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Alexandre Dumas. Divers Contes., 03. Histoire d’un chien.

03. Histoire d'un chien.

Alexandre Dumas.

Histoire d'un chien. – Mettez-vous là, me dit le vieillard en approchant une chaise du couvert qui m'était destiné.

C'était la place de mon pauvre François. – Écoutez, père, lui dis-je, si vous n'étiez pas une âme puissante, un cœur plein de religion, un homme selon Dieu, je ne vous demanderais ni ce qu'était votre fils, ni comment il est mort ; mais vous croyez, et, par conséquent, vous espérez.

Comment François vous a-t-il donc quitté ici-bas pour aller vous attendre au ciel ? – Vous avez raison, répondit le vieillard, et vous me faites du bien en me parlant de mon fils ; quand nous ne sommes que nous trois, Fidèle, ma fille et moi, peut-être l'oublions-nous parfois, ou avons-nous l'air de l'oublier, pour ne pas nous affliger les uns les autres ; mais, dès qu'un étranger entre, qui nous rappelle son âge, dès qu'il dépose son bâton où François déposait sa carabine, dès qu'il prend au foyer ou à table la place que prenait habituellement celui qui nous a quittés, alors nous nous regardons tous les trois, et nous voyons bien que la blessure n'est pas cicatrisée encore et demande à saigner des larmes : n'est-ce pas, Marianne, n'est-ce pas, mon pauvre Fidèle ?

La veuve et le chien s'approchèrent en même temps du vieillard : l'une lui tendit la main, l'autre lui posa sa tête sur le genou.

Quelques larmes silencieuses coulèrent sur les joues du père et de la femme ; le chien poussa un gémissement plaintif. – Oui, continua le vieillard, un jour il rentra, venant de Speringen, qui est à cinq lieues d'ici, du côté d'Altorf ; il tenait sur son bras celui-ci – le vieillard étendit la main et la posa sur la tête de Fidèle –, qui n'était pas plus gros que le poing.

Il l'avait trouvé sur un fumier où on l'avait jeté avec deux autres de ses frères ; mais les autres étaient tombés sur un pavé et s'étaient tués. On lui fit chauffer du lait, et on commença de le nourrir comme un enfant, avec une cuiller : ce n'était pas commode ; mais enfin la pauvre petite bête était là, on ne pouvait pas la laisser mourir de faim. Le lendemain, Marianne, en ouvrant la porte, trouva une belle chienne sur le seuil de la maison ; elle entra comme si elle était chez elle, alla droit à la corbeille où était Fidèle, et lui donna à téter ; c'était sa mère ; elle avait fait, par la montagne, et conduite par son instinct, la même route que François ; la chose finie, et lorsque le petit eut bu, elle sortit et reprit la route de Speringen.

À cinq heures, elle revint pour remplir le même office, repartit ensuite de la même manière qu'elle avait déjà fait, et le lendemain, en ouvrant la porte, on la retrouva de nouveau sur le seuil. Elle fit de cette manière, pendant six semaines, et deux fois par jour, le chemin de Speringen en aller et retour, c'est-à-dire vingt lieues ; car son maître lui avait laissé un chien à Sissigen, et François avait apporté l'autre ici ; de sorte qu'elle se partageait entre ses deux petits : dans tous les animaux de la création, depuis le chien jusqu'à la femme, le cœur d'une mère est toujours une chose sublime.

Au bout de ce temps, on ne la vit plus que tous les deux jours. Car Fidèle commençait à pouvoir manger ; puis elle ne vint plus que toutes les semaines, puis enfin on ne l'aperçut plus qu'à des espaces éloignés et à la manière d'une voisine de campagne qui fait sa visite. François était un hardi chasseur de montagnes ; il était rare que la carabine que vous voyez là suspendue au-dessus de la cheminée envoyât une balle qui se perdît ; presque tous les jours nous le voyions descendre de la montagne avec un chamois sur les épaules ; sur quatre, nous en gardions un et nous en vendions trois : c'était un revenu de plus de cent louis par an.

