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PLATON (Πλάτων) La République. Livre Septième., 10. PLATON. La République. Livre Septième. Partie 10/11.

10. PLATON. La République. Livre Septième. Partie 10/11.

Pour ce que tu as dit, Socrate, j'y adhère, autant que je suis capable de te suivre.

N'appelles-tu pas dialecticien celui qui rend raison de ce qu'est chaque chose en soi ? Et ne dis-tu pas d'un homme qu'il n'a pas l'intelligence d'une chose, lorsqu'il ne peut en rendre raison ni à lui-même ni aux autres ?

Et comment pourrais-je dire qu'il l'a Socrate ?

Il en est de même du bien. Qu'un homme ne puisse, séparant l'idée du bien de toutes les autres, en donner une définition précise ; qu'il ne sache pas se frayer un passage à travers toutes les objections, comme un brave dans la mêlée ; que tout en désirant ardemment démontrer cette idée non pas selon l'opinion, mais selon la réalité, il ne puisse surmonter tous les obstacles par la puissance de la logique ; ne diras-tu pas de cet homme qu'il ne connaît ni le bien par essence ni aucun autre bien, que s'il saisit quelque fantôme de bien, ce n'est point sur la science mais sur l'apparence qu'il se fonde, que sa vie se passe dans un profond sommeil rempli de vains rêves, dont il ne se réveillera pas probablement en ce monde, avant d'aller dans l'autre dormir d'un sommeil parfait ?

Oui, certes, je dirai tout cela.

Mais si un jour tu viens à former réellement ces mêmes élèves dont tu ne fais ici l'éducation qu'en paroles, tu ne les mettrais pas sans doute à la tête de l'État et tu ne leur donnerais pas un grand pouvoir, s'ils étaient incapables de rendre raison de leurs pensées, comme ces lignes qu'on appelle irrationnelles [32].

Assurément non.

Tu leur prescriras donc de s'appliquer particulièrement à cette science qui doit les rendre capables d'interroger et de répondre de la manière la plus savante possible.

Oui Socrate, je le leur prescrirai de concert avec toi.

Ainsi tu juges que la dialectique est pour ainsi dire le faîte et le comble des autres sciences, qu'il n'en reste aucune qui puisse être ajoutée par-dessus celle-là, et que nous voilà au bout de nos recherches sur les sciences qu'il importe d'apprendre.

Oui.

Il te reste à régler quels sont ceux à qui nous ferons part de ces sciences, et comment il faudra les leur enseigner.

Voilà bien ce qui nous reste à faire.

Tu te rappelles quel était le caractère de ceux que nous avons choisis pour gouverner ?

Oui. Toi-même tu pensais que c'étaient des hommes de cette trempe que nous devions choisir, que nous devions préférer les plus fermes, les plus vaillants, et s'il se peut, les plus beaux. Ajoutons qu'il nous faut chercher non seulement de nobles et fortes natures, mais encore des dispositions appropriées à l'éducation que nous voulons leur donner.

Quelles sont ces dispositions ?

La pénétration d'esprit nécessaire à l'étude des sciences et la facilité à apprendre ; en effet, l'âme est bien plutôt découragée par les difficultés de la science que par celles de la gymnastique ; car ici la peine est pour l'âme seule, et le corps ne la partage point.

Cela est vrai.

Il faut de plus qu'ils aient de la mémoire, du caractère, qu'ils aiment le travail, et toute espèce de travail sans distinction ; autrement comment crois-tu qu'ils consentent à allier ensemble tant d'exercices du corps, tant de réflexions et de travaux de l'esprit ?

Jamais, s'ils ne sont nés avec le plus heureux naturel.

La faute que l'on fait aujourd'hui, et c'est cette faute qui a fait tant de tort à la philosophie, vient, comme nous l'avons dit précédemment, de ce qu'on s'adonne à la philosophie sans avoir qualité pour cela ; il ne faudrait point en laisser approcher des talents bâtards, mais seulement de vrais et légitimes talents.

Comment l'entends-tu Socrate ?

