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Marcel Proust. Sur la Lecture ; Un Baiser & La madeleine de Proust., 02. Marcel Proust. Sur la Lecture. Partie 2/9.

02. Marcel Proust. Sur la Lecture. Partie 2/9.

Après le déjeuner, ma lecture reprenait tout de suite ; surtout si la journée était un peu chaude, on montait « se retirer dans sa chambre », ce qui me permettait, par le petit escalier aux marches rapprochées, de gagner tout de suite la mienne, à l'unique étage si bas que des fenêtres enjambées on n'aurait eu qu'un saut d'enfant à faire pour se trouver dans la rue. J'allais fermer ma fenêtre, sans avoir pu esquisser le salut de l'armurier d'en face, qui, sous prétexte de baisser ses auvents, venait tous les jours après déjeuner fumer sa cigarette devant sa porte et dire bonjour aux passants, qui parfois s'arrêtaient à causer. Les théories de William Morris, qui ont été si constamment appliquées par Maple, et les décorateurs anglais, édictent qu'une chambre n'est belle qu'à la condition de contenir seulement des choses qui nous soient utiles et que toute chose utile, fût-ce un simple clou, soit non pas dissimulée, mais apparente : au-dessus du lit à tringles des cuivre et entièrement découvert, aux murs nus de ces chambres hygiéniques, quelques reproductions de chefs-d'œuvre. À la juger d'après les principes de cette esthétique, ma chambre n'était nullement belle, car elle était pleine de choses qui ne pouvaient servir à rien et qui dissimulaient pudiquement, jusqu'à en rendre l'usage extrêmement difficile, celles qui servaient à quelque chose. Mais c'est justement de ces choses qui n'étaient pas là pour ma commodité, mais semblaient y être venues pour leur plaisir, que ma chambre tirait pour moi sa beauté. Ces hautes courtines blanches qui dérobaient aux regards le lit placé comme au fond d'un sanctuaire; la jonchée de couvre-pieds en marceline, de courtepointes à fleurs, de couvre-lits brodés, de taies d'oreiller en baptiste sous laquelle il disparaissait le jour, comme un autel au mois de Marie sous les festons et les fleurs, et que le soir, pour pouvoir me coucher, j'allais poser avec précaution sur un fauteuil où ils consentaient à passer la nuit ; à côté du lit, la trinité du verre à dessins bleus, du sucrier pareil et de la carafe (toujours vide depuis le lendemain de mon arrivée sur l'ordre de ma mère, qui craignait de me la voir « répandre »), sortes d'instruments du culte, presque aussi saints que la précieuse liqueur de fleur d'orange placée près d'eux dans une ampoule de verre, et que je n'aurais pas cru plus permis de profaner, ni même possible d'utiliser pour mon usage personnel que si ç'avaient été des ciboires consacrés, mais que je considérais longuement avant de me déshabiller, dans la peur de les renverser par un faux mouvement ; ces petites étoles ajourées au crochet qui jetaient sur le dos des fauteuils un manteau de roses blanches qui ne devaient pas être sans épines, puisque, chaque fois que j'avais fini de lire et que je voulais me lever, je m'apercevais que j'y étais resté accroché ; cette cloche de verre sous laquelle, isolée des contacts vulgaires, la pendule bavardait dans l'intimité pour des coquillages venus de loin et pour une vieille fleur sentimentale, mais qui était si lourde à soulever que, quand la pendule s'arrêtait, personne, excepté l'horloger, n'aurait été assez imprudent pour entreprendre de la remonter ; cette blanche nappe en guipure qui, jetée comme un revêtement d'autel sur la commode ornée de deux vases, d'une image du Sauveur et d'un buis bénit, la faisait ressembler à la Sainte Table (dont un prie-Dieu, rangé là tous les jours, quand on avait « fini la chambre », achevait d'évoquer l'idée), mais dont les effilochements toujours engagés dans la fente des tiroirs en arrêtaient si complètement le jeu que je ne pouvais jamais prendre un mouchoir sans faire tomber d'un seul coup image du Sauveur, vases sacrés, buis bénit, et sans trébucher moi-même en me rattrapant au prie-Dieu ; cette triple superposition enfin de petits rideaux d'étamine, de grands rideaux de mousseline et de plus grands rideaux de basin, toujours souriants dans leur blancheur d'aubépine souvent ensoleillée, mais au fond bien agaçants dans leur maladresse et leur entêtement à jouer autour de leurs barres de bois parallèles et à se prendre les uns dans les autres et tous dans la fenêtre dès que je voulais l'ouvrir ou la fermer, un second étant toujours prêt, si je parvenais à en dégager un premier, à venir prendre immédiatement sa place dans les jointures aussi parfaitement bouchées qu'elles l'eussent été par un buisson d'aubépines réelles ou par des nids d'hirondelles