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Honoré de Balzac. L’Auberge rouge., 09. Honoré de Balzac. L’Auberge rouge. Partie 9/9.

09. Honoré de Balzac. L'Auberge rouge. Partie 9/9.

Je quittai le groupe qui s'était formé autour de la maîtresse du logis, et sortis avec mademoiselle Taillefer, qu'un valet vint chercher... – Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s'écria-t-elle en pleurant, qu'a donc fait mon père au ciel pour avoir mérité de souffrir ainsi ?... un être si bon !

Je descendis l'escalier avec elle, et en l'aidant à monter dans la voiture, j'y vis son père courbé en deux. Mademoiselle Taillefer essayait d'étouffer les gémissements de son père en lui couvrant la bouche d'un mouchoir ; malheureusement, il m'aperçut, sa figure parut se crisper encore davantage, un cri convulsif fendit les airs, il me jeta un regard horrible, et la voiture partit. Ce dîner, cette soirée, exercèrent une cruelle influence sur ma vie et sur mes sentiments. J'aimai mademoiselle Taillefer, précisément peut-être parce que l'honneur et la délicatesse m'interdisaient de m'allier à un assassin, quelque bon père et bon époux qu'il pût être. Une incroyable fatalité m'entraînait à me faire présenter dans les maisons où je savais pouvoir rencontrer Victorine. Souvent, après m'être donné à moi-même ma parole d'honneur de renoncer à la voir, le soir même je me trouvais près d'elle. Mes plaisirs étaient immenses. Mon légitime amour, plein de remords chimériques, avait la couleur d'une passion criminelle. Je me méprisais de saluer Taillefer, quand par hasard il était avec sa fille ; mais je le saluais ! Enfin, par malheur, Victorine n'est pas seulement une jolie personne ; de plus elle est instruite, remplie de talents, de grâces, sans la moindre pédanterie, sans la plus légère teinte de prétention. Elle cause avec réserve ; et son caractère a des grâces mélancoliques auxquelles personne ne sait résister ; elle m'aime, ou du moins elle me le laisse croire ; elle a un certain sourire qu'elle ne trouve que pour moi ; et pour moi, sa voix s'adoucit encore. Oh ! elle m'aime ! mais elle adore son père, mais elle m'en vante la bonté, la douceur, les qualités exquises. Ces éloges sont autant de coups de poignard qu'elle me donne dans le cœur. Un jour, je me suis trouvé presque complice du crime sur lequel repose l'opulence de la famille Taillefer : j'ai voulu demander la main de Victorine. Alors j'ai fui, j'ai voyagé, je suis allé en Allemagne, à Andernach. Mais je suis revenu. J'ai retrouvé Victorine pâle, elle avait maigri ! si je l'avais revue bien portante, gaie, j'étais sauvé ! Ma passion s'est rallumée avec une violence extraordinaire. Craignant que mes scrupules ne dégénérassent en monomanie [1], je résolus de convoquer un sanhédrin [2] de consciences pures, afin de jeter quelque lumière sur ce problème de haute morale et de philosophie. La question s'était encore bien compliquée depuis mon retour. Avant-hier donc, j'ai réuni ceux de mes amis auxquels j'accorde le plus de probité [3], de délicatesse et d'honneur. J'avais invité deux Anglais, un secrétaire d'ambassade et un puritain [4] ; un ancien ministre dans toute la maturité de la politique ; des jeunes gens encore sous le charme de l'innocence ; un prêtre, un vieillard ; puis mon ancien tuteur, homme naïf, qui m'a rendu le plus beau compte de tutelle [5] dont la mémoire soit restée au Palais ; un avocat, un notaire, un juge, enfin toutes les opinions sociales, toutes les vertus pratiques. Nous avons commencé par bien dîner, bien parler, bien crier ; puis, au dessert, j'ai raconté naïvement mon histoire, et demandé quelque bon avis en cachant le nom de ma prétendue. – Conseillez-moi, mes amis, leur dis-je en terminant. Discutez longuement la question, comme s'il s'agissait d'un projet de loi. L'urne et les boules du billard vont vous être apportées, et vous voterez pour ou contre mon mariage, dans tout le secret voulu par un scrutin ! Un profond silence régna soudain. Le notaire se récusa [6].

