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Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas, Tome 1, 26. L'auberge du pont du Gard

26. L'auberge du pont du Gard

Ceux qui, comme moi, ont parcouru à pied le Midi de la France ont pu remarquer entre Bellegarde et Beaucaire, à moitié chemin à peu près du village à la ville, mais plus rapprochée cependant de Beaucaire que de Bellegarde, une petite auberge où pend, sur une plaque de tôle qui grince au moindre vent, une grotesque représentation du pont du Gard. Cette petite auberge, en prenant pour règle le cours du Rhône, est située au côté gauche de la route, tournant le dos au fleuve; elle est accompagnée de ce que dans le Languedoc on appelle un jardin: c'est-à-dire que la face opposée à celle qui ouvre sa porte aux voyageurs donne sur un enclos où rampent quelques oliviers rabougris et quelques figuiers sauvages au feuillage argenté par la poussière; dans leurs intervalles poussent, pour tout légume, des aulx, des piments et des échalotes; enfin, à l'un de ses angles, comme une sentinelle oubliée, un grand pin parasol élance mélancoliquement sa tige flexible, tandis que sa cime, épanouie en éventail, craque sous un soleil de trente degrés.

Tous ces arbres, grands ou petits se courbent inclinés naturellement dans la direction où passe le mistral, l'un des trois fléaux de la Provence; les deux autres, comme on sait ou comme on ne sait pas, étant la Durance et le Parlement.

Çà et là, dans la plaine environnante, qui ressemble à un grand lac de poussière, végètent quelques tiges de froment que les horticulteurs du pays élèvent sans doute par curiosité et dont chacune sert de perchoir à une cigale qui poursuit de son chant aigre et monotone les voyageurs égarés dans cette thébaïde.

Depuis sept ou huit ans à peu près, cette petite auberge était tenue par un homme et une femme ayant pour tout domestique une fille de chambre appelée Trinette et un garçon d'écurie répondant au nom de Pacaud; double coopération qui au reste suffisait largement aux besoins du service, depuis qu'un canal creusé de Beaucaire à Aigues-mortes avait fait succéder victorieusement les bateaux au roulage accéléré, et le coche à la diligence.

Ce canal, comme pour rendre plus vifs encore les regrets du malheureux aubergiste qu'il ruinait, passait entre le Rhône qui l'alimente et la route qu'il épuise, à cent pas à peu près de l'auberge dont nous venons de donner une courte mais fidèle description.

L'hôtelier qui tenait cette petite auberge pouvait être un homme de quarante à quarante-cinq ans, grand, sec et nerveux, véritable type méridional avec ses yeux enfoncés et brillants, son nez en bec d'aigle et ses dents blanches comme celles d'un animal carnassier. Ses cheveux, qui semblaient, malgré les premiers souffles de l'âge, ne pouvoir se décider à blanchir, étaient, ainsi que sa barbe, qu'il portait en collier, épais, crépus et à peine parsemés de quelques poils blancs. Son teint, hâlé naturellement, s'était encore couvert d'une nouvelle couche de bistre par l'habitude que le pauvre diable avait prise de se tenir depuis le matin jusqu'au soir sur le seuil de sa porte, pour voir si, soit à pied, soit en voiture, il ne lui arrivait pas quelque pratique: attente presque toujours déçue, et pendant laquelle il n'opposait à l'ardeur dévorante du soleil d'autre préservatif pour son visage qu'un mouchoir rouge noué sur sa tête, à la manière des muletiers espagnols. Cet homme, c'était notre ancienne connaissance Gaspard Caderousse.

Sa femme, au contraire, qui, de son nom de fille, s'appelait Madeleine Radelle, était une femme pâle, maigre et maladive; née aux environs d'Arles, elle avait, tout en conservant les traces primitives de la beauté traditionnelle de ses compatriotes, vu son visage se délabrer lentement dans l'accès presque continuel d'une de ces fièvres sourdes si communes parmi les populations voisines des étangs d'Aigues-mortes et des marais de la Camargue. Elle se tenait donc presque toujours assise et grelottante au fond de sa chambre située au premier, soit étendue dans un fauteuil, soit appuyée contre son lit, tandis que son mari montait à la porte sa faction habituelle: faction qu'à prolongeait d'autant plus volontiers que chaque fois qu'il se retrouvait avec son aigre moitié, celle-ci le poursuivait de ses plaintes éternelles contre le sort, plaintes auxquelles son mari ne répondait d'habitude que par ces paroles philosophiques:

«Tais-toi, la Carconte! c'est Dieu qui le veut comme cela.»

Ce sobriquet venait de ce que Madeleine Radelle était née dans le village de la Carconte, situé entre Salon et Lambesc. Or, suivant une habitude du pays, qui veut que l'on désigne presque toujours les gens par un surnom au lieu de les désigner par un nom, son mari avait substitué cette appellation à celle de Madeleine, trop douce et trop euphonique peut-être pour son rude langage.

Cependant, malgré cette prétendue résignation aux décrets de la Providence, que l'on n'aille pas croire que notre aubergiste ne sentît pas profondément l'état de misère où l'avait réduit ce misérable canal de Beaucaire, et qu'il fût invulnérable aux plaintes incessantes dont sa femme le poursuivait. C'était, comme tous les Méridionaux, un homme sobre et sans de grands besoins, mais vaniteux pour les choses extérieures; aussi, au temps de sa prospérité, il ne laissait passer ni une ferrade, ni une procession de la tarasque sans s'y montrer avec la Carconte, l'un dans ce costume pittoresque des hommes du Midi et qui tient à la fois du catalan et de l'andalou; l'autre avec ce charmant habit des femmes d'Arles qui semble emprunté à la Grèce et à l'Arabie; mais peu à peu, chaînes de montres, colliers, ceinturés aux mille couleurs, corsages brodés, vestes de velours, bas à coins élégants, guêtres bariolées, souliers à boucles d'argent avaient disparu, et Gaspard Caderousse, ne pouvant plus se montrer à la hauteur de sa splendeur passée, avait renoncé pour lui et pour sa femme à toutes ces pompes mondaines, dont il entendait, en se rongeant sourdement le cœur, les bruits joyeux retentir jusqu'à cette pauvre auberge, qu'il continuait de garder bien plus comme un abri que comme une spéculation.

Caderousse s'était donc tenu, comme c'était son habitude, une partie de la matinée devant la porte, promenant son regard mélancolique d'un petit gazon pelé, où picoraient quelques poules, aux deux extrémités du chemin désert qui s'enfonçait d'un côté au midi et de l'autre au nord, quand tout à coup la voix aigre de sa femme le força de quitter son poste; il rentra en grommelant et monta au premier laissant néanmoins la porte toute grande ouverte comme pour inviter les voyageurs à ne pas l'oublier en passant.

Au moment où Caderousse rentrait, la grande route dont nous avons parlé, et que parcouraient ses regards, était aussi nue et aussi solitaire que le désert à midi; elle s'étendait, blanche et infinie, entre deux rangées d'arbres maigres, et l'on comprenait parfaitement qu'aucun voyageur, libre de choisir une autre heure du jour, ne se hasardât dans cet effroyable Sahara.

Cependant, malgré toutes les probabilités, s'il fût resté à son poste, Caderousse aurait pu voir poindre, du côté de Bellegarde, un cavalier et un cheval venant de cette allure honnête et amicale qui indique les meilleures relations entre le cheval et le cavalier; le cheval était un cheval hongre, marchant agréablement l'amble; le cavalier était un prêtre vêtu de noir et coiffé d'un chapeau à trois cornes, malgré la chaleur dévorante du soleil alors à son midi; ils n'allaient tous deux qu'à un trot fort raisonnable.

Arrivé devant la porte, le groupe s'arrêta: il eût été difficile de décider si ce fut le cheval qui arrêta l'homme ou l'homme qui arrêta le cheval; mais en tout cas le cavalier mit pied à terre, et, tirant l'animal par la bride, il alla l'attacher au tourniquet d'un contrevent délabré qui ne tenait plus qu'à un gond; puis s'avançant vers la porte, en essuyant d'un mouchoir de coton rouge son front ruisselant de sueur, le prêtre frappa trois coups sur le seuil, du bout ferré de la canne qu'il tenait à la main.

Aussitôt, un grand chien noir se leva et fit quelques pas en aboyant et en montrant ses dents blanches et aiguës; double démonstration hostile qui prouvait le peu d'habitude qu'il avait de la société.

Aussitôt, un pas lourd ébranla l'escalier de bois rampant le long de la muraille, et que descendait, en se courbant et à reculons, l'hôte du pauvre logis à la porte duquel se tenait le prêtre.

«Me voilà! disait Caderousse tout étonné, me voilà! veux-tu te taire, Margottin! N'ayez pas peur, monsieur, il aboie, mais il ne mord pas. Vous désirez du vin, n'est-ce pas? car il fait une polissonne de chaleur.... Ah! pardon, interrompit Caderousse, en voyant à quelle sorte de voyageur il avait affaire, je ne savais pas qui j'avais l'honneur de recevoir; que désirez-vous, que demandez-vous, monsieur l'abbé? je suis à vos ordres.»

Le prêtre regarda cet homme pendant deux ou trois secondes avec une attention étrange, il parut même chercher à attirer de son côté sur lui l'attention de l'aubergiste; puis, voyant que les traits de celui-ci n'exprimaient d'autre sentiment que la surprise de ne pas recevoir une réponse, il jugea qu'il était temps de faire cesser cette surprise, et dit avec un accent italien très prononcé:

«N'êtes-vous pas monsou Caderousse?

—Oui, monsieur, dit l'hôte peut-être encore plus étonné de la demande qu'il ne l'avait été du silence, je le suis en effet; Gaspard Caderousse, pour vous servir.

—Gaspard Caderousse... oui, je crois que c'est là le prénom et le nom; vous demeuriez autrefois Allées de Meilhan, n'est-ce pas? au quatrième?

—C'est cela.

—Et vous y exerciez la profession de tailleur?

