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Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas, Tome 2, 33-2. Bandits romains

33-2. Bandits romains

Bandits romains-2

«Au bruit qu'il faisait en s'avançant vers lui, Carlini releva la tête, et les formes des deux personnages commencèrent à apparaître plus distinctes aux yeux du vieillard.

«Une femme était couchée à terre, la tête posée sur les genoux d'un homme assis et qui se tenait penché vers elle; c'était en se relevant que cet homme avait découvert le visage de la femme qu'il tenait serrée contre sa poitrine.

«Le vieillard reconnut sa fille, et Carlini reconnut le vieillard.

«—Je t'attendais, dit le bandit au père de Rita.

«—Misérable! dit le vieillard, qu'as-tu fait?

«Et il regardait avec terreur Rita, pâle, immobile, ensanglantée, avec un couteau dans la poitrine.

«Un rayon de la lune frappait sur elle et l'éclairait de sa lueur blafarde.

«—Cucumetto avait violé ta fille, dit le bandit, et, comme je l'aimais, je l'ai tuée; car, après lui, elle allait servir de jouet à toute la bande.

«Le vieillard ne prononça point une parole, seulement il devint pâle comme un spectre.

«—Maintenant, dit Carlini, si j'ai eu tort, venge-la.

«Et il arracha le couteau du sein de la jeune fille et, se levant, il l'alla offrir d'une main au vieillard tandis que de l'autre il écartait sa veste et lui présentait sa poitrine nue.

«—Tu as bien fait, lui dit le vieillard d'une voix sourde. Embrasse-moi, mon fils.

«Carlini se jeta en sanglotant dans les bras du père de sa maîtresse. C'étaient les premières larmes que versait cet homme de sang.

«—Maintenant, dit le vieillard à Carlini, aide-moi à enterrer ma fille.

«Carlini alla chercher deux pioches, et le père et l'amant se mirent à creuser la terre au pied d'un chêne dont les branches touffues devaient recouvrir la tombe de la jeune fille.

«Quand la tombe fut creusée, le père l'embrassa le premier, l'amant ensuite; puis, l'un la prenant par les pieds, l'autre par-dessous les épaules, ils la descendirent dans la fosse.

«Puis ils s'agenouillèrent des deux côtés et dirent les prières des morts.

«Puis, lorsqu'ils eurent fini, ils repoussèrent la terre sur le cadavre jusqu'à ce que la fosse fût comblée.

«Alors, lui tendant la main:

«—Je te remercie, mon fils! dit le vieillard à Carlini; maintenant, laisse-moi seul.

«—Mais cependant... dit celui-ci.

«—Laisse-moi, je te l'ordonne.

«Carlini obéit, alla rejoindre ses camarades, s'enveloppa dans son manteau, et bientôt parut aussi profondément endormi que les autres.

«Il avait été décidé la veille que l'on changerait de campement.

«Une heure avant le jour Cucumetto éveilla ses hommes et l'ordre fut donné de partir.

«Mais Carlini ne voulut pas quitter la forêt sans savoir ce qu'était devenu le père de Rita.

«Il se dirigea vers l'endroit où il l'avait laissé.

«Il trouva le vieillard pendu à une des branches du chêne qui ombrageait la tombe de sa fille.

«Il fit alors sur le cadavre de l'un et sur la fosse de l'autre le serment de les venger tous deux.

«Mais il ne put tenir ce serment; car, deux jours après dans une rencontre avec les carabiniers romains, Carlini fut tué.

«Seulement, on s'étonna que, faisant face à l'ennemi, il eût reçu une balle entre les deux épaules.

«L'étonnement cessa quand un des bandits eut fait remarquer à ses camarades que Cucumetto était placé dix pas en arrière de Carlini lorsque Carlini était tombé.

«Le matin du départ de la forêt de Frosinone, il avait suivi Carlini dans l'obscurité, avait entendu le serment qu'il avait fait, et, en homme de précaution, il avait pris l'avance.

«On racontait encore sur ce terrible chef de bande dix autres histoires non moins curieuses que celle-ci.

«Ainsi, de Fondi à Pérouse, tout le monde tremblait au seul nom de Cucumetto.

«Ces histoires avaient souvent été l'objet des conversations de Luigi et de Teresa.

«La jeune fille tremblait fort à tous ces récits; mais Vampa la rassurait avec un sourire, frappant son bon fusil, qui portait si bien la balle; puis, si elle n'était pas rassurée, il lui montrait à cent pas quelque corbeau perché sur une branche morte, le mettait en joue, lâchait la détente, et l'animal, frappé, tombait au pied de l'arbre.

«Néanmoins, le temps s'écoulait: les deux jeunes gens avaient arrêté qu'ils se marieraient lorsqu'ils auraient, Vampa vingt ans, et Teresa dix-neuf.

«Ils étaient orphelins tous deux; ils n'avaient de permission à demander qu'à leur maître; ils l'avaient demandée et obtenue.

«Un jour qu'ils causaient de leur projet d'avenir, ils entendirent deux ou trois coups de feu; puis tout à coup un homme sortit du bois près duquel les deux jeunes gens avaient l'habitude de faire paître leurs troupeaux, et accourut vers eux.

«Arrivé à la portée de la voix:

«—Je suis poursuivi! leur cria-t-il; pouvez-vous me cacher?

«Les deux jeunes gens reconnurent bien que ce fugitif devait être quelque bandit; mais il y a entre le paysan et le bandit romain une sympathie innée qui fait que le premier est toujours prêt à rendre service au second.

«Vampa, sans rien dire, courut donc à la pierre qui bouchait l'entrée de leur grotte, démasqua cette entrée en tirant la pierre à lui, fit signe au fugitif de se réfugier dans cet asile inconnu de tous, repoussa la pierre sur lui et revint s'asseoir près de Teresa.

«Presque aussitôt, quatre carabiniers à cheval apparurent à la lisière du bois; trois paraissaient être à la recherche du fugitif, le quatrième traînait par le cou un bandit prisonnier.

«Les trois carabiniers explorèrent le pays d'un coup d'œil, aperçurent les deux jeunes gens, accoururent à eux au galop, et les interrogèrent.

«Ils n'avaient rien vu.

«—C'est fâcheux, dit le brigadier, car celui que nous cherchons, c'est le chef.

«—Cucumetto? ne purent s'empêcher de s'écrier ensemble Luigi et Teresa.

«—Oui, répondit le brigadier; et comme sa tête est mise à prix à mille écus romains, il y en aurait eu cinq cents pour vous si vous nous aviez aidés à le prendre.

«Les deux jeunes gens échangèrent un regard. Le brigadier eut un instant d'espérance. Cinq cents écus romains font trois mille francs, et trois mille francs sont une fortune pour deux pauvres orphelins qui vont se marier.

«—Oui, c'est fâcheux, dit Vampa, mais nous ne l'avons pas vu.

«Alors les carabiniers battirent le pays dans des directions différentes, mais inutilement.

«Puis, successivement, ils disparurent.

«Alors Vampa alla tirer la pierre, et Cucumetto sortit.

«Il avait vu, à travers les jours de la porte de granit, les deux jeunes gens causer avec les carabiniers; il s'était douté du sujet de leur conversation, il avait lu sur le visage de Luigi et de Teresa l'inébranlable résolution de ne point le livrer et tira de sa poche une bourse pleine d'or et la leur offrit.

«Mais Vampa releva la tête avec fierté; quant à Teresa, ses yeux brillèrent en pensant à tout ce qu'elle pourrait acheter de riches bijoux et beaux habits avec cette bourse pleine d'or.

«Cucumetto était un Satan fort habile: il avait pris la forme d'un bandit au lieu de celle d'un serpent; il surprit ce regard, reconnut dans Teresa une digne fille d'Ève, et rentra dans la forêt en se retournant plusieurs fois sous prétexte de saluer ses libérateurs.

«Plusieurs jours s'écoulèrent sans que l'on revit Cucumetto, sans qu'on entendit reparler de lui.

«Le temps du carnaval approchait. Le comte de San-Felice annonça un grand bal masqué où tout ce que Rome avait de plus élégant fut invité.

«Teresa avait grande envie de voir ce bal. Luigi demanda à son protecteur l'intendant la permission pour elle et pour lui d'y assister cachés parmi les serviteurs de la maison. Cette permission lui fut accordée.

«Ce bal était surtout donné par le comte pour faire plaisir à sa fille Carmela, qu'il adorait.

«Carmela était juste de l'âge et de la taille de Teresa, et Teresa était au moins aussi belle que Carmela.

«Le soir du bal, Teresa mit sa plus belle toilette ses plus riches aiguilles, ses plus brillantes verroteries. Elle avait le costume des femmes de Frascati.

«Luigi avait l'habit si pittoresque du paysan romain les jours de fête.

«Tous deux se mêlèrent, comme on l'avait permis, aux serviteurs et aux paysans.

«La fête était magnifique. Non seulement la villa était ardemment illuminée, mais des milliers de lanternes de couleur étaient suspendues aux arbres du jardin. Aussi bientôt le palais eut-il débordé sur les terrasses et les terrasses dans les allées.

«À chaque carrefour; il y avait un orchestre, des buffets et des rafraîchissements; les promeneurs s'arrêtaient, les quadrilles se formaient et l'on dansait là où il plaisait de danser.

«Carmela était vêtue en femme de Sonino. Elle avait son bonnet tout brodé de perles, les aiguilles de ses cheveux étaient d'or et de diamants, sa ceinture était de soie turque à grandes fleurs brochées, son surtout et son jupon étaient de cachemire, son tablier était de mousseline des Indes; les boutons de son corset étaient autant de pierreries.

«Deux autres de ses compagnes étaient vêtues, l'une en femme de Nettuno, l'autre en femme de la Riccia.

«Quatre jeunes gens des plus riches et des plus nobles familles de Rome les accompagnaient avec cette liberté italienne qui a son égale dans aucun autre pays du monde: ils étaient vêtus de leur côté en paysans d'Albano, de Velletri, de Civita-Castellana et de Sora.

«Il va sans dire que ces costumes de paysans, comme ceux de paysannes, étaient resplendissant d'or et de pierreries.

«Il vint à Carmela l'idée de faire un quadrille uniforme, seulement il manquait une femme.

«Carmela regardait tout autour d'elle, pas une de ses invitées n'avait un costume analogue au sien et à ceux de ses compagnes.

«Le comte San-Felice lui montra, au milieu des paysannes, Teresa appuyée au bras de Luigi.

«—Est-ce que vous permettez, mon père? dit Carmela.

«—Sans doute, répondit le comte, ne sommes-nous pas en carnaval!

«Carmela se pencha vers un jeune homme qui l'accompagnait en causant, et lui dit quelques mots tout en lui montrant du doigt la jeune fille.

«Le jeune homme suivit des yeux la jolie main qui lui servait de conductrice, fit un geste d'obéissance et vint inviter Teresa à figurer au quadrille dirigé par la fille du comte.

«Teresa sentit comme une flamme qui lui passait sur le visage. Elle interrogea du regard Luigi: il n'y avait pas moyen de refuser. Luigi laissa lentement glisser le bras de Teresa, qu'il tenait sous le sien, et Teresa, s'éloignant conduite par son élégant cavalier, vint prendre, toute tremblante, sa place au quadrille aristocratique.

«Certes, aux yeux d'un artiste, l'exact et sévère costume de Teresa eût eu un bien autre caractère que celui de Carmela et des ses compagnes, mais Teresa était une jeune fille frivole et coquette; les broderies de la mousseline, les palmes de la ceinture, l'éclat du cachemire l'éblouissaient, le reflet des saphirs et des diamants la rendaient folle.

