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Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas, Tome 1, 27. Le récit

27. Le récit

«Avant tout, dit Caderousse, je dois, monsieur, vous prier de me promettre une chose.

—Laquelle? demanda l'abbé.

—C'est que jamais, si vous faites un usage quelconque des détails que je vais vous donner, on ne saura que ces détails viennent de moi, car ceux dont je vais vous parler sont riches et puissants, et, s'ils me touchaient seulement du bout du doigt, ils me briseraient comme verre.

—Soyez tranquille, mon ami, dit l'abbé, je suis prêtre, et les confessions meurent dans mon sein; rappelez-vous que nous n'avons d'autre but que d'accomplir dignement les dernières volontés de notre ami; parlez donc sans ménagement comme sans haine; dites la vérité, toute la vérité: je ne connais pas et ne connaîtrai probablement jamais les personnes dont vous allez me parler; d'ailleurs, je suis Italien et non pas Français; j'appartiens à Dieu et non pas aux hommes, et je vais rentrer dans mon couvent, dont je ne suis sorti que pour remplir les dernières volontés d'un mourant.»

Cette promesse positive parut donner à Caderousse un peu d'assurance.

«Eh bien, en ce cas, dit Caderousse, je veux, je dirai même plus, je dois vous détromper sur ces amitiés que le pauvre Edmond croyait sincères et dévouées.

—Commençons par son père, s'il vous plaît, dit l'abbé. Edmond m'a beaucoup parlé de ce vieillard, pour lequel il avait un profond amour.

—L'histoire est triste, monsieur, dit Caderousse en hochant la tête; vous en connaissez probablement les commencements.

—Oui, répondit l'abbé, Edmond m'a raconté les choses jusqu'au moment où il a été arrêté, dans un petit cabaret près de Marseille.

—À la Réserve! ô mon Dieu, oui! je vois encore la chose comme si j'y étais.

—N'était-ce pas au repas même de ses fiançailles?

—Oui, et le repas qui avait eu un gai commencement eut une triste fin: un commissaire de police suivi de quatre fusiliers entra, et Dantès fut arrêté.

—Voilà où s'arrête ce que je sais, monsieur, dit le prêtre; Dantès lui-même ne savait rien autre que ce qui lui était absolument personnel, car il n'a jamais revu aucune des cinq personnes que je vous ai nommées, ni entendu parler d'elles.

—Eh bien, Dantès une fois arrêté, M. Morrel courut prendre des informations: elles furent bien tristes. Le vieillard retourna seul dans sa maison, ploya son habit de noces en pleurant, passa toute la journée à aller et venir dans sa chambre, et le soir ne se coucha point, car je demeurais au-dessous de lui et je l'entendis marcher toute la nuit; moi-même, je dois le dire, je ne dormis pas non plus, car la douleur de ce pauvre père me faisait grand mal, et chacun de ses pas me broyait le cœur, comme s'il eût réellement posé son pied sur ma poitrine.

«Le lendemain, Mercédès vint à Marseille pour implorer la protection de M. de Villefort: elle n'obtint rien; mais, du même coup, elle alla rendre visite au vieillard. Quand elle le vit si morne et abattu, qu'il avait passé la nuit sans se mettre au lit, qu'il n'avait pas mangé depuis la veille, elle voulut l'emmener pour en prendre soin, mais le vieillard ne voulut jamais y consentir.

«—Non, disait-il, je ne quitterai pas la maison, car c'est moi que mon pauvre enfant aime avant toutes choses, et, s'il sort de prison, c'est moi qu'il accourra voir d'abord. Que dirait-il si je n'étais point là à l'attendre?

«J'écoutais tout cela du carré, car j'aurais voulu que Mercédès déterminât le vieillard à la suivre; ce pas retentissant tous les jours sur ma tête ne me laissait pas un instant de repos.

—Mais ne montiez-vous pas vous-même près du vieillard pour le consoler? demanda le prêtre.

—Ah! monsieur! répondit Caderousse, on ne console que ceux qui veulent être consolés, et lui ne voulait pas l'être: d'ailleurs, je ne sais pourquoi, mais il me semblait qu'il avait de la répugnance à me voir. Une nuit cependant que j'entendais ses sanglots, je n'y pus résister et je montai; mais quand j'arrivai à la porte, il ne sanglotait plus, il priait. Ce qu'il trouvait d'éloquentes paroles et de pitoyables supplications, je ne saurais vous le redire, monsieur: c'était plus que de la piété, c'était plus que de la douleur; aussi, moi qui ne suis pas cagot et qui n'aime pas les jésuites, je me dis ce jour-là: C'est bien heureux, en vérité, que je sois seul, et que le Bon Dieu ne m'ait pas envoyé d'enfants, car si j'étais père et que je ressentisse une douleur semblable à celle du pauvre vieillard, ne pouvant trouver dans ma mémoire ni dans mon cœur tout ce qu'il dit au Bon Dieu, j'irais tout droit me précipiter dans la mer pour ne pas souffrir plus longtemps.

—Pauvre père! murmura le prêtre.

—De jour en jour, il vivait plus seul et plus isolé: souvent M. Morrel et Mercédès venaient pour le voir, mais sa porte était fermée; et, quoique je fusse bien sûr qu'il était chez lui, il ne répondait pas. Un jour que, contre son habitude, il avait reçu Mercédès, et que la pauvre enfant, au désespoir elle-même, tentait de le réconforter:

«—Crois-moi, ma fille, lui dit-il, il est mort; et, au lieu que nous l'attendions, c'est lui qui nous attend: je suis bien heureux, c'est moi qui suis le plus vieux et qui, par conséquent, le reverrai le premier.

«Si bon que l'on soit, voyez-vous, on cesse bientôt de voir les gens qui vous attristent; le vieux Dantès finit par demeurer tout à fait seul: je ne voyais plus monter de temps en temps chez lui que des gens inconnus, qui descendaient avec quelque paquet mal dissimulé; j'ai compris depuis ce que c'était que ces paquets: il vendait peu à peu ce qu'il avait pour vivre. Enfin, le bonhomme arriva au bout de ses pauvres hardes; il devait trois termes: on menaça de le renvoyer; il demanda huit jours encore, on les lui accorda. Je sus ce détail parce que le propriétaire entra chez moi en sortant de chez lui.

«Pendant les trois premiers jours, je l'entendis marcher comme d'habitude; mais le quatrième, je n'entendis plus rien. Je me hasardai à monter: la porte était fermée; mais à travers la serrure je l'aperçu si pâle et si défait, que, le jugeant bien malade, je fis prévenir M. Morrel et courus chez Mercédès. Tous deux s'empressèrent de venir. M. Morrel amenait un médecin; le médecin reconnut une gastro-entérite et ordonna la diète. J'étais là, monsieur, et je n'oublierai jamais le sourire du vieillard à cette ordonnance.

«Dès lors, il ouvrit sa porte: il avait une excuse pour ne plus manger; le médecin avait ordonné la diète.»

L'abbé poussa une espèce de gémissement.

«Cette histoire vous intéresse, n'est-ce pas, monsieur? dit Caderousse.

—Oui, répondit l'abbé; elle est attendrissante.

—Mercédès revint; elle le trouva si changé, que, comme la première fois, elle voulut le faire transporter chez elle. C'était aussi l'avis de M. Morrel, qui voulait opérer le transport de force; mais le vieillard cria tant, qu'ils eurent peur. Mercédès resta au chevet de son lit. M. Morrel s'éloigna en faisant signe à la Catalane qu'il laissait une bourse sur la chemin. Mais, armé de l'ordonnance du médecin, le vieillard ne voulut rien prendre. Enfin, après neuf jours de désespoir et d'abstinence, le vieillard expira en maudissant ceux qui avaient causé son malheur et disant à Mercédès:

«—Si vous revoyez mon Edmond, dites-lui que je meurs en le bénissant.»

L'abbé se leva, fit deux tours dans la chambre en portant une main frémissante à sa gorge aride.

«Et vous croyez qu'il est mort....

—De faim... monsieur, de faim, dit Caderousse; j'en réponds aussi vrai que nous sommes ici deux chrétiens.»

L'abbé, d'une main convulsive, saisit le verre d'eau encore à moitié plein, le vida d'un trait et se rassit les yeux rougis et les joues pâles.

«Avouez que voilà un grand malheur! dit-il d'une voix rauque.

—D'autant plus grand, monsieur, que Dieu n'y est pour rien, et que les hommes seuls en sont cause.

—Passons donc à ces hommes, dit l'abbé; mais songez-y, continua-t-il d'un air presque menaçant, vous vous êtes engagé à me tout dire: voyons, quels sont ces hommes qui ont fait mourir le fils de désespoir, et le père de faim?

—Deux hommes jaloux de lui, monsieur, l'un par amour, l'autre par ambition: Fernand et Danglars.

—Et de quelle façon se manifesta cette jalousie, dites?

—Ils dénoncèrent Edmond comme agent bonapartiste.

—Mais lequel des deux le dénonça, lequel des deux fut le vrai coupable.

—Tous deux, monsieur, l'un écrivit la lettre, l'autre la mit à la poste.

—Et où cette lettre fut-elle écrite?

—À la Réserve même, la veille du mariage.

—C'est bien cela, c'est bien cela, murmura l'abbé. Ô Faria! Faria! comme tu connaissais les hommes et les choses!

—Vous dites, monsieur? demanda Caderousse.

—Rien, reprit le prêtre; continuez.

—Ce fut Danglars qui écrivit la dénonciation de la main gauche pour que son écriture ne fût pas reconnue, et Fernand qui l'envoya.

—Mais, s'écria tout à coup l'abbé, vous étiez là, vous!

—Moi! dit Caderousse étonné; qui vous a dit que j'y étais?»

L'abbé vit qu'il s'était lancé trop avant.

«Personne, dit-il, mais pour être si bien au fait de tous ces détails, il faut que vous en ayez été le témoin.

—C'est vrai, dit Caderousse d'une voix étouffée, j'y étais.

—Et vous ne vous êtes pas opposé à cette infamie? dit l'abbé; alors vous êtes leur complice.

—Monsieur, dit Caderousse, ils m'avaient fait boire tous deux au point que j'en avais à peu près perdu la raison. Je ne voyais plus qu'à travers un nuage. Je dis tout ce que peut dire un homme dans cet état; mais ils me répondirent tous deux que c'était une plaisanterie qu'ils avaient voulu faire, et que cette plaisanterie n'aurait pas de suite.

—Le lendemain, monsieur, le lendemain, vous vîtes bien qu'elle en avait; cependant vous ne dîtes rien; vous étiez là cependant lorsqu'il fut arrêté.

—Oui, monsieur, j'étais là et je voulus parler, je voulus tout dire, mais Danglars me retint.