—Oui, mais l'état a mal tourné: il fait si chaud à ce coquin de Marseille que l'on finira, je crois, par ne plus s'y habiller du tout. Mais à propos de chaleur, ne voulez-vous pas vous rafraîchir, monsieur l'abbé?

—Si fait, donnez-moi une bouteille de votre meilleur vin, et nous reprendrons la conversation, s'il vous plaît, où nous la laissons.

—Comme il vous fera plaisir, monsieur l'abbé» dit Caderousse.

Et pour ne pas perdre cette occasion de placer une des dernières bouteilles de vin de Cahors qui lui restaient, Caderousse se hâta de lever une trappe pratiquée dans le plancher même de cette espèce de chambre du rez-de-chaussée, qui servait à la fois de salle et de cuisine.

Lorsque au bout de cinq minutes il reparut, il trouva l'abbé assis sur un escabeau, le coude appuyé à une table longue, tandis que Margottin, qui paraissait avoir fait sa paix avec lui en entendant que, contre l'habitude, ce voyageur singulier allait prendre quelque chose, allongeait sur sa cuisse son cou décharné et son œil langoureux.

«Vous êtes seul? demanda l'abbé à son hôte, tandis que celui-ci posait devant lui la bouteille et un verre.

—Oh! mon Dieu! oui! seul ou à peu près, monsieur l'abbé; car j'ai ma femme qui ne me peut aider en rien, attendu qu'elle est toujours malade, la pauvre Carconte.

—Ah! vous êtes marié! dit le prêtre avec une sorte d'intérêt, et en jetant autour de lui un regard qui paraissait estimer à sa mince valeur le maigre mobilier du pauvre ménage.

—Vous trouvez que je ne suis pas riche, n'est-ce pas monsieur l'abbé? dit en soupirant Caderousse; mais que voulez-vous! il ne suffit pas d'être honnête homme pour prospérer dans ce monde.»

L'abbé fixa sur lui un regard perçant.

«Oui, honnête homme; de cela, je puis me vanter, monsieur, dit l'hôte en soutenant le regard de l'abbé, une main sur sa poitrine et en hochant la tête du haut en bas; et, dans notre époque, tout le monde n'en peut pas dire autant.

—Tant mieux si ce dont vous vous vantez est vrai, dit l'abbé; car tôt ou tard, j'en ai la ferme conviction, l'honnête homme est récompensé et le méchant puni.

—C'est votre état de dire cela, monsieur l'abbé; c'est votre état de dire cela, reprit Caderousse avec une expression amère; après cela, on est libre de ne pas croire ce que vous dites.

—Vous avez tort de parler ainsi, monsieur, dit l'abbé, car peut-être vais-je être moi-même pour vous, tout à l'heure, une preuve de ce que j'avance.

—Que voulez-vous dire? demanda Caderousse d'un air étonné.

—Je veux dire qu'il faut que je m'assure avant tout si vous êtes celui à qui j'ai affaire.

—Quelles preuves voulez-vous que je vous donne?

—Avez-vous connu en 1814 ou 1815 un marin qui s'appelait Dantès?

—Dantès!... si je l'ai connu, ce pauvre Edmond! je le crois bien! c'était même un de mes meilleurs amis! s'écria Caderousse, dont un rouge de pourpre envahit le visage, tandis que l'œil clair et assuré de l'abbé semblait se dilater pour couvrir tout entier celui qu'il interrogeait.

—Oui, je crois en effet qu'il s'appelait Edmond.

—S'il s'appelait Edmond, le petit! je le crois bien! aussi vrai que je m'appelle, moi, Gaspard Caderousse. Et qu'est-il devenu, monsieur, ce pauvre Edmond? continua l'aubergiste; l'auriez-vous connu? vit-il encore? est-il libre? est-il heureux?

—Il est mort prisonnier, plus désespéré et plus misérable que les forçats qui traînent leur boulet au bagne de Toulon.»

Une pâleur mortelle succéda sur le visage de Caderousse à la rougeur qui s'en était d'abord emparée. Il se retourna et l'abbé lui vit essuyer une larme avec un coin du mouchoir rouge qui lui servait de coiffure.

«Pauvre petit! murmura Caderousse. Eh bien, voilà encore une preuve de ce que je vous disais monsieur l'abbé, que le Bon Dieu n'était bon que pour les mauvais. Ah! continua Caderousse, avec ce langage coloré des gens du Midi, le monde va de mal en pis, qu'il tombe donc du ciel deux jours de poudre et une heure de feu, et que tout soit dit!

—Vous paraissez aimer ce garçon de tout votre cœur, monsieur, demanda l'abbé.

—Oui, je l'aimais bien, dit Caderousse quoique j'aie à me reprocher d'avoir un instant envié son bonheur. Mais depuis, je vous le jure, foi de Caderousse, j'ai bien plaint son malheureux sort.»

Il se fit un instant de silence pendant lequel le regard fixe de l'abbé ne cessa point un instant d'interroger la physionomie mobile de l'aubergiste.

«Et vous l'avez connu, le pauvre petit? continua Caderousse.

—J'ai été appelé à son lit de mort pour lui offrir les derniers secours de la religion, répondit l'abbé.

—Et de quoi est-il mort? demanda Caderousse d'une voix étranglée.

—Et de quoi meurt-on en prison quand on y meurt à trente ans, si ce n'est de la prison elle-même?»

Caderousse essuya la sueur qui coulait de son front.

«Ce qu'il y a d'étrange dans tout cela, reprit l'abbé, c'est que Dantès, à son lit de mort, sur le christ dont il baisait les pieds, m'a toujours juré qu'il ignorait la véritable cause de sa captivité.

—C'est vrai, c'est vrai, murmura Caderousse, il ne pouvait pas le savoir; non, monsieur l'abbé, il ne mentait pas, le pauvre petit.

—C'est ce qui fait qu'il m'a chargé d'éclaircir son malheur qu'il n'avait jamais pu éclaircir lui-même, et de réhabiliter sa mémoire, si cette mémoire avait reçu quelque souillure.»

Et le regard de l'abbé, devenant de plus en plus fixe, dévora l'expression presque sombre qui apparut sur le visage de Caderousse.

«Un riche Anglais, continua l'abbé, son compagnon d'infortune, et qui sortit de prison, à la seconde Restauration, était possesseur d'un diamant d'une grande valeur. En sortant de prison, il voulut laisser à Dantès, qui, dans une maladie qu'il avait faite, l'avait soigné comme un frère, un témoignage de sa reconnaissance en lui laissant ce diamant.

Dantès, au lieu de s'en servir pour séduire ses geôliers, qui d'ailleurs pouvaient le prendre et le trahir après, le conserva toujours précieusement pour le cas où il sortirait de prison; car s'il sortait de prison, sa fortune était assurée par la vente seule de ce diamant.

—C'était donc, comme vous le dites, demanda Caderousse avec des yeux ardents, un diamant d'une grande valeur?

—Tout est relatif, reprit l'abbé; d'une grande valeur pour Edmond; ce diamant était estimé cinquante mille francs.

—Cinquante mille francs! dit Caderousse; mais il était donc gros comme une noix?

—Non, pas tout à fait, dit l'abbé, mais vous allez en juger vous-même, car je l'ai sur moi.»

Caderousse sembla chercher sous les vêtements de l'abbé le dépôt dont il parlait.

L'abbé tira de sa poche une petite boîte de chagrin noir, l'ouvrit et fit briller aux yeux éblouis de Caderousse l'étincelante merveille montée sur une bague d'un admirable travail.

«Et cela vaut cinquante mille francs?

—Sans la monture, qui est elle-même d'un certain prix», dit l'abbé.

Et il referma l'écrin, et remit dans sa poche le diamant qui continuait d'étinceler au fond de la pensée de Caderousse.

«Mais comment vous trouvez-vous avoir ce diamant en votre possession, monsieur l'abbé? demanda Caderousse.

Edmond vous a donc fait son héritier?

—Non, mais son exécuteur testamentaire. «J'avais trois bons amis et une fiancée, m'a-t-il dit: tous quatre, j'en suis sûr, me regrettent amèrement: l'un de ces bons amis s'appelait Caderousse.»

Caderousse frémit.

«—L'autre, continua l'abbé sans paraître s'apercevoir de l'émotion de Caderousse, l'autre s'appelait Danglars; le troisième, a-t-il ajouté, bien que mon rival, m'aimait aussi.»

Un sourire diabolique éclaira les traits de Caderousse qui fit un mouvement pour interrompre l'abbé.

«Attendez, dit l'abbé, laisse-moi finir, et si vous avez quelque observation à me faire, vous me la ferez tout à l'heure. «L'autre, bien que mon rival, m'aimait aussi et s'appelait Fernand; quant à ma fiancée son nom était...» Je ne me rappelle plus le nom de la fiancée, dit l'abbé.

—Mercédès, dit Caderousse.

—Ah! oui, c'est cela, reprit l'abbé avec un soupir étouffé, Mercédès.

—Eh bien? demanda Caderousse.

—Donnez-moi une carafe d'eau», dit l'abbé.

Caderousse s'empressa d'obéir.

L'abbé remplit le verre et but quelques gorgées.

«Où en étions-nous? demanda-t-il en posant son verre sur la table.

—La fiancée s'appelait Mercédès.

—Oui, c'est cela. «Vous irez à Marseille...» C'est toujours Dantès qui parle, comprenez-vous?

—Parfaitement.

—«Vous vendrez ce diamant, vous ferez cinq parts et vous les partagerez entre ces bons amis, les seuls êtres qui m'aient aimé sur la terre!»

—Comment cinq parts? dit Caderousse, vous ne m'avez nommé que quatre personnes.

—Parce que la cinquième est morte, à ce qu'on m'a dit.... La cinquième était le père de Dantès.

—Hélas! oui, dit Caderousse ému par les passions qui s'entrechoquaient en lui; hélas! oui, le pauvre homme, il est mort.

—J'ai appris cet événement à Marseille, répondit l'abbé en faisant un effort pour paraître indifférent, mais il y a si longtemps que cette mort est arrivée que je n'ai pu recueillir aucun détail.... Sauriez-vous quelque chose de la fin de ce vieillard, vous?

