—À propos de journaux.

—Oh! cher ami, dit Lucien avec un souverain mépris, est-ce que je lis les journaux! dear friend, "said Lucien, with contempt," do I read the newspapers?

—Raison de plus, alors vous vous disputerez bien davantage. “All the more reason, then you will argue a lot more.

—M. Beauchamp! Beauchamp! annonça le valet de chambre.

—Entrez, entrez! plume terrible! terrible feather! dit Albert en se levant et en allant au-devant du jeune homme. said Albert, getting up and going to meet the young man. Tenez, voici Debray qui vous déteste sans vous lire, à ce qu’il dit du moins. Here, here is Debray, who hates you without reading you, as he says at least.

—Il a bien raison, dit Beauchamp, c’est comme moi, je le critique sans savoir ce qu’il fait. Bonjour, commandeur.

—Ah! vous savez déjà cela, répondit le secrétaire particulier en échangeant avec le journaliste une poignée de main et un sourire. you already know that, replied the private secretary, exchanging a handshake and a smile with the journalist.

—Pardieu! reprit Beauchamp.

—Et qu’en dit-on dans le monde? And what do we say in the world?

—Dans quel monde? “In what world? Nous avons beaucoup de mondes en l’an de grâce 1838. We have many worlds in the year of grace 1838.

—Eh! dans le monde critico-politique, dont vous êtes un des lions. in the critical-political world, of which you are one of the lions.

—Mais on dit que c’est chose fort juste, et que vous semez assez de rouge pour qu’il pousse un peu de bleu. -But it is said that it is very fair, and that you sow enough red to grow a little blue.

—Allons, allons, pas mal, dit Lucien: pourquoi n’êtes vous pas des nôtres, mon cher Beauchamp? "Come, come, not bad," said Lucien; "why are you not here, my dear Beauchamp? Ayant de l’esprit comme vous en avez, vous feriez fortune en trois ou quatre ans. Having wit as you have, you would make a fortune in three or four years.

—Aussi, je n’attends qu’une chose pour suivre votre conseil: c’est un ministère qui soit assuré pour six mois. -Also, I'm only waiting for one thing to follow your advice: it's a ministry that is insured for six months. -Также, я жду только одного, чтобы следовать вашему совету: это министерство, которое застраховано на шесть месяцев. Maintenant, un seul mot, mon cher Albert, car aussi bien faut-il que je laisse respirer le pauvre Lucien. Now, just one word, my dear Albert, for I must also let poor Lucien breathe. Déjeunons-nous ou dînons-nous? Do we have breakfast or dinner? У нас есть обед или ужин? J’ai la Chambre, moi. I have the House. Tout n’est pas rose, comme vous le voyez, dans notre métier. Everything is not rosy, as you see, in our business.

—On déjeunera seulement; nous n’attendons plus que deux personnes, et l’on se mettra à table aussitôt qu’elles seront arrivées. - We will only have lunch; we are only waiting for two more people, and we will sit down as soon as they arrive.

—Et quelles sortes de personnes attendez-vous à déjeuner? dit Beauchamp.

—Un gentilhomme et un diplomate, reprit Albert.

—Alors c’est l’affaire de deux petites heures pour le gentilhomme et de deux grandes heures pour le diplomate. "Then it's two small hours for the gentleman and two hours for the diplomat. Je reviendrai au dessert. Gardez-moi des fraises, du café et des cigares. Keep me strawberries, coffee and cigars. Je mangerai une côtelette à la Chambre.

—N’en faites rien, Beauchamp, car le gentilhomme fût-il un Montmorency, et le diplomate un Metternich, nous déjeunerons à dix heures et demie précises; en attendant faites comme Debray, goûtez mon xérès et mes biscuits. “Don't do it, Beauchamp, for were the gentleman a Montmorency, and the diplomat a Metternich, we will lunch at half-past ten sharp; in the meantime do like Debray, taste my sherry and my biscuits.

—Allons donc, soit, je reste. "Come on, I'll stay. Il faut absolument que je me distraie ce matin. It is imperative that I get distracted this morning.

—Bon, vous voilà comme Debray! -Good, you're like Debray! Il me semble cependant que lorsque le ministère est triste l’opposition doit être gaie. It seems to me, however, that when the ministry is sad the opposition must be gay.

—Ah! voyez-vous, cher ami, c’est que vous ne savez point ce qui me menace. do you see, dear friend, that you do not know what threatens me? J’entendrai ce matin un discours de M. Danglars à la Chambre des députés, et ce soir, chez sa femme, une tragédie d’un pair de France. This morning I will hear a speech by M. Danglars in the Chamber of Deputies, and this evening, at his wife's, a tragedy of a peer of France. Le diable emporte le gouvernement constitutionnel! The devil takes the constitutional government! et puisque nous avions le choix, à ce qu’on dit, comment avons-nous choisi celui-là? and since we had a choice, so to speak, how did we choose that one?

—Je comprends; vous avez besoin de faire provision d’hilarité. -I understand; you need to stock up on hilarity.

—Ne dites donc pas de mal des discours de M. Danglars, dit Debray: il vote pour vous, il fait de l’opposition. "Don't speak badly of M. Danglars' speeches," said Debray. "He votes for you, he is in opposition."

—Voilà, pardieu, bien le mal! "There, pardon, good evil! aussi j’attends que vous l’envoyiez discourir au Luxembourg pour en rire tout à mon aise. so I am waiting for you to send her to talk to Luxembourg so that I can laugh at it all at ease.

—Mon cher, dit Albert à Beauchamp, on voit bien que les affaires d’Espagne sont arrangées, vous êtes ce matin d’une aigreur révoltante. “My dear,” said Albert to Beauchamp, “it is easy to see that Spanish affairs are arranged, you are this morning with revolting bitterness. Rappelez-vous donc que la chronique parisienne parle d’un mariage entre moi et Mlle Eugénie Danglars. So remember that the Paris chronicle speaks of a marriage between me and Miss Eugenie Danglars. Je ne puis donc pas, en conscience, vous laisser mal parler de l’éloquence d’un homme qui doit me dire un jour: «Monsieur le vicomte, vous savez que je donne deux millions à ma fille.» I can not, therefore, in conscience, let you speak ill of the eloquence of a man who must tell me one day: "Monsieur le Vicomte, you know that I give my daughter two millions."