—«Et s'il est coupable, par hasard, me dit-il, s'il a véritablement relâché à l'île d'Elbe, s'il est véritablement chargé d'une lettre pour le comité bonapartiste de Paris, si on trouve cette lettre sur lui, ceux qui l'auront soutenu passeront pour ses complices.»

«J'eus peur de la politique telle qu'elle se faisait alors, je l'avoue; je me tus, ce fut une lâcheté, j'en conviens, mais ce ne fut pas un crime.

—Je comprends; vous laissâtes faire, voilà tout.

—Oui, monsieur, répondit Caderousse, et c'est mon remords de la nuit et du jour. J'en demande bien souvent pardon à Dieu, je vous le jure, d'autant plus que cette action, la seule que j'aie sérieusement à me reprocher dans tout le cours de ma vie, est sans doute la cause de mes adversités. J'expie un instant d'égoïsme; aussi, c'est ce que je dis toujours à la Carconte lorsqu'elle se plaint: «Tais-toi, femme, c'est Dieu qui le veut ainsi.»

Et Caderousse baissa la tête avec tous les signes d'un vrai repentir.

«Bien, monsieur, dit l'abbé, vous avez parlé avec franchise; s'accuser ainsi, c'est mériter son pardon.

—Malheureusement, dit Caderousse, Edmond est mort et ne m'a pas pardonné, lui!

—Il ignorait, dit l'abbé...

—Mais il sait maintenant, peut-être, reprit Caderousse; on dit que les morts savent tout.»

Il se fit un instant de silence: l'abbé s'était levé et se promenait pensif; il revint à sa place et se rassit.

«Vous m'avez nommé déjà deux ou trois fois un certain M. Morrel, dit-il. Qu'était-ce que cet homme?

—C'était l'armateur du Pharaon , le patron de Dantès.

—Et quel rôle a joué cet homme dans toute cette triste affaire? demanda l'abbé.

—Le rôle d'un homme honnête, courageux et affectionné, monsieur. Vingt fois il intercéda pour Edmond; quand l'empereur rentra, il écrivit, pria, menaça, si bien qu'à la seconde Restauration il fut fort persécuté comme bonapartiste. Dix fois, comme je vous l'ai dit, il était venu chez le père Dantès pour le retirer chez lui, et la veille ou la surveille de sa mort, je vous l'ai dit encore, il avait laissé sur la cheminée une bourse avec laquelle on paya les dettes du bonhomme et l'on subvint à son enterrement; de sorte que le pauvre vieillard put du moins mourir comme il avait vécu, sans faire de tort à personne. C'est encore moi qui ai la bourse, une grande bourse en filet rouge.

—Et, demanda l'abbé, ce M. Morrel vit-il encore?

—Oui, dit Caderousse.

—En ce cas, reprit l'abbé, ce doit être un homme béni de Dieu, il doit être riche... heureux?...»

Caderousse sourit amèrement.

«Oui, heureux, comme moi, dit-il.

—M. Morrel serait malheureux! s'écria l'abbé.

—Il touche à la misère, monsieur, et bien plus, il touche au déshonneur.

—Comment cela?

—Oui, reprit Caderousse, c'est comme cela; après vingt-cinq ans de travail, après avoir acquis la plus honorable place dans le commerce de Marseille, M. Morrel est ruiné de fond en comble. Il a perdu cinq vaisseaux en deux ans, a essuyé trois banqueroutes effroyables, et n'a plus d'espérance que dans ce même Pharaon que commandait le pauvre Dantès, et qui doit revenir des Indes avec un chargement de cochenille et d'indigo. Si ce navire-là manque comme les autres, il est perdu.

—Et, dit l'abbé, a-t-il une femme, des enfants, le malheureux?

—Oui, il a une femme qui, dans tout cela, se conduit comme une sainte; il a une fille qui allait épouser un homme qu'elle aimait, et à qui sa famille ne veut plus laisser épouser une fille ruinée; il a un fils enfin, lieutenant dans l'armée; mais, vous le comprenez bien, tout cela double sa douleur au lieu de l'adoucir, à ce pauvre cher homme. S'il était seul, il se brûlerait la cervelle et tout serait dit.

—C'est affreux! murmura le prêtre.

—Voilà comme Dieu récompense la vertu, monsieur, dit Caderousse. Tenez, moi qui n'ai jamais fait une mauvaise action à part ce que je vous ai raconté, moi, je suis dans la misère; moi, après avoir vu mourir ma pauvre femme de la fièvre, sans pouvoir rien faire pour elle, je mourrai de faim comme est mort le père Dantès, tandis que Fernand et Danglars roulent sur l'or.

—Et comment cela?

—Parce que tout leur a tourné à bien, tandis qu'aux honnêtes gens tout tourne à mal.

—Qu'est devenu Danglars? le plus coupable, n'est-ce pas, l'instigateur?

—Ce qu'il est devenu? il a quitté Marseille; il est entré, sur la recommandation de M. Morrel, qui ignorait son crime comme commis d'ordre chez un banquier espagnol; à l'époque de la guerre d'Espagne il s'est chargé d'une part dans les fournitures de l'armée française et a fait fortune; alors, avec ce premier argent il a joué sur les fonds, et a triplé, quadruplé ses capitaux, et, veuf lui-même de la fille de son banquier, il a épousé une veuve, Mme de Nargonne, fille de M. Servieux, chambellan du roi actuel, et qui jouit de la plus grande faveur. Il s'était fait millionnaire, on l'a fait baron; de sorte qu'il est baron Danglars maintenant, qu'il a un hôtel rue du Mont-Blanc, dix chevaux dans ses écuries, six laquais dans son antichambre, et je ne sais combien de millions dans ses caisses.

—Ah! fit l'abbé avec un singulier accent; et il est heureux?

—Ah! heureux, qui peut dire cela? Le malheur ou le bonheur, c'est le secret des murailles; les murailles ont des oreilles, mais elles n'ont pas de langue; si l'on est heureux avec une grande fortune, Danglars est heureux.

—Et Fernand?

—Fernand, c'est bien autre chose encore.

—Mais comment a pu faire fortune un pauvre pêcheur catalan, sans ressources, sans éducation? Cela me passe, je vous l'avoue.

—Et cela passe tout le monde aussi; il faut qu'il y ait dans sa vie quelque étrange secret que personne ne sait.

—Mais enfin par quels échelons visibles a-t-il monté à cette haute fortune ou à cette haute position?

—À toutes deux, monsieur, à toutes deux! lui a fortune et position tout ensemble.

—C'est un conte que vous me faites là.

—Le fait est que la chose en a bien l'air; mais écoutez, et vous allez comprendre.

«Fernand, quelques jours avant le retour, était tombé à la conscription. Les Bourbons, le laissèrent bien tranquille aux Catalans, mais Napoléon revint, une levée extraordinaire fut décrétée, et Fernand fut forcé de partir. Moi aussi, je partis; mais comme j'étais plus vieux que Fernand et que je venais d'épouser ma pauvre femme, je fus envoyé sur les côtes seulement.

«Fernand, lui, fut enrégimenté dans les troupes actives, gagna la frontière avec son régiment, et assista à la bataille de Ligny.

«La nuit qui suivit la bataille, il était de planton à la porte du général qui avait des relations secrètes avec l'ennemi. Cette nuit même le général devait rejoindre les Anglais. Il proposa à Fernand de l'accompagner; Fernand accepta, quitta son poste et suivit le général.

«Ce qui eût fait passer Fernand à un conseil de guerre si Napoléon fût resté sur le trône lui servit de recommandation près des Bourbons. Il rentra en France avec l'épaulette de sous-lieutenant; et comme la protection du général, qui est en haute faveur, ne l'abandonna point, il était capitaine en 1823, lors de la guerre d'Espagne, c'est-à-dire au moment même où Danglars risquait ses premières spéculations. Fernand était Espagnol, il fut envoyé à Madrid pour y étudier l'esprit de ses compatriotes; il y retrouva Danglars, s'aboucha avec lui, promit à son général un appui parmi les royalistes de la capitale et des provinces, reçut des promesses, prit de son côté des engagements, guida son régiment par les chemins connus de lui seul dans des gorges gardées par des royalistes, et enfin rendit dans cette courte campagne de tels services, qu'après la prise du Trocadéro il fut nommé colonel et reçut la croix d'officier de la Légion d'honneur avec le titre de comte.

—Destinée! destinée! murmura l'abbé.

—Oui, mais écoutez, ce n'est pas le tout. La guerre d'Espagne finie, la carrière de Fernand se trouvait compromise par la longue paix qui promettait de régner en Europe. La Grèce seule était soulevée contre la Turquie, et venait de commencer la guerre de son indépendance; tous les yeux étaient tournés vers Athènes: c'était la mode de plaindre et de soutenir les Grecs. Le gouvernement français, sans les protéger ouvertement, comme vous savez, tolérait les migrations partielles. Fernand sollicita et obtint la permission d'aller servir en Grèce, en demeurant toujours porté néanmoins sur les contrôles de l'armée.

«Quelque temps après, on apprit que le comte de Morcerf, c'était le nom qu'il portait, était entré au service d'Ali-Pacha avec le grade de général instructeur.

«Ali-Pacha fut tué, comme vous savez; mais avant de mourir il récompensa les services de Fernand en lui laissant une somme considérable avec laquelle Fernand revint en France, où son grade de lieutenant général lui fut confirmé.

—De sorte qu'aujourd'hui?... demanda l'abbé.

—De sorte qu'aujourd'hui, poursuivit Caderousse, il possède un hôtel magnifique à Paris, rue du Helder, nº 27.»

L'abbé ouvrit la bouche, demeura un instant comme un homme qui hésite, mais faisant un effort sur lui-même:

«Et Mercédès, dit-il, on m'a assuré qu'elle avait disparu?

—Disparu, dit Caderousse, oui, comme disparaît le soleil pour se lever le lendemain plus éclatant.

—A-t-elle donc fait fortune aussi? demanda l'abbé avec un sourire ironique.

—Mercédès est à cette heure une des plus grandes dames de Paris, dit Caderousse.

—Continuez, dit l'abbé, il me semble que j'écoute le récit d'un rêve. Mais j'ai vu moi-même des choses si extraordinaires, que celles que vous me dites m'étonnent moins.

—Mercédès fut d'abord désespérée du coup qui lui enlevait Edmond. Je vous ai dit ses instances près de M. de Villefort et son dévouement pour le père de Dantès. Au milieu de son désespoir une nouvelle douleur vint l'atteindre, ce fut le départ de Fernand, de Fernand dont elle ignorait le crime, et qu'elle regardait comme son frère.

«Fernand partit, Mercédès demeura seule.

«Trois mois s'écoulèrent pour elle dans les larmes: pas de nouvelles d'Edmond, pas de nouvelles de Fernand; rien devant les yeux qu'un vieillard qui s'en allait mourant de désespoir.