—Eh! dit Caderousse, qui peut savoir cela mieux que moi?... Je demeurais porte à porte avec le bon homme.... Eh! mon Dieu! oui: un an à peine après la disparition de son fils, il mourut, le pauvre vieillard!

—Mais, de quoi mourut-il?

—Les médecins ont nommé sa maladie... une gastro-entérite, je crois; ceux qui le connaissaient ont dit qu'il était mort de douleur... et moi, qui l'ai presque vu mourir, je dis qu'il est mort...»

Caderousse s'arrêta. «Mort de quoi? reprit avec anxiété le prêtre.

—Eh bien, mort de faim!

—De faim? s'écria l'abbé bondissant sur son escabeau, de faim! les plus vils animaux ne meurent pas de faim! les chiens qui errent dans les rues trouvent une main compatissante qui leur jette un morceau de pain; et un homme, un chrétien, est mort de faim au milieu d'autres hommes qui se disent chrétiens comme lui! Impossible! oh! c'est impossible!

—J'ai dit ce que j'ai dit, reprit Caderousse.

—Et tu as tort, dit une voix dans l'escalier, de quoi te mêles-tu?»

Les deux hommes se retournèrent, et virent à travers les barres de la rampe la tête maladive de Carconte; elle s'était traînée jusque-là et écoutait la conversation, assise sur la dernière marche, la tête appuyée sur ses genoux.

«De quoi te mêles-tu toi-même, femme? dit Caderousse.

Monsieur demande des renseignements, politesse veut que je les lui donne.

—Oui, mais la prudence veut que tu les refuses. Qui te dit dans quelle intention on veut te faire parler, imbécile?

—Dans une excellente, madame, je vous en réponds, dit l'abbé. Votre mari n'a donc rien à craindre, pourvu qu'il réponde franchement.

—Rien à craindre, oui! on commence par de belles promesses, puis on se contente, après, de dire qu'on n'a rien à craindre; puis on s'en va sans rien tenir de ce qu'on a dit, et un beau matin le malheur tombe sur le pauvre monde sans que l'on sache d'où il vient.

—Soyez tranquille, bonne femme, le malheur ne vous viendra pas de mon côté, je vous en réponds.»

La Carconte grommela quelques paroles qu'on ne put entendre, laissa retomber sur ses genoux sa tête un instant soulevée et continua de trembler de la fièvre, laissant son mari libre de continuer la conversation, mais placée de manière à n'en pas perdre un mot.

Pendant ce temps, l'abbé avait bu quelques gorgées d'eau et s'était remis.

«Mais reprit-il, ce malheureux vieillard était-il donc si abandonné de tout le monde, qu'il soit mort d'une pareille mort?

—Oh! monsieur, reprit Caderousse, ce n'est pas que Mercédès la Catalane, ni M. Morrel l'aient abandonné; mais le pauvre vieillard s'était pris d'une antipathie profonde pour Fernand, celui-là même, continua Caderousse avec un sourire ironique, que Dantès vous a dit être de ses amis.

—Ne l'était-il donc pas? dit l'abbé.

—Gaspard! Gaspard! murmura la femme du haut de son escalier, fais attention à ce que tu vas dire.»

Caderousse fit un mouvement d'impatience, et sans accorder d'autre réponse à celle qui l'interrompait:

«Peut-on être l'ami de celui dont on convoite la femme? répondit-il à l'abbé. Dantès, qui était un cœur d'or, appelait tous ces gens-là ses amis.... Pauvre Edmond!... Au fait, il vaut mieux qu'il n'ait rien su; il aurait eu trop de peine à leur pardonner au moment de la mort.... Et, quoi qu'on dise, continua Caderousse dans son langage qui ne manquait pas d'une sorte de rude poésie, j'ai encore plus peur de la malédiction des morts que de la haine des vivants.

—Imbécile! dit la Carconte.

—Savez-vous donc, continua l'abbé, ce que Fernand a fait contre Dantès.

—Si je sais, je le crois bien.

—Parlez alors.

—Gaspard, fais ce que tu veux, tu es le maître, dit la femme; mais si tu m'en croyais, tu ne dirais rien.

—Cette fois, je crois que tu as raison, femme, dit Caderousse.

—Ainsi, vous ne voulez rien dire? reprit l'abbé.

—À quoi bon! dit Caderousse.

Si le petit était vivant et qu'il vînt à moi pour connaître une bonne fois pour toutes ses amis et ses ennemis, je ne dis pas; mais il est sous terre, à ce que vous m'avez dit, il ne peut plus avoir de haine, il ne peut plus se venger. Éteignons tout cela.

—Vous voulez alors, dit l'abbé, que je donne à ces gens, que vous donnez pour d'indignes et faux amis une récompense destinée à la fidélité?

—C'est vrai, vous avez raison, dit Caderousse. D'ailleurs que serait pour eux maintenant le legs du pauvre Edmond? une goutte d'eau tombant à mer!

—Sans compter que ces gens-là peuvent t'écraser d'un geste, dit la femme.

—Comment cela? ces gens-là sont donc devenus riches et puissants?

—Alors, vous ne savez pas leur histoire?

—Non, racontez-la-moi.»

Caderousse parut réfléchir un instant.

«Non, en vérité, dit-il, ce serait trop long.

—Libre à vous de vous taire, mon ami, dit l'abbé avec l'accent de la plus profonde indifférence, et je respecte vos scrupules; d'ailleurs ce que vous faites là est d'un homme vraiment bon: n'en parlons donc plus. De quoi étais-je chargé? D'une simple formalité. Je vendrai donc ce diamant.»

Et il tira le diamant de sa poche, ouvrit l'écrin, et le fit briller aux yeux éblouis de Caderousse.

«Viens donc voir, femme! dit celui-ci d'une voix rauque.

—Un diamant! dit la Carconte se levant et descendant d'un pas assez ferme l'escalier, qu'est-ce que c'est donc que ce diamant?

—N'as-tu donc pas entendu, femme? dit Caderousse, c'est un diamant que le petit nous a légué: à son père d'abord, à ses trois amis Fernand, Danglars et moi et à Mercédès sa fiancée. Le diamant vaut cinquante mille francs.

—Oh! le beau joyau! dit-elle.

—Le cinquième de cette somme nous appartient, alors? dit Caderousse.

—Oui, monsieur, répondit l'abbé, plus la part du père de Dantès, que je me crois autorisé à répartir sur vous quatre.

—Et pourquoi sur nous quatre? demanda la Carconte.

—Parce que vous étiez les quatre amis d'Edmond.

—Les amis ne sont pas ceux qui trahissent! murmura sourdement à son tour la femme.

—Oui, oui, dit Caderousse, et c'est ce que je disais: c'est presque une profanation, presque un sacrilège que de récompenser la trahison, le crime peut-être.

—C'est vous qui l'aurez voulu, reprit tranquillement l'abbé en remettant le diamant dans la poche de sa soutane; maintenant donnez-moi l'adresse des amis d'Edmond, afin que je puisse exécuter ses dernières volontés.»

La sueur coulait à lourdes gouttes du front de Caderousse; il vit l'abbé se lever, se diriger vers la porte, comme pour jeter un coup d'œil d'avis à son cheval, et revenir.

Caderousse et sa femme se regardaient avec une indicible expression.

«Le diamant serait pour nous tout entier, dit Caderousse.

—Le crois-tu? répondit la femme.

—Un homme d'Église ne voudrait pas nous tromper.

—Fais comme tu voudras, dit la femme; quant à moi, je ne m'en mêle pas.»

Et elle reprit le chemin de l'escalier toute grelottante; ses dents claquaient, malgré la chaleur ardente qu'il faisait.

Sur la dernière marche, elle s'arrêta un instant.

«Réfléchis bien, Gaspard! dit-elle.

—Je suis décidé», dit Caderousse.

La Carconte rentra dans sa chambre en poussant un soupir; on entendit le plafond crier sous ses pas jusqu'à ce qu'elle eût rejoint son fauteuil où elle tomba assise lourdement.

«À quoi êtes-vous décidé? demanda l'abbé.

—À tout vous dire, répondit celui-ci.

—Je crois, en vérité, que c'est ce qu'il y a de mieux à faire, dit le prêtre; non pas que je tienne à savoir les choses que vous voudriez me cacher; mais enfin, vous pouvez m'amener à distribuer les legs selon les vœux du testateur, ce sera mieux.

—Je l'espère, répondit Caderousse, les joues enflammées par la rougeur de l'espérance et de la cupidité.

—Je vous écoute, dit l'abbé.

—Attendez, reprit Caderousse, on pourrait nous interrompre à l'endroit le plus intéressant, et ce serait désagréable; d'ailleurs, il est inutile que personne sache que vous êtes venu ici.»

Et il alla à la porte de son auberge et ferma la porte, à laquelle, par surcroît de précaution, il mit la barre de nuit.

Pendant ce temps, l'abbé avait choisi sa place pour écouter tout à son aise; il s'étais assis dans un angle, de manière à demeurer dans l'ombre, tandis que la lumière tomberait en plein sur le visage de son interlocuteur. Quant à lui, la tête inclinée, les mains jointes ou plutôt crispées, il s'apprêtait à écouter de toutes ses oreilles.

Caderousse approcha un escabeau et s'assit en face de lui.

«Souviens-toi que je ne te pousse à rien! dit la voix tremblotante de la Carconte, comme si, à travers le plancher, elle eût pu voir la scène qui se préparait.

—C'est bien, c'est bien, dit Caderousse, n'en parlons plus; je prends tout sur moi.»

Et il commença.