—Allons donc! “Come on! dit Beauchamp, ce mariage ne se fera jamais. said Beauchamp, this marriage will never happen. Le roi a pu le faire baron, il pourra le faire pair, mais il ne le fera point gentilhomme, et le comte de Morcerf est une épée trop aristocratique pour consentir, moyennant deux pauvres millions, à une mésalliance. The king has been able to make him a baron, he can do it peer, but he will not make him a gentleman, and the comte de Morcerf is a too aristocratic sword to consent, by means of two poor millions, to a misalliance. Le vicomte de Morcerf ne doit épouser qu’une marquise. The Vicomte de Morcerf must marry only a Marquise.

—Deux millions! c’est cependant joli! it is however pretty! reprit Morcerf.

—C’est le capital social d’un théâtre de boulevard ou d’un chemin de fer du jardin des Plantes à la Râpée. -It is the social capital of a boulevard theater or a railway of the Jardin des Plantes with grated.

—Laissez-le dire, Morcerf, reprit nonchalamment Debray, et mariez-vous. "Let it be said, Morcerf," said Debray nonchalantly, "and marry yourself." Vous épousez l’étiquette d’un sac, n’est-ce pas? You marry the label of a bag, do not you? eh bien, que vous importe! well, what does it matter to you! mieux vaut alors sur cette étiquette un blason de moins et un zéro de plus; vous avez sept merlettes dans vos armes, vous en donnerez trois à votre femme et il vous en restera encore quatre. better then on this label a coat of arms less and a zero more; you have seven martlets in your arms, you will give three to your wife and you will still have four. C’est une de plus qu’a M. de Guise, qui a failli être roi de France, et dont le cousin germain était empereur d’Allemagne. It is one more than M. de Guise, who was almost king of France, and whose first cousin was Emperor of Germany.

—Ma foi, je crois que vous avez raison, Lucien, répondit distraitement Albert.

—Et certainement! D’ailleurs tout millionnaire est noble comme un bâtard, c’est-à-dire qu’il peut l’être. Besides, every millionaire is as noble as a bastard, that is to say, he can be.

—Chut! ne dites pas cela, Debray, reprit en riant Beauchamp, car voici Château-Renaud qui, pour vous guérir de votre manie de paradoxer, vous passera au travers du corps l’épée de Renaud de Montauban, son ancêtre. Do not say that, Debray, "said Beauchamp, laughing," for here is Château-Renaud, who, to cure you of your paradoxical mania, will pass through the body the sword of Renaud de Montauban, his ancestor.

—Il dérogerait alors, répondit Lucien, car je suis vilain et très vilain. "It would be derogatory then," replied Lucien, "for I am ugly and very naughty.

—Bon! s’écria Beauchamp, voilà le ministère qui chante du Béranger, où allons-nous, mon Dieu? cried Beauchamp, "here is the ministry singing from Béranger, where are we going, my God?"

—M. de Château-Renaud! of Château-Renaud! M. Maximilien Morrel! Mr. Maximilien Morrel! dit le valet de chambre, en annonçant deux nouveaux convives. said the valet, announcing two new guests.

—Complets alors! -Complete then! dit Beauchamp, et nous allons déjeuner; car, si je ne me trompe, vous n’attendiez plus que deux personnes, Albert? said Beauchamp, and we are going to lunch; because, if I'm not mistaken, you were only expecting two people, Albert?

—Morrel! murmura Albert surpris; Morrel! whispered Albert surprised; Morrel! qu’est-ce que cela?» what is this?"

Mais avant qu’il eût achevé, M. de Château-Renaud, beau jeune homme de trente ans, gentilhomme des pieds à la tête, c’est-à-dire avec la figure d’un Guiche et l’esprit d’un Mortemart, avait pris Albert par la main: But before he had finished, M. de Chateau-Renaud, a handsome young man of thirty, a gentleman from head to foot, that is to say with the figure of a Guiche and the spirit of a Mortemart, took Albert by the hand:

«Permettez-moi, mon cher, lui dit-il, de vous présenter M. le capitaine de spahis Maximilien Morrel, mon ami, et de plus mon sauveur. "Allow me, my dear," said he, "to introduce to you the Captain of Spahis Maximilian Morrel, my friend, and moreover my savior. Au reste, l’homme se présente assez bien par lui-même. Besides, the man presents himself quite well by himself. Saluez mon héros, vicomte.» Greet my hero, viscount."

Et il se rangea pour démasquer ce grand et noble jeune homme au front large, à l’œil perçant, aux moustaches noires, que nos lecteurs se rappellent avoir vu à Marseille, dans une circonstance assez dramatique pour qu’ils ne l’aient point encore oublié. And he went to unmask this tall, noble young man with a broad forehead, a piercing eye, and a black mustache, whom our readers remember having seen at Marseilles, in a rather dramatic circumstance that they did not have it. still forgotten. Un riche uniforme, demi-français, demi-oriental, admirablement porté faisait valoir sa large poitrine décorée de la croix de la Légion d’honneur, et ressortir la cambrure hardie de sa taille. A rich uniform, half-French, half-oriental, admirably worn, emphasized her large chest decorated with the cross of the Legion of Honor, and highlighted the bold arch of her waist. Le jeune officier s’inclina avec une politesse d’élégance; Morrel était gracieux dans chacun de ses mouvements, parce qu’il était fort. The young officer bowed with politeness of elegance; Morrel was gracious in every movement, because he was strong.

«Monsieur, dit Albert avec une affectueuse courtoisie, M. le baron de Château-Renaud savait d’avance tout le plaisir qu’il me procurait en me faisant faire votre connaissance; vous êtes de ses amis, monsieur, soyez des nôtres. "Monsieur," said Albert, with courteous courtesy, "Monsieur le Baron de Chateau-Renaud knew in advance all the pleasure he gave me by making me acquainted with you; you are his friends, sir, be with us.

—Très bien, dit Château-Renaud, et souhaitez, mon cher vicomte, que le cas échéant il fasse pour vous ce qu’il a fait pour moi. "Very well," said Chateau-Renaud, "and wish, my dear Vicomte, that if need be, he will do for you what he has done for me."

—Et qu’a-t-il donc fait? “And what did he do? demanda Albert.

—Oh! dit Morrel, cela ne vaut pas la peine d’en parler, et monsieur exagère. said Morrel, "it's not worth talking about, and Monsieur exaggerates.

—Comment! dit Château-Renaud, cela ne vaut pas la peine d’en parler! said Château-Renaud, it's not worth talking about! La vie ne vaut pas la peine qu’on en parle!... Life is not worth talking about! En vérité, c’est par trop philosophique ce que vous dites là, mon cher monsieur Morrel.... Bon pour vous qui exposez votre vie tous les jours, mais pour moi qui l’expose une fois par hasard....