– Il y a, dit-il, un contrat à faire.

Le vin avait réduit mon ancien tuteur au silence, et il fallait le mettre en tutelle pour qu'il ne lui arrivât aucun malheur en retournant chez lui. – Je comprends ! m'écriai-je. Ne pas donner son opinion, c'est me dire énergiquement ce que je dois faire. Il y eut un mouvement dans l'assemblée. Un propriétaire qui avait souscrit pour les enfants et la tombe du général Foy [7], s'écria : Ainsi que la vertu le crime a ses degrés [8] !

– Bavard ! me dit l'ancien ministre à voix basse en me poussant le coude. – Où est la difficulté ? demanda un duc dont la fortune consiste en biens confisqués à des protestants réfractaires lors de la révocation de l'édit de Nantes [9]. L'avocat se leva : – En droit, l'espèce qui nous est soumise ne constituerait pas la moindre difficulté. Monsieur le duc a raison ! s'écria l'organe de la loi. N'y a-t-il pas prescription ? Où en serions-nous tous s'il fallait rechercher l'origine des fortunes ! Ceci est une affaire de conscience. Si vous voulez absolument porter la cause devant un tribunal, allez à celui de la pénitence.

Le Code incarné se tut, s'assit et but un verre de vin de Champagne. L'homme chargé d'expliquer l'Évangile, le bon prêtre, se leva. – Dieu nous a faits fragiles, dit-il avec fermeté. Si vous aimez l'héritière du crime, épousez-la, mais contentez-vous du bien matrimonial, et donnez aux pauvres celui du père. – Mais, s'écria l'un de ces ergoteurs [10] sans pitié qui se rencontrent si souvent dans le monde, le père n'a peut-être fait un beau mariage que parce qu'il s'était enrichi. Le moindre de ses bonheurs n'a-t-il donc pas toujours été un fruit du crime ? – La discussion est en elle-même une sentence ! Il est des choses sur lesquelles un homme ne délibère pas, s'écria mon ancien tuteur qui crut éclairer l'assemblée par une saillie d'ivresse. – Oui ! dit le secrétaire d'ambassade. – Oui ! s'écria le prêtre. Ces deux hommes ne s'entendaient pas. Un doctrinaire [11] auquel il n'avait guère manqué que cent cinquante voix sur cent cinquante-cinq votants pour être élu, se leva. – Messieurs, cet accident phénoménal de la nature intellectuelle est un de ceux qui sortent le plus vivement de l'état normal auquel est soumise la société, dit-il. Donc, la décision à prendre doit être un fait extemporané [12] de notre conscience, un concept soudain, un jugement instructif, une nuance fugitive de notre appréhension intime assez semblable aux éclairs qui constituent le sentiment du goût. Votons.

– Votons ! s'écrièrent mes convives. Je fis donner à chacun deux boules, l'une blanche, l'autre rouge. Le blanc, symbole de la virginité, devrait proscrire le mariage ; et la boule rouge, l'approuver. Je m'abstins de voter par délicatesse. Mes amis étaient dix-sept, le nombre neuf formait la majorité absolue. Chacun alla mettre sa boule dans le panier d'osier à col étroit où s'agitent les billes numérotées quand les joueurs tirent leurs places à la poule, et nous fûmes agités par une assez vive curiosité, car ce scrutin de morale épurée avait quelque chose d'original. Au dépouillement du scrutin, je trouvai neuf boules blanches ! Ce résultat ne me surprit pas ; mais je m'avisai de compter les jeunes gens de mon âge que j'avais mis parmi mes juges. Ces casuistes [13] étaient au nombre de neuf, ils avaient tous eu la même pensée.

– Oh ! oh ! me dis-je, il y a unanimité secrète pour le mariage et unanimité pour me l'interdire ! Comment sortir d'embarras ? – Où demeure le beau-père ? demanda étourdiment un de mes camarades de collège, moins dissimulé que les autres.