Nous eussions mieux aimé que François ne gagnât que la moitié de cette somme à un autre métier ; mais François était encore plus chasseur par goût que par état, et vous savez ce que c'est que cette passion dans nos montagnes. Un jour, un Anglais passa chez nous.

François venait de tuer un superbe lammer-geyer ; l'oiseau avait seize pieds d'envergure ; l'Anglais demanda si l'on ne pourrait pas en avoir un pareil vivant ; François répondit qu'il fallait le prendre dans l'aire, et que cela se pouvait seulement au mois de mai, époque de la pondaison des aigles. L'Anglais offrit douze louis de deux aiglons, tira l'adresse d'un négociant de Genève qui était en correspondance avec lui, et qui se chargerait de les lui faire passer, donna à François deux louis d'arrhes, et lui dit que son correspondant lui remettrait le reste de la somme contre les deux aiglons. Nous avions oublié, Marianne et moi, la visite de l'Anglais, lorsqu'au printemps d'ensuite François nous dit un soir en rentrant :

– À propos, j'ai trouvé un nid d'aigle.

Nous tressaillîmes tous deux, Marianne et moi, et cependant c'était une chose bien simple qu'il nous disait, et il nous l'avait déjà dite bien souvent.

– Où cela ?

lui demandai-je. – Dans le Frohn-Alp.

Le vieillard étendit le bras vers la fenêtre.

– C'est, dit-il, cette grande montagne à la tête neigeuse que vous apercevez d'ici.

Je fis de la tête signe que je la voyais.

– Trois jours après, François sortit comme d'habitude avec sa carabine.

Je l'accompagnai pendant une centaine de pas ; car j'allais moi-même à Zug, et je ne devais revenir que le lendemain. Marianne nous regardait aller tous les deux ; François l'aperçut sur le pas de la porte, lui fit de la main un signe d'adieu, lui cria à ce soir et s'enfonça dans le bois de sapins, jusqu'à la lisière duquel nous avons été aujourd'hui. Le soir vint sans que François reparût ; mais cela n'inquiéta pas trop Marianne, parce qu'il arrivait souvent que François couchât dans la montagne.

– Pardon, mon père, pardon, vous vous trompez, interrompit la veuve, chaque fois que François tardait, j'étais fort tourmentée, et ce soir-là, comme si j'avais eu des pressentiments, j'étais plus tourmentée encore que d'habitude.

D'ailleurs, j'étais seule, vous n'étiez pas là pour me rassurer ; Fidèle, que François n'avait point emmené, était parti dans la journée pour rejoindre son maître ; il était tombé de la neige vers la brune, le vent était froid et triste ; je regardais dans le foyer des flammes bleuâtres pareilles à ces feux follets qui courent dans les cimetières. Je frissonnais à chaque instant, j'avais peur, et je ne savais de quoi. Les bœufs étaient tourmentés dans l'étable, et mugissaient tristement comme lorsqu'il y a un loup qui rôde dans la montagne ; tout à coup j'entendis quelque chose éclater derrière moi ; c'était cette petite glace que vous nous aviez donnée le jour de notre mariage, et qui se brisait toute seule comme vous la voyez encore aujourd'hui. Je me levai et j'allai me mettre à genoux devant le crucifix ; j'avais commencé de prier à peine, que je crus entendre dans la montagne le hurlement d'un chien qui se lamentait ; je me levai toute droite ; je sentis courir un frisson par tout mon corps. En ce moment, le christ, mal attaché, tomba et brisa un de ses bras d'ivoire ; je me baissai pour le ramasser, mais j'entendis un second hurlement plus rapproché ; je laissai le christ à terre, et ce fut un sacrilège, sans doute, mais j'avais cru reconnaître la voix de Fidèle. Je courus à la porte, la main sur la clef, n'osant pas ouvrir, les yeux fixés sur cette croix de bois noir, où il ne restait plus que la tête de mort et les deux os ; ce n'était plus un signe d'espérance, c'était un symbole de mort. J'étais ainsi, tremblante et glacée, lorsqu'un violent coup de vent ouvrit la fenêtre et éteignit la lampe. Je fis un pas pour aller fermer cette fenêtre et rallumer cette lampe ; mais au même instant un troisième hurlement retentit à la porte même ; je m'élançai, je l'ouvris ; c'était Fidèle tout seul. Il sauta après moi comme d'habitude ; mais au lieu de me caresser, il me prit par ma robe et me tira. Je devinai qu'il y avait pour François danger de mort, toute ma force me revint ; je ne fermai ni porte ni fenêtre. Je m'élançai dehors ; Fidèle marcha devant moi, je suivis. Au bout d'une heure, je n'avais plus de souliers, mes vêtements étaient en lambeaux, le sang coulait de ma figure et de mes mains, je marchais pieds nus sur la neige, sur les épines, sur les cailloux ; je ne sentais rien.