—Ce que je vois de plus clair dans tout cela, baron, c’est que M. le capitaine Morrel vous a sauvé la vie. “What I see most clearly in all of this, baron, is that Captain Morrel saved your life.

—Oh! mon Dieu, oui, tout bonnement, reprit Château-Renaud. my God, yes, quite simply, resumed Chateau-Renaud.

—Et à quelle occasion? demanda Beauchamp.

—Beauchamp, mon ami, vous saurez que je meurs de faim, dit Debray, ne donnez donc pas dans les histoires. “Beauchamp, my friend, you'll know I'm starving,” said Debray, “don't give in to stories.

—Eh bien, mais, dit Beauchamp, je n’empêche pas qu’on se mette à table, moi.... Château-Renaud nous racontera cela à table. “Well, but,” said Beauchamp, “I'm not preventing us from sitting down to table, me .... Château-Renaud will tell us about this at the table.

—Messieurs, dit Morcerf, il n’est encore que dix heures un quart, remarquez bien cela, et nous attendons un dernier convive. "Gentlemen," said Morcerf, "it is only a quarter past ten, notice that, and we are expecting a last guest.

—Ah! c’est vrai, un diplomate, reprit Debray.

—Un diplomate, ou autre chose, je n’en sais rien, ce que je sais, c’est que pour mon compte je l’ai chargé d’une ambassade qu’il a si bien terminée à ma satisfaction, qui si j’avais été roi, je l’eusse fait à l’instant même chevalier de tous mes ordres, eussé-je eu à la fois la disposition de la Toison d’or et de la Jarretière. -A diplomat, or something else, I do not know, what I know is that for my part I have charged him with an embassy which he finished so well to my satisfaction, which if I I had been king at the very moment, knight of all my orders, had I had at once the disposition of the Golden Fleece and the Garter.

—Alors, puisqu’on ne se met point encore à table, dit Debray, versez-vous un verre de xérès comme nous avons fait, et racontez-nous cela, baron. "Then, since we are not sitting down to table yet," said Debray, "pour yourself a glass of sherry as we have done, and tell us about it, baron." «Тогда, поскольку мы еще не за столом, - сказал Дебрей, - налейте себе стакан хереса, как мы это сделали, и скажите нам это, барон.

—Vous savez tous que l’idée m’était venue d’aller en Afrique. -You all know that the idea had come to me to go to Africa. -Вы все знаете, что мне пришла идея отправиться в Африку.

—C’est un chemin que vos ancêtres vous ont tracé, mon cher Château-Renaud, répondit galamment Morcerf. "This is a road that your ancestors have traced to you, my dear Chateau-Renaud," replied Morcerf gallantly.

—Oui, mais je doute que cela fût, comme eux, pour délivrer le tombeau du Christ. -Yes, but I doubt it was, like them, to deliver the tomb of Christ.

—Et vous avez raison, Beauchamp, dit le jeune aristocrate; c’était tout bonnement pour faire le coup de pistolet en amateur. "And you are right, Beauchamp," said the young aristocrat; it was simply to make the gun shot amateur. Le duel me répugne, comme vous savez, depuis que deux témoins, que j’avais choisis pour accommoder une affaire, m’ont forcé de casser le bras à un de mes meilleurs amis... eh pardieu! The duel disgusts me, as you know, since two witnesses, whom I had chosen to accommodate an affair, forced me to break my arm to one of my best friends. à ce pauvre Franz d’Épinay, que vous connaissez tous. to poor Franz d'Epinay, whom you all know.

—Ah oui! c’est vrai, dit Debray, vous vous êtes battu dans le temps... À quel propos? it's true, said Debray, you fought in time ... What about?

—Le diable m’emporte si je m’en souviens! -The devil take me if I remember! dit Château-Renaud; mais ce que je me rappelle parfaitement, c’est qu’ayant honte de laisser dormir un talent comme le mien, j’ai voulu essayer sur les Arabes des pistolets neufs dont on venait de me faire cadeau. said Chateau-Renaud; but what I remember perfectly is that, being ashamed to let a talent such as mine sleep, I wanted to try on the Arabs new pistols which had just been given to me. En conséquence je m’embarquai pour Oran; d’Oran je gagnai Constantine, et j’arrivai juste pour voir lever le siège. Accordingly I embarked for Oran; From Oran I reached Constantine, and I arrived just to see the siege rise. Je me mis en retraite comme les autres. Pendant quarante-huit heures je supportai assez bien la pluie le jour, la neige la nuit; enfin, dans la troisième matinée, mon cheval mourut de froid. For forty-eight hours I tolerated the rain quite well during the day, the snow at night; finally, in the third morning, my horse died of cold. Pauvre bête! Poor animal! accoutumée aux couvertures et au poêle de l’écurie... un cheval arabe qui seulement s’est trouvé un peu dépaysé en rencontrant dix degrés de froid en Arabie. accustomed to the blankets and stove of the stable ... an Arab horse who only found himself a little out of place by meeting ten degrees of cold in Arabia.

—C’est pour cela que vous voulez m’acheter mon cheval anglais, dit Debray; vous supposez qu’il supportera mieux le froid que votre arabe.

—Vous vous trompez, car j’ai fait vœu de ne plus retourner en Afrique.

—Vous avez donc eu bien peur? "So you were very scared?" demanda Beauchamp.

—Ma foi, oui, je l’avoue, répondit Château-Renaud; et il y avait de quoi! "Faith, yes, I admit it," replied Chateau-Renaud; and there was something! Mon cheval était donc mort; je faisais ma retraite à pied; six Arabes vinrent au galop pour me couper la tête, j’en abattis deux de mes deux coups de fusil, deux de mes deux coups de pistolet, mouches pleines; mais il en restait deux, et j’étais désarmé. My horse was dead; I was retiring on foot; six Arabs galloped to cut off my head; I slaughtered two of my two shots, two of my two pistol shots, full flies; but there were two left, and I was disarmed. L’un me prit par les cheveux, c’est pour cela que je les porte courts maintenant, on ne sait pas ce qui peut arriver, l’autre m’enveloppa le cou de son yatagan, et je sentais déjà le froid aigu du fer, quand monsieur, que vous voyez, chargea à son tour sur eux, tua celui qui me tenait par les cheveux d’un coup de pistolet, et fendit la tête de celui qui s’apprêtait à me couper la gorge d’un coup de sabre. One took me by the hair, that's why I wear them short now, we do not know what can happen, the other wrapped the neck of his yatagan, and I already felt the acute cold of iron, when sir, whom you see, charged in his turn on them, killed the one who held me by the hair with a pistol, and split the head of the one who was about to cut my throat at once. saber. Monsieur s’était donné pour tâche de sauver un homme ce jour-là, le hasard a voulu que ce fût moi; quand je serai riche, je ferai faire par Klagmann ou par Marochetti une statue du Hasard. Monsieur had given himself the task of saving a man that day, chance had it that it was me; when I am rich, I will have Klagmann or Marochetti make a Statue of Chance.