– Il n'y a plus de beau-père, m'écriai-je. Jadis ma conscience parlait assez clairement pour rendre votre arrêt superflu. Et si aujourd'hui sa voix s'est affaiblie, voici les motifs de ma couardise [14]. Je reçus, il y a deux mois, cette lettre séductrice.

Je leur montrai l'invitation suivante, que je tirai de mon portefeuille. « Vous êtes prié d'assister aux convoi, service et enterrement de M. Jean-Frédéric Taillefer, de la maison Taillefer et compagnie, ancien fournisseur des vivres-viandes, en son vivant chevalier de la Légion d'Honneur et de l'Éperon d'or [15], capitaine de la première compagnie de grenadiers de la deuxième légion de la garde nationale de Paris, décédé le premier mai dans son hôtel, rue Joubert, et qui se feront à... etc. « De la part de... etc. – Maintenant, que faire ? repris-je. Je vais vous poser la question très largement. Il y a bien certainement une mare de sang dans les terres de mademoiselle Taillefer, la succession de son père est un vaste « hacelma » [16]. Je le sais. Mais Prosper Magnan n'a pas laissé d'héritiers ; mais il m'a été impossible de retrouver la famille du fabricant d'épingles assassiné à Andernach. À qui restituer la fortune ? Et doit-on restituer toute la fortune ? Ai-je le droit de trahir un secret surpris, d'augmenter d'une tête coupée la dot d'une innocente jeune fille, de lui faire faire de mauvais rêves, de lui ôter une belle illusion, de lui tuer son père une seconde fois, en lui disant : Tous vos écus sont tachés ? J'ai emprunté le Dictionnaire des Cas de conscience à un vieil ecclésiastique, et n'y ai point trouvé de solution à mes doutes. Faire une fondation pieuse pour l'âme de Prosper Magnan, de Walhenfer, de Taillefer ? nous sommes en plein dix-neuvième siècle. Bâtir un hospice ou instituer un prix de vertu, le prix de vertu sera donné à des fripons. Quant à la plupart de nos hôpitaux, ils me semblent devenus aujourd'hui les protecteurs du vice ! D'ailleurs ces placements plus ou moins profitables à la vanité constitueront-ils des réparations ? et les dois-je ? Puis j'aime, et j'aime avec passion. Mon amour est ma vie ! Si je propose sans motif à une jeune fille habituée au luxe, à l'élégance, à une vie fertile en jouissances d'arts, à une jeune fille qui aime à écouter paresseusement aux Bouffons [17] la musique de Rossini [18], si donc je lui propose de se priver de quinze cent mille francs en faveur de vieillards stupides ou de galeux chimériques, elle me tournera le dos en riant, ou sa femme de confiance me prendra pour un mauvais plaisant ; si, dans une extase d'amour, je lui vante les charmes d'une vie médiocre et ma petite maison sur les bords de la Loire, si je lui demande le sacrifice de sa vie parisienne au nom de notre amour, ce sera d'abord un vertueux mensonge ; puis, je ferai peut-être là quelque triste expérience, et perdrai le cœur de cette jeune fille, amoureuse du bal, folle de parure, et de moi pour le moment. Elle me sera enlevée par un officier mince et pimpant, qui aura une moustache bien frisée, jouera du piano, vantera lord Byron [19], et montera joliment à cheval. Que faire ? Messieurs, de grâce, un conseil ?...

L'honnête homme, cette espèce de puritain assez semblable au père de Jenny Deans [20], de qui je vous ai déjà parlé, et qui jusque-là n'avait soufflé mot, haussa les épaules en me disant : – Imbécile, pourquoi lui as-tu demandé s'il était de Beauvais ! Paris, mai 1831.

09. Honoré de Balzac. L’Auberge rouge. Partie 9/9. 09. Honoré de Balzac. Die rote Herberge (L'Auberge rouge). Teil 9/9. 09. Honoré de Balzac. L'Auberge rouge. Part 9/9. 09. Honoré de Balzac. L'Auberge rouge. Parte 9/9. 09. Honoré de Balzac. مسافرخانه قرمز. قسمت 9/9. 09. Honoré de Balzac. L'Auberge rouge. Deel 9/9. 09. Honoré de Balzac. L'Auberge rouge. Parte 9/9.