D'abord celui qui veut s'y appliquer ne doit pas être boiteux par rapport au travail, c'est-à-dire en partie laborieux et en partie indolent ; ce qui arrive lorsqu'un jeune homme, rempli d'ardeur pour le gymnase, pour la chasse, pour tous les exercices du corps, n'a d'ailleurs aucun goût pour tout ce qui est études, conversations, recherches scientifiques, et qu'il craint le travail de cette sorte. J'en dis autant de celui dont l'amour pour le travail se porte tout entier du côté opposé.

Rien n'est plus vrai.

Ne considérerons-nous pas encore comme des âmes estropiées par rapport à la vérité, celles qui, détestant le mensonge volontaire, et ne pouvant le souffrir sans répugnance dans elles-mêmes ni sans indignation dans les autres, n'ont pas la même horreur pour le mensonge involontaire, et qui, lorsqu'elles sont convaincues d'ignorance, ne s'indignent pas contre elles-mêmes, mais se vautrent dans l'ignorance comme le pourceau dans la fange [33] ?

Oui, certes.

Il ne faut pas mettre moins d'attention à discerner le naturel heureux et bien constitué d'avec celui qui est mal venu, par rapport à la tempérance, le courage, la grandeur d'âme et les autres vertus. Faute de savoir faire de semblables distinctions, les individus et les États commettent, sans s'en apercevoir, leurs intérêts, ceux-ci à des magistrats, ceux-là à des amis, infirmes et incapables.

Oui ! Cela n'est que trop ordinaire.

Prenons donc les mesures que doivent nous inspirer ces réflexions : si nous n'appelons à des études et à des exercices de cette importance que des sujets auxquels il ne manque rien ni du côté du corps ni du côté de l'âme, la justice elle-même n'aura aucun reproche à nous faire ; notre État et nos lois se maintiendront : mais si nous appliquons à ces travaux des sujets indignes, le contraire arrivera, et nous jetterons plus de ridicule encore sur la philosophie.

Cela serait honteux pour nous.

Sans doute ; mais il me semble que je ne suis pas moi-même exempt de ridicule [34].

En quoi donc ?

J'oubliais que nous plaisantions, et j'ai peut-être parlé un peu trop vivement. Mais en parlant, j'ai jeté les yeux sur la philosophie, et la voyant traitée indignement, je me suis laissé emporter trop loin, je crois, en me livrant à l'indignation et presque à la colère contre ceux qui l'outragent.

Certes, ce n'est pas l'avis de ton auditeur.

Mais c'est celui de l'orateur. Quoi qu'il en soit, n'oublions pas que notre premier choix tombait sur des vieillards, et qu'ici un pareil choix ne serait pas de saison ; car il n'en faut pas croire Solon, lorsqu'il dit qu' « un homme qui vieillit peut apprendre beaucoup de choses. » Il serait plutôt en état de courir ; non, c'est à la jeunesse que tous les grands travaux appartiennent.

Nécessairement.

C'est donc dès l'enfance qu'il faut appliquer nos élèves à l'étude de l'arithmétique, de la géométrie, et des autres sciences qui servent de préparation à la dialectique. Mais il ne doit y avoir dans les formes de l'enseignement rien qui les contraigne à apprendre.

Pour quelle raison ?

Parce que l'homme libre ne doit rien apprendre en esclave. Que les exercices du corps soient forcés, le corps n'en profite pas moins que s'ils étaient volontaires ; mais les leçons qui entrent de force dans l'âme n'y demeurent pas.

Il est vrai, oui.

Ainsi, mon cher ami, bannis toute violence des études de ces enfants : qu'ils s'instruisent en jouant ; par là tu seras plus à portée de connaître leurs dispositions particulières.

Ce que tu dis est très sensé.

Te souvient-il aussi de ce que nous disions plus haut, qu'il fallait mener les enfants à la guerre sur des chevaux, les rendre spectateurs du combat, les approcher même de la mêlée, lorsqu'on le pourra sans danger, et leur faire en quelque manière goûter le sang, comme on fait aux jeunes chiens de meute ?

Je m'en souviens.