«Un soir, après être restée toute la journée assise, comme c'était son habitude, à l'angle des deux chemins qui se rendent de Marseille aux Catalans, elle rentra chez elle plus abattue qu'elle ne l'avait encore été: ni son amant ni son ami ne revenaient par l'un ou l'autre de ces deux chemins, et elle n'avait de nouvelles ni de l'un ni de l'autre.

«Tout à coup il lui sembla entendre un pas connu; elle se retourna avec anxiété, la porte s'ouvrit, elle vit apparaître Fernand avec son uniforme de sous-lieutenant.

«Ce n'était pas la moitié de ce qu'elle pleurait, mais c'était une portion de sa vie passée qui revenait à elle.

«Mercédès saisit les mains de Fernand avec un transport que celui-ci prit pour de l'amour, et qui n'était que la joie de n'être plus seule au monde et de revoir enfin un ami, après de longues heures de la tristesse solitaire. Et puis, il faut le dire, Fernand n'avait jamais été haï, il n'était pas aimé, voilà tout; un autre tenait tout le cœur de Mercédès, cet autre était absent... était disparu... était mort peut-être. À cette dernière idée, Mercédès éclatait en sanglots et se tordait les bras de douleur; mais cette idée, qu'elle repoussait autrefois quand elle lui était suggérée par un autre lui revenait maintenant tout seule à l'esprit; d'ailleurs, de son côté, le vieux Dantès ne cessait de lui dire: «Notre Edmond est mort, car s'il n'était pas mort, il nous reviendrait.»

«Le vieillard mourut, comme je vous l'ai dit: s'il eût vécu, peut-être Mercédès ne fût-elle jamais devenue la femme d'un autre; car il eût été là pour lui reprocher son infidélité. Fernand comprit cela. Quand il connut la mort du vieillard, il revint. Cette fois, il était lieutenant. Au premier voyage, il n'avait pas dit à Mercédès un mot d'amour; au second, il lui rappela qu'il l'aimait.

«Mercédès lui demanda six mois encore pour attendre et pleurer Edmond.

—Au fait, dit l'abbé avec un sourire amer, cela faisait dix-huit mois en tout. Que peut demander davantage l'amant le plus adoré?»

Puis il murmura les paroles du poète anglais: Frailty, thy name is woman!

«Six mois après, reprit Caderousse, le mariage eut lieu à l'église des Accoules.

—C'était la même église où elle devait épouser Edmond, murmura le prêtre; il n'y avait que le fiancé de changé, voilà tout.

—Mercédès se maria donc, continua Caderousse; mais, quoique aux yeux de tous elle parût calme, elle ne manqua pas moins de s'évanouir en passant devant la Réserve, où dix-huit mois auparavant avaient été célébrées ses fiançailles avec celui qu'elle eût vu qu'elle aimait encore, si elle eût oser regarder au fond de son cœur.

«Fernand, plus heureux, mais non pas plus tranquille, car je le vis à cette époque, et il craignait sans cesse le retour d'Edmond, Fernand s'occupa aussitôt de dépayser sa femme et de s'exiler lui-même; il y avait à la fois trop de dangers et de souvenirs à rester aux Catalans. Huit jours après la noce, ils partirent.

—Et revîtes-vous Mercédès? demanda le prêtre.

—Oui, au moment de la guerre d'Espagne, à Perpignan où Fernand l'avait laissée; elle faisait alors l'éducation de son fils.»

L'abbé tressaillit. «De son fils? dit-il.

—Oui, répondit Caderousse, du petit Albert.

—Mais pour instruire ce fils, continua l'abbé, elle avait donc reçu de l'éducation elle-même? Il me semblait avoir entendu dire à Edmond que c'était la fille d'un simple pêcheur, belle, mais inculte.

—Oh! dit Caderousse, connaissait-il donc si mal sa propre fiancée! Mercédès eût pu devenir reine, monsieur, si la couronne se devait poser seulement sur les têtes les plus belles et les plus intelligentes. Sa fortune grandissait déjà, et elle grandissait avec sa fortune. Elle apprenait le dessin, elle apprenait la musique, elle apprenait tout. D'ailleurs, je crois, entre nous, qu'elle ne faisait tout cela que pour se distraire, pour oublier, et qu'elle ne mettait tant de choses dans sa tête que pour combattre ce qu'elle avait dans le cœur. Mais maintenant tout doit être dit, continua Caderousse: la fortune et les honneurs l'ont consolée sans doute. Elle est riche, elle est comtesse, et cependant...»

Caderousse s'arrêta.

«Cependant quoi? demanda l'abbé.

—Cependant, je suis sûr qu'elle n'est pas heureuse, dit Caderousse.

—Et qui vous le fait croire?

—Eh bien, quand je me suis trouvé trop malheureux moi-même, j'ai pensé que mes anciens amis m'aideraient en quelque chose. Je me suis présenté chez Danglars, qui ne m'a pas même reçu. J'ai été chez Fernand, qui m'a fait remettre cent francs par son valet de chambre.

—Alors vous ne les vîtes ni l'un ni l'autre?

—Non; mais Mme de Morcerf m'a vu, elle.

—Comment cela?

—Lorsque je suis sorti, une bourse est tombée à mes pieds, elle contenait vingt-cinq louis: j'ai levé vivement la tête et j'ai vu Mercédès qui refermait la persienne.

—Et M. de Villefort? demanda l'abbé.

—Oh! lui n'avait pas été mon ami; je ne le connaissais pas; lui, je n'avais rien à lui demander.

—Mais ne savez-vous point ce qu'il est devenu, et la part qu'il a prise au malheur d'Edmond?

—Non, je sais seulement que, quelque temps après l'avoir fait arrêter, il a épousé Mlle de Saint-Méran, et bientôt a quitté Marseille. Sans doute que le bonheur lui aura souri comme aux autres, sans doute qu'il est riche comme Danglars, considéré comme Fernand; moi seul, vous le voyez, suis resté pauvre, misérable et oublié de Dieu.

—Vous vous trompez, mon ami, dit l'abbé: Dieu peut paraître oublier parfois, quand sa justice se repose; mais il vient toujours un moment où il se souvient, et en voici la preuve.»

À ces mots, l'abbé tira le diamant de sa poche, et le présentant à Caderousse:

«Tenez, mon ami, lui dit-il, prenez ce diamant, car il est à vous.

—Comment, à moi seul! s'écria Caderousse! Ah! monsieur, ne raillez-vous pas?

—Ce diamant devait être partagé entre ses amis: Edmond n'avait qu'un seul ami, le partage devient donc inutile. Prenez ce diamant et vendez-le; il vaut cinquante mille francs, je vous le répète, de cette somme, je l'espère, suffira pour vous tirer de la misère.

—Oh! monsieur, dit Caderousse en avançant timidement une main et en essuyant de l'autre la sueur qui perlait sur son front; oh! monsieur, ne faites pas une plaisanterie du bonheur ou du désespoir d'un homme!

—Je sais ce que c'est que le bonheur et ce que c'est que le désespoir, et je ne jouerai jamais à plaisir avec les sentiments. Prenez donc, mais en échange...»

Caderousse qui touchait déjà le diamant, retira sa main.

L'abbé sourit.

«En échange, continua-t-il, donnez-moi cette bourse de soie rouge que M. Morrel avait laissée sur la cheminée du vieux Dantès, et qui, me l'avez-vous dit, est encore entre vos mains.»

Caderousse, de plus en plus étonné, alla vers une grande armoire de chêne, l'ouvrit et donna à l'abbé une bourse longue, de soie rouge flétrie, et autour de laquelle glissaient deux anneaux de cuivre dorés autrefois.

L'abbé la prit, et en sa place donna le diamant à Caderousse.

«Oh! vous êtes un homme de Dieu, monsieur! s'écria Caderousse, car en vérité personne ne savait qu'Edmond vous avait donné ce diamant et vous auriez pu le garder.

—Bien, se dit tout bas l'abbé, tu l'eusses fait, à ce qu'il paraît, toi.»

L'abbé se leva, prit son chapeau et ses gants.

«Ah çà, dit-il, tout ce que vous m'avez dit est bien vrai, n'est-ce pas, et je puis y croire en tout point?

—Tenez, monsieur l'abbé; dit Caderousse, voici dans le coin de ce mur un christ de bois bénit; voici sur ce bahut le livre d'évangiles de ma femme: ouvrez ce livre, et je vais vous jurer dessus, la main étendue vers le christ, je vais vous jurer sur le salut de mon âme, sur ma foi de chrétien, que je vous ai dit toutes choses comme elles s'étaient passées, et comme l'ange des hommes le dira à l'oreille de Dieu le jour du jugement dernier!

—C'est bien, dit l'abbé, convaincu par cet accent que Caderousse disait la vérité, c'est bien; que cet argent vous profite! Adieu, je retourne loin des hommes qui se font tant de mal les uns aux autres.»

Et l'abbé, se délivrant à grand peine des enthousiastes élans de Caderousse, leva lui-même la barre de la porte, sortit, remonta à cheval, salua une dernière fois l'aubergiste qui se confondait en adieux bruyants, et partit, suivant la même direction qu'il avait déjà suivie pour venir.

Quand Caderousse se retourna, il vit derrière lui la Carconte plus pâle et plus tremblante que jamais.

«Est-ce bien vrai, ce que j'ai entendu? dit-elle.

—Quoi? qu'il nous donnait le diamant pour nous tout seuls? dit Caderousse, presque fou de joie.

—Oui.

—Rien de plus vrai, car le voilà.»

La femme le regarda un instant; puis, d'une voix sourde:

«Et s'il était faux?» dit-elle.

Caderousse pâlit et chancela.

«Faux, murmura-t-il, faux... et pourquoi cet homme m'aurait-il donné un diamant faux?

—Pour avoir ton secret sans le payer, imbécile!»

Caderousse resta un instant étourdi sous le poids de cette supposition.

«Oh! dit-il au bout d'un instant, et en prenant son chapeau qu'il posa sur le mouchoir rouge noué autour de sa tête, nous allons bien le savoir.

—Et comment cela?

—C'est la foire à Beaucaire; il y a des bijoutiers de Paris: je vais aller le leur montrer. Toi, garde la maison, femme; dans deux heures je serai de retour.»

Et Caderousse s'élança hors de la maison, et prit tout courant la route opposée à celle que venait de prendre l'inconnu.

«Cinquante mille francs! murmura la Carconte, restée seule, c'est de l'argent... mais ce n'est pas une fortune.»

27. Le récit 27. The story 27. A história

«Avant tout, dit Caderousse, je dois, monsieur, vous prier de me promettre une chose. "First of all," said Caderousse, "I must, sir, beg you to promise me something.

—Laquelle? -Which? demanda l’abbé. asked the abbe.