Je quittai le groupe qui s'était formé autour de la maîtresse du logis, et sortis avec mademoiselle Taillefer, qu'un valet vint chercher... I left the group that had formed around the mistress of the house, and went out with Mademoiselle Taillefer, whom a valet came to fetch... – Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s'écria-t-elle en pleurant, qu'a donc fait mon père au ciel pour avoir mérité de souffrir ainsi ?... cried she, crying, "what did my father do in heaven for having deserved to suffer thus? un être si bon ! a being so good!

Je descendis l'escalier avec elle, et en l'aidant à monter dans la voiture, j'y vis son père courbé en deux. I went down the stairs with her, and helping her get into the car, I saw her father bent in half. Mademoiselle Taillefer essayait d'étouffer les gémissements de son père en lui couvrant la bouche d'un mouchoir ; malheureusement, il m'aperçut, sa figure parut se crisper encore davantage, un cri convulsif fendit les airs, il me jeta un regard horrible, et la voiture partit. Mademoiselle Taillefer was trying to stifle her father's moans by covering her mouth with a handkerchief; Unfortunately, he saw me, his face seemed to tense even more, a convulsive cry cracked the air, he gave me a horrible look, and the car went off. Ce dîner, cette soirée, exercèrent une cruelle influence sur ma vie et sur mes sentiments. This dinner, this evening, exercised a cruel influence on my life and on my feelings. J'aimai mademoiselle Taillefer, précisément peut-être parce que l'honneur et la délicatesse m'interdisaient de m'allier à un assassin, quelque bon père et bon époux qu'il pût être. I loved Mademoiselle Taillefer, perhaps because honor and delicacy prevented me from associating myself with an assassin, some good father, and a good husband that he could be. Une incroyable fatalité m'entraînait à me faire présenter dans les maisons où je savais pouvoir rencontrer Victorine. An incredible fatality led me to be introduced to the houses where I knew I could meet Victorine. Souvent, après m'être donné à moi-même ma parole d'honneur de renoncer à la voir, le soir même je me trouvais près d'elle. Often, after having given myself my word of honor to renounce seeing her, that very evening I was near her. Mes plaisirs étaient immenses. My pleasures were immense. Mon légitime amour, plein de remords chimériques, avait la couleur d'une passion criminelle. My legitimate love, full of chimerical remorse, was the color of a criminal passion. Je me méprisais de saluer Taillefer, quand par hasard il était avec sa fille ; mais je le saluais ! I despised myself greeting Taillefer, when by chance he was with his daughter; but I greeted him! Enfin, par malheur, Victorine n'est pas seulement une jolie personne ; de plus elle est instruite, remplie de talents, de grâces, sans la moindre pédanterie, sans la plus légère teinte de prétention. Finally, unfortunately, Victorine is not only a pretty person; besides, she is educated, full of talents, of graces, without the slightest pedantry, without the slightest hint of pretension. Elle cause avec réserve ; et son caractère a des grâces mélancoliques auxquelles personne ne sait résister ; elle m'aime, ou du moins elle me le laisse croire ; elle a un certain sourire qu'elle ne trouve que pour moi ; et pour moi, sa voix s'adoucit encore. She talks with reserve; and his character has melancholy graces which no one can resist; she loves me, or at least she lets me believe it; she has a certain smile that she finds only for me; and to me his voice softens even more. Oh ! elle m'aime ! she loves Me ! mais elle adore son père, mais elle m'en