×

We use cookies to help make LingQ better. By visiting the site, you agree to our cookie policy.


image

Science Étonnante, (#38) Les coûts irrécupérables — Crétin de cerveau #3 - YouTube

(#38) Les coûts irrécupérables — Crétin de cerveau #3 - YouTube

Bonjour à tous.

Pour le 3e épisode de ma série "Crétin de cerveau" consacrée aux biais cognitifs,

on va parler des coûts irrécupérables.

Alors imaginons,

vous trouvez un super plan pour un weekend au ski

200 € tout compris.

Du coup, vous réservez et puis à deux jours du weekend en question

vous ne le sentez plus si bien que ça.

Vous n'êtes pas en grande forme, à moitié malade

et puis la météo s'annonce franchement pourrie.

Et là soudain, il y a un de vos potes qui vous appelle

et qui vous propose de venir plutôt passer le weekend chez lui avec des amis

à regarder l'intégrale de Game of Thrones en buvant du chocolat chaud.

Alors vous hésitez un peu, c'est vrai que ce serait hyper sympa ce weekend série

mais vous avez déjà réservé votre weekend au ski et ça serait con de gâcher 200€.

Du coup, vous refusez la proposition et vous allez skier.

Et là, comme prévu, ben c'est nul.

Il fait froid, vous rentrez à moitié malade, la neige est pourrie.

Ouais mais au moins, vous n'avez pas gâché vos 200€.

Enfin...vous êtes sûrs ?

En vous forçant à aller au weekend ski pourri pour "pas gâcher",

vous commettez une erreur de raisonnement, celle dite des coûts irrécupérables.

Pour décider si vous allez au ski ou chez votre ami regarder des séries,

il faut prendre ce qui vous fait le plus plaisir.

Les 200€, ils sont déjà dépensés. Vous ne pouvez pas les récupérer

donc ils ne devraient pas rentrer en ligne de compte.

Le choix, il est entre:

avoir payé 200€ et passer un weekend pourri au ski

et avoir payé 200€ et passer un bon weekend à regarder des séries.

Donc la meilleure décision, il n'y a pas de débat, c'est le weekend série.

Notre incapacité à faire abstraction des coûts passés irrécupérables,

c'est un biais cognitif qui nous fait commettre des erreurs de jugement

et on va voir qu'on en retrouve un peu partout.

L'histoire de ski que je viens de vous raconter est inspirée par le scénario d'une expérience

qui a été menée dans les années 80 par deux psychologues, Arkes et Blumer,

dans ce qui est la publication de référence sur les coûts irrécupérables.

Dans leur première expérience, ils ont proposé le scénario suivant

à une soixantaine de personnes.

Imaginons que vous ayez réservé deux weekends au ski.

Un dans le Michigan pour 100$ et un dans le Wisconsin pour 50$.

Et puis soudain, vous réalisez que les deux tombent en fait à la même date.

Vous ne pouvez pas vous faire rembourser et celui qui vous plait le plus, c'est celui du Wisconsin.

Au quel des deux vous décidez d'aller ?

Dans cette situation, plus de la moitié des gens ont choisi le weekend du Michigan.

C'est-à-dire celui qui les intéressait le moins, mais qu'ils avaient payé le plus cher.

Comme s'il fallait absolument aller au weekend le plus cher

pour gâcher le moins possible.

C'est-à-dire que 50% des gens prennent une décision irrationnelle.

L'expérience que je viens de vous décrire est intéressante, mais ça reste un jeu de rôle,

ce n'était pas une vraie situation, les gens répondaient à un questionnaire.

Du coup, Arkes et Blumer ont voulu tester le biais des coûts irrécupérables

dans une situation réelle.

Pour ça, ils sont allés à la caisse d'un théâtre qui vendait des abonnements pour toute une saison

et la saison comptait cinq pièces de théâtre.

Et puis aléatoirement, ils ont proposé à certains clients des réductions sur l'abonnement.