De temps en temps j'avais envie de crier à François que j'arrivais à son secours, mais je ne pouvais pas, ou plutôt je n'osais pas. Partout où Fidèle passa, je passai ; vous dire où et comment, je n'en sais rien.

Une avalanche tomba de la montagne, j'entendis un bruit pareil à celui du tonnerre, je sentis tout vaciller comme dans un tremblement de terre ; je me cramponnai à un arbre, l'avalanche passa. Je fus entraînée par un torrent, je me sentis rouler quelque temps, puis j'allai me heurter contre un roc auquel je me retins, et, sans savoir comment, je me retrouvai sur mes pieds et hors de l'eau. Je vis briller les yeux d'un loup dans un buisson qui se trouvait sur ma route ; je marchai droit au buisson, sentant que j'étranglerais l'animal s'il osait m'attaquer ; le loup eut peur et prit la fuite. Enfin, au point du jour, toujours guidée par Fidèle, j'arrivai au bord d'un précipice au-dessus duquel planait un aigle ; je vis quelque chose au fond, comme un homme couché ; je me laissai couler sur un rocher en pente, et je tombai près du cadavre de François. Le premier moment fut tout à la douleur : je ne cherchai pas comment il s'était tué ; je me couchai sur lui, je tâtai son cœur, ses mains, sa figure, tout était froid, tout était mort ; je crus que j'allais mourir aussi, mais je pus pleurer.

Je ne sais combien de temps je restai ainsi ; enfin je levai la tête et je regardai autour de moi.

Près de François était une femelle d'aigle étranglée ; sur la pointe d'un roc, un petit aiglon vivant, triste et immobile comme un oiseau sculpté, et dans l'air le mâle décrivant des cercles éternels et faisant entendre de temps en temps un cri aigu et plaintif ; quant à Fidèle, haletant et mourant lui-même, il était couché près de son maître et léchait son visage couvert de sang.

François avait été surpris par le père et la mère : attaqué par eux au moment, sans doute, où il venait de s'emparer de leur petit, et forcé de détacher ses mains du roc à pic contre lequel il gravissait, il était tombé étranglant celui des deux aigles qui s'était abattu sur lui, et dont les serres étaient encore marquées sur son épaule.

– Voilà pourquoi nous aimons tant Fidèle, voyez-vous, continua le vieillard ; sans lui le corps de François aurait été dévoré par les loups et par les vautours, tandis que, grâce à lui, il est tranquillement couché dans une tombe chrétienne, sur laquelle, de temps en temps, lorsque la résignation nous manque, nous pouvons aller prier…

Je compris que Jacques et Marianne avaient besoin de rester seuls, et au lieu de me mettre à table, je sortis.

03. Histoire d’un chien. 03. Η ιστορία ενός σκύλου. 03. Story of a dog. 03. La historia de un perro. 03. Het verhaal van een hond.

Alexandre Dumas.

Histoire d’un chien. – Mettez-vous là, me dit le vieillard en approchant une chaise du couvert qui m’était destiné. "Put yourself there," said the old man, bringing a chair to the table for me. “Siéntate ahí”, me dijo el anciano, acercando una silla al lugar destinado para mí.