vante la bonté, la douceur, les qualités exquises. but she adores her father, but she boasts to me of his goodness, gentleness, exquisite qualities. Ces éloges sont autant de coups de poignard qu'elle me donne dans le cœur. These praises are so many stabs she gives me in the heart. Un jour, je me suis trouvé presque complice du crime sur lequel repose l'opulence de la famille Taillefer : j'ai voulu demander la main de Victorine. One day, I found myself almost complicit in the crime on which the wealth of the Taillefer family rests: I wanted to ask for Victorine's hand. Alors j'ai fui, j'ai voyagé, je suis allé en Allemagne, à Andernach. So I fled, I travelled, I went to Germany, to Andernach. Mais je suis revenu. But I came back. J'ai retrouvé Victorine pâle, elle avait maigri ! I found Victorine pale, she had lost weight! si je l'avais revue bien portante, gaie, j'étais sauvé ! if I had seen her well, gay, I was saved! Ma passion s'est rallumée avec une violence extraordinaire. My passion reignited with extraordinary violence. Craignant que mes scrupules ne dégénérassent en monomanie [1], je résolus de convoquer un sanhédrin [2] de consciences pures, afin de jeter quelque lumière sur ce problème de haute morale et de philosophie. Fearing that my scruples would degenerate into monomania, 1 resolved to convene a Sanhedrin [2] of pure consciences in order to shed some light on this problem of high morality and philosophy. La question s'était encore bien compliquée depuis mon retour. The question had become even more complicated since my return. Avant-hier donc, j'ai réuni ceux de mes amis auxquels j'accorde le plus de probité [3], de délicatesse et d'honneur. The day before yesterday, therefore, I gathered together those of my friends to whom I accord the most probity [3], delicacy and honor. J'avais invité deux Anglais, un secrétaire d'ambassade et un puritain [4] ; un ancien ministre dans toute la maturité de la politique ; des jeunes gens encore sous le charme de l'innocence ; un prêtre, un vieillard ; puis mon ancien tuteur, homme naïf, qui m'a rendu le plus beau compte de tutelle [5] dont la mémoire soit restée au Palais ; un avocat, un notaire, un juge, enfin toutes les opinions sociales, toutes les vertus pratiques. I had invited two Englishmen, a secretary of the Embassy, and a Puritan [4]; a former minister in all the maturity of politics; young people still under the spell of innocence; a priest, an old man; then my old guardian, a naive man, who has made me the most beautiful account of tutelage [5] whose memory remained in the Palace; a lawyer, a notary, a judge, finally all the social opinions, all the practical virtues. Nous avons commencé par bien dîner, bien parler, bien crier ; puis, au dessert, j'ai raconté naïvement mon histoire, et demandé quelque bon avis en cachant le nom de ma prétendue. We started by having dinner, talking well, shouting; then, at dessert, I naïvely told my story, and asked for some good advice by hiding the name of my supposed. – Conseillez-moi, mes amis, leur dis-je en terminant. "Advise me, my friends," I said to them in closing. Discutez longuement la question, comme s'il s'agissait d'un projet de loi. Discuss the issue at length as if it were a bill. L'urne et les boules du billard vont vous être apportées, et vous voterez pour ou contre mon mariage, dans tout le secret voulu par un scrutin ! The urn and the billiard balls will be brought to you, and you will vote for or against my marriage, in all the secrecy required by a ballot! Un profond silence régna soudain. A profound silence suddenly reigned. Le notaire se récusa [6]. The notary recused himself [6].

