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Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas, Tome 2, 35. La mazzolata

35. La mazzolata

La mazzolata.

«Messieurs, dit en entrant le comte de Monte-Cristo, recevez toutes mes excuses de ce que je me suis laissé prévenir, mais en me présentant de meilleure heure chez vous, j'aurais craint d'être indiscret. D'ailleurs vous m'avez fait dire que vous viendriez, et je me suis tenu à votre disposition.

—Nous avons, Franz et moi, mille remerciements à vous présenter, monsieur le comte, dit Albert; vous nous tirez véritablement d'un grand embarras, et nous étions en train d'inventer les véhicules les plus fantastiques au moment où votre gracieuse invitation nous est parvenue.

—Eh! mon Dieu! messieurs, reprit le comte en faisant signe aux deux jeunes gens de s'asseoir sur un divan, c'est la faute de cet imbécile de Pastrini, si je vous ai laissés si longtemps dans la détresse! Il ne m'avait pas dit un mot de votre embarras, à moi qui, seul et isolé comme je le suis ici, ne cherchais qu'une occasion de faire connaissance avec mes voisins. Du moment où j'ai appris que je pouvais vous être bon à quelque chose, vous avez vu avec quel empressement j'ai saisi cette occasion de vous présenter mes compliments.»

Les deux jeunes gens s'inclinèrent. Franz n'avait pas encore trouvé un seul mot à dire; il n'avait encore pris aucune résolution, et, comme rien n'indiquait dans le comte sa volonté de le reconnaître ou le désir d'être reconnu de lui, il ne savait pas s'il devait, par un mot quelconque, faire allusion au passé, ou laisser le temps à l'avenir de lui apporter de nouvelles preuves. D'ailleurs, sûr que c'était lui qui était la veille dans la loge, il ne pouvait répondre aussi positivement que ce fût lui qui la surveille, était au Colisée, il résolut donc de laisser aller les choses sans faire au comte aucune ouverture directe. D'ailleurs il avait une supériorité sur lui, il était maître de son secret, tandis qu'au contraire il ne pouvait avoir aucune action sur Franz, qui n'avait rien à cacher.

Cependant il résolut de faire tomber la conversation sur un point qui pouvait, en attendant, amener toujours l'éclaircissement de certains doutes.

«Monsieur le comte, lui dit-il, vous nous avez offert des places dans votre voiture et des places à vos fenêtres du palais Rospoli; maintenant, pourriez-vous nous dire comment nous pourrons nous procurer un poste quelconque, comme on dit en Italie, sur la place del Popolo?

—Ah! oui, c'est vrai, dit le comte d'un air distrait et en regardant Morcerf avec une attention soutenue; n'y a-t-il pas, place del Popolo, quelque chose comme une exécution?

—Oui, répondit Franz, voyant qu'il venait de lui-même où il voulait l'amener.

—Attendez, attendez, je crois avoir dit hier à mon intendant de s'occuper de cela; peut-être pourrai-je vous rendre encore ce petit service.»

Il allongea la main vers un cordon de sonnette, qu'il tira trois fois.

«Vous êtes-vous préoccupé jamais, dit-il à Franz, de l'emploi du temps et du moyen de simplifier les allées et venues des domestiques? Moi, j'en ai fait une étude: quand je sonne une fois, c'est pour mon valet de chambre; deux fois, c'est pour mon maître d'hôtel; trois fois, c'est pour mon intendant. De cette façon, je ne perds ni une minute ni une parole. Tenez, voici notre homme.»

On vit alors entrer un individu de quarante-cinq à cinquante ans, qui parut à Franz ressembler comme deux gouttes d'eau au contrebandier qui l'avait introduit dans la grotte, mais qui ne parut pas le moins du monde le reconnaître. Il vit que le mot était donné.

«Monsieur Bertuccio, dit le comte, vous êtes-vous occupé, comme je vous l'avais ordonné hier, de me procurer une fenêtre sur la place del Popolo?

—Oui, Excellence, répondit l'intendant, mais il était bien tard.

—Comment! dit le comte en fronçant le sourcil ne vous ai-je pas dit que je voulais en avoir une?

—Et Votre Excellence en a une aussi, celle qui était louée au prince Lobanieff; mais j'ai été obligé de la payer cent....

—C'est bien, c'est bien, monsieur Bertuccio, faites grâce à ces messieurs de tous ces détails de ménage; vous avez la fenêtre, c'est tout ce qu'il faut. Donnez l'adresse de la maison au cocher, et tenez-vous sur l'escalier pour nous conduire: cela suffit; allez.

L'intendant salua et fit un pas pour se retirer.

«Ah! reprit le comte, faites-moi le plaisir de demander à Pastrini s'il a reçu la tavoletta , et s'il veut m'envoyer le programme de l'exécution.

—C'est inutile, reprit Franz, tirant son calepin de sa poche; j'ai eu ces tablettes sous les yeux, je les ai copiées et les voici.

—C'est bien; alors monsieur Bertuccio, vous pouvez vous retirer, je n'ai plus besoin de vous. Qu'on nous prévienne seulement quand le déjeuner sera servi. Ces messieurs, continua-t-il en se retournant vers les deux amis, me font-ils l'honneur de déjeuner avec moi?

—Mais, en vérité, monsieur le comte, dit Albert, ce serait abuser.

—Non pas, au contraire, vous me faites grand plaisir, vous me rendrez tout cela un jour à Paris, l'un ou l'autre et peut-être tous les deux. Monsieur Bertuccio, vous ferez mettre trois couverts.»

Il prit le calepin des mains de Franz.

«Nous disons donc, continua-t-il du ton dont il eût lu les Petites Affiches , que «seront exécutés, aujourd'hui 22 février, le nommé Andrea Rondolo, coupable d'assassinat sur la personne très respectable et très vénérée de don César Torlini, chanoine de l'église Saint-Jean-de-Latran, et le nommé Peppino, dit Rocca Priori , convaincu de complicité avec le détestable bandit Luigi Vampa et les hommes de sa troupe...»

—Hum! «Le premier sera mazzolato , le second decapitato .» Oui, en effet, reprit le comte, c'était bien comme cela que la chose devait se passer d'abord; mais je crois que depuis hier il est survenu, quelque changement dans l'ordre et la marche de la cérémonie.

—Bah! dit Franz.

—Oui, hier chez le cardinal Rospigliosi, où j'ai passé la soirée, il était question de quelque chose comme d'un sursis accordé à l'un des deux condamnés.

—À Andrea Rondolo? demanda Franz.

—Non... reprit négligemment le comte; à l'autre (il jeta un coup d'œil sur le calepin comme pour se rappeler le nom), à Peppino, dit Rocca Priori . Cela vous prive d'une guillotinade, mais il vous reste la mazzolata qui est un supplice fort curieux quand on le voit pour la première fois, et même pour la seconde; tandis que l'autre, que vous devez connaître d'ailleurs, est trop simple, trop uni: il n'y a rien d'inattendu. La mandaïa ne se trompe pas, elle ne tremble pas, ne frappe pas à faux, ne s'y reprend pas à trente fois comme le soldat qui coupait la tête au comte de Chalais, et auquel, au reste, Richelieu avait peut-être recommandé le patient. Ah! Tenez, ajouta le comte d'un ton méprisant, ne me parlez pas des Européens pour les supplices, ils n'y entendent rien et en sont véritablement à l'enfance ou plutôt à la vieillesse de la cruauté.

—En vérité, monsieur le comte, répondit Franz, on croirait que vous avez fait une étude comparée des supplices chez les différents peuples du monde.

—Il y en a peu du moins que je n'aie vus, reprit froidement le comte.

—Et vous avez trouvé du plaisir à assister à ces horribles spectacles?

—Mon premier sentiment a été la répulsion, le second l'indifférence, le troisième la curiosité.

—La curiosité! le mot est terrible, savez-vous?

—Pourquoi? Il n'y a guère dans la vie qu'une préoccupation grave; c'est la mort, eh bien! n'est-il pas curieux d'étudier de quelles façons différentes l'âme peut sortir du corps, et comment, selon les caractères, les tempéraments et même les mœurs du pays, les individus supportent ce suprême passage de l'être au néant? Quant à moi, je vous réponds d'une chose: c'est que plus on a vu mourir, plus il devient facile de mourir: ainsi, à mon avis, la mort est peut-être un supplice, mais n'est pas une expiation.

—Je ne vous comprends pas bien, dit Franz; expliquez-vous, car je ne puis vous dire à quel point ce que vous me dites là pique ma curiosité.

—Écoutez, dit le comte; et son visage s'infiltra de fiel, comme le visage d'un autre se colore de sang. Si un homme eût fait périr, par des tortures inouïes, au milieu des tourments sans fin, votre père, votre mère, votre maîtresse, un de ces êtres enfin qui, lorsqu'on les déracine de votre cœur, y laissent un vide éternel et une plaie toujours sanglante, croiriez-vous la réparation que vous accorde la société suffisante, parce que le fer de la guillotine a passé entre la base de l'occipital et les muscles trapèzes du meurtrier, et parce que celui qui vous a fait ressentir des années de souffrances morales, a éprouvé quelques secondes de douleurs physiques?

—Oui, je le sais, reprit Franz, la justice humaine est insuffisante comme consolatrice: elle peut verser le sang en échange du sang, voilà tout; il faut lui demander ce qu'elle peut et pas autre chose.

—Et encore je vous pose là un cas matériel, reprit le comte, celui où la société, attaquée par la mort d'un individu dans la base sur laquelle elle repose, venge la mort par la mort; mais n'y a-t-il pas des millions de douleurs dont les entrailles de l'homme peuvent être déchirées sans que la société s'en occupe le moins du monde sans qu'elle lui offre le moyen insuffisant de vengeance dont nous parlions tout à l'heure? N'y a-t-il pas des crimes pour lesquels le pal des Turcs, les auges des Persans, les nerfs roulés des Iroquois seraient des supplices trop doux, et que cependant la société indifférente laisse sans châtiment?... Répondez, n'y a-t-il pas de ces crimes?

—Oui, reprit Franz, et c'est pour les punir que le duel est toléré.

—Ah! le duel, s'écria le comte, plaisante manière, sur mon âme, d'arriver à son but, quand le but est la vengeance! Un homme vous a enlevé votre maîtresse, un homme a séduit votre femme, un homme a déshonoré votre fille; d'une vie tout entière, qui avait le droit d'attendre de Dieu la part de bonheur qu'il a promise à tout être humain en le créant, il a fait une existence de douleur, de misère ou d'infamie, et vous vous croyez vengé parce qu'à cet homme, qui vous a mis le délire dans l'esprit et le désespoir dans le cœur, vous avez donné un coup d'épée dans la poitrine ou logé une balle dans la tête? Allons donc! Sans compter que c'est lui qui souvent sort triomphant de la lutte, lavé aux yeux du monde et en quelque sorte absous par Dieu. Non, non, continua le comte, si j'avais jamais à me venger, ce n'est pas ainsi que je me vengerais.

—Ainsi, vous désapprouvez le duel? ainsi vous ne vous battriez pas en duel? demanda à son tour Albert, étonné d'entendre émettre une si étrange théorie.

—Oh! si fait! dit le comte.

Entendons-nous: je me battrais en duel pour une misère, pour une insulte, pour un démenti, pour un soufflet, et cela avec d'autant plus d'insouciance que, grâce à l'adresse que j'ai acquise à tous les exercices du corps et à la lente habitude que j'ai prise du danger, je serais à peu près sûr de tuer mon homme. Oh! si fait! je me battrais en duel pour tout cela; mais pour une douleur lente, profonde, infinie, éternelle, je rendrais, s'il était possible, une douleur pareille à celle que l'on m'aurait faite: œil pour œil, dent pour dent, comme disent les Orientaux, nos maîtres en toutes choses, ces élus de la création qui ont su se faire une vie de rêves et un paradis de réalités.