26. L'auberge du pont du Gard 26. Die Herberge am Pont du Gard 26. The Pont du Gard inn 26. A pousada Pont du Gard 26. 加尔桥酒店

Ceux qui, comme moi, ont parcouru à pied le Midi de la France ont pu remarquer entre Bellegarde et Beaucaire, à moitié chemin à peu près du village à la ville, mais plus rapprochée cependant de Beaucaire que de Bellegarde, une petite auberge où pend, sur une plaque de tôle qui grince au moindre vent, une grotesque représentation du pont du Gard. Those who, like me, have walked on foot to the south of France have noticed between Bellegarde and Beaucaire, about half way from the village to the town, but closer to Beaucaire than Bellegarde, a small inn where hangs , on a sheet of metal that creaks at the slightest wind, a grotesque representation of the Pont du Gard. Cette petite auberge, en prenant pour règle le cours du Rhône, est située au côté gauche de la route, tournant le dos au fleuve; elle est accompagnée de ce que dans le Languedoc on appelle un jardin: c’est-à-dire que la face opposée à celle qui ouvre sa porte aux voyageurs donne sur un enclos où rampent quelques oliviers rabougris et quelques figuiers sauvages au feuillage argenté par la poussière; dans leurs intervalles poussent, pour tout légume, des aulx, des piments et des échalotes; enfin, à l’un de ses angles, comme une sentinelle oubliée, un grand pin parasol élance mélancoliquement sa tige flexible, tandis que sa cime, épanouie en éventail, craque sous un soleil de trente degrés. This little inn, taking as its rule the course of the Rhone, is situated on the left side of the road, with its back to the river; it is accompanied by what in Languedoc is called a garden: that is to say, the opposite face to that which opens its door to the travelers overlooks an enclosure where crawl some stunted olive trees and some wild figs with silver foliage by dust; in their intervals grow, for every vegetable, garlic, peppers and shallots; finally, at one of its angles, like a forgotten sentry, a tall umbrella pine melancholyly throws its flexible stem, while its crown, blooming in fan, creaks under a sun of thirty degrees.

Tous ces arbres, grands ou petits se courbent inclinés naturellement dans la direction où passe le mistral, l’un des trois fléaux de la Provence; les deux autres, comme on sait ou comme on ne sait pas, étant la Durance et le Parlement. All these trees, large or small, bend inclined naturally in the direction where the Mistral passes, one of the three plagues of Provence; the other two, as we know or as we do not know, being the Durance and Parliament.

Çà et là, dans la plaine environnante, qui ressemble à un grand lac de poussière, végètent quelques tiges de froment que les horticulteurs du pays élèvent sans doute par curiosité et dont chacune sert de perchoir à une cigale qui poursuit de son chant aigre et monotone les voyageurs égarés dans cette thébaïde. Here and there, in the surrounding plain, which resembles a great lake of dust, vegetate some stalks of wheat which the horticulturists of the country undoubtedly raise out of curiosity, each of which serves as a perch for a cicada which pursues its sour and monotonous song. travelers lost in this thebaïde.

Depuis sept ou huit ans à peu près, cette petite auberge était tenue par un homme et une femme ayant pour tout domestique une fille de chambre appelée Trinette et un garçon d’écurie répondant au nom de Pacaud; double coopération qui au reste suffisait largement aux besoins du service, depuis qu’un canal creusé de Beaucaire à Aigues-mortes avait fait succéder victorieusement les bateaux au roulage accéléré, et le coche à la diligence. For the last seven or eight years, this little inn was manned by a man and a woman, having for every servant a maid called Trinette, and a stable-boy named Pacaud; This double cooperation was largely sufficient to meet the needs of the service, since a canal dug from Beaucaire to Aigues-mortes had successively succeeded the fast-moving ships, and the coach to the diligence.

Ce canal, comme pour rendre plus vifs encore les regrets du malheureux aubergiste qu’il ruinait, passait entre le Rhône qui l’alimente et la route qu’il épuise, à cent pas à peu près de l’auberge dont nous venons de donner une courte mais fidèle description. This canal, as if to make even more alive the regrets of the unfortunate innkeeper whom he ruined, passed between the Rhone which feeds him and the road he exhausts, about a hundred yards from the inn we have just given. a short but faithful description.

L’hôtelier qui tenait cette petite auberge pouvait être un homme de quarante à quarante-cinq ans, grand, sec et nerveux, véritable type méridional avec ses yeux enfoncés et brillants, son nez en bec d’aigle et ses dents blanches comme celles d’un animal carnassier. The innkeeper who ran this little inn could be a man of forty or forty-five, tall, dry, and nervous, a true Southern type with his sunken, shining eyes, his eagle-nosed nose, and his white teeth like those of his own. a carnivorous animal. Ses cheveux, qui semblaient, malgré les premiers souffles de l’âge, ne pouvoir se décider à blanchir, étaient, ainsi que sa barbe, qu’il portait en collier, épais, crépus et à peine parsemés de quelques poils blancs. His hair, which seemed, in spite of the first puffs of age, to be incapable of bleaching, was, like his beard, which he wore in a collar, thick, frizzy, and scarcely strewn with a few white hairs. Son teint, hâlé naturellement, s’était encore couvert d’une nouvelle couche de bistre par l’habitude que le pauvre diable avait prise de se tenir depuis le matin jusqu’au soir sur le seuil de sa porte, pour voir si, soit à pied, soit en voiture, il ne lui arrivait pas quelque pratique: attente presque toujours déçue, et pendant laquelle il n’opposait à l’ardeur dévorante du soleil d’autre préservatif pour son visage qu’un mouchoir rouge noué sur sa tête, à la manière des muletiers espagnols. His complexion, naturally tanned, was still covered with a new layer of bistre by the habit that the poor devil had taken to hold from morning till evening on the threshold of his door, to see if, either on foot, either by car, he did not arrive at some practice: waiting almost always disappointed, and during which he did not oppose to the devouring heat of the sun another condom for his face that a red handkerchief tied on his head in the manner of Spanish muleteers. Cet homme, c’était notre ancienne connaissance Gaspard Caderousse. This man was our old acquaintance Gaspard Caderousse.

Sa femme, au contraire, qui, de son nom de fille, s’appelait Madeleine Radelle, était une femme pâle, maigre et maladive; née aux environs d’Arles, elle avait, tout en conservant les traces primitives de la beauté traditionnelle de ses compatriotes, vu son visage se délabrer lentement dans l’accès presque continuel d’une de ces fièvres sourdes si communes parmi les populations voisines des étangs d’Aigues-mortes et des marais de la Camargue. His wife, on the other hand, who was called Madeleine Radelle by her daughter's name, was a pale, lank and sickly woman; Born around Arles, she had, while retaining the primitive traces of the traditional beauty of her compatriots, seen her face decay slowly in the almost continual access of one of those dull fevers so common among the neighboring populations of ponds of Aigues-mortes and swamps of the Camargue. Elle se tenait donc presque toujours assise et grelottante au fond de sa chambre située au premier, soit étendue dans un fauteuil, soit appuyée contre son lit, tandis que son mari montait à la porte sa faction habituelle: faction qu’à prolongeait d’autant plus volontiers que chaque fois qu’il se retrouvait avec son aigre moitié, celle-ci le poursuivait de ses plaintes éternelles contre le sort, plaintes auxquelles son mari ne répondait d’habitude que par ces paroles philosophiques: She was therefore almost always seated and shivering at the end of her room on the first floor, either lying in an armchair or leaning against her bed, while her husband was going out at the door of his usual faction. more willingly, every time he found himself with his sour half, she pursued him with her eternal complaints against fate, complaints to which her husband usually replied only by these philosophical words:

«Tais-toi, la Carconte! "Shut up, Carconte! «Tais-toi, la Carconte! c’est Dieu qui le veut comme cela.» it is God who wants it that way. "

Ce sobriquet venait de ce que Madeleine Radelle était née dans le village de la Carconte, situé entre Salon et Lambesc. This nickname came from the fact that Madeleine Radelle was born in the village of Carconte, located between Salon and Lambesc. Or, suivant une habitude du pays, qui veut que l’on désigne presque toujours les gens par un surnom au lieu de les désigner par un nom, son mari avait substitué cette appellation à celle de Madeleine, trop douce et trop euphonique peut-être pour son rude langage. Now, according to a habit of the country, which wants that we almost always designate people by a nickname instead of naming them by a name, her husband had substituted this name for that of Madeleine, too sweet and too euphonic for his rough language.

Cependant, malgré cette prétendue résignation aux décrets de la Providence, que l’on n’aille pas croire que notre aubergiste ne sentît pas profondément l’état de misère où l’avait réduit ce misérable canal de Beaucaire, et qu’il fût invulnérable aux plaintes incessantes dont sa femme le poursuivait. Yet, in spite of this pretended resignation to the decrees of Providence, let it not be supposed that our innkeeper did not feel deeply the state of misery in which this miserable Beaucaire canal had been reduced, and that he was invulnerable. to the incessant complaints of which his wife pursued him. C’était, comme tous les Méridionaux, un homme sobre et sans de grands besoins, mais vaniteux pour les choses extérieures; aussi, au temps de sa prospérité, il ne laissait passer ni une ferrade, ni une procession de la tarasque sans s’y montrer avec la Carconte, l’un dans ce costume pittoresque des hommes du Midi et qui tient à la fois du catalan et de l’andalou; l’autre avec ce charmant habit des femmes d’Arles qui semble emprunté à la Grèce et à l’Arabie; mais peu à peu, chaînes de montres, colliers, ceinturés aux mille couleurs, corsages brodés, vestes de velours, bas à coins élégants, guêtres bariolées, souliers à boucles d’argent avaient disparu, et Gaspard Caderousse, ne pouvant plus se montrer à la hauteur de sa splendeur passée, avait renoncé pour lui et pour sa femme à toutes ces pompes mondaines, dont il entendait, en se rongeant sourdement le cœur, les bruits joyeux retentir jusqu’à cette pauvre auberge, qu’il continuait de garder bien plus comme un abri que comme une spéculation. It was, like all the Southerners, a sober man, without great wants, but vain for exterior things; also, in the time of his prosperity, he did not let pass either a ferrade or a procession of the Tarasque without showing himself with La Carconte, one in that picturesque costume of the men of the South, which is at once Catalan. and Andalusian; the other with that charming dress of the women of Arles, which seems to have borrowed from Greece and Arabia; but little by little, chains of watches, necklaces, belts of a thousand colors, embroidered corsages, velvet jackets, elegant wedges, variegated gaiters, silver-buckled shoes had disappeared, and Gaspard Caderousse, who could no longer show himself The height of his past splendor had given up for him and his wife all these worldly pomp, of which he heard, by gnawing his heart, the joyous sounds that sounded to this poor inn, which he continued to keep well. more like shelter than speculation.

