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Voltaire. Lettres philosophiques. Sélections. 1734., 01. Première lettre sur les Quakers.

01. Première lettre sur les Quakers.

Voltaire. Lettres philosophiques. Première lettre sur les Quakers [1].

J'ai cru que la doctrine et l'histoire d'un peuple si extraordinaire méritaient la curiosité d'un homme raisonnable. Pour m'en instruire, j'allai trouver un des plus célèbres quakers d'Angleterre, qui, après avoir été trente ans dans le commerce, avait su mettre des bornes à sa fortune et à ses désirs, et s'était retiré dans une campagne auprès de Londres. Je fus le chercher dans sa retraite ; c'était une maison petite, mais bien bâtie, pleine de propreté sans ornement. Le quaker était un vieillard frais qui n'avait jamais eu de maladie, parce qu'il n'avait jamais connu les passions ni l'intempérance : je n'ai point vu en ma vie d'air plus noble ni plus engageant que le sien. Il était vêtu, comme tous ceux de sa religion, d'un habit sans plis dans les côtés et sans boutons sur les poches ni sur les manches, et portait un grand chapeau à bords rabattus, comme nos ecclésiastiques. Il me reçut avec son chapeau sur la tête, et s'avança vers moi sans faire la moindre inclination de corps ; mais il y avait plus de politesse dans l'air ouvert et humain de son visage qu'il n'y en a dans l'usage de tirer une jambe derrière l'autre et de porter à la main ce qui est fait pour couvrir la tête. « Ami, me dit-il, je vois que tu es un étranger ; si je puis t'être de quelque utilité, tu n'as qu'à parler. --- Monsieur, lui dis-je, en me courbant le corps et en glissant un pied vers lui, selon notre coutume, je me flatte que ma juste curiosité ne vous [3] déplaira pas, et que vous voudrez bien me faire l'honneur de m'instruire de votre religion. Les gens de ton pays, me répond-il, font trop de compliments et de révérences ; mais je n'en ai encore vu aucun qui ait eu la même curiosité que toi. Entre, et dînons d'abord ensemble. Je fis encore quelques mauvais compliments, parce qu'on ne se défait pas de ses habitudes tout d'un coup ; et, après un repas sain et frugal, qui commença et qui finit par une prière à Dieu, je me mis à interroger mon homme. Je débutai par la question que de bons catholiques ont faite plus d'une fois aux huguenots [4] : « Mon cher Monsieur, lui dis-je, êtes- vous baptisé ? --- Non, me répondit le quaker, et mes confrères ne le sont point. --- Comment, morbleu [5], repris-je, vous n'êtes donc pas chrétiens ? --- Mon fils, repartit-il d'un ton (très) doux, ne jure point [6]; nous sommes chrétiens et tâchons d'être bons chrétiens, mais nous ne pensons pas que le christianisme consiste à jeter de l'eau froide sur la tête, avec un peu de sel. --- Eh ! ventrebleu [7], repris-je, outré de cette impiété, vous avez donc oublié que Jésus-Christ fut baptisé par Jean ? --- Ami, point de jurements [6], encore un coup, dit le bénin quaker. Le Christ reçut le baptême de Jean, mais il ne baptisa jamais personne ; nous ne sommes pas les disciples de Jean, mais du Christ. --- Hélas ! dis-je, comme vous seriez brûlé en pays d'inquisition, pauvre homme !… Eh ! pour l'amour de Dieu, que je vous baptise et que je vous fasse chrétien ! --- (Bah !) S'il ne fallait que cela pour condescendre à ta faiblesse, nous le ferions volontiers, repartit-il gravement ; nous ne condamnons personne pour user de la cérémonie du Baptême, mais nous croyons que ceux qui professent une religion toute sainte et toute spirituelle doivent s'abstenir, autant qu'ils le peuvent, des cérémonies judaïques. --- En voici bien d'une (d'un) autre, m'écriai-je ! Des cérémonies judaïques ! --- Oui, mon fils, continua-t-il, et si judaïques que plusieurs juifs encore aujourd'hui usent quelquefois du Baptême de Jean. Consulte l'Antiquité ; elle t'apprendra que Jean ne fit que renouveler cette pratique, laquelle était en usage longtemps avant lui parmi les Hébreux, comme le pèlerinage de la Mecque l'était parmi les ismaélites. Jésus voulut bien recevoir le Baptême de Jean, de même qu'il s'était soumis à la Circoncision ; mais, et la Circoncision, et le lavement d'eau doivent être tous deux abolis par le Baptême du Christ, ce Baptême de l'esprit, cette ablution de l'âme qui sauve les hommes. Aussi le précurseur Jean disait : Je vous baptise à la vérité avec de l'eau, mais un autre viendra après moi, plus puissant que moi, et dont je ne suis pas digne de porter les sandales ; celui-là vous baptisera avec le feu et le Saint-Esprit. Ainsi (Aussi) le grand Apôtre des Gentils, Paul, écrit aux Corinthiens : Le Christ ne m'a pas envoyé pour baptiser, mais pour prêcher l'Évangile ; aussi ce même Paul ne baptisa jamais avec de l'eau que deux personnes, encore fut-ce malgré lui ; il circoncit son disciple Timothée ; les autres Apôtres circoncisaient aussi tous ceux qui voulaient. Es-tu circoncis ? ajouta-t-il. Je lui répondis que je n'avais pas cet honneur. « Eh bien, dit-il, l'ami, tu es chrétien sans être circoncis, et moi, sans être baptisé.

