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innerFrench Podcast - Episodes #97 Onward, #106 Les Français sont-ils woke ? (2)

#106 Les Français sont-ils woke ? (2)

[00:14:18] À cette époque, plusieurs philosophes français commencent à devenir très populaires dans les universités américaines. Parmi eux, on peut citer Jacques Derrida, Michel Foucault ou encore Gilles Deleuze. Les étudiants s'échangent leurs textes sur les campus et ces philosophes deviennent quasiment des rockstars.

[00:14:38] Le problème, c'est qu'à part leur nationalité, ils n'ont pas grand-chose en commun. Ils ont des idées et ils s'intéressent à des domaines assez éloignés. Mais aux États-Unis, on les rassemble sous le nom de «French theory», comme s'ils appartenaient à un même courant.

[00:14:57] Il faut dire que même pour les Français, leurs textes ne sont pas faciles à comprendre, et pour les traducteurs, c'est carrément un cauchemar. Donc les traductions qui circulent dans les universités américaines sont parfois plus proches de l'interprétation personnelle du traducteur ou de la traductrice que d'une transcription fidèle des idées de ces philosophes.

[00:15:23] Mais alors qu'est-ce que c'est que cette «French theory» qui devient tellement à la mode dans les années 70 et qu'on appelle aussi parfois «post-structuralisme» ou «post-modernisme» ?

[00:15:35] L'idée centrale de cette théorie, telle qu'elle est comprise dans les universités américaines, c'est la déconstruction, un concept philosophique popularisé par Jacques Derrida qui s'inspire de Heidegger et Nietzsche. Si on simplifie énormément, la déconstruction, c'est l'idée que la société et la culture sont entièrement constituées de systèmes de pouvoir et d'oppression (ça, c'est aussi un thème qu'on trouve dans l'oeuvre de Foucault). Mais ces systèmes sont difficiles à discerner parce qu'ils sont cachés. La déconstruction est donc l'outil qui nous permet de les dévoiler, de les révéler.

[00:16:19] Dans les universités américaines, on se met à tout déconstruire en commençant par la littérature. Oui parce que ces philosophes étaient étudiés dans les départements de lettres françaises, pas dans ceux de philosophie. Donc c'est là que leurs idées ont été appliquées en premier.

[00:16:36] Au lieu d'analyser les oeuvres à travers une perspective littéraire (la structure de l'histoire, les figures de style, les personnages etc. ), les étudiants en font une lecture à la fois politique et psychanalytique. Ils s'intéressent parfois plus à l'auteur•e et au contexte d'écriture qu'au texte lui-même.

[00:16:58] C'est pour ça que la French theory est si fascinante pour les étudiants : elle permet de tout questionner. Chacun peut avoir sa propre interprétation, sa propre explication, et il est difficile de les contredire.

[00:17:12] La French theory rencontre un tel succès qu'elle finit par donner naissance à de nouvelles disciplines universitaires dans les années 80 : les Cultural Studies. Parmi elles, on trouve par exemple les women studies, les black studies, et plus récemment les queer studies. À chaque fois, l'objectif est de voir comment des minorités ont été opprimées et invisibilisées par le pouvoir dominant, par exemple les femmes qui, pendant longtemps, étaient complètement absentes des livres d'histoire, comme si elles n'avaient joué aucun rôle dans les grands évènements historiques.

[00:17:54] Ces nouveaux départements ont logiquement trouvé écho dans les mouvements militants. Grâce à leur collaboration, ils ont notamment permis la mise en place de politiques de discrimination positive (affirmative action) comme les quotas pour la sélection des étudiants dans les universités.

[00:18:14] Mais à cause de ce lien que les Cultural studies ont avec les mouvements activistes, elles sont maintenant accusées de faire plus de militantisme politique que de recherche académique.

[00:18:27] Pour conclure sur la French theory, le plus paradoxal, c'est qu'au moment où ces philosophes français étaient célébrés aux États-Unis, ils ont commencé à être oubliés en France. Dans nos universités, on est passés à autre chose. Les idées de Derrida, Foucault et Deleuze n'ont pas eu autant d'impact qu'aux États-Unis. Et c'est seulement bien plus tard qu'on a découvert avec surprise cette fameuse «théorie française.»

*

[00:19:07] Mais revenons-en au mot «woke». Comme je vous le disais un peu plus tôt, grâce à la popularité du mouvement Black Lives Matter, le slogan «Stay woke» a commencé à être repris par d'autres mouvements militants. «Être woke» est devenu synonyme d'être conscient de toutes les discriminations envers les minorités, qu'elles soient liées à la race, au genre, à l'orientation sexuelle etc.

[00:19:34] Et le moins qu'on puisse dire, c'est que ces mouvements ont été très actifs ces dernières années, surtout pendant le mandat de Trump. Ils ont utilisé les réseaux sociaux pour dénoncer ce qui leur semblait être des injustices ou, au contraire, des privilèges, aussi bien dans les institutions, que les entreprises, ou les médias.

[00:19:57] Mais ces critiques woke n'ont pas plu aux Républicains. Déjà, parce qu'ils considéraient qu'elles n'étaient pas fondées et qu'elles étaient une nouvelle version du politiquement correct. Ensuite, parce que ces critiques prenaient uniquement pour cibles les hommes blancs hétérosexuels, comme s'ils étaient responsables de tous les maux, de tous les problèmes de la société américaine.

[00:20:24] Donc les conservateurs se sont eux aussi mis à utiliser le mot «woke» mais comme une insulte, dans la même veine que Social justice warrior. «Dans la même veine», ça veut dire «dans le même style» ou «en suivant le même raisonnement.»

[00:20:43] Mais les Républicains n'étaient pas les seuls à dénigrer les idées woke. Même du côté démocrate, on a commencé à entendre quelques critiques. Par exemple, en octobre 2019, l'ancien président démocrate Barack Obama a déclaré (je vous traduis la citation) : «L'idée de la pureté, de l'absence de compromis, qu'on est éveillé politiquement, et tout ça… Vous devriez arrêter ça très vite. Le monde est compliqué et plein d'ambiguïté.»

[00:21:14] Bref, le sens péjoratif du mot «woke» a progressivement remplacé son sens originel. Il est devenu un adjectif pour désigner des personnes, souvent jeunes, endoctrinées par les Cultural studies, qui refusent le dialogue et passent leur temps à donner des leçons de justice sociale.

[00:21:33] Logiquement, avec toutes ces connotations négatives, les gens qui se revendiquaient «woke» ont fini par abandonner ce terme. Si bien qu'aujourd'hui, il est presque uniquement utilisé de manière péjorative par leurs adversaires.

[00:21:48] Voilà, j'ai essayé de résumer les positions des deux camps pour mieux comprendre les origines du débat. J'espère ne pas avoir été trop caricatural. Il y a eu tellement de polémiques ces dernières années que c'est difficile de rester factuel. Mais j'espère que c'est plus clair pour ceux d'entre vous qui ne s'intéressent pas aux États-Unis. Maintenant, retour en France pour voir si oui ou non, mes compatriotes sont woke.

*

[00:22:24] Commençons par revenir à cette fameuse French theory qui a eu une telle influence dans les universités américaines.

[00:22:32] Comme je vous l'ai dit, chez nous, elle n'existe pas parce qu'on ne considère pas que ces philosophes fassent partie d'un même groupe. Pour nous, Michel Foucault appartient au courant structuraliste qui n'est pas la même chose que la «déconstruction» de Jacques Derrida ni la philosophie de Gilles Deleuze.

[00:22:51] Ensuite, dans les universités françaises, il n'y a pas de départements de «Cultural studies» qui se spécialisent dans l'étude des minorités. Ce qui est intéressant avec ce modèle, c'est qu'il permet de croiser plusieurs disciplines (l'histoire, la sociologie, la littérature, les sciences politiques etc.) pour mieux comprendre la façon dont une minorité est traitée par la société.

[00:23:16] Mais en France, on considère que les champs universitaires ne doivent pas être mélangés. L'histoire, la sociologie, la littérature sont des disciplines indépendantes qui utilisent des méthodologies différentes. Donc on peut étudier par exemple l'évolution de la place des homosexuels en histoire, les pratiques des familles homosexuelles en sociologie, la perception de l'homosexualité dans les romans en littérature, mais on ne peut pas créer une nouvelle discipline qui croise toutes ces recherches.

[00:23:51] Et les milieux académiques sont encore plus réticents à le faire quand l'objet d'étude est une minorité parce qu'ils ont peur que leurs recherches prennent une dimension politique ou militante et qu'elles perdent leur objectivité. Eh oui, n'oubliez pas que nous sommes les héritiers du positivisme d'Auguste Comte. On considère que les questions scientifiques doivent être séparées de toute considération politique, que la science doit rester neutre, et cela concerne aussi bien les sciences sociales que les mathématiques ou la physique.

[00:24:27] Mais les choses commencent à changer. Par exemple, ces dernières années, plusieurs universités ont créé un département «Études sur le genre», notamment l'Université Paris 8, ce qui a suscité de nombreuses critiques évidemment !

[00:24:43] Donc ça, c'était pour la partie, disons, théorique. La French theory n'existe pas chez nous, et nos universités ne fonctionnent pas de la même manière.

[00:24:53] Mais selon une partie de la classe politique et des intellectuels français, le plus grand danger du «wokisme», c'est qu'il menace notre modèle, un modèle que nous avons hérité des Lumières et de la Révolution de 1789 : l'universalisme républicain.

[00:25:13] Alors, qu'est-ce qu'on entend exactement par «universalisme républicain» ?

[00:25:18] C'est l'idée selon laquelle dans la République française, tous les citoyens ont les mêmes droits et doivent être traités de la même manière, peu importe leur couleur de peau, leur sexe, leur religion etc. C'est vraiment un principe fondateur de notre société, un principe qui a été repris par tous les gouvernements ou presque depuis la Révolution.

[00:25:44] Aux yeux de la République française, il n'existe aucune communauté. Si vous êtes français ou française, vous avez les mêmes droits que tous les autres Français et Françaises, point barre. Votre sexe, vos origines et vos convictions religieuses n'ont aucune importance.

[00:26:01] D'ailleurs, les questionnaires basés sur des critères raciaux, ethniques ou religieux sont illégaux en France. Si vous êtes une entreprise et que vous faites un sondage auprès de vos clients en leur demandant quelle est leur race ou leur religion, vous risquez 5 ans de prison et 300 000 euros d'amende. Donc vous voyez qu'on prend ça très au sérieux. D'autant plus que nous sommes assez sceptiques vis-à-vis de la notion de «race». Elle a même été effacée de la constitution en 2018 car on estime que ce concept n'a pas de réalité scientifique et qu'il finit toujours par conduire au racisme.

[00:26:42] Mais est-ce qu'effacer le mot «race» de notre Constitution veut dire que le racisme n'existe pas en France ? Évidemment non ! Et quand on voit la popularité grandissante des politiciens d'extrême droite depuis une vingtaine d'années, on peut penser qu'il est loin d'avoir disparu.

[00:26:59] Dans tous les cas, vous comprenez pourquoi l'universalisme républicain semble incompatible avec le mouvement «woke». Si on reconnaît l'existence de communautés qui ne sont pas traitées de la même manière que d'autres, on admet que notre modèle ne fonctionne pas. Mais certains politiciens et intellectuels pensent qu'il y a un autre risque encore plus grand avec le «wokisme», celui que notre République se transforme en une dictature des minorités.

[00:27:30] Le problème, c'est que notre «modèle universaliste» n'est universaliste que sur le papier. Pour illustrer ça, on peut prendre le droit de vote des femmes. En France, les femmes n'ont obtenu le droit de vote qu'en 1944, soit un siècle et demi après la création de notre fameux modèle. Avant cette date, les gouvernements ne voyaient aucune contradiction pour le fait que leur «universalisme républicain» refusait le droit de vote à plus de la moitié de la population.

[00:28:03] Ça, c'est l'exemple le plus évident, mais il en existe plein d'autres qui sont documentées par des milliers d'études sociologiques réalisées depuis les années 70. Certaines personnes ont plus de mal à trouver du travail à cause de leurs origines réelles ou supposées. Le salaire moyen des Françaises est inférieur de 17% à celui des Français.

[00:28:26] Bref, ces discriminations sont bien réelles, mais à cause de notre «universalisme républicain», il est difficile d'en admettre l'existence, de les mesurer et de les corriger.

[00:28:38] Un autre argument que les anti-woke français utilisent souvent, c'est que la France n'a pas la même histoire que les États-Unis. L'esclavage a «seulement» (là vous ne pouvez pas voir mais je dis «seulement» avec des gros guillemets ), l'esclavage a «seulement» existé dans nos colonies, et nous n'avons jamais eu de politique de ségrégation raciale. Donc il n'y a pas les mêmes tensions autour de cette question chez nous qu'aux États-Unis.

[00:29:06] Vous avez sûrement entendu parler des polémiques à propos des statues aux États-Unis, ces statues qui ont été déboulonnées. «Déboulonner», ça veut dire «démonter», «enlever une chose du support auquel elle est attachée». Aux États-Unis, depuis la mort de George Floyd, il y a des militants qui déboulonnent des statues de personnages historiques qui, selon eux, ne devraient pas être célébrés à cause de leur implication dans l'esclavagisme.


#106 Les Français sont-ils woke ? (2) #106 Are the French woke? (2)

[00:14:18] À cette époque, plusieurs philosophes français commencent à devenir très populaires dans les universités américaines. Parmi eux, on peut citer Jacques Derrida, Michel Foucault ou encore Gilles Deleuze. Les étudiants s'échangent leurs textes sur les campus et ces philosophes deviennent **quasiment** des rockstars.

[00:14:38] Le problème, c'est qu'à part leur nationalité, ils n'ont pas grand-chose en commun. Ils ont des idées et ils s'intéressent à des domaines assez éloignés. Mais aux États-Unis, on les rassemble sous le nom de «French theory», comme s'ils appartenaient à un même **courant**.

[00:14:57] Il faut dire que même pour les Français, leurs textes ne sont pas faciles à comprendre, et pour les traducteurs, c'est **carrément** un cauchemar. Donc les traductions qui circulent dans les universités américaines sont parfois plus proches de l'interprétation personnelle du traducteur ou de la traductrice que d'une transcription fidèle des idées de ces philosophes.

[00:15:23] Mais alors qu'est-ce que c'est que cette «French theory» qui devient tellement à la mode dans les années 70 et qu'on appelle aussi parfois «post-structuralisme» ou «post-modernisme» ? [00:15:23] But then what is this “French theory” which became so fashionable in the 70s and which is also sometimes called “post-structuralism” or “post- modernism”?

[00:15:35] L'idée centrale de cette théorie, telle qu'elle est comprise dans les universités américaines, c'est la déconstruction, un concept philosophique popularisé par Jacques Derrida qui s'inspire de Heidegger et Nietzsche. Si on simplifie énormément, la déconstruction, c'est l'idée que la société et la culture sont entièrement constituées de systèmes de pouvoir et d'oppression (ça, c'est aussi un thème qu'on trouve dans l'oeuvre de Foucault). Mais ces systèmes sont difficiles à **discerner** parce qu'ils sont cachés. La déconstruction est donc l'outil qui nous permet de les **dévoiler**, de les révéler.

[00:16:19] Dans les universités américaines, **on se met à** tout déconstruire en commençant par la littérature. Oui parce que ces philosophes étaient étudiés dans les départements de lettres françaises, pas dans ceux de philosophie. Donc c'est là que leurs idées ont été appliquées en premier.

[00:16:36] Au lieu d'analyser les oeuvres **à** **travers** une perspective littéraire (la structure de l'histoire, les figures de style, les personnages etc. [00:16:36] Instead of analyzing the works through a literary perspective (the structure of the story, the figures of speech, the characters etc. ), les étudiants en font une lecture à la fois politique et psychanalytique. ), the students read it both politically and psychoanalytically. Ils s'intéressent parfois plus à l'auteur•e et au contexte d'écriture qu'au texte lui-même. They are sometimes more interested in the author and the writing context than in the text itself.

[00:16:58] C'est pour ça que la French theory est si fascinante pour les étudiants : elle permet de tout questionner. Chacun peut avoir sa propre interprétation, sa propre explication, et il est difficile de les contredire. Everyone can have their own interpretation, their own explanation, and it is difficult to contradict them.

[00:17:12] La French theory rencontre un tel succès qu'elle finit par **donner naissance à** de nouvelles disciplines universitaires dans les années 80 : les Cultural Studies. Parmi elles, on trouve par exemple les women studies, les black studies, et plus récemment les queer studies. À chaque fois, l'**objectif** est de voir comment des minorités ont été opprimées et invisibilisées par le pouvoir dominant, par exemple les femmes qui, pendant longtemps, étaient complètement absentes des livres d'histoire, **comme si elles n'avaient joué aucun rôle** dans les grands évènements historiques. Each time, the objective is to see how minorities have been oppressed and made invisible by the dominant power, for example women who, for a long time, were completely absent from the history books, as if they had played no role in major historical events. В каждом случае цель - увидеть, как меньшинства были угнетены и невидимы доминирующей властью, например, женщины, которые долгое время полностью отсутствовали в учебниках истории, как будто они не играли никакой роли в великих исторических событиях.

[00:17:54] Ces nouveaux départements ont logiquement trouvé écho dans les mouvements militants. Grâce à leur collaboration, ils ont notamment permis la mise en place de politiques de discrimination positive (affirmative action) comme les quotas pour la sélection des étudiants dans les universités. Thanks to their collaboration, they notably enabled the establishment of positive discrimination policies (affirmative action) such as quotas for the selection of students in universities.

[00:18:14] Mais à cause de ce lien que les Cultural studies ont avec les mouvements activistes, elles sont maintenant accusées de faire plus de militantisme politique que de recherche académique.

[00:18:27] Pour conclure sur la French theory, le plus paradoxal, c'est qu'au moment où ces philosophes français étaient célébrés aux États-Unis, ils ont commencé à être oubliés en France. Dans nos universités, **on est passés à autre chose**. Les idées de Derrida, Foucault et Deleuze n'ont pas eu autant d'impact qu'aux États-Unis. Et c'est seulement bien plus tard qu'on a découvert avec surprise cette fameuse «théorie française.»

***

[00:19:07] Mais revenons-en au mot «woke». Comme je vous le disais un peu plus tôt, grâce à la popularité du mouvement Black Lives Matter, le slogan «Stay woke» a commencé à être repris par d'autres mouvements militants. «Être woke» est devenu synonyme d'être conscient de toutes les discriminations envers les minorités, **qu'elles soient liées à** la race, au genre, à l'orientation sexuelle etc.

[00:19:34] Et **le moins qu'on puisse dire**, c'est que ces mouvements ont été très actifs ces dernières années, surtout pendant le mandat de Trump. [00:19:34] And the least we can say is that these movements have been very active in recent years, especially during Trump's mandate. Ils ont utilisé les réseaux sociaux pour dénoncer ce qui leur semblait être des injustices ou, au contraire, des privilèges, aussi bien dans les institutions, que les entreprises, ou les médias.

[00:19:57] Mais ces critiques woke n'ont pas plu aux Républicains. [00:19:57] But those woke reviews didn't sit well with Republicans. Déjà, parce qu'ils considéraient qu'elles n'étaient pas fondées et qu'elles étaient une nouvelle version du politiquement correct. Ensuite, parce que ces critiques prenaient uniquement pour cibles les hommes blancs hétérosexuels, comme s'ils étaient responsables de tous les **maux**, de tous les problèmes de la société américaine. Then, because these critics only targeted heterosexual white men, as if they were responsible for all the ills, for all the problems of American society.

[00:20:24] Donc les conservateurs se sont eux aussi mis à utiliser le mot «woke» mais comme une insulte, dans la même veine que Social justice warrior. «**Dans la même veine**», ça veut dire «dans le même style» ou «en suivant le même raisonnement.»

[00:20:43] Mais les Républicains n'étaient pas les seuls à dénigrer les idées woke. [00:20:43] But Republicans weren't the only ones to denigrate woke ideas. Même du côté démocrate, on a commencé à entendre quelques critiques. Par exemple, en octobre 2019, l'ancien président démocrate Barack Obama a déclaré (je vous traduis la citation) : «L'idée de la pureté, de l'absence de compromis, qu'on est éveillé politiquement, et tout ça… Vous devriez arrêter ça très vite. Le monde est compliqué et plein d'ambiguïté.»