—Mais, dit Franz au comte, avec cette théorie qui vous constitue juge et bourreau dans votre propre cause, il est difficile que vous vous teniez dans une mesure où vous échappiez éternellement vous-même à la puissance de la loi. La haine est aveugle, la colère étourdie, et celui qui se verse la vengeance risque de boire un breuvage amer.

—Oui, s'il est pauvre et maladroit, non, s'il est millionnaire et habile. D'ailleurs le pis-aller pour lui est ce dernier supplice dont nous parlions tout à l'heure, celui que la philanthropique révolution française a substitué à l'écartèlement et à la roue. Eh bien! qu'est-ce que le supplice, s'il s'est vengé? En vérité, je suis presque fâché que, selon toute probabilité, ce misérable Peppino ne soit pas decapitato , comme ils disent, vous verriez le temps que cela dure, et si c'est véritablement la peine d'en parler. Mais, d'honneur, messieurs, nous avons là une singulière conversation pour un jour de carnaval. Comment donc cela est-il venu? Ah! je me le rappelle! vous m'avez demandé une place à ma fenêtre; eh bien, soit, vous l'aurez; mais mettons-nous à table d'abord, car voilà qu'on vient nous annoncer que nous sommes servis.»

En effet, un domestique ouvrit une des quatre portes du salon et fit entendre les paroles sacramentelles:

« Al suo commodo !»

Les deux jeunes gens se levèrent et passèrent dans la salle à manger.

Pendant le déjeuner, qui était excellent et servi avec une recherche infinie, Franz chercha des yeux le regard d'Albert, afin d'y lire l'impression qu'il ne doutait pas qu'eussent produite en lui les paroles de leur hôte; mais, soit que dans son insouciance habituelle il ne leur eût pas prêté une grande attention, soit que la concession que le comte de Monte-Cristo lui avait faite à l'endroit du duel l'eût raccommodé avec lui, soit enfin que les antécédents que nous avons racontés, connus de Franz seul, eussent doublé pour lui seul l'effet des théories du comte, il ne s'aperçut pas que son compagnon fût préoccupé le moins du monde; tout au contraire, il faisait honneur au repas en homme condamné depuis quatre ou cinq mois à la cuisine italienne, c'est-à-dire l'une des plus mauvaises cuisines du monde. Quant au comte, il effleurait à peine chaque plat; on eût dit qu'en se mettant à table avec ses convives il accomplissait un simple devoir de politesse, et qu'il attendait leur départ pour se faire servir quelque mets étrange ou particulier.

Cela rappelait malgré lui à Franz l'effroi que le comte avait inspiré à la comtesse G..., et la conviction où il l'avait laissée que le comte, l'homme qu'il lui avait montré dans la loge en face d'elle, était un vampire.

À la fin du déjeuner, Franz tira sa montre.

«Eh bien, lui dit le comte, que faites-vous donc?

—Vous nous excuserez, monsieur le comte, répondit Franz, mais nous avons encore mille choses à faire.

—Lesquelles?

—Nous n'avons pas de déguisements, et aujourd'hui le déguisement est de rigueur.

—Ne vous occupez donc pas de cela. Nous avons à ce que je crois, place del Popolo, une chambre particulière; j'y ferai porter les costumes que vous voudrez bien m'indiquer, et nous nous masquerons séance tenante.

—Après l'exécution? s'écria Franz.

—Sans doute, après, pendant ou avant, comme vous voudrez.

—En face de l'échafaud?

—L'échafaud fait partie de la fête.

—Tenez, monsieur le comte, j'ai réfléchi, dit Franz; décidément je vous remercie de votre obligeance, mais je me contenterai d'accepter une place dans votre voiture, une place à la fenêtre du palais Rospoli, et je vous laisserai libre de disposer de ma place à la fenêtre de la piazza del Popolo.

—Mais vous perdez, je vous en préviens, une chose fort curieuse, répondit le comte.

—Vous me le raconterez, reprit Franz, et je suis convaincu que dans votre bouche le récit m'impressionnera presque autant que la vue pourrait le faire. D'ailleurs, plus d'une fois déjà j'ai voulu prendre sur moi d'assister à une exécution, et je n'ai jamais pu m'y décider; et vous, Albert?

—Moi, répondit le vicomte, j'ai vu exécuter Castaing; mais je crois que j'étais un peu gris ce jour-là. C'était le jour de ma sortie du collège, et nous avions passé la nuit je ne sais à quel cabaret.

—D'ailleurs, ce n'est pas une raison, parce que vous n'avez pas fait une chose à Paris, pour que vous ne la fassiez pas à l'étranger: quand on voyage, c'est pour s'instruire; quand on change de lieu, c'est pour voir. Songez donc quelle figure vous ferez quand on vous demandera: Comment exécute-t-on à Rome? et que vous répondrez: Je ne sais pas. Et puis, on dit que le condamné est un infâme coquin, un drôle qui a tué à coups de chenet un bon chanoine qui l'avait élevé comme son fils. Que diable! quand on tue un homme d'Église, on prend une arme plus convenable qu'un chenet, surtout quand cet homme d'église est peut-être notre père. Si vous voyagiez en Espagne, vous iriez voir les combats de taureaux, n'est-ce pas? Eh bien, supposez que c'est un combat que nous allons voir; souvenez-vous des anciens Romains du Cirque, des chasses où l'on tuait trois cents lions et une centaine d'hommes. Souvenez-vous donc de ces quatre-vingt mille spectateurs qui battaient des mains, de ces sages matrones qui conduisaient là leurs filles à marier, et de ces charmantes vestales aux mains blanches qui faisaient avec le pouce un charmant petit signe qui voulait dire: Allons, pas de paresse! achevez-moi cet homme-là qui est aux trois quarts mort.

—Y allez-vous, Albert? dit Franz.

—Ma foi, oui, mon cher! J'étais comme vous mais l'éloquence du comte me décide.

—Allons-y donc, puisque vous le voulez, dit Franz; mais en me rendant place del Popolo, je désire passer par la rue du Cours; est-ce possible monsieur le comte?

—À pied, oui; en voiture, non.

—Eh bien, j'irai à pied.

—Il est bien nécessaire que vous passiez par la rue du Cours?

—Oui, j'ai quelque chose à y voir.

—Eh bien, passons par la rue du Cours, nous enverrons la voiture nous attendre sur la piazza del Popolo, par la strada del Babuino; d'ailleurs je ne suis pas fâché non plus de passer par la rue du Cours pour voir si des ordres que j'ai donnés ont été exécutés.

—Excellence, dit le domestique en ouvrant la porte, un homme vêtu en pénitent demande à vous parler.

—Ah! oui, dit le comte, je sais ce que c'est. Messieurs, voulez-vous repasser au salon, vous trouverez sur la table du milieu d'excellents cigares de la Havane, je vous y rejoins dans un instant.»

Les deux jeunes gens se levèrent et sortirent par une porte, tandis que le comte, après leur avoir renouvelé ses excuses, sortait par l'autre. Albert, qui était un grand amateur, et qui, depuis qu'il était en Italie, ne comptait pas comme un mince sacrifice celui d'être privé des cigares du café de Paris, s'approcha de la table et poussa un cri de joie en apercevant de véritables puros.

«Eh bien, lui demanda Franz, que pensez-vous du comte de Monte-Cristo?

—Ce que j'en pense! dit Albert visiblement étonné que son compagnon lui fît une pareille question; je pense que c'est un homme charmant, qui fait à merveille les honneurs de chez lui, qui a beaucoup vu, beaucoup étudié, beaucoup réfléchi, qui est, comme Brutus, de l'école stoïque, et, ajouta-t-il en poussant amoureusement une bouffée de fumée qui monta en spirale vers le plafond, et qui par-dessus tout cela possède d'excellents cigares.»

C'était l'opinion d'Albert sur le comte; or, comme Franz savait qu'Albert avait la prétention de ne se faire une opinion sur les hommes et sur les choses qu'après de mûres réflexions, il ne tenta pas de rien changer à la sienne.

«Mais, dit-il, avez-vous remarqué une chose singulière?

—Laquelle?

—L'attention avec laquelle il vous regardait.

—Moi?

—Oui, vous.»

Albert réfléchit.

«Ah! dit-il en poussant un soupir, rien d'étonnant à cela. Je suis depuis près d'un an absent de Paris, je dois avoir des habits de l'autre monde. Le comte m'aura pris pour un provincial; détrompez-le, cher ami, et dites-lui, je vous prie, à la première occasion, qu'il n'en est rien.»

Franz sourit; un instant après le comte rentra.

«Me voici, messieurs, dit-il, et tout à vous, les ordres sont donnés; la voiture va de son côté place del Popolo, et nous allons nous y rendre du nôtre, si vous voulez bien, par la rue du Cours. Prenez donc quelques-uns de ces cigares, monsieur de Morcerf.

—Ma foi, avec grand plaisir, dit Albert, car vos cigares italiens sont encore pires que ceux de la régie. Quand vous viendrez à Paris, je vous rendrai tout cela.

—Ce n'est pas de refus; je compte y aller quelque jour, et, puisque vous le permettez, j'irai frapper à votre porte. Allons, messieurs, allons, nous n'avons pas de temps à perdre; il est midi et demi, partons.»

Tous trois descendirent. Alors le cocher prit les derniers ordres de son maître, et suivit la via del Babuino, tandis que les piétons remontaient par la place d'Espagne et par la via Frattina, qui les conduisait tout droit entre le palais Fiano et le palais Rospoli.

Tous les regards de Franz furent pour les fenêtres de ce dernier palais, il n'avait pas oublié le signal convenu dans le Colisée entre l'homme au manteau et le Transtévère.

«Quelles sont vos fenêtres? demanda-t-il au comte du ton le plus naturel qu'il pût prendre.

—Les trois dernières», répondit-il avec une négligence qui n'avait rien d'affecté; car il ne pouvait deviner dans quel but cette question lui était faite.

Les yeux de Franz se portèrent rapidement sur les trois fenêtres. Les fenêtres latérales étaient tendues en damas jaune, et celle du milieu en damas blanc avec une croix rouge.

L'homme au manteau avait tenu sa parole au Transtévère, et il n'y avait plus de doute: l'homme au manteau, c'était bien le comte.

Les trois fenêtres étaient encore vides.

Au reste, de tous côtés se faisaient les préparatifs; on plaçait des chaises, on dressait des échafaudages, on tendait des fenêtres. Les masques ne pouvaient paraître, les voitures ne pouvaient circuler qu'au son de la cloche; mais on sentait les masques derrière toutes les fenêtres, les voitures derrière toutes les portes.

Franz, Albert et le comte continuèrent de descendre la rue du Cours. À mesure qu'ils approchaient de la place du Peuple, la foule devenait plus épaisse et au-dessus des têtes de cette foule, on voyait s'élever deux choses: l'obélisque surmonté d'une croix qui indique le centre de la place, et, en avant de l'obélisque, juste au point de correspondance visuelle des trois rues del Babuino, del Corso et di Ripetta, les deux poutres suprêmes de l'échafaud, entre lesquelles brillait le fer arrondi de la mandaïa.

À l'angle de la rue on trouva l'intendant du comte, qui attendait son maître.

La fenêtre louée à ce prix exorbitant sans doute dont le comte n'avait point voulu faire part à ses invités, appartenait au second étage du grand palais, situé entre la rue del Babuino et le monte Pincio; c'était, comme nous l'avons dit, une espèce de cabinet de toilette donnant dans une chambre à coucher; en fermant la porte de la chambre à coucher, les locataires du cabinet étaient chez eux; sur les chaises on avait déposé des costumes de paillasse en satin blanc et bleu des plus élégants.

«Comme vous m'avez laissé le choix des costumes, dit le comte aux deux amis, je vous ai fait préparer ceux-ci. D'abord, c'est ce qu'il y aura de mieux porté cette année; ensuite, c'est ce qu'il y a de plus commode pour les confettis, attendu que la farine n'y paraît pas.»