«De son côté Luigi sentait naître en lui un sentiment inconnu: c'était comme une douleur sourde qui le mordait au cœur d'abord, et de là, toute frémissante, courait par ses veines et s'emparait de tout son corps; il suivit des yeux les moindres mouvements de Teresa et de son cavalier; lorsque leurs mains se touchaient il ressentait comme des éblouissements, ses artères battaient avec violence, et l'on eût dit que le son d'une cloche vibrait à ses oreilles. Lorsqu'ils se parlaient, quoique Teresa écoutât, timide et les yeux baissés, les discours de son cavalier, comme Luigi lisait dans les yeux ardents du beau jeune homme que ces discours étaient des louanges, il lui semblait que la terre tournait sous lui et que toutes les voix de l'enfer lui soufflaient des idées de meurtre et d'assassinat. Alors, craignant de se laisser emporter à sa folie, il se cramponnait d'une main à la charmille contre laquelle il était debout, et de l'autre il serrait d'un mouvement convulsif le poignard au manche sculpté qui était passé dans sa ceinture et que, sans s'en apercevoir, il tirait quelquefois presque entier du fourreau.

«Luigi était jaloux! il sentait qu'emportée par sa nature coquette et orgueilleuse Teresa pouvait lui échapper.

«Et cependant la jeune paysanne, timide et presque effrayée d'abord, s'était bientôt remise. Nous avons dit que Teresa était belle. Ce n'est pas tout, Teresa était gracieuse, de cette grâce sauvage bien autrement puissante que notre grâce minaudière et affectée.

«Elle eut presque les honneurs du quadrille, et si elle fut envieuse de la fille du comte de San-Felice, nous n'oserions pas dire que Carmela ne fut pas jalouse d'elle.

«Aussi fût-ce avec force compliments que son beau cavalier la reconduisit à la place où il l'avait prise, et où l'attendait Luigi.

«Deux ou trois fois, pendant la contredanse, la jeune fille avait jeté un regard sur lui, et à chaque fois elle l'avait vu pâle et les traits crispés. Une fois même la lame de son couteau, à moitié tirée de sa gaine, avait ébloui ses yeux comme un sinistre éclair.

«Ce fut donc presque en tremblant qu'elle reprit le bras de son amant.

«Le quadrille avait eu le plus grand succès, et il était évident qu'il était question d'en faire une seconde édition; Carmela seule s'y opposait; mais le comte de San-Felice pria sa fille si tendrement, qu'elle finit par consentir.

«Aussitôt un des cavaliers s'avança pour inviter Teresa, sans laquelle il était impossible que la contredanse eût lieu; mais la jeune fille avait déjà disparu.

«En effet, Luigi ne s'était pas senti la force de supporter une seconde épreuve; et, moitié par persuasion, moitié par force, il avait entraîné Teresa vers un autre point du jardin. Teresa avait cédé bien malgré elle; mais elle avait vu à la figure bouleversée du jeune homme, elle comprenait à son silence entrecoupé de tressaillements nerveux, que quelque chose d'étrange se passait en lui. Elle-même n'était pas exempte d'une agitation intérieure, et sans avoir cependant rien fait de mal, elle comprenait que Luigi était en droit de lui faire des reproches: sur quoi? elle l'ignorait; mais elle ne sentait pas moins que ces reproches seraient mérités.

«Cependant, au grand étonnement de Teresa, Luigi demeura muet, et pas une parole n'entrouvrit ses lèvres pendant tout le reste de la soirée. Seulement, lorsque le froid de la nuit eut chassé les invités des jardins et que les portes de la villa se furent refermées sur eux pour une fête intérieure, il reconduisit Teresa; puis, comme elle allait rentrer chez elle:

«—Teresa, dit-il, à quoi pensais-tu lorsque tu dansais en face de la jeune comtesse de San-Felice?

«—Je pensais, répondit la jeune fille dans toute la franchise de son âme, que je donnerais la moitié de ma vie pour avoir un costume comme celui qu'elle portait.

«—Et que te disait ton cavalier?

«—Il me disait qu'il ne tiendrait qu'à moi de l'avoir, et que je n'avais qu'un mot à dire pour cela.

«—Il avait raison, répondit Luigi. Le désires-tu aussi ardemment que tu le dis?

«—Oui.

«—Eh bien tu l'auras!

«La jeune fille, étonnée, leva la tête pour le questionner; mais son visage était si sombre et si terrible que la parole se glaça sur ses lèvres.

«D'ailleurs, en disant ces paroles, Luigi s'était éloigné.

«Teresa le suivit des yeux dans la nuit tant qu'elle put l'apercevoir. Puis, lorsqu'il eut disparu, elle rentra chez elle en soupirant.

«Cette même nuit, il arriva un grand événement par l'imprudence sans doute de quelque domestique qui avait négligé d'éteindre les lumières; le feu prit à la villa San-Felice, juste dans les dépendances de l'appartement de la belle Carmela. Réveillée au milieu de la nuit par la lueur des flammes, elle avait sauté au bas de son lit, s'était enveloppée de sa robe de chambre, et avait essayé de fuir par la porte; mais le corridor par lequel il fallait passer était déjà la proie de l'incendie. Alors elle était rentrée dans sa chambre, appelant à grands cris du secours, quand tout à coup sa fenêtre, située à vingt pieds du sol, s'était ouverte; un jeune paysan s'était élancé dans l'appartement, l'avait prise dans ses bras, et, avec une force et une adresse surhumaines l'avait transportée sur le gazon de la pelouse, où elle s'était évanouie. Lorsqu'elle avait repris ses sens, son père était devant elle. Tous les serviteurs l'entouraient, lui portant des secours. Une aile tout entière de la villa était brûlée; mais qu'importait, puisque Carmela était saine et sauve.

«On chercha partout son libérateur, mais son libérateur ne reparut point; on le demanda à tout le monde, mais personne ne l'avait vu. Quant à Carmela, elle était si troublée qu'elle ne l'avait point reconnu.

«Au reste, comme le comte était immensément riche, à part le danger qu'avait couru Carmela, et qui lui parut, par la manière miraculeuse dont elle y avait échappé, plutôt une nouvelle faveur de la Providence qu'un malheur réel, la perte occasionnée par les flammes fut peu de chose pour lui.

«Le lendemain, à l'heure habituelle, les deux jeunes gens se retrouvèrent à la lisière de la forêt. Luigi était arrivé le premier. Il vint au-devant de la jeune fille avec une grande gaieté; il semblait avoir complètement oublié la scène de la veille. Teresa était visiblement pensive, mais en voyant Luigi ainsi disposé, elle affecta de son côté l'insouciance rieuse qui était le fond de son caractère quand quelque passion ne le venait pas troubler.

«Luigi prit le bras de Teresa sous le sien, et la conduisit jusqu'à la porte de la grotte. Là il s'arrêta. La jeune fille, comprenant qu'il y avait quelque chose d'extraordinaire, le regarda fixement.

«—Teresa, dit Luigi, hier soir tu m'as dit que tu donnerais tout au monde pour avoir un costume pareil à celui de la fille du comte?

«—Oui, dit Teresa, avec étonnement, mais j'étais folle de faire un pareil souhait.

«—Et moi, je t'ai répondu: C'est bien, tu l'auras.

«—Oui, reprit la jeune fille, dont l'étonnement croissait à chaque parole de Luigi; mais tu as répondu cela sans doute pour me faire plaisir.

«—Je ne t'ai jamais rien promis que je ne te l'aie donné, Teresa, dit orgueilleusement Luigi; entre dans la grotte et habille-toi.

«À ces mots, il tira la pierre, et montra à Teresa la grotte éclairée par deux bougies qui brûlaient de chaque côté d'un magnifique miroir; sur la table rustique, faite par Luigi, étaient étalés le collier de perles et les épingles de diamants; sur une chaise à côté était déposé le reste du costume.

«Teresa poussa un cri de joie, et, sans s'informer d'où venait ce costume, sans prendre le temps de remercier Luigi, elle s'élança dans la grotte transformée en cabinet de toilette.

«Derrière elle Luigi repoussa la pierre, car il venait d'apercevoir, sur la crête d'une petite colline qui empêchait que de la place où il était on ne vît Palestrina, un voyageur à cheval, qui s'arrêta un instant comme incertain de sa route, se dessinant sur l'azur du ciel avec cette netteté de contour particulière aux lointains des pays méridionaux.

«En apercevant Luigi, le voyageur mit son cheval au galop, et vint à lui.

«Luigi ne s'était pas trompé; le voyageur, qui allait de Palestrina à Tivoli, était dans le doute de son chemin.

«Le jeune homme le lui indiqua; mais, comme à un quart de mille de là la route se divisait en trois sentiers, et qu'arrivé à ces trois sentiers le voyageur pouvait de nouveau s'égarer, il pria Luigi de lui servir de guide.

«Luigi détacha son manteau et le déposa à terre, jeta sur son épaule sa carabine, et, dégagé ainsi du lourd vêtement, marcha devant le voyageur de ce pas rapide du montagnard que le pas d'un cheval a peine à suivre.

«En dix minutes, Luigi et le voyageur furent à l'espèce de carrefour indiqué par le jeune pâtre.

«Arrivés là, d'un geste majestueux comme celui d'un empereur, il étendit la main vers celle des trois routes que le voyageur devait suivre:

«—Voilà votre chemin, dit-il, Excellence, vous n'avez plus à vous tromper maintenant.

«—Et toi, voici ta récompense, dit le voyageur en offrant au jeune pâtre quelques pièces de menue monnaie.

«—Merci, dit Luigi en retirant sa main; je rends un service, je ne le vends pas.

«—Mais», dit le voyageur, qui paraissait du reste habitué à cette différence entre la servilité de l'homme des villes et l'orgueil du campagnard, «si tu refuses un salaire, tu acceptes au moins un cadeau.

«—Ah! oui, c'est autre chose.

«—Eh bien, dit le voyageur, prends ces deux sequins de Venise, et donne-les à ta fiancée pour en faire une paire de boucles d'oreilles.

«—Et vous, alors, prenez ce poignard, dit le jeune pâtre, vous n'en trouveriez pas un dont la poignée fût mieux sculptée d'Albano à Civita-Castellana.

«—J'accepte, dit le voyageur; mais alors, c'est moi qui suis ton obligé, car ce poignard vaut plus de deux sequins.

«—Pour un marchand peut-être, mais pour moi, qui l'ai sculpté moi-même, il vaut à peine une piastre.

«—Comment t'appelles-tu? demanda le voyageur.

«—Luigi Vampa, répondit le pâtre du même air qu'il eût répondu: Alexandre, roi de Macédoine. Et vous?

«—Moi, dit le voyageur, je m'appelle Simbad le marin.»

Franz d'Épinay jeta un cri de surprise.

«Simbad le marin! dit-il.

—Oui, reprit le narrateur, c'est le nom que le voyageur donna à Vampa comme étant le sien.

—Eh bien, mais, qu'avez-vous à dire contre ce nom? interrompit Albert; c'est un fort beau nom, et les aventures du patron de ce monsieur m'ont, je dois l'avouer, fort amusé dans ma jeunesse.»

Franz n'insista pas davantage. Ce nom de Simbad le marin, comme on le comprend bien, avait réveillé en lui tout un monde de souvenirs, comme avait fait la veille celui du comte de Monte-Cristo.

«Continuez, dit-il à l'hôte.

—Vampa mit dédaigneusement les deux sequins dans sa poche, et reprit lentement le chemin par lequel il était venu. Arrivé à deux ou trois cents pas de la grotte, il crut entendre un cri.