Caderousse s’était donc tenu, comme c’était son habitude, une partie de la matinée devant la porte, promenant son regard mélancolique d’un petit gazon pelé, où picoraient quelques poules, aux deux extrémités du chemin désert qui s’enfonçait d’un côté au midi et de l’autre au nord, quand tout à coup la voix aigre de sa femme le força de quitter son poste; il rentra en grommelant et monta au premier laissant néanmoins la porte toute grande ouverte comme pour inviter les voyageurs à ne pas l’oublier en passant. Caderousse had, as was his habit, thus been a part of the morning before the door, casting his melancholy glance on a small peeled lawn, where a few chickens were pecking at the two ends of the deserted road which was sinking one side to the south and the other to the north, when suddenly the sour voice of his wife forced him to leave his post; he returned grumbling and went upstairs, leaving the door wide open, as if to invite travelers not to forget it as they passed.

Au moment où Caderousse rentrait, la grande route dont nous avons parlé, et que parcouraient ses regards, était aussi nue et aussi solitaire que le désert à midi; elle s’étendait, blanche et infinie, entre deux rangées d’arbres maigres, et l’on comprenait parfaitement qu’aucun voyageur, libre de choisir une autre heure du jour, ne se hasardât dans cet effroyable Sahara. At the moment when Caderousse was returning, the great road we have spoken of, and traversed by his looks, was as bare and solitary as the desert at noon; it stretched out, white and infinite, between two rows of lean trees, and it was perfectly understood that no traveler, free to choose another hour of the day, would venture into this frightful Sahara.

Cependant, malgré toutes les probabilités, s’il fût resté à son poste, Caderousse aurait pu voir poindre, du côté de Bellegarde, un cavalier et un cheval venant de cette allure honnête et amicale qui indique les meilleures relations entre le cheval et le cavalier; le cheval était un cheval hongre, marchant agréablement l’amble; le cavalier était un prêtre vêtu de noir et coiffé d’un chapeau à trois cornes, malgré la chaleur dévorante du soleil alors à son midi; ils n’allaient tous deux qu’à un trot fort raisonnable. However, in spite of all probability, if he had remained at his post, Caderousse could have seen, on the side of Bellegarde, a horse and a horse coming from this honest and friendly appearance which indicates the best relations between the horse and the rider. ; the horse was a gelding horse, pleasantly marching the amble; the rider was a priest dressed in black and wearing a hat with three horns, in spite of the devouring heat of the sun then at noon; they both went to a very reasonable trot.

Arrivé devant la porte, le groupe s’arrêta: il eût été difficile de décider si ce fut le cheval qui arrêta l’homme ou l’homme qui arrêta le cheval; mais en tout cas le cavalier mit pied à terre, et, tirant l’animal par la bride, il alla l’attacher au tourniquet d’un contrevent délabré qui ne tenait plus qu’à un gond; puis s’avançant vers la porte, en essuyant d’un mouchoir de coton rouge son front ruisselant de sueur, le prêtre frappa trois coups sur le seuil, du bout ferré de la canne qu’il tenait à la main. Arrived at the door, the group stopped. It would have been difficult to decide whether it was the horse that stopped the man or man who stopped the horse; but in any case the horseman dismounted, and, drawing the animal by the bridle, he went to attach it to the turnstile of a dilapidated brace, which now only held a hinge; then, advancing towards the door, wiping his sweaty forehead with a red cotton handkerchief, the priest struck three times on the threshold with the iron end of the stick he held in his hand.

Aussitôt, un grand chien noir se leva et fit quelques pas en aboyant et en montrant ses dents blanches et aiguës; double démonstration hostile qui prouvait le peu d’habitude qu’il avait de la société. Immediately a big black dog stood up and took a few steps barking and showing his sharp white teeth; a double hostile demonstration that proved his lack of familiarity with society.

Aussitôt, un pas lourd ébranla l’escalier de bois rampant le long de la muraille, et que descendait, en se courbant et à reculons, l’hôte du pauvre logis à la porte duquel se tenait le prêtre. Immediately, a heavy step shook the wooden staircase crawling along the wall, and descended, bowing and backwards, the host of the poor house at the door of which stood the priest.

«Me voilà! "Here I am! disait Caderousse tout étonné, me voilà! said Caderousse, astonished, "here I am! veux-tu te taire, Margottin! do you want to shut up, Margottin! N’ayez pas peur, monsieur, il aboie, mais il ne mord pas. Do not be afraid, sir, he barks, but he does not bite. Vous désirez du vin, n’est-ce pas? You want wine, do not you? car il fait une polissonne de chaleur.... Ah! for he is a polissonne of heat .... Ah! pardon, interrompit Caderousse, en voyant à quelle sorte de voyageur il avait affaire, je ne savais pas qui j’avais l’honneur de recevoir; que désirez-vous, que demandez-vous, monsieur l’abbé? pardon, "interrupted Caderousse, seeing what sort of traveler he was dealing with, I did not know who I had the honor to receive; what do you desire, what are you asking for, Monsieur l'Abbe? je suis à vos ordres.» I am at your service. "

Le prêtre regarda cet homme pendant deux ou trois secondes avec une attention étrange, il parut même chercher à attirer de son côté sur lui l’attention de l’aubergiste; puis, voyant que les traits de celui-ci n’exprimaient d’autre sentiment que la surprise de ne pas recevoir une réponse, il jugea qu’il était temps de faire cesser cette surprise, et dit avec un accent italien très prononcé: The priest looked at this man for two or three seconds with strange attention; he seemed even to be drawing the attention of the innkeeper to him; then, seeing that the features of the latter expressed no other feeling than the surprise of not receiving an answer, he thought it was time to put an end to this surprise, and said with a very pronounced Italian accent:

«N’êtes-vous pas monsou Caderousse? "Are not you Monsou Caderousse?

—Oui, monsieur, dit l’hôte peut-être encore plus étonné de la demande qu’il ne l’avait été du silence, je le suis en effet; Gaspard Caderousse, pour vous servir. "Yes, sir," said the guest, perhaps even more astonished at the request than he had been at the silence, "I am indeed so; Gaspard Caderousse, to serve you.

—Gaspard Caderousse... oui, je crois que c’est là le prénom et le nom; vous demeuriez autrefois Allées de Meilhan, n’est-ce pas? -Gaspard Caderousse ... yes, I think that's the name and the name; you used to live in Meilhan's Alleyes, right? au quatrième? fourth?

—C’est cela. -That's it.

—Et vous y exerciez la profession de tailleur? -And you practiced the profession of tailor?

—Oui, mais l’état a mal tourné: il fait si chaud à ce coquin de Marseille que l’on finira, je crois, par ne plus s’y habiller du tout. -Yes, but the situation has gone bad: it is so hot to this rogue in Marseille that we will end up, I think, no longer dress at all. Mais à propos de chaleur, ne voulez-vous pas vous rafraîchir, monsieur l’abbé? But about heat, do not you want to refresh yourself, Mr. Abbe?

—Si fait, donnez-moi une bouteille de votre meilleur vin, et nous reprendrons la conversation, s’il vous plaît, où nous la laissons. -If you do, give me a bottle of your best wine, and we'll resume the conversation, please, where we leave it.

—Comme il vous fera plaisir, monsieur l’abbé» dit Caderousse. "As you please, Monsieur l'Abbe," said Caderousse.

Et pour ne pas perdre cette occasion de placer une des dernières bouteilles de vin de Cahors qui lui restaient, Caderousse se hâta de lever une trappe pratiquée dans le plancher même de cette espèce de chambre du rez-de-chaussée, qui servait à la fois de salle et de cuisine. And not to lose this opportunity to place one of the last bottles of Cahors wine that remained, Caderousse hastened to raise a hatch practiced in the floor of this kind of room on the ground floor, which served both of room and kitchen.

Lorsque au bout de cinq minutes il reparut, il trouva l’abbé assis sur un escabeau, le coude appuyé à une table longue, tandis que Margottin, qui paraissait avoir fait sa paix avec lui en entendant que, contre l’habitude, ce voyageur singulier allait prendre quelque chose, allongeait sur sa cuisse son cou décharné et son œil langoureux. When, at the end of five minutes, he reappeared, he found the abbot seated on a stool, his elbow resting on a long table, while Margottin, who seemed to have made his peace with him, on hearing that, contrary to custom, this traveler singular was going to take something, stretched on his thigh his emaciated neck and languid eye.

«Vous êtes seul? "You are alone? demanda l’abbé à son hôte, tandis que celui-ci posait devant lui la bouteille et un verre. asked the abbot to his guest, as he placed the bottle and a glass in front of him.

—Oh! -Oh! mon Dieu! my God! oui! Yes! seul ou à peu près, monsieur l’abbé; car j’ai ma femme qui ne me peut aider en rien, attendu qu’elle est toujours malade, la pauvre Carconte. alone or nearly so, Monsieur l'Abbe; for I have my wife who can not help me in any way, since she is always ill, poor Carconte.

—Ah! “Ah! vous êtes marié! you are married! dit le prêtre avec une sorte d’intérêt, et en jetant autour de lui un regard qui paraissait estimer à sa mince valeur le maigre mobilier du pauvre ménage. said the priest, with a sort of interest, and casting a glance around him, which seemed to esteem the meager furniture of the poor household.

—Vous trouvez que je ne suis pas riche, n’est-ce pas monsieur l’abbé? "You think I'm not rich, don't you, Monsieur l'Abbe?" dit en soupirant Caderousse; mais que voulez-vous! said, sighing Caderousse; but what do you want! il ne suffit pas d’être honnête homme pour prospérer dans ce monde.» it's not enough to be an honest man to prosper in this world. "

L’abbé fixa sur lui un regard perçant. The abbot fixed on him a piercing gaze.

«Oui, honnête homme; de cela, je puis me vanter, monsieur, dit l’hôte en soutenant le regard de l’abbé, une main sur sa poitrine et en hochant la tête du haut en bas; et, dans notre époque, tout le monde n’en peut pas dire autant. "Yes, honest man; I can boast of that, sir, "said the host, supporting the abbe's eyes, one hand on his breast, and shaking his head from top to bottom; and in our day, not everyone can say as much.