C’était la place de mon pauvre François. It was the place of my poor Francis. – Écoutez, père, lui dis-je, si vous n’étiez pas une âme puissante, un cœur plein de religion, un homme selon Dieu, je ne vous demanderais ni ce qu’était votre fils, ni comment il est mort ; mais vous croyez, et, par conséquent, vous espérez. - Listen, father, I said to him, if you were not a powerful soul, a heart full of religion, a man according to God, I would not ask you what your son was, nor how he died; but you believe, and therefore you hope. “Escucha, padre”, le dije, “si no fueras un alma poderosa, un corazón lleno de religión, un hombre según Dios, no te preguntaría cómo fue tu hijo, ni cómo murió; pero tú crees, y por lo tanto esperas.

Comment François vous a-t-il donc quitté ici-bas pour aller vous attendre au ciel ? How did Francis leave you here below to go and wait for you in heaven? ¿Cómo os dejó Francisco aquí abajo para ir a esperaros en el cielo? – Vous avez raison, répondit le vieillard, et vous me faites du bien en me parlant de mon fils ; quand nous ne sommes que nous trois, Fidèle, ma fille et moi, peut-être l’oublions-nous parfois, ou avons-nous l’air de l’oublier, pour ne pas nous affliger les uns les autres ; mais, dès qu’un étranger entre, qui nous rappelle son âge, dès qu’il dépose son bâton où François déposait sa carabine, dès qu’il prend au foyer ou à table la place que prenait habituellement celui qui nous a quittés, alors nous nous regardons tous les trois, et nous voyons bien que la blessure n’est pas cicatrisée encore et demande à saigner des larmes : n’est-ce pas, Marianne, n’est-ce pas, mon pauvre Fidèle ? - You're right," replied the old man, "and you're doing me good by telling me about my son; when it's just the three of us, Fidèle, my daughter and I, perhaps we sometimes forget him, or seem to forget him, so as not to distress one another ; but, as soon as a stranger enters, who reminds us of his age, as soon as he lays down his stick where François used to lay down his rifle, as soon as he takes the place at the hearth or at the table that the one who has left us used to take, then the three of us look at each other, and we can see that the wound is not yet healed and demands to bleed tears : isn't it, Marianne, isn't it, my poor Fidèle? “Tienes razón”, respondió el anciano, “y me haces bien hablándome de mi hijo; cuando estamos solos los tres, Fidèle, mi hija y yo, tal vez a veces lo olvidamos, o parecemos olvidarlo, para no molestarnos; pero tan pronto como entra un extraño, que nos recuerda su edad, tan pronto como deja su bastón donde François dejó su rifle, tan pronto como toma el lugar junto al hogar o en la mesa que solía ocupar el que se fue nosotros, entonces los tres nos miramos, y podemos ver claramente que la herida aún no ha cicatrizado y está pidiendo a sangrar lágrimas: ¿no es así, Marianne, no es así, mi pobre Fidèle?

La veuve et le chien s’approchèrent en même temps du vieillard : l’une lui tendit la main, l’autre lui posa sa tête sur le genou. The widow and the dog approached the old man at the same time: one held out her hand, the other laid her head on his knee. A viúva e o cachorro se aproximaram do velho ao mesmo tempo: um estendeu a mão para ele, o outro deitou a cabeça em seu joelho.

Quelques larmes silencieuses coulèrent sur les joues du père et de la femme ; le chien poussa un gémissement plaintif. A few silent tears rolled down the cheeks of the father and wife; the dog let out a plaintive whimper. – Oui, continua le vieillard, un jour il rentra, venant de Speringen, qui est à cinq lieues d’ici, du côté d’Altorf ; il tenait sur son bras celui-ci – le vieillard étendit la main et la posa sur la tête de Fidèle –, qui n’était pas plus gros que le poing. 'Yes,' continued the old man, 'he came home one day, coming from Speringen, which is five leagues from here, on the Altorf side; he held the latter on his arm - the old man stretched out his hand and placed it on Faithful's head - which was no bigger than his fist.