qui auraient eu la fantaisie de s'installer là, de sorte que cette opération en apparence si simple d'ouvrir ou de fermer ma croisée, je n’en venais jamais à bout sans le secours de quelqu’un de la maison ; toutes ces choses, qui non seulement ne pouvaient répondre à aucun de mes besoins, mais apportaient même une entrave, d’ailleurs légère, à leur satisfaction, qui n’avaient été évidemment mises là pour l’utilité de personne pas plus que pour la mienne, peuplaient ma chambre de pensées en quelque sorte personnelles, avec cet air de prédilection d’avoir choisi de vivre là et de s’y plaire qu’ont souvent dans les clairières les arbres et, au bord des chemins ou sur les vieux murs, les fleurs. Elles la remplissaient d'une vie silencieuse et diverse, d'un mystère où ma personne se trouvait à la fois perdue et charmée; elles faisaient de cette chambre une sorte de chapelle où le soleil – quand il traversait les petits carreaux rouges que mon oncle avait intercalés au haut des fenêtres – piquait sur les murs, après avoir rosi l'aubépine des rideaux, des lueurs aussi étranges que si la petite chapelle avait été enclose dans une plus grande nef à vitraux ; où le bruit des cloches arrivait si retentissant à cause de la grande proximité de notre maison et de l'église, à laquelle d'ailleurs aux grandes fêtes les reposoirs nous liaient par un chemin de fleurs, que je pouvais imaginer qu'elles étaient sonnées dans notre toit, juste au-dessus de la fenêtre d'où je saluais souvent le curé tenant son bréviaire, ma tante qui revenait de vêpres ou l'enfant de chœur qui nous portait du pain bénit. Quant à la photographie par Brown du Printemps de Botticelli ou moulage de La Femme inconnue du musée de Lille, qui, aux murs et sur la cheminée des chambres de Maple, sont la part concédée par William Morris à l'inutile beauté, je dois avouer qu'ils étaient remplacés dans ma chambre par une sorte de gravure représentant le prince Eugène, terrible et beau dans son dolman, et que je fus très étonné d'apercevoir une nuit, dans un grand fracas de locomotives et de grêle, toujours terrible et beau, à la porte d'un buffet de gare, où il servait de réclame à une spécialité de biscuit. Je soupçonne aujourd'hui mon grand-père de l'avoir autrefois reçu, comme prime, de la munificence d'un fabricant, avant de l'installer à jamais dans ma chambre. Mais alors je ne me souciais pas de son origine, qui me paraissait historique et mystérieuse, et je ne m'imaginais pas qu'il pût y avoir plusieurs exemplaires de ce que je considérais comme une personne, comme un habitant permanent de la chambre que je ne faisais que partager avec lui et où je le retrouvais tous les ans, toujours pareil à lui-même. Il y a maintenant bien longtemps que je ne l'ai vu, et je suppose que je ne le reverrai jamais. Mais si une telle fortune m'advenait, je crois qu'il aurait bien plus de choses à me dire que Le Printemps de Botticelli. Je laisse les gens de goût orner leur demeure avec la reproduction des chefs-d'œuvres qu'ils admirent et décharger leur mémoire du soin de leur conserver une image précieuse en la confiant à un cadre de bois sculpté. Je laisse les gens de goût faire de leur chambre l'image même de leur goût et la remplir seulement de choses qu'il puisse approuver. Pour moi, je ne me sens vivre et penser que dans une chambre où tout est la création et le langage de vies profondément différentes de la mienne, d'un goût opposé au mien, où je ne retrouve rien de ma pensée consciente, où mon imagination s'exalte en se sentant plongée au sein du non-moi ; je ne me sens heureux qu'en mettant le pied – avenue de la Gare, sur le Port, ou place de l'Église – dans un de ces hôtels de province aux longs corridors froids où le vent du dehors lutte avec succès contre les efforts du calorifère, où la carte de géographie détaillée de l'arrondissement est encore le seul ornement des murs, où chaque bruit ne sert qu'à faire apparaître le silence en le déplaçant, où les chambres gardent un parfum de renfermé que le grand air vient laver, mais n'efface pas, et que les narines aspirent cent fois pour l'apporter à l'imagination qui s'en enchante, qui le fait poser comme un modèle pour essayer de le recréer en elle avec tout ce qu'il contient de pensées et de souvenirs ; où le soir, quand on ouvre la porte de sa chambre, on a le sentiment de violer toute la vie qui y est restée éparse, de la prendre hardiment par la main quand la porte refermée on entre plus avant, jusqu'à la table ou jusqu'à la fenêtre ; de s'asseoir dans une sorte de libre promiscuité avec elle sur le canapé exécuté par le tapissier du chef-lieu selon ce qu'il croyait le goût de Paris ; de toucher