—Tant mieux si ce dont vous vous vantez est vrai, dit l’abbé; car tôt ou tard, j’en ai la ferme conviction, l’honnête homme est récompensé et le méchant puni. "Better if what you are boasting about is true," said the abbe; for sooner or later I am firmly convinced, the honest man is rewarded, and the wicked punished.

—C’est votre état de dire cela, monsieur l’abbé; c’est votre état de dire cela, reprit Caderousse avec une expression amère; après cela, on est libre de ne pas croire ce que vous dites. "It is your state to say that, monsieur l'abbe; it is your state to say that, "said Caderousse with a bitter expression; after that, one is free not to believe what you say.

—Vous avez tort de parler ainsi, monsieur, dit l’abbé, car peut-être vais-je être moi-même pour vous, tout à l’heure, une preuve de ce que j’avance. "You are wrong to speak thus, monsieur," said the abbe, "for perhaps I, myself, will be for you just now, a proof of what I am advancing.

—Que voulez-vous dire? -What do you mean? demanda Caderousse d’un air étonné. asked Caderousse in astonishment.

—Je veux dire qu’il faut que je m’assure avant tout si vous êtes celui à qui j’ai affaire. -I mean that I must make sure that you are the one to whom I am dealing.

—Quelles preuves voulez-vous que je vous donne? What evidence do you want me to give you?

—Avez-vous connu en 1814 ou 1815 un marin qui s’appelait Dantès? “In 1814 or 1815 did you know a sailor named Dantès?

—Dantès!... -Dantes! ... si je l’ai connu, ce pauvre Edmond! if I knew him, poor Edmond! je le crois bien! I believe it! c’était même un de mes meilleurs amis! he was even one of my best friends! s’écria Caderousse, dont un rouge de pourpre envahit le visage, tandis que l’œil clair et assuré de l’abbé semblait se dilater pour couvrir tout entier celui qu’il interrogeait. exclaimed Caderousse, whose face was red with a crimson red, while the abbot's clear and assured eye seemed to expand to cover the whole person he was questioning.

—Oui, je crois en effet qu’il s’appelait Edmond. “Yes, I do believe his name was Edmond.

—S’il s’appelait Edmond, le petit! "If his name was Edmond, the little one!" je le crois bien! I believe it! aussi vrai que je m’appelle, moi, Gaspard Caderousse. as true as my name is Gaspard Caderousse. Et qu’est-il devenu, monsieur, ce pauvre Edmond? And what has become of poor Edmond, sir? continua l’aubergiste; l’auriez-vous connu? continued the innkeeper; would you have known him? vit-il encore? does he live again? est-il libre? is he free? est-il heureux? is he happy?

—Il est mort prisonnier, plus désespéré et plus misérable que les forçats qui traînent leur boulet au bagne de Toulon.» "He is a prisoner, more desperate and more miserable than the convicts who drag their ball to the prison of Toulon."

Une pâleur mortelle succéda sur le visage de Caderousse à la rougeur qui s’en était d’abord emparée. A mortal pallor succeeded on the face of Caderousse with the redness which had first seized it. Il se retourna et l’abbé lui vit essuyer une larme avec un coin du mouchoir rouge qui lui servait de coiffure. He turned around and the abbe saw him wipe a tear with a corner of the red handkerchief that served him as a hairstyle.

«Pauvre petit! "Poor little! murmura Caderousse. murmured Caderousse. Eh bien, voilà encore une preuve de ce que je vous disais monsieur l’abbé, que le Bon Dieu n’était bon que pour les mauvais. Well, here is another proof of what I told you, Monsieur l'Abbe, that the good God was good only for the bad. Ah! Ah! continua Caderousse, avec ce langage coloré des gens du Midi, le monde va de mal en pis, qu’il tombe donc du ciel deux jours de poudre et une heure de feu, et que tout soit dit! continued Caderousse, with that colorful language of the people of the South, the world goes from bad to worse, so that two days of powder and one hour of fire fall from the sky, and everything is said!

—Vous paraissez aimer ce garçon de tout votre cœur, monsieur, demanda l’abbé. "You seem to love this boy with all your heart, sir," said the abbe.

—Oui, je l’aimais bien, dit Caderousse quoique j’aie à me reprocher d’avoir un instant envié son bonheur. "Yes, I liked him," said Caderousse, though I must reproach myself for having for a moment envied his happiness. Mais depuis, je vous le jure, foi de Caderousse, j’ai bien plaint son malheureux sort.» But since then, I swear to you, Caderousse's faith, I have complained of his unfortunate fate. "

Il se fit un instant de silence pendant lequel le regard fixe de l’abbé ne cessa point un instant d’interroger la physionomie mobile de l’aubergiste. There was a moment of silence during which the abbot's gaze did not stop for a moment to question the innkeeper's mobile physiognomy.

«Et vous l’avez connu, le pauvre petit? "And you knew him, poor little one?" continua Caderousse. continued Caderousse.

—J’ai été appelé à son lit de mort pour lui offrir les derniers secours de la religion, répondit l’abbé. "I have been called to his death-bed to offer him the last aid of religion," replied the abbe.

—Et de quoi est-il mort? “And what did he die of? demanda Caderousse d’une voix étranglée. asked Caderousse in a strangled voice.

—Et de quoi meurt-on en prison quand on y meurt à trente ans, si ce n’est de la prison elle-même?» "And what do we die in prison when we die at thirty, if not prison itself?"

Caderousse essuya la sueur qui coulait de son front. Caderousse wiped the sweat from his forehead.

«Ce qu’il y a d’étrange dans tout cela, reprit l’abbé, c’est que Dantès, à son lit de mort, sur le christ dont il baisait les pieds, m’a toujours juré qu’il ignorait la véritable cause de sa captivité. "What is strange in all this," continued the abbe, "is that Dantes, on his death-bed, on the Christ whose feet he kissed, always swore to me that he did not know the truth. true cause of his captivity.

—C’est vrai, c’est vrai, murmura Caderousse, il ne pouvait pas le savoir; non, monsieur l’abbé, il ne mentait pas, le pauvre petit. “It's true, it's true,” murmured Caderousse, “he couldn't have known it; no, Monsieur l'Abbe, he wasn't lying, poor little one.

—C’est ce qui fait qu’il m’a chargé d’éclaircir son malheur qu’il n’avait jamais pu éclaircir lui-même, et de réhabiliter sa mémoire, si cette mémoire avait reçu quelque souillure.» "That is what makes him instruct me to clear up his misfortune, which he had never been able to clear up himself, and to rehabilitate his memory, if this memory had received any defilement."

Et le regard de l’abbé, devenant de plus en plus fixe, dévora l’expression presque sombre qui apparut sur le visage de Caderousse. And the abbe's gaze, becoming more and more fixed, devoured the almost somber expression which appeared on Caderousse's face.

«Un riche Anglais, continua l’abbé, son compagnon d’infortune, et qui sortit de prison, à la seconde Restauration, était possesseur d’un diamant d’une grande valeur. "A rich Englishman," continued the abbe, his companion in misfortune, "and who came out of prison, at the second Restoration, possessed a diamond of great value. En sortant de prison, il voulut laisser à Dantès, qui, dans une maladie qu’il avait faite, l’avait soigné comme un frère, un témoignage de sa reconnaissance en lui laissant ce diamant. On leaving prison, he wanted to leave to Dantes, who, in an illness he had done, had treated him like a brother, a testimony of his gratitude in leaving him this diamond.

Dantès, au lieu de s’en servir pour séduire ses geôliers, qui d’ailleurs pouvaient le prendre et le trahir après, le conserva toujours précieusement pour le cas où il sortirait de prison; car s’il sortait de prison, sa fortune était assurée par la vente seule de ce diamant. Dantes, instead of using them to seduce his jailers, who besides could take him and betray him afterwards, always kept him preciously in case he should come out of prison; for if he came out of prison, his fortune was assured by the mere sale of this diamond.

—C’était donc, comme vous le dites, demanda Caderousse avec des yeux ardents, un diamant d’une grande valeur? "Was it, then, as you say," asked Caderousse, with ardent eyes, "a diamond of great value?

—Tout est relatif, reprit l’abbé; d’une grande valeur pour Edmond; ce diamant était estimé cinquante mille francs. "Everything is relative," said the abbe; of great value to Edmond; this diamond was estimated fifty thousand francs.

—Cinquante mille francs! “Fifty thousand francs! dit Caderousse; mais il était donc gros comme une noix? said Caderousse; but was he as big as a nut?

—Non, pas tout à fait, dit l’abbé, mais vous allez en juger vous-même, car je l’ai sur moi.» "No, not quite," said the abbe, "but you will judge for yourself, for I have it on me."

Caderousse sembla chercher sous les vêtements de l’abbé le dépôt dont il parlait. Caderousse seemed to seek under the clothes of the abbe the deposit of which he spoke.

L’abbé tira de sa poche une petite boîte de chagrin noir, l’ouvrit et fit briller aux yeux éblouis de Caderousse l’étincelante merveille montée sur une bague d’un admirable travail. The abbe drew from his pocket a little box of black sorrow, opened it, and made Caderousse's dazzled eyes shine the sparkling wonder mounted on a ring of admirable workmanship.

«Et cela vaut cinquante mille francs? "And is that worth fifty thousand francs?"

—Sans la monture, qui est elle-même d’un certain prix», dit l’abbé. "Without the mount, which is itself of a certain price," said the abbe.

Et il referma l’écrin, et remit dans sa poche le diamant qui continuait d’étinceler au fond de la pensée de Caderousse. And he closed the box, and put in his pocket the diamond which continued to sparkle in the depths of Caderousse's thought.

«Mais comment vous trouvez-vous avoir ce diamant en votre possession, monsieur l’abbé? "But how do you find yourself having this diamond in your possession, Monsieur l'Abbe?" demanda Caderousse. asked Caderousse.