– Il y a, dit-il, un contrat à faire. “There is a contract to be made,” he said.

Le vin avait réduit mon ancien tuteur au silence, et il fallait le mettre en tutelle pour qu'il ne lui arrivât aucun malheur en retournant chez lui. The wine had reduced my old guardian to silence, and it was necessary to put him in guardianship so that it did not happen any misfortune to him when returning home. – Je comprends ! m'écriai-je. I exclaimed. Ne pas donner son opinion, c'est me dire énergiquement ce que je dois faire. To not give an opinion is to forcefully tell me what to do. Il y eut un mouvement dans l'assemblée. There was a movement in the assembly. Un propriétaire qui avait souscrit pour les enfants et la tombe du général Foy [7], s'écria : A landlord who had subscribed for the children and the tomb of General Foy [7] exclaimed: Ainsi que la vertu le crime a ses degrés [8] ! Just as virtue, crime has its degrees!

– Bavard ! - Gossipy ! me dit l'ancien ministre à voix basse en me poussant le coude. the former minister whispered to me, nudging my elbow. – Où est la difficulté ? – Where is the difficulty? demanda un duc dont la fortune consiste en biens confisqués à des protestants réfractaires lors de la révocation de l'édit de Nantes [9]. asked a duke, whose fortune consists of property confiscated from refractory Protestants during the revocation of the Edict of Nantes [9]. L'avocat se leva : – En droit, l'espèce qui nous est soumise ne constituerait pas la moindre difficulté. The lawyer stood up: "In law, the species which is submitted to us would not constitute the least difficulty. Monsieur le duc a raison ! Duke is right! s'écria l'organe de la loi. cried the organ of law. N'y a-t-il pas prescription ? Isn't there a prescription? Où en serions-nous tous s'il fallait rechercher l'origine des fortunes ! Where would we all be if we had to look for the origin of fortunes! Ceci est une affaire de conscience. This is a matter of conscience. Si vous voulez absolument porter la cause devant un tribunal, allez à celui de la pénitence. If you absolutely want to take the case to court, go to the court of penance.

Le Code incarné se tut, s'assit et but un verre de vin de Champagne. The incarnated Code was silent, sat down and drank a glass of champagne. L'homme chargé d'expliquer l'Évangile, le bon prêtre, se leva. The man in charge of explaining the Gospel, the good priest, stood up. – Dieu nous a faits fragiles, dit-il avec fermeté. “God made us fragile,” he said firmly. Si vous aimez l'héritière du crime, épousez-la, mais contentez-vous du bien matrimonial, et donnez aux pauvres celui du père. If you love the heiress of crime, marry her, but be satisfied with marital property, and give the poor the father's. – Mais, s'écria l'un de ces ergoteurs [10] sans pitié qui se rencontrent si souvent dans le monde, le père n'a peut-être fait un beau mariage que parce qu'il s'était enrichi. "But," cried one of those ruthless quibbers [10] who meet so often in the world, "the father may have made a fine marriage only because he had become rich. Le moindre de ses bonheurs n'a-t-il donc pas toujours été un fruit du crime ? Has not the least of his happiness ever been a fruit of crime? – La discussion est en elle-même une sentence ! – The discussion is in itself a sentence! Il est des choses sur lesquelles un homme ne délibère pas, s'écria mon ancien tuteur qui crut éclairer l'assemblée par une saillie d'ivresse. There are things on which a man does not deliberate, exclaimed my former tutor, who thought he was enlightening the assembly with a spurt of intoxication. – Oui ! dit le secrétaire d'ambassade. – Oui ! s'écria le prêtre. Ces deux hommes ne s'entendaient pas. These two men did not get along. Un doctrinaire [11]  auquel il n'avait guère manqué que cent cinquante voix sur cent cinquante-cinq votants pour être élu, se leva. A doctrinaire [11] who had hardly lacked more than a hundred and fifty votes out of a hundred and fifty-five voters to be elected, stood up. – Messieurs, cet accident phénoménal de la nature intellectuelle est un de ceux qui sortent le plus vivement de l'état normal auquel est soumise la société, dit-il. "Gentlemen, this phenomenal accident of intellectual nature is one of those which most vividly emerges from the normal state to which society is subject," he said. Donc, la décision à prendre doit être un fait extemporané [12] de notre conscience, un concept soudain, un jugement instructif, une nuance fugitive de notre appréhension intime assez semblable aux éclairs qui constituent le sentiment du goût. So the decision to be made must be an extemporaneous fact [12] of our consciousness, a sudden concept, an instructive judgment, a fleeting shade of our intimate apprehension quite similar to the flashes that constitute the feeling of taste. Votons. Let's vote.

