103 - Travailler avec les Français (1)
Hugo : Salut à toutes et à tous, bienvenue ! Aujourd'hui, comme vous l'avez entendu, on va passer dans le monde professionnel. On va parler de travail et de différences culturelles. Je dis «on», parce que ça va être une discussion avec Ania qui me rejoint pour cet épisode.
Ania : Salut, salut !
Hugo : Alors Ania, on va parler un peu de tes expériences parce que toi, tu as travaillé avec des Français… dans des entreprises françaises ou c'étaient des entreprises polonaises ? Ania : Alors, ma première expérience, c'était dans une entreprise internationale, à vrai dire, mais je travaillais ici à Cracovie. Et la deuxième entreprise, c'est une agence de tourisme, on disait toujours «franco-polonaise» parce que mon patron était français, mais l'équipe était polonaise. Hugo : D'accord, ok. Donc l'idée, c'est vraiment de parler de ces expériences. On a essayé aussi d'élargir un peu nos horizons, autrement dit d'approfondir nos connaissances en lisant des études qu'on a pu trouver, qui comparent les différences culturelles au niveau managérial, par exemple. Moi, c'est aussi quelque chose que j'ai un peu étudié pendant mes études en école de commerce, mais voilà… Ne prenez pas ce qu'on va dire pour argent comptant. Ça veut dire ne prenez pas ça comme une réalité absolue. C'est vraiment nos expériences. Hugo : Évidemment, il y a des différences entre… selon les secteurs, selon les différentes tailles d'entreprise, etc., selon les personnalités aussi, tous les chefs n'ont pas les mêmes personnalités, tous les employés non plus. Donc voilà, là, c'est vraiment l'idée d'avoir une discussion plutôt informelle sur le sujet. Et j'espère que… on espère que vous allez trouver ça utile. Peut-être que vous, vous avez justement l'expérience d'avoir travaillé avec des Français ou dans des entreprises françaises. Peut-être que c'est votre cas en ce moment, donc vous allez être d'accord ou pas avec ce qu'on va raconter. Bref, on va voir.
Hugo Alors, cette première expérience, Ania, tu disais que c'était dans une entreprise internationale, est-ce que tu peux la nommer ou c'est top secret ? Ania : Je pense que oui. Cette entreprise, c'est Capgemini. C'est une entreprise assez connue, j'ai l'impression et c'est une entreprise française, elle a été fondée par des Français, mais qui maintenant a des filiales vraiment un peu partout dans le monde. Hugo : Qu'est-ce que c'est une filiale ? Ania : Alors filiale c'est une… Comment expliquer ça en français ? C'est une entreprise… bon, c'est une représentation d'une entreprise qui existe dans une autre ville, dans un autre pays. Hugo : Exactement. On peut dire «une branche» aussi.
Ania : Une branche, voilà.
Hugo : Une branche d'une entreprise. Donc, par exemple, il y a Capgemini France, qui est l'entreprise principale, et sa filiale polonaise Capgemini en Pologne. Donc, toi, tu étais dans la filiale polonaise à Cracovie.
Ania : C'est ça. Et en plus, c'était ma première expérience après mes études. Donc voilà, beaucoup, beaucoup d'émotions. Hugo : Et c'est une entreprise qui fait quoi, pour ceux qui ne la connaissent pas ? Ania : C'est une entreprise de outsourcing, donc, c'est-à-dire que c'est une entreprise qui travaille pour une autre, qui fait des services pour une autre entreprise qui a décidé de déléguer certains services, certaines tâches. Et moi, j'ai travaillé là-bas pendant un an. Et j'ai travaillé… Mon équipe était polonaise, mais on travaillait surtout avec des Français, un peu avec des Belges aussi, des Belges francophones. Et comme dans une entreprise de outsourcing, les personnes qui y travaillent le savent très bien, ça fonctionne comme ça qu'on a deux management, on peut dire, donc on a un management dans mon cas à Cracovie, et on a un management dans l'entreprise pour laquelle on travaille, cette entreprise qui a délégué ses services. Donc mon premier management c'était le management polonais, et le deuxième, c'était le management français. Hugo : Ok, ok. Et qui était dans les bureaux à Cracovie ou qui était en France ?
Ania : Qui était en France.
Hugo : D'accord, ok. Donc vous échangiez avec eux principalement par email, au téléphone, mais vous, voilà, vous aviez pas de contact physique avec eux.