—C’est que jamais, si vous faites un usage quelconque des détails que je vais vous donner, on ne saura que ces détails viennent de moi, car ceux dont je vais vous parler sont riches et puissants, et, s’ils me touchaient seulement du bout du doigt, ils me briseraient comme verre. -Is never, if you make any use of the details that I am going to give you, we will know that these details come from me, because those which I will speak to you are rich and powerful, and, if they touched me only with the tip of my finger, they would break me like glass.

—Soyez tranquille, mon ami, dit l’abbé, je suis prêtre, et les confessions meurent dans mon sein; rappelez-vous que nous n’avons d’autre but que d’accomplir dignement les dernières volontés de notre ami; parlez donc sans ménagement comme sans haine; dites la vérité, toute la vérité: je ne connais pas et ne connaîtrai probablement jamais les personnes dont vous allez me parler; d’ailleurs, je suis Italien et non pas Français; j’appartiens à Dieu et non pas aux hommes, et je vais rentrer dans mon couvent, dont je ne suis sorti que pour remplir les dernières volontés d’un mourant.» "Be quiet, my friend," said the abbe, "I am a priest, and confessions die in my bosom; remember that we have no other purpose than to carry out worthily the last wishes of our friend; speak then without care as without hatred; tell the truth, the whole truth: I do not know and will probably never know the people you are going to talk to me about; besides, I am Italian and not French; I belong to God and not to men, and I will return to my convent, from which I have come out only to fulfill the last wishes of a dying man. "

Cette promesse positive parut donner à Caderousse un peu d’assurance. This positive promise seemed to give Caderousse a little assurance.

«Eh bien, en ce cas, dit Caderousse, je veux, je dirai même plus, je dois vous détromper sur ces amitiés que le pauvre Edmond croyait sincères et dévouées. "Well, in that case," said Caderousse, "I wish, I will say even more, I must detest you on those friendships which poor Edmond thought sincere and devoted.

—Commençons par son père, s’il vous plaît, dit l’abbé. "Let's start with his father, please," said the abbot. Edmond m’a beaucoup parlé de ce vieillard, pour lequel il avait un profond amour. Edmond told me a lot about this old man, for whom he had a deep love.

—L’histoire est triste, monsieur, dit Caderousse en hochant la tête; vous en connaissez probablement les commencements. "The story is sad, sir," said Caderousse, shaking his head; you probably know the beginnings.

—Oui, répondit l’abbé, Edmond m’a raconté les choses jusqu’au moment où il a été arrêté, dans un petit cabaret près de Marseille. “Yes,” replied the abbe, “Edmond told me things until the moment he was arrested, in a small cabaret near Marseilles.

—À la Réserve! -At the Reserve! ô mon Dieu, oui! O my God, yes! je vois encore la chose comme si j’y étais. I still see it as if I was there.

—N’était-ce pas au repas même de ses fiançailles? Was it not at the very meal of her engagement?

—Oui, et le repas qui avait eu un gai commencement eut une triste fin: un commissaire de police suivi de quatre fusiliers entra, et Dantès fut arrêté. "Yes, and the meal which had had a cheerful beginning had a sad end: a police superintendent followed by four fusiliers entered, and Dantès was arrested.

—Voilà où s’arrête ce que je sais, monsieur, dit le prêtre; Dantès lui-même ne savait rien autre que ce qui lui était absolument personnel, car il n’a jamais revu aucune des cinq personnes que je vous ai nommées, ni entendu parler d’elles. "That's where I stop, sir," said the priest; Dantes himself knew nothing but what was absolutely personal to him, for he never saw any of the five people I mentioned to you, nor heard of them.

—Eh bien, Dantès une fois arrêté, M. Morrel courut prendre des informations: elles furent bien tristes. "Well, Dantes, once arrested, Mr. Morrel ran to get some information: they were very sad. Le vieillard retourna seul dans sa maison, ploya son habit de noces en pleurant, passa toute la journée à aller et venir dans sa chambre, et le soir ne se coucha point, car je demeurais au-dessous de lui et je l’entendis marcher toute la nuit; moi-même, je dois le dire, je ne dormis pas non plus, car la douleur de ce pauvre père me faisait grand mal, et chacun de ses pas me broyait le cœur, comme s’il eût réellement posé son pied sur ma poitrine. The old man returned alone to his house, folded his wedding garment crying, spent the whole day coming and going in his room, and in the evening did not lie down, for I remained below him and I heard him walking All night long; myself, I must say, I did not sleep either, for the pain of this poor father was causing me great pain, and each of his steps was crushing my heart, as if he had really put his foot on my breast .

«Le lendemain, Mercédès vint à Marseille pour implorer la protection de M. de Villefort: elle n’obtint rien; mais, du même coup, elle alla rendre visite au vieillard. "The next day, Mercedes came to Marseilles to implore the protection of M. de Villefort: she obtained nothing; but at the same time she went to visit the old man. Quand elle le vit si morne et abattu, qu’il avait passé la nuit sans se mettre au lit, qu’il n’avait pas mangé depuis la veille, elle voulut l’emmener pour en prendre soin, mais le vieillard ne voulut jamais y consentir. When she saw him so dull and dejected, that he had spent the night without going to bed, that he had not eaten since the day before, she wanted to take him away to take care of it, but the old man never wanted to to consent to it.

«—Non, disait-il, je ne quitterai pas la maison, car c’est moi que mon pauvre enfant aime avant toutes choses, et, s’il sort de prison, c’est moi qu’il accourra voir d’abord. "No," said he, "I will not leave the house, for it is I whom my poor child loves above all things, and if he goes out of prison, it is I who will see him first." . Que dirait-il si je n’étais point là à l’attendre? What would he say if I was not there waiting for him?

«J’écoutais tout cela du carré, car j’aurais voulu que Mercédès déterminât le vieillard à la suivre; ce pas retentissant tous les jours sur ma tête ne me laissait pas un instant de repos. "I listened to all this squared, for I would have liked Mercedes to determine the old man to follow her; this not resounding every day on my head did not leave me a moment of rest.

—Mais ne montiez-vous pas vous-même près du vieillard pour le consoler? "But did not you stand near the old man to console him? demanda le prêtre. asked the priest.

—Ah! monsieur! Sir! répondit Caderousse, on ne console que ceux qui veulent être consolés, et lui ne voulait pas l’être: d’ailleurs, je ne sais pourquoi, mais il me semblait qu’il avait de la répugnance à me voir. replied Caderousse, "we only console those who want to be comforted, and he did not want to be consoled; besides, I do not know why, but it seemed to me that he was reluctant to see me. Une nuit cependant que j’entendais ses sanglots, je n’y pus résister et je montai; mais quand j’arrivai à la porte, il ne sanglotait plus, il priait. One night, however, when I heard her sobs, I could not resist, and I went upstairs; but when I arrived at the door, he no longer sobbed, he prayed. Ce qu’il trouvait d’éloquentes paroles et de pitoyables supplications, je ne saurais vous le redire, monsieur: c’était plus que de la piété, c’était plus que de la douleur; aussi, moi qui ne suis pas cagot et qui n’aime pas les jésuites, je me dis ce jour-là: C’est bien heureux, en vérité, que je sois seul, et que le Bon Dieu ne m’ait pas envoyé d’enfants, car si j’étais père et que je ressentisse une douleur semblable à celle du pauvre vieillard, ne pouvant trouver dans ma mémoire ni dans mon cœur tout ce qu’il dit au Bon Dieu, j’irais tout droit me précipiter dans la mer pour ne pas souffrir plus longtemps. What he found of eloquent words and pitiful supplications, I can not repeat to you, sir: it was more than piety, it was more than pain; Also, I who am not a cagot and do not like the Jesuits, I say to myself that day: It is very happy, in truth, that I am alone, and that the good God did not send me children, because if I were a father and I felt a pain like that of the poor old man, unable to find in my memory and in my heart all he says to God, I would go straight ahead in the sea not to suffer any longer.

—Pauvre père! “Poor father! murmura le prêtre. whispered the priest.

—De jour en jour, il vivait plus seul et plus isolé: souvent M. Morrel et Mercédès venaient pour le voir, mais sa porte était fermée; et, quoique je fusse bien sûr qu’il était chez lui, il ne répondait pas. From day to day, he lived more alone and more isolated: M. Morrel and Mercedes often came to see him, but his door was closed; and although I was sure he was at home, he did not answer. Un jour que, contre son habitude, il avait reçu Mercédès, et que la pauvre enfant, au désespoir elle-même, tentait de le réconforter: One day that, against his habit, he had received Mercedes, and that the poor child, in despair itself, was trying to comfort him:

«—Crois-moi, ma fille, lui dit-il, il est mort; et, au lieu que nous l’attendions, c’est lui qui nous attend: je suis bien heureux, c’est moi qui suis le plus vieux et qui, par conséquent, le reverrai le premier. "-Come to me, my daughter," said he, "he is dead; and, instead of waiting for him, he is the one who is waiting for us: I am very happy, I am the oldest, and therefore will see him first.

«Si bon que l’on soit, voyez-vous, on cesse bientôt de voir les gens qui vous attristent; le vieux Dantès finit par demeurer tout à fait seul: je ne voyais plus monter de temps en temps chez lui que des gens inconnus, qui descendaient avec quelque paquet mal dissimulé; j’ai compris depuis ce que c’était que ces paquets: il vendait peu à peu ce qu’il avait pour vivre. "So good that one is, you see, we stop soon to see the people who sadden you; Old Dantès ended by remaining quite alone: ​​I saw no longer from time to time come up to him other than unknown people, who were coming down with some ill-concealed packet; I understood from what it was that these packages: he sold gradually what he had to live. Enfin, le bonhomme arriva au bout de ses pauvres hardes; il devait trois termes: on menaça de le renvoyer; il demanda huit jours encore, on les lui accorda. At last the good fellow arrived at the end of his poor clothes; he owed three terms; they threatened to send him away; he asked for another week, and they were granted him. Je sus ce détail parce que le propriétaire entra chez moi en sortant de chez lui. I knew this detail because the owner entered my house on leaving his house.

«Pendant les trois premiers jours, je l’entendis marcher comme d’habitude; mais le quatrième, je n’entendis plus rien. "During the first three days I heard him walk as usual; but the fourth, I heard nothing more. Je me hasardai à monter: la porte était fermée; mais à travers la serrure je l’aperçu si pâle et si défait, que, le jugeant bien malade, je fis prévenir M. Morrel et courus chez Mercédès. I ventured to ascend: the door was shut; but, through the lock, I perceived him so pale and so dejected, that, judging him very ill, I had M. Morrel informed and hurried to see Mercedes. Tous deux s’empressèrent de venir. Both hurried to come. M. Morrel amenait un médecin; le médecin reconnut une gastro-entérite et ordonna la diète. M. Morrel brought a doctor; the doctor recognized a gastroenteritis and ordered the diet. J’étais là, monsieur, et je n’oublierai jamais le sourire du vieillard à cette ordonnance. I was there, sir, and I will never forget the old man's smile at this order.