Edmond vous a donc fait son héritier? Did Edmond make you his heir?

—Non, mais son exécuteur testamentaire. -No, but his executor. «J’avais trois bons amis et une fiancée, m’a-t-il dit: tous quatre, j’en suis sûr, me regrettent amèrement: l’un de ces bons amis s’appelait Caderousse.» "I had three good friends and a fiancee," he said to me. "All four, I am sure, regret me bitterly: one of these good friends was Caderousse."

Caderousse frémit. Caderousse shuddered.

«—L’autre, continua l’abbé sans paraître s’apercevoir de l’émotion de Caderousse, l’autre s’appelait Danglars; le troisième, a-t-il ajouté, bien que mon rival, m’aimait aussi.» "The other," continued the abbe, without appearing to notice the emotion of Caderousse, the other was called Danglars; the third, he added, although my rival, loved me too. "

Un sourire diabolique éclaira les traits de Caderousse qui fit un mouvement pour interrompre l’abbé. An evil smile lit up Caderousse's features, who made a movement to interrupt the abbot.

«Attendez, dit l’abbé, laisse-moi finir, et si vous avez quelque observation à me faire, vous me la ferez tout à l’heure. "Wait," said the abbe, "let me finish, and if you have anything to say to me, you will give it to me shortly." «L’autre, bien que mon rival, m’aimait aussi et s’appelait Fernand; quant à ma fiancée son nom était...» Je ne me rappelle plus le nom de la fiancée, dit l’abbé. "The other, although my rival, loved me too, and was called Fernand; as for my fiancee, her name was- "I no longer remember the name of the bride," said the abbe.

—Mercédès, dit Caderousse. "Mercédès," said Caderousse.

—Ah! “Ah! oui, c’est cela, reprit l’abbé avec un soupir étouffé, Mercédès. yes, that's it, replied the abbe with a stifled sigh, Mercédès.

—Eh bien? -Well? demanda Caderousse. asked Caderousse.

—Donnez-moi une carafe d’eau», dit l’abbé. "Give me a jug of water," said the abbot.

Caderousse s’empressa d’obéir. Caderousse hastened to obey.

L’abbé remplit le verre et but quelques gorgées. The abbot filled the glass and took a few sips.

«Où en étions-nous? "Where were we? demanda-t-il en posant son verre sur la table. he asked, putting his glass down on the table.

—La fiancée s’appelait Mercédès. “The bride's name was Mercédès.

—Oui, c’est cela. “Yes, that's it. «Vous irez à Marseille...» C’est toujours Dantès qui parle, comprenez-vous? "You will go to Marseilles ..." It is always Dantes who speaks, do you understand?

—Parfaitement. -Perfectly.

—«Vous vendrez ce diamant, vous ferez cinq parts et vous les partagerez entre ces bons amis, les seuls êtres qui m’aient aimé sur la terre!» - "You will sell this diamond, you will make five shares and you will share them among these good friends, the only beings who loved me on earth!"

—Comment cinq parts? -How five parts? dit Caderousse, vous ne m’avez nommé que quatre personnes. said Caderousse, you only named me four people.

—Parce que la cinquième est morte, à ce qu’on m’a dit.... La cinquième était le père de Dantès. “Because the fifth is dead, I have been told .... The fifth was Dantès' father.

—Hélas! -Alas! oui, dit Caderousse ému par les passions qui s’entrechoquaient en lui; hélas! yes, "said Caderousse, moved by the passions which clashed in him; Alas! oui, le pauvre homme, il est mort. yes, the poor man, he is dead.

—J’ai appris cet événement à Marseille, répondit l’abbé en faisant un effort pour paraître indifférent, mais il y a si longtemps que cette mort est arrivée que je n’ai pu recueillir aucun détail.... Sauriez-vous quelque chose de la fin de ce vieillard, vous? “I learned of this event in Marseilles,” replied the abbe, making an effort to appear indifferent, “but it has been so long since this death has happened that I have not been able to collect any details .... Do you know anything? late thing about this old man, you?

—Eh! “Hey! dit Caderousse, qui peut savoir cela mieux que moi?... said Caderousse, who can know that better than me? Je demeurais porte à porte avec le bon homme.... Eh! I stayed door to door with the good man .... Eh! mon Dieu! my God! oui: un an à peine après la disparition de son fils, il mourut, le pauvre vieillard! yes: barely a year after the disappearance of his son, he died, the poor old man!

—Mais, de quoi mourut-il? “But what did he die of?

—Les médecins ont nommé sa maladie... une gastro-entérite, je crois; ceux qui le connaissaient ont dit qu’il était mort de douleur... et moi, qui l’ai presque vu mourir, je dis qu’il est mort...» -The doctors have named his illness ... a gastroenteritis, I think; those who knew him said that he had died of pain ... and I, who almost saw him die, say that he is dead ... "

Caderousse s’arrêta. Caderousse stopped. «Mort de quoi? "Death of what?" reprit avec anxiété le prêtre. replied the priest anxiously.

—Eh bien, mort de faim! “Well, starved to death!

—De faim? -Of hunger? s’écria l’abbé bondissant sur son escabeau, de faim! cried the abbe, leaping on his stool, hungry! les plus vils animaux ne meurent pas de faim! the vilest animals do not die of hunger! les chiens qui errent dans les rues trouvent une main compatissante qui leur jette un morceau de pain; et un homme, un chrétien, est mort de faim au milieu d’autres hommes qui se disent chrétiens comme lui! dogs that roam the streets find a compassionate hand that throws them a piece of bread; and a man, a Christian, died of hunger in the midst of other men who call themselves Christians like him! Impossible! Impossible! oh! c’est impossible! it's impossible!

—J’ai dit ce que j’ai dit, reprit Caderousse. "I said what I said," continued Caderousse.

—Et tu as tort, dit une voix dans l’escalier, de quoi te mêles-tu?» "And you are wrong," said a voice on the stairs, "what are you interfering with?"

Les deux hommes se retournèrent, et virent à travers les barres de la rampe la tête maladive de Carconte; elle s’était traînée jusque-là et écoutait la conversation, assise sur la dernière marche, la tête appuyée sur ses genoux. The two men turned, and saw through the bars of the ramp the sickly head of Carconte; she had dragged herself so far and listened to the conversation, sitting on the last step, her head resting on her knees.

«De quoi te mêles-tu toi-même, femme? "What are you interfering with yourself, woman? dit Caderousse.

Monsieur demande des renseignements, politesse veut que je les lui donne. Monsieur asks for information, politeness wants me to give it to him.

—Oui, mais la prudence veut que tu les refuses. -Yes, but prudence wants you to refuse them. Qui te dit dans quelle intention on veut te faire parler, imbécile? Who tells you in what intention we want to make you talk, fool?

—Dans une excellente, madame, je vous en réponds, dit l’abbé. "In an excellent one, madame, I will answer for it," said the abbe. Votre mari n’a donc rien à craindre, pourvu qu’il réponde franchement. Your husband has nothing to fear, provided he responds frankly.

—Rien à craindre, oui! "Nothing to fear, yes! on commence par de belles promesses, puis on se contente, après, de dire qu’on n’a rien à craindre; puis on s’en va sans rien tenir de ce qu’on a dit, et un beau matin le malheur tombe sur le pauvre monde sans que l’on sache d’où il vient. we begin with beautiful promises, then we content ourselves, afterwards, to say that we have nothing to fear; then we leave without taking anything from what we have said, and one fine morning the misfortune falls on the poor world without anyone knowing where it comes from.

—Soyez tranquille, bonne femme, le malheur ne vous viendra pas de mon côté, je vous en réponds.» -Be quiet, good woman, misfortune will not come to you, I answer you. »

La Carconte grommela quelques paroles qu’on ne put entendre, laissa retomber sur ses genoux sa tête un instant soulevée et continua de trembler de la fièvre, laissant son mari libre de continuer la conversation, mais placée de manière à n’en pas perdre un mot. La Carconte muttered some words that could not be heard, let her head fall on her knees for a moment raised and continued to tremble with fever, leaving her husband free to continue the conversation, but placed so as not to lose a moment. word.

Pendant ce temps, l’abbé avait bu quelques gorgées d’eau et s’était remis. During this time, the abbot had taken a few sips of water and had recovered.

«Mais reprit-il, ce malheureux vieillard était-il donc si abandonné de tout le monde, qu’il soit mort d’une pareille mort? "But," said he, "was this unfortunate old man so abandoned by all, that he died of such a death?

—Oh! monsieur, reprit Caderousse, ce n’est pas que Mercédès la Catalane, ni M. Morrel l’aient abandonné; mais le pauvre vieillard s’était pris d’une antipathie profonde pour Fernand, celui-là même, continua Caderousse avec un sourire ironique, que Dantès vous a dit être de ses amis. sir, "said Caderousse," it is not that Mercedes the Catalan, nor M. Morrel have abandoned her; but the poor old man had taken a deep dislike for Fernand, the same one, continued Caderousse with an ironic smile, that Dantes has told you to be his friends.

—Ne l’était-il donc pas? -Was he not? dit l’abbé. said the abbot.

—Gaspard! “Gaspard! Gaspard! Gaspard! murmura la femme du haut de son escalier, fais attention à ce que tu vas dire.» murmured the woman from the top of her staircase, pay attention to what you're going to say. "

Caderousse fit un mouvement d’impatience, et sans accorder d’autre réponse à celle qui l’interrompait: Caderousse made a movement of impatience, and without giving any other answer to that which interrupted him:

«Peut-on être l’ami de celui dont on convoite la femme? "Can we be the friend of the one whose wife we covet? répondit-il à l’abbé. he replied to the abbot. Dantès, qui était un cœur d’or, appelait tous ces gens-là ses amis.... Pauvre Edmond!... Dantes, who was a heart of gold, called all these people his friends .... Poor Edmond! ... Au fait, il vaut mieux qu’il n’ait rien su; il aurait eu trop de peine à leur pardonner au moment de la mort.... Et, quoi qu’on dise, continua Caderousse dans son langage qui ne manquait pas d’une sorte de rude poésie, j’ai encore plus peur de la malédiction des morts que de la haine des vivants. In fact, it is better that he knew nothing; he would have had too much trouble forgiving them at the moment of death .... And, whatever may be said, continued Caderousse in his language, which did not lack a sort of harsh poetry, I am even more afraid of the curse of the dead only of the hatred of the living.