Ania : Non, pas de contact physique. Je me rappelle qu'une fois, mes deux patrons nous ont rendu visite. Elles étaient… elles sont venues à Cracovie, mais au quotidien, c'était un contact par téléphone et par email surtout. Hugo : Et justement, tu m'as dit que les Français ne sont pas toujours très comment dire… très modernes en ce qui concerne le digital et qu'ils préfèrent les formats plutôt papier. Ania : C'est vrai. C'est vrai qu'ils se méfient un peu de tout ce qui est numérique et digital. Ils préfèrent… j'ai l'impression qu'ils préfèrent des formes plus traditionnelles, donc, donc des emails, par exemple. Et je… je me souviens que quand j'étais à l'université, l'une de nos profs nous a dit, je sais pas si c'est vrai, toi tu peux confirmer ou pas, que tout ce qui est écrit pour les Français, c'est sacré. Donc vraiment tout ce qui est… tout ce qui est écrit et moi, j'ajouterais aussi tout ce qui est imprimé parce que les Français, je sais pas pourquoi, mais ils adorent imprimer des documents. Ils adorent imprimer tout, avoir vraiment tout sous la main, sur le papier. Et ça, c'est vraiment une particularité des Français, je pense. Donc travailler avec avec eux en utilisant, je sais pas, des outils comme des drives ou des je sais pas… des fichiers sur l'ordi, ça fonctionne pas vraiment très, très bien. Eux, ils préfèrent avoir tout, tout imprimé, tout sur eux, sur le papier.
Hugo : Donc ça, c'est quelque chose que t'as remarqué plutôt, avec le… dans l'autre entreprise, dans l'agence de voyages, avec le directeur, c'est ça ? qui voulait tout avoir en format imprimé ?
Ania : Avec lui non, pas vraiment parce que mon patron, même s'il est français il habite depuis 15 ans en Pologne, donc on peut dire qu'il est un peu naturalisé polonais. Hugo : Il a adopté le digital.
Ania : Oui, il a adopté le digital, il se débrouille très, très bien avec tout ça. Donc, lui, il a une approche un peu différente. Mais oui, j'ai remarqué ça avec nos clients, dans l'agence, avec nos groupes, parce que dans mon agence de voyages, on s'occupait le plus souvent des groupes. Des groupes de jeunes ou de groupes d'adultes qui, à chaque fois, venaient avec leurs dossiers imprimés même s'ils avaient tout ça, je ne sais pas, tout ça sous d'autres formes (formes digitale). Et j'ai remarqué ça donc dans mon agence, mais aussi dans Capgemini, donc dans mon premier lieu de travail. Hugo : Ok. C'est vrai qu'on a tendance à penser que tout ce qui est écrit est sacré. On a un grand respect pour les documents et le format papier, pour les livres aussi. Je n'ai pas vu d'études sur le sujet, mais de manière générale, les livres papiers dans le monde entier sont toujours plus populaires que les livres au format numérique. Mais ça me surprendrait pas qu'en France, ce soit encore plus le cas qu'ailleurs. Bon, nous chez innerFrench, on est plutôt modernes, je pense, parce que c'est vrai qu'on a tout sur le cloud, sur le drive. On a très peu de format papier, mais… Donc c'est vrai… Hugo : J'ai recruté Ingrid, par exemple, via… Donc Ingrid est en France maintenant, donc j'ai dû ouvrir une filiale d'innerFrench, quelque chose d'assez simplifié. Mais j'ai trouvé que c'était plus simple de créer une entreprise en Pologne que d'en créer une en France, alors que je suis français parce qu'il y a encore beaucoup de paperasse, on dit. Donc la paperasse, c'est le… voilà tous ces documents papier, c'est un mot un peu familier pour se plaindre de cette bureaucratie, de tous ces documents dont on a besoin. En Pologne, on peut vraiment tout faire, c'est vrai, sur Internet. Et pour créer l'entreprise, on n'a même pas besoin de se déplacer, on peut le faire entièrement sur Internet. En France, ça commence à devenir le cas, mais il y a encore de temps en temps un document, on ne sait pas pourquoi, qu'il faut imprimer et envoyer par la poste, qu'on ne peut pas envoyer par email. Donc ça change, mais effectivement, ça prend un peu de temps.