«Il s'arrêta, écoutant de quel côté venait ce cri.

«Au bout d'une seconde, il entendit son nom prononcé distinctement.

«L'appel venait du côté de la grotte.

«Il bondit comme un chamois, armant son fusil tout en courant, et parvint en moins d'une minute au sommet de la colline opposée à celle où il avait aperçu le voyageur.

«Là, les cris: Au secours! arrivèrent à lui plus distincts.

«Il jeta les yeux sur l'espace qu'il dominait; un homme enlevait Teresa, comme le centaure Nessus Déjanire.

«Cet homme, qui se dirigeait vers le bois, était déjà aux trois quarts du chemin de la grotte à la forêt.

«Vampa mesura l'intervalle; cet homme avait deux cents pas d'avance au moins sur lui, il n'y avait pas de chance de le rejoindre avant qu'il eût gagné le bois.

«Le jeune pâtre s'arrêta comme si ses pieds eussent pris racine. Il appuya la crosse de son fusil à l'épaule, leva lentement le canon dans la direction du ravisseur, le suivit une seconde dans sa course et fit feu.

«Le ravisseur s'arrêta court; ses genoux plièrent et il tomba entraînant Teresa dans sa chute.

«Mais Teresa se releva aussitôt, quant au fugitif, il resta couché, se débattant dans les convulsions de l'agonie.

«Vampa s'élança aussitôt vers Teresa, car à dix pas du moribond les jambes lui avaient manqué à son tour, et elle était retombée à genoux: le jeune homme avait cette crainte terrible que la balle qui venait d'abattre son ennemi n'eût en même temps blessé sa fiancée.

«Heureusement il n'en était rien, c'était le terreur seule qui avait paralysé les forces de Teresa. Lorsque Luigi se fut bien assuré qu'elle était saine et sauve, il se retourna vers le blessé.

«Il venait d'expirer les poings fermés, la bouche contractée par la douleur, et les cheveux hérissés sous la sueur de l'agonie.

«Ses yeux étaient restés ouverts et menaçants.

«Vampa s'approcha du cadavre, et reconnut Cucumetto.

«Depuis le jour où le bandit avait été sauvé par les deux jeunes gens, il était devenu amoureux de Teresa et avait juré que la jeune fille serait à lui. Depuis ce jour il l'avait épiée; et, profitant du moment où son amant l'avait laissée seule pour indiquer le chemin au voyageur, il l'avait enlevée et la croyait déjà à lui, lorsque la balle de Vampa, guidée par le coup d'œil infaillible du jeune pâtre, lui avait traversé le cœur.

«Vampa le regarda un instant sans que la moindre émotion se trahît sur son visage, tandis qu'au contraire Teresa, toute tremblante encore, n'osait se rapprocher du bandit mort qu'à petits pas, et jetait en hésitant un coup d'œil sur le cadavre par-dessus l'épaule de son amant.

«Au bout d'un instant, Vampa se retourna vers sa maîtresse:

«—Ah! ah! dit-il, c'est bien, tu es habillée; à mon tour de faire ma toilette.

«En effet, Teresa était revêtue de la tête aux pieds du costume de la fille du comte de San-Felice.

«Vampa prit le corps de Cucumetto entre ses bras, l'emporta dans la grotte, tandis qu'à son tour Teresa restait dehors.

«Si un second voyageur fût alors passé, il eût vu une chose étrange: c'était une bergère gardant ses brebis avec une robe de cachemire, des boucles d'oreilles et un collier de perles, des épingles de diamants et des boutons de saphirs, d'émeraudes et de rubis.

«Sans doute, il se fût cru revenu au temps de Florian, et eût affirmé, en revenant à Paris, qu'il avait rencontré la bergère des Alpes assise au pied des monts Sabins.

«Au bout d'un quart d'heure, Vampa sortit à son tour de la grotte. Son costume n'était pas moins élégant, dans son genre, que celui de Teresa.

«Il avait une veste de velours grenat à boutons d'or ciselé, un gilet de soie tout couvert de broderies, une écharpe romaine nouée autour du cou, une cartouchière toute piquée d'or et de soie rouge et verte; des culottes de velours bleu de ciel attachées au-dessous du genou par des boucles de diamants, des guêtres de peau de daim bariolées de mille arabesques, et un chapeau où flottaient des rubans de toutes couleurs; deux montres pendaient à sa ceinture, et un magnifique poignard était passé à sa cartouchière.

«Teresa jeta un cri d'admiration. Vampa, sous cet habit, ressemblait à une peinture de Léopold Robert ou de Schnetz.

«Il avait revêtu le costume complet de Cucumetto.

«Le jeune homme s'aperçut de l'effet qu'il produisait sur sa fiancée, et un sourire d'orgueil passa sur sa bouche.

«—Maintenant, dit-il à Teresa, es-tu prête à partager ma fortune quelle qu'elle soit?

«—Oh oui! s'écria la jeune fille avec enthousiasme.

«—À me suivre partout où j'irai?

«—Au bout du monde.

«—Alors, prends mon bras et partons, car nous n'avons pas de temps à perdre.»

«La jeune fille passa son bras sous celui de son amant, sans même lui demander où il la conduisait; car, en ce moment, il lui paraissait beau, fier et puissant comme un dieu.

«Et tous deux s'avancèrent dans la forêt, dont au bout de quelques minutes, ils eurent franchi la lisière.

«Il va sans dire que tous les sentiers de la montagne étaient connus de Vampa; il avança donc dans la forêt sans hésiter un seul instant, quoiqu'il n'y eût aucun chemin frayé, mais seulement reconnaissant la route qu'il devait suivre à la seule inspection des arbres et des buissons; ils marchèrent ainsi une heure et demie à peu près.

«Au bout de ce temps, ils étaient arrivés à l'endroit le plus touffu du bois. Un torrent dont le lit était à sec conduisait dans une gorge profonde. Vampa prit cet étrange chemin, qui, encaissé entre deux rives et rembruni par l'ombre épaisse des pins, semblait, moins la descente facile, ce sentier de l'Averne dont parle Virgile.

«Teresa, redevenue craintive à l'aspect de ce lieu sauvage et désert, se serrait contre son guide, sans dire une parole; mais comme elle le voyait marcher toujours d'un pas égal, comme un calme profond rayonnait sur son visage, elle avait elle-même la force de dissimuler son émotion.

«Tout à coup, à dix pas d'eux, un homme sembla se détacher d'un arbre derrière lequel il était caché, et mettait Vampa en joue:

«—Pas un pas de plus! cria-t-il, ou tu es mort.

«—Allons donc», dit Vampa en levant la main avec un geste de mépris; tandis que Teresa, ne dissimulant plus sa terreur, se pressait contre lui, «est-ce que les loups se déchirent entre eux!

«—Qui es-tu? demanda la sentinelle.

«—Je suis Luigi Vampa, le berger de la ferme de San-Felice.

«—Que veux-tu?

«—Je veux parler à tes compagnons qui sont à la clairière de Rocca Bianca.

«—Alors, suis-moi, dit la sentinelle, ou plutôt, puisque tu sais où cela est, marche devant.

«Vampa sourit d'un air de mépris à cette précaution du bandit, passa devant avec Teresa et continua son chemin du même pas ferme et tranquille qui l'avait conduit jusque-là.

«Au bout de cinq minutes, le bandit leur fit signe de s'arrêter.

«Les deux jeunes gens obéirent.

«Le bandit imita trois fois le cri du corbeau.

«Un croassement répondit à ce triple appel.

«—C'est bien, dit le bandit. Maintenant tu peux continuer ta route.»

«Luigi et Teresa se remirent en chemin.

«Mais à mesure qu'ils avançaient, Teresa, tremblante se serrait contre son amant; en effet, à travers les arbres, on voyait apparaître des armes et étinceler des canons de fusil.

«La clairière de Rocca Bianca était au sommet d'une petite montagne qui autrefois sans doute avait été un volcan, volcan éteint avant que Rémus et Romulus eussent déserté Albe pour venir bâtir Rome.

«Teresa et Luigi atteignirent le sommet et se trouvèrent au même instant en face d'une vingtaine de bandits.

«—Voici un jeune homme qui vous cherche et qui désire vous parler dit la sentinelle.

«—Et que veut-il nous dire? demanda celui qui, en l'absence du chef, faisait l'intérim du capitaine.

«—Je veux dire que je m'ennuie de faire le métier de berger, dit Vampa.

«—Ah! je comprends, dit le lieutenant, et tu viens nous demander à être admis dans nos rangs?

«—Qu'il soit le bienvenu! crièrent plusieurs bandits de Ferrusino, de Pampinara et d'Anagni, qui avaient reconnu Luigi Vampa.

«—Oui, seulement je viens vous demander une autre chose que d'être votre compagnon.

«—Et que viens-tu nous demander? dirent les bandits avec étonnement.

«—Je viens vous demander à être votre capitaine, dit le jeune homme.

«Les bandits éclatèrent de rire.

«—Et qu'as-tu fait pour aspirer à cet honneur? demanda le lieutenant.

«—J'ai tué votre chef Cucumetto, dont voici la dépouille, dit Luigi, et j'ai mis le feu à la villa de San-Felice pour donner une robe de noce à ma fiancée.

«Une heure après, Luigi Vampa était élu capitaine en remplacement de Cucumetto.

—Eh bien, mon cher Albert, dit Franz en se retournant vers son ami, que pensez-vous maintenant du citoyen Luigi Vampa?

—Je dis que c'est un mythe, répondit Albert, et qu'il n'a jamais existé.

—Qu'est-ce que c'est qu'un mythe? demanda Pastrini.

—Ce serait trop long à vous expliquer, mon cher hôte, répondit Franz. Et vous dites donc que maître Vampa exerce en ce moment sa profession aux environs de Rome?

—Et avec une hardiesse dont jamais bandit avant lui n'avait donné l'exemple.

—La police a tenté vainement de s'en emparer, alors?

—Que voulez-vous! il est d'accord à la fois avec les bergers de la plaine, les pêcheurs du Tibre et les contrebandiers de la côte. On le cherche dans la montagne, il est sur le fleuve; on le poursuit sur le fleuve, il gagne la pleine mer; puis tout à coup, quand on le croit réfugié dans l'île del Giglio, del Guanouti ou de Monte-Cristo, on le voit reparaître à Albano, à Tivoli ou à la Riccia.

—Et quelle est sa manière de procéder à l'égard des voyageurs?

—Ah! mon Dieu! c'est bien simple. Selon la distance où l'on est de la ville, il leur donne huit heures, douze heures, un jour, pour payer leur rançon; puis, ce temps écoulé, il accorde une heure de grâce. À la soixantième minute de cette heure, s'il n'a pas l'argent, il fait sauter la cervelle du prisonnier d'un coup de pistolet, ou lui plante son poignard dans le cœur, et tout est dit.

—Eh bien, Albert, demanda Franz à son compagnon, êtes-vous toujours disposé à aller au Colisée par les boulevards extérieurs?

—Parfaitement, dit Albert, si la route est plus pittoresque.»

En ce moment, neuf heures sonnèrent, la porte s'ouvrit et notre cocher parut.

«Excellences, dit-il, la voiture vous attend.

—Eh bien, dit Franz, en ce cas, au Colisée!

—Par la porte del Popolo, Excellences, ou par les rues?

—Par les rues, morbleu! par les rues! s'écria Franz.

—Ah! mon cher! dit Albert en se levant à son tour et en allumant son troisième cigare, en vérité, je vous croyais plus brave que cela.»

Sur ce, les deux jeunes gens descendirent l'escalier et montèrent en voiture.