Il l’avait trouvé sur un fumier où on l’avait jeté avec deux autres de ses frères ; mais les autres étaient tombés sur un pavé et s’étaient tués. He had found him on a dunghill where he had been thrown with two other of his brothers; but the others had fallen on a paving stone and were killed. On lui fit chauffer du lait, et on commença de le nourrir comme un enfant, avec une cuiller : ce n’était pas commode ; mais enfin la pauvre petite bête était là, on ne pouvait pas la laisser mourir de faim. They heated some milk for him, and began to feed him like a child, with a spoon: it was not easy; but finally the poor little beast was there, we could not let it die of hunger. Le lendemain, Marianne, en ouvrant la porte, trouva une belle chienne sur le seuil de la maison ; elle entra comme si elle était chez elle, alla droit à la corbeille où était Fidèle, et lui donna à téter ; c’était sa mère ; elle avait fait, par la montagne, et conduite par son instinct, la même route que François ; la chose finie, et lorsque le petit eut bu, elle sortit et reprit la route de Speringen. The next day, Marianne, opening the door, found a beautiful dog on the threshold of the house; she entered as if she were at home, went straight to the basket where Fidèle was, and gave him to nurse; it was his mother; she had made, through the mountains, and driven by her instinct, the same route as Francois; the thing was over, and when the little one had had a drink, she went out and took the road to Speringen.

À cinq heures, elle revint pour remplir le même office, repartit ensuite de la même manière qu’elle avait déjà fait, et le lendemain, en ouvrant la porte, on la retrouva de nouveau sur le seuil. At five o'clock she returned to perform the same office, then left in the same manner as she had already done, and the next day, when she opened the door, she was found again on the threshold. Elle fit de cette manière, pendant six semaines, et deux fois par jour, le chemin de Speringen en aller et retour, c’est-à-dire vingt lieues ; car son maître lui avait laissé un chien à Sissigen, et François avait apporté l’autre ici ; de sorte qu’elle se partageait entre ses deux petits : dans tous les animaux de la création, depuis le chien jusqu’à la femme, le cœur d’une mère est toujours une chose sublime. She made in this manner, for six weeks, and twice a day, the way to Speringen back and forth, that is to say, twenty leagues; for his master had left him a dog at Sissigen, and Francis had brought the other here; so that she was divided between her two little ones: in all the animals of creation, from dogs to women, a mother's heart is always a sublime thing.

Au bout de ce temps, on ne la vit plus que tous les deux jours. At the end of this time, we only saw her every two days. Car Fidèle commençait à pouvoir manger ; puis elle ne vint plus que toutes les semaines, puis enfin on ne l’aperçut plus qu’à des espaces éloignés et à la manière d’une voisine de campagne qui fait sa visite. For Faithful was beginning to be able to eat; then she only came every week, then finally she was only seen in distant places and in the manner of a country neighbor who makes her visit. François était un hardi chasseur de montagnes ; il était rare que la carabine que vous voyez là suspendue au-dessus de la cheminée envoyât une balle qui se perdît ; presque tous les jours nous le voyions descendre de la montagne avec un chamois sur les épaules ; sur quatre, nous en gardions un et nous en vendions trois : c’était un revenu de plus de cent louis par an. Francois was a daring mountain hunter; it was rare that the rifle which you see there suspended above the chimney send a bullet which was lost; almost every day we saw him come down from the mountain with a chamois on his shoulders; out of four, we kept one and sold three: it was an income of over a hundred louis a year.

Nous eussions mieux aimé que François ne gagnât que la moitié de cette somme à un autre métier ; mais François était encore plus chasseur par goût que par état, et vous savez ce que c’est que cette passion dans nos montagnes. We would have preferred François to have earned only half that amount at another job; but François was even more of a hunter by taste than by status, and you know what that passion is in our mountains. Un jour, un Anglais passa chez nous.