—Oui, dit en souriant Morrel, c’était le 5 septembre, c’est-à-dire l’anniversaire d’un jour où mon père fut miraculeusement sauvé; aussi, autant qu’il est en mon pouvoir, je célèbre tous les ans ce jour-là par quelque action....

—Héroïque, n’est-ce pas? -Heroic, is not it? interrompit Château-Renaud; bref, je fus l’élu, mais ce n’est pas tout. interrupted Chateau-Renaud; in short, I was elected, but that's not all. Après m’avoir sauvé du fer, il me sauva du froid, en me donnant, non pas la moitié de son manteau, comme faisait saint Martin, mais en me le donnant tout entier; puis de la faim, en partageant avec moi, devinez quoi? After saving me from the iron, he saved me from the cold, not by giving me half his coat, as Saint Martin did, but by giving me the whole thing; then from hunger, by sharing with me, guess what?

—Un pâté de chez Félix? -A block from Felix's house? demanda Beauchamp.

—Non pas, son cheval, dont nous mangeâmes chacun un morceau de grand appétit: c’était dur. "No, his horse, of which we each ate a piece of great appetite: it was hard.

—Le cheval? demanda en riant Morcerf.

—Non, le sacrifice, répondit Château-Renaud. "No, the sacrifice," replied Chateau-Renaud. Demandez à Debray s’il sacrifierait son anglais pour un étranger? Ask Debray if he would sacrifice his English for a stranger?

—Pour un étranger, non, dit Debray mais pour un ami, peut-être.

—Je devinai que vous deviendriez le mien, monsieur le baron, dit Morrel; d’ailleurs, j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, héroïsme ou non, sacrifice ou non, ce jour-là je devais une offrande à la mauvaise fortune en récompense de la faveur que nous avait faite autrefois la bonne. "I guessed that you would become mine, Monsieur le Baron," said Morrel; besides, I have already had the honor to tell you, heroism or not, sacrifice or not, that day I had an offering to the bad fortune in reward of the favor which had made us formerly the good one.

—Cette histoire à laquelle M. Morrel fait allusion, continua Château-Renaud, est toute une admirable histoire qu’il vous racontera un jour, quand vous aurez fait avec lui plus ample connaissance; pour aujourd’hui, garnissons l’estomac et non la mémoire. "This story to which M. Morrel alludes," continued Chateau-Renaud, "is an admirable story which he will relate to you one day, when you have made more acquainted with him; for today, let's stuff the stomach and not the memory. À quelle heure déjeunez-vous, Albert.

—À dix heures et demie.

—Précises? demanda Debray en tirant sa montre.

—Oh! vous m’accorderez bien les cinq minutes de grâce, dit Morcerf, car, moi aussi, j’attends un sauveur. you will grant me the five minutes of grace, says Morcerf, for I, too, am expecting a savior.

—À qui?

—À moi, parbleu! “To me, of course! répondit Morcerf.

Croyez-vous donc qu’on ne puisse pas me sauver comme un autre et qu’il n’y a que les Arabes qui coupent la tête! Do you believe, then, that one can not save me as another, and that only the Arabs cut off their heads! Notre déjeuner est un déjeuner philanthropique, et nous aurons à notre table, je l’espère du moins, deux bienfaiteurs de l’humanité. Our lunch is a philanthropic lunch, and we will have at our table, I hope at least, two benefactors of humanity.

—Comment ferons-nous? -How shall we do? dit Debray, nous n’avons qu’un prix Montyon? said Debray, we have only one Montyon prize?

—Eh bien, mais on le donnera à quelqu’un qui n’aura rien fait pour l’avoir, dit Beauchamp. "Well, but we'll give it to someone who will not have done anything to get it," said Beauchamp. C’est de cette façon-là que d’ordinaire l’Académie se tire d’embarras. It is in this way that the Academy usually gets out of trouble.

—Et d’où vient-il? -And where does it come from? demanda Debray; excusez l’insistance; vous avez déjà, je le sais bien, répondu à cette question, mais assez vaguement pour que je me permette de la poser une seconde fois. asked Debray; excuse the insistence; you have already, I know, answered this question, but vaguely enough for me to take the liberty of asking it a second time.

—En vérité, dit Albert, je n’en sais rien. “In truth,” said Albert, “I don't know. Quand je l’ai invité, il y a trois mois de cela, il était à Rome; mais depuis ce temps-là, qui peut dire le chemin qu’il a fait! When I invited him three months ago, he was in Rome; but since that time, who can say the path he has made!

—Et le croyez-vous capable d’être exact? “And do you think he can be exact? demanda Debray.

—Je le crois capable de tout, répondit Morcerf.

—Faites attention qu’avec les cinq minutes de grâce, nous n’avons plus que dix minutes. -Be careful that with the five minutes of grace, we have only ten minutes left.

—Eh bien, j’en profiterai pour vous dire un mot de mon convive. “Well, I'll take this opportunity to say a word about my guest.

—Pardon, dit Beauchamp, y a-t-il matière à un feuilleton dans ce que vous allez nous raconter? "Excuse me," said Beauchamp, "is there anything in a soap opera about what you are going to tell us?

—Oui, certes, dit Morcerf, et des plus curieux, même.

—Dites alors, car je vois bien que je manquerai la Chambre; il faut bien que je me rattrape. "Say then, for I see that I will miss the House; I must catch up.

—J’étais à Rome au carnaval dernier.

—Nous savons cela, dit Beauchamp. “We know that,” said Beauchamp.

—Oui, mais ce que vous ne savez pas, c’est que j’avais été enlevé par des brigands. “Yes, but what you don't know is that I was kidnapped by bandits.

—Il n’y a pas de brigands, dit Debray. "There are no brigands," said Debray.

—Si fait, il y en a, et de hideux même, c’est-à-dire d’admirables, car je les ai trouvés beaux à faire peur. "Yes, there are some, and even hideous, that is to say, admirable, for I have found them beautiful to frighten.