33-2. Bandits romains 33-2. Roman bandits 33-2. Bandidos romanos 33-2. Banditi romani 33-2. Bandidos romanos

Bandits romains-2

«Au bruit qu’il faisait en s’avançant vers lui, Carlini releva la tête, et les formes des deux personnages commencèrent à apparaître plus distinctes aux yeux du vieillard. At the noise he made as he advanced towards him, Carlini raised his head, and the shapes of the two characters began to appear more distinct in the old man's eyes.

«Une femme était couchée à terre, la tête posée sur les genoux d’un homme assis et qui se tenait penché vers elle; c’était en se relevant que cet homme avait découvert le visage de la femme qu’il tenait serrée contre sa poitrine. "A woman was lying on the ground, her head resting on the knees of a seated man, and leaning over her; it was while getting up that this man had discovered the face of the woman he was holding close to his chest.

«Le vieillard reconnut sa fille, et Carlini reconnut le vieillard.

«—Je t’attendais, dit le bandit au père de Rita. "I was waiting for you," said the bandit to Rita's father.

«—Misérable! dit le vieillard, qu’as-tu fait?

«Et il regardait avec terreur Rita, pâle, immobile, ensanglantée, avec un couteau dans la poitrine. "And he looked with terror at Rita, pale, motionless, bloody, with a knife in her breast.

«Un rayon de la lune frappait sur elle et l’éclairait de sa lueur blafarde. "A ray of the moon was striking her, and illuminating her with its pale glow.

«—Cucumetto avait violé ta fille, dit le bandit, et, comme je l’aimais, je l’ai tuée; car, après lui, elle allait servir de jouet à toute la bande. "-Cumumetto had violated your daughter," said the bandit, "and, as I loved him, I killed him; for after him she would serve as a toy for the whole band.

«Le vieillard ne prononça point une parole, seulement il devint pâle comme un spectre. "The old man did not speak a word, only he became pale like a specter.

«—Maintenant, dit Carlini, si j’ai eu tort, venge-la. "Now," said Carlini, "if I have been wrong, avenge her.

«Et il arracha le couteau du sein de la jeune fille et, se levant, il l’alla offrir d’une main au vieillard tandis que de l’autre il écartait sa veste et lui présentait sa poitrine nue. "And he snatched the knife from the girl's breast, and rising, he went and offered it to the old man with one hand, while on the other he took off his jacket and presented him with his bare chest.

«—Tu as bien fait, lui dit le vieillard d’une voix sourde. "You did well," said the old man, in a muffled voice. Embrasse-moi, mon fils.

«Carlini se jeta en sanglotant dans les bras du père de sa maîtresse. Carlini threw himself sobbing into the arms of his mistress's father. C’étaient les premières larmes que versait cet homme de sang. It was the first tears shed by this man of blood.

«—Maintenant, dit le vieillard à Carlini, aide-moi à enterrer ma fille.

«Carlini alla chercher deux pioches, et le père et l’amant se mirent à creuser la terre au pied d’un chêne dont les branches touffues devaient recouvrir la tombe de la jeune fille. "Carlini went to get two picks, and the father and the lover began digging the ground at the foot of an oak whose thick branches were to cover the tomb of the girl.

«Quand la tombe fut creusée, le père l’embrassa le premier, l’amant ensuite; puis, l’un la prenant par les pieds, l’autre par-dessous les épaules, ils la descendirent dans la fosse. "When the grave was dug, the father kissed him first, then lover; then, one taking her by the feet, the other under her shoulders, they lowered her into the pit.

«Puis ils s’agenouillèrent des deux côtés et dirent les prières des morts.

«Puis, lorsqu’ils eurent fini, ils repoussèrent la terre sur le cadavre jusqu’à ce que la fosse fût comblée. "Then, when they had finished, they drove the earth back on the corpse until the pit was filled.

«Alors, lui tendant la main:

«—Je te remercie, mon fils! "I thank you, my son! dit le vieillard à Carlini; maintenant, laisse-moi seul. said the old man to Carlini; now, leave me alone.

«—Mais cependant... dit celui-ci.

«—Laisse-moi, je te l’ordonne. "Leave me, I order you.

«Carlini obéit, alla rejoindre ses camarades, s’enveloppa dans son manteau, et bientôt parut aussi profondément endormi que les autres. Carlini obeyed, went to join his comrades, wrapped himself in his cloak, and soon appeared as deeply asleep as the others.

«Il avait été décidé la veille que l’on changerait de campement. "It had been decided the day before that we would change camp.

«Une heure avant le jour Cucumetto éveilla ses hommes et l’ordre fut donné de partir. "An hour before the day Cucumetto awoke his men and the order was given to leave.

«Mais Carlini ne voulut pas quitter la forêt sans savoir ce qu’était devenu le père de Rita. "But Carlini would not leave the forest without knowing what had become of Rita's father.

«Il se dirigea vers l’endroit où il l’avait laissé. "He went to the place where he had left it.

«Il trouva le vieillard pendu à une des branches du chêne qui ombrageait la tombe de sa fille. "He found the old man hanging from one of the branches of the oak tree that shaded his daughter's grave.

«Il fit alors sur le cadavre de l’un et sur la fosse de l’autre le serment de les venger tous deux. "Then he made the oath of both of them on the corpse of one and on the grave of the other.

«Mais il ne put tenir ce serment; car, deux jours après dans une rencontre avec les carabiniers romains, Carlini fut tué. But he could not hold this oath; for two days later, in a meeting with the Roman carbineers, Carlini was killed.

«Seulement, on s’étonna que, faisant face à l’ennemi, il eût reçu une balle entre les deux épaules. "Only, it was astonished that, facing the enemy, he would have received a bullet between the two shoulders.

«L’étonnement cessa quand un des bandits eut fait remarquer à ses camarades que Cucumetto était placé dix pas en arrière de Carlini lorsque Carlini était tombé. "The astonishment ceased when one of the bandits remarked to his comrades that Cucumetto was placed ten paces behind Carlini when Carlini fell.

«Le matin du départ de la forêt de Frosinone, il avait suivi Carlini dans l’obscurité, avait entendu le serment qu’il avait fait, et, en homme de précaution, il avait pris l’avance. "On the morning of the departure from the forest of Frosinone, he had followed Carlini in the dark, had heard the oath he had made, and, as a precautionary man, he had taken the lead.

«On racontait encore sur ce terrible chef de bande dix autres histoires non moins curieuses que celle-ci. "There were still told on this terrible band leader ten other stories no less curious than this one.

«Ainsi, de Fondi à Pérouse, tout le monde tremblait au seul nom de Cucumetto. "Thus, from Fondi to Perugia, everyone trembled at the mere name of Cucumetto.

«Ces histoires avaient souvent été l’objet des conversations de Luigi et de Teresa. "These stories had often been the subject of conversations between Luigi and Teresa.

«La jeune fille tremblait fort à tous ces récits; mais Vampa la rassurait avec un sourire, frappant son bon fusil, qui portait si bien la balle; puis, si elle n’était pas rassurée, il lui montrait à cent pas quelque corbeau perché sur une branche morte, le mettait en joue, lâchait la détente, et l’animal, frappé, tombait au pied de l’arbre. "The girl trembled hard at all these stories; but Vampa reassured her with a smile, striking her good rifle, which carried the ball so well; then, if she was not reassured, he would show him a hundred feet a raven perched on a dead branch, put it into play, let go of the trigger, and the animal, struck, fell at the foot of the tree.

«Néanmoins, le temps s’écoulait: les deux jeunes gens avaient arrêté qu’ils se marieraient lorsqu’ils auraient, Vampa vingt ans, et Teresa dix-neuf. "Nevertheless, the time was running out: the two young men had arrested that they would marry when they would have, Vampa twenty, and Teresa nineteen.

«Ils étaient orphelins tous deux; ils n’avaient de permission à demander qu’à leur maître; ils l’avaient demandée et obtenue. "They were orphans both; they had permission to ask only their master; they had asked for it and obtained it.

«Un jour qu’ils causaient de leur projet d’avenir, ils entendirent deux ou trois coups de feu; puis tout à coup un homme sortit du bois près duquel les deux jeunes gens avaient l’habitude de faire paître leurs troupeaux, et accourut vers eux. "One day when they were talking about their plan for the future, they heard two or three shots; then suddenly a man came out of the wood near which the two young men used to graze their flocks, and ran to them.

«Arrivé à la portée de la voix: "Arrived within hearing range:

«—Je suis poursuivi! "I am being sued! leur cria-t-il; pouvez-vous me cacher? he shouted at them; can you hide me?

«Les deux jeunes gens reconnurent bien que ce fugitif devait être quelque bandit; mais il y a entre le paysan et le bandit romain une sympathie innée qui fait que le premier est toujours prêt à rendre service au second. "The two young men recognized that this fugitive must be a bandit; but there is an innate sympathy between the peasant and the Roman bandit, so that the first is always ready to render service to the second.

«Vampa, sans rien dire, courut donc à la pierre qui bouchait l’entrée de leur grotte, démasqua cette entrée en tirant la pierre à lui, fit signe au fugitif de se réfugier dans cet asile inconnu de tous, repoussa la pierre sur lui et revint s’asseoir près de Teresa. "Vampa, without saying anything, ran to the stone that blocked the entrance to their cave, unmasked the entrance by drawing the stone to him, made a sign to the fugitive to take refuge in this asylum unknown to all, pushed the stone on him and returned to sit near Teresa.

«Presque aussitôt, quatre carabiniers à cheval apparurent à la lisière du bois; trois paraissaient être à la recherche du fugitif, le quatrième traînait par le cou un bandit prisonnier. "Almost immediately, four mounted carabineers appeared at the edge of the woods; three appeared to be in search of the fugitive, the fourth trailed a bandit prisoner by the neck.

«Les trois carabiniers explorèrent le pays d’un coup d’œil, aperçurent les deux jeunes gens, accoururent à eux au galop, et les interrogèrent. "The three carabiners explored the country at a glance, saw the two young men, ran to them at a gallop, and questioned them.

«Ils n’avaient rien vu. "They had not seen anything.

«—C’est fâcheux, dit le brigadier, car celui que nous cherchons, c’est le chef.

«—Cucumetto? ne purent s’empêcher de s’écrier ensemble Luigi et Teresa. could not help but exclaim together Luigi and Teresa.

«—Oui, répondit le brigadier; et comme sa tête est mise à prix à mille écus romains, il y en aurait eu cinq cents pour vous si vous nous aviez aidés à le prendre. "Yes," replied the brigadier; and as his head is priced at a thousand Roman crowns, there would have been five hundred for you if you had helped us to take it.

«Les deux jeunes gens échangèrent un regard. Le brigadier eut un instant d’espérance. Cinq cents écus romains font trois mille francs, et trois mille francs sont une fortune pour deux pauvres orphelins qui vont se marier. Five hundred Roman crowns make three thousand francs, and three thousand francs are a fortune for two poor orphans who are about to be married.

«—Oui, c’est fâcheux, dit Vampa, mais nous ne l’avons pas vu. "Yes, it's annoying," said Vampa, "but we have not seen it.

«Alors les carabiniers battirent le pays dans des directions différentes, mais inutilement. "Then the carabineers beat the country in different directions, but needlessly.

«Puis, successivement, ils disparurent.

«Alors Vampa alla tirer la pierre, et Cucumetto sortit.