Franz n'entendit que fort imparfaitement les paroles du comte, et il n'apprécia peut-être pas à sa valeur cette nouvelle gracieuseté; car toute son attention était attirée par le spectacle que présentait la piazza del Popolo, et par l'instrument terrible qui en faisait à cette heure le principal ornement.

C'était la première fois que Franz apercevait une guillotine; nous disons guillotine, car la mandaïa romaine est taillée à peu près sur le même patron que notre instrument de mort. Le couteau, qui a la forme d'un croissant qui couperait par la partie convexe, tombe de moins haut, voilà tout.

Deux hommes, assis sur la planche à bascule où l'on couche le condamné, déjeunaient en attendant, et mangeaient, autant que Franz pût le voir, du pain et des saucisses; l'un d'eux souleva la planche, en tira un flacon de vin, but un coup et passa le flacon à son camarade; ces deux hommes, c'étaient les aides du bourreau!

À ce seul aspect, Franz avait senti la sueur poindre à la racine de ses cheveux.

Les condamnés, transportés la veille au soir des Carceri Nuove dans la petite église Sainte-Marie-del-Popolo, avaient passé la nuit, assistés chacun de deux prêtres, dans une chapelle ardente fermée d'une grille, devant laquelle se promenaient des sentinelles relevées d'heure en heure.

Une double haie de carabiniers placés de chaque côté de la porte de l'église s'étendait jusqu'à l'échafaud, autour duquel elle s'arrondissait, laissant libre un chemin de dix pieds de large à peu près, et autour de la guillotine un espace d'une centaine de pas de circonférence. Tout le reste de la place était pavé de têtes d'hommes et de femmes. Beaucoup de femmes tenaient leurs enfants sur leurs épaules. Ces enfants, qui dépassaient la foule de tout le torse, étaient admirablement placés.

Le monte Pincio semblait un vaste amphithéâtre dont tous les gradins eussent été chargés de spectateurs; les balcons des deux églises qui font l'angle de la rue del Babuino et de la rue di Ripetta regorgeaient de curieux privilégiés; les marches des péristyles semblaient un flot mouvant et bariolé qu'une marée incessante poussait vers le portique: chaque aspérité de la muraille qui pouvait donner place à un homme avait sa statue vivante.

Ce que disait le comte est donc vrai, ce qu'il y a de plus curieux dans la vie est le spectacle de la mort.

Et cependant, au lieu du silence que semblait commander la solennité du spectacle, un grand bruit montait de cette foule, bruit composé de rires, de huées et de cris joyeux; il était évident encore, comme l'avait dit le comte que cette exécution n'était rien autre chose, pour tout le peuple, que le commencement du carnaval.

Tout à coup ce bruit cessa comme par enchantement, la porte de l'église venait de s'ouvrir.

Une confrérie de pénitents, dont chaque membre était vêtu d'un sac gris percé aux yeux seulement, et tenait un cierge allumé à la main, parut d'abord; en tête marchait le chef de la confrérie.

Derrière les pénitents venait un homme de haute taille. Cet homme était nu, à l'exception d'un caleçon de toile au côté gauche duquel était attaché un grand couteau caché dans sa gaine; il portait sur l'épaule droite une lourde masse de fer. Cet homme, c'était le bourreau.

Il avait en outre des sandales attachées au bas de la jambe par des cordes.

Derrière le bourreau marchaient, dans l'ordre où ils devaient être exécutés, d'abord Peppino et ensuite Andrea.

Chacun était accompagné de deux prêtres.

Ni l'un ni l'autre n'avait les yeux bandés.

Peppino marchait d'un pas assez ferme; sans doute il avait eu avis de ce qui se préparait pour lui.

Andrea était soutenu sous chaque bras par un prêtre.

Tous deux baisaient de temps en temps le crucifix que leur présentait le confesseur.

Franz sentit, rien qu'à cette vue, les jambes qui lui manquaient; il regarda Albert. Il était pâle comme sa chemise, et par un mouvement machinal il jeta loin de lui son cigare, quoiqu'il ne l'eût fumé qu'à moitié.

Le comte seul paraissait impassible. Il y avait même plus, une légère teinte rouge semblait vouloir percer la pâleur livide de ses joues.

Son nez se dilatait comme celui d'un animal féroce qui flaire le sang, et ses lèvres, légèrement écartées, laissaient voir ses dents blanches, petites et aiguës comme celles d'un chacal.

Et cependant, malgré tout cela, son visage avait une expression de douceur souriante que Franz ne lui avait jamais vue; ses yeux noirs surtout étaient admirables de mansuétude et de velouté.

Cependant les deux condamnés continuaient de marcher vers l'échafaud, et à mesure qu'ils avançaient on pouvait distinguer les traits de leur visage. Peppino était un beau garçon de vingt-quatre à vingt-six ans, au teint hâlé par le soleil, au regard libre et sauvage. Il portait la tête haute et semblait flairer le vent pour voir de quel côté lui viendrait son libérateur.

Andrea était gros et court: son visage, bassement cruel, n'indiquait pas d'âge; il pouvait cependant avoir trente ans à peu près. Dans la prison, il avait laissé pousser sa barbe. Sa tête retombait sur une de ses épaules, ses jambes pliaient sous lui: tout son être paraissait obéir à un mouvement machinal dans lequel sa volonté n'était déjà plus rien.

«Il me semble, dit Franz au comte, que vous m'avez annoncé qu'il n'y aurait qu'une exécution.

—Je vous ai dit la vérité, répondit-il froidement.

—Cependant voici deux condamnés.

—Oui; mais de ces deux condamnés l'un touche à la mort, et l'autre a encore de longues années à vivre.

—Il me semble que si la grâce doit venir, il n'y a plus de temps à perdre.

—Aussi la voilà qui vient; regardez», dit le Comte.

En effet, au moment où Peppino arrivait au pied de la mandaïa, un pénitent, qui semblait être en retard, perça la haie sans que les soldats fissent obstacle à son passage, et, s'avançant vers le chef de la confrérie, lui remit un papier plié en quatre.

Le regard ardent de Peppino n'avait perdu aucun de ces détails; le chef de la confrérie déplia le papier, le lut et leva la main.

«Le Seigneur soit béni et Sa Sainteté soit louée! dit-il à haute et intelligible voix. Il y a grâce de la vie pour l'un des condamnés.

—Grâce! s'écria le peuple d'un seul cri; il y a grâce!»

À ce mot de grâce, Andrea sembla bondir et redressa la tête.

«Grâce pour qui?» cria-t-il.

Peppino resta immobile, muet et haletant.

«Il y a grâce de la peine de mort pour Peppino Rocca Priori», dit le chef de la confrérie.

Et il passa le papier au capitaine commandant les carabiniers, lequel, après l'avoir lu, le lui rendit.

«Grâce pour Peppino! s'écria Andrea, entièrement tiré de l'état de torpeur où il semblait être plongé; pourquoi grâce pour lui et pas pour moi? nous devions mourir ensemble; on m'avait promis qu'il mourrait avant moi, on n'a pas le droit de me faire mourir seul, je ne le veux pas!»

Et il s'arracha au bras des deux prêtres, se tordant, hurlant, rugissant et faisant des efforts insensés pour rompre les cordes qui lui liaient les mains.

Le bourreau fit signe à ses deux aides, qui sautèrent en bas de l'échafaud et vinrent s'emparer du condamné.

«Qu'y a-t-il donc?» demanda Franz au comte.

Car, comme tout cela se passait en patois romain, il n'avait pas très bien compris.

«Ce qu'il y a? dit le comte, ne comprenez-vous pas bien? Il y a que cette créature humaine qui va mourir est furieuse de ce que son semblable ne meure pas avec elle et que, si on la laissait faire, elle le déchirerait avec ses ongles et avec ses dents plutôt que de le laisser jouir de la vie dont elle va être privée. Ô hommes! hommes! race de crocodiles! comme dit Karl Moor, s'écria le comte en étendant les deux poings vers toute cette foule, que je vous reconnais bien là, et qu'en tout temps vous êtes bien dignes de vous-mêmes!»

En effet, Andrea et les deux aides du bourreau se roulaient dans la poussière, le condamné criant toujours: «Il doit mourir, je veux qu'il meure! On n'a pas le droit de me tuer tout seul!»

«Regardez, regardez, continua le comte en saisissant chacun des deux jeunes gens par la main, regardez, car, sur mon âme, c'est curieux, voilà un homme qui était résigné à son sort, qui marchait à l'échafaud, qui allait mourir comme un lâche, c'est vrai, mais enfin il allait mourir sans résistance et sans récrimination: savez-vous ce qui lui donnait quelque force? savez-vous ce qui le consolait? savez-vous ce qui lui faisait prendre son supplice en patience? c'est qu'un autre partageait son angoisse; c'est qu'un autre allait mourir comme lui; c'est qu'un autre allait mourir avant lui! Menez deux moutons à la boucherie, deux bœufs à l'abattoir, et faites comprendre à l'un d'eux que son compagnon ne mourra pas, le mouton bêlera de joie, le bœuf mugira de plaisir mais l'homme, l'homme que Dieu a fait à son image, l'homme à qui Dieu a imposé pour première, pour unique, pour suprême loi, l'amour de son prochain, l'homme à qui Dieu a donné une voix pour exprimer sa pensée, quel sera son premier cri quand il apprendra que son camarade est sauvé? un blasphème. Honneur à l'homme, ce chef-d'œuvre de la nature, ce roi de la création!»

Et le comte éclata de rire, mais d'un rire terrible qui indiquait qu'il avait dû horriblement souffrir pour en arriver à rire ainsi.

Cependant la lutte continuait, et c'était quelque chose d'affreux à voir. Les deux valets portaient Andrea sur l'échafaud; tout le peuple avait pris parti contre lui, et vingt mille voix criaient d'un seul cri: «À mort! à mort!»

Franz se rejeta en arrière; mais le comte ressaisit son bras et le retint devant la fenêtre.

«Que faites-vous donc? lui dit-il; de la pitié? elle est, ma foi, bien placée! Si vous entendiez crier au chien enragé, vous prendriez votre fusil, vous vous jetteriez dans la rue, vous tueriez sans miséricorde à bout portant la pauvre bête, qui, au bout du compte ne serait coupable que d'avoir été mordue par un autre chien, et de rendre ce qu'on lui a fait: et voilà que vous avez pitié d'un homme qu'aucun autre homme n'a mordu, et qui cependant a tué son bienfaiteur, et qui maintenant, ne pouvant plus tuer parce qu'il a les mains liées, veut à toute force voir mourir son compagnon de captivité, son camarade d'infortune! Non, non, regardez, regardez.»

La recommandation était devenue presque inutile, Franz était comme fasciné par l'horrible spectacle. Les deux valets avaient porté le condamné sur l'échafaud, et là, malgré ses efforts, ses morsures, ses cris, ils l'avaient forcé de se mettre à genoux. Pendant ce temps, le bourreau s'était placé de côté et la masse en arrêt; alors, sur un signe, les deux aides s'écartèrent. Le condamné voulut se relever, mais avant qu'il en eût le temps, la masse s'abattit sur sa tempe gauche; on entendit un bruit sourd et mat, le patient tomba comme un bœuf, la face contre terre, puis d'un contrecoup, se retourna sur le dos. Alors le bourreau laissa tomber sa masse, tira le couteau de sa ceinture d'un seul coup lui ouvrit la gorge et, montant aussitôt sur son ventre, se mit à le pétrir avec ses pieds.

À chaque pression, un jet de sang s'élançait du cou du condamné.

Pour cette fois, Franz n'y put tenir plus longtemps; il se rejeta en arrière, et alla tomber sur un fauteuil à moitié évanoui.

Albert, les yeux fermés, resta debout, mais cramponné aux rideaux de la fenêtre.

Le comte était debout et triomphant comme le mauvais ange.


35. La mazzolata 35. La mazzolata 35. La mazzolata 35. La mazzolata

La mazzolata.