Voilà comme mon saint homme abusait assez spécieusement de trois ou quatre passages de la Sainte Écriture, qui semblaient favoriser sa secte ; mais il oubliait de la meilleure foi du monde une centaine de passages qui l'écrasaient. Je me gardai bien de lui rien contester ; il n'y a rien à gagner avec un enthousiaste : il ne faut point s'aviser [8] de dire à un homme les défauts de sa maîtresse, ni à un plaideur le faible de sa cause, ni des raisons à un illuminé ; ainsi je passai à d'autres questions. « À l'égard de la Communion, lui dis-je, comment en usez-vous ? --- Nous n'en usons point, dit-il. --- Quoi ! point de Communion ? --- Non, point d'autre que celle des cœurs. Alors il me cita encore les Écritures. Il me fit un beau fort (fort beau) sermon contre la Communion, et me parla d'un ton inspiré pour me prouver que tous les Sacrements étaient tous d'invention humaine, et que le mot de Sacrement ne se trouvait pas une seule fois dans l'Évangile. « Pardonne, dit-il, à mon ignorance, je ne t'ai pas apporté la centième partie des preuves de ma religion ; mais tu peux les voir dans l'exposition de notre foi par Robert Barclay [9]: c'est un des meilleurs livres qui soient jamais sortis de la main des hommes. Nos ennemis conviennent qu'il est très dangereux, cela prouve combien il est raisonnable. Je lui promis de lire ce livre, et mon quaker me crut déjà converti.

Ensuite il me rendit raison en peu de mots de quelques singularités qui exposent cette secte au mépris des autres. « Avoue, dit-il, que tu as eu bien de la peine à t'empêcher de rire quand j'ai répondu à toutes tes civilités avec mon chapeau sur ma tête et en te tutoyant ; cependant tu me parais trop instruit pour ignorer que du temps du Christ aucune nation ne tombait dans le ridicule de substituer le pluriel au singulier. On disait à César Auguste : je t'aime, je te prie, je te remercie ; il ne souffrait pas même qu'on l'appelât monsieur, Dominus. Ce ne fut que très longtemps après lui que les hommes s'avisèrent de se faire appeler vous au lieu de tu, comme s'ils étaient doubles, et d'usurper les titres impertinents de Grandeur, d'Éminence, de Sainteté, que des vers de terre [10] donnent à d'autres vers de terre, en les assurant qu'ils sont, avec un profond respect et une fausseté infâme, leurs très humbles et très obéissants serviteurs. C'est pour être plus sur nos gardes contre cet indigne commerce de mensonges et de flatteries que nous tutoyons également les rois et les savetiers, que nous ne saluons personne, n'ayant pour les hommes que de la charité, et du respect que pour les lois.