—Voyons, mon cher Albert, dit Debray, avouez que votre cuisinier est en retard, que les huîtres ne sont pas arrivées de Marennes ou d’Ostende, et qu’à l’exemple de Mme de Maintenon, vous voulez remplacer le plat par un comte. “Come on, my dear Albert,” said Debray, “admit that your cook is late, that the oysters have not arrived from Marennes or Ostende, and that, following the example of Mme de Maintenon, you want to replace the dish with a count. Dites-le, mon cher, nous sommes d’assez bonne compagnie pour vous le pardonner et pour écouter votre histoire, toute fabuleuse qu’elle promet d’être. Say it, my dear, we are good enough company to forgive you and to listen to your story, fabulous as it promises to be.

—Et, moi, je vous dis, toute fabuleuse qu’elle est, que je vous la donne pour vraie d’un bout à l’autre. And I tell you, as fabulous as it is, that I give it to you as true from one end to the other. Les brigands m’avaient donc enlevé et m’avaient conduit dans un endroit fort triste qu’on appelle les catacombes de Saint-Sébastien. The brigands had therefore kidnapped me and led me to a very sad place called the catacombs of Saint Sebastian.

—Je connais cela, dit Château-Renaud, j’ai manqué d’y attraper la fièvre. "I know that," said Chateau-Renaud, "I missed catching the fever.

—Et, moi, j’ai fait mieux que cela, dit Morcerf, je l’ai eue réellement. "And I did better than that," said Morcerf, "I really did. On m’avait annoncé que j’étais prisonnier sauf rançon, une misère, quatre mille écus romains, vingt-six mille livres tournois. I had been told that I was a prisoner save ransom, a misery, four thousand Roman crowns, twenty-six thousand livres tournaments. Malheureusement je n’en avais plus que quinze cents; j’étais au bout de mon voyage et mon crédit était épuisé. Unfortunately I only had fifteen hundred left; I was at the end of my trip and my credit was exhausted. J’écrivis à Franz. I wrote to Franz. Et, pardieu! And, pardieu! tenez, Franz en était, et vous pouvez lui demander si je mens d’une virgule; j’écrivis à Franz que s’il n’arrivait pas à six heures du matin avec les quatre mille écus, à six heures dix minutes j’aurais rejoint les bienheureux saints et les glorieux martyrs dans la compagnie desquels j’avais eu l’honneur de me trouver. Here, Franz was there, and you can ask him if I'm lying with a comma; I wrote to Franz that if he did not arrive at six o'clock in the morning with the four thousand crowns, at six ten minutes I would have joined the blessed saints and the glorious martyrs in whose company I had been. honor to find me. Et M. Luigi Vampa, c’est le nom de mon chef de brigands, m’aurait, je vous prie de le croire, tenu scrupuleusement parole. And Mr. Luigi Vampa, that's the name of my brigand leader, would have, I beg you to believe, kept my word scrupulously.

—Mais Franz arriva avec les quatre mille écus? "But Franz came with the four thousand crowns?" dit Château-Renaud.

Que diable! What the hell! on n’est pas embarrassé pour quatre mille écus quand on s’appelle Franz d’Épinay ou Albert de Morcerf. you are not embarrassed for four thousand crowns when your name is Franz d'Epinay or Albert de Morcerf.

—Non, il arriva purement et simplement accompagné du convive que je vous annonce et que j’espère vous présenter. “No, he arrived purely and simply accompanied by the guest whom I am announcing to you and whom I hope to introduce to you.

—Ah çà! mais c’est donc un Hercule tuant Cacus, que ce monsieur, un Persée délivrant Andromède? but it is thus a Hercules killing Cacus, that this gentleman, a Perseus delivering Andromeda?

—Non, c’est un homme de ma taille à peu près. “No, he's a man about my size.

—Armé jusqu’aux dents? -Armed to the teeth?

—Il n’avait pas même une aiguille à tricoter. “He didn't even have a knitting needle.

—Mais il traita de votre rançon? “But he dealt with your ransom?

—Il dit deux mots à l’oreille du chef, et je fus libre.

—On lui fit même des excuses de vous avoir arrêté, dit Beauchamp. "He even apologized for having stopped you," said Beauchamp.

—Justement, dit Morcerf.

—Ah çà! mais c’était donc l’Arioste que cet homme? but it was Ariosto that man?

—Non, c’était tout simplement le comte de Monte-Cristo.

—On ne s’appelle pas le comte de Monte-Cristo, dit Debray. "The Count of Monte Cristo is not called," said Debray.

—Je ne crois pas, ajouta Château-Renaud avec le sang-froid d’un homme qui connaît sur le bout du doigt son nobilaire européen; qui est-ce qui connaît quelque part un comte de Monte-Cristo? "I do not think so," added Chateau-Renaud, with the coolness of a man who knows his European nobility at his fingertips; who knows a Count of Monte Cristo somewhere?

—Il vient peut-être de Terre Sainte, dit Beauchamp; un de ses aïeux aura possédé le Calvaire, comme les Mortemart la mer Morte. "He may come from the Holy Land," said Beauchamp; one of his ancestors will have possessed Calvary, like Mortemart the Dead Sea.

—Pardon, dit Maximilien, mais je crois que je vais vous tirer d’embarras, messieurs; Monte-Cristo est une petite île dont j’ai souvent entendu parler aux marins qu’employait mon père: un grain de sable au milieu de la Méditerranée, un atome dans l’infini. "Excuse me," said Maximilian, "but I think I will help you out, gentlemen; Monte Cristo is a small island that I often heard from my father's sailors: a grain of sand in the middle of the Mediterranean, an atom in the infinite.

—C’est parfaitement cela, monsieur! “That's exactly it, sir! dit Albert.

Eh bien, de ce grain de sable, de cet atome, est seigneur et roi celui dont je vous parle; il aura acheté ce brevet de comte quelque part en Toscane. Well, of this grain of sand, of this atom, is lord and king the one of whom I speak to you; he will have bought this count's patent somewhere in Tuscany.

—Il est donc riche, votre comte? "Is he then rich, your count?"

—Ma foi, je le crois. “Faith, I believe so.

—Mais cela doit se voir, ce me semble? -But it must be seen, it seems to me?

—Voilà ce qui vous trompe, Debray. “That's what's fooling you, Debray.

—Je ne vous comprends plus. -I do not understand you anymore.

—Avez-vous lu les  Mille et une Nuits ? “Have you read Thousand and One Nights?

—Parbleu! “Of course! belle question!