«Messieurs, dit en entrant le comte de Monte-Cristo, recevez toutes mes excuses de ce que je me suis laissé prévenir, mais en me présentant de meilleure heure chez vous, j’aurais craint d’être indiscret. "Gentlemen," said the Comte de Monte Cristo, "I apologize for allowing myself to be warned, but in presenting myself at your house, I feared I was indiscreet. D’ailleurs vous m’avez fait dire que vous viendriez, et je me suis tenu à votre disposition. Besides, you made me say that you would come, and I stood at your disposal.

—Nous avons, Franz et moi, mille remerciements à vous présenter, monsieur le comte, dit Albert; vous nous tirez véritablement d’un grand embarras, et nous étions en train d’inventer les véhicules les plus fantastiques au moment où votre gracieuse invitation nous est parvenue. "We have, Franz and I, a thousand thanks to introduce you, monsieur le comte," said Albert; you are really giving us a great embarrassment, and we were inventing the most fantastic vehicles at the moment your gracious invitation arrived.

—Eh! mon Dieu! messieurs, reprit le comte en faisant signe aux deux jeunes gens de s’asseoir sur un divan, c’est la faute de cet imbécile de Pastrini, si je vous ai laissés si longtemps dans la détresse! gentlemen, "said the count, motioning the two young men to sit on a divan," it is the fault of this imbecile of Pastrini, if I have left you so long in distress! Il ne m’avait pas dit un mot de votre embarras, à moi qui, seul et isolé comme je le suis ici, ne cherchais qu’une occasion de faire connaissance avec mes voisins. He had not told me a word of your embarrassment to me who, alone and isolated as I am here, were only looking for an opportunity to get to know my neighbors. Du moment où j’ai appris que je pouvais vous être bon à quelque chose, vous avez vu avec quel empressement j’ai saisi cette occasion de vous présenter mes compliments.» From the moment I learned that I could be good to you, you saw with what eagerness I took this opportunity to present you my compliments. "

Les deux jeunes gens s’inclinèrent. Franz n’avait pas encore trouvé un seul mot à dire; il n’avait encore pris aucune résolution, et, comme rien n’indiquait dans le comte sa volonté de le reconnaître ou le désir d’être reconnu de lui, il ne savait pas s’il devait, par un mot quelconque, faire allusion au passé, ou laisser le temps à l’avenir de lui apporter de nouvelles preuves. Franz had not yet found a single word to say; he had not yet taken any resolution, and as nothing indicated in the count his will to recognize him or the desire to be recognized by him, he did not know whether he should, by any word, refer to in the past, or give time in the future to bring new evidence. D’ailleurs, sûr que c’était lui qui était la veille dans la loge, il ne pouvait répondre aussi positivement que ce fût lui qui la surveille, était au Colisée, il résolut donc de laisser aller les choses sans faire au comte aucune ouverture directe. Besides, sure that he was the one who had been the day before in the box, he could not answer as positively as it was he who was watching her, was at the Colosseum, he resolved to let go of things without making the count any opening direct. D’ailleurs il avait une supériorité sur lui, il était maître de son secret, tandis qu’au contraire il ne pouvait avoir aucune action sur Franz, qui n’avait rien à cacher.

Cependant il résolut de faire tomber la conversation sur un point qui pouvait, en attendant, amener toujours l’éclaircissement de certains doutes.

«Monsieur le comte, lui dit-il, vous nous avez offert des places dans votre voiture et des places à vos fenêtres du palais Rospoli; maintenant, pourriez-vous nous dire comment nous pourrons nous procurer un poste quelconque, comme on dit en Italie, sur la place del Popolo? "Monsieur le Comte," he said, "you have offered us places in your carriage and seats at your windows in the Palazzo Rospoli; now, could you tell us how we shall be able to procure a post of some sort, as we say in Italy, in the Piazza del Popolo?

—Ah! oui, c’est vrai, dit le comte d’un air distrait et en regardant Morcerf avec une attention soutenue; n’y a-t-il pas, place del Popolo, quelque chose comme une exécution?

—Oui, répondit Franz, voyant qu’il venait de lui-même où il voulait l’amener. "Yes," replied Franz, seeing that he came from himself where he wanted to bring it.

—Attendez, attendez, je crois avoir dit hier à mon intendant de s’occuper de cela; peut-être pourrai-je vous rendre encore ce petit service.» -Wait, wait, I think I told my steward yesterday to take care of that; maybe I can do you that little favor again."

Il allongea la main vers un cordon de sonnette, qu’il tira trois fois.

«Vous êtes-vous préoccupé jamais, dit-il à Franz, de l’emploi du temps et du moyen de simplifier les allées et venues des domestiques? "Have you ever been preoccupied," he said to Franz, "with the use of time and the means of simplifying the comings and goings of servants? Moi, j’en ai fait une étude: quand je sonne une fois, c’est pour mon valet de chambre; deux fois, c’est pour mon maître d’hôtel; trois fois, c’est pour mon intendant. I made a study of it: when I ring once, it is for my valet de chambre; twice, it's for my butler; three times, it's for my steward. De cette façon, je ne perds ni une minute ni une parole. Tenez, voici notre homme.»

On vit alors entrer un individu de quarante-cinq à cinquante ans, qui parut à Franz ressembler comme deux gouttes d’eau au contrebandier qui l’avait introduit dans la grotte, mais qui ne parut pas le moins du monde le reconnaître. An individual of forty-five or fifty years of age, who appeared to Franz to be like two drops of water to the smuggler who had introduced him into the grotto, but who did not appear to recognize him in the least, was seen entering. Il vit que le mot était donné. He saw that the word was given.

«Monsieur Bertuccio, dit le comte, vous êtes-vous occupé, comme je vous l’avais ordonné hier, de me procurer une fenêtre sur la place del Popolo? "Monsieur Bertuccio," said the count, "have you been busy, as I ordered you yesterday, to procure for me a window in Piazza del Popolo?

—Oui, Excellence, répondit l’intendant, mais il était bien tard. -Yes, Excellency," replied the intendant, "but it was very late.

—Comment! dit le comte en fronçant le sourcil ne vous ai-je pas dit que je voulais en avoir une? said the count, frowning, "did not I tell you that I wanted to have one?

—Et Votre Excellence en a une aussi, celle qui était louée au prince Lobanieff; mais j’ai été obligé de la payer cent.... "And your Excellency has one too, which was rented to Prince Lobanieff; but I was obliged to pay a hundred ....

—C’est bien, c’est bien, monsieur Bertuccio, faites grâce à ces messieurs de tous ces détails de ménage; vous avez la fenêtre, c’est tout ce qu’il faut. "That's good, that's good, Monsieur Bertuccio, pardon these gentlemen for all these household details; you have the window, that's all you need. Donnez l’adresse de la maison au cocher, et tenez-vous sur l’escalier pour nous conduire: cela suffit; allez. Give the address of the house to the coachman, and stand on the stairs to drive us: that's enough; come on.

L’intendant salua et fit un pas pour se retirer.

«Ah! reprit le comte, faites-moi le plaisir de demander à Pastrini s’il a reçu la  tavoletta , et s’il veut m’envoyer le programme de l’exécution. "said the count," do me the pleasure of asking Pastrini if ​​he has received the tavoletta, and if he wishes to send me the program of the execution.

—C’est inutile, reprit Franz, tirant son calepin de sa poche; j’ai eu ces tablettes sous les yeux, je les ai copiées et les voici. "It's useless," said Franz, pulling his notebook from his pocket; I had these tablets under the eyes, I copied them and here they are.

—C’est bien; alors monsieur Bertuccio, vous pouvez vous retirer, je n’ai plus besoin de vous. -It's good; Mr. Bertuccio, you can withdraw, I do not need you anymore. Qu’on nous prévienne seulement quand le déjeuner sera servi. Let us know when lunch will be served. Ces messieurs, continua-t-il en se retournant vers les deux amis, me font-ils l’honneur de déjeuner avec moi?

—Mais, en vérité, monsieur le comte, dit Albert, ce serait abuser. "But, truly, monsieur le comte," said Albert, "that would be an abuse.

—Non pas, au contraire, vous me faites grand plaisir, vous me rendrez tout cela un jour à Paris, l’un ou l’autre et peut-être tous les deux. "No, on the contrary, you make me very happy; you will return all this to me one day in Paris, perhaps one or the other, and perhaps both. Monsieur Bertuccio, vous ferez mettre trois couverts.» Mr. Bertuccio, please set three place settings."

Il prit le calepin des mains de Franz. He took the notebook from Franz.

«Nous disons donc, continua-t-il du ton dont il eût lu les  Petites Affiches , que «seront exécutés, aujourd’hui 22 février, le nommé Andrea Rondolo, coupable d’assassinat sur la personne très respectable et très vénérée de don César Torlini, chanoine de l’église Saint-Jean-de-Latran, et le nommé Peppino, dit  Rocca Priori , convaincu de complicité avec le détestable bandit Luigi Vampa et les hommes de sa troupe...» "We say then," he continued, in the tone of which he had read the "Small Posters," that today, February 22, Andrea Rondolo will be executed, guilty of assassination on the very respectable and very venerated person of donation. César Torlini, canon of the church of Saint-Jean-de-Latran, and the name Peppino, known as Rocca Priori, convinced of complicity with the detestable bandit Luigi Vampa and the men of his troupe ... "

—Hum! «Le premier sera  mazzolato , le second  decapitato .» Oui, en effet, reprit le comte, c’était bien comme cela que la chose devait se passer d’abord; mais je crois que depuis hier il est survenu, quelque changement dans l’ordre et la marche de la cérémonie. "The first will be mazzolato, the second decapitato." Yes, indeed, resumed the count, that was exactly how things should have happened first; but I believe that since yesterday there has been some change in the order and progress of the ceremony.

—Bah! dit Franz.

—Oui, hier chez le cardinal Rospigliosi, où j’ai passé la soirée, il était question de quelque chose comme d’un sursis accordé à l’un des deux condamnés. "Yes, yesterday at Cardinal Rospigliosi, where I spent the evening, there was talk of something like a reprieve granted to one of the two convicts.

—À Andrea Rondolo? demanda Franz.

—Non... reprit négligemment le comte; à l’autre (il jeta un coup d’œil sur le calepin comme pour se rappeler le nom), à Peppino, dit  Rocca Priori . "No," said the count, carelessly; to the other (he glanced at the notebook as if to remember the name), to Peppino, says Rocca Priori. Cela vous prive d’une guillotinade, mais il vous reste la  mazzolata  qui est un supplice fort curieux quand on le voit pour la première fois, et même pour la seconde; tandis que l’autre, que vous devez connaître d’ailleurs, est trop simple, trop uni: il n’y a rien d’inattendu. This deprives you of a guillotine, but you have the mazzolata which is a very curious torture when you see it for the first time, and even for the second; while the other, which you must know, is too simple, too plain: there is nothing unexpected. La  mandaïa  ne se trompe pas, elle ne tremble pas, ne frappe pas à faux, ne s’y reprend pas à trente fois comme le soldat qui coupait la tête au comte de Chalais, et auquel, au reste, Richelieu avait peut-être recommandé le patient. The mandaia is not mistaken, she does not tremble, does not strike at all, does not pick up on it thirty times like the soldier who cut off the head of Count de Chalais, and to whom, besides, Richelieu had perhaps recommended the patient. Ah! Tenez, ajouta le comte d’un ton méprisant, ne me parlez pas des Européens pour les supplices, ils n’y entendent rien et en sont véritablement à l’enfance ou plutôt à la vieillesse de la cruauté. "Come," added the count, in a contemptuous tone, "do not speak to me of Europeans for tortures; they hear nothing of it, and are really in their infancy, or rather in the old age of cruelty.

—En vérité, monsieur le comte, répondit Franz, on croirait que vous avez fait une étude comparée des supplices chez les différents peuples du monde. "In truth, monsieur le comte," replied Franz, "it would seem that you have made a comparative study of tortures among the different peoples of the world.

—Il y en a peu du moins que je n’aie vus, reprit froidement le comte. "There are few at least that I have not seen," said the count coldly.