Tu mettras à part ceux qui auront constamment montré plus de patience dans les travaux, plus de courage dans les dangers, plus d'ardeur pour les sciences.

À quel âge ?

Lorsqu'ils auront fini leur cours nécessaire d'exercices gymniques ; car ce temps d'exercices qui sera de deux ou trois ans [35], n'admet pas d'autres occupations, la fatigue et le sommeil étant ennemis des sciences : et d'ailleurs ce n'est pas une épreuve sans importance de savoir comment chacun d'eux se montrera dans le cours gymnique.

Non, certainement.

Après ce temps, à partir de leur vingtième année, ceux qu'on aura choisis obtiendront des distinctions plus honorables et on devra leur présenter dans leur ensemble les sciences que dans l'enfance ils ont étudiées isolément, afin qu'ils saisissent sous un point de vue général et les rapports que ces sciences ont entre elles et la nature de l'être.

Cette méthode est la seule qui produise des résultats solides partout où on la suit.

Elle offre aussi un moyen excellent de distinguer l'esprit propre à la dialectique de tout autre esprit : celui qui se place dans le point de vue général est dialecticien ; les autres ne le sont pas.

J'en tombe d'accord.

C'est à quoi tu devras faire attention, et quand tu auras bien reconnu les naturels les plus solides et dans les sciences et dans la guerre et dans les autres épreuves prescrites, lorsqu'ils auront atteint l'âge de trente ans, tu devras en former une élite nouvelle pour leur accorder de plus grands honneurs, et tu distingueras, en les éprouvant par la dialectique, ceux qui, sans s'aider de leurs yeux ni des autres sens, pourront s'élever jusqu'à la connaissance de l'être par la seule force de la vérité ; et c'est ici, mon cher Glaucon, qu'il faut apporter les plus grandes précautions.

Pourquoi ?

As-tu remarqué de quel mal l'étude de la dialectique est de nos jours travaillée [36] ?

Quel mal ?

Elle est pleine de désordre.

Tu as bien raison.

Mais crois-tu qu'il y ait en ce désordre rien de surprenant, et n'excuses-tu pas ceux qui s'y laissent aller ?

Comment cela ?

Ils sont dans le cas d'un enfant supposé qui, élevé dans le sein d'une famille noble, opulente, au milieu du faste et des flatteurs, s'apercevrait, étant devenu grand, que ceux qui se disent ses parents ne le sont pas, sans pouvoir retrouver les véritables. Conçois-tu les sentiments qu'il aurait pour ses flatteurs et ses prétendus parents, avant qu'il eût connaissance de sa fausse position et après qu'il en serait instruit ? Ou veux-tu savoir là-dessus ma pensée ?

Je le veux bien.

Je m'imagine qu'il aurait d'abord plus de respect pour son père, sa mère, et ceux qu'il regarderait comme ses proches, que pour ses flatteurs ; qu'il aurait plus d'empressement à les secourir, s'ils en avaient besoin ; qu'il serait moins disposé à leur manquer en paroles ou en action ; en un mot, que dans les choses essentielles il leur désobéirait moins qu'à ses flatteurs, pendant tout le temps qu'il ignorerait son état.

10. PLATON. La République. Livre Septième. Partie 10/11. 10. PLATON. Die Republik. Buch Sieben. Teil 10/11. 10. PLATO. The Republic. Book Seven. Part 10/11. 10. PLATO. La República. Libro Séptimo. Parte 10/11. 10. PLATO. De Republiek. Boek Zeven. Deel 10/11. 10. PLATO. Republika. Księga siódma. Część 10/11. 10. PLATO. Cumhuriyet. Yedinci Kitap. Bölüm 10/11.

Pour ce que tu as dit, Socrate, j'y adhère, autant que je suis capable de te suivre. For what you said, Socrates, I adhere to it, as much as I am able to follow you.

N'appelles-tu pas dialecticien celui qui rend raison de ce qu'est chaque chose en soi ? Do not you call the dialectician the one who gives reason for what each thing is in itself? Et ne dis-tu pas d'un homme qu'il n'a pas l'intelligence d'une chose, lorsqu'il ne peut en rendre raison ni à lui-même ni aux autres ? And do you not say of a man that he does not have the intelligence of a thing, when he can not give reason to it to himself or to the others?