partout la nudité de cette vie dans le dessein de se troubler soi-même par sa propre familiarité, en posant ici et là ses affaires, en jouant le maître dans cette chambre pleine jusqu'aux bords de l'âme des autres et qui garde jusque dans la forme des chenêts et le dessin des rideaux l'empreinte de leur rêve, en marchand pieds nus sur son tapis inconnu ; alors, cette vie secrète, on a le sentiment de l'enfermer avec soi quand on va, tout tremblant, tirer le verrou ; de la pousser dans le lit et de coucher enfin avec elle dans les grands draps blancs qui vous montent par-dessus la figure, tandis que, tout près, l'église sonne pour toute la ville les heures d'insomnie des mourants et des amoureux.

02. Marcel Proust. Sur la Lecture. Partie 2/9. 02. Marcel Proust. Über das Lesen. Teil 2/9. 02. Marcel Proust. On Reading. Part 2/9. 02. Marcel Proust. Sobre a leitura. Parte 2/9. 02. Marcel Proust. Om att läsa. Del 2/9.

Après le déjeuner, ma lecture reprenait tout de suite ; surtout si la journée était un peu chaude, on montait « se retirer dans sa chambre », ce qui me permettait, par le petit escalier aux marches rapprochées, de gagner tout de suite la mienne, à l’unique étage si bas que des fenêtres enjambées on n’aurait eu qu’un saut d’enfant à faire pour se trouver dans la rue. After lunch, my reading resumed immediately; especially if the day was a little warm, we went up "to retire in his room", which allowed me, by the small staircase with the stepped steps, to reach mine immediately, on the only floor so low as windows strides we would only have had a child jump to be on the street. J’allais fermer ma fenêtre, sans avoir pu esquisser le salut de l’armurier d’en face, qui, sous prétexte de baisser ses auvents, venait tous les jours après déjeuner fumer sa cigarette devant sa porte et dire bonjour aux passants, qui parfois s’arrêtaient à causer. I was going to close my window, without having been able to sketch the salute of the gunsmith opposite, who, under the pretext of lowering his awnings, came every day after lunch to smoke his cigarette in front of his door and say hello to passers-by, who sometimes stopped talking. Les théories de William Morris, qui ont été si constamment appliquées par Maple, et les décorateurs anglais, édictent qu’une chambre n’est belle qu’à la condition de contenir seulement des choses qui nous soient utiles et que toute chose utile, fût-ce un simple clou, soit non pas dissimulée, mais apparente : au-dessus du lit à tringles des cuivre et entièrement découvert, aux murs nus de ces chambres hygiéniques, quelques reproductions de chefs-d’œuvre. The theories of William Morris, which have been so consistently applied by Maple, and English decorators, state that a bedroom is beautiful only on condition that it contains only things which are useful to us and that everything useful is -this a simple nail, or not concealed, but apparent: above the bed with copper rods and entirely uncovered, on the bare walls of these hygienic rooms, some reproductions of masterpieces. À la juger d’après les principes de cette esthétique, ma chambre n’était nullement belle, car elle était pleine de choses qui ne pouvaient servir à rien et qui dissimulaient pudiquement, jusqu’à en rendre l’usage extrêmement difficile, celles qui servaient à quelque chose. Judging from the principles of this aesthetic, my room was by no means beautiful, for it was full of things that could not be used for nothing and which modestly concealed, to the point of making their use extremely difficult, those which were used for something. Mais c’est justement de ces choses qui n’étaient pas là pour ma commodité, mais semblaient y être venues pour leur plaisir, que ma chambre tirait pour moi sa beauté. But it is precisely from these things which were not there for my convenience, but seemed to have come there for their pleasure, that my room drew its beauty for me. Ces hautes courtines blanches qui dérobaient aux regards le lit placé comme au fond d’un sanctuaire; la jonchée de couvre-pieds en marceline, de courtepointes à fleurs, de couvre-lits brodés, de taies d’oreiller en baptiste sous laquelle il disparaissait le jour, comme un autel au mois de Marie sous les festons et les fleurs, et que le soir, pour pouvoir me coucher, j’allais poser avec précaution sur un fauteuil où ils consentaient à passer la nuit ; à côté du lit, la trinité du verre à dessins bleus, du sucrier pareil et de la carafe (toujours vide depuis le lendemain de mon arrivée sur l’ordre de ma mère, qui craignait de me la voir « répandre »), sortes d’instruments du culte, presque aussi saints que la précieuse liqueur de fleur d’orange placée près d’eux dans une ampoule de verre, et que je n’aurais pas cru plus permis de profaner, ni même possible d’utiliser pour mon usage personnel que si ç’avaient été des ciboires consacrés, mais que je considérais longuement avant de me déshabiller, dans la peur de les renverser par un faux mouvement ; ces petites étoles ajourées au crochet qui jetaient sur le dos des fauteuils un manteau de roses blanches qui ne devaient pas être sans épines, puisque, chaque fois que j’avais fini de lire et que je voulais me lever, je m’apercevais que j’y étais resté accroché ; cette cloche de verre sous laquelle, isolée des contacts vulgaires, la pendule bavardait dans l’intimité pour des coquillages venus de loin et pour une vieille fleur sentimentale, mais qui était si lourde à soulever que, quand la pendule s’arrêtait, personne, excepté l’horloger, n’aurait été assez imprudent pour entreprendre de la remonter ; cette blanche nappe en guipure qui, jetée comme un revêtement d’autel sur la commode ornée de deux vases, d’une image du Sauveur et d’un buis bénit, la faisait ressembler à la Sainte Table (dont un prie-Dieu, rangé là tous les jours, quand on avait « fini la chambre », achevait d’évoquer l’idée), mais dont les effilochements toujours engagés dans la fente des tiroirs en arrêtaient si complètement le jeu que je ne pouvais jamais prendre un mouchoir sans faire tomber d’un seul coup image du Sauveur, vases sacrés, buis bénit, et sans trébucher moi-même en me rattrapant au prie-Dieu ; cette triple superposition enfin de petits rideaux d’étamine, de grands rideaux de mousseline et de plus grands rideaux de basin, toujours souriants dans leur blancheur d’aubépine souvent ensoleillée, mais au fond bien agaçants dans leur maladresse et leur entêtement à jouer autour de leurs barres de bois parallèles et à se prendre les uns dans les autres et tous dans la fenêtre dès que je voulais l’ouvrir ou la fermer, un second étant toujours prêt, si je parvenais à en dégager un premier, à venir prendre immédiatement sa place dans les jointures aussi parfaitement bouchées qu’elles l’eussent été par un buisson d’aubépines réelles ou par des nids d’hirondelles qui auraient eu la fantaisie de s’installer là, de sorte que cette opération en apparence si simple d’ouvrir ou de fermer ma croisée, je n’en venais jamais à bout sans le secours de quelqu’un de la maison ; toutes ces choses, qui non seulement ne pouvaient répondre à aucun de mes besoins, mais apportaient même une entrave, d’ailleurs légère, à leur satisfaction, qui n’avaient été évidemment mises là pour l’utilité de personne pas plus que pour la mienne, peuplaient ma chambre de pensées en quelque sorte personnelles, avec cet air de prédilection d’avoir choisi de vivre là et de s’y plaire qu’ont souvent dans les clairières les arbres et, au bord des chemins ou sur les vieux murs, les fleurs. These tall white curtains which hid the bed placed as if at the back of a sanctuary from view; the littered with marceline quilts, flower quilts, embroidered bedspreads, Baptist pillowcases under which he disappeared during the day, like an altar in the month of Mary under the festoons and the flowers, and that in the evening, in order to be able to go to bed, I would go to rest with precaution in an armchair where they would agree to spend the night; next to the bed, the trinity of glass with blue designs, the same sugar bowl and the decanter (always empty since the day after my arrival on the order of my mother, who was afraid of seeing me "spill"), sort of 'instruments of worship, almost as holy as the precious orange blossom liquor placed near them in a glass ampoule, and which I would not have thought more permitted to desecrate, or even possible to use for my own use personal that if they had been consecrated ciboriums, but which I considered for a long time before undressing, for fear of overturning them by a false movement; those little openwork crocheted stoles which threw over the backs of the armchairs a cloak of white roses which must not have been thornless, since, each time I had finished reading and wanted to get up, I noticed that I 'had stuck there; this glass bell under which, isolated from vulgar contacts, the clock chatted intimately for seashells from afar and for an old sentimental flower, but which was so heavy to lift that, when the clock stopped, no one, except the watchmaker, would not have been imprudent enough to undertake to wind it; this white guipure tablecloth which, thrown like an altar covering over the chest of drawers adorned with two vases, an image of the Savior and a blessed boxwood, made it resemble the Holy Table (including a prie-Dieu, arranged