« (Ah !) Nous portons aussi un habit un peu différent des autres hommes, afin que ce soit pour nous un avertissement continuel de ne pas leur ressembler (de ne leur pas ressembler). Les autres portent les marques de leurs dignités, et nous, celles de l'humilité chrétienne ; nous fuyons les assemblées de plaisir, les spectacles, le jeu ; car nous serions bien à plaindre de remplir de ces bagatelles des cœurs en qui Dieu doit habiter ; nous ne faisons jamais de serments, pas même en justice ; nous pensons que le nom du Très-Haut ne doit pas être prostitué [11] dans les débats des hommes. Lorsqu'il faut que nous comparaissions devant les magistrats pour les affaires des autres (car (nous,) nous n'avons jamais de procès), nous affirmons la vérité par un oui ou par un non, et les juges nous en croient sur notre simple parole, tandis que tant de chrétiens se parjurent sur l'Évangile. Nous n'allons jamais à la guerre ; ce n'est pas que nous craignions la mort, au contraire nous bénissons le moment qui nous unit à l'Être des Êtres ; mais c'est que nous ne sommes ni loups, ni tigres, ni dogues, mais hommes, mais chrétiens. Notre Dieu, qui nous a ordonné d'aimer nos ennemis et de souffrir sans murmure, ne veut pas sans doute que nous passions la mer pour aller égorger nos frères, parce que des meurtriers vêtus de rouge, avec un bonnet haut de deux pieds, enrôlent des citoyens en faisant du bruit avec deux petits bâtons sur une peau d'âne bien tendue ; et lorsqu'après des batailles gagnées tout Londres brille d'illuminations, que le ciel est enflammé de fusées, que l'air retentit du bruit des actions de grâces, des cloches, des orgues, des canons, (nous,) nous gémissons en silence sur ces meurtres qui causent l'allégresse publique.


01. Première lettre sur les Quakers. 01. First letter about Quakers. 01. Primera carta sobre los cuáqueros. 01\. نامه اول در مورد کویکرها. 01.クエーカー教徒に関する最初の手紙 01. Pierwszy list w sprawie kwakrów. 01. Primeira carta sobre os Quakers.

Voltaire. Lettres philosophiques. Première lettre sur les Quakers [1].