8$ au lieu de 15$

Ils ont ensuite suivi pendant toute la saison combien de pièces de théâtre les gens venaient voir.

Les gens qui avaient payé leur abonnement plein tarif, 15$,

sont allés en moyenne voir 4,1 pièces sur 5.

Tandis que ceux qui avaient eu une réduction, sont venus seulement 3,3 fois en moyenne.

L'interprétation des auteurs, est que ceux qui avaient payé le plein tarif

se sentaient obligés de rentabiliser leur abonnement plus que les autres.

Et donc ils se forçaient plus à aller voir les pièces que ceux qui avaient eu une réduction.

Cette idée fallacieuse qu'il faille absolument rentabiliser les dépenses passées pour "pas gâcher"

on la retrouve dans tout un tas de situations.

Des situations de la vie courante bien sûr, mais aussi chez les hommes politiques

ou bien les managers des administrations ou des entreprises.

C'est particulièrement vrai quand il y a des investissements,

par exemple en recherche et développement.

Pour tester ça, Arkes et Blumer ont proposé le petit scénario suivant :

imaginons que vous soyez le PDG d'une entreprise d'aéronautique

vous souhaitez développer un nouvel avion furtif,

c'est-à-dire que les radars ne peuvent pas détecter. Le projet de recherche et développement coûte 10 M$

et vous en avez déjà dépensé 9 et le projet est achevé à 90%.

Mais, pas de bol, un concurrent juste avant vous

sort un avion furtif moins cher et plus performant que celui que vous êtes en train de développer.

La question c'est : est-ce que vous dépensez 1 M$

pour compléter le projet ?

Sur ce petit scénario fictif, le "oui" l'a emporté à 85%,

c'est-à-dire que 85% des gens décidaient de dépenser le million de dollars supplémentaire

pour terminer le projet.

À un second groupe de participants, on a proposé une variante du scénario.

La situation de départ est absolument identique

sauf que le projet de R&D; coûte seulement 1 M$, mais qu'il n'a pas commencé. Et donc la question c'est,

"êtes-vous prêt à dépenser 1 M$ pour faire le projet ?"

Eh ben là, c'est le non qui a été choisi à 83%.

Et pourtant, si vous regardez bien,

dans les deux scénarios la question est absolument la même.

Il s'agit de savoir si on est prêt à mettre 1 M$ pour développer un avion

dont on sait qu'il sera moins performant que celui du concurrent.

On peut avoir de bonnes raisons de le faire ou de ne pas le faire,

mais la réponse ne devrait pas différer dans les deux scénarios.

Le raisonnement fallacieux lié aux coûts irrécupérables

a tendance à créer des situations où on dépense toujours plus

pour rentabiliser les investissements passés.

Et donc, on a une espèce d'escalade des coûts,

même si on sait que le projet, à la fin, ne sera pas rentable.

On retrouve souvent ça en politique.

Il y a un cas fameux qui est discuté par Arkes et Blumer,

c'est le projet de canal dit Tenn-Tom, aux Étas-Unis, entre le Tennessee et l'Alabama.

Même après son commencement, ce projet a été pas mal remis en question

et on a des citations d'hommes politiques qui défendaient le projet avec des arguments du genre :

Eh ben non, biais des coûts irrécupérables.

En France, il y a un cas fameux qui est assez similaire, c'est celui du développement du Concorde.

Même si les gouvernements britanniques et français savaient au bout d'un moment

que le projet serait un échec commercial,

ils ont choisi de continuer le projet Concorde

pour ne pas gâcher l'agent déjà investi dans le développement.

Le cas est tellement fameux que dans la littérature scientifique,

le biais des coûts irrécupérables est parfois appelé: l'effet Concorde.

Il y a un autre exemple politique qui est très connu,

ce sont les arguments qui ont été avancés par certains Américains pour ne pas se retirer du Vietnam

et qui donnaient des justifications du genre:

trop de vies de soldats ont déjà été perdues

et si on se retire maintenant, elles l'auront été pour rien.

Et pareil, c'est un coût irrécupérable,

il ne devrait pas rentrer en ligne de compte dans la décision.

Sur une note plus légère,

il y a un auteur qui a étudié l'effet des coûts irrécupérables

sur les décisions prises par les coachs de basket.

Vous savez peut-être qu'en NBA et dans d'autres sports US,

il y a un processus qui permet aux équipes d'aller piocher à tour de rôle

des joueurs dans le championnat universitaire.

Ça s'appelle la draft.

Et donc, il y a une publication qui montre qu'à performances égales,

plus un joueur a été choisi tôt dans la draft, plus le coach va le faire jouer,

comme s'il fallait absolument le rentabiliser même s'il n'était pas si bon que ça.

Bon allez, assez d'exemples maintenant, regardons un peu les considérations théoriques.

Du point de vue de la théorie économique, prendre une décision, c'est relativement simple.

Il suffit de comparer les coûts et les bénéfices attendus des différentes options.

Et quand on fait ça, on ne doit prendre en compte que les coûts futurs,

Ceux sur lesquels on a un levier d'action.

Les coûts passés qui sont irrécupérables ne devraient pas rentrer en ligne de compte.

Enfin, ça, c'est le comportement rationnel.

Ce qu'on vient de voir, c'est que dans tout un tas de situations

ben ce n'est pas ce qu'on fait.

On se comporte de manière fondamentalement irrationnelle.

Et ça, c'est une observation très importante parce qu'il y a énormément de travaux en économie,

et notamment dans ce qu'on appelle la micro-économie,

qui font l'hypothèse que tout le monde se comporte toujours

de manière parfaitement rationnelle,

prend toujours les meilleures décisions dans son intérêt et ne commet jamais d'erreur de raisonnement.

Et on vient de voir que le biais des coûts irrécupérables,

c'est quand même une sérieuse entorse à cette hypothèse.

Ces comportements irrationnels dans des choix économiques,

il en existe plein d'autres, je vous en parlerai dans d'autres vidéos.

Ils sont à l'origine d'un champ d'étude, situé à la frontière entre l'économie et la psychologie,

et qu'on appelle l'économie comportementale.

Ce courant a notamment été fondé et largement étudié par Kahneman et Tversky,

dont j'ai déjà parlé dans ma vidéo sur l'effet d'ancrage.

Maintenant qu'on a constaté ce biais de notre crétin de cerveau,

est-ce qu'on peut essayer de l'expliquer ?

L'explication la plus élémentaire,

c'est tout simplement le fait qu'on nous a toujours répété qu'il ne fallait pas gâcher.

C'est vrai, d'une manière générale, il ne faut pas gâcher,

mais là, ce raisonnement, il ne s'applique pas.

On parle de coûts passés qui sont irrécupérables, donc il n'y a rien à gâcher ou à économiser.

Autre explication au fait que nos choix soient influencés par les coûts irrécupérables,

c'est notre volonté de ne pas perdre la face.

Ne pas perdre la face en public, bien sûr,

c'est vrai pour les hommes politiques ou bien les managers dans les entreprises,

mais aussi ne pas perdre la face en privé.

Parce qu'en fait on déteste se remettre en question,

on déteste admettre à nous-même qu'on a eu tort.

On préfère rester avec nos certitudes passées plutôt que de reconnaître qu'on s'est trompé.

D'ailleurs, il y a une expérience fascinante qui montre très bien cet effet.

Elle ressemble un peu à celle de l'avion furtif.

On a pris un groupe d'étudiants et on les a mis face au choix suivant :

vous êtes à la tête d'une entreprise, vous avez 20 M$ à dépenser

et vous avez le choix entre un projet d'investissement A et puis un projet B.

Et puis on leur fournit tout un tas de documents, de données financières sur l'entreprise,

les deux projets possibles, le contexte économique, etc.

Et on leur demande de choisir entre investir dans le projet A

ou investir dans le projet B.

Et puis, deuxième étape,

on leur donne de nouveaux documents qui leur montrent qu'au bout d'un an,

finalement leur choix n'était pas terrible. Les résultats sont mauvais.

Mais on leur donne à nouveau 20 M$

qu'on leur demande de répartir entre poursuivre le projet qu'ils avaient choisi initialement

et démarrer l'autre projet.

Et puis à un 2e groupe d'étudiants, en fait on leur soumet exactement la même histoire

mais on les fait commencer directement à la 2e étape.

C'est-à-dire qu'on leur explique que quelqu'un d'autre, leur prédécesseur,

a choisi tel projet, que ça a donné des résultats bof bof

et on leur donne les mêmes documents et on leur demande comment répartir leurs 20 M$

entre le projet déjà commencé par leur prédécesseur et le nouveau projet.

Le biais des coûts irrécupérables nous dit qu'on va avoir tendance à persister dans le même projet

pour ne pas gâcher l'argent qui a déjà été investi.

Et c'est effectivement ce qui se passe.

Les étudiants du 2e groupe persistent à donner de l'argent au projet initial

et ils allouent en moyenne 9 M$ à ce projet.

Et les étudiants du 1er groupe, eux, ils vont donner en moyenne 13 M$ à leur projet initial.

C'est-à-dire qu'ils sont encore plus pris que les autres

par le raisonnement qui dit qu'il ne faut pas gâcher l'argent déjà investi.

Et pourquoi ?

Parce que ce sont eux qui avaient décidé d'investir.

Le simple fait d'avoir été à l'origine responsable de la dépense initiale

nous englue encore plus dans le biais des coûts irrécupérables.

Ah oui, et le plus inquiétant,

c'est que je vous ai dit que les sujets de cette expérience étaient des étudiants

mais c'était des étudiants en gestion et commerce.

C'est-à-dire ceux qui dirigent les entreprises aujourd'hui.

Bon de toute façon, de manière générale,

le fait de s'y connaître en économie ne protège pas du biais des coûts irrécupérables.

La preuve, c'est que Arkes et Blumer ont refait leur expérience du weekend de ski

vous savez, le Michigan à 100$ ou le Wisconsin à 50$...

Mais avec trois types d'étudiants.

Des étudiants en psychologie,

des étudiants en psychologie ayant suivi un cours d'économie

et des étudiants en économie.

Et point important, dans les cours d'économie, on apprenait ce que je suis en train de vous raconter.

C'est-à-dire qu'on apprenait le biais des coûts irrécupérables.

Eh ben voilà les résultats.

Environ 1/3 des étudiants se sont fait avoir,

c'est-à-dire qu'ils ont fait le choix irrationnel d'aller dans le Michigan.

Et ça, indépendamment de leur cursus.

Comme quoi, même le fait de savoir qu'il existe

ne nous protège pas du biais des coûts irrécupérables.

Ce biais, je le trouve vraiment incroyable

parce qu'il me semble que c'est un des plus puissant que je connaisse.

Même après vous avoir fait toute cette vidéo sur le sujet,

j'ai encore du mal à me convaincre moi-même.

Je crois que s'il m'arrivait la situation que je vous ai décrite au début de la vidéo,

vous savez le weekend ski vs weekend Game of Thrones,

je ne suis pas sûr que j'arriverais à prendre la bonne décision.

Je dois vraiment être crétin.

Merci d'avoir suivi cette vidéo.

Si elle vous a plu, n'hésitez pas à la partager

pour faire connaître autour de vous le biais des coûts irrécupérables.

Vous pouvez retrouver les actualités de la chaîne sur Facebook, Twitter,

vous pouvez me soutenir sur tipee, merci beaucoup à tous ceux qui me soutiennent.

On se retrouve dans environ deux semaines pour une nouvelle vidéo

avant une petite pause estivale bien méritée.

Merci et à bientôt.


(#38) Les coûts irrécupérables — Crétin de cerveau #3 - YouTube (#38) Sunk Costs - Brain Dumbass #3 - YouTube (#38) Los costes hundidos - Cerebro de imbécil #3 - YouTube

Bonjour à tous.

Pour le 3e épisode de ma série "Crétin de cerveau" consacrée aux biais cognitifs,

on va parler des coûts irrécupérables.

Alors imaginons,

vous trouvez un super plan pour un weekend au ski

200 € tout compris.

Du coup, vous réservez et puis à deux jours du weekend en question

vous ne le sentez plus si bien que ça.

Vous n'êtes pas en grande forme, à moitié malade

et puis la météo s'annonce franchement pourrie.

Et là soudain, il y a un de vos potes qui vous appelle

et qui vous propose de venir plutôt passer le weekend chez lui avec des amis

à regarder l'intégrale de Game of Thrones en buvant du chocolat chaud.

Alors vous hésitez un peu, c'est vrai que ce serait hyper sympa ce weekend série

mais vous avez déjà réservé votre weekend au ski et ça serait con de gâcher 200€. but you've already booked your ski weekend and it would be stupid to waste 200€.

Du coup, vous refusez la proposition et vous allez skier.

Et là, comme prévu, ben c'est nul.

Il fait froid, vous rentrez à moitié malade, la neige est pourrie.

Ouais mais au moins, vous n'avez pas gâché vos 200€.

Enfin...vous êtes sûrs ?

En vous forçant à aller au weekend ski pourri pour "pas gâcher",

vous commettez une erreur de raisonnement, celle dite des coûts irrécupérables.

Pour décider si vous allez au ski ou chez votre ami regarder des séries,

il faut prendre ce qui vous fait le plus plaisir.

Les 200€, ils sont déjà dépensés. Vous ne pouvez pas les récupérer

donc ils ne devraient pas rentrer en ligne de compte.

Le choix, il est entre:

avoir payé 200€ et passer un weekend pourri au ski

et avoir payé 200€ et passer un bon weekend à regarder des séries.

Donc la meilleure décision, il n'y a pas de débat, c'est le weekend série.

Notre incapacité à faire abstraction des coûts passés irrécupérables,

c'est un biais cognitif qui nous fait commettre des erreurs de jugement

et on va voir qu'on en retrouve un peu partout.

L'histoire de ski que je viens de vous raconter est inspirée par le scénario d'une expérience

qui a été menée dans les années 80 par deux psychologues, Arkes et Blumer,

dans ce qui est la publication de référence sur les coûts irrécupérables.

Dans leur première expérience, ils ont proposé le scénario suivant

à une soixantaine de personnes.

Imaginons que vous ayez réservé deux weekends au ski.

Un dans le Michigan pour 100$ et un dans le Wisconsin pour 50$.

Et puis soudain, vous réalisez que les deux tombent en fait à la même date.

Vous ne pouvez pas vous faire rembourser et celui qui vous plait le plus, c'est celui du Wisconsin.

Au quel des deux vous décidez d'aller ?

Dans cette situation, plus de la moitié des gens ont choisi le weekend du Michigan.

C'est-à-dire celui qui les intéressait le moins, mais qu'ils avaient payé le plus cher.

Comme s'il fallait absolument aller au weekend le plus cher

pour gâcher le moins possible.

C'est-à-dire que 50% des gens prennent une décision irrationnelle.

L'expérience que je viens de vous décrire est intéressante, mais ça reste un jeu de rôle,

ce n'était pas une vraie situation, les gens répondaient à un questionnaire.

Du coup, Arkes et Blumer ont voulu tester le biais des coûts irrécupérables

dans une situation réelle.

Pour ça, ils sont allés à la caisse d'un théâtre qui vendait des abonnements pour toute une saison

et la saison comptait cinq pièces de théâtre.

Et puis aléatoirement, ils ont proposé à certains clients des réductions sur l'abonnement.