there every day, when we had "finished the room", finished evoking the idea), but whose fraying still engaged in the slits of the drawers stopped the game so completely that I could never take a handkerchief without doing suddenly falling the image of the Savior, sacred vessels, blessed boxwood, and without stumbling myself, catching up with me at the prie-Dieu; this triple superposition, finally, of small cheesecloth curtains, large muslin curtains and larger basin curtains, always smiling in their often sunny hawthorn whiteness, but at the bottom very annoying in their awkwardness and their stubbornness in playing around their wooden bars parallel and to get caught in each other and all in the window as soon as I wanted to open or close it, a second being always ready, if I managed to free a first, to come immediately take his place in the joints as perfectly blocked as they would have been by a bush of real hawthorns or by swallows' nests which would have had the fancy to settle there, so that this operation apparently so simple to opening or closing my window, I could never do it without the help of someone from the house; all those things, which not only could not meet any of my needs, but even brought an obstacle, moreover slight, to their satisfaction, which had obviously not been put there for the usefulness of anyone or for the mine, populated my room with somehow personal thoughts, with that air of predilection of having chosen to live there and to enjoy it that trees often have in the clearings and, at the edge of the paths or on the old walls , flowers. Elles la remplissaient d’une vie silencieuse et diverse, d’un mystère où ma personne se trouvait à la fois perdue et charmée; elles faisaient de cette chambre une sorte de chapelle où le soleil – quand il traversait les petits carreaux rouges que mon oncle avait intercalés au haut des fenêtres – piquait sur les murs, après avoir rosi l’aubépine des rideaux, des lueurs aussi étranges que si la petite chapelle avait été enclose dans une plus grande nef à vitraux ; où le bruit des cloches arrivait si retentissant à cause de la grande proximité de notre maison et de l’église, à laquelle d’ailleurs aux grandes fêtes les reposoirs nous liaient par un chemin de fleurs, que je pouvais imaginer qu’elles étaient sonnées dans notre toit, juste au-dessus de la fenêtre d’où je saluais souvent le curé tenant son bréviaire, ma tante qui revenait de vêpres ou l’enfant de chœur qui nous portait du pain bénit. They filled her with a silent and diverse life, with a mystery in which my person was both lost and charmed; they made of this room a sort of chapel where the sun - when it crossed the little red panes that my uncle had inserted at the top of the windows - stuck on the walls, after having reddened the hawthorn of the curtains, gleams as strange as if the small chapel had been enclosed in a larger nave with stained glass windows; where the sound of the bells came so resounding because of the great proximity of our house and the church, to which, moreover, at major festivals the altarpieces linked us by a path of flowers, that I could imagine that they were rung in our roof, just above the window from where I often greeted the priest holding his breviary, my aunt returning from vespers or the altar boy who brought us blessed bread. Quant à la photographie par Brown du Printemps de Botticelli ou moulage de La Femme inconnue du musée de Lille, qui, aux murs et sur la cheminée des chambres de Maple, sont la part concédée par William Morris à l’inutile beauté, je dois avouer qu’ils étaient remplacés dans ma chambre par une sorte de gravure représentant le prince Eugène, terrible et beau dans son dolman, et que je fus très étonné d’apercevoir une nuit, dans un grand fracas de locomotives et de grêle, toujours terrible et beau, à la porte d’un buffet de gare, où il servait de réclame à une spécialité de biscuit. Je soupçonne aujourd’hui mon grand-père de l’avoir autrefois reçu, comme prime, de la munificence d’un fabricant, avant de l’installer à jamais dans ma chambre. Mais alors je ne me souciais pas de son origine, qui me paraissait historique et mystérieuse, et je ne m’imaginais pas qu’il pût y avoir plusieurs exemplaires de ce que je considérais comme une personne, comme un habitant permanent de la chambre que je ne faisais que partager avec lui et où je le retrouvais tous les ans, toujours pareil à lui-même. Il y a maintenant bien longtemps que je ne l’ai vu, et je suppose que je ne le reverrai jamais. Mais si une telle fortune m’advenait, je crois qu’il aurait bien plus de choses à me dire que Le Printemps de Botticelli. But if such a