J'ai cru que la doctrine et l'histoire d'un peuple si extraordinaire méritaient la curiosité d'un homme raisonnable. I believed that the doctrine and history of such an extraordinary people deserved the curiosity of a reasonable man. Pour m'en instruire, j'allai trouver un des plus célèbres quakers d'Angleterre, qui, après avoir été trente ans dans le commerce, avait su mettre des bornes  à sa fortune et à ses désirs, et s'était retiré dans une campagne auprès de Londres. Je fus le chercher dans sa retraite ; c'était une maison petite, mais bien bâtie, pleine de propreté sans ornement. Le quaker était un vieillard frais qui n'avait jamais eu de maladie, parce qu'il n'avait jamais connu les passions ni l'intempérance : je n'ai point vu en ma vie d'air plus noble ni plus engageant que le sien. The Quaker was a fresh old man who had never had any illness, because he had never known passions or intemperance: I have never seen in my life a more noble or more engaging air than the his. Il était vêtu, comme tous ceux de sa religion, d'un habit sans plis dans les côtés et sans boutons sur les poches ni sur les manches, et portait un grand chapeau à bords rabattus, comme nos ecclésiastiques. Il me reçut avec son chapeau sur la tête, et s'avança vers moi sans faire la moindre inclination de corps ; mais il y avait plus de politesse dans l'air ouvert et humain de son visage qu'il n'y en a dans l'usage de tirer une jambe derrière l'autre et de porter à la main ce qui est fait pour couvrir la tête. He received me with his hat on his head, and advanced towards me without any inclination of body; but there was more politeness in the open and human air of his face than there is in the practice of pulling one leg behind the other and carrying in the hand what is done to cover the head. « Ami, me dit-il, je vois que tu es un étranger ; si je puis t'être de quelque utilité, tu n'as qu'à parler. --- Monsieur, lui dis-je, en me courbant le corps et en glissant un pied vers lui, selon notre coutume, je me flatte que ma juste curiosité ne vous [3] déplaira pas, et que vous voudrez bien me faire l'honneur de m'instruire de votre religion. "Sir," said I, bending my body and sliding one foot towards him, according to our custom, "I flatter myself that my just curiosity will not displease you, and that you will do me the favor. honor to teach me about your religion. Les gens de ton pays, me répond-il, font trop de compliments et de révérences ; mais je n'en ai encore vu aucun qui ait eu la même curiosité que toi. Entre, et dînons d'abord ensemble. Come in and have dinner together first. Je fis encore quelques mauvais compliments, parce qu'on ne se défait pas de ses habitudes tout d'un coup ; et, après un repas sain et frugal, qui commença et qui finit par une prière à Dieu, je me mis à interroger mon homme. I still paid a few bad compliments, because you don't get rid of your habits all of a sudden; and, after a healthy and frugal meal, which began and ended with a prayer to God, I began to question my man. Je débutai par la question que de bons catholiques ont faite plus d'une fois aux huguenots [4] : « Mon cher Monsieur, lui dis-je, êtes- vous baptisé ? --- Non, me répondit le quaker, et mes confrères ne le sont point. --- Comment, morbleu [5], repris-je, vous n'êtes donc pas chrétiens ? --- How, morbleu [5], I repeat, you are not Christians? --- Mon fils, repartit-il d'un ton (très) doux, ne jure point [6]; nous sommes chrétiens et tâchons d'être bons chrétiens, mais nous ne pensons pas que le christianisme consiste à jeter de l'eau froide sur la tête, avec un peu de sel. --- Eh ! ventrebleu [7], repris-je, outré de cette impiété, vous avez donc oublié que Jésus-Christ fut baptisé par Jean ? --- Ami, point de jurements [6], encore un coup, dit le bénin quaker. --- Friend, no oaths [6], one more blow, said the benign Quaker. Le Christ reçut le baptême de Jean, mais il ne baptisa jamais personne ; nous ne sommes pas les disciples de Jean, mais du Christ. --- Hélas ! dis-je, comme vous seriez brûlé en pays d'inquisition, pauvre homme !… Eh ! I said, how you would be burned in a country of inquisition, poor man!... Hey! pour l'amour de Dieu, que je vous baptise et que je vous fasse chrétien ! --- (Bah !) S'il ne fallait que cela pour condescendre à ta faiblesse, nous le ferions volontiers, repartit-il gravement ; nous ne condamnons personne pour user de la cérémonie du Baptême, mais nous croyons que ceux qui professent une religion toute sainte et toute spirituelle doivent s'abstenir, autant qu'ils le peuvent, des cérémonies judaïques. If it was only necessary to condescend to your weakness, we would do it willingly, he replied gravely; we do not condemn anyone for using the ceremony of Baptism, but we believe that those who profess a very holy and all spiritual religion must abstain, as much as they can, from the Jewish ceremonies. --- En voici bien d'une (d'un) autre, m'écriai-je ! --- Here are some from another, I cried! Des cérémonies judaïques ! Judaic ceremonies! --- Oui, mon fils, continua-t-il, et si judaïques que plusieurs juifs encore aujourd'hui usent quelquefois du Baptême de Jean. "Yes, my son," he continued, "and so Judaic that many Jews still today sometimes use the Baptism of John. Consulte l'Antiquité ; elle t'apprendra que Jean ne fit que renouveler cette pratique, laquelle était en usage longtemps avant lui parmi les Hébreux, comme le pèlerinage de la Mecque l'était parmi les ismaélites. Jésus voulut bien recevoir le Baptême de Jean, de même qu'il s'était soumis à la Circoncision ; mais, et la Circoncision, et le lavement d'eau doivent être tous deux abolis par le Baptême du Christ, ce Baptême de l'esprit, cette ablution de l'âme qui sauve les hommes. Aussi le précurseur Jean disait : Je vous baptise à la vérité avec de l'eau, mais un autre viendra après moi, plus puissant que moi, et dont je ne suis pas digne de porter les sandales ; celui-là vous baptisera avec le feu et le Saint-Esprit. Ainsi (Aussi) le grand Apôtre des Gentils, Paul, écrit aux Corinthiens : Le Christ ne m'a pas envoyé pour baptiser, mais pour prêcher l'Évangile ; aussi ce même Paul ne baptisa jamais avec de l'eau que deux personnes, encore fut-ce malgré lui ; il circoncit son disciple Timothée ; les autres Apôtres circoncisaient aussi tous ceux qui voulaient. Es-tu circoncis ? ajouta-t-il. Je lui répondis que je n'avais pas cet honneur. « Eh bien, dit-il, l'ami, tu es chrétien sans être circoncis, et moi, sans être baptisé.