Ania : Ça a changé aussi un peu, je pense à cause du covid, de cette contrainte qu'on a et.. Oui, j'ai remarqué ça aussi en Pologne que ça a changé ces derniers temps. Donc maintenant, et c'est encore plus facile d'envoyer certains documents, il y a des plateformes, il y a plus de plateformes, il y a plus de possibilités pour vraiment rester chez soi et envoyer ce qu'il doit… ce qu'il faut envoyer par email. Hugo : C'est vrai. Et tu disais aussi que les Français préfèrent en général le contact par téléphone plutôt que par email, d'après ton expérience. Ania : J'ai l'impression qu'ils préfèrent le contact par téléphone parce que… ils sont en général, ils sont très dans le relationnel. Donc les relations pour eux, j'ai l'impression, les relations au travail sont très importantes. Et ce contact par téléphone, je pense qu'il est particulièrement important quand c'est le premier contact. Donc, quand on ne connait pas la personne qu'on contacte, c'est vraiment bien de téléphoner, de connaître sa voix et ça crée déjà une certaine relation, un tout petit plus proche que par email. Et aussi, je pense que le contact par téléphone est la meilleure solution quand il y a un problème qu'il faut résoudre. Ania : Et là, je sais que les Français, ils vraiment… ils apprécient ce contact parce que ça montre aussi qu'on est réactif, qu'on est dynamique, parce que ce contact par téléphone a toujours un peu plus de dynamique. Et oui, ça… Par exemple, dans l'agence de tourisme où je travaillais, ça on le pratiquait toujours. Donc le premier contact, c'était toujours… Même si on envoyait un email, on téléphonait aussi à notre client. Et puis, s'il y a un problème, s'il y avait un problème, on le contactait aussi plutôt par téléphone. Hugo : C'est vrai. Ça aussi, j'ai l'impression que c'est en train de changer, que c'est quelque chose d'assez générationnel. Et chez les gens de ma génération et les gens encore plus jeunes, maintenant, on préfère les mails parce qu'il y a plusieurs études qui montrent, au niveau international, que les jeunes ont de plus en plus une espèce de phobie du téléphone et qu'on préfère la forme écrite. Hugo : Mais c'est vrai que c'est assez apprécié par les managers quand quelqu'un n'a pas peur de prendre le téléphone pour appeler le client et résoudre un problème tout de suite parce que ça peut éviter certaines confusions. Et souvent, on dit qu'il faut parler de vive voix, ce qui est un peu bizarre parce qu'on ne peut pas vraiment parler d'une autre manière. Mais voilà, parler de vive voix, ça veut dire qu'on va… on va résoudre un problème en parlant à l'oral et pas par écrit, donc voilà. Parler de quelque chose de vive voix, en direct, ensemble, même si c'est par téléphone. Donc oui, c'est vrai que le téléphone, ça reste quelque chose d'assez important et c'est une forme de communication que les Français continuent…, en tout cas au travail, une forme de communication qui est privilégiée. Hugo D'ailleurs, ça me fait penser… Est-ce que tu as entendu parler de cette loi qui est passée en France? Le droit à la déconnexion ?
Ania : Ah Non, non, pas encore.
Hugo : Ça, c'est une loi qui est passée en 2016 dans le cadre plus général de la loi travail. Et ça a été… (on en a pas mal discuté même, j'ai vu ça, dans certains journaux aux Etats-Unis, des journaux britanniques aussi) où en fait, c'est une loi qui est censée protéger les salariés en leur accordant le droit de ne pas répondre au téléphone ou de ne pas être joignable de manière générale, en dehors de leurs horaires de travail. Ania : Et de la fameuse pause déjeuner j'imagine, parce que là, c'est… Hugo : Non, ça ne prend pas en compte la pause déjeuner, mais c'est justement après, en fait, que voilà, ton chef n'a pas le droit d‘exiger ou d'attendre de toi que tu sois disponible pour répondre à 22h, par exemple, s'il y a un problème. Hugo : Donc c'est ce qu'on appelle ce droit à la déconnexion qui est vraiment important maintenant parce que c'est… Effectivement avec le télétravail il y a de moins en moins cette séparation entre vie professionnelle et vie privée, mais dans la réalité, c'est une loi qui ne prévoit pas de sanction, qui n'est pas contraignante, donc elle est assez peu appliquée. Les journaux en ont beaucoup parlé, mais finalement, elle n'a pas eu… trop d'impact. Et parce qu'il me semble que justement, dans cette agence de tourisme, tu me disais que ça t'est arrivé plusieurs fois qu'on t'appelle en plein milieu de la nuit à cause d'un problème avec un groupe, etc. Il n'y avait pas encore ce droit à la déconnexion… Ania : Oui, mais c'étaient mes chers clients, c'étaient mes chers groupes. C'était pas mon patron ou mes collègues et c'était vraiment dans des situations difficiles ou des situations imprévisibles. Mais ce n'était pas… C'était pas quelque chose qui se fait normalement mais le tourisme, c'est un domaine vraiment très, très spécifique. Donc tu peux imaginer que c'est pas… Si quelqu'un a son vol à 10h du soir et qu'il perd son bagage. Qu'est-ce qu'il fait ? Il téléphone à l'agence pour demander de l'aide. Donc ce sont des situations… C'étaient plutôt des situations comme ça. Hugo : Sinon, est-ce que toi chez… parmi les Polonais tu as l'impression qu'il y a vraiment cette séparation entre la vie privée et la vie professionnelle. Est-ce que les entreprises respectent ça et les managers ?
Ania : Je pense qu'en général, oui. Mais j'ai remarqué la même chose qui se passe en France. C'est-à-dire que maintenant, avec le covid, avec le télétravail, beaucoup de gens travaillent chez eux… Il y a ce problème qu'ils travaillent plus et que le patron se donne un peu ce droit de leur téléphoner après 17h, 18h. Donc, je sais pas… Je vois un certain danger qui est apparu avec le covid et avec ce télétravail. Mais pour l'instant, je pense pas qu'il y ait des… une loi ou une intervention de la part de l'État, pour l'instant non… J'ai rien entendu là-dessus. Mais la situation a changé. Avant, je pense que non, que ce n'était pas un problème. Hugo : Ok, donc c'est un phénomène assez récent aussi. Ania : Oui, je dirais oui.