8$ au lieu de 15$

Ils ont ensuite suivi pendant toute la saison combien de pièces de théâtre les gens venaient voir.

Les gens qui avaient payé leur abonnement plein tarif, 15$,

sont allés en moyenne voir 4,1 pièces sur 5.

Tandis que ceux qui avaient eu une réduction, sont venus seulement 3,3 fois en moyenne.

L'interprétation des auteurs, est que ceux qui avaient payé le plein tarif

se sentaient obligés de rentabiliser leur abonnement plus que les autres.

Et donc ils se forçaient plus à aller voir les pièces que ceux qui avaient eu une réduction.

Cette idée fallacieuse qu'il faille absolument rentabiliser les dépenses passées pour "pas gâcher"

on la retrouve dans tout un tas de situations.

Des situations de la vie courante bien sûr, mais aussi chez les hommes politiques

ou bien les managers des administrations ou des entreprises.

C'est particulièrement vrai quand il y a des investissements,

par exemple en recherche et développement.

Pour tester ça, Arkes et Blumer ont proposé le petit scénario suivant :

imaginons que vous soyez le PDG d'une entreprise d'aéronautique

vous souhaitez développer un nouvel avion furtif,

c'est-à-dire que les radars ne peuvent pas détecter. Le projet de recherche et développement coûte 10 M$

et vous en avez déjà dépensé 9 et le projet est achevé à 90%.

Mais, pas de bol, un concurrent juste avant vous

sort un avion furtif moins cher et plus performant que celui que vous êtes en train de développer.

La question c'est : est-ce que vous dépensez 1 M$

pour compléter le projet ?

Sur ce petit scénario fictif, le "oui" l'a emporté à 85%,

c'est-à-dire que 85% des gens décidaient de dépenser le million de dollars supplémentaire

pour terminer le projet.

À un second groupe de participants, on a proposé une variante du scénario.

La situation de départ est absolument identique

sauf que le projet de R&D; coûte seulement 1 M$, mais qu'il n'a pas commencé. Et donc la question c'est,

"êtes-vous prêt à dépenser 1 M$ pour faire le projet ?"

Eh ben là, c'est le non qui a été choisi à 83%.

Et pourtant, si vous regardez bien,

dans les deux scénarios la question est absolument la même.

Il s'agit de savoir si on est prêt à mettre 1 M$ pour développer un avion

dont on sait qu'il sera moins performant que celui du concurrent.

On peut avoir de bonnes raisons de le faire ou de ne pas le faire,

mais la réponse ne devrait pas différer dans les deux scénarios.

Le raisonnement fallacieux lié aux coûts irrécupérables

a tendance à créer des situations où on dépense toujours plus

pour rentabiliser les investissements passés.

Et donc, on a une espèce d'escalade des coûts,

même si on sait que le projet, à la fin, ne sera pas rentable.

On retrouve souvent ça en politique.

Il y a un cas fameux qui est discuté par Arkes et Blumer,

c'est le projet de canal dit Tenn-Tom, aux Étas-Unis, entre le Tennessee et l'Alabama.

Même après son commencement, ce projet a été pas mal remis en question

et on a des citations d'hommes politiques qui défendaient le projet avec des arguments du genre :

__

Eh ben non, biais des coûts irrécupérables.

En France, il y a un cas fameux qui est assez similaire, c'est celui du développement du Concorde.

Même si les gouvernements britanniques et français savaient au bout d'un moment

que le projet serait un échec commercial,

ils ont choisi de continuer le projet Concorde

pour ne pas gâcher l'agent déjà investi dans le développement.

Le cas est tellement fameux que dans la littérature scientifique,

le biais des coûts irrécupérables est parfois appelé: l'effet Concorde.

Il y a un autre exemple politique qui est très connu,

ce sont les arguments qui ont été avancés par certains Américains pour ne pas se retirer du Vietnam

et qui donnaient des justifications du genre:

trop de vies de soldats ont déjà été perdues

et si on se retire maintenant, elles l'auront été pour rien.