François venait de tuer un superbe lammer-geyer ; l’oiseau avait seize pieds d’envergure ; l’Anglais demanda si l’on ne pourrait pas en avoir un pareil vivant ; François répondit qu’il fallait le prendre dans l’aire, et que cela se pouvait seulement au mois de mai, époque de la pondaison des aigles. Francois had just killed a superb lammer-geyer; the bird was sixteen feet wide; the Englishman asked if we could not have such a living one; Francis replied that he had to be taken from the threshing floor, and that this could only be done in May, the time when the eagles were laid. François acabara de matar um soberbo lammer-geyer; o pássaro tinha uma envergadura de dezesseis pés; o inglês perguntou se não se podia ter um vivo assim; Francisco respondeu que tinha que ser pego no ar, e que isso só poderia ser feito no mês de maio, quando as águias põem seus ovos. L’Anglais offrit douze louis de deux aiglons, tira l’adresse d’un négociant de Genève qui était en correspondance avec lui, et qui se chargerait de les lui faire passer, donna à François deux louis d’arrhes, et lui dit que son correspondant lui remettrait le reste de la somme contre les deux aiglons. The Englishman offered twelve louis de deux aiglons, took the address of a merchant in Geneva who was in correspondence with him, and who would take it upon himself to pass them on to him, gave Francois two louis of a deposit, and told him that his correspondent would give him the rest of the sum against the two eaglets. O inglês ofereceu doze luíses por duas águias, conseguiu o endereço de um mercador de Genebra que se correspondia com ele e que se encarregaria de enviá-las, deu a François dois luíses como depósito e disse-lhe que seu correspondente lhe daria o resto da soma contra as duas águias. Nous avions oublié, Marianne et moi, la visite de l’Anglais, lorsqu’au printemps d’ensuite François nous dit un soir en rentrant : We had forgotten, Marianne and I, the visit of the Englishman, when in the spring afterwards François said to us one evening on returning: Tínhamos esquecido, Marianne e eu, a visita do inglês, quando na primavera seguinte François nos disse uma noite ao voltar:

– À propos, j’ai trouvé un nid d’aigle. - By the way, I found an eagle's nest.

Nous tressaillîmes tous deux, Marianne et moi, et cependant c’était une chose bien simple qu’il nous disait, et il nous l’avait déjà dite bien souvent. We both shivered, Marianne and I, and yet it was a very simple thing that he said to us, and he had already said it to us many times.

– Où cela ? - Or this ?

lui demandai-je. – Dans le Frohn-Alp. - In the Frohn-Alp.

Le vieillard étendit le bras vers la fenêtre. The old man stretched out his arm towards the window.

– C’est, dit-il, cette grande montagne à la tête neigeuse que vous apercevez d’ici. - It is, he said, that great mountain with the snowy head that you can see from here. “É aquela grande montanha com a cabeça nevada que você pode ver daqui”, disse ele.

Je fis de la tête signe que je la voyais. I nodded that I saw her.

– Trois jours après, François sortit comme d’habitude avec sa carabine.

Je l’accompagnai pendant une centaine de pas ; car j’allais moi-même à Zug, et je ne devais revenir que le lendemain. I accompanied him for a hundred paces; for I was going to Zug myself, and I was not to return until the next day. Marianne nous regardait aller tous les deux ; François l’aperçut sur le pas de la porte, lui fit de la main un signe d’adieu, lui cria à ce soir et s’enfonça dans le bois de sapins, jusqu’à la lisière duquel nous avons été aujourd’hui. Marianne watched us both go; Francois saw her on the doorstep, waved him farewell, called out to her tonight, and plunged into the pinewood, to the edge of which we have been today. Marianne observou nós dois partirmos; François viu-a à porta, acenou-lhe adeus, chamou-a esta noite e mergulhou no bosque de abetos, até à beira do qual estávamos hoje. Le soir vint sans que François reparût ; mais cela n’inquiéta pas trop Marianne, parce qu’il arrivait souvent que François couchât dans la montagne. Evening came without Francis reappearing; but that did not worry Marianne too much, because it often happened that Francois slept in the mountains.

– Pardon, mon père, pardon, vous vous trompez, interrompit la veuve, chaque fois que François tardait, j’étais fort tourmentée, et ce soir-là, comme si j’avais eu des pressentiments, j’étais plus tourmentée encore que d’habitude. - Sorry, father, sorry, you are mistaken, interrupted the widow, each time François was late, I was very tormented, and that evening, as if I had had presentiments, I was even more tormented than usually.