Voilà comme mon saint homme abusait assez spécieusement de trois ou quatre passages de la Sainte Écriture, qui semblaient favoriser sa secte ; mais il oubliait de la meilleure foi du monde une centaine de passages qui l'écrasaient. This is how my holy man rather speciously abused three or four passages of Holy Scripture, which seemed to favor his sect; but he forgot with the best faith in the world a hundred passages which crushed him. Je me gardai bien de lui rien contester ; il n'y a rien à gagner avec un enthousiaste : il ne faut point s'aviser [8] de dire à un homme les défauts de sa maîtresse, ni à un plaideur le faible de sa cause, ni des raisons à un illuminé ; ainsi je passai à d'autres questions. I took good care not to challenge him; there is nothing to gain with an enthusiast: one must not dare [8] to tell a man the faults of his mistress, nor to a litigant the weak of his cause, nor of the reasons for an enlightened; so I moved on to other questions. « À l'égard de la Communion, lui dis-je, comment en usez-vous ? --- Nous n'en usons point, dit-il. --- Quoi ! point de Communion ? --- Non, point d'autre que celle des cœurs. Alors il me cita encore les Écritures. Il me fit un beau fort (fort beau) sermon contre la Communion, et me parla d'un ton inspiré pour me prouver que tous les Sacrements étaient tous d'invention humaine, et que le mot de Sacrement ne se trouvait pas une seule fois dans l'Évangile. « Pardonne, dit-il, à mon ignorance, je ne t'ai pas apporté la centième partie des preuves de ma religion ; mais tu peux les voir dans l'exposition de notre foi par Robert Barclay [9]: c'est un des meilleurs livres qui soient jamais sortis de la main des hommes. Nos ennemis conviennent qu'il est très dangereux, cela prouve combien il est raisonnable. Our enemies agree that he is very dangerous, that proves how reasonable he is. Je lui promis de lire ce livre, et mon quaker me crut déjà converti. I promised him to read this book, and my Quaker thought I was already converted.

Ensuite il me rendit raison en peu de mots de quelques singularités qui exposent cette secte au mépris des autres. « Avoue, dit-il, que tu as eu bien de la peine à t'empêcher de rire quand j'ai répondu à toutes tes civilités avec mon chapeau sur ma tête et en te tutoyant ; cependant tu me parais trop instruit pour ignorer que du temps du Christ aucune nation ne tombait dans le ridicule de substituer le pluriel au singulier. "Admit," said he, "that it was very difficult for you to keep yourself from laughing when I answered all your civilities with my hat on my head and tu you; however you seem too educated to ignore that in the time of Christ no nation fell into the ridiculous of substituting the plural for the singular. On disait à César Auguste : je t'aime, je te prie, je te remercie ; il ne souffrait pas même qu'on l'appelât monsieur, Dominus. They said to Caesar Augustus: I love you, I beg you, I thank you; he did not even tolerate being called Monsieur, Dominus. Ce ