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Honoré de Balzac. L’Auberge rouge., 06. Honoré de Balzac. L’Auberge rouge. Partie 6/9.

06. Honoré de Balzac. L'Auberge rouge. Partie 6/9.

Tout à coup il fondit en larmes.

– Oh ! oui, je suis innocent, s'écria-t-il. Je n'ai pas tué. Je me souviens de mes songes. Je jouais aux barres [1] avec mes camarades de collège. Je n'ai pas dû couper la tête de ce négociant, en rêvant que je courais. (Puis,) malgré les lueurs d'espoir qui parfois lui rendirent un peu de calme, il se sentait toujours écrasé par un remords. Il avait bien certainement levé le bras pour trancher la tête du négociant. Il se faisait justice, et ne se trouvait pas le cœur pur, après avoir commis le crime dans sa pensée.

– Et cependant ! je suis bon ! s'écriait-il. Ô ma pauvre mère ! Peut-être en ce moment joue-t-elle gaiement à l'impériale [2] avec ses voisines dans son petit salon de tapisserie. Si elle savait que j'ai seulement levé la main pour assassiner un homme... Oh ! elle mourrait ! Et je suis en prison, accusé d'avoir commis un crime. Si je n'ai pas tué cet homme, je tuerai certainement ma mère ! À ces mots il ne pleura pas ; mais, animé de cette fureur courte et vive assez familière aux Picards, il s'élança vers la muraille, et, si je ne l'avais retenu, il s'y serait brisé la tête. – Attendez votre jugement, lui dis-je. Vous serez acquitté, vous êtes innocent. Et votre mère...

– Ma mère, s'écria-t-il avec fureur, elle apprendra mon accusation avant tout. Dans les petites villes, cela se fait ainsi, la pauvre femme en mourra de chagrin. D'ailleurs, je ne suis pas innocent. Voulez-vous savoir toute la vérité ? Je sens que j'ai perdu la virginité de ma conscience. Après ce terrible mot, il s'assit, se croisa les bras sur la poitrine, inclina la tête, et regarda la terre d'un air sombre. En ce moment, le porte-clefs vint me prier de rentrer dans ma chambre ; mais, fâché d'abandonner mon compagnon en un instant où son découragement me paraissait si profond, je le serrai dans mes bras avec amitié. – Prenez patience, lui dis-je, tout ira bien, peut-être. Si la voix d'un honnête homme peut faire taire vos doutes, apprenez que je vous estime et vous aime. Acceptez mon amitié, et dormez sur mon cœur, si vous n'êtes pas en paix avec le vôtre. Le lendemain, un caporal et quatre fusiliers vinrent chercher le sous-aide vers neuf heures. En entendant le bruit que firent les soldats, je me mis à ma fenêtre. Lorsque le jeune homme traversa la cour, il jeta les yeux sur moi. Jamais je n'oublierai ce regard plein de pensées, de pressentiments, de résignation, et de je ne sais quelle grâce triste et mélancolique. Ce fut une espèce de testament silencieux et intelligible par lequel un ami léguait sa vie perdue à son dernier ami. La nuit avait sans doute été bien dure, bien solitaire pour lui ; mais aussi peut-être la pâleur empreinte sur son visage accusait-elle un stoïcisme puisé dans une nouvelle estime de lui-même. Peut-être s'était-il purifié par un remords, et croyait-il laver sa faute dans sa douleur et dans sa honte. Il marchait d'un pas ferme et, dès le matin, il avait fait disparaître les taches de sang dont il s'était involontairement souillé. – Mes mains y ont fatalement trempé pendant que je dormais, car mon sommeil est toujours très agité, m'avait-il dit la veille, avec un horrible accent de désespoir. J'appris qu'il allait comparaître devant un conseil de guerre. La division devait, le surlendemain, se porter en avant, et le chef de demi-brigade ne voulait pas quitter Andernach sans faire justice du crime sur les lieux mêmes où il avait été commis... Je restai dans une mortelle angoisse pendant le temps que dura ce conseil. Enfin, vers midi, Prosper Magnan fut ramené en prison. Je faisais en ce moment ma promenade accoutumée ; il m'aperçut, et vint se jeter dans mes bras. – Perdu, me dit-il. Je suis perdu sans espoir ! Ici, pour tout le monde, je serai donc un assassin.

Il releva la tête avec fierté.

– Cette injustice m'a rendu tout entier à mon innocence. Ma vie aurait toujours été troublée, ma mort sera sans reproche. Mais, y a-t-il un avenir ?

Tout le dix-huitième siècle était dans cette interrogation soudaine. Il resta pensif.