«Dès lors, il ouvrit sa porte: il avait une excuse pour ne plus manger; le médecin avait ordonné la diète.» From that moment he opened his door; he had an excuse for not eating; the doctor ordered the diet. "

L’abbé poussa une espèce de gémissement. The abbot uttered a sort of groan.

«Cette histoire vous intéresse, n’est-ce pas, monsieur? "This story interests you, does not it, sir? dit Caderousse. said Caderousse.

—Oui, répondit l’abbé; elle est attendrissante. "Yes," answered the abbe; she is touching.

—Mercédès revint; elle le trouva si changé, que, comme la première fois, elle voulut le faire transporter chez elle. -Mercedes returned; she found him so changed, that, as the first time, she wanted him carried home. C’était aussi l’avis de M. Morrel, qui voulait opérer le transport de force; mais le vieillard cria tant, qu’ils eurent peur. It was also the opinion of M. Morrel, who wished to effect the transport of force; but the old man cried so much, that they were afraid. Mercédès resta au chevet de son lit. Mercedes stayed at the bedside. M. Morrel s’éloigna en faisant signe à la Catalane qu’il laissait une bourse sur la chemin. M. Morrel went away, motioning the Catalan to leave a purse on the road. Mais, armé de l’ordonnance du médecin, le vieillard ne voulut rien prendre. But, armed with the doctor's prescription, the old man would not take anything. Enfin, après neuf jours de désespoir et d’abstinence, le vieillard expira en maudissant ceux qui avaient causé son malheur et disant à Mercédès: Finally, after nine days of despair and abstinence, the old man expired by cursing those who had caused his misfortune and saying to Mercedes:

«—Si vous revoyez mon Edmond, dites-lui que je meurs en le bénissant.» "If you see my Edmond, tell him that I die by blessing him."

L’abbé se leva, fit deux tours dans la chambre en portant une main frémissante à sa gorge aride. The abbot arose, made two turns in the room, carrying a trembling hand to his arid throat.

«Et vous croyez qu’il est mort.... "And you think he's dead ....

—De faim... monsieur, de faim, dit Caderousse; j’en réponds aussi vrai que nous sommes ici deux chrétiens.» "Hungry, sir, hungry," said Caderousse; I answer as true as we are here two Christians. "

L’abbé, d’une main convulsive, saisit le verre d’eau encore à moitié plein, le vida d’un trait et se rassit les yeux rougis et les joues pâles. The priest, with a convulsive hand, seized the still half-full glass of water, emptied it in one gulp, and sat down again with red eyes and pale cheeks.

«Avouez que voilà un grand malheur! "Admit that this is a great misfortune! dit-il d’une voix rauque. he said hoarsely.

—D’autant plus grand, monsieur, que Dieu n’y est pour rien, et que les hommes seuls en sont cause. "So much greater, sir, that God has nothing to do with it, and that men alone are the cause of it.

—Passons donc à ces hommes, dit l’abbé; mais songez-y, continua-t-il d’un air presque menaçant, vous vous êtes engagé à me tout dire: voyons, quels sont ces hommes qui ont fait mourir le fils de désespoir, et le père de faim? "Let's move on to these men," said the abbe; but think of it, "he continued, almost threateningly," you have undertaken to tell me everything: see, what are these men who have killed the son of despair, and the father of hunger?

—Deux hommes jaloux de lui, monsieur, l’un par amour, l’autre par ambition: Fernand et Danglars. "Two men jealous of him, sir, one for love, the other for ambition: Fernand and Danglars.

—Et de quelle façon se manifesta cette jalousie, dites? “And how did this jealousy manifest itself?

—Ils dénoncèrent Edmond comme agent bonapartiste. They denounced Edmond as a Bonapartist agent.

—Mais lequel des deux le dénonça, lequel des deux fut le vrai coupable. -But which of the two denounced him, which of them was the real culprit.

—Tous deux, monsieur, l’un écrivit la lettre, l’autre la mit à la poste. “Both of you, sir, one wrote the letter, the other mailed it.

—Et où cette lettre fut-elle écrite? And where was this letter written?

—À la Réserve même, la veille du mariage. -On the Reserve itself, the day before the wedding.

—C’est bien cela, c’est bien cela, murmura l’abbé. "That's right, that's right," murmured the abbe. Ô Faria! O Faria! Faria! Faria! comme tu connaissais les hommes et les choses! how you knew men and things!

—Vous dites, monsieur? “You say, sir? demanda Caderousse. asked Caderousse.

—Rien, reprit le prêtre; continuez. "Nothing," replied the priest; continue.

—Ce fut Danglars qui écrivit la dénonciation de la main gauche pour que son écriture ne fût pas reconnue, et Fernand qui l’envoya. It was Danglars who wrote the denunciation of the left hand so that his writing was not recognized, and Fernand sent it.

—Mais, s’écria tout à coup l’abbé, vous étiez là, vous! "But," cried the abbe suddenly, "you were there!

—Moi! -Me! dit Caderousse étonné; qui vous a dit que j’y étais?» said Caderousse, astonished; who told you that I was there? "

L’abbé vit qu’il s’était lancé trop avant. The abbot saw that he had thrown himself too far.

«Personne, dit-il, mais pour être si bien au fait de tous ces détails, il faut que vous en ayez été le témoin. "No one," he said, "but to be so well acquainted with all these details, you must have witnessed them.

—C’est vrai, dit Caderousse d’une voix étouffée, j’y étais. "It's true," said Caderousse in a muffled voice, "I was there.

—Et vous ne vous êtes pas opposé à cette infamie? "And you did not oppose this infamy?" dit l’abbé; alors vous êtes leur complice. said the abbot; then you are their accomplice.

—Monsieur, dit Caderousse, ils m’avaient fait boire tous deux au point que j’en avais à peu près perdu la raison. "Monsieur," said Caderousse, "they had made me both drink so much that I had almost lost my senses. Je ne voyais plus qu’à travers un nuage. I saw only through a cloud. Je dis tout ce que peut dire un homme dans cet état; mais ils me répondirent tous deux que c’était une plaisanterie qu’ils avaient voulu faire, et que cette plaisanterie n’aurait pas de suite. I say all that a man can say in this state; but they both told me that it was a joke they had wanted to make, and that this joke would not follow.

—Le lendemain, monsieur, le lendemain, vous vîtes bien qu’elle en avait; cependant vous ne dîtes rien; vous étiez là cependant lorsqu’il fut arrêté. "The next day, sir, the next day, you see that she had some; but you say nothing; you were there, however, when he was arrested.

—Oui, monsieur, j’étais là et je voulus parler, je voulus tout dire, mais Danglars me retint. "Yes, sir, I was there and I wanted to talk, I wanted to say everything, but Danglars held me back.

—«Et s’il est coupable, par hasard, me dit-il, s’il a véritablement relâché à l’île d’Elbe, s’il est véritablement chargé d’une lettre pour le comité bonapartiste de Paris, si on trouve cette lettre sur lui, ceux qui l’auront soutenu passeront pour ses complices.» "And if he is guilty, by chance," he said to me, "if he has really released Elba, if he is really charged with a letter for the Bonapartist Committee of Paris, if find this letter on him, those who have supported him will pass for his accomplices. "

«J’eus peur de la politique telle qu’elle se faisait alors, je l’avoue; je me tus, ce fut une lâcheté, j’en conviens, mais ce ne fut pas un crime. "I was afraid of politics as it was then, I admit; I was silent, it was a cowardice, I admit, but it was not a crime.

—Je comprends; vous laissâtes faire, voilà tout. -I understand; you let it go, that's all.

—Oui, monsieur, répondit Caderousse, et c’est mon remords de la nuit et du jour. "Yes, sir," replied Caderousse, "and it is my remorse for the night and the day. J’en demande bien souvent pardon à Dieu, je vous le jure, d’autant plus que cette action, la seule que j’aie sérieusement à me reprocher dans tout le cours de ma vie, est sans doute la cause de mes adversités. I often ask pardon of God, I swear to you, especially since this action, the only one that I seriously have to reproach myself with in the whole course of my life, is undoubtedly the cause of my adversities. J’expie un instant d’égoïsme; aussi, c’est ce que je dis toujours à la Carconte lorsqu’elle se plaint: «Tais-toi, femme, c’est Dieu qui le veut ainsi.» I expire a moment of selfishness; so, that's what I always say to La Carconte when she complains, "Shut up, woman, it's God who wants it that way."

Et Caderousse baissa la tête avec tous les signes d’un vrai repentir. And Caderousse lowered his head with all the signs of true repentance.

«Bien, monsieur, dit l’abbé, vous avez parlé avec franchise; s’accuser ainsi, c’est mériter son pardon. "Well, sir," said the abbe, "you spoke frankly; to accuse oneself thus, is to deserve one's forgiveness.

—Malheureusement, dit Caderousse, Edmond est mort et ne m’a pas pardonné, lui! "Unfortunately," said Caderousse, "Edmond is dead and has not forgiven me!

—Il ignorait, dit l’abbé... "He did not know," said the abbe.

—Mais il sait maintenant, peut-être, reprit Caderousse; on dit que les morts savent tout.» "But he knows now, perhaps," said Caderousse; they say that the dead know everything. "

Il se fit un instant de silence: l’abbé s’était levé et se promenait pensif; il revint à sa place et se rassit. There was a moment of silence: the abbe had risen and was walking thoughtfully; he returned to his place and sat down again.

«Vous m’avez nommé déjà deux ou trois fois un certain M. Morrel, dit-il. "You have already named me two or three times a Mr. Morrel," he said. Qu’était-ce que cet homme? What was this man?

—C’était l’armateur du  Pharaon , le patron de Dantès. “It was the Pharaoh's owner, Dantes' boss.

—Et quel rôle a joué cet homme dans toute cette triste affaire? And what role did this man play in all this sad business? demanda l’abbé. asked the abbe.

—Le rôle d’un homme honnête, courageux et affectionné, monsieur. “The role of an honest, courageous and affectionate man, sir. Vingt fois il intercéda pour Edmond; quand l’empereur rentra, il écrivit, pria, menaça, si bien qu’à la seconde Restauration il fut fort persécuté comme bonapartiste. Twenty times he interceded for Edmond; When the Emperor returned, he wrote, prayed, and threatened, so that at the Second Restoration he was much persecuted as a Bonapartist. Dix fois, comme je vous l’ai dit, il était venu chez le père Dantès pour le retirer chez lui, et la veille ou la surveille de sa mort, je vous l’ai dit encore, il avait laissé sur la cheminée une bourse avec laquelle on paya les dettes du bonhomme et l’on subvint à son enterrement; de sorte que le pauvre vieillard put du moins mourir comme il avait vécu, sans faire de tort à personne. Ten times, as I told you, he had come to Father Dantes's to take him home, and the day before or the watch of his death, I told you again, he had left on the chimney a purse. with which one paid the debts of the good man and one subvir at his burial; so that the poor old man could at least die as he had lived, without hurting anyone. C’est encore moi qui ai la bourse, une grande bourse en filet rouge. I still have the purse, a big purse in red net.