Et comment pourrais-je dire qu'il l'a Socrate ? And how could I say that he has Socrates?

Il en est de même du bien. It is the same with good. Qu'un homme ne puisse, séparant l'idée du bien de toutes les autres, en donner une définition précise ; qu'il ne sache pas se frayer un passage à travers toutes les objections, comme un brave dans la mêlée ; que tout en désirant ardemment démontrer cette idée non pas selon l'opinion, mais selon la réalité, il ne puisse surmonter tous les obstacles par la puissance de la logique ; ne diras-tu pas de cet homme qu'il ne connaît ni le bien par essence ni aucun autre bien, que s'il saisit quelque fantôme de bien, ce n'est point sur la science mais sur l'apparence qu'il se fonde, que sa vie se passe dans un profond sommeil rempli de vains rêves, dont il ne se réveillera pas probablement en ce monde, avant d'aller dans l'autre dormir d'un sommeil parfait ? That a man can not, separating the idea of the good from all the others, to give a precise definition; that he does not know how to make his way through all the objections, like a brave man in the fray; that while ardently desiring to demonstrate this idea, not according to opinion, but according to reality, he can not overcome all obstacles by the power of logic; will you not say of this man that he knows neither the good in essence nor any other good, that if he seizes some ghost of good, it is not on the science but on the appearance that it is founds, that his life is spent in a deep sleep filled with vain dreams, of which he will probably not wake up in this world, before going into the other sleeping a perfect sleep?

Oui, certes, je dirai tout cela.

Mais si un jour tu viens à former réellement ces mêmes élèves dont tu ne fais ici l'éducation qu'en paroles, tu ne les mettrais pas sans doute à la tête de l'État et tu ne leur donnerais pas un grand pouvoir, s'ils étaient incapables de rendre raison de leurs pensées, comme ces lignes qu'on appelle irrationnelles [32].

Assurément non.

Tu leur prescriras donc de s'appliquer particulièrement à cette science qui doit les rendre capables d'interroger et de répondre de la manière la plus savante possible.

Oui Socrate, je le leur prescrirai de concert avec toi.

Ainsi tu juges que la dialectique est pour ainsi dire le faîte et le comble des autres sciences, qu'il n'en reste aucune qui puisse être ajoutée par-dessus celle-là, et que nous voilà au bout de nos recherches sur les sciences qu'il importe d'apprendre.

Oui.

Il te reste à régler quels sont ceux à qui nous ferons part de ces sciences, et comment il faudra les leur enseigner.

Voilà bien ce qui nous reste à faire.

Tu te rappelles quel était le caractère de ceux que nous avons choisis pour gouverner ?

Oui. Toi-même tu pensais que c'étaient des hommes de cette trempe que nous devions choisir, que nous devions préférer les plus fermes, les plus vaillants, et s'il se peut, les plus beaux. Yes. You thought it was men of this caliber that we should choose, that we should prefer the firmest, the most valiant, and, if possible, the most beautiful. Ajoutons qu'il nous faut chercher non seulement de nobles et fortes natures, mais encore des dispositions appropriées à l'éducation que nous voulons leur donner. Let us add that we must seek not only noble and strong natures, but also appropriate provisions for the education we want to give them.

Quelles sont ces dispositions ?

La pénétration d'esprit nécessaire à l'étude des sciences et la facilité à apprendre ; en effet, l'âme est bien plutôt découragée par les difficultés de la science que par celles de la gymnastique ; car ici la peine est pour l'âme seule, et le corps ne la partage point.

Cela est vrai.

Il faut de plus qu'ils aient de la mémoire, du caractère, qu'ils aiment le travail, et toute espèce de travail sans distinction ; autrement comment crois-tu qu'ils consentent à allier ensemble tant d'exercices du corps, tant de réflexions et de travaux de l'esprit ? They must also have memory, character, love of work, and every kind of work without distinction; otherwise how do you think they agree to combine together so many exercises of the body, so many reflections and works of the mind?