—Eh bien, savez-vous donc si les gens qu’on y voit sont riches ou pauvres? "Well, do you know if the people you see there are rich or poor?" si leurs grains de blé ne sont pas des rubis ou des diamants? if their grains of wheat are not rubies or diamonds? Ils ont l’air de misérables pêcheurs, n’est-ce pas? They look like miserable fishermen, don't they? vous les traitez comme tels, et tout à coup ils vous ouvrent quelque caverne mystérieuse, où vous trouvez un trésor à acheter l’Inde. you treat them as such, and suddenly they open up some mysterious cave for you, where you find a treasure to buy from India.

—Après? -After?

—Après, mon comte de Monte-Cristo est un de ces pêcheurs-là. “Afterwards, my Count de Monte-Cristo is one of those fishermen. Il a même un nom tiré de la chose, il s’appelle Simbad le marin et possède une caverne pleine d’or. He even has a name taken from the thing, his name is Simbad the Sailor and has a cave full of gold.

—Et vous avez vu cette caverne, Morcerf? "And have you seen this cave, Morcerf?" demanda Beauchamp.

—Non, pas moi, Franz. Mais, chut! Quiet! il ne faut pas dire un mot de cela devant lui. you must not say a word of that in front of him. Franz y est descendu les yeux bandés, et il a été servi par des muets et par des femmes près desquelles, à ce qu’il paraît, Cléopâtre n’est qu’une lorette. Franz went down there blindfolded, and was served by dumb men and women near whom, it seems, Cleopatra is only a lorette. Seulement des femmes il n’en est pas bien sûr, vu qu’elles ne sont entrées qu’après qu’il eut mangé du haschich; de sorte qu’il se pourrait bien que ce qu’il a pris pour des femmes fût tout bonnement un quadrille de statues.» Only women are not sure of it, since they only came in after he had eaten hashish; so that it may well be that what he took for women was simply a quadrille of statues. "

Les jeunes gens regardèrent Morcerf d’un œil qui voulait dire: The young men looked at Morcerf with an eye which meant:

«Ah çà, mon cher, devenez-vous insensé, ou vous moquez-vous de nous? "Ah, dear, do you become foolish, or do you make fun of us?

—En effet, dit Morrel pensif, j’ai entendu raconter encore par un vieux marin nommé Penelon quelque chose de pareil à ce que dit là M. de Morcerf. "Indeed," said Morrel thoughtfully, "I have heard another old sailor named Penelon say something similar to what M. de Morcerf says there.

—Ah! fit Albert, c’est bien heureux que M. Morrel me vienne en aide. said Albert, it is very fortunate that M. Morrel is helping me. Cela vous contrarie, n’est-ce pas, qu’il jette ainsi un peloton de fil dans mon labyrinthe? That upsets you, does not it, that he throws a platoon of thread into my labyrinth?

—Pardon, cher ami, dit Debray, c’est que vous nous racontez des choses si invraisemblables.... 'Pardon me, dear friend,' said Debray, 'it is because you are telling us such incredible things ....

—Ah parbleu! “Ah, of course! parce que vos ambassadeurs, vos consuls ne vous en parlent pas! because your ambassadors, your consuls do not speak to you about it! Ils n’ont pas le temps, il faut bien qu’ils molestent leurs compatriotes qui voyagent. They do not have time, they must molest their traveling compatriots.

—Ah! bon, voilà que vous vous fâchez, et que vous tombez sur nos pauvres agents. Now, you are angry, and you come upon our poor agents. Eh! mon Dieu! avec quoi voulez-vous qu’ils vous protègent? with what do you want them to protect you? la Chambre leur rogne tous les jours leurs appointements; c’est au point qu’on n’en trouve plus. the Chamber cuts their salaries every day; it's to the point that we can not find any more. Палата ежедневно сокращает свои зарплаты; Дело в том, что мы больше не можем найти. Voulez-vous être ambassadeur, Albert? Do you want to be an ambassador, Albert? je vous fais nommer à Constantinople. I have you appointed to Constantinople.

—Non pas! pour que le sultan, à la première démonstration que je ferai en faveur de Méhémet-Ali, m’envoie le cordon et que mes secrétaires m’étranglent. so that the Sultan, at the first demonstration which I will make in favor of Mehemet Ali, sends me the cord and that my secretaries choke me.

—Vous voyez bien, dit Debray. “You see,” said Debray.

—Oui, mais tout cela n’empêche pas mon comte de Monte-Cristo d’exister! -Yes, but all this does not prevent my count of Monte-Cristo from existing!

—Pardieu! tout le monde existe, le beau miracle! everyone exists, the beautiful miracle!

—Tout le monde existe, sans doute, mais pas dans des conditions pareilles. "Everybody exists, no doubt, but not under such conditions. Tout le monde n’a pas des esclaves noirs, des galeries princières, des armes comme à la casauba, des chevaux de six mille francs pièce, des maîtresses grecques! Not everyone has black slaves, princely galleries, weapons like the casauba, horses of six thousand francs each, Greek mistresses!

—L’avez-vous vue, la maîtresse grecque? “Have you seen her, the Greek mistress?

—Oui, je l’ai vue et entendue. -Yes, I saw her and heard. Vue au théâtre Valle, entendue un jour que j’ai déjeuné chez le comte.

—Il mange donc, votre homme extraordinaire? "He eats, then, your extraordinary man?

—Ma foi, s’il mange, c’est si peu, que ce n’est point la peine d’en parler. "Faith, if he eats, it is so little, that it is not worth while to speak of it.

—Vous verrez que c’est un vampire. -You will see that he is a vampire.

—Riez si vous voulez. “Laugh if you want. C’était l’opinion de la comtesse G..., qui, comme vous le savez, a connu Lord Ruthwen. This was the opinion of Countess G ..., who, as you know, knew Lord Ruthwen.

—Ah! joli! dit Beauchamp, voilà pour un homme non journaliste le pendant du fameux serpent de mer du  Constitutionnel ; un vampire, c’est parfait! says Beauchamp, this is for a man not a journalist the counterpart of the famous sea serpent of the Constitutional; a vampire, it's perfect!

—Oeil fauve dont la prunelle diminue et se dilate à volonté, dit Debray; angle facial développé, front magnifique, teint livide, barbe noire, dents blanches et aiguës, politesse toute pareille. "Tawny eye, the pupil of which diminishes and dilates at will," said Debray; developed facial angle, magnificent forehead, livid complexion, black beard, sharp white teeth, all the same politeness.