«Il avait vu, à travers les jours de la porte de granit, les deux jeunes gens causer avec les carabiniers; il s’était douté du sujet de leur conversation, il avait lu sur le visage de Luigi et de Teresa l’inébranlable résolution de ne point le livrer et tira de sa poche une bourse pleine d’or et la leur offrit. "He had seen, through the days of the granite gate, the two young men talking with the carabineers; he had suspected the subject of their conversation; he had read on the face of Luigi and Teresa the unshakable resolution not to deliver him, and took from his pocket a purse full of gold, and offered it to them.

«Mais Vampa releva la tête avec fierté; quant à Teresa, ses yeux brillèrent en pensant à tout ce qu’elle pourrait acheter de riches bijoux et beaux habits avec cette bourse pleine d’or. "But Vampa raised his head proudly; as for Teresa, her eyes shone as she thought of all that she could buy rich jewels and beautiful clothes with this purse full of gold.

«Cucumetto était un Satan fort habile: il avait pris la forme d’un bandit au lieu de celle d’un serpent; il surprit ce regard, reconnut dans Teresa une digne fille d’Ève, et rentra dans la forêt en se retournant plusieurs fois sous prétexte de saluer ses libérateurs. "Cucumetto was a very skilful Satan: he had taken the form of a bandit instead of a snake; he surprised this look, recognized Teresa as a worthy daughter of Eve, and returned to the forest, turning several times under the pretext of saluting his liberators.

«Plusieurs jours s’écoulèrent sans que l’on revit Cucumetto, sans qu’on entendit reparler de lui. "Several days elapsed without anyone seeing Cucumetto again, without being heard of again.

«Le temps du carnaval approchait. Le comte de San-Felice annonça un grand bal masqué où tout ce que Rome avait de plus élégant fut invité. The Count of San Felice announced a great masked ball in which all that Rome had most elegant was invited.

«Teresa avait grande envie de voir ce bal. "Teresa had a great desire to see this ball. Luigi demanda à son protecteur l’intendant la permission pour elle et pour lui d’y assister cachés parmi les serviteurs de la maison. Luigi asked his guardian the steward for permission for her and for him to attend hidden among the servants of the house. Cette permission lui fut accordée. This permission was granted.

«Ce bal était surtout donné par le comte pour faire plaisir à sa fille Carmela, qu’il adorait. "This ball was mostly given by the count to please his daughter Carmela, whom he adored.

«Carmela était juste de l’âge et de la taille de Teresa, et Teresa était au moins aussi belle que Carmela. "Carmela was just Teresa's age and size, and Teresa was at least as beautiful as Carmela.

«Le soir du bal, Teresa mit sa plus belle toilette ses plus riches aiguilles, ses plus brillantes verroteries. "On the night of the ball, Teresa put her finest toilet with her richest needles, her brightest glass beads. Elle avait le costume des femmes de Frascati. She had the costume of Frascati's women.

«Luigi avait l’habit si pittoresque du paysan romain les jours de fête. "Luigi had the picturesque coat of the Roman peasant on feast days.

«Tous deux se mêlèrent, comme on l’avait permis, aux serviteurs et aux paysans. "The two mingled, as they had allowed, servants and peasants.

«La fête était magnifique. Non seulement la villa était ardemment illuminée, mais des milliers de lanternes de couleur étaient suspendues aux arbres du jardin. Not only was the villa brightly lit, but thousands of colored lanterns hung from the trees in the garden. Aussi bientôt le palais eut-il débordé sur les terrasses et les terrasses dans les allées. So soon the palace had overflowed on the terraces and terraces in the alleys.

«À chaque carrefour; il y avait un orchestre, des buffets et des rafraîchissements; les promeneurs s’arrêtaient, les quadrilles se formaient et l’on dansait là où il plaisait de danser. "At each intersection; there was an orchestra, buffets, and refreshments; the walkers stopped, the quadrilles were formed, and people danced where they liked to dance.

«Carmela était vêtue en femme de Sonino. "Carmela was dressed as Sonino's wife. Elle avait son bonnet tout brodé de perles, les aiguilles de ses cheveux étaient d’or et de diamants, sa ceinture était de soie turque à grandes fleurs brochées, son surtout et son jupon étaient de cachemire, son tablier était de mousseline des Indes; les boutons de son corset étaient autant de pierreries. She had her bonnet all embroidered with pearls, the needles of her hair were of gold and diamonds, her girdle was of Turkish silk with large brocaded flowers, her especial and petticoat were of cashmere, her apron was of Indian muslin; the buttons on his corset were so precious stones.

«Deux autres de ses compagnes étaient vêtues, l’une en femme de Nettuno, l’autre en femme de la Riccia. "Two more of her companions were dressed, one as Nettuno's wife, the other as Riccia's wife.

«Quatre jeunes gens des plus riches et des plus nobles familles de Rome les accompagnaient avec cette liberté italienne qui a son égale dans aucun autre pays du monde: ils étaient vêtus de leur côté en paysans d’Albano, de Velletri, de Civita-Castellana et de Sora. "Four young men from the richest and most noble families of Rome accompanied them with that Italian freedom which is equal in no other country in the world: they were dressed on their side as peasants of Albano, Velletri, Civita-Castellana. and Sora.

«Il va sans dire que ces costumes de paysans, comme ceux de paysannes, étaient resplendissant d’or et de pierreries. "It goes without saying that these peasant costumes, like those of peasant women, were resplendent with gold and precious stones.

«Il vint à Carmela l’idée de faire un quadrille uniforme, seulement il manquait une femme. "There came to Carmela the idea of ​​making a uniform quadrille, only one woman was missing.

«Carmela regardait tout autour d’elle, pas une de ses invitées n’avait un costume analogue au sien et à ceux de ses compagnes. Carmela looked all around her, not one of her guests had a suit similar to hers and those of her companions.

«Le comte San-Felice lui montra, au milieu des paysannes, Teresa appuyée au bras de Luigi. Count San Felice showed him, among the peasants, Teresa leaning on Luigi's arm.

«—Est-ce que vous permettez, mon père? "Will you allow me, father? dit Carmela.

«—Sans doute, répondit le comte, ne sommes-nous pas en carnaval! "No doubt," replied the count, "are we not in carnival!

«Carmela se pencha vers un jeune homme qui l’accompagnait en causant, et lui dit quelques mots tout en lui montrant du doigt la jeune fille. "Carmela leaned over to a young man who was accompanying her talking, and said a few words while pointing to the girl.

«Le jeune homme suivit des yeux la jolie main qui lui servait de conductrice, fit un geste d’obéissance et vint inviter Teresa à figurer au quadrille dirigé par la fille du comte. "The young man followed the pretty hand that served him as a conductor, made a gesture of obedience, and invited Teresa to appear in the quadrille run by the Count's daughter.

«Teresa sentit comme une flamme qui lui passait sur le visage. "Teresa felt like a flame flashing across her face. Elle interrogea du regard Luigi: il n’y avait pas moyen de refuser. She questioned Luigi, there was no way to refuse. Luigi laissa lentement glisser le bras de Teresa, qu’il tenait sous le sien, et Teresa, s’éloignant conduite par son élégant cavalier, vint prendre, toute tremblante, sa place au quadrille aristocratique. Luigi slowly dropped Teresa's arm, which he held under his, and Teresa, driving away with her elegant cavalryman, came, trembling, to take her place in the aristocratic quadrille.

«Certes, aux yeux d’un artiste, l’exact et sévère costume de Teresa eût eu un bien autre caractère que celui de Carmela et des ses compagnes, mais Teresa était une jeune fille frivole et coquette; les broderies de la mousseline, les palmes de la ceinture, l’éclat du cachemire l’éblouissaient, le reflet des saphirs et des diamants la rendaient folle. "Admittedly, in the eyes of an artist, Teresa's exact and severe costume had a very different character from that of Carmela and her companions, but Teresa was a frivolous and coquettish girl; the embroidery of the muslin, the palms of the belt, the brilliancy of the cashmere dazzled her, the reflection of the sapphires and diamonds made her mad.

«De son côté Luigi sentait naître en lui un sentiment inconnu: c’était comme une douleur sourde qui le mordait au cœur d’abord, et de là, toute frémissante, courait par ses veines et s’emparait de tout son corps; il suivit des yeux les moindres mouvements de Teresa et de son cavalier; lorsque leurs mains se touchaient il ressentait comme des éblouissements, ses artères battaient avec violence, et l’on eût dit que le son d’une cloche vibrait à ses oreilles. Luigi, for his part, felt an unknown feeling in him: it was like a dull ache that first bit him in the heart, and from there, trembling, ran through his veins and seized his whole body; he followed with his eyes the slightest movements of Teresa and her rider; when their hands were touching he felt like dazzles, his arteries beating violently, and it seemed as if the sound of a bell vibrated in his ears. Lorsqu’ils se parlaient, quoique Teresa écoutât, timide et les yeux baissés, les discours de son cavalier, comme Luigi lisait dans les yeux ardents du beau jeune homme que ces discours étaient des louanges, il lui semblait que la terre tournait sous lui et que toutes les voix de l’enfer lui soufflaient des idées de meurtre et d’assassinat. When Teresa listened, timidly and with downcast eyes, the words of her rider, as Luigi read in the ardent eyes of the handsome young man that these speeches were praises, it seemed to him that the earth was turning under him and that all the voices of hell whispered to him ideas of murder and murder. Alors, craignant de se laisser emporter à sa folie, il se cramponnait d’une main à la charmille contre laquelle il était debout, et de l’autre il serrait d’un mouvement convulsif le poignard au manche sculpté qui était passé dans sa ceinture et que, sans s’en apercevoir, il tirait quelquefois presque entier du fourreau. Then, fearing to be carried away to his folly, he clung with one hand to the bower against which he was standing, and with the other he convulsively clasped the dagger with the carved handle that had passed in his belt and that, without noticing it, he sometimes drew almost entirely from the scabbard.

«Luigi était jaloux! il sentait qu’emportée par sa nature coquette et orgueilleuse Teresa pouvait lui échapper. he felt that carried away by his proud and proud nature Teresa could escape him.

«Et cependant la jeune paysanne, timide et presque effrayée d’abord, s’était bientôt remise. "And yet the young peasant girl, timid and almost frightened at first, had soon recovered. Nous avons dit que Teresa était belle. Ce n’est pas tout, Teresa était gracieuse, de cette grâce sauvage bien autrement puissante que notre grâce minaudière et affectée. That's not all, Teresa was gracious, with this wild grace far more powerful than our mute and affected grace.

«Elle eut presque les honneurs du quadrille, et si elle fut envieuse de la fille du comte de San-Felice, nous n’oserions pas dire que Carmela ne fut pas jalouse d’elle. "She had almost the honors of the quadrille, and if she was envious of the Count de San Felice's daughter, we would not dare say that Carmela was not jealous of her.

«Aussi fût-ce avec force compliments que son beau cavalier la reconduisit à la place où il l’avait prise, et où l’attendait Luigi. "So, even with great compliments, his handsome cavalier took him back to the place where he had taken her, and where Luigi was waiting for him.

«Deux ou trois fois, pendant la contredanse, la jeune fille avait jeté un regard sur lui, et à chaque fois elle l’avait vu pâle et les traits crispés. "Two or three times during the contra-dance, the girl had looked at him, and each time she had seen him pale and his features tense. Une fois même la lame de son couteau, à moitié tirée de sa gaine, avait ébloui ses yeux comme un sinistre éclair. Once even the blade of his knife, half drawn from his sheath, had dazzled his eyes like a sinister flash.

«Ce fut donc presque en tremblant qu’elle reprit le bras de son amant. "So it was almost trembling that she took the arm of her lover.