—Imbécile! -Imbecile! dit la Carconte. said Carconte.

—Savez-vous donc, continua l’abbé, ce que Fernand a fait contre Dantès. “Do you know, then,” continued the abbe, “what Fernand did against Dantès.

—Si je sais, je le crois bien. “If I know, I believe it.

—Parlez alors. “Speak then.

—Gaspard, fais ce que tu veux, tu es le maître, dit la femme; mais si tu m’en croyais, tu ne dirais rien. "Gaspard, do what you want, you are the master," said the woman; but if you believed me, you would not say anything.

—Cette fois, je crois que tu as raison, femme, dit Caderousse. “This time, I think you're right, woman,” said Caderousse.

—Ainsi, vous ne voulez rien dire? “So you don't want to say anything? reprit l’abbé. replied the abbe.

—À quoi bon! -What's the point! dit Caderousse. said Caderousse.

Si le petit était vivant et qu’il vînt à moi pour connaître une bonne fois pour toutes ses amis et ses ennemis, je ne dis pas; mais il est sous terre, à ce que vous m’avez dit, il ne peut plus avoir de haine, il ne peut plus se venger. If the little one were alive and came to me to know once for all his friends and his enemies, I do not say; but he is underground, as you told me, he can no longer have hatred, he can no longer avenge himself. Éteignons tout cela. Let's erase all this.

—Vous voulez alors, dit l’abbé, que je donne à ces gens, que vous donnez pour d’indignes et faux amis une récompense destinée à la fidélité? "Do you want, then," said the abbe, "that I give to these people, that you give for unworthy and false friends a reward destined for fidelity?

—C’est vrai, vous avez raison, dit Caderousse. "That's right, you're right," said Caderousse. D’ailleurs que serait pour eux maintenant le legs du pauvre Edmond? Besides, what would be to them now the legacy of poor Edmond? une goutte d’eau tombant à mer! a drop of water falling at sea!

—Sans compter que ces gens-là peuvent t’écraser d’un geste, dit la femme. "Never mind that these people can crush you with a gesture," said the woman.

—Comment cela? -What do you mean? ces gens-là sont donc devenus riches et puissants? have these people become rich and powerful?

—Alors, vous ne savez pas leur histoire? -So, you do not know their story?

—Non, racontez-la-moi.» “No, tell me.”

Caderousse parut réfléchir un instant. Caderousse seemed to think for a moment.

«Non, en vérité, dit-il, ce serait trop long. "No, really," he said, "it would be too long.

—Libre à vous de vous taire, mon ami, dit l’abbé avec l’accent de la plus profonde indifférence, et je respecte vos scrupules; d’ailleurs ce que vous faites là est d’un homme vraiment bon: n’en parlons donc plus. "Easy to shut you up, my friend," said the abbe, with the accent of the deepest indifference, "and I respect your scruples; besides what you do there is a really good man: let's not talk about it anymore. De quoi étais-je chargé? What was I charged with? D’une simple formalité. Of a simple formality. Je vendrai donc ce diamant.» I will sell this diamond. "

Et il tira le diamant de sa poche, ouvrit l’écrin, et le fit briller aux yeux éblouis de Caderousse. And he drew the diamond from his pocket, opened the case, and made it shine with the dazzled eyes of Caderousse.

«Viens donc voir, femme! "Come see, woman! dit celui-ci d’une voix rauque. he said hoarsely.

—Un diamant! -A diamond! dit la Carconte se levant et descendant d’un pas assez ferme l’escalier, qu’est-ce que c’est donc que ce diamant? "said La Carconte, rising and descending the staircase with a firm step," what is this diamond?

—N’as-tu donc pas entendu, femme? "Have you not heard, woman? dit Caderousse, c’est un diamant que le petit nous a légué: à son père d’abord, à ses trois amis Fernand, Danglars et moi et à Mercédès sa fiancée. said Caderousse, it is a diamond that the little one bequeathed to us: to his father first, to his three friends Fernand, Danglars and I and to Mercédès his fiancée. Le diamant vaut cinquante mille francs. The diamond is worth fifty thousand francs.

—Oh! le beau joyau! the beautiful jewel! dit-elle. she says.

—Le cinquième de cette somme nous appartient, alors? -The fifth of this sum belongs to us, then? dit Caderousse. said Caderousse.

—Oui, monsieur, répondit l’abbé, plus la part du père de Dantès, que je me crois autorisé à répartir sur vous quatre. "Yes, sir," replied the abbe, "plus the part of Dantes's father, whom I believe myself entitled to distribute over you four.

—Et pourquoi sur nous quatre? And why on us four? demanda la Carconte. asked Carconte.

—Parce que vous étiez les quatre amis d’Edmond. "Because you were Edmond's four friends.

—Les amis ne sont pas ceux qui trahissent! -Friends are not the ones who betray! murmura sourdement à son tour la femme. murmured the woman in turn.

—Oui, oui, dit Caderousse, et c’est ce que je disais: c’est presque une profanation, presque un sacrilège que de récompenser la trahison, le crime peut-être. "Yes, yes," said Caderousse, "and that's what I said: it's almost a profanation, almost a sacrilege, to reward treason, perhaps crime.

—C’est vous qui l’aurez voulu, reprit tranquillement l’abbé en remettant le diamant dans la poche de sa soutane; maintenant donnez-moi l’adresse des amis d’Edmond, afin que je puisse exécuter ses dernières volontés.» "It is you who will have it," replied the abbe, calmly, putting the diamond back in the pocket of his cassock; now give me the address of Edmond's friends, that I may execute his last wishes. "

La sueur coulait à lourdes gouttes du front de Caderousse; il vit l’abbé se lever, se diriger vers la porte, comme pour jeter un coup d’œil d’avis à son cheval, et revenir. Sweat ran down heavy drops of Caderousse's forehead; he saw the abbe get up, go towards the door, as if to glance at his horse and return.

Caderousse et sa femme se regardaient avec une indicible expression. Caderousse and his wife looked at each other with an indescribable expression.

«Le diamant serait pour nous tout entier, dit Caderousse. "The diamond would be for us all," says Caderousse.

—Le crois-tu? -Do you believe it? répondit la femme. replied the woman.

—Un homme d’Église ne voudrait pas nous tromper. “A man of the Church would not want to deceive us.

—Fais comme tu voudras, dit la femme; quant à moi, je ne m’en mêle pas.» "Do as you please," said the woman; as for me, I do not interfere. "

Et elle reprit le chemin de l’escalier toute grelottante; ses dents claquaient, malgré la chaleur ardente qu’il faisait. And she went back to the stairs, all shivering; his teeth chattered, despite the fiery heat he was making.

Sur la dernière marche, elle s’arrêta un instant. On the last step, she stopped for a moment.

«Réfléchis bien, Gaspard! “Think carefully, Gaspard! dit-elle. she says.

—Je suis décidé», dit Caderousse. "I have made up my mind," said Caderousse.

La Carconte rentra dans sa chambre en poussant un soupir; on entendit le plafond crier sous ses pas jusqu’à ce qu’elle eût rejoint son fauteuil où elle tomba assise lourdement. La Carconte returned to her room with a sigh; The ceiling was heard screaming under her feet until she had rejoined her chair, where she fell heavily.

«À quoi êtes-vous décidé? "What are you up to? demanda l’abbé. asked the abbe.

—À tout vous dire, répondit celui-ci. "To tell you the truth," replied the latter.

—Je crois, en vérité, que c’est ce qu’il y a de mieux à faire, dit le prêtre; non pas que je tienne à savoir les choses que vous voudriez me cacher; mais enfin, vous pouvez m’amener à distribuer les legs selon les vœux du testateur, ce sera mieux. "I believe, in truth, that this is the best thing to do," said the priest; not that I want to know the things you want to hide from me; but finally, you can lead me to distribute the legacies according to the wishes of the testator, it will be better.

—Je l’espère, répondit Caderousse, les joues enflammées par la rougeur de l’espérance et de la cupidité. "I hope so," replied Caderousse, his cheeks inflamed by the blush of hope and greed.

—Je vous écoute, dit l’abbé. "I am listening to you," said the abbe.

—Attendez, reprit Caderousse, on pourrait nous interrompre à l’endroit le plus intéressant, et ce serait désagréable; d’ailleurs, il est inutile que personne sache que vous êtes venu ici.» "Wait," said Caderousse, "we might be interrupted at the most interesting place, and it would be disagreeable; besides, it is useless for anyone to know that you have come here. "

Et il alla à la porte de son auberge et ferma la porte, à laquelle, par surcroît de précaution, il mit la barre de nuit. And he went to the door of his inn and closed the door, to which, by extra precaution, he set the bar of night.

Pendant ce temps, l’abbé avait choisi sa place pour écouter tout à son aise; il s’étais assis dans un angle, de manière à demeurer dans l’ombre, tandis que la lumière tomberait en plein sur le visage de son interlocuteur. Meanwhile, the abbot had chosen his place to listen to everything at his ease; he had sat in a corner, so as to remain in the shadow, while the light would fall right on the face of his interlocutor. Quant à lui, la tête inclinée, les mains jointes ou plutôt crispées, il s’apprêtait à écouter de toutes ses oreilles. As for him, his head inclined, his hands clasped or rather tense, he was about to listen with all his ears.

Caderousse approcha un escabeau et s’assit en face de lui. Caderousse approached a stool and sat down opposite him.

«Souviens-toi que je ne te pousse à rien! "Remember, I'm not pushing you for anything! dit la voix tremblotante de la Carconte, comme si, à travers le plancher, elle eût pu voir la scène qui se préparait. said the trembling voice of the Carconte, as if through the floor she could have seen the scene that was being prepared.

—C’est bien, c’est bien, dit Caderousse, n’en parlons plus; je prends tout sur moi.» "That's good, it's good," said Caderousse; I take everything on myself. "

Et il commença. And he began.