—Eh bien, c’est justement cela, Lucien, dit Morcerf, et le signalement est tracé trait pour trait. "Well, that's exactly it, Lucien," said Morcerf, "and the description is traced out. Oui, politesse aiguë et incisive. Yes, sharp and incisive politeness. Cet homme m’a souvent donné le frisson; un jour entre autres, que nous regardions ensemble une exécution, j’ai cru que j’allais me trouver mal, bien plus de le voir et de l’entendre causer froidement sur tous les supplices de la terre, que de voir le bourreau remplir son office et que d’entendre les cris du patient. This man often gave me the thrill; One day, among other things, when we were watching an execution together, I thought that I was going to be in a bad way, more to see him and to hear him talk coldly about all the tortures of the earth, than to see the executioner fill his office and only to hear the cries of the patient.

—Ne vous a-t-il pas conduit un peu dans les ruines du Colisée pour vous sucer le sang, Morcerf? -Did he not lead you a little in the ruins of the Coliseum to suck your blood, Morcerf? demanda Beauchamp.

—Ou, après vous avoir délivré, ne vous a-t-il pas fait signer quelque parchemin couleur de feu, par lequel vous lui cédiez votre âme, comme Ésaü son droit d’aînesse? "Or, after having delivered you, did he not cause you to sign some parchment of the color of fire, by which you ceded to him your soul, like Esau, his birthright?

—Raillez! -Raillez! raillez tant que vous voudrez, messieurs! sneer as much as you please, gentlemen! dit Morcerf un peu piqué. said Morcerf a little stung. Quand je vous regarde, vous autres beaux Parisiens, habitués du boulevard de Gand, promeneurs du bois de Boulogne, et que je me rappelle cet homme, eh bien, il me semble que nous ne sommes pas de la même espèce. When I look at you, you handsome Parisians, regulars on the Boulevard de Gand, strollers in the Bois de Boulogne, and I remember this man, well, it seems to me that we are not of the same species.

—Je m’en flatte! -I flatter myself! dit Beauchamp.

—Toujours est-il, ajouta Château-Renaud, que votre comte de Monte-Cristo est un galant homme dans ses moments perdus, sauf toutefois ses petits arrangements avec les bandits italiens. "Still," added Chateau-Renaud, "your Count de Monte Cristo is a gallant man in his lost moments, except, however, his little arrangements with the Italian bandits.

—Eh! il n’y a pas de bandits italiens! there are no Italian bandits! dit Debray.

—Pas de vampires! ajouta Beauchamp.

—Pas de comte de Monte-Cristo, ajouta Debray. Tenez, cher Albert, voilà dix heures et demie qui sonnent. Here, dear Albert, it's half past ten.

—Avouez que vous avez eu le cauchemar, et allons déjeuner», dit Beauchamp. "Admit you had the nightmare, and let's go to lunch," said Beauchamp.

Mais la vibration de la pendule ne s’était pas encore éteinte, lorsque la porte s’ouvrit, et que Germain annonça: But the vibration of the clock had not yet extinguished, when the door opened, and Germain announced:

«Son Excellence le comte de Monte-Cristo!»

Tous les auditeurs firent malgré eux un bond qui dénotait la préoccupation que le récit de Morcerf avait infiltrée dans leurs âmes. In spite of themselves, all the listeners made a leap that denoted the preoccupation that Morcerf's story had infiltrated into their souls. Albert lui-même ne put se défendre d’une émotion soudaine.

On n’avait entendu ni voiture dans la rue, ni pas dans l’antichambre; la porte elle-même s’était ouverte sans bruit. No car had been heard in the street, nor in the antechamber; the door itself had opened noiselessly.

Le comte parut sur le seuil, vêtu avec la plus grande simplicité, mais le  lion  le plus exigeant n’eût rien trouvé à reprendre à sa toilette. The count appeared on the threshold, dressed with the greatest simplicity, but the most demanding lion would have found nothing to regain his dress. Tout était d’un goût exquis, tout sortait des mains des plus élégants fournisseurs, habits, chapeau et linge. Everything was of exquisite taste, everything came from the hands of the most elegant suppliers, clothes, hat and linen.

Il paraissait âgé de trente-cinq ans à peine, et, ce qui frappa tout le monde, ce fut son extrême ressemblance avec le portrait qu’avait tracé de lui Debray. He seemed scarcely thirty-five years old, and what struck everyone was his extreme resemblance to the portrait which Debray had sketched of him.

Le comte s’avança en souriant au milieu du salon, et vint droit à Albert, qui, marchant au-devant de lui, lui offrit la main avec empressement. The count advanced, smiling in the middle of the drawing-room, and came straight to Albert, who, walking to meet him, offered him his hand with eagerness.

«L’exactitude, dit Monte-Cristo, est la politesse des rois, à ce qu’a prétendu, je crois, un de nos souverains. "Accuracy," says Monte Cristo, "is the politeness of kings, as I think one of our sovereigns has claimed. «Точность, - говорит Монте-Кристо, - это вежливость королей, как я думаю, один из наших государей. Mais quelle que soit leur bonne volonté, elle n’est pas toujours celle des voyageurs. But whatever their good will, it is not always that of travelers. Cependant j’espère, mon cher vicomte, que vous excuserez, en faveur de ma bonne volonté, les deux ou trois secondes de retard que je crois avoir mises à paraître au rendez-vous. Nevertheless, I hope, my dear Vicomte, that you will excuse, in favor of my good will, the two or three seconds' delay which I think I have made to appear at the rendezvous. Cinq cents lieues ne se font pas sans quelque contrariété, surtout en France, où il est défendu, à ce qu’il paraît, de battre les postillons. Five hundred leagues are not made without some annoyance, especially in France, where it is forbidden, it seems, to beat the postillions.

—Monsieur le comte, répondit Albert, j’étais en train d’annoncer votre visite à quelques-uns de mes amis que j’ai réunis à l’occasion de la promesse que vous avez bien voulu me faire, et que j’ai l’honneur de vous présenter. "Monsieur le Comte," replied Albert, "I was announcing your visit to some of my friends whom I met on the occasion of the promise which you have kindly made to me, and which I have the honor to present you. Ce sont M. le comte de Château-Renaud, dont la noblesse remonte aux Douze pairs, et dont les ancêtres ont eu leur place à la Table Ronde; M. Lucien Debray, secrétaire particulier du ministre de l’intérieur; M. Beauchamp, terrible journaliste, l’effroi du gouvernement français, mais dont peut-être, malgré sa célébrité nationale, vous n’avez jamais entendu parler en Italie, attendu que son journal n’y entre pas; enfin M. Maximilien Morrel, capitaine de spahis.» These are the Count de Chateau-Renaud, whose nobility dates back to the Twelve Peers, and whose ancestors had their place at the Round Table; Lucien Debray, private secretary to the Minister of the Interior; M. Beauchamp, a terrible journalist, the terror of the French government, but of which, perhaps, in spite of his national celebrity, you have never heard of it in Italy, since his journal does not enter it; lastly, Maximilian Morrel, captain of Spahis. "

À ce nom, le comte, qui avait jusque-là salué courtoisement, mais avec une froideur et une impassibilité tout anglaises, fit malgré lui un pas en avant, et un léger ton de vermillon passa comme l’éclair sur ses joues pâles. At this name, the count, who had hitherto courteously saluted, but with coldness and impassiveness, made a step forward in spite of himself, and a slight hint of vermilion flashed over his pale cheeks.