«Le quadrille avait eu le plus grand succès, et il était évident qu’il était question d’en faire une seconde édition; Carmela seule s’y opposait; mais le comte de San-Felice pria sa fille si tendrement, qu’elle finit par consentir. "The quadrille had the greatest success, and it was obvious that it was a question of making a second edition; Carmela alone opposed it; but the Count of San Felice prayed his daughter so tenderly that she finally consented.

«Aussitôt un des cavaliers s’avança pour inviter Teresa, sans laquelle il était impossible que la contredanse eût lieu; mais la jeune fille avait déjà disparu. "Immediately one of the horsemen came forward to invite Teresa, without whom it was impossible for the counter-attack to take place; but the girl had already disappeared.

«En effet, Luigi ne s’était pas senti la force de supporter une seconde épreuve; et, moitié par persuasion, moitié par force, il avait entraîné Teresa vers un autre point du jardin. "Indeed, Luigi had not felt the strength to endure a second ordeal; and, half by persuasion, half by force, he had dragged Teresa to another point in the garden. Teresa avait cédé bien malgré elle; mais elle avait vu à la figure bouleversée du jeune homme, elle comprenait à son silence entrecoupé de tressaillements nerveux, que quelque chose d’étrange se passait en lui. Teresa had yielded despite herself; but she had seen in the young man's upset face, she understood in his silence, interrupted by nervous tremors, that something strange was happening in him. Elle-même n’était pas exempte d’une agitation intérieure, et sans avoir cependant rien fait de mal, elle comprenait que Luigi était en droit de lui faire des reproches: sur quoi? She herself was not exempt from internal agitation, and although she had done nothing wrong, she understood that Luigi was entitled to reproach him: on what? elle l’ignorait; mais elle ne sentait pas moins que ces reproches seraient mérités. she did not know it; but she did not feel less that these reproaches would be deserved.

«Cependant, au grand étonnement de Teresa, Luigi demeura muet, et pas une parole n’entrouvrit ses lèvres pendant tout le reste de la soirée. "However, to Teresa's astonishment, Luigi remained silent, and not a word opened his lips for the rest of the evening. Seulement, lorsque le froid de la nuit eut chassé les invités des jardins et que les portes de la villa se furent refermées sur eux pour une fête intérieure, il reconduisit Teresa; puis, comme elle allait rentrer chez elle: Only when the cold of the night had driven the guests out of the gardens and the doors of the villa were closed to them for an inner party, he escorted Teresa; then, as she was going home:

«—Teresa, dit-il, à quoi pensais-tu lorsque tu dansais en face de la jeune comtesse de San-Felice? "Teresa," he said, "what did you think of when you danced in front of the young Countess of San Felice?

«—Je pensais, répondit la jeune fille dans toute la franchise de son âme, que je donnerais la moitié de ma vie pour avoir un costume comme celui qu’elle portait.

«—Et que te disait ton cavalier? "And what did your cavalier tell you?

«—Il me disait qu’il ne tiendrait qu’à moi de l’avoir, et que je n’avais qu’un mot à dire pour cela. "He told me that it would be up to me to have it, and that I had only one word to say for that. "- Disse-me que a decisão seria minha e que eu só tinha uma palavra a dizer sobre ela.

«—Il avait raison, répondit Luigi. "He was right," Luigi replied. Le désires-tu aussi ardemment que tu le dis? Do you want it as ardently as you say?

«—Oui. "-Yes.

«—Eh bien tu l’auras! "Well, you'll get it!

«La jeune fille, étonnée, leva la tête pour le questionner; mais son visage était si sombre et si terrible que la parole se glaça sur ses lèvres. "The girl, astonished, raised her head to question him; but his face was so dark and so terrible that the words froze on his lips.

«D’ailleurs, en disant ces paroles, Luigi s’était éloigné. "Moreover, by saying these words, Luigi had gone away.

«Teresa le suivit des yeux dans la nuit tant qu’elle put l’apercevoir. "Teresa followed him in the darkness as long as she could see him. Puis, lorsqu’il eut disparu, elle rentra chez elle en soupirant. Then, when he disappeared, she went home with a sigh.

«Cette même nuit, il arriva un grand événement par l’imprudence sans doute de quelque domestique qui avait négligé d’éteindre les lumières; le feu prit à la villa San-Felice, juste dans les dépendances de l’appartement de la belle Carmela. "That same night, a great event occurred by the imprudence, no doubt, of some servant who had neglected to extinguish the lights; the fire took in the villa San Felice, just in the outbuildings of the beautiful Carmela's apartment. Réveillée au milieu de la nuit par la lueur des flammes, elle avait sauté au bas de son lit, s’était enveloppée de sa robe de chambre, et avait essayé de fuir par la porte; mais le corridor par lequel il fallait passer était déjà la proie de l’incendie. Awake in the middle of the night by the light of the flames, she had jumped to the bottom of her bed, wrapped herself in her dressing-gown, and had tried to escape by the door; but the corridor through which it was necessary to pass was already the prey of the fire. Alors elle était rentrée dans sa chambre, appelant à grands cris du secours, quand tout à coup sa fenêtre, située à vingt pieds du sol, s’était ouverte; un jeune paysan s’était élancé dans l’appartement, l’avait prise dans ses bras, et, avec une force et une adresse surhumaines l’avait transportée sur le gazon de la pelouse, où elle s’était évanouie. Then she had returned to her room, calling loudly for help, when suddenly her window, twenty feet from the ground, had opened; a young peasant threw himself into the apartment, took her in his arms, and, with superhuman strength and skill, had carried her to the turf of the lawn, where she had fainted. Lorsqu’elle avait repris ses sens, son père était devant elle. When she had recovered her senses, her father was in front of her. Tous les serviteurs l’entouraient, lui portant des secours. All the servants surrounded him, bringing him help. Une aile tout entière de la villa était brûlée; mais qu’importait, puisque Carmela était saine et sauve. An entire wing of the villa was burned; but what mattered, since Carmela was safe and sound.

«On chercha partout son libérateur, mais son libérateur ne reparut point; on le demanda à tout le monde, mais personne ne l’avait vu. "Every one sought his liberator, but his liberator did not reappear; everyone was asked, but no one had seen it. Quant à Carmela, elle était si troublée qu’elle ne l’avait point reconnu. As for Carmela, she was so troubled that she did not recognize him.

«Au reste, comme le comte était immensément riche, à part le danger qu’avait couru Carmela, et qui lui parut, par la manière miraculeuse dont elle y avait échappé, plutôt une nouvelle faveur de la Providence qu’un malheur réel, la perte occasionnée par les flammes fut peu de chose pour lui. "Besides, as the count was immensely rich, except for the danger which Carmela had run, and which appeared to him, by the miraculous manner from which she had escaped, rather a new favor of Providence than a real misfortune, the loss caused by the flames was little for him.

«Le lendemain, à l’heure habituelle, les deux jeunes gens se retrouvèrent à la lisière de la forêt. "The next day, at the usual time, the two young people found themselves at the edge of the forest. Luigi était arrivé le premier. Il vint au-devant de la jeune fille avec une grande gaieté; il semblait avoir complètement oublié la scène de la veille. He came to meet the girl with great gaiety; he seemed to have completely forgotten the scene of the day before. Teresa était visiblement pensive, mais en voyant Luigi ainsi disposé, elle affecta de son côté l’insouciance rieuse qui était le fond de son caractère quand quelque passion ne le venait pas troubler. Teresa was visibly pensive, but on seeing Luigi so disposed, she affected on her side the laughing carefreeness that was the basis of her character when some passion did not trouble him.

«Luigi prit le bras de Teresa sous le sien, et la conduisit jusqu’à la porte de la grotte. Luigi took Teresa's arm under his, and led her to the door of the cave. Là il s’arrêta. There he stopped. La jeune fille, comprenant qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire, le regarda fixement. The girl, realizing that there was something extraordinary, stared at him.

«—Teresa, dit Luigi, hier soir tu m’as dit que tu donnerais tout au monde pour avoir un costume pareil à celui de la fille du comte? "Teresa," said Luigi, "last night you told me that you would give everything to have a costume like that of the Count's daughter?"

«—Oui, dit Teresa, avec étonnement, mais j’étais folle de faire un pareil souhait. "Yes," said Teresa, with astonishment, "but I was mad to make such a wish.

«—Et moi, je t’ai répondu: C’est bien, tu l’auras. "And I said to you, 'Well, you'll get it.

«—Oui, reprit la jeune fille, dont l’étonnement croissait à chaque parole de Luigi; mais tu as répondu cela sans doute pour me faire plaisir. "Yes," continued the young girl, whose astonishment grew with each word of Luigi; but you answered that, no doubt, to please me.

«—Je ne t’ai jamais rien promis que je ne te l’aie donné, Teresa, dit orgueilleusement Luigi; entre dans la grotte et habille-toi. "'I never promised you anything that I didn't give it to you, Teresa,' said Luigi proudly; go into the cave and get dressed.

«À ces mots, il tira la pierre, et montra à Teresa la grotte éclairée par deux bougies qui brûlaient de chaque côté d’un magnifique miroir; sur la table rustique, faite par Luigi, étaient étalés le collier de perles et les épingles de diamants; sur une chaise à côté était déposé le reste du costume.

«Teresa poussa un cri de joie, et, sans s’informer d’où venait ce costume, sans prendre le temps de remercier Luigi, elle s’élança dans la grotte transformée en cabinet de toilette. "Teresa gave a shout of joy, and without knowing where the costume came from, without taking the time to thank Luigi, she dashed into the cave turned into a bathroom.

«Derrière elle Luigi repoussa la pierre, car il venait d’apercevoir, sur la crête d’une petite colline qui empêchait que de la place où il était on ne vît Palestrina, un voyageur à cheval, qui s’arrêta un instant comme incertain de sa route, se dessinant sur l’azur du ciel avec cette netteté de contour particulière aux lointains des pays méridionaux. Behind her Luigi pushed back the stone, for he had just perceived, on the crest of a small hill, which prevented from seeing Palestrina, from the place where he was, a traveler on horseback, who stopped for a moment as uncertain. of his route, drawing on the azure of the sky with this clearness of outline peculiar to the distant ones of the southern countries.

«En apercevant Luigi, le voyageur mit son cheval au galop, et vint à lui. "On seeing Luigi, the traveler galloped his horse, and came to him.

«Luigi ne s’était pas trompé; le voyageur, qui allait de Palestrina à Tivoli, était dans le doute de son chemin. "Luigi was not mistaken; the traveler, who was going from Palestrina to Tivoli, was in doubt of his way.

«Le jeune homme le lui indiqua; mais, comme à un quart de mille de là la route se divisait en trois sentiers, et qu’arrivé à ces trois sentiers le voyageur pouvait de nouveau s’égarer, il pria Luigi de lui servir de guide. "The young man told him; but as, a quarter of a mile from there, the road was divided into three paths, and when these three paths arrived the traveler might again be lost, he begged Luigi to be his guide.

«Luigi détacha son manteau et le déposa à terre, jeta sur son épaule sa carabine, et, dégagé ainsi du lourd vêtement, marcha devant le voyageur de ce pas rapide du montagnard que le pas d’un cheval a peine à suivre. Luigi took off his cloak and laid it on the ground, threw his rifle over his shoulder, and, thus free from the heavy garment, walked in front of the traveler with that rapid step of the mountaineer whom the pace of a horse could scarcely follow.

«En dix minutes, Luigi et le voyageur furent à l’espèce de carrefour indiqué par le jeune pâtre. "In ten minutes Luigi and the traveler were at the sort of crossroads indicated by the young shepherd.