D’ailleurs, j’étais seule, vous n’étiez pas là pour me rassurer ; Fidèle, que François n’avait point emmené, était parti dans la journée pour rejoindre son maître ; il était tombé de la neige vers la brune, le vent était froid et triste ; je regardais dans le foyer des flammes bleuâtres pareilles à ces feux follets qui courent dans les cimetières. Besides, I was alone, you weren't there to reassure me; Fidèle, whom Francis had not taken, had left during the day to join his master; it had fallen from the snow towards the dark, the wind was cold and sad; I watched bluish flames in the hearth, like those will-o'-the-wisps that run through cemeteries. Além disso, eu estava sozinho, você não estava lá para me tranquilizar; Fidèle, a quem François não levara consigo, partira durante o dia para se juntar ao amo; a neve caíra ao anoitecer, o vento estava frio e triste; Olhei para a lareira para chamas azuladas como aquelas fogo-fátuos que percorrem cemitérios. Je frissonnais à chaque instant, j’avais peur, et je ne savais de quoi. I was shivering every moment, I was afraid, and I didn't know what. Les bœufs étaient tourmentés dans l’étable, et mugissaient tristement comme lorsqu’il y a un loup qui rôde dans la montagne ; tout à coup j’entendis quelque chose éclater derrière moi ; c’était cette petite glace que vous nous aviez donnée le jour de notre mariage, et qui se brisait toute seule comme vous la voyez encore aujourd’hui. The oxen were tormented in the stable, and howled sadly, as when there is a wolf prowling in the mountain; suddenly I heard something explode behind me; it was that little mirror that you gave us on our wedding day, and that broke all by itself as you still see it today. Os bois foram atormentados no estábulo e mugiram tristemente como quando há um lobo rondando na montanha; de repente, ouvi algo explodir atrás de mim; foi aquele sorvete que você nos deu no dia do nosso casamento, e que quebrou sozinho como você ainda o vê hoje. Je me levai et j’allai me mettre à genoux devant le crucifix ; j’avais commencé de prier à peine, que je crus entendre dans la montagne le hurlement d’un chien qui se lamentait ; je me levai toute droite ; je sentis courir un frisson par tout mon corps. I got up and went to kneel in front of the crucifix; I had hardly begun to pray when I thought I heard the howling of a dog lamenting in the mountain; I stood up straight; I felt a shiver run through my whole body. En ce moment, le christ, mal attaché, tomba et brisa un de ses bras d’ivoire ; je me baissai pour le ramasser, mais j’entendis un second hurlement plus rapproché ; je laissai le christ à terre, et ce fut un sacrilège, sans doute, mais j’avais cru reconnaître la voix de Fidèle. At this moment, Christ, badly attached, fell and broke one of his ivory arms; I bent down to pick it up, but heard a second, closer howl; I left Christ on the ground, and it was a sacrilege, no doubt, but I thought I recognized the voice of Faithful. Je courus à la porte, la main sur la clef, n’osant pas ouvrir, les yeux fixés sur cette croix de bois noir, où il ne restait plus que la tête de mort et les deux os ; ce n’était plus un signe d’espérance, c’était un symbole de mort. I ran to the door, my hand on the key, not daring to open it, my eyes fixed on this black wooden cross, where only the skull and the two bones remained; it was no longer a sign of hope, it was a symbol of death. J’étais ainsi, tremblante et glacée, lorsqu’un violent coup de vent ouvrit la fenêtre et éteignit la lampe. There I was, shivering and freezing, when a violent gust of wind opened the window and extinguished the lamp. Je fis un pas pour aller fermer cette fenêtre et rallumer cette lampe ; mais au même instant un troisième hurlement retentit à la porte même ; je m’élançai, je l’ouvris ; c’était Fidèle tout seul. Il sauta après moi comme d’habitude ; mais au lieu de me caresser, il me prit par ma robe et me tira. He jumped after me as usual; but instead of petting me, he grabbed me by my dress and pulled me. Je devinai qu’il y avait pour François danger de mort, toute ma force me revint ; je ne fermai ni porte ni fenêtre. Je m’élançai dehors ; Fidèle marcha devant moi, je suivis. Au bout d’une heure, je n’avais plus de souliers, mes vêtements étaient en lambeaux, le sang coulait de ma figure et de mes mains, je marchais pieds nus sur la neige, sur les épines, sur les cailloux ; je ne sentais rien. After an hour, I had no shoes, my clothes were in tatters, blood was pouring from my face and hands, I was walking barefoot on snow, thorns and stones; I couldn't feel a thing.