– Enfin, lui dis-je, comment avez-vous répondu ? Que vous a-t-on demandé ? N'avez-vous pas dit naïvement le fait comme vous me l'avez raconté ! Il me regarda fixement pendant un moment ; puis, après cette pause effrayante, il me répondit avec une fiévreuse vivacité de paroles :

– Ils m'ont demandé d'abord : « Êtes-vous sorti de l'auberge pendant la nuit ? » J'ai dit : – Oui. – « Par où ? » J'ai rougi, et j'ai répondu : – Par la fenêtre. – « Vous l'aviez donc ouverte ? » – Oui ! ai-je dit. « Vous y avez mis bien de la précaution. L'aubergiste n'a rien entendu ! » Je suis resté stupéfait. Les mariniers ont déclaré m'avoir vu me promenant, allant tantôt à Andernach, tantôt vers la forêt. – J'ai fait, disent-ils, plusieurs voyages. J'ai enterré l'or et les diamants. Enfin, la valise ne s'est pas retrouvée ! Puis j'étais toujours en guerre avec mes remords. Quand je voulais parler : « Tu as voulu commettre le crime ! » me criait une voix impitoyable. Tout était contre moi, même moi !... Ils m'ont questionné sur mon camarade, et je l'ai complètement défendu. Alors ils m'ont dit : « – Nous devons trouver un coupable entre vous, votre camarade, l'aubergiste et sa femme ? Ce matin, toutes les fenêtres et les portes se sont trouvées fermées ! » – À cette observation, reprit-il, je suis resté sans voix, sans force, sans âme. Plus sûr de mon ami que de moi-même, je ne pouvais l'accuser. J'ai compris que nous étions regardés tous deux comme également complices de l'assassinat, et que je passais pour le plus maladroit ! J'ai voulu expliquer le crime par le somnambulisme, et justifier mon ami ; alors j'ai divagué. Je suis perdu. J'ai lu ma condamnation dans les yeux de mes juges. Ils ont laissé échapper des sourires d'incrédulité. Tout est dit. Plus d'incertitude. Demain je serai fusillé. – Je ne pense plus à moi, reprit-il, mais à ma pauvre mère !

Il s'arrêta, regarda le ciel, et ne versa pas de larmes. Ses yeux étaient secs et fortement convulsés.

– Frédéric !

– Ah ! l'autre se nommait Frédéric, Frédéric ! Oui, c'est bien là le nom ! s'écria monsieur Hermann d'un air de triomphe.

06. Honoré de Balzac. L’Auberge rouge. Partie 6/9. 06\. Honoré de Balzac. The Red Inn. Part 6/9. 06. Honoré de Balzac. L'Auberge rouge. Parte 6/9. 06. Honoré de Balzac. L'Auberge rouge. Parte 6/9. 06. Honoré de Balzac. L'Auberge rouge. Del 6/9.

Tout à coup il fondit en larmes. Suddenly he burst into tears.

– Oh ! oui, je suis innocent, s'écria-t-il. yes, I am innocent, he cried. Je n'ai pas tué. I did not kill. Je me souviens de mes songes. I remember my dreams. Je jouais aux barres [1] avec mes camarades de collège. I played on bars [1] with my college friends. Je n'ai pas dû couper la tête de ce négociant, en rêvant que je courais. I didn't have to cut off that trader's head, dreaming that I was running. (Puis,) malgré les lueurs d'espoir qui parfois lui rendirent un peu de calme, il se sentait toujours écrasé par un remords. (Then,) despite the glimmers of hope that sometimes restored him to a little calm, he still felt overwhelmed by remorse. Il avait bien certainement levé le bras pour trancher la tête du négociant. He had certainly raised his arm to slice the merchant's head. Il se faisait justice, et ne se trouvait pas le cœur pur, après avoir commis le crime dans sa pensée. He made himself righteous, and was not pure-hearted, after committing the crime in his mind.

– Et cependant ! - And however ! je suis bon ! I'm good ! s'écriait-il. he cried. Ô ma pauvre mère ! O my poor mother! Peut-être en ce moment joue-t-elle gaiement à l'impériale [2] avec ses voisines dans son petit salon de tapisserie. Perhaps at the moment she is playing happily at the imperial [2] with her neighbors in her little tapestry salon. Si elle savait que j'ai seulement levé la main pour assassiner un homme... Oh ! If she knew that I only raised my hand to murder a man... Oh! elle mourrait ! she would die! Et je suis en prison, accusé d'avoir commis un crime. And I'm in jail, accused of committing a crime. Si je n'ai pas tué cet homme, je tuerai certainement ma mère ! If I did not kill this man, I will certainly kill my mother! À ces mots il ne pleura pas ; mais, animé de cette fureur courte et vive assez familière aux Picards, il s'élança vers la muraille, et, si je ne l'avais retenu, il s'y serait brisé la tête. At these words he did not cry; but, animated by this short and lively fury, familiar enough to the Picards, he rushed towards the wall, and if I had not restrained him, he would have broken his head. – Attendez votre jugement, lui dis-je. "Await your judgement," I told him. Vous serez acquitté, vous êtes innocent. You will be acquitted, you are innocent. Et votre mère...

