22b. Notre conception du monde interdit monde de demain: Y. Roudaut. Partie 2/2.
Alors il y en a beaucoup.
En tant qu'ancien économiste, j'en vois au moins trois sur le plan économique.
● La 1ère, c'est la vérité selon laquelle, la croissance est le seul moteur de l'économie.
Je vous rappelle qu'en Grec, que veut dire le mot économie ?
Économie, ça veut dire gestion des ressources, gestion du domaine, de la maison. Ça ne veut pas forcément dire croissance, ce n'est pas synonyme.
● 2ème vérité qui pourrait voler en éclats, c'est celle selon laquelle la croissance est infinie - c'est notre modèle de consommation, - dans un monde fini de plus en plus petit, puisqu'on est de plus en plus nombreux avec moins de ressources.
Ce dogme, il n'est pas question de le remettre en question.
● 3ème dogme, troisième vérité acquise, c'est le nécessaire sacrifice du vivant, au service de cette croissance.
On s'est quand même octroyé le droit à polluer, le droit à empoisonner, le droit à intoxiquer, pourquoi ?
Parce que la croissance l'exige. Donc, la question qui se pose aujourd'hui, c'est, si nous continuons comme ça, si nous continuons à sacrifier le vivant, est-ce que la dispute, est-ce que le dialogue sera autorisé ?
Eh bien, la réponse n'est pas aussi évidente, car on peut s'interroger sur le fait que les gens qui remettent en cause ces dogmes de croissance moteur de l'économie, de mythe de la croissance infinie, sont peut-être encore aujourd'hui considérés comme les hérétiques d'hier.
Je vous avoue que je ne suis pas sûr, que (qu') en ce moment, au XXIème siècle, on fasse preuve d'une grande sagesse à l'égard de ceux qui osent remettre en question un système qui nous profite à tous.
Il est extrêmement important d'ouvrir nos esprits.
Et pourtant, nous sommes de plus en plus nombreux, tous ici, ce soir, je pense que vous en êtes convaincus, nous savons que le chemin pris depuis deux siècles nous emmène directement comme le dit si bien le philosophe Jonas, vers quoi ? Vers l'impasse tragique. Le développement économique sur lequel nous basons notre modèle nous emmène dans une impasse tragique. Et Hanse Jonas ajoute une très belle expression ; il dit :
« De toutes façons, la nature finira par apporter son ultime veto, ça en sera fini ».
Autre question qui se pose, après ce que je viens de vous dire, et qui m'interpelle personnellement, c'est :
« Que penseront nos enfants et descendants de nos comportements, de notre entêtement de notre obsession d'un modèle économique destructeur ?
» Et bien, il y a fort à parier qu'ils nous appelleront peut-être barbares, à l'égard du monde vivant, et peut-être, qu'ils éprouveront le même mépris la même indignation que nous pouvons éprouver au jour d'aujourd'hui, par rapport à ceux qui ont développé l'esclavagisme il y a deux ou trois siècles. Ce que je veux dire par là, c'est que nos comportements aujourd'hui (ne) sont pas plus glorieux que ceux que l'aujourd'hui l'on méprise.
Pourquoi ?
Parce qu'il y a trois siècles, l'esclavagisme était non négociable. Tout le modèle économique européen et américain reposait sur l'esclavagisme. Et aujourd'hui, en 2013, que se passe-t-il ? Tout notre modèle économique, toute notre société repose sur quoi ? Sur l'exploitation, le sacrifice du vivant.
La question qui se pose donc aujourd'hui, c'est « Qu'est-ce qu'on faire ?
», bien sûr. Et avant de savoir ce qu'on va faire, c'est comprendre pourquoi on en est arrivé là, afin de ne pas « re-commettre » la même erreur dans le monde de demain. Et comment on en est arrivé là ?
Et bien, la réponse est simple, elle tient en quelques mots : ces quelques mots, c'est le philosophe Descartes qui nous l'a dit il y a déjà quatre siècles ; il nous a dit quoi ?
« L'homme est le seul maître et possesseur de la nature ».
Point à la ligne.