fortune happened to me, I think he would have much more to tell me than Botticelli's Spring. Je laisse les gens de goût orner leur demeure avec la reproduction des chefs-d’œuvres qu’ils admirent et décharger leur mémoire du soin de leur conserver une image précieuse en la confiant à un cadre de bois sculpté. Je laisse les gens de goût faire de leur chambre l’image même de leur goût et la remplir seulement de choses qu’il puisse approuver. Pour moi, je ne me sens vivre et penser que dans une chambre où tout est la création et le langage de vies profondément différentes de la mienne, d’un goût opposé au mien, où je ne retrouve rien de ma pensée consciente, où mon imagination s’exalte en se sentant plongée au sein du non-moi ; je ne me sens heureux qu’en mettant le pied – avenue de la Gare, sur le Port, ou place de l’Église – dans un de ces hôtels de province aux longs corridors froids où le vent du dehors lutte avec succès contre les efforts du calorifère, où la carte de géographie détaillée de l’arrondissement est encore le seul ornement des murs, où chaque bruit ne sert qu’à faire apparaître le silence en le déplaçant, où les chambres gardent un parfum de renfermé que le grand air vient laver, mais n’efface pas, et que les narines aspirent cent fois pour l’apporter à l’imagination qui s’en enchante, qui le fait poser comme un modèle pour essayer de le recréer en elle avec tout ce qu’il contient de pensées et de souvenirs ; où le soir, quand on ouvre la porte de sa chambre, on a le sentiment de violer toute la vie qui y est restée éparse, de la prendre hardiment par la main quand la porte refermée on entre plus avant, jusqu’à la table ou jusqu’à la fenêtre ; de s’asseoir dans une sorte de libre promiscuité avec elle sur le canapé exécuté par le tapissier du chef-lieu selon ce qu’il croyait le goût de Paris ; de toucher partout la nudité de cette vie dans le dessein de se troubler soi-même par sa propre familiarité, en posant ici et là ses affaires, en jouant le maître dans cette chambre pleine jusqu’aux bords de l’âme des autres et qui garde jusque dans la forme des chenêts et le dessin des rideaux l’empreinte de leur rêve, en marchand pieds nus sur son tapis inconnu ; alors, cette vie secrète, on a le sentiment de l’enfermer avec soi quand on va, tout tremblant, tirer le verrou ; de la pousser dans le lit et de coucher enfin avec elle dans les grands draps blancs qui vous montent par-dessus la figure, tandis que, tout près, l’église sonne pour toute la ville les heures d’insomnie des mourants et des amoureux. For me, I can only live and think in a room where everything is the creation and language of lives profoundly different from mine, of a taste opposed to mine, where I find nothing of my conscious thought, where my imagination is exalted by feeling plunged into the bosom of the not-me ; I only feel happy when I set foot - on Avenue de la Gare, on the Port, or in Place de l'Église - in one of those provincial hotels with its long, cold corridors, where the outside wind fights successfully against the efforts of the calorifier, where the detailed geography map of the arrondissement is still the only ornament on the walls, where every noise serves only to make silence appear by displacing it, where the rooms retain a musty perfume that the fresh air washes away, but does not erase, and which the nostrils inhale a hundred times to bring it to the imagination, which delights in it, posing it as a model to try to recreate it within itself with all that it contains of thoughts and memories ; where in the evening, when you open the door to your room, you have the feeling of violating all the life that has remained scattered there, of boldly taking it by the hand when the door is closed and you enter further, to the table or to the window; of sitting in a kind of free promiscuity with it on the sofa made by the upholsterer of the chief town according to what he believed to be the taste of Paris ; to touch the nakedness of this life everywhere, with the intention of disturbing himself by his own familiarity, by putting down his things here and there, by playing the master in this room filled to the brim with the souls of others, and which retains the imprint of their dreams right down to the shape of the eaves and the design of the curtains, by walking barefoot on its unknown carpet ; then, this secret life, you have the feeling of locking it up with you when you go, trembling, to pull the bolt; of pushing it into bed and finally sleeping with it in the big white sheets that come up over your face, while, nearby, the church rings out for the whole town the sleepless hours of the dying and the lovers.