– Ma mère, s'écria-t-il avec fureur, elle apprendra mon accusation avant tout. “My mother,” he cried furiously, “she will learn my accusation before anything else. Dans les petites villes, cela se fait ainsi, la pauvre femme en mourra de chagrin. In small towns, it is done like this, the poor woman will die of grief. D'ailleurs, je ne suis pas innocent. Besides, I'm not innocent. Voulez-vous savoir toute la vérité ? Do you want to know the whole truth? Je sens que j'ai perdu la virginité de ma conscience. I feel that I have lost the virginity of my consciousness. Après ce terrible mot, il s'assit, se croisa les bras sur la poitrine, inclina la tête, et regarda la terre d'un air sombre. After this terrible word, he sat down, crossed his arms over his chest, bowed his head, and looked at the earth with a gloomy air. En ce moment, le porte-clefs vint me prier de rentrer dans ma chambre ; mais, fâché d'abandonner mon compagnon en un instant où son découragement me paraissait si profond, je le serrai dans mes bras avec amitié. At this moment the turnkey came to beg me to return to my room; but, sorry to abandon my companion at a moment when his discouragement seemed to me so profound, I clasped him in my arms with friendship. – Prenez patience, lui dis-je, tout ira bien, peut-être. – Be patient, I told him, everything will be fine, maybe. Si la voix d'un honnête homme peut faire taire vos doutes, apprenez que je vous estime et vous aime. If the voice of an honest man can silence your doubts, learn that I esteem and love you. Acceptez mon amitié, et dormez sur mon cœur, si vous n'êtes pas en paix avec le vôtre. Accept my friendship, and sleep on my heart, if you are not at peace with yours. Le lendemain, un caporal et quatre fusiliers vinrent chercher le sous-aide vers neuf heures. The next day, a corporal and four fusiliers came to fetch the assistant around nine o'clock. En entendant le bruit que firent les soldats, je me mis à ma fenêtre. Hearing the noise the soldiers made, I went to my window. Lorsque le jeune homme traversa la cour, il jeta les yeux sur moi. When the young man crossed the yard, he looked at me. Jamais je n'oublierai ce regard plein de pensées, de pressentiments, de résignation, et de je ne sais quelle grâce triste et mélancolique. I will never forget that look full of thoughts, forebodings, resignation, and some sad and melancholy grace. Ce fut une espèce de testament silencieux et intelligible par lequel un ami léguait sa vie perdue à son dernier ami. It was a kind of silent and intelligible testament by which a friend bequeathed his lost life to his last friend. La nuit avait sans doute été bien dure, bien solitaire pour lui ; mais aussi peut-être la pâleur empreinte sur son visage accusait-elle un stoïcisme puisé dans une nouvelle estime de lui-même. The night had no doubt been very hard, very lonely for him; but also perhaps the pallor imprinted on his face showed a stoicism drawn from a new esteem for himself. Peut-être s'était-il purifié par un remords, et croyait-il laver sa faute dans sa douleur et dans sa honte. Perhaps he had purified himself with remorse, and thought he was washing his fault in his pain and shame. Il marchait d'un pas ferme et, dès le matin, il avait fait disparaître les taches de sang dont il s'était involontairement souillé. He walked with a firm step and, in the morning, he had removed the bloodstains with which he had involuntarily soiled himself. – Mes mains y ont fatalement trempé pendant que je dormais, car mon sommeil est toujours très agité, m'avait-il dit la veille, avec un horrible accent de désespoir. "My hands have fatally soaked while I slept, for my sleep is always very agitated," he said to me the night before, with a horrible accent of despair. J'appris qu'il allait comparaître devant un conseil de guerre. I learned that he was going to appear before a council of war. La division devait, le surlendemain, se porter en avant, et le chef de demi-brigade ne voulait pas quitter Andernach sans faire justice du crime sur les lieux mêmes où il avait été commis... Je restai dans une mortelle angoisse pendant le temps que dura ce conseil. The division was to move forward two days later, and the demi-brigade commander did not want to leave Andernach without bringing justice to the crime on the very spot where it had been committed... I remained in mortal anguish during the time How long did this advice last? Enfin, vers midi, Prosper Magnan fut ramené en prison. Finally, around noon, Prosper Magnan was brought back to prison. Je faisais en ce moment ma promenade accoutumée ; il m'aperçut, et vint se jeter dans mes bras. At this moment I was taking my usual walk; he saw me, and came and threw himself into my arms. – Perdu, me dit-il. "Lost," he told me. Je suis perdu sans espoir ! I am hopelessly lost! Ici, pour tout le monde, je serai donc un assassin. Here, for everyone, I will therefore be an assassin.