«Arrivés là, d’un geste majestueux comme celui d’un empereur, il étendit la main vers celle des trois routes que le voyageur devait suivre: "Arrived there, with a majestic gesture like that of an emperor, he extended his hand towards that of the three roads which the traveler was to follow.

«—Voilà votre chemin, dit-il, Excellence, vous n’avez plus à vous tromper maintenant. "Here is your way," said he, "Excellency, you have no longer to deceive yourself now.

«—Et toi, voici ta récompense, dit le voyageur en offrant au jeune pâtre quelques pièces de menue monnaie. "And you, here is your reward," said the traveler, offering the young shepherd some small coins.

«—Merci, dit Luigi en retirant sa main; je rends un service, je ne le vends pas. "-Thank you," said Luigi, withdrawing his hand; I render a service, I do not sell it.

«—Mais», dit le voyageur, qui paraissait du reste habitué à cette différence entre la servilité de l’homme des villes et l’orgueil du campagnard, «si tu refuses un salaire, tu acceptes au moins un cadeau. "But," said the traveler, who seemed more accustomed to the difference between the servility of the man of the towns and the pride of the countryman, "if you refuse a salary, you accept at least one present."

«—Ah! "-Ah! oui, c’est autre chose.

«—Eh bien, dit le voyageur, prends ces deux sequins de Venise, et donne-les à ta fiancée pour en faire une paire de boucles d’oreilles. "Well," said the traveler, "take these two sequins of Venice, and give them to your fiancee to make a pair of earrings.

«—Et vous, alors, prenez ce poignard, dit le jeune pâtre, vous n’en trouveriez pas un dont la poignée fût mieux sculptée d’Albano à Civita-Castellana. "And you, then, take this dagger," said the young shepherd, "you would not find one whose handle was better carved from Albano to Civita-Castellana.

«—J’accepte, dit le voyageur; mais alors, c’est moi qui suis ton obligé, car ce poignard vaut plus de deux sequins. "I accept," said the traveler; but then it is I who am obliged to you, for this dagger is worth more than two sequins.

«—Pour un marchand peut-être, mais pour moi, qui l’ai sculpté moi-même, il vaut à peine une piastre. "For a merchant perhaps, but for me, who carved it myself, it is worth hardly a dollar.

«—Comment t’appelles-tu? demanda le voyageur.

«—Luigi Vampa, répondit le pâtre du même air qu’il eût répondu: Alexandre, roi de Macédoine. "Luigi Vampa," replied the shepherd, with the same air as he had answered: Alexander, king of Macedonia. Et vous?

«—Moi, dit le voyageur, je m’appelle Simbad le marin.» "-Moi," said the traveler, "my name is Simbad the sailor."

Franz d’Épinay jeta un cri de surprise. Franz d'Épinay let out a cry of surprise.

«Simbad le marin! dit-il.

—Oui, reprit le narrateur, c’est le nom que le voyageur donna à Vampa comme étant le sien. "Yes," said the narrator, "that is the name the traveler gave to Vampa as his.

—Eh bien, mais, qu’avez-vous à dire contre ce nom? interrompit Albert; c’est un fort beau nom, et les aventures du patron de ce monsieur m’ont, je dois l’avouer, fort amusé dans ma jeunesse.» interrupted Albert; it is a very beautiful name, and the adventures of this gentleman's patron have, I must admit, much amused in my youth. "

Franz n’insista pas davantage. Franz did not insist further. Ce nom de Simbad le marin, comme on le comprend bien, avait réveillé en lui tout un monde de souvenirs, comme avait fait la veille celui du comte de Monte-Cristo. The name of Simbad the sailor, as it is well understood, had awakened in him a whole world of memories, as had been the day before that of the Count of Monte Cristo.

«Continuez, dit-il à l’hôte.

—Vampa mit dédaigneusement les deux sequins dans sa poche, et reprit lentement le chemin par lequel il était venu. Vampa disdainfully put the two sequins in his pocket, and slowly went back the way he had come. Arrivé à deux ou trois cents pas de la grotte, il crut entendre un cri. Two or three hundred paces from the grotto, he thought he heard a cry.

«Il s’arrêta, écoutant de quel côté venait ce cri. He paused, listening to which side this cry came from.

«Au bout d’une seconde, il entendit son nom prononcé distinctement. "After a second, he heard his name pronounced distinctly.

«L’appel venait du côté de la grotte. "The call came from the side of the cave.

«Il bondit comme un chamois, armant son fusil tout en courant, et parvint en moins d’une minute au sommet de la colline opposée à celle où il avait aperçu le voyageur. "He leaped like a chamois, armed his rifle while running, and in less than a minute reached the top of the hill opposite the one where he had perceived the traveler.

«Là, les cris: Au secours! "There, cries: Help! arrivèrent à lui plus distincts.

«Il jeta les yeux sur l’espace qu’il dominait; un homme enlevait Teresa, comme le centaure Nessus Déjanire. "He looked at the space he was dominating; a man kidnapped Teresa, like the centaur Nessus Dejanira.

«Cet homme, qui se dirigeait vers le bois, était déjà aux trois quarts du chemin de la grotte à la forêt. "This man, who was heading for the woods, was already three-quarters of the way from the grotto to the forest.

«Vampa mesura l’intervalle; cet homme avait deux cents pas d’avance au moins sur lui, il n’y avait pas de chance de le rejoindre avant qu’il eût gagné le bois. "Vampa measured the interval; this man was at least two hundred steps ahead of him, there was no chance of joining him before he had won the wood.

«Le jeune pâtre s’arrêta comme si ses pieds eussent pris racine. "The young shepherd stopped as if his feet had taken root. Il appuya la crosse de son fusil à l’épaule, leva lentement le canon dans la direction du ravisseur, le suivit une seconde dans sa course et fit feu. He leaned his rifle butt, slowly raised the cannon in the direction of the captor, followed him for a second, and fired.

«Le ravisseur s’arrêta court; ses genoux plièrent et il tomba entraînant Teresa dans sa chute. "The captor stopped short; his knees bent and he fell dragging Teresa into his fall.

«Mais Teresa se releva aussitôt, quant au fugitif, il resta couché, se débattant dans les convulsions de l’agonie. "But Teresa got up immediately, and the fugitive, he remained lying, struggling in the convulsions of agony.

«Vampa s’élança aussitôt vers Teresa, car à dix pas du moribond les jambes lui avaient manqué à son tour, et elle était retombée à genoux: le jeune homme avait cette crainte terrible que la balle qui venait d’abattre son ennemi n’eût en même temps blessé sa fiancée. "Vampa immediately rushed to Teresa, for ten steps away from the moribund her legs had failed her, and she had fallen back to her knees: the young man had this terrible fear that the bullet which had just shot down his enemy at the same time hurt his betrothed.

«Heureusement il n’en était rien, c’était le terreur seule qui avait paralysé les forces de Teresa. "Fortunately it was not, it was the only terror that had paralyzed Teresa's forces. Lorsque Luigi se fut bien assuré qu’elle était saine et sauve, il se retourna vers le blessé. When Luigi made sure that she was safe, he turned to the injured man.

«Il venait d’expirer les poings fermés, la bouche contractée par la douleur, et les cheveux hérissés sous la sueur de l’agonie. "He had just exhaled his fists, his mouth contracted by pain, and his hair bristling under the sweat of agony.

«Ses yeux étaient restés ouverts et menaçants. "His eyes were open and threatening.

«Vampa s’approcha du cadavre, et reconnut Cucumetto. Vampa approached the corpse, and recognized Cucumetto.

«Depuis le jour où le bandit avait été sauvé par les deux jeunes gens, il était devenu amoureux de Teresa et avait juré que la jeune fille serait à lui. "Since the day the bandit was saved by the two young men, he had fallen in love with Teresa and swore that the girl would be his. Depuis ce jour il l’avait épiée; et, profitant du moment où son amant l’avait laissée seule pour indiquer le chemin au voyageur, il l’avait enlevée et la croyait déjà à lui, lorsque la balle de Vampa, guidée par le coup d’œil infaillible du jeune pâtre, lui avait traversé le cœur. Since that day he had watched it; and, taking advantage of the moment when her lover had left her alone to point the way to the traveler, he had taken her away and already believed him when the ball of Vampa, guided by the infallible glance of the young shepherd, had crossed his heart.

«Vampa le regarda un instant sans que la moindre émotion se trahît sur son visage, tandis qu’au contraire Teresa, toute tremblante encore, n’osait se rapprocher du bandit mort qu’à petits pas, et jetait en hésitant un coup d’œil sur le cadavre par-dessus l’épaule de son amant. Vampa looked at him for a moment without the slightest emotion betraying his face, while Teresa, still trembling, dared to approach the dead bandit only a few steps away, and hesitatingly eye on the corpse over her lover's shoulder.

«Au bout d’un instant, Vampa se retourna vers sa maîtresse: "After a moment, Vampa turned to his mistress:

«—Ah! ah! dit-il, c’est bien, tu es habillée; à mon tour de faire ma toilette. he said, that's good, you're dressed; it's my turn to wash.

«En effet, Teresa était revêtue de la tête aux pieds du costume de la fille du comte de San-Felice. "Indeed, Teresa was clad from head to toe in the costume of the daughter of the Count of San-Felice.

«Vampa prit le corps de Cucumetto entre ses bras, l’emporta dans la grotte, tandis qu’à son tour Teresa restait dehors. "Vampa took Cucumetto's body in his arms, carried it into the grotto, while Teresa stayed outside.

«Si un second voyageur fût alors passé, il eût vu une chose étrange: c’était une bergère gardant ses brebis avec une robe de cachemire, des boucles d’oreilles et un collier de perles, des épingles de diamants et des boutons de saphirs, d’émeraudes et de rubis. "If a second traveler had then passed, he would have seen something strange: it was a shepherd guarding her sheep in a cashmere dress, earrings and a pearl necklace, diamond pins and sapphire buttons. , emeralds and rubies.

«Sans doute, il se fût cru revenu au temps de Florian, et eût affirmé, en revenant à Paris, qu’il avait rencontré la bergère des Alpes assise au pied des monts Sabins. "No doubt he would have thought himself back in Florian's time, and would have affirmed, on his return to Paris, that he had met the shepherdess of the Alps, seated at the foot of the Sabine mountains.

«Au bout d’un quart d’heure, Vampa sortit à son tour de la grotte. "After a quarter of an hour, Vampa went out of the cave. Son costume n’était pas moins élégant, dans son genre, que celui de Teresa. His costume was no less elegant than Teresa's.

«Il avait une veste de velours grenat à boutons d’or ciselé, un gilet de soie tout couvert de broderies, une écharpe romaine nouée autour du cou, une cartouchière toute piquée d’or et de soie rouge et verte; des culottes de velours bleu de ciel attachées au-dessous du genou par des boucles de diamants, des guêtres de peau de daim bariolées de mille arabesques, et un chapeau où flottaient des rubans de toutes couleurs; deux montres pendaient à sa ceinture, et un magnifique poignard était passé à sa cartouchière. “He had a garnet velvet jacket with chiseled gold buttons, a silk waistcoat all covered with embroidery, a Roman scarf tied around his neck, a cartridge belt all stitched with gold and red and green silk; sky-blue velvet breeches tied below the knee with diamond buckles, buckskin gaiters with a thousand arabesques, and a hat from which floated ribbons of all colors; two watches hung from his belt, and a magnificent dagger was passed through his cartridge belt.

«Teresa jeta un cri d’admiration. Vampa, sous cet habit, ressemblait à une peinture de Léopold Robert ou de Schnetz. Vampa, in this dress, looked like a painting by Leopold Robert or Schnetz.

«Il avait revêtu le costume complet de Cucumetto. "He had put on the complete costume of Cucumetto.