«Monsieur porte l’uniforme des nouveaux vainqueurs français, dit-il, c’est un bel uniforme.» "Monsieur is wearing the uniform of the new French winners," he says. "It's a beautiful uniform."

On n’eût pas pu dire quel était le sentiment qui donnait à la voix du comte une si profonde vibration et qui faisait briller, comme malgré lui, son œil si beau, si calme et si limpide, quand il n’avait point un motif quelconque pour le voiler. It would not have been possible to say what was the feeling which gave the count's voice such a profound vibration, and which shone, as if in spite of himself, his eye so beautiful, so calm, so limpid, when he had no motive to hide it. Невозможно было сказать, какое было чувство, которое произвело на голос графа такую ​​глубокую вибрацию и которое сияло, как будто, несмотря на самого себя, его глаз такой красивый, такой спокойный, такой прозрачный, когда у него не было мотива чтобы скрыть это.

«Vous n’aviez jamais vu nos Africains, monsieur? "Have you never seen our Africans, sir? dit Albert.

—Jamais, répliqua le comte, redevenu parfaitement libre de lui. "Never," replied the count, "again become perfectly free from him.

—Eh bien, monsieur, sous cet uniforme bat un des cœurs les plus braves et les plus nobles de l’armée. "Well, sir, in this uniform beats one of the bravest and most noble hearts of the army.

—Oh! monsieur le comte, interrompit Morrel.

—Laissez-moi dire, capitaine.... Et nous venons, continua Albert, d’apprendre de monsieur un fait si héroïque, que, quoique je l’aie vu aujourd’hui pour la première fois, je réclame de lui la faveur de vous le présenter comme mon ami.» "Let me tell you, captain. And we come," continued Albert, "to learn from Monsieur a fact so heroic, that, although I saw him today for the first time, I ask of him the favor to present him as my friend. "

Et l’on put encore, à ces paroles, remarquer chez Monte-Cristo ce regard étrange de fixité, cette rougeur furtive et ce léger tremblement de la paupière qui, chez lui, décelaient l’émotion. And at these words one could still remark at Monte Cristo that strange gaze of fixity, that furtive redness and slight trembling of the eyelid, which, in him, revealed the emotion.

«Ah! “Ah! Monsieur est un noble cœur, dit le comte, tant mieux!» Monsieur is a noble heart, "said the count," so much the better! "

Cette espèce d’exclamation, qui répondait à la propre pensée du comte plutôt qu’à ce que venait de dire Albert, surprit tout le monde et surtout Morrel, qui regarda Monte-Cristo avec étonnement. This kind of exclamation, which answered the count's own thought rather than what Albert had just said, surprised everyone, especially Morrel, who looked at Monte Cristo with astonishment. Mais en même temps l’intonation était si douce et pour ainsi dire si suave que, quelque étrange que fût cette exclamation, il n’y avait pas moyen de s’en fâcher. But at the same time the intonation was so sweet and so sweet that, no matter how strange this exclamation, there was no way to be angry with it.

«Pourquoi en douterait-il? "Why would he doubt it? dit Beauchamp à Château-Renaud. said Beauchamp to Château-Renaud.

—En vérité, répondit celui-ci, qui, avec son habitude du monde et la netteté de son œil aristocratique, avait pénétré de Monte-Cristo tout ce qui était pénétrable en lui, en vérité Albert ne nous a point trompés, et c’est un singulier personnage que le comte; qu’en dites-vous, Morrel? "In truth," replied the latter, who, with his habit of the world and the sharpness of his aristocratic eye, had penetrated from Monte Cristo all that was penetrable in him, in truth Albert did not deceive us; is a singular personage, the count; what do you say, Morrel?

—Ma foi, dit celui-ci, il a l’œil franc et la voix sympathique, de sorte qu’il me plaît, malgré la réflexion bizarre qu’il vient de faire à mon endroit. "Faith," said he, "he has a frank eye and a sympathetic voice, so that I like him, in spite of the strange reflection he has just made on me.

—Messieurs, dit Albert, Germain m’annonce que vous êtes servis. "Gentlemen," said Albert, "Germain tells me you are served. Mon cher comte, permettez-moi de vous montrer le chemin.» My dear count, let me show you the way. "

On passa silencieusement dans la salle à manger. We went silently into the dining room. Chacun prit sa place. Everyone took their place.

«Messieurs, dit le comte en s’asseyant, permettez-moi un aveu qui sera mon excuse pour toutes les inconvenances que je pourrai faire: je suis étranger, mais étranger à tel point que c’est la première fois que je viens à Paris. "Gentlemen," said the count, sitting down, "permit me a confession, which will be my excuse for all the inconveniences I can do: I am a stranger, but a stranger to the point that it is the first time that I have come to Paris . La vie française m’est donc parfaitement inconnue, et je n’ai guère jusqu’à présent pratiqué que la vie orientale, la plus antipathique aux bonnes traditions parisiennes. French life is therefore completely unknown to me, and I have so far practiced only Oriental life, the most unpleasant of good Parisian traditions. Je vous prie donc de m’excuser si vous trouvez en moi quelque chose de trop turc, de trop napolitain ou de trop arabe. I beg you to excuse me if you find in me something too Turkish, too Neapolitan or too Arab. Cela dit, messieurs, déjeunons. That said, gentlemen, have lunch.

—Comme il dit tout cela! -She says all that! murmura Beauchamp; c’est décidément un grand seigneur. murmured Beauchamp; he is definitely a great lord.

—Un grand seigneur, ajouta Debray. -A great lord," added Debray.

—Un grand seigneur de tous les pays, monsieur Debray», dit Château-Renaud. "A great lord of all countries, Monsieur Debray," said Chateau-Renaud.