—Et, demanda l’abbé, ce M. Morrel vit-il encore? "And," asked the abbe, "does this Morrel still live?

—Oui, dit Caderousse. “Yes,” said Caderousse.

—En ce cas, reprit l’abbé, ce doit être un homme béni de Dieu, il doit être riche... "In that case," said the abbe, "it must be a man blessed by God, he must be rich." heureux?...» happy?..."

Caderousse sourit amèrement. Caderousse smiled bitterly.

«Oui, heureux, comme moi, dit-il. “Yes, happy, like me,” he said.

—M. —Mr. Morrel serait malheureux! Morrel would be unhappy! s’écria l’abbé. cried the abbe.

—Il touche à la misère, monsieur, et bien plus, il touche au déshonneur. -It touches the misery, sir, and more, it touches the dishonor.

—Comment cela? -What do you mean?

—Oui, reprit Caderousse, c’est comme cela; après vingt-cinq ans de travail, après avoir acquis la plus honorable place dans le commerce de Marseille, M. Morrel est ruiné de fond en comble. "Yes," said Caderousse, "it is like that; after twenty-five years of work, after having acquired the most honorable place in the commerce of Marseilles, M. Morrel is ruined from the ground up. Il a perdu cinq vaisseaux en deux ans, a essuyé trois banqueroutes effroyables, et n’a plus d’espérance que dans ce même  Pharaon  que commandait le pauvre Dantès, et qui doit revenir des Indes avec un chargement de cochenille et d’indigo. He has lost five ships in two years, has suffered three appalling bankruptcies, and has no hope except in that same Pharaoh commanded by poor Dantes, and who must return from the Indies with a load of cochineal and indigo. Si ce navire-là manque comme les autres, il est perdu. If this ship misses like the others, it is lost.

—Et, dit l’abbé, a-t-il une femme, des enfants, le malheureux? "And," said the abbe, "does he have a wife, children, the unfortunate?

—Oui, il a une femme qui, dans tout cela, se conduit comme une sainte; il a une fille qui allait épouser un homme qu’elle aimait, et à qui sa famille ne veut plus laisser épouser une fille ruinée; il a un fils enfin, lieutenant dans l’armée; mais, vous le comprenez bien, tout cela double sa douleur au lieu de l’adoucir, à ce pauvre cher homme. "Yes, he has a woman who, in all this, behaves like a saint; he has a daughter who is going to marry a man whom she loves, and to whom her family no longer wishes to marry a ruined girl; he has a son at last, a lieutenant in the army; but, you understand it well, all this doubles his pain, instead of softening it, to this poor dear man. S’il était seul, il se brûlerait la cervelle et tout serait dit. If he were alone, he would burn his brains and everything would be said.

—C’est affreux! -It's horrible! murmura le prêtre. whispered the priest.

—Voilà comme Dieu récompense la vertu, monsieur, dit Caderousse. "It is like God rewards virtue, sir," said Caderousse. Tenez, moi qui n’ai jamais fait une mauvaise action à part ce que je vous ai raconté, moi, je suis dans la misère; moi, après avoir vu mourir ma pauvre femme de la fièvre, sans pouvoir rien faire pour elle, je mourrai de faim comme est mort le père Dantès, tandis que Fernand et Danglars roulent sur l’or. Look, I, who have never done a bad action except what I have told you, I am in misery; I, having seen my poor wife die of fever, without being able to do anything for her, I will die of hunger as Father Dantes has died, while Fernand and Danglars are rolling on gold.

—Et comment cela? “And how is that?

—Parce que tout leur a tourné à bien, tandis qu’aux honnêtes gens tout tourne à mal. -Because everything has turned out well, while honest people everything goes wrong.

—Qu’est devenu Danglars? “What happened to Danglars? le plus coupable, n’est-ce pas, l’instigateur? the most guilty, is not it, the instigator?

—Ce qu’il est devenu? -What did he become? il a quitté Marseille; il est entré, sur la recommandation de M. Morrel, qui ignorait son crime comme commis d’ordre chez un banquier espagnol; à l’époque de la guerre d’Espagne il s’est chargé d’une part dans les fournitures de l’armée française et a fait fortune; alors, avec ce premier argent il a joué sur les fonds, et a triplé, quadruplé ses capitaux, et, veuf lui-même de la fille de son banquier, il a épousé une veuve, Mme de Nargonne, fille de M. Servieux, chambellan du roi actuel, et qui jouit de la plus grande faveur. he left Marseille; he entered, on the recommendation of M. Morrel, who did not know his crime as a clerk at a Spanish banker's; at the time of the war in Spain he took a part in the supplies of the French army and made a fortune; then, with this first money he played on the funds, and tripled, quadrupled his assets, and, widower himself of the daughter of his banker, he married a widow, Madame de Nargonne, daughter of M. Servieux, Chamberlain of the present King, and who enjoys the greatest favor. Il s’était fait millionnaire, on l’a fait baron; de sorte qu’il est baron Danglars maintenant, qu’il a un hôtel rue du Mont-Blanc, dix chevaux dans ses écuries, six laquais dans son antichambre, et je ne sais combien de millions dans ses caisses. He had become a millionaire, he was made a baron; so that he is Baron Danglars now, that he has a hotel in the Rue du Mont-Blanc, ten horses in his stables, six lackeys in his antechamber, and I know not how many millions in his cases.

—Ah! fit l’abbé avec un singulier accent; et il est heureux? said the abbe with a singular accent; and is he happy?

—Ah! heureux, qui peut dire cela? happy, who can say that? Le malheur ou le bonheur, c’est le secret des murailles; les murailles ont des oreilles, mais elles n’ont pas de langue; si l’on est heureux avec une grande fortune, Danglars est heureux. Misfortune or happiness is the secret of the walls; the walls have ears, but they have no tongue; if one is happy with a big fortune, Danglars is happy.

—Et Fernand? “And Fernand?

—Fernand, c’est bien autre chose encore. -Fernand, it's something else again.

—Mais comment a pu faire fortune un pauvre pêcheur catalan, sans ressources, sans éducation? But how could a poor Catalan fisherman make his fortune, without resources, without education? Cela me passe, je vous l’avoue. That passes me, I admit it to you.

—Et cela passe tout le monde aussi; il faut qu’il y ait dans sa vie quelque étrange secret que personne ne sait. -And that passes everyone too; there must be some strange secret in his life that nobody knows.

—Mais enfin par quels échelons visibles a-t-il monté à cette haute fortune ou à cette haute position? But at last, by what visible steps has he risen to this high fortune or high position?

—À toutes deux, monsieur, à toutes deux! "To both of you, sir, to both of you! lui a fortune et position tout ensemble. he has fortune and position all together.

—C’est un conte que vous me faites là. - It's a tale you make me there.

—Le fait est que la chose en a bien l’air; mais écoutez, et vous allez comprendre. -The fact is that the thing looks good; but listen, and you will understand.

«Fernand, quelques jours avant le retour, était tombé à la conscription. "Fernand, a few days before the return, had fallen to conscription. Les Bourbons, le laissèrent bien tranquille aux Catalans, mais Napoléon revint, une levée extraordinaire fut décrétée, et Fernand fut forcé de partir. The Bourbons left him very quiet to the Catalans, but Napoleon returned, an extraordinary levy was decreed, and Fernand was forced to leave. Moi aussi, je partis; mais comme j’étais plus vieux que Fernand et que je venais d’épouser ma pauvre femme, je fus envoyé sur les côtes seulement. I too left; but as I was older than Fernand and I had just married my poor wife, I was sent to the coast only.

«Fernand, lui, fut enrégimenté dans les troupes actives, gagna la frontière avec son régiment, et assista à la bataille de Ligny. Fernand himself was regimented in active troops, reached the frontier with his regiment, and attended the battle of Ligny.

«La nuit qui suivit la bataille, il était de planton à la porte du général qui avait des relations secrètes avec l’ennemi. "The night following the battle, he was a mess at the door of the general who had secret relations with the enemy. Cette nuit même le général devait rejoindre les Anglais. That night the general was to join the English. Il proposa à Fernand de l’accompagner; Fernand accepta, quitta son poste et suivit le général. He proposed to Fernand to accompany him; Fernand accepted, left his post and followed the general.

«Ce qui eût fait passer Fernand à un conseil de guerre si Napoléon fût resté sur le trône lui servit de recommandation près des Bourbons. "What would have made Fernand go to a council of war if Napoleon had remained on the throne served him as a recommendation near the Bourbons. Il rentra en France avec l’épaulette de sous-lieutenant; et comme la protection du général, qui est en haute faveur, ne l’abandonna point, il était capitaine en 1823, lors de la guerre d’Espagne, c’est-à-dire au moment même où Danglars risquait ses premières spéculations. He returned to France with the epaulette of second lieutenant; and as the protection of the general, who is in high favor, did not abandon him, he was captain in 1823, during the Spanish war, that is to say at the very moment when Danglars was risking his first speculations. Fernand était Espagnol, il fut envoyé à Madrid pour y étudier l’esprit de ses compatriotes; il y retrouva Danglars, s’aboucha avec lui, promit à son général un appui parmi les royalistes de la capitale et des provinces, reçut des promesses, prit de son côté des engagements, guida son régiment par les chemins connus de lui seul dans des gorges gardées par des royalistes, et enfin rendit dans cette courte campagne de tels services, qu’après la prise du Trocadéro il fut nommé colonel et reçut la croix d’officier de la Légion d’honneur avec le titre de comte. Fernand was a Spaniard; he was sent to Madrid to study the minds of his compatriots; he found Danglars there, went down with him, promised his general a support among the royalists of the capital and the provinces, received promises, took on his side engagements, guided his regiment by the roads known to him alone in gorges guarded by royalists, and finally rendered in this short campaign such services, that after taking the Trocadero he was appointed colonel and received the cross of officer of the Legion of Honor with the title of count.

—Destinée! -Destiny! destinée! destiny! murmura l’abbé. murmured the abbe.