– Votons ! s'écrièrent mes convives. Je fis donner à chacun deux boules, l'une blanche, l'autre rouge. I gave each of them two balls, one white, the other red. Le blanc, symbole de la virginité, devrait proscrire le mariage ; et la boule rouge, l'approuver. White, symbol of virginity, should proscribe marriage; and the red ball, approve it. Je m'abstins de voter par délicatesse. I abstained from voting out of delicacy. Mes amis étaient dix-sept, le nombre neuf formait la majorité absolue. My friends were seventeen, the number nine forming the absolute majority. Chacun alla mettre sa boule dans le panier d'osier à col étroit où s'agitent les billes numérotées quand les joueurs tirent leurs places à la poule, et nous fûmes agités par une assez vive curiosité, car ce scrutin de morale épurée avait quelque chose d'original. Each went to put his ball in the narrow-necked wicker basket, where the numbered balls move when the players draw their places in the chicken, and we were agitated by a rather lively curiosity, because this purified moral vote had something original. Au dépouillement du scrutin, je trouvai neuf boules blanches ! When the votes were counted, I found nine white balls! Ce résultat ne me surprit pas ; mais je m'avisai de compter les jeunes gens de mon âge que j'avais mis parmi mes juges. This result did not surprise me; but I thought of counting the young men of my age whom I had placed among my judges. No me sorprendió este resultado, pero decidí contar a los jóvenes de mi edad que había incluido entre mis jueces. Ces casuistes [13] étaient au nombre de neuf, ils avaient tous eu la même pensée. These casuists [13] were nine in number, they all had the same thought. Había nueve de estos casuistas [13], y todos habían tenido el mismo pensamiento.

– Oh ! oh ! me dis-je, il y a unanimité secrète pour le mariage et unanimité pour me l'interdire ! I say to myself, there is unanimity secret for marriage and unanimity to forbid it! Comment sortir d'embarras ? How to escape from embarrassment? – Où demeure le beau-père ? Where does the father-in-law live? demanda étourdiment un de mes camarades de collège, moins dissimulé que les autres. asked one of my college classmates, less concealed than the others. preguntó uno de mis amigos del colegio, menos reservado que los demás.

– Il n'y a plus de beau-père, m'écriai-je. "There is no longer a father-in-law," I exclaimed. Jadis ma conscience parlait assez clairement pour rendre votre arrêt superflu. Formerly my conscience spoke clearly enough to make your judgment superfluous. Et si aujourd'hui sa voix s'est affaiblie, voici les motifs de ma couardise [14]. And if today his voice has weakened, here are the reasons for my cowardice. Je reçus, il y a deux mois, cette lettre séductrice. I received this seductive letter two months ago.