—Et vous avez trouvé du plaisir à assister à ces horribles spectacles? "And did you find pleasure in attending these horrible shows?"

—Mon premier sentiment a été la répulsion, le second l’indifférence, le troisième la curiosité.

—La curiosité! le mot est terrible, savez-vous? the word is terrible, do you know?

—Pourquoi? Il n’y a guère dans la vie qu’une préoccupation grave; c’est la mort, eh bien! There is little in life but a serious preoccupation; it is death, well! Não há praticamente uma preocupação séria na vida, que é a morte. n’est-il pas curieux d’étudier de quelles façons différentes l’âme peut sortir du corps, et comment, selon les caractères, les tempéraments et même les mœurs du pays, les individus supportent ce suprême passage de l’être au néant? Is it not curious to study in what different ways the soul can emerge from the body, and how, according to the characters, the temperaments, and even the manners of the country, individuals support this supreme transition from being to nothingness? ? Quant à moi, je vous réponds d’une chose: c’est que plus on a vu mourir, plus il devient facile de mourir: ainsi, à mon avis, la mort est peut-être un supplice, mais n’est pas une expiation. As for me, I can tell you about one thing: the more we have seen people die, the easier it becomes to die: thus, in my opinion, death may be torture, but it is not atonement.

—Je ne vous comprends pas bien, dit Franz; expliquez-vous, car je ne puis vous dire à quel point ce que vous me dites là pique ma curiosité. "I don't understand you well," said Franz; Explain yourself, because I cannot tell you to what extent what you are saying to me there piques my curiosity.

—Écoutez, dit le comte; et son visage s’infiltra de fiel, comme le visage d’un autre se colore de sang. "Listen," said the count; and his face glimpsed with gall, as the face of another is colored with blood. Si un homme eût fait périr, par des tortures inouïes, au milieu des tourments sans fin, votre père, votre mère, votre maîtresse, un de ces êtres enfin qui, lorsqu’on les déracine de votre cœur, y laissent un vide éternel et une plaie toujours sanglante, croiriez-vous la réparation que vous accorde la société suffisante, parce que le fer de la guillotine a passé entre la base de l’occipital et les muscles trapèzes du meurtrier, et parce que celui qui vous a fait ressentir des années de souffrances morales, a éprouvé quelques secondes de douleurs physiques? If a man would have destroyed, by unheard-of tortures, in the midst of endless torments, your father, your mother, your mistress, one of those beings who finally, when uprooted from your heart, leave there an eternal emptiness and a wound always bloody, would you believe the compensation that society grants you enough, because the iron of the guillotine passed between the base of the occipital and the trapezius muscles of the murderer, and because the one that made you feel years of moral suffering, experienced a few seconds of physical pain?

—Oui, je le sais, reprit Franz, la justice humaine est insuffisante comme consolatrice: elle peut verser le sang en échange du sang, voilà tout; il faut lui demander ce qu’elle peut et pas autre chose. "Yes, I know it," said Franz, "human justice is insufficient as a consoler; it can shed blood in exchange for blood, that is all; you have to ask her what she can and nothing else.

—Et encore je vous pose là un cas matériel, reprit le comte, celui où la société, attaquée par la mort d’un individu dans la base sur laquelle elle repose, venge la mort par la mort; mais n’y a-t-il pas des millions de douleurs dont les entrailles de l’homme peuvent être déchirées sans que la société s’en occupe le moins du monde sans qu’elle lui offre le moyen insuffisant de vengeance dont nous parlions tout à l’heure? "And again I put to you a material case," continued the Count, "when society, attacked by the death of an individual in the base on which it rests, avenges death by death; but are there not millions of pains from which man's bowels can be torn apart without society taking care of him in the least without offering him the insufficient means of revenge we were talking about? see you later? N’y a-t-il pas des crimes pour lesquels le pal des Turcs, les auges des Persans, les nerfs roulés des Iroquois seraient des supplices trop doux, et que cependant la société indifférente laisse sans châtiment?... Are there not some crimes for which the palate of the Turks, the troughs of the Persians, the rolled nerves of the Iroquois would be too soft torments, and yet the indifferent society leaves without punishment? Répondez, n’y a-t-il pas de ces crimes? Answer, are there any such crimes?

—Oui, reprit Franz, et c’est pour les punir que le duel est toléré. "Yes," said Franz, "and it is to punish them that the duel is tolerated.

—Ah! le duel, s’écria le comte, plaisante manière, sur mon âme, d’arriver à son but, quand le but est la vengeance! the duel, "cried the count," jokes, on my soul, to reach his goal, when the goal is revenge! Un homme vous a enlevé votre maîtresse, un homme a séduit votre femme, un homme a déshonoré votre fille; d’une vie tout entière, qui avait le droit d’attendre de Dieu la part de bonheur qu’il a promise à tout être humain en le créant, il a fait une existence de douleur, de misère ou d’infamie, et vous vous croyez vengé parce qu’à cet homme, qui vous a mis le délire dans l’esprit et le désespoir dans le cœur, vous avez donné un coup d’épée dans la poitrine ou logé une balle dans la tête? A man has taken away your mistress, a man has seduced your wife, a man has dishonored your daughter; of a whole life, which had the right to expect from God the share of happiness that he promised to every human being by creating it, he made an existence of pain, misery or infamy, and you Do you think you are avenged because to this man, who has put you into delirium in your mind and despair in your heart, have you struck a sword in your breast or lodged a bullet in your head? Allons donc! Come on! Sans compter que c’est lui qui souvent sort triomphant de la lutte, lavé aux yeux du monde et en quelque sorte absous par Dieu. Not to mention that it is he who often comes out triumphant of the struggle, washed in the eyes of the world and somehow absolved by God. Non, non, continua le comte, si j’avais jamais à me venger, ce n’est pas ainsi que je me vengerais. No, no, continued the count, if I ever had to avenge myself, it is not so that I would avenge myself.

—Ainsi, vous désapprouvez le duel? ainsi vous ne vous battriez pas en duel? so you would not fight a duel? demanda à son tour Albert, étonné d’entendre émettre une si étrange théorie. asked Albert in his turn, astonished to hear such a strange theory.

—Oh! si fait! if done! dit le comte. said the count.

Entendons-nous: je me battrais en duel pour une misère, pour une insulte, pour un démenti, pour un soufflet, et cela avec d’autant plus d’insouciance que, grâce à l’adresse que j’ai acquise à tous les exercices du corps et à la lente habitude que j’ai prise du danger, je serais à peu près sûr de tuer mon homme. Let us hear: I would fight a duel for a misery, for an insult, for a denial, for a blow, and that with all the more carelessness that, thanks to the address that I acquired at all body exercises and the slow habit I took of danger, I would be pretty sure to kill my man. Oh! si fait! if completed! je me battrais en duel pour tout cela; mais pour une douleur lente, profonde, infinie, éternelle, je rendrais, s’il était possible, une douleur pareille à celle que l’on m’aurait faite: œil pour œil, dent pour dent, comme disent les Orientaux, nos maîtres en toutes choses, ces élus de la création qui ont su se faire une vie de rêves et un paradis de réalités. I would fight a duel for all this; but for a slow, deep, infinite, eternal pain, I would render, if it were possible, a pain like that which would have been made to me: an eye for an eye, a tooth for a tooth, as the Orientals say, our masters in all things, these elected representatives of creation who knew how to make a life of dreams and a paradise of realities.

—Mais, dit Franz au comte, avec cette théorie qui vous constitue juge et bourreau dans votre propre cause, il est difficile que vous vous teniez dans une mesure où vous échappiez éternellement vous-même à la puissance de la loi. "But," said Franz to the count, "with this theory which makes you judge and executioner in your own cause, it is difficult for you to stand to a degree where you eternally escape the power of the law. La haine est aveugle, la colère étourdie, et celui qui se verse la vengeance risque de boire un breuvage amer. Hatred is blind, anger stunned, and he who pours out revenge risks drinking a bitter drink.

—Oui, s’il est pauvre et maladroit, non, s’il est millionnaire et habile. “Yes, if he's poor and clumsy, no, if he's a millionaire and clever. D’ailleurs le pis-aller pour lui est ce dernier supplice dont nous parlions tout à l’heure, celui que la philanthropique révolution française a substitué à l’écartèlement et à la roue. Besides, the worst thing for him is the last torture of which we spoke earlier, that which the French philanthropic revolution has substituted for the separation and the wheel. Eh bien! qu’est-ce que le supplice, s’il s’est vengé? what is torture, if he has avenged himself? En vérité, je suis presque fâché que, selon toute probabilité, ce misérable Peppino ne soit pas  decapitato , comme ils disent, vous verriez le temps que cela dure, et si c’est véritablement la peine d’en parler. In truth, I am almost sorry that, in all probability, this wretched Peppino is not decapitato, as they say, you would see how long it lasts, and if it is really worth talking about it. Mais, d’honneur, messieurs, nous avons là une singulière conversation pour un jour de carnaval. But, of honor, gentlemen, we have here a singular conversation for a carnival day. Comment donc cela est-il venu? How then did it come? Ah! je me le rappelle! I remember it! vous m’avez demandé une place à ma fenêtre; eh bien, soit, vous l’aurez; mais mettons-nous à table d’abord, car voilà qu’on vient nous annoncer que nous sommes servis.» you asked me for a place at my window; Well, either, you'll get it; but let us sit down to table first, because we have been told that we are being served. "

En effet, un domestique ouvrit une des quatre portes du salon et fit entendre les paroles sacramentelles: In fact, a servant opened one of the four doors of the living room and uttered the sacramental words:

« Al suo commodo !» "Al suo commodo!"

Les deux jeunes gens se levèrent et passèrent dans la salle à manger. The two young people got up and went into the dining room.

Pendant le déjeuner, qui était excellent et servi avec une recherche infinie, Franz chercha des yeux le regard d’Albert, afin d’y lire l’impression qu’il ne doutait pas qu’eussent produite en lui les paroles de leur hôte; mais, soit que dans son insouciance habituelle il ne leur eût pas prêté une grande attention, soit que la concession que le comte de Monte-Cristo lui avait faite à l’endroit du duel l’eût raccommodé avec lui, soit enfin que les antécédents que nous avons racontés, connus de Franz seul, eussent doublé pour lui seul l’effet des théories du comte, il ne s’aperçut pas que son compagnon fût préoccupé le moins du monde; tout au contraire, il faisait honneur au repas en homme condamné depuis quatre ou cinq mois à la cuisine italienne, c’est-à-dire l’une des plus mauvaises cuisines du monde. During the lunch, which was excellent and served with infinite research, Franz looked for Albert's gaze to read the impression that he did not doubt that he had produced the words of their host; but either in his habitual indifference he would not have paid much attention to them, either because the concession which the Count of Monte Cristo had made to him on the spot of the duel would have mended him with him, or, finally, that the antecedents that we have told, known to Franz alone, had doubled for him alone the effect of the theories of the count, he did not perceive that his companion was preoccupied in the least; on the contrary, it was a tribute to the meal of a man who had been condemned for four or five months to Italian cuisine, that is to say, one of the worst cuisines in the world. Durante o almoço, que foi excelente e servido com uma atenção infinita aos pormenores, Franz procurou o olhar de Alberto, para ler nele a impressão que, sem dúvida, lhe causaram as palavras do seu anfitrião; No entanto, ou porque, na sua habitual leviandade, não lhes tinha prestado muita atenção, ou porque a concessão que o conde de Monte Cristo lhe tinha feito a propósito do duelo o tinha reconciliado com ele, ou, finalmente, porque os antecedentes que contámos, só conhecidos por Franz, lhe tinham duplicado o efeito das teorias do conde, não reparou que o seu companheiro estava minimamente preocupado; Pelo contrário, como homem condenado durante quatro ou cinco meses à cozinha italiana - uma das piores cozinhas do mundo - honrou a refeição. Quant au comte, il effleurait à peine chaque plat; on eût dit qu’en se mettant à table avec ses convives il accomplissait un simple devoir de politesse, et qu’il attendait leur départ pour se faire servir quelque mets étrange ou particulier. As for the count, he barely touched each dish; one would have said that by sitting down to table with his guests he was accomplishing a simple duty of politeness, and that he was awaiting their departure to have some strange or particular dish served.