Il releva la tête avec fierté. He lifted his head proudly.

– Cette injustice m'a rendu tout entier à mon innocence. – This injustice has restored me entirely to my innocence. Ma vie aurait toujours été troublée, ma mort sera sans reproche. My life would always have been troubled, my death will be blameless. Mais, y a-t-il un avenir ? But, is there a future?

Tout le dix-huitième siècle était dans cette interrogation soudaine. The whole eighteenth century was in this sudden questioning. Il resta pensif. He remained pensive.

– Enfin, lui dis-je, comment avez-vous répondu ? “Well,” I said to him, “how did you answer? Que vous a-t-on demandé ? What were you asked? N'avez-vous pas dit naïvement le fait comme vous me l'avez raconté ! Didn't you naively state the fact as you told me! Il me regarda fixement pendant un moment ; puis, après cette pause effrayante, il me répondit avec une fiévreuse vivacité de paroles : He stared at me for a moment; then, after this terrifying pause, he answered me with a feverish vivacity of words:

– Ils m'ont demandé d'abord : « Êtes-vous sorti de l'auberge pendant la nuit ? - They asked me first: "Did you leave the hostel during the night? » J'ai dit : – Oui. – « Par où ? - " From where ? » J'ai rougi, et j'ai répondu : – Par la fenêtre. I blushed and answered: “Through the window. – « Vous l'aviez donc ouverte ? "So you opened it? » – Oui ! ai-je dit. did I say. « Vous y avez mis bien de la précaution. “You took great care in it. L'aubergiste n'a rien entendu ! The innkeeper didn't hear anything! » Je suis resté stupéfait. I was left dumbfounded. Les mariniers ont déclaré m'avoir vu me promenant, allant tantôt à Andernach, tantôt vers la forêt. The mariners declared having seen me walking, sometimes going to Andernach, sometimes towards the forest. – J'ai fait, disent-ils, plusieurs voyages. – I have made, they say, several journeys. J'ai enterré l'or et les diamants. I buried the gold and the diamonds. Enfin, la valise ne s'est pas retrouvée ! Finally, the suitcase was not found! Puis j'étais toujours en guerre avec mes remords. Then I was still at war with my remorse. Quand je voulais parler : « Tu as voulu commettre le crime ! When I wanted to speak: “You wanted to commit the crime! » me criait une voix impitoyable. cried a ruthless voice at me. Tout était contre moi, même moi !... Everything was against me, even me!... Ils m'ont questionné sur mon camarade, et je l'ai complètement défendu. They asked me about my comrade, and I completely defended him. Alors ils m'ont dit : « – Nous devons trouver un coupable entre vous, votre camarade, l'aubergiste et sa femme ? So they said to me: “We have to find a culprit between you, your comrade, the innkeeper and his wife? Ce matin, toutes les fenêtres et les portes se sont trouvées fermées ! This morning, all the windows and doors were closed! » – À cette observation, reprit-il, je suis resté sans voix, sans force, sans âme. "At this observation," he went on, "I was left speechless, without strength, without soul. Plus sûr de mon ami que de moi-même, je ne pouvais l'accuser. Safer than my friend, I could not accuse him. J'ai compris que nous étions regardés tous deux comme également complices de l'assassinat, et que je passais pour le plus maladroit ! I understood that we were both regarded as equally accomplices in the assassination, and that I was considered the most clumsy! J'ai voulu expliquer le crime par le somnambulisme, et justifier mon ami ; alors j'ai divagué. I wanted to explain the crime by somnambulism, and justify my friend; so I wandered. Je suis perdu. I'm lost. J'ai lu ma condamnation dans les yeux de mes juges. I read my condemnation in the eyes of my judges. Ils ont laissé échapper des sourires d'incrédulité. They let out smiles of disbelief. Tout est dit. All is said. Plus d'incertitude. More uncertainty. Demain je serai fusillé. Tomorrow I will be shot. – Je ne pense plus à moi, reprit-il, mais à ma pauvre mère ! "I no longer think of myself," he went on, "but of my poor mother!"

Il s'arrêta, regarda le ciel, et ne versa pas de larmes. He stopped, looked at the sky, and did not shed any tears. Ses yeux étaient secs et fortement convulsés. His eyes were dry and heavily convulsed.

– Frédéric ! - Frederick!

– Ah ! l'autre se nommait Frédéric, Frédéric ! the other was called Frédéric, Frédéric! Oui, c'est bien là le nom ! Yes, that's the name! s'écria monsieur Hermann d'un air de triomphe.