Je leur montrai l'invitation suivante, que je tirai de mon portefeuille. I showed them the following invitation, which I drew from my wallet. « Vous êtes prié d'assister aux convoi, service et enterrement de M. Jean-Frédéric Taillefer, de la maison Taillefer et compagnie, ancien fournisseur des vivres-viandes, en son vivant chevalier de la Légion d'Honneur et de l'Éperon d'or [15], capitaine de la première compagnie de grenadiers de la deuxième légion de la garde nationale de Paris, décédé le premier mai dans son hôtel, rue Joubert, et qui se feront à... etc. "You are requested to attend the convoys, service and burial of Mr. Jean-Frédéric Taillefer, the house Taillefer and company, former supplier of food-meat, in his lifetime Knight of the Legion of Honor and the Spur [15], captain of the first company of grenadiers of the second legion of the National Guard of Paris, who died on May 1st in his hotel, rue Joubert, and who will be at ... etc. « De la part de... etc. "From ... and so on. – Maintenant, que faire ? - Now, what to do? repris-je. I resumed. Je vais vous poser la question très largement. I will ask you the question very widely. Il y a bien certainement une mare de sang dans les terres de mademoiselle Taillefer, la succession de son père est un vaste « hacelma » [16]. There is certainly a pool of blood in the lands of Mademoiselle Taillefer, the succession of her father is a vast "hacelma" [16]. Je le sais. I know it. Mais Prosper Magnan n'a pas laissé d'héritiers ; mais il m'a été impossible de retrouver la famille du fabricant d'épingles assassiné à Andernach. But Prosper Magnan did not leave any heirs; but it was impossible for me to find the family of the pin maker murdered in Andernach. À qui restituer la fortune ? To whom should the fortune be returned? Et doit-on restituer toute la fortune ? And should we return all the wealth? Ai-je le droit de trahir un secret surpris, d'augmenter d'une tête coupée la dot d'une innocente jeune fille, de lui faire faire de mauvais rêves, de lui ôter une belle illusion, de lui tuer son père une seconde fois, en lui disant : Tous vos écus sont tachés ? Do I have the right to betray a secret that is surprised, to raise the dowry of an innocent girl with a cut head, to make her have bad dreams, to take away a beautiful illusion, to kill her father for a second? time, saying to him: All your crowns are stained? J'ai emprunté le Dictionnaire des Cas de conscience à un vieil ecclésiastique, et n'y ai point trouvé de solution à mes doutes. I borrowed the Dictionary of Cases of Conscience from an old ecclesiastic, and found no solution to my doubts. Faire une fondation pieuse pour l'âme de Prosper Magnan, de Walhenfer, de Taillefer ? Make a pious foundation for the soul of Prosper Magnan, of Walhenfer, of Taillefer? nous sommes en plein dix-neuvième siècle. we are in the middle of the nineteenth century. Bâtir un hospice ou instituer un prix de vertu, le prix de vertu sera donné à des fripons. To build a hospice or institute a price of virtue, the price of virtue will be given to rogues. Quant à la plupart de nos hôpitaux, ils me semblent devenus aujourd'hui les protecteurs du vice ! As for most of our hospitals, they seem to me today to be the protectors of vice! D'ailleurs ces placements plus ou moins profitables à la vanité constitueront-ils des réparations ? Besides, will these investments, more or less profitable to vanity, constitute reparations? et les dois-je ? and do I have them? Puis j'aime, et j'aime avec passion. Then I love, and I love with passion. Mon amour est ma vie ! My love is my life! Si je propose sans motif à une jeune fille habituée au luxe, à l'élégance, à une vie fertile en jouissances d'arts, à une jeune fille qui aime à écouter paresseusement aux Bouffons [17] la musique de Rossini [18], si donc je lui propose de se priver de quinze cent mille francs en faveur de vieillards stupides ou de galeux chimériques, elle me tournera le dos en riant, ou sa femme de confiance me prendra pour un mauvais plaisant ; si, dans une extase d'amour, je lui vante les charmes d'une vie médiocre et ma petite maison sur les bords de la Loire, si je lui demande le sacrifice de sa vie parisienne au nom de notre amour, ce sera d'abord un vertueux mensonge ; puis, je ferai peut-être là quelque triste expérience, et perdrai le cœur de cette jeune fille, amoureuse du bal, folle de parure, et de moi pour le moment. If I propose without reason to a young girl accustomed to luxury, to elegance, to a life fertile in the enjoyment of the arts, to a young girl who likes to listen lazily to the Bouffons [17] the music of Rossini [18], if therefore I propose to her to deprive herself of fifteen hundred thousand francs in favor of stupid old men or chimerical mangy people, she will turn her back on me laughing, or her trusted wife will take me for a joker; if, in an ecstasy of love, I boast to him of the charms of a mediocre life and my little house on the banks of the Loire, if I ask him to sacrifice his Parisian life in the name of our love, it will be first a virtuous lie; then, perhaps I will have some sad experience there, and lose the heart of this young girl, in love with the ball, mad about finery, and of myself for the moment. Elle me sera enlevée par un officier mince et pimpant, qui aura une moustache bien frisée, jouera du piano, vantera lord Byron [19], et montera joliment à cheval. It will be carried off to me by a slim and dapper officer, who will have a well curled mustache, play the piano, brag about Lord Byron, and mount a pretty horse. Me la arrebatará un oficial delgado y atildado, con un bigote bien rizado, que tocará el piano, alabará a Lord Byron [19] y cabalgará maravillosamente. Que faire ? What to do ? Messieurs, de grâce, un conseil ?... Gentlemen, please, any advice?...

L'honnête homme, cette espèce de puritain assez semblable au père de Jenny Deans [20], de qui je vous ai déjà parlé, et qui jusque-là n'avait soufflé mot, haussa les épaules en me disant : – Imbécile, pourquoi lui as-tu demandé s'il était de Beauvais ! The honest man, that kind of Puritan, pretty much like Jenny Deans 'father [20], whom I've already spoken to you about, and who until then had not spoken a word, shrugged his shoulders and said,' Fool, why did you ask him if he was from Beauvais! Paris, mai 1831. Paris, May 1831.