Cela rappelait malgré lui à Franz l’effroi que le comte avait inspiré à la comtesse G..., et la conviction où il l’avait laissée que le comte, l’homme qu’il lui avait montré dans la loge en face d’elle, était un vampire. It reminded Franz in spite of himself of the fright which the count had inspired to the Countess G, and the conviction in which he had left her the Count, the man he had shown him in the box opposite she was a vampire.

À la fin du déjeuner, Franz tira sa montre. At the end of the lunch Franz pulled out his watch.

«Eh bien, lui dit le comte, que faites-vous donc? "Well," said the count, "what are you doing?

—Vous nous excuserez, monsieur le comte, répondit Franz, mais nous avons encore mille choses à faire.

—Lesquelles?

—Nous n’avons pas de déguisements, et aujourd’hui le déguisement est de rigueur. “We don't have disguises, and today disguise is required.

—Ne vous occupez donc pas de cela. -Do not worry about that. Nous avons à ce que je crois, place del Popolo, une chambre particulière; j’y ferai porter les costumes que vous voudrez bien m’indiquer, et nous nous masquerons séance tenante. We have what I think is Piazza del Popolo, a private room; I will wear the costumes you would like to show me, and we will hide ourselves on the spot.

—Après l’exécution? s’écria Franz.

—Sans doute, après, pendant ou avant, comme vous voudrez. -No doubt, after, during or before, as you wish.

—En face de l’échafaud? —In front of the scaffold?

—L’échafaud fait partie de la fête. -The scaffold is part of the party.

—Tenez, monsieur le comte, j’ai réfléchi, dit Franz; décidément je vous remercie de votre obligeance, mais je me contenterai d’accepter une place dans votre voiture, une place à la fenêtre du palais Rospoli, et je vous laisserai libre de disposer de ma place à la fenêtre de la piazza del Popolo. "Come, Count, I have thought," said Franz; I really thank you for your kindness, but I will content myself with accepting a place in your car, a place at the window of the palace Rospoli, and I will leave you free to dispose of my place at the window of Piazza del Popolo.

—Mais vous perdez, je vous en préviens, une chose fort curieuse, répondit le comte. "But you lose, I warn you, a very curious thing," replied the count.

—Vous me le raconterez, reprit Franz, et je suis convaincu que dans votre bouche le récit m’impressionnera presque autant que la vue pourrait le faire. "You will tell it to me," said Franz, "and I am convinced that in your mouth the story will impress me almost as much as the eye can do. D’ailleurs, plus d’une fois déjà j’ai voulu prendre sur moi d’assister à une exécution, et je n’ai jamais pu m’y décider; et vous, Albert? Besides, more than once I have wished to take upon myself an execution, and I have never been able to make up my mind; and you, Albert?

—Moi, répondit le vicomte, j’ai vu exécuter Castaing; mais je crois que j’étais un peu gris ce jour-là. "I," replied the viscount, "saw Castaing executed; but I think I was a little gray that day. C’était le jour de ma sortie du collège, et nous avions passé la nuit je ne sais à quel cabaret. It was the day of my leaving school, and we had spent the night I do not know what cabaret.

—D’ailleurs, ce n’est pas une raison, parce que vous n’avez pas fait une chose à Paris, pour que vous ne la fassiez pas à l’étranger: quand on voyage, c’est pour s’instruire; quand on change de lieu, c’est pour voir. "Besides, it is not a reason, because you have not done a thing in Paris, so that you do not do it abroad: when one travels, it is to educate oneself; when we change places, it's to see. Songez donc quelle figure vous ferez quand on vous demandera: Comment exécute-t-on à Rome? Think, then, what figure you will make when you are asked: How is it executed in Rome? et que vous répondrez: Je ne sais pas. Et puis, on dit que le condamné est un infâme coquin, un drôle qui a tué à coups de chenet un bon chanoine qui l’avait élevé comme son fils. And then, it is said that the condemned is an infamous rascal, a hooligan who has shot a good canon who had raised him as his son. Que diable! quand on tue un homme d’Église, on prend une arme plus convenable qu’un chenet, surtout quand cet homme d’église est peut-être notre père. when we kill a clergyman, we take a more suitable weapon than an andir, especially when this clergyman is perhaps our father. Si vous voyagiez en Espagne, vous iriez voir les combats de taureaux, n’est-ce pas? Eh bien, supposez que c’est un combat que nous allons voir; souvenez-vous des anciens Romains du Cirque, des chasses où l’on tuait trois cents lions et une centaine d’hommes. Well, suppose it's a fight we're going to see; remember the ancient Romans of the Circus, hunts where one killed three hundred lions and a hundred men. Souvenez-vous donc de ces quatre-vingt mille spectateurs qui battaient des mains, de ces sages matrones qui conduisaient là leurs filles à marier, et de ces charmantes vestales aux mains blanches qui faisaient avec le pouce un charmant petit signe qui voulait dire: Allons, pas de paresse! Remember, then, those eighty thousand spectators who clapped their hands, those wise matrons who led their daughters to marry there, and those charming vestals with white hands, which made with the thumb a charming little sign which meant: Come on , no laziness! achevez-moi cet homme-là qui est aux trois quarts mort. finish me this man who is three-quarters dead.

—Y allez-vous, Albert? “Are you going, Albert? dit Franz.

—Ma foi, oui, mon cher! J’étais comme vous mais l’éloquence du comte me décide. I was like you, but the eloquence of the count decides me.

—Allons-y donc, puisque vous le voulez, dit Franz; mais en me rendant place del Popolo, je désire passer par la rue du Cours; est-ce possible monsieur le comte? "Let's go then, since you want it," said Franz; but on my way to Popolo, I wish to pass by the Rue du Cours; Is it possible, monsieur le comte?

—À pied, oui; en voiture, non. “On foot, yes; by car, no.

—Eh bien, j’irai à pied.

—Il est bien nécessaire que vous passiez par la rue du Cours? "Do you have to go through rue du Cours?"

—Oui, j’ai quelque chose à y voir. “Yes, I have something to do with it.

—Eh bien, passons par la rue du Cours, nous enverrons la voiture nous attendre sur la piazza del Popolo, par la strada del Babuino; d’ailleurs je ne suis pas fâché non plus de passer par la rue du Cours pour voir si des ordres que j’ai donnés ont été exécutés. "Well, let's go through the Rue du Cours, we will send the car to wait for us on the piazza del Popolo, by the strada del Babuino; besides, I am not sorry either to go through Cours Street to see if any orders I have given have been executed.

—Excellence, dit le domestique en ouvrant la porte, un homme vêtu en pénitent demande à vous parler. "Excellence," said the servant, opening the door, "a man dressed as a penitent asks to speak to you.

—Ah! oui, dit le comte, je sais ce que c’est. yes, said the count, I know what it is. Messieurs, voulez-vous repasser au salon, vous trouverez sur la table du milieu d’excellents cigares de la Havane, je vous y rejoins dans un instant.»

Les deux jeunes gens se levèrent et sortirent par une porte, tandis que le comte, après leur avoir renouvelé ses excuses, sortait par l’autre. The two young people got up and went out by a door, while the count, after having renewed his apologies, left by the other. Albert, qui était un grand amateur, et qui, depuis qu’il était en Italie, ne comptait pas comme un mince sacrifice celui d’être privé des cigares du café de Paris, s’approcha de la table et poussa un cri de joie en apercevant de véritables puros. Albert, who was a great lover, and who, since he was in Italy, did not count as a thin sacrifice that of being deprived of the cigars of the Cafe de Paris, approached the table and uttered a cry of joy seeing real puros.

«Eh bien, lui demanda Franz, que pensez-vous du comte de Monte-Cristo?

—Ce que j’en pense! -What do I think of it! dit Albert visiblement étonné que son compagnon lui fît une pareille question; je pense que c’est un homme charmant, qui fait à merveille les honneurs de chez lui, qui a beaucoup vu, beaucoup étudié, beaucoup réfléchi, qui est, comme Brutus, de l’école stoïque, et, ajouta-t-il en poussant amoureusement une bouffée de fumée qui monta en spirale vers le plafond, et qui par-dessus tout cela possède d’excellents cigares.» said Albert, visibly astonished, that his companion was asking him such a question; I think he is a charming man, who does the honors well at home, who has seen a lot, studied a lot, thought a lot, who is, like Brutus, of the stoic school, and, he added. lovingly pushing a puff of smoke that spiraled toward the ceiling, and above all that has excellent cigars. "

C’était l’opinion d’Albert sur le comte; or, comme Franz savait qu’Albert avait la prétention de ne se faire une opinion sur les hommes et sur les choses qu’après de mûres réflexions, il ne tenta pas de rien changer à la sienne. It was Albert's opinion of the count; Now, as Franz knew that Albert had the pretension of not having an opinion on men and things until after careful reflection, he did not attempt to change anything to his own.

«Mais, dit-il, avez-vous remarqué une chose singulière? "But," he said, "have you noticed a singular thing?

—Laquelle?

—L’attention avec laquelle il vous regardait. “The attention with which he looked at you.

—Moi?

—Oui, vous.»

Albert réfléchit. Albert thinks.

«Ah! dit-il en poussant un soupir, rien d’étonnant à cela. he said with a sigh, not surprising. Je suis depuis près d’un an absent de Paris, je dois avoir des habits de l’autre monde. I have been absent from Paris for almost a year, I must have clothes from the other world. Le comte m’aura pris pour un provincial; détrompez-le, cher ami, et dites-lui, je vous prie, à la première occasion, qu’il n’en est rien.» The count will have taken me for a provincial; Think again, dear friend, and tell him, I beg you, at the first opportunity, that it is not so. "

Franz sourit; un instant après le comte rentra. Franz smiles; a moment after the count returned.

«Me voici, messieurs, dit-il, et tout à vous, les ordres sont donnés; la voiture va de son côté place del Popolo, et nous allons nous y rendre du nôtre, si vous voulez bien, par la rue du Cours. "Here am I, gentlemen," he said, "and all yours, orders are given; the carriage goes to Piazza del Popolo, and we are going to get there from you, if you please, by the Rue du Cours. Prenez donc quelques-uns de ces cigares, monsieur de Morcerf. Take some of these cigars, Monsieur de Morcerf.

—Ma foi, avec grand plaisir, dit Albert, car vos cigares italiens sont encore pires que ceux de la régie. "Faith, with great pleasure," said Albert, "for your Italian cigars are still worse than those of the control room. Quand vous viendrez à Paris, je vous rendrai tout cela. When you come to Paris, I will return all of this to you.

—Ce n’est pas de refus; je compte y aller quelque jour, et, puisque vous le permettez, j’irai frapper à votre porte. “It is not a refusal; I intend to go there some day, and, since you will allow it, I will knock on your door. Allons, messieurs, allons, nous n’avons pas de temps à perdre; il est midi et demi, partons.» Come on, gentlemen, come on, we have no time to waste; it's half past twelve, let's go. "

Tous trois descendirent. All three went down. Alors le cocher prit les derniers ordres de son maître, et suivit la via del Babuino, tandis que les piétons remontaient par la place d’Espagne et par la via Frattina, qui les conduisait tout droit entre le palais Fiano et le palais Rospoli. Then the coachman took the last orders of his master, and followed the Via del Babuino, while the pedestrians went up through the Spanish Steps and Via Frattina, which led them straight between the Palazzo Fiano and the Palazzo Rospoli.

Tous les regards de Franz furent pour les fenêtres de ce dernier palais, il n’avait pas oublié le signal convenu dans le Colisée entre l’homme au manteau et le Transtévère. All Franz's eyes were for the windows of this last palace, he had not forgotten the signal agreed in the Colosseum between the man in the coat and the Trastevere.