—Oui, mais écoutez, ce n’est pas le tout. -Yes, but listen, it's not all. La guerre d’Espagne finie, la carrière de Fernand se trouvait compromise par la longue paix qui promettait de régner en Europe. The Spanish war ended, Fernand's career was compromised by the long peace that promised to reign in Europe. La Grèce seule était soulevée contre la Turquie, et venait de commencer la guerre de son indépendance; tous les yeux étaient tournés vers Athènes: c’était la mode de plaindre et de soutenir les Grecs. Greece alone was raised against Turkey, and had just begun the war of her independence; all eyes were turned towards Athens; it was the fashion to pity and support the Greeks. Le gouvernement français, sans les protéger ouvertement, comme vous savez, tolérait les migrations partielles. The French government, without openly protecting them, as you know, tolerated partial migrations. Fernand sollicita et obtint la permission d’aller servir en Grèce, en demeurant toujours porté néanmoins sur les contrôles de l’armée. Fernand solicited and obtained permission to serve in Greece, always remaining focused on the controls of the army.

«Quelque temps après, on apprit que le comte de Morcerf, c’était le nom qu’il portait, était entré au service d’Ali-Pacha avec le grade de général instructeur. "Some time later, it was learned that the Comte de Morcerf, that was the name he bore, had entered the service of Ali Pasha with the rank of general instructor.

«Ali-Pacha fut tué, comme vous savez; mais avant de mourir il récompensa les services de Fernand en lui laissant une somme considérable avec laquelle Fernand revint en France, où son grade de lieutenant général lui fut confirmé. "Ali Pasha was killed, as you know; but before dying he rewarded Fernand's services by leaving him a considerable sum with which Fernand returned to France, where his rank of lieutenant-general was confirmed.

—De sorte qu’aujourd’hui?... -So that today? ... demanda l’abbé. asked the abbe.

—De sorte qu’aujourd’hui, poursuivit Caderousse, il possède un hôtel magnifique à Paris, rue du Helder, nº 27.» "So that today," continued Caderousse, "he has a magnificent hotel in Paris, rue du Helder, No. 27."

L’abbé ouvrit la bouche, demeura un instant comme un homme qui hésite, mais faisant un effort sur lui-même: The abbe opened his mouth, remained for a moment like a man who hesitates, but making an effort on himself:

«Et Mercédès, dit-il, on m’a assuré qu’elle avait disparu? "And Mercedes," said he, "I have been assured that she has disappeared?

—Disparu, dit Caderousse, oui, comme disparaît le soleil pour se lever le lendemain plus éclatant. "Disappeared," said Caderousse, "yes, as the sun disappears and the next day is brighter.

—A-t-elle donc fait fortune aussi? Did she make a fortune too? demanda l’abbé avec un sourire ironique. asked the abbe with an ironic smile.

—Mercédès est à cette heure une des plus grandes dames de Paris, dit Caderousse. "Mercédès is at this hour one of the greatest ladies in Paris," said Caderousse.

—Continuez, dit l’abbé, il me semble que j’écoute le récit d’un rêve. "Go on," said the abbe, "it seems to me that I am listening to the story of a dream. Mais j’ai vu moi-même des choses si extraordinaires, que celles que vous me dites m’étonnent moins. But I have seen things so extraordinary that those you tell me are less surprising.

—Mercédès fut d’abord désespérée du coup qui lui enlevait Edmond. Mercedes was at first despaired at the blow which robbed him of Edmond. Je vous ai dit ses instances près de M. de Villefort et son dévouement pour le père de Dantès. I have told you his authority near M. de Villefort and his devotion to the father of Dantes. Au milieu de son désespoir une nouvelle douleur vint l’atteindre, ce fut le départ de Fernand, de Fernand dont elle ignorait le crime, et qu’elle regardait comme son frère. In the midst of her despair, a new pain came to her, it was the departure of Fernand, of Fernand, whose crime she did not know, and whom she regarded as her brother.

«Fernand partit, Mercédès demeura seule. “Fernand left, Mercédès was left alone.

«Trois mois s’écoulèrent pour elle dans les larmes: pas de nouvelles d’Edmond, pas de nouvelles de Fernand; rien devant les yeux qu’un vieillard qui s’en allait mourant de désespoir. "Three months passed for her in tears: no news of Edmond, no news of Fernand; nothing before the eyes of an old man who was dying of despair.

«Un soir, après être restée toute la journée assise, comme c’était son habitude, à l’angle des deux chemins qui se rendent de Marseille aux Catalans, elle rentra chez elle plus abattue qu’elle ne l’avait encore été: ni son amant ni son ami ne revenaient par l’un ou l’autre de ces deux chemins, et elle n’avait de nouvelles ni de l’un ni de l’autre. "One evening, after having remained all day sitting, as was her custom, at the corner of the two roads that go from Marseilles to the Catalans, she went home more dejected than she had been yet: neither her lover nor her friend came back by either of these two roads, and she had no news of either.

«Tout à coup il lui sembla entendre un pas connu; elle se retourna avec anxiété, la porte s’ouvrit, elle vit apparaître Fernand avec son uniforme de sous-lieutenant. Suddenly he seemed to hear a known step; she turned anxiously, the door opened, she saw Fernand appear with his second lieutenant's uniform.

«Ce n’était pas la moitié de ce qu’elle pleurait, mais c’était une portion de sa vie passée qui revenait à elle. "It was not half of what she cried, but it was a portion of her past life coming back to her.

«Mercédès saisit les mains de Fernand avec un transport que celui-ci prit pour de l’amour, et qui n’était que la joie de n’être plus seule au monde et de revoir enfin un ami, après de longues heures de la tristesse solitaire. "Mercedes took Fernand's hands with a transport that he took for love, and that was only the joy of being no longer alone in the world and finally seeing a friend after long hours of the solitary sadness. Et puis, il faut le dire, Fernand n’avait jamais été haï, il n’était pas aimé, voilà tout; un autre tenait tout le cœur de Mercédès, cet autre était absent... était disparu... était mort peut-être. And then, it must be said, Fernand had never been hated, he was not loved, that's all; another held the whole heart of Mercedes, that other was absent ... was gone ... was dead maybe. À cette dernière idée, Mercédès éclatait en sanglots et se tordait les bras de douleur; mais cette idée, qu’elle repoussait autrefois quand elle lui était suggérée par un autre lui revenait maintenant tout seule à l’esprit; d’ailleurs, de son côté, le vieux Dantès ne cessait de lui dire: «Notre Edmond est mort, car s’il n’était pas mort, il nous reviendrait.» At this last thought, Mercedes broke out in tears and wrung his arms in pain; but this idea, which she had previously rejected when she was suggested to him by another, now returned to her alone; besides, on his side, old Dantès kept saying to him: "Our Edmond is dead, for if he were not dead, he would come back to us."

«Le vieillard mourut, comme je vous l’ai dit: s’il eût vécu, peut-être Mercédès ne fût-elle jamais devenue la femme d’un autre; car il eût été là pour lui reprocher son infidélité. "The old man died, as I told you: if he had lived, perhaps Mercedes had never become the wife of another; for he would have been there to reproach him for his infidelity. Fernand comprit cela. Fernand understood this. Quand il connut la mort du vieillard, il revint. When he heard of the old man's death, he returned. Cette fois, il était lieutenant. This time he was a lieutenant. Au premier voyage, il n’avait pas dit à Mercédès un mot d’amour; au second, il lui rappela qu’il l’aimait. On the first trip, he had not said a word of love to Mercédès; at the second, he reminded her that he loved her.

«Mercédès lui demanda six mois encore pour attendre et pleurer Edmond. “Mercedes asked him six more months to wait and mourn Edmond.

—Au fait, dit l’abbé avec un sourire amer, cela faisait dix-huit mois en tout. "In fact," said the abbot, with a bitter smile, "it was eighteen months in all. Que peut demander davantage l’amant le plus adoré?» What more can the most adored lover ask for? "

Puis il murmura les paroles du poète anglais:  Frailty, thy name is woman! Then he murmured the words of the English poet: Frailty, thy name is woman!

«Six mois après, reprit Caderousse, le mariage eut lieu à l’église des Accoules. “Six months later,” continued Caderousse, “the wedding took place at the Church of Accoules.

—C’était la même église où elle devait épouser Edmond, murmura le prêtre; il n’y avait que le fiancé de changé, voilà tout. "It was the same church where she was to marry Edmond," murmured the priest; there was only the fiance changed, that's all.

—Mercédès se maria donc, continua Caderousse; mais, quoique aux yeux de tous elle parût calme, elle ne manqua pas moins de s’évanouir en passant devant la Réserve, où dix-huit mois auparavant avaient été célébrées ses fiançailles avec celui qu’elle eût vu qu’elle aimait encore, si elle eût oser regarder au fond de son cœur. "Mercedes was married, then," continued Caderousse; but, though in the eyes of all she seemed calm, she did not fail to faint as she passed the Reserve, where eighteen months before had been celebrated her engagement with the woman whom she had seen that she still loved, if she dared to look deep in her heart.

«Fernand, plus heureux, mais non pas plus tranquille, car je le vis à cette époque, et il craignait sans cesse le retour d’Edmond, Fernand s’occupa aussitôt de dépayser sa femme et de s’exiler lui-même; il y avait à la fois trop de dangers et de souvenirs à rester aux Catalans. "Fernand, more fortunate, but not more tranquil, for I saw him at that time, and he was constantly afraid of Edmond's return. Fernand immediately took care of disorienting his wife and exiling himself; At the same time, there were too many dangers and memories to stay with the Catalans. Huit jours après la noce, ils partirent. Eight days after the wedding, they left.

—Et revîtes-vous Mercédès? "And are you thinking of Mercedes? demanda le prêtre. asked the priest.

—Oui, au moment de la guerre d’Espagne, à Perpignan où Fernand l’avait laissée; elle faisait alors l’éducation de son fils.» "Yes, at the moment of the Spanish war, at Perpignan, where Fernand had left her; she was then educating her son. "

L’abbé tressaillit. The abbot shuddered. «De son fils? "Of his son? dit-il. he said.

—Oui, répondit Caderousse, du petit Albert. "Yes," replied Caderousse, "of little Albert."

—Mais pour instruire ce fils, continua l’abbé, elle avait donc reçu de l’éducation elle-même? "But to instruct this son," continued the abbe, "she had received education herself? Il me semblait avoir entendu dire à Edmond que c’était la fille d’un simple pêcheur, belle, mais inculte. It seemed to me that I had heard Edmond say that it was the daughter of a simple fisherman, beautiful, but uneducated.

—Oh! dit Caderousse, connaissait-il donc si mal sa propre fiancée! said Caderousse, he knew so badly his own fiancée! Mercédès eût pu devenir reine, monsieur, si la couronne se devait poser seulement sur les têtes les plus belles et les plus intelligentes. Mercedes could have become queen, sir, if the crown should be placed only on the most beautiful and intelligent heads. Sa fortune grandissait déjà, et elle grandissait avec sa fortune. Her fortune was growing, and she was growing with her fortune. Elle apprenait le dessin, elle apprenait la musique, elle apprenait tout. She learned drawing, she learned music, she learned everything. D’ailleurs, je crois, entre nous, qu’elle ne faisait tout cela que pour se distraire, pour oublier, et qu’elle ne mettait tant de choses dans sa tête que pour combattre ce qu’elle avait dans le cœur. Besides, I believe, between us, that she did all this to distract herself, to forget, and that she put so much in her head that to fight what she had in her heart. Mais maintenant tout doit être dit, continua Caderousse: la fortune et les honneurs l’ont consolée sans doute. But now everything must be said, continued Caderousse: fortune and honors have no doubt comforted her. Elle est riche, elle est comtesse, et cependant...» She is rich, she is a countess, and yet ... "

Caderousse s’arrêta. Caderousse stopped.