Jamais, s'ils ne sont nés avec le plus heureux naturel.

La faute que l'on fait aujourd'hui, et c'est cette faute qui a fait tant de tort à la philosophie, vient, comme nous l'avons dit précédemment, de ce qu'on s'adonne à la philosophie sans avoir qualité pour cela ; il ne faudrait point en laisser approcher des talents bâtards, mais seulement de vrais et légitimes talents. The fault that we make today, and it is this fault which has done so much harm to philosophy, comes, as we have said before, from that which is devoted to philosophy without having quality for that; it should not be allowed to approach bastard talents, but only true and legitimate talents.

Comment l'entends-tu Socrate ?

D'abord celui qui veut s'y appliquer ne doit pas être boiteux par rapport au travail, c'est-à-dire en partie laborieux et en partie indolent ; ce qui arrive lorsqu'un jeune homme, rempli d'ardeur pour le gymnase, pour la chasse, pour tous les exercices du corps, n'a d'ailleurs aucun goût pour tout ce qui est études, conversations, recherches scientifiques, et qu'il craint le travail de cette sorte. First, the one who wants to apply to it must not be lame in relation to work, that is to say, partly laborious and partly indolent; what happens when a young man, full of ardor for the gymnasium, for the hunt, for all the exercises of the body, has besides any taste for all that is studies, conversations, scientific researches, and that he fears work of this kind. J'en dis autant de celui dont l'amour pour le travail se porte tout entier du côté opposé. I say as much of the one whose love for work is entirely on the opposite side.

Rien n'est plus vrai. Nothing is more true.

Ne considérerons-nous pas encore comme des âmes estropiées par rapport à la vérité, celles qui, détestant le mensonge volontaire, et ne pouvant le souffrir sans répugnance dans elles-mêmes ni sans indignation dans les autres, n'ont pas la même horreur pour le mensonge involontaire, et qui, lorsqu'elles sont convaincues d'ignorance, ne s'indignent pas contre elles-mêmes, mais se vautrent dans l'ignorance comme le pourceau dans la fange [33] ? Do we not consider ourselves yet crippled souls in relation to the truth, those who, hating willful lies, and not being able to suffer them without repugnance in themselves and without indignation in others, do not have the same horror for the involuntary lie, and which, when they are convinced of ignorance, do not indignant against themselves, but wallow in ignorance like the pig in the mud?

Oui, certes.

Il ne faut pas mettre moins d'attention à discerner le naturel heureux et bien constitué d'avec celui qui est mal venu, par rapport à la tempérance, le courage, la grandeur d'âme et les autres vertus. No less attention should be paid to discerning the happy and well-constituted nature of the uninvited, in relation to temperance, courage, greatness of soul, and other virtues. Faute de savoir faire de semblables distinctions, les individus et les États commettent, sans s'en apercevoir, leurs intérêts, ceux-ci à des magistrats, ceux-là à des amis, infirmes et incapables. Unable to know how to make such distinctions, individuals and States commit, without perceiving it, their interests, these to magistrates, those to friends, infirm and incapable. Sin saber hacer tales distinciones, los individuos y los Estados comprometen sus intereses, sin darse cuenta, con magistrados, y con amigos enfermos e incapaces.

Oui ! Cela n'est que trop ordinaire.

Prenons donc les mesures que doivent nous inspirer ces réflexions : si nous n'appelons à des études et à des exercices de cette importance que des sujets auxquels il ne manque rien ni du côté du corps ni du côté de l'âme, la justice elle-même n'aura aucun reproche à nous faire ; notre État et nos lois se maintiendront : mais si nous appliquons à ces travaux des sujets indignes, le contraire arrivera, et nous jetterons plus de ridicule encore sur la philosophie.

Cela serait honteux pour nous. It would be shameful for us.

Sans doute ; mais il me semble que je ne suis pas moi-même exempt de ridicule [34].

En quoi donc ? In what way?