«Le jeune homme s’aperçut de l’effet qu’il produisait sur sa fiancée, et un sourire d’orgueil passa sur sa bouche. "The young man perceived the effect he was having on his fiancée, and a smile of pride passed over his mouth.

«—Maintenant, dit-il à Teresa, es-tu prête à partager ma fortune quelle qu’elle soit? "Now," he said to Teresa, "are you ready to share my fortune whatsoever?

«—Oh oui! s’écria la jeune fille avec enthousiasme.

«—À me suivre partout où j’irai? "To follow me wherever I go?

«—Au bout du monde.

«—Alors, prends mon bras et partons, car nous n’avons pas de temps à perdre.»

«La jeune fille passa son bras sous celui de son amant, sans même lui demander où il la conduisait; car, en ce moment, il lui paraissait beau, fier et puissant comme un dieu. "The girl put her arm under her lover's, without even asking him where he was leading her; for at that moment he seemed handsome, proud, and powerful as a god.

«Et tous deux s’avancèrent dans la forêt, dont au bout de quelques minutes, ils eurent franchi la lisière. "And they both advanced into the forest, which after a few minutes they had crossed the edge.

«Il va sans dire que tous les sentiers de la montagne étaient connus de Vampa; il avança donc dans la forêt sans hésiter un seul instant, quoiqu’il n’y eût aucun chemin frayé, mais seulement reconnaissant la route qu’il devait suivre à la seule inspection des arbres et des buissons; ils marchèrent ainsi une heure et demie à peu près. "It goes without saying that all the trails on the mountain were known to Vampa; he advanced, therefore, into the forest without hesitation for a moment, although there was no way cleared, but only recognizing the road which he was to follow at the mere inspection of the trees and bushes; they walked about an hour and a half or so.

«Au bout de ce temps, ils étaient arrivés à l’endroit le plus touffu du bois. "At the end of that time, they had arrived at the busiest spot of the wood. Un torrent dont le lit était à sec conduisait dans une gorge profonde. A torrent whose bed was dry led to a deep gorge. Vampa prit cet étrange chemin, qui, encaissé entre deux rives et rembruni par l’ombre épaisse des pins, semblait, moins la descente facile, ce sentier de l’Averne dont parle Virgile. Vampa took this strange road, which, encircled between two banks and encumbered by the thick shade of the pines, seemed, less the easy descent, the path of the Averna, of which Virgil speaks.

«Teresa, redevenue craintive à l’aspect de ce lieu sauvage et désert, se serrait contre son guide, sans dire une parole; mais comme elle le voyait marcher toujours d’un pas égal, comme un calme profond rayonnait sur son visage, elle avait elle-même la force de dissimuler son émotion. "Teresa, become fearful again at the sight of this wild and deserted place, clung to her guide, without saying a word; but as she saw him always walking with an equal step, as a deep calm radiated on her face, she herself had the strength to conceal her emotion.

«Tout à coup, à dix pas d’eux, un homme sembla se détacher d’un arbre derrière lequel il était caché, et mettait Vampa en joue: "Suddenly, ten paces from them, a man seemed to come off a tree behind which he was hidden, and put Vampa in play:

«—Pas un pas de plus! "-Not another step! cria-t-il, ou tu es mort.

«—Allons donc», dit Vampa en levant la main avec un geste de mépris; tandis que Teresa, ne dissimulant plus sa terreur, se pressait contre lui, «est-ce que les loups se déchirent entre eux! "Come on," said Vampa, raising his hand with a gesture of scorn; while Teresa, no longer hiding her terror, pressed against him, "do the wolves tear each other apart?

«—Qui es-tu? "-Who are you? demanda la sentinelle. asked the sentry.

«—Je suis Luigi Vampa, le berger de la ferme de San-Felice. "-I'm Luigi Vampa, the shepherd at the San-Felice farm.

«—Que veux-tu?

«—Je veux parler à tes compagnons qui sont à la clairière de Rocca Bianca. "I want to talk to your companions in the clearing of Rocca Bianca.

«—Alors, suis-moi, dit la sentinelle, ou plutôt, puisque tu sais où cela est, marche devant. "Then, follow me," said the sentry, "or rather, since you know where that is, walk in front.

«Vampa sourit d’un air de mépris à cette précaution du bandit, passa devant avec Teresa et continua son chemin du même pas ferme et tranquille qui l’avait conduit jusque-là. Vampa smiled contemptuously at the bandit's precaution, walked past Teresa, and continued his way with the firm, tranquil step that had led him to that point.

«Au bout de cinq minutes, le bandit leur fit signe de s’arrêter. "At the end of five minutes, the bandit made them a sign to stop.

«Les deux jeunes gens obéirent. "The two young people obeyed.

«Le bandit imita trois fois le cri du corbeau. "The bandit imitated the cry of the raven three times.

«Un croassement répondit à ce triple appel. "A croak responded to this triple call.

«—C’est bien, dit le bandit. Maintenant tu peux continuer ta route.»

«Luigi et Teresa se remirent en chemin. "Luigi and Teresa set off again.

«Mais à mesure qu’ils avançaient, Teresa, tremblante se serrait contre son amant; en effet, à travers les arbres, on voyait apparaître des armes et étinceler des canons de fusil. "But as they advanced, Teresa, trembling, pressed herself against her lover; in fact, through the trees, weapons were seen to appear and guns to fire.

«La clairière de Rocca Bianca était au sommet d’une petite montagne qui autrefois sans doute avait été un volcan, volcan éteint avant que Rémus et Romulus eussent déserté Albe pour venir bâtir Rome. "The clearing of Rocca Bianca was at the top of a small mountain, which had no doubt been a volcano, extinct volcano before Remus and Romulus had deserted Albe to come to build Rome.

«Teresa et Luigi atteignirent le sommet et se trouvèrent au même instant en face d’une vingtaine de bandits. "Teresa and Luigi reached the top and found themselves at the same time in front of about twenty bandits.

«—Voici un jeune homme qui vous cherche et qui désire vous parler dit la sentinelle. "Here is a young man who is looking for you and wants to talk to you," said the sentry.

«—Et que veut-il nous dire? "And what does he want to tell us? demanda celui qui, en l’absence du chef, faisait l’intérim du capitaine. asked the one who, in the absence of the chief, acted as captain.

«—Je veux dire que je m’ennuie de faire le métier de berger, dit Vampa. "I mean, I miss being a shepherd," said Vampa.

«—Ah! je comprends, dit le lieutenant, et tu viens nous demander à être admis dans nos rangs?

«—Qu’il soit le bienvenu! "That he is welcome! crièrent plusieurs bandits de Ferrusino, de Pampinara et d’Anagni, qui avaient reconnu Luigi Vampa. cried several bandits of Ferrusino, Pampinara, and Anagni, who had recognized Luigi Vampa.

«—Oui, seulement je viens vous demander une autre chose que d’être votre compagnon. "Yes, only I come to ask you something other than to be your companion.

«—Et que viens-tu nous demander? dirent les bandits avec étonnement.

«—Je viens vous demander à être votre capitaine, dit le jeune homme. "I come to ask you to be your captain," said the young man.

«Les bandits éclatèrent de rire. "The bandits burst out laughing.

«—Et qu’as-tu fait pour aspirer à cet honneur? "And what did you do to aspire to this honor? demanda le lieutenant.

«—J’ai tué votre chef Cucumetto, dont voici la dépouille, dit Luigi, et j’ai mis le feu à la villa de San-Felice pour donner une robe de noce à ma fiancée. "I have killed your chief Cucumetto, whose body is here," said Luigi, "and I set fire to the villa at San Felice to give my fiancee a wedding dress.

«Une heure après, Luigi Vampa était élu capitaine en remplacement de Cucumetto. "An hour later, Luigi Vampa was elected captain to replace Cucumetto.

—Eh bien, mon cher Albert, dit Franz en se retournant vers son ami, que pensez-vous maintenant du citoyen Luigi Vampa? "Well, my dear Albert," said Franz, turning to his friend, "what do you think of Citizen Luigi Vampa now?

—Je dis que c’est un mythe, répondit Albert, et qu’il n’a jamais existé.

—Qu’est-ce que c’est qu’un mythe? -What is a myth? demanda Pastrini.

—Ce serait trop long à vous expliquer, mon cher hôte, répondit Franz. Et vous dites donc que maître Vampa exerce en ce moment sa profession aux environs de Rome? And you say that Master Vampa is currently practicing his profession around Rome?

—Et avec une hardiesse dont jamais bandit avant lui n’avait donné l’exemple. And with a boldness of which no bandit before him had given the example.

—La police a tenté vainement de s’en emparer, alors? -The police tried in vain to seize it, then?

—Que voulez-vous! -What do you want! il est d’accord à la fois avec les bergers de la plaine, les pêcheurs du Tibre et les contrebandiers de la côte. he agrees with both the shepherds of the plain, the fishermen of the Tiber and the smugglers of the coast. On le cherche dans la montagne, il est sur le fleuve; on le poursuit sur le fleuve, il gagne la pleine mer; puis tout à coup, quand on le croit réfugié dans l’île del Giglio, del Guanouti ou de Monte-Cristo, on le voit reparaître à Albano, à Tivoli ou à la Riccia. One seeks him in the mountain, he is on the river; he is pursued on the river, he reaches the open sea; then, suddenly, when he is thought to have taken refuge on the island of Giglio, Guanuti, or Monte Cristo, he is seen reappearing at Albano, Tivoli, or Riccia.

—Et quelle est sa manière de procéder à l’égard des voyageurs? And what is his way of proceeding with regard to travelers?

—Ah! mon Dieu! c’est bien simple. Selon la distance où l’on est de la ville, il leur donne huit heures, douze heures, un jour, pour payer leur rançon; puis, ce temps écoulé, il accorde une heure de grâce. According to the distance from the city, he gives them eight hours, twelve hours, one day, to pay their ransom; then, this time elapsed, he grants an hour of grace. À la soixantième minute de cette heure, s’il n’a pas l’argent, il fait sauter la cervelle du prisonnier d’un coup de pistolet, ou lui plante son poignard dans le cœur, et tout est dit. At the sixtieth minute of this hour, if he does not have the money, he bleeds the prisoner's brain with a pistol shot, or stabs his dagger in his heart, and all is said.

—Eh bien, Albert, demanda Franz à son compagnon, êtes-vous toujours disposé à aller au Colisée par les boulevards extérieurs? "Well, Albert," said Franz to his companion, "are you always ready to go to the Colosseum by the outer boulevards?

—Parfaitement, dit Albert, si la route est plus pittoresque.» "Perfectly," said Albert, "if the road is more picturesque."

En ce moment, neuf heures sonnèrent, la porte s’ouvrit et notre cocher parut. At that moment nine o'clock struck, the door opened, and our coachman appeared.

«Excellences, dit-il, la voiture vous attend. "Excellencies," he said, "the car is waiting for you.

—Eh bien, dit Franz, en ce cas, au Colisée! "Well," said Franz, "in this case, to the Coliseum!

—Par la porte del Popolo, Excellences, ou par les rues? -Through the Porta del Popolo, Excellencies, or through the streets?

—Par les rues, morbleu! -Through the streets, by golly! par les rues! s’écria Franz.

—Ah! mon cher! dit Albert en se levant à son tour et en allumant son troisième cigare, en vérité, je vous croyais plus brave que cela.» said Albert, getting up in his turn and lighting his third cigar, "in truth, I thought you were braver than that."

Sur ce, les deux jeunes gens descendirent l’escalier et montèrent en voiture. With that, the two young people went down the stairs and got in the car.