Nous dominons la nature, nous la façonnons, nous la modelons, nous en faisons ce que nous voulons. Et depuis cette pensée cartésienne, que se passe-t-il ? Eh bien, nous considérons la nature comme un puits sans fond, comme une mine dans laquelle on vient puiser, et on jette. Et c'est toute la problématique, c'est que la nature, on la considère comme quoi ? Eh bien finalement, ça pose l'homme comme extérieur à la nature, c'est notre extériorité qui pose problème.
Et Michel Serres, dès 1990, avait une réflexion extrêmement juste comme toujours, Michel Serres nous disait :
« Et finalement, la notion d'environnement nous pose problème, parce que l'environnement sous-entend que l'homme est posé, entouré d'un monde vivant.
Nous sommes détachés de la nature. Tant que nous n'aurons pas résolu, tant que nous n'aurons pas une réconciliation avec cette nature, ça ne fonctionnera pas. Il (ne) s'agit pas là de sacraliser la nature, de la mettre sur un autel, une déesse sacrée, il s'agit juste de faire avec la nature, et non contre ou sans elle. » Alors, comment allons-nous faire ? Eh bien, la conclusion de mes récents travaux c'est qu'il va falloir organiser, tout simplement, c'est extrêmement facile, une nouvelle controverse. C'est quoi la controverse ? C'est une dispute, c'est un débat mondial.
Que s'est-il passé à Valladolid au XVIème siècle, en 1550 ?
Eh bien, une discussion, une dispute a eu lieu en Espagne pour savoir si les Amérindiens étaient des êtres vivants ou non. Parce que vous imaginez bien que cette main-d'œuvre docile si on l'exploitait gratuitement, on développait le Nouveau Monde. Mais si c'étaient des hommes, on ne pouvait pas les réduire à l'état d'esclavage. C'était insupportable.
Donc, on discute sur l'humanité ou non des Amérindiens.
Au XXIème siècle, il va falloir qu'on organise une nouvelle controverse. Mais cette nouvelle controverse, cette fois-ci, eh bien, aura pour but de déterminer quels sont les seuils de tolérance vis-à-vis de la nature par rapport à l'activité humaine. Qu'est-ce que la nature peut supporter, quel modèle économique peut-elle supporter, avons-nous le droit de polluer, le droit de tuer l'avenir de nos enfants et de détruire leur patrimoine commun ?
Cette nouvelle controverse elle nous permettra de rédiger la Déclaration Universelle des Devoirs de l'Homme envers la Nature.
Je dis bien des devoirs, pourquoi ? La Déclaration des Droits de l'Homme a été la pierre angulaire du monde moderne, du monde d'aujourd'hui. La Déclaration Universelle des Devoirs de l'Homme sera la pierre angulaire du nouveau monde de demain. Elle nous fixera des limites, des bornes à notre activité. Comment lancer cette nouvelle controverse ? Eh bien, il va falloir s'organiser, mais vous allez me dire, avant de s'organiser et de la lancer,
« Roudaut il a fumé, il est utopiste, il est Bisounours, c'est un fantasme tout ça ».
Je vous renvoie à l'Histoire une fois encore, qui aurait pensé avant Constantin et Théodos 1er, que les Romains verraient leur empire détruit par une poignée d'individus à l'intérieur qu'on appelait les Chrétiens ?
Qui aurait pensé avant la Révolution française et la fin de la monarchie qu'une poignée d'hommes écrirait la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme ? Eh bien peut-être qu'aujourd'hui, les gens qui réfléchissent à un autre monde qui aspirent à des nouvelles valeurs sont peut-être, vous êtes peut-être, je suis peut-être, les premiers Chrétiens de l'Empire Romain.
Nous sommes peut-être en train de changer les choses de l'intérieur par la seule aspiration de nos valeurs à un autre monde.
Comment organiser cette nouvelle controverse ? Eh bien, c'est extrêmement simple, parce qu'à défi inédit, nous avons un outil inédit dans les mains, vous l'avez tous dans les mains ce soir, c'est la connexion. Nous sommes tous connectés. Et ça va tout changer. Le fait d'être connecté nous permet de lancer une controverse, d'envisager le monde de demain. Et d'ailleurs, je terminerai sur cette connexion, puisque dès ce soir, je vous propose de lancer le premier Tweet sur la nouvelle controverse, ici, maintenant à Nantes, c'est parti, envoyé.
Et je vous invite à poursuivre le débat sans moi, après, ou avec moi.
Merci.
(Applaudissements)