[00:21:14] Bref, le sens péjoratif du mot «woke» a progressivement remplacé son sens originel. Il est devenu un adjectif pour désigner des personnes, souvent jeunes, endoctrinées par les Cultural studies, qui refusent le dialogue et passent leur temps à donner des leçons de justice sociale.

[00:21:33] Logiquement, avec toutes ces connotations négatives, les gens qui **se revendiquaient** «woke» ont fini par abandonner ce terme. Si bien qu'aujourd'hui, il est presque uniquement utilisé de manière péjorative par leurs adversaires.

[00:21:48] Voilà, j'ai essayé de résumer les positions des deux camps pour mieux comprendre les origines du débat. J'espère ne pas avoir été trop caricatural. Il y a eu tellement de polémiques ces dernières années que c'est difficile de rester factuel. Mais j'espère que c'est plus clair pour ceux d'entre vous qui ne s'intéressent pas aux États-Unis. But hopefully that's clearer for those of you who aren't interested in the United States. Maintenant, retour en France pour voir si oui ou non, mes compatriotes sont woke.

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[00:22:24] Commençons par revenir à cette fameuse French theory qui a eu une telle influence dans les universités américaines.

[00:22:32] Comme je vous l'ai dit, chez nous, elle n'existe pas parce qu'on ne considère pas que ces philosophes fassent partie d'un même groupe. Pour nous, Michel Foucault appartient au courant structuraliste qui n'est pas la même chose que la «déconstruction» de Jacques Derrida ni la philosophie de Gilles Deleuze.

[00:22:51] Ensuite, dans les universités françaises, il n'y a pas de départements de «Cultural studies» qui se spécialisent dans l'étude des minorités. Ce qui est intéressant avec ce modèle, c'est qu'il permet de **croiser** plusieurs disciplines (l'histoire, la sociologie, la littérature, les sciences politiques etc.) pour mieux comprendre la façon dont une minorité est traitée par la société.

[00:23:16] Mais en France, on considère que les champs universitaires ne doivent pas être mélangés. L'histoire, la sociologie, la littérature sont des disciplines indépendantes qui utilisent des méthodologies différentes. Donc on peut étudier par exemple l'évolution de la place des homosexuels en histoire, les pratiques des familles homosexuelles en sociologie, la perception de l'homosexualité dans les romans en littérature, mais on ne peut pas créer une nouvelle discipline qui croise toutes ces recherches.

[00:23:51] Et les milieux académiques sont encore plus **réticents** à le faire quand l'objet d'étude est une minorité parce qu'ils ont peur que leurs recherches prennent une dimension politique ou militante et qu'elles perdent leur objectivité. Eh oui, n'oubliez pas que nous sommes les héritiers du positivisme d'Auguste Comte. On considère que les questions scientifiques doivent être séparées de toute considération politique, que la science doit rester neutre, et cela concerne aussi bien les sciences sociales que les mathématiques ou la physique.

[00:24:27] Mais les choses commencent à changer. Par exemple, ces dernières années, plusieurs universités ont créé un département «Études sur le genre», notamment l'Université Paris 8, ce qui **a suscité** de nombreuses critiques évidemment !

[00:24:43] Donc ça, c'était pour la partie, disons, théorique. La French theory n'existe pas chez nous, et nos universités ne fonctionnent pas de la même manière.

[00:24:53] Mais selon une partie de la classe politique et des intellectuels français, le plus grand danger du «wokisme», c'est qu'il menace notre modèle, un modèle que nous avons hérité des **Lumières** et de la Révolution de 1789 : l'universalisme républicain.

[00:25:13] Alors, qu'est-ce qu'on entend exactement par «universalisme républicain» ?

[00:25:18] C'est l'idée selon laquelle dans la République française, tous les citoyens ont les mêmes droits et doivent être traités de la même manière, **peu importe** leur couleur de peau, leur sexe, leur religion etc. C'est vraiment un principe fondateur de notre société, un principe qui a été repris par tous les gouvernements ou presque depuis la Révolution.