De temps en temps j’avais envie de crier à François que j’arrivais à son secours, mais je ne pouvais pas, ou plutôt je n’osais pas. From time to time I wanted to shout to François that I'd come to his rescue, but I couldn't, or rather I didn't dare. Partout où Fidèle passa, je passai ; vous dire où et comment, je n’en sais rien.

Une avalanche tomba de la montagne, j’entendis un bruit pareil à celui du tonnerre, je sentis tout vaciller comme dans un tremblement de terre ; je me cramponnai à un arbre, l’avalanche passa. Je fus entraînée par un torrent, je me sentis rouler quelque temps, puis j’allai me heurter contre un roc auquel je me retins, et, sans savoir comment, je me retrouvai sur mes pieds et hors de l’eau. Fui arrastado por uma torrente, senti-me rolando por um tempo, depois estava prestes a colidir com uma pedra à qual me segurava e, sem saber como, me vi de pé e fora da água. Je vis briller les yeux d’un loup dans un buisson qui se trouvait sur ma route ; je marchai droit au buisson, sentant que j’étranglerais l’animal s’il osait m’attaquer ; le loup eut peur et prit la fuite. Enfin, au point du jour, toujours guidée par Fidèle, j’arrivai au bord d’un précipice au-dessus duquel planait un aigle ; je vis quelque chose au fond, comme un homme couché ; je me laissai couler sur un rocher en pente, et je tombai près du cadavre de François. Finally, at daybreak, still guided by Fidèle, I came to the edge of a precipice over which an eagle hovered; I saw something at the bottom, like a man lying down; I let myself sink onto a sloping rock, and fell close to François' corpse. Finalmente, ao raiar do dia, ainda guiado por Fidèle, cheguei à beira de um precipício sobre o qual pairava uma águia; Eu vi algo no fundo, como um homem deitado; Deixei-me afundar numa rocha inclinada e caí perto do cadáver de François. Le premier moment fut tout à la douleur : je ne cherchai pas comment il s’était tué ; je me couchai sur lui, je tâtai son cœur, ses mains, sa figure, tout était froid, tout était mort ; je crus que j’allais mourir aussi, mais je pus pleurer. I lay on top of him, feeling his heart, his hands, his face, everything was cold, everything was dead; I thought I was going to die too, but I could cry.

Je ne sais combien de temps je restai ainsi ; enfin je levai la tête et je regardai autour de moi.

Près de François était une femelle d’aigle étranglée ; sur la pointe d’un roc, un petit aiglon vivant, triste et immobile comme un oiseau sculpté, et dans l’air le mâle décrivant des cercles éternels et faisant entendre de temps en temps un cri aigu et plaintif ; quant à Fidèle, haletant et mourant lui-même, il était couché près de son maître et léchait son visage couvert de sang.

François avait été surpris par le père et la mère : attaqué par eux au moment, sans doute, où il venait de s’emparer de leur petit, et forcé de détacher ses mains du roc à pic contre lequel il gravissait, il était tombé étranglant celui des deux aigles qui s’était abattu sur lui, et dont les serres étaient encore marquées sur son épaule.

– Voilà pourquoi nous aimons tant Fidèle, voyez-vous, continua le vieillard ; sans lui le corps de François aurait été dévoré par les loups et par les vautours, tandis que, grâce à lui, il est tranquillement couché dans une tombe chrétienne, sur laquelle, de temps en temps, lorsque la résignation nous manque, nous pouvons aller prier… "É por isso que amamos tanto Fidèle, sabe", continuou o velho; sem ele, o corpo de Francisco teria sido devorado por lobos e urubus, enquanto, graças a ele, ele jaz tranquilamente em um túmulo cristão, sobre o qual, de vez em quando, quando a resignação nos falta, podemos ir rezar...

Je compris que Jacques et Marianne avaient besoin de rester seuls, et au lieu de me mettre à table, je sortis.