J'oubliais que nous plaisantions, et j'ai peut-être parlé un peu trop vivement. I forgot we were joking, and maybe I spoke a little too strongly. Mais en parlant, j'ai jeté les yeux sur la philosophie, et la voyant traitée indignement, je me suis laissé emporter trop loin, je crois, en me livrant à l'indignation et presque à la colère contre ceux qui l'outragent. But in speaking, I cast my eyes on philosophy, and seeing it treated unworthily, I let myself be carried away too far, I believe, indulging in indignation and almost anger against those who outraged it.

Certes, ce n'est pas l'avis de ton auditeur. Admittedly, this is not the opinion of your listener.

Mais c'est celui de l'orateur. But that's the speaker's. Quoi qu'il en soit, n'oublions pas que notre premier choix tombait sur des vieillards, et qu'ici un pareil choix ne serait pas de saison ; car il n'en faut pas croire Solon, lorsqu'il dit qu' « un homme qui vieillit peut apprendre beaucoup de choses. Be that as it may, let us not forget that our first choice fell upon old men, and that here such a choice would not be in season; for one must not believe Solon when he says that "an aging man can learn many things. » Il serait plutôt en état de courir ; non, c'est à la jeunesse que tous les grands travaux appartiennent. He would rather be able to run; no, it is to the youth that all the great works belong.

Nécessairement.

C'est donc dès l'enfance qu'il faut appliquer nos élèves à l'étude de l'arithmétique, de la géométrie, et des autres sciences qui servent de préparation à la dialectique. It is therefore from childhood that we must apply our students to the study of arithmetic, geometry, and other sciences that serve as preparation for the dialectic. Mais il ne doit y avoir dans les formes de l'enseignement rien qui les contraigne à apprendre. But there must be nothing in the forms of teaching that compels them to learn.

Pour quelle raison ?

Parce que l'homme libre ne doit rien apprendre en esclave. Because the free man must learn nothing as a slave. Que les exercices du corps soient forcés, le corps n'en profite pas moins que s'ils étaient volontaires ; mais les leçons qui entrent de force dans l'âme n'y demeurent pas. That the exercises of the body are forced, the body benefits from it no less than if they were voluntary; but the lessons that forcefully enter the soul do not remain there.

Il est vrai, oui.

Ainsi, mon cher ami, bannis toute violence des études de ces enfants : qu'ils s'instruisent en jouant ; par là tu seras plus à portée de connaître leurs dispositions particulières. So, my dear friend, banish all violence of the studies of these children: that they learn by playing; By this you will be more likely to know their particular dispositions.

Ce que tu dis est très sensé.

Te souvient-il aussi de ce que nous disions plus haut, qu'il fallait mener les enfants à la guerre sur des chevaux, les rendre spectateurs du combat, les approcher même de la mêlée, lorsqu'on le pourra sans danger, et leur faire en quelque manière goûter le sang, comme on fait aux jeunes chiens de meute ? Do you also remember what we said above, that it was necessary to lead children to war on horses, to make them spectators of combat, to approach them even to the fray, when it is safe to do so, and to to somehow taste the blood, as we do to young pack dogs?

Je m'en souviens. I remember.

Tu mettras à part ceux qui auront constamment montré plus de patience dans les travaux, plus de courage dans les dangers, plus d'ardeur pour les sciences. You will put aside those who have constantly shown more patience in the work, more courage in the dangers, more ardor for the sciences.

À quel âge ?

Lorsqu'ils auront fini leur cours nécessaire d'exercices gymniques ; car ce temps d'exercices qui sera de deux ou trois ans [35], n'admet pas d'autres occupations, la fatigue et le sommeil étant ennemis des sciences : et d'ailleurs ce n'est pas une épreuve sans importance de savoir comment chacun d'eux se montrera dans le cours gymnique. When they have finished their necessary course of gymnastic exercises; for this time of exercises, which will be two or three years [35], does not admit of other occupations, fatigue and sleep being enemies of the sciences: and, besides, it is not an unimportant test of find out how each of them will show up in the gym class.

Non, certainement.