[00:25:44] Aux yeux de la République française, il n'existe aucune communauté. Si vous êtes français ou française, vous avez les mêmes droits que tous les autres Français et Françaises, **point barre**. If you are French, you have the same rights as all other French men and women, period. Votre sexe, vos origines et vos convictions religieuses n'ont aucune importance.

[00:26:01] **D'ailleurs**, les questionnaires basés sur des critères raciaux, ethniques ou religieux sont illégaux en France. Si vous êtes une entreprise et que vous faites un sondage auprès de vos clients en leur demandant quelle est leur race ou leur religion, vous risquez 5 ans de prison et 300 000 euros d'**amende**. Donc vous voyez qu'on prend ça très au sérieux. D'autant plus que nous sommes assez sceptiques **vis-à-vis** de la notion de «race». Especially since we are quite skeptical of the notion of "race". Elle a même été effacée de la constitution en 2018 car on estime que ce concept n'a pas de réalité scientifique et qu'il finit toujours par **conduire** **au** racisme. It was even erased from the constitution in 2018 because it is believed that this concept has no scientific reality and always ends up leading to racism.

[00:26:42] Mais est-ce qu'**effacer** le mot «race» de notre Constitution veut dire que le racisme n'existe pas en France ? Évidemment non ! Et quand on voit la popularité grandissante des politiciens d'**extrême droite** depuis une vingtaine d'années, on peut penser qu'il est loin d'avoir disparu.

[00:26:59] Dans tous les cas, vous comprenez pourquoi l'universalisme républicain semble incompatible avec le mouvement «woke». Si on reconnaît l'existence de communautés qui ne sont pas traitées de la même manière que d'autres, on admet que notre modèle ne fonctionne pas. Mais certains politiciens et intellectuels pensent qu'il y a un autre risque encore plus grand avec le «wokisme», celui que notre République se transforme en une dictature des minorités.

[00:27:30] Le problème, c'est que notre «modèle universaliste» n'est universaliste que sur le papier. Pour illustrer ça, on peut prendre le droit de vote des femmes. En France, les femmes n'ont obtenu le droit de vote qu'en 1944, **soit** un siècle et demi après la création de notre fameux modèle. In France, women only obtained the right to vote in 1944, a century and a half after the creation of our famous model. Avant cette date, les gouvernements ne voyaient aucune contradiction pour le fait que leur «universalisme républicain» refusait **le droit de vote** à plus de la moitié de la population.

[00:28:03] Ça, c'est l'exemple le plus évident, mais il en existe plein d'autres qui sont documentées par des milliers d'études sociologiques réalisées depuis les années 70. Certaines personnes ont plus de mal à trouver du travail à cause de leurs origines réelles ou supposées. Le salaire moyen des Françaises est inférieur de 17% à celui des Français.

[00:28:26] Bref, ces discriminations sont bien réelles, mais à cause de notre «universalisme républicain», il est difficile d'en admettre l'existence, de les mesurer et de les corriger.

[00:28:38] Un autre argument que les anti-woke français utilisent souvent, c'est que la France n'a pas la même histoire que les États-Unis. L'esclavage a «seulement» (là vous ne pouvez pas voir mais je dis «seulement» avec des gros **guillemets** ), l'esclavage a «seulement» existé dans nos colonies, et nous n'avons jamais eu de politique de ségrégation raciale. Sklaverei „nur“ (dort kann man es nicht sehen, aber ich sage „nur“ mit großen Anführungszeichen) Sklaverei existierte „nur“ in unseren Kolonien, und wir hatten nie eine Politik der Rassentrennung. Donc il n'y a pas les mêmes tensions autour de cette question chez nous qu'aux États-Unis.

[00:29:06] Vous avez sûrement entendu parler des polémiques à propos des statues aux États-Unis, ces statues qui ont été déboulonnées. «**Déboulonner**», ça veut dire «démonter», «enlever une chose du support auquel elle est attachée». Aux États-Unis, depuis la mort de George Floyd, il y a des militants qui déboulonnent des statues de personnages historiques qui, selon eux, ne devraient pas être célébrés à cause de leur implication dans l'esclavagisme.