«Quelles sont vos fenêtres? "What are your windows? demanda-t-il au comte du ton le plus naturel qu’il pût prendre. he asked the count of the most natural tone he could take.

—Les trois dernières», répondit-il avec une négligence qui n’avait rien d’affecté; car il ne pouvait deviner dans quel but cette question lui était faite. "The last three," he replied, with a negligence that was not affected; for he could not guess for what purpose this question was made to him.

Les yeux de Franz se portèrent rapidement sur les trois fenêtres. Franz's eyes went quickly to the three windows. Les fenêtres latérales étaient tendues en damas jaune, et celle du milieu en damas blanc avec une croix rouge. The side windows were hung in yellow damask, and the middle one in white damask with a red cross.

L’homme au manteau avait tenu sa parole au Transtévère, et il n’y avait plus de doute: l’homme au manteau, c’était bien le comte. The man in the cloak had kept his word at Trastevere, and there was no longer any doubt: the man in the cloak was indeed the count.

Les trois fenêtres étaient encore vides. The three windows were still empty.

Au reste, de tous côtés se faisaient les préparatifs; on plaçait des chaises, on dressait des échafaudages, on tendait des fenêtres. Besides, on all sides preparations were made; chairs were placed, scaffolding was erected, windows were stretched out. Les masques ne pouvaient paraître, les voitures ne pouvaient circuler qu’au son de la cloche; mais on sentait les masques derrière toutes les fenêtres, les voitures derrière toutes les portes. The masks could not appear; the cars could only circulate at the sound of the bell; but we could feel the masks behind all the windows, the cars behind all the doors.

Franz, Albert et le comte continuèrent de descendre la rue du Cours. Franz, Albert and the count continued down the rue du Cours. À mesure qu’ils approchaient de la place du Peuple, la foule devenait plus épaisse et au-dessus des têtes de cette foule, on voyait s’élever deux choses: l’obélisque surmonté d’une croix qui indique le centre de la place, et, en avant de l’obélisque, juste au point de correspondance visuelle des trois rues del Babuino, del Corso et di Ripetta, les deux poutres suprêmes de l’échafaud, entre lesquelles brillait le fer arrondi de la mandaïa. As they approached People's Square, the crowd became thicker and above the heads of this crowd, two things were seen to rise: the obelisk surmounted by a cross that indicates the center of the square and, in front of the obelisk, just at the point of visual correspondence of the three streets of Babuino, del Corso, and di Ripetta, the two supreme beams of the scaffold, between which shone the rounded iron of the mandaya.

À l’angle de la rue on trouva l’intendant du comte, qui attendait son maître. At the corner of the street was found the intendant of the count, who was waiting for his master.

La fenêtre louée à ce prix exorbitant sans doute dont le comte n’avait point voulu faire part à ses invités, appartenait au second étage du grand palais, situé entre la rue del Babuino et le monte Pincio; c’était, comme nous l’avons dit, une espèce de cabinet de toilette donnant dans une chambre à coucher; en fermant la porte de la chambre à coucher, les locataires du cabinet étaient chez eux; sur les chaises on avait déposé des costumes de paillasse en satin blanc et bleu des plus élégants. The window rented at this exorbitant price, of which the count had no intention of informing his guests, belonged to the second floor of the great palace, situated between the Rue del Babuino and Monte Pincio; it was, as we have said, a kind of bathroom giving in a bedroom; by closing the door of the bedroom, the tenants of the cabinet were at home; on the chairs, satin suits of the most elegant white and blue satin had been laid.

«Comme vous m’avez laissé le choix des costumes, dit le comte aux deux amis, je vous ai fait préparer ceux-ci. "As you have left me the choice of the costumes," said the count to the two friends, "I have had you prepared for them. D’abord, c’est ce qu’il y aura de mieux porté cette année; ensuite, c’est ce qu’il y a de plus commode pour les confettis, attendu que la farine n’y paraît pas.» First, that's the best thing this year; secondly, it is most convenient for confetti, since the flour does not appear there. "

Franz n’entendit que fort imparfaitement les paroles du comte, et il n’apprécia peut-être pas à sa valeur cette nouvelle gracieuseté; car toute son attention était attirée par le spectacle que présentait la piazza del Popolo, et par l’instrument terrible qui en faisait à cette heure le principal ornement. Franz heard only very imperfectly the count's words, and he perhaps did not appreciate this new courtesy; for all his attention was attracted by the spectacle presented by the Piazza del Popolo, and by the terrible instrument which at that time made it the chief ornament.

C’était la première fois que Franz apercevait une guillotine; nous disons guillotine, car la mandaïa romaine est taillée à peu près sur le même patron que notre instrument de mort. It was the first time Franz had seen a guillotine; we say guillotine, because the Roman mandaïa is cut roughly on the same pattern as our instrument of death. Le couteau, qui a la forme d’un croissant qui couperait par la partie convexe, tombe de moins haut, voilà tout. The knife, which has the form of a crescent which cuts through the convex part, falls from a lower height, that is all.

Deux hommes, assis sur la planche à bascule où l’on couche le condamné, déjeunaient en attendant, et mangeaient, autant que Franz pût le voir, du pain et des saucisses; l’un d’eux souleva la planche, en tira un flacon de vin, but un coup et passa le flacon à son camarade; ces deux hommes, c’étaient les aides du bourreau! Two men, seated on the rocking board where the condemned man is sleeping, breakfasted in the meanwhile, and ate, as much as Franz could see him, bread and sausages; one of them lifted the board, pulled out a bottle of wine, drank a blow, and passed the bottle to his comrade; These two men were the helpers of the executioner!

À ce seul aspect, Franz avait senti la sueur poindre à la racine de ses cheveux. At that sight alone, Franz had felt sweat creeping into the roots of his hair.

Les condamnés, transportés la veille au soir des Carceri Nuove dans la petite église Sainte-Marie-del-Popolo, avaient passé la nuit, assistés chacun de deux prêtres, dans une chapelle ardente fermée d’une grille, devant laquelle se promenaient des sentinelles relevées d’heure en heure. The convicts, transported the evening before the Carceri Nuove in the small church of St. Mary of Popolo, had spent the night, each assisted by two priests, in a burning chapel closed by a gate, in front of which were sentinels read hourly.

Une double haie de carabiniers placés de chaque côté de la porte de l’église s’étendait jusqu’à l’échafaud, autour duquel elle s’arrondissait, laissant libre un chemin de dix pieds de large à peu près, et autour de la guillotine un espace d’une centaine de pas de circonférence. A double hedge of carabineers placed on each side of the church door extended to the scaffold, around which it rounded off, leaving a path about ten feet wide, and around the guillotine a space of a hundred steps of circumference. Tout le reste de la place était pavé de têtes d’hommes et de femmes. All the rest of the place was paved with men's and women's heads. Beaucoup de femmes tenaient leurs enfants sur leurs épaules. Ces enfants, qui dépassaient la foule de tout le torse, étaient admirablement placés. These children, who outnumbered the crowd, were admirably placed.

Le monte Pincio semblait un vaste amphithéâtre dont tous les gradins eussent été chargés de spectateurs; les balcons des deux églises qui font l’angle de la rue del Babuino et de la rue di Ripetta regorgeaient de curieux privilégiés; les marches des péristyles semblaient un flot mouvant et bariolé qu’une marée incessante poussait vers le portique: chaque aspérité de la muraille qui pouvait donner place à un homme avait sa statue vivante. Monte Pincio seemed to be a vast amphitheater, all the tiers of which were loaded with spectators; the balconies of the two churches at the corner of the Rue del Babuino and the Rue di Ripetta were full of curious privileged people; the steps of the peristyles seemed a moving and variegated tide that an incessant tide was pushing towards the portico: every roughness of the wall that could give way to a man had its living statue.

Ce que disait le comte est donc vrai, ce qu’il y a de plus curieux dans la vie est le spectacle de la mort. What the count said is therefore true, what is most curious in life is the spectacle of death.

Et cependant, au lieu du silence que semblait commander la solennité du spectacle, un grand bruit montait de cette foule, bruit composé de rires, de huées et de cris joyeux; il était évident encore, comme l’avait dit le comte que cette exécution n’était rien autre chose, pour tout le peuple, que le commencement du carnaval. And yet, instead of the silence which the solemnity of the spectacle seemed to command, a great noise arose from this crowd, a noise composed of laughter, hoots and joyous cries; it was still evident, as the count had said, that this execution was nothing other, for all the people, than the beginning of the carnival.

Tout à coup ce bruit cessa comme par enchantement, la porte de l’église venait de s’ouvrir. Suddenly this noise ceased as if by magic, the door of the church had just opened.

Une confrérie de pénitents, dont chaque membre était vêtu d’un sac gris percé aux yeux seulement, et tenait un cierge allumé à la main, parut d’abord; en tête marchait le chef de la confrérie. A brotherhood of penitents, each member of which was dressed in a gray bag pierced only by the eyes, and holding a lit candle in his hand, appeared at first; in the lead walked the head of the brotherhood.

Derrière les pénitents venait un homme de haute taille. Behind the penitents came a tall man. Cet homme était nu, à l’exception d’un caleçon de toile au côté gauche duquel était attaché un grand couteau caché dans sa gaine; il portait sur l’épaule droite une lourde masse de fer. This man was naked, with the exception of a canvas underpants on the left side of which was attached a large knife hidden in his sheath; he carried on his right shoulder a heavy mass of iron. Cet homme, c’était le bourreau. This man was the executioner.

Il avait en outre des sandales attachées au bas de la jambe par des cordes. He also had sandals tied to the bottom of his leg with ropes.

Derrière le bourreau marchaient, dans l’ordre où ils devaient être exécutés, d’abord Peppino et ensuite Andrea. Behind the executioner walked, in the order in which they were to be executed, first Peppino and then Andrea.

Chacun était accompagné de deux prêtres. Each was accompanied by two priests.

Ni l’un ni l’autre n’avait les yeux bandés. Neither was blindfolded.

Peppino marchait d’un pas assez ferme; sans doute il avait eu avis de ce qui se préparait pour lui. Peppino walked with a firm step; no doubt he had notice of what was being prepared for him.

Andrea était soutenu sous chaque bras par un prêtre. Andrea was supported under each arm by a priest.

Tous deux baisaient de temps en temps le crucifix que leur présentait le confesseur. Both kissed from time to time the crucifix presented to them by the confessor.

Franz sentit, rien qu’à cette vue, les jambes qui lui manquaient; il regarda Albert. Franz felt, just at this sight, the legs which he lacked; he looked at Albert. Il était pâle comme sa chemise, et par un mouvement machinal il jeta loin de lui son cigare, quoiqu’il ne l’eût fumé qu’à moitié. He was as pale as his shirt, and by a mechanical movement he threw his cigar away from him, though he had only half-smoked it.

Le comte seul paraissait impassible. The count alone seemed impassive. Il y avait même plus, une légère teinte rouge semblait vouloir percer la pâleur livide de ses joues. There was even more, a slight red hue seemed to pierce the livid pallor of her cheeks.

Son nez se dilatait comme celui d’un animal féroce qui flaire le sang, et ses lèvres, légèrement écartées, laissaient voir ses dents blanches, petites et aiguës comme celles d’un chacal. His nose was dilated like that of a ferocious animal that smells blood, and his lips, slightly apart, showed his white teeth, small and acute like those of a jackal.

Et cependant, malgré tout cela, son visage avait une expression de douceur souriante que Franz ne lui avait jamais vue; ses yeux noirs surtout étaient admirables de mansuétude et de velouté. And yet, in spite of all that, his face had an expression of smiling sweetness that Franz had never seen him; his black eyes were especially admirable for gentleness and velvety.

Cependant les deux condamnés continuaient de marcher vers l’échafaud, et à mesure qu’ils avançaient on pouvait distinguer les traits de leur visage. The two convicts, however, continued to march towards the scaffold, and as they advanced, the features of their faces could be seen. Peppino était un beau garçon de vingt-quatre à vingt-six ans, au teint hâlé par le soleil, au regard libre et sauvage. Peppino was a handsome boy of twenty-four to twenty-six, with a sun-tanned complexion, free and wild eyes. Il portait la tête haute et semblait flairer le vent pour voir de quel côté lui viendrait son libérateur. He wore his head high and seemed to smell the wind to see which way his liberator would come.