Après ce temps, à partir de leur vingtième année, ceux qu'on aura choisis obtiendront des distinctions plus honorables et on devra leur présenter dans leur ensemble les sciences que dans l'enfance ils ont étudiées isolément, afin qu'ils saisissent sous un point de vue général et les rapports que ces sciences ont entre elles et la nature de l'être. After this time, from their twentieth year, those chosen will obtain more honorable distinctions and will have to present to them as a whole the sciences that in childhood they have studied in isolation, so that they can grasp under a point general view and the relationship that these sciences have between themselves and the nature of being.

Cette méthode est la seule qui produise des résultats solides partout où on la suit. This method is the only one that produces solid results wherever it follows.

Elle offre aussi un moyen excellent de distinguer l'esprit propre à la dialectique de tout autre esprit : celui qui se place dans le point de vue général est dialecticien ; les autres ne le sont pas. It also offers an excellent means of distinguishing the spirit proper to the dialectic from any other spirit: that which is placed in the general point of view is dialectic; the others are not.

J'en tombe d'accord. I agree with that.

C'est à quoi tu devras faire attention, et quand tu auras bien reconnu les naturels les plus solides et dans les sciences et dans la guerre et dans les autres épreuves prescrites, lorsqu'ils auront atteint l'âge de trente ans, tu devras en former une élite nouvelle pour leur accorder de plus grands honneurs, et tu distingueras, en les éprouvant par la dialectique, ceux qui, sans s'aider de leurs yeux ni des autres sens, pourront s'élever jusqu'à la connaissance de l'être par la seule force de la vérité ; et c'est ici, mon cher Glaucon, qu'il faut apporter les plus grandes précautions. That's what you'll have to pay attention to, and when you've recognized the strongest natives and in the sciences and in war and other prescribed trials, when they're thirty, you'll have to to form a new elite to grant them greater honors, and you will distinguish, by testing them by the dialectic, those who, without using their eyes or the other senses, can rise to the knowledge of the world. to be by the sole force of truth; and it is here, my dear Glaucon, that the greatest precautions must be taken.

Pourquoi ?

As-tu remarqué de quel mal l'étude de la dialectique est de nos jours travaillée [36] ? Have you noticed how badly the study of dialectics is nowadays worked [36]?

Quel mal ?

Elle est pleine de désordre.

Tu as bien raison.

Mais crois-tu qu'il y ait en ce désordre rien de surprenant, et n'excuses-tu pas ceux qui s'y laissent aller ? But do you think there is nothing surprising in this mess, and don't you apologize for those who indulge in it?

Comment cela ?

Ils sont dans le cas d'un enfant supposé qui, élevé dans le sein d'une famille noble, opulente, au milieu du faste et des flatteurs, s'apercevrait, étant devenu grand, que ceux qui se disent ses parents ne le sont pas, sans pouvoir retrouver les véritables. They are in the case of a supposed child who, raised in the bosom of a noble, opulent family, in the midst of ostentation and flatterers, would perceive, having grown up, that those who call themselves parents are not. not, without being able to find the real ones. Conçois-tu les sentiments qu'il aurait pour ses flatteurs et ses prétendus parents, avant qu'il eût connaissance de sa fausse position et après qu'il en serait instruit ? Do you conceive the feelings he would have for his flatterers and his so-called parents, before he knew of his false position and after he had learned of it? Ou veux-tu savoir là-dessus ma pensée ?

Je le veux bien.

Je m'imagine qu'il aurait d'abord plus de respect pour son père, sa mère, et ceux qu'il regarderait comme ses proches, que pour ses flatteurs ; qu'il aurait plus d'empressement à les secourir, s'ils en avaient besoin ; qu'il serait moins disposé à leur manquer en paroles ou en action ; en un mot, que dans les choses essentielles il leur désobéirait moins qu'à ses flatteurs, pendant tout le temps qu'il ignorerait son état. I imagine that he would at first have more respect for his father, his mother, and those whom he would regard as his relatives, than for his flatterers; that he would be more eager to help them if they needed them; that he would be less inclined to fail them in word or deed; in a word, that in essential things he would disobey them less than his flatterers, all the while he would ignore his state.