Et pareil, c'est un coût irrécupérable,

il ne devrait pas rentrer en ligne de compte dans la décision.

Sur une note plus légère,

il y a un auteur qui a étudié l'effet des coûts irrécupérables

sur les décisions prises par les coachs de basket.

Vous savez peut-être qu'en NBA et dans d'autres sports US,

il y a un processus qui permet aux équipes d'aller piocher à tour de rôle

des joueurs dans le championnat universitaire.

Ça s'appelle la draft.

Et donc, il y a une publication qui montre qu'à performances égales,

plus un joueur a été choisi tôt dans la draft, plus le coach va le faire jouer,

comme s'il fallait absolument le rentabiliser même s'il n'était pas si bon que ça.

Bon allez, assez d'exemples maintenant, regardons un peu les considérations théoriques.

Du point de vue de la théorie économique, prendre une décision, c'est relativement simple.

Il suffit de comparer les coûts et les bénéfices attendus des différentes options.

Et quand on fait ça, on ne doit prendre en compte que les coûts futurs,

Ceux sur lesquels on a un levier d'action.

Les coûts passés qui sont irrécupérables ne devraient pas rentrer en ligne de compte.

Enfin, ça, c'est le comportement rationnel.

Ce qu'on vient de voir, c'est que dans tout un tas de situations

ben ce n'est pas ce qu'on fait.

On se comporte de manière fondamentalement irrationnelle.

Et ça, c'est une observation très importante parce qu'il y a énormément de travaux en économie,

et notamment dans ce qu'on appelle la micro-économie,

qui font l'hypothèse que tout le monde se comporte toujours

de manière parfaitement rationnelle,

prend toujours les meilleures décisions dans son intérêt et ne commet jamais d'erreur de raisonnement.

Et on vient de voir que le biais des coûts irrécupérables,

c'est quand même une sérieuse entorse à cette hypothèse.

Ces comportements irrationnels dans des choix économiques,

il en existe plein d'autres, je vous en parlerai dans d'autres vidéos.

Ils sont à l'origine d'un champ d'étude, situé à la frontière entre l'économie et la psychologie,

et qu'on appelle l'économie comportementale.

Ce courant a notamment été fondé et largement étudié par Kahneman et Tversky,

dont j'ai déjà parlé dans ma vidéo sur l'effet d'ancrage.

Maintenant qu'on a constaté ce biais de notre crétin de cerveau,

est-ce qu'on peut essayer de l'expliquer ?

L'explication la plus élémentaire,

c'est tout simplement le fait qu'on nous a toujours répété qu'il ne fallait pas gâcher.

C'est vrai, d'une manière générale, il ne faut pas gâcher,

mais là, ce raisonnement, il ne s'applique pas.

On parle de coûts passés qui sont irrécupérables, donc il n'y a rien à gâcher ou à économiser.

Autre explication au fait que nos choix soient influencés par les coûts irrécupérables,

c'est notre volonté de ne pas perdre la face.

Ne pas perdre la face en public, bien sûr,

c'est vrai pour les hommes politiques ou bien les managers dans les entreprises,

mais aussi ne pas perdre la face en privé.

Parce qu'en fait on déteste se remettre en question,

on déteste admettre à nous-même qu'on a eu tort.

On préfère rester avec nos certitudes passées plutôt que de reconnaître qu'on s'est trompé.

D'ailleurs, il y a une expérience fascinante qui montre très bien cet effet.

Elle ressemble un peu à celle de l'avion furtif.

On a pris un groupe d'étudiants et on les a mis face au choix suivant :

vous êtes à la tête d'une entreprise, vous avez 20 M$ à dépenser

et vous avez le choix entre un projet d'investissement A et puis un projet B.

Et puis on leur fournit tout un tas de documents, de données financières sur l'entreprise,

les deux projets possibles, le contexte économique, etc.

Et on leur demande de choisir entre investir dans le projet A

ou investir dans le projet B.

Et puis, deuxième étape,

on leur donne de nouveaux documents qui leur montrent qu'au bout d'un an,

finalement leur choix n'était pas terrible. Les résultats sont mauvais.

Mais on leur donne à nouveau 20 M$

qu'on leur demande de répartir entre poursuivre le projet qu'ils avaient choisi initialement

et démarrer l'autre projet.

Et puis à un 2e groupe d'étudiants, en fait on leur soumet exactement la même histoire

mais on les fait commencer directement à la 2e étape.

C'est-à-dire qu'on leur explique que quelqu'un d'autre, leur prédécesseur,

a choisi tel projet, que ça a donné des résultats bof bof

et on leur donne les mêmes documents et on leur demande comment répartir leurs 20 M$

entre le projet déjà commencé par leur prédécesseur et le nouveau projet.

Le biais des coûts irrécupérables nous dit qu'on va avoir tendance à persister dans le même projet

pour ne pas gâcher l'argent qui a déjà été investi.

Et c'est effectivement ce qui se passe.

Les étudiants du 2e groupe persistent à donner de l'argent au projet initial

et ils allouent en moyenne 9 M$ à ce projet.

Et les étudiants du 1er groupe, eux, ils vont donner en moyenne 13 M$ à leur projet initial.

C'est-à-dire qu'ils sont encore plus pris que les autres

par le raisonnement qui dit qu'il ne faut pas gâcher l'argent déjà investi.

Et pourquoi ?

Parce que ce sont eux qui avaient décidé d'investir.

Le simple fait d'avoir été à l'origine responsable de la dépense initiale

nous englue encore plus dans le biais des coûts irrécupérables.

Ah oui, et le plus inquiétant,

c'est que je vous ai dit que les sujets de cette expérience étaient des étudiants

mais c'était des étudiants en gestion et commerce.

C'est-à-dire ceux qui dirigent les entreprises aujourd'hui.

Bon de toute façon, de manière générale,

le fait de s'y connaître en économie ne protège pas du biais des coûts irrécupérables.

La preuve, c'est que Arkes et Blumer ont refait leur expérience du weekend de ski

vous savez, le Michigan à 100$ ou le Wisconsin à 50$...

Mais avec trois types d'étudiants.

Des étudiants en psychologie,

des étudiants en psychologie ayant suivi un cours d'économie

et des étudiants en économie.

Et point important, dans les cours d'économie, on apprenait ce que je suis en train de vous raconter.

C'est-à-dire qu'on apprenait le biais des coûts irrécupérables.

Eh ben voilà les résultats.

Environ 1/3 des étudiants se sont fait avoir,

c'est-à-dire qu'ils ont fait le choix irrationnel d'aller dans le Michigan.

Et ça, indépendamment de leur cursus.

Comme quoi, même le fait de savoir qu'il existe

ne nous protège pas du biais des coûts irrécupérables.

Ce biais, je le trouve vraiment incroyable

parce qu'il me semble que c'est un des plus puissant que je connaisse.

Même après vous avoir fait toute cette vidéo sur le sujet,

j'ai encore du mal à me convaincre moi-même.

Je crois que s'il m'arrivait la situation que je vous ai décrite au début de la vidéo,

vous savez le weekend ski vs weekend Game of Thrones,

je ne suis pas sûr que j'arriverais à prendre la bonne décision.

Je dois vraiment être crétin.

Merci d'avoir suivi cette vidéo.

Si elle vous a plu, n'hésitez pas à la partager

pour faire connaître autour de vous le biais des coûts irrécupérables.

Vous pouvez retrouver les actualités de la chaîne sur Facebook, Twitter,

vous pouvez me soutenir sur tipee, merci beaucoup à tous ceux qui me soutiennent.

On se retrouve dans environ deux semaines pour une nouvelle vidéo

avant une petite pause estivale bien méritée.

Merci et à bientôt.