«Cependant quoi? "But what? demanda l’abbé. asked the abbe.

—Cependant, je suis sûr qu’elle n’est pas heureuse, dit Caderousse. "However, I'm sure she's not happy," said Caderousse.

—Et qui vous le fait croire? “And who made you believe that?

—Eh bien, quand je me suis trouvé trop malheureux moi-même, j’ai pensé que mes anciens amis m’aideraient en quelque chose. -Well, when I found myself too unhappy myself, I thought that my old friends would help me in something. Je me suis présenté chez Danglars, qui ne m’a pas même reçu. I went to see Danglars, who did not even receive me. J’ai été chez Fernand, qui m’a fait remettre cent francs par son valet de chambre. I went to see Fernand, who gave me a hundred francs from his valet.

—Alors vous ne les vîtes ni l’un ni l’autre? "Then you do not see them?

—Non; mais Mme de Morcerf m’a vu, elle. -No; but Madame de Morcerf saw me, she.

—Comment cela? -What do you mean?

—Lorsque je suis sorti, une bourse est tombée à mes pieds, elle contenait vingt-cinq louis: j’ai levé vivement la tête et j’ai vu Mercédès qui refermait la persienne. -When I went out, a purse fell at my feet, it contained twenty-five louis: I raised my head quickly and I saw Mercedes closing the shutter.

—Et M. de Villefort? "What about M. de Villefort?" demanda l’abbé. asked the abbe.

—Oh! lui n’avait pas été mon ami; je ne le connaissais pas; lui, je n’avais rien à lui demander. he had not been my friend; I did not know him; him, I had nothing to ask him.

—Mais ne savez-vous point ce qu’il est devenu, et la part qu’il a prise au malheur d’Edmond? "But do you not know what has become of him, and what part he has taken of Edmond's misfortune?

—Non, je sais seulement que, quelque temps après l’avoir fait arrêter, il a épousé Mlle de Saint-Méran, et bientôt a quitté Marseille. "No, I only know that some time after having arrested him, he married Mademoiselle de Saint-Meran, and soon left Marseilles. Sans doute que le bonheur lui aura souri comme aux autres, sans doute qu’il est riche comme Danglars, considéré comme Fernand; moi seul, vous le voyez, suis resté pauvre, misérable et oublié de Dieu. Doubtless his happiness will have smiled on him as on others, no doubt that he is rich like Danglars, considered as Fernand; I alone, you see, have remained poor, miserable, and forgotten by God.

—Vous vous trompez, mon ami, dit l’abbé: Dieu peut paraître oublier parfois, quand sa justice se repose; mais il vient toujours un moment où il se souvient, et en voici la preuve.» "You are mistaken, my friend," said the abbe. "God may seem to forget sometimes when his justice is at rest; but there always comes a time when he remembers, and here is the proof. "

À ces mots, l’abbé tira le diamant de sa poche, et le présentant à Caderousse: At these words, the abbot took the diamond from his pocket, and presenting it to Caderousse:

«Tenez, mon ami, lui dit-il, prenez ce diamant, car il est à vous. "Here, my friend," said he, "take this diamond, for it is yours.

—Comment, à moi seul! “How, to me alone! s’écria Caderousse! cried Caderousse! Ah! Ah! monsieur, ne raillez-vous pas? sir, aren't you joking?

—Ce diamant devait être partagé entre ses amis: Edmond n’avait qu’un seul ami, le partage devient donc inutile. -This diamond was to be shared between his friends: Edmond had only one friend, so the sharing becomes useless. Prenez ce diamant et vendez-le; il vaut cinquante mille francs, je vous le répète, de cette somme, je l’espère, suffira pour vous tirer de la misère. Take this diamond and sell it; it is worth fifty thousand francs, I repeat to you, of this sum, I hope, will suffice to bring you out of misery.

—Oh! monsieur, dit Caderousse en avançant timidement une main et en essuyant de l’autre la sueur qui perlait sur son front; oh! sir, "said Caderousse, timidly advancing one hand and wiping the other with the sweat that was beading on his forehead; Oh! monsieur, ne faites pas une plaisanterie du bonheur ou du désespoir d’un homme! sir, do not make a joke of the happiness or despair of a man!

—Je sais ce que c’est que le bonheur et ce que c’est que le désespoir, et je ne jouerai jamais à plaisir avec les sentiments. -I know what happiness is and what it is that despair, and I will never play with pleasure with feelings. Prenez donc, mais en échange...» So take, but in exchange ... "

Caderousse qui touchait déjà le diamant, retira sa main. Caderousse, who was already touching the diamond, withdrew his hand.

L’abbé sourit. The abbot smiles.

«En échange, continua-t-il, donnez-moi cette bourse de soie rouge que M. Morrel avait laissée sur la cheminée du vieux Dantès, et qui, me l’avez-vous dit, est encore entre vos mains.» "In exchange," he continued, "give me that red silk purse which M. Morrel had left on the mantelpiece of old Dantes, and which, you have told me, is still in your hands."

Caderousse, de plus en plus étonné, alla vers une grande armoire de chêne, l’ouvrit et donna à l’abbé une bourse longue, de soie rouge flétrie, et autour de laquelle glissaient deux anneaux de cuivre dorés autrefois. Caderousse, more and more astonished, went to a large oak cupboard, opened it, and gave the abbe a long purse, of withered red silk, and around which were slipped two gilded copper rings formerly.

L’abbé la prit, et en sa place donna le diamant à Caderousse. The abbe took it, and in his place gave the diamond to Caderousse.

«Oh! vous êtes un homme de Dieu, monsieur! you are a man of God, sir! s’écria Caderousse, car en vérité personne ne savait qu’Edmond vous avait donné ce diamant et vous auriez pu le garder. exclaimed Caderousse, for no one really knew that Edmond had given you this diamond and you could have kept it.

—Bien, se dit tout bas l’abbé, tu l’eusses fait, à ce qu’il paraît, toi.» "Well," said the abbe to himself, "you would have done it, as it seems, you."

L’abbé se leva, prit son chapeau et ses gants. The abbot arose, took his hat and his gloves.

«Ah çà, dit-il, tout ce que vous m’avez dit est bien vrai, n’est-ce pas, et je puis y croire en tout point? "Ah," said he, "all that you have told me is true, is it not, and I can believe it in every respect?

—Tenez, monsieur l’abbé; dit Caderousse, voici dans le coin de ce mur un christ de bois bénit; voici sur ce bahut le livre d’évangiles de ma femme: ouvrez ce livre, et je vais vous jurer dessus, la main étendue vers le christ, je vais vous jurer sur le salut de mon âme, sur ma foi de chrétien, que je vous ai dit toutes choses comme elles s’étaient passées, et comme l’ange des hommes le dira à l’oreille de Dieu le jour du jugement dernier! "Here, Monsieur l'Abbe; said Caderousse, "here is in the corner of this wall a blessed wooden christ; Here on this chest is my wife's book of gospels: open this book, and I will swear to you, hand extended to Christ, I will swear to you on the salvation of my soul, on my faith as a Christian, that I have told you all things as they were, and as the angel of men will say in the ear of God on the day of the last judgment!

—C’est bien, dit l’abbé, convaincu par cet accent que Caderousse disait la vérité, c’est bien; que cet argent vous profite! "It is well," said the abbe, convinced by this accent that Caderousse was telling the truth; that this money benefits you! Adieu, je retourne loin des hommes qui se font tant de mal les uns aux autres.» Farewell, I'm going back far from the men who hurt each other so much. "

Et l’abbé, se délivrant à grand peine des enthousiastes élans de Caderousse, leva lui-même la barre de la porte, sortit, remonta à cheval, salua une dernière fois l’aubergiste qui se confondait en adieux bruyants, et partit, suivant la même direction qu’il avait déjà suivie pour venir. And the abbe, relieving himself with great enthusiasm of Caderousse's enthusiasts, raised the bar himself, went out, mounted his horse, bowed one last time to the innkeeper, who was mingled in noisy farewells, and set out, following the same direction he had already followed to come.

Quand Caderousse se retourna, il vit derrière lui la Carconte plus pâle et plus tremblante que jamais. When Caderousse turned, he saw behind him the Carconte, paler and more trembling than ever.

«Est-ce bien vrai, ce que j’ai entendu? "Is that true, what did I hear? dit-elle. she says.

—Quoi? -What? qu’il nous donnait le diamant pour nous tout seuls? that he gave us the diamond for us alone? dit Caderousse, presque fou de joie. said Caderousse, almost mad with joy.

—Oui.

—Rien de plus vrai, car le voilà.» "No more true, for he is here."

La femme le regarda un instant; puis, d’une voix sourde: The woman looked at him for a moment; then, in a muffled voice:

«Et s’il était faux?» dit-elle. "What if it's wrong?" She said.

Caderousse pâlit et chancela. Caderousse paled and staggered.

«Faux, murmura-t-il, faux... et pourquoi cet homme m’aurait-il donné un diamant faux? "False," he murmured, "false ... and why would this man have given me a fake diamond?

—Pour avoir ton secret sans le payer, imbécile!» -To get your secret without paying, fool! »

Caderousse resta un instant étourdi sous le poids de cette supposition. Caderousse remained for a moment stunned by the weight of this supposition.

«Oh! "Oh! dit-il au bout d’un instant, et en prenant son chapeau qu’il posa sur le mouchoir rouge noué autour de sa tête, nous allons bien le savoir. he said after a moment, and taking his hat, which he put on the red handkerchief tied around his head, we will know it well.

—Et comment cela? -And how?

—C’est la foire à Beaucaire; il y a des bijoutiers de Paris: je vais aller le leur montrer. It is the fair at Beaucaire; there are Paris jewelers: I will go and show them them. Toi, garde la maison, femme; dans deux heures je serai de retour.» You, keep the house, woman; in two hours I'll be back. "

Et Caderousse s’élança hors de la maison, et prit tout courant la route opposée à celle que venait de prendre l’inconnu. And Caderousse sprang out of the house, and took all the current opposite to that which the unknown had taken.

«Cinquante mille francs! "Fifty thousand francs! murmura la Carconte, restée seule, c’est de l’argent... mais ce n’est pas une fortune.» muttered Carconte, left alone, it's money ... but it's not a fortune. "