Andrea était gros et court: son visage, bassement cruel, n’indiquait pas d’âge; il pouvait cependant avoir trente ans à peu près. Andrea was fat and short; her cruel face did not indicate age; he could, however, be about thirty years old. Dans la prison, il avait laissé pousser sa barbe. In the prison, he had let his beard grow. Sa tête retombait sur une de ses épaules, ses jambes pliaient sous lui: tout son être paraissait obéir à un mouvement machinal dans lequel sa volonté n’était déjà plus rien. His head fell on one of his shoulders, his legs bent under him: his whole being seemed to obey a mechanical movement in which his will was already nothing.

«Il me semble, dit Franz au comte, que vous m’avez annoncé qu’il n’y aurait qu’une exécution. "It seems to me," said Franz to the count, "that you have told me that there will only be one execution.

—Je vous ai dit la vérité, répondit-il froidement.

—Cependant voici deux condamnés.

—Oui; mais de ces deux condamnés l’un touche à la mort, et l’autre a encore de longues années à vivre. -Yes; but of these two condemned one touches death, and the other still has many years to live.

—Il me semble que si la grâce doit venir, il n’y a plus de temps à perdre. -It seems to me that if grace is to come, there is no time to lose.

—Aussi la voilà qui vient; regardez», dit le Comte. -Aso here she comes; look, "said the Count.

En effet, au moment où Peppino arrivait au pied de la mandaïa, un pénitent, qui semblait être en retard, perça la haie sans que les soldats fissent obstacle à son passage, et, s’avançant vers le chef de la confrérie, lui remit un papier plié en quatre. In fact, at the moment when Peppino arrived at the foot of the mandaia, a penitent, who seemed to be late, pierced the hedge without the soldiers obstructing his passage, and, advancing towards the head of the brotherhood, handed him a paper folded in four.

Le regard ardent de Peppino n’avait perdu aucun de ces détails; le chef de la confrérie déplia le papier, le lut et leva la main. Peppino's ardent gaze had lost none of these details; the head of the brotherhood unfolded the paper, read it, and raised his hand.

«Le Seigneur soit béni et Sa Sainteté soit louée! "The Lord be blessed and his holiness praised! dit-il à haute et intelligible voix. he said loudly and intelligibly. Il y a grâce de la vie pour l’un des condamnés. There is grace of life for one of the condemned.

—Grâce! s’écria le peuple d’un seul cri; il y a grâce!» exclaimed the people with a single cry; there is grace! "

À ce mot de grâce, Andrea sembla bondir et redressa la tête. At this word of grace, Andrea seemed to leap and looked up.

«Grâce pour qui?» cria-t-il. "Thanks for who?" He shouted.

Peppino resta immobile, muet et haletant. Peppino remained motionless, silent and panting.

«Il y a grâce de la peine de mort pour Peppino Rocca Priori», dit le chef de la confrérie. "There is thanks for the death penalty for Peppino Rocca Priori," said the head of the brotherhood.

Et il passa le papier au capitaine commandant les carabiniers, lequel, après l’avoir lu, le lui rendit. And he passed the paper to the captain commanding the carabineers, who, after reading it, returned it to him.

«Grâce pour Peppino! s’écria Andrea, entièrement tiré de l’état de torpeur où il semblait être plongé; pourquoi grâce pour lui et pas pour moi? exclaimed Andrea, entirely drawn from the state of torpor where he seemed to be plunged; why grace for him and not for me? nous devions mourir ensemble; on m’avait promis qu’il mourrait avant moi, on n’a pas le droit de me faire mourir seul, je ne le veux pas!» we had to die together; I had been promised that he would die before me, we have no right to die alone, I do not want to! "

Et il s’arracha au bras des deux prêtres, se tordant, hurlant, rugissant et faisant des efforts insensés pour rompre les cordes qui lui liaient les mains. And he tore himself from the arm of the two priests, writhing, screaming, roaring, and making foolish efforts to break the ropes that bound his hands.

Le bourreau fit signe à ses deux aides, qui sautèrent en bas de l’échafaud et vinrent s’emparer du condamné. The executioner signaled to his two assistants, who jumped down from the scaffold and came to seize the condemned man.

«Qu’y a-t-il donc?» demanda Franz au comte. "What is it?" Asked Franz to the count.

Car, comme tout cela se passait en patois romain, il n’avait pas très bien compris. Because, as all this was in Roman dialect, he did not understand very well.

«Ce qu’il y a? "What is there? dit le comte, ne comprenez-vous pas bien? said the count, do you not understand well? Il y a que cette créature humaine qui va mourir est furieuse de ce que son semblable ne meure pas avec elle et que, si on la laissait faire, elle le déchirerait avec ses ongles et avec ses dents plutôt que de le laisser jouir de la vie dont elle va être privée. It is that this human creature who is going to die is furious that his fellow does not die with her and that, if allowed to do so, she would tear him with his nails and teeth rather than let him enjoy life. of which she will be deprived. Ô hommes! O men! hommes! race de crocodiles! race of crocodiles! comme dit Karl Moor, s’écria le comte en étendant les deux poings vers toute cette foule, que je vous reconnais bien là, et qu’en tout temps vous êtes bien dignes de vous-mêmes!» as Karl Moor says, "exclaimed the count, extending his fists to the crowd," that I recognize you there, and that at all times you are worthy of yourselves! "

En effet, Andrea et les deux aides du bourreau se roulaient dans la poussière, le condamné criant toujours: «Il doit mourir, je veux qu’il meure! Indeed, Andrea and the two helpers of the executioner rolled in the dust, the condemned always shouting: "He must die, I want him to die! On n’a pas le droit de me tuer tout seul!» We do not have the right to kill myself! "

«Regardez, regardez, continua le comte en saisissant chacun des deux jeunes gens par la main, regardez, car, sur mon âme, c’est curieux, voilà un homme qui était résigné à son sort, qui marchait à l’échafaud, qui allait mourir comme un lâche, c’est vrai, mais enfin il allait mourir sans résistance et sans récrimination: savez-vous ce qui lui donnait quelque force? "Look, look," continued the count, seizing each of the young men by the hand, "look, for on my soul it is curious, here is a man who was resigned to his fate, who walked to the scaffold, who was going to die like a coward, it's true, but at last he was going to die without resistance and without recrimination: do you know what gave him some strength? savez-vous ce qui le consolait? do you know what consoled him? savez-vous ce qui lui faisait prendre son supplice en patience? do you know what made him suffer his torture? c’est qu’un autre partageait son angoisse; c’est qu’un autre allait mourir comme lui; c’est qu’un autre allait mourir avant lui! it was because another shared his anguish; it was because another was going to die like him; it was because another was going to die before him! Menez deux moutons à la boucherie, deux bœufs à l’abattoir, et faites comprendre à l’un d’eux que son compagnon ne mourra pas, le mouton bêlera de joie, le bœuf mugira de plaisir mais l’homme, l’homme que Dieu a fait à son image, l’homme à qui Dieu a imposé pour première, pour unique, pour suprême loi, l’amour de son prochain, l’homme à qui Dieu a donné une voix pour exprimer sa pensée, quel sera son premier cri quand il apprendra que son camarade est sauvé? Lead two sheep to the butcher's shop, two oxen to the slaughterhouse, and let one of them understand that his companion will not die, the sheep will bleat with joy, the ox will roar with pleasure but the man, the man that God has made in his image, the man to whom God has imposed for the first, for the sole, for the supreme law, the love of his neighbor, the man to whom God has given a voice to express his thought, what will be his first cry when he learns that his comrade is saved? un blasphème. blasphemy. Honneur à l’homme, ce chef-d’œuvre de la nature, ce roi de la création!» Honor to man, this masterpiece of nature, this king of creation! "

Et le comte éclata de rire, mais d’un rire terrible qui indiquait qu’il avait dû horriblement souffrir pour en arriver à rire ainsi. And the count burst out laughing, but with a terrible laugh that indicated that he must have suffered terribly to come to laugh like that.

Cependant la lutte continuait, et c’était quelque chose d’affreux à voir. However, the struggle continued, and it was something dreadful to see. Les deux valets portaient Andrea sur l’échafaud; tout le peuple avait pris parti contre lui, et vingt mille voix criaient d’un seul cri: «À mort! The two valets bore Andrea on the scaffold; All the people had taken sides against him, and twenty thousand voices shouted with a single cry, "To death! à mort!» to death!"

Franz se rejeta en arrière; mais le comte ressaisit son bras et le retint devant la fenêtre. Franz threw himself back; but the count took his arm again and held him in front of the window.

«Que faites-vous donc? "What are you doing then?" lui dit-il; de la pitié? he said to him; pity? elle est, ma foi, bien placée! she is, my faith, well placed! Si vous entendiez crier au chien enragé, vous prendriez votre fusil, vous vous jetteriez dans la rue, vous tueriez sans miséricorde à bout portant la pauvre bête, qui, au bout du compte ne serait coupable que d’avoir été mordue par un autre chien, et de rendre ce qu’on lui a fait: et voilà que vous avez pitié d’un homme qu’aucun autre homme n’a mordu, et qui cependant a tué son bienfaiteur, et qui maintenant, ne pouvant plus tuer parce qu’il a les mains liées, veut à toute force voir mourir son compagnon de captivité, son camarade d’infortune! If you heard screaming at the mad dog, you would take your rifle, you would throw yourself in the street, you would kill without mercy point-blank the poor beast, who, in the end would only be guilty of having been bitten by another dog and to give back what was done to him: and behold, you have pity on a man whom no other man has bitten, and yet who has killed his benefactor, and who now can no longer kill because he has his hands tied, wants to see his captive companion die, his comrade of misfortune! Non, non, regardez, regardez.» No, no, look, look. "

La recommandation était devenue presque inutile, Franz était comme fasciné par l’horrible spectacle. The recommendation had become almost useless, Franz was fascinated by the horrible spectacle. Les deux valets avaient porté le condamné sur l’échafaud, et là, malgré ses efforts, ses morsures, ses cris, ils l’avaient forcé de se mettre à genoux. The two valets had carried the condemned man to the scaffold, and there, despite his efforts, his bites, his cries, they had forced him to kneel. Pendant ce temps, le bourreau s’était placé de côté et la masse en arrêt; alors, sur un signe, les deux aides s’écartèrent. Meanwhile, the executioner was on the side and the mass stopped; then, at a sign, the two helpers parted. Le condamné voulut se relever, mais avant qu’il en eût le temps, la masse s’abattit sur sa tempe gauche; on entendit un bruit sourd et mat, le patient tomba comme un bœuf, la face contre terre, puis d’un contrecoup, se retourna sur le dos. The condemned man wished to rise, but before he had time, the mass fell on his left temple; A dull, dull sound was heard, and the patient fell like an ox, face down, then back on his back. Alors le bourreau laissa tomber sa masse, tira le couteau de sa ceinture d’un seul coup lui ouvrit la gorge et, montant aussitôt sur son ventre, se mit à le pétrir avec ses pieds. Then the executioner dropped his weight, pulled the knife from his belt at once, opened his throat, and, rising immediately on his belly, began to knead it with his feet.

À chaque pression, un jet de sang s’élançait du cou du condamné. With each pressure, a stream of blood rushed from the condemned man's neck.

Pour cette fois, Franz n’y put tenir plus longtemps; il se rejeta en arrière, et alla tomber sur un fauteuil à moitié évanoui. For this time Franz could not hold out any longer; he threw himself back, and fell on a half-fainting chair.

Albert, les yeux fermés, resta debout, mais cramponné aux rideaux de la fenêtre. Albert, with his eyes closed, remained standing, but clinging to the curtains of the window.

Le comte était debout et triomphant comme le mauvais ange. The count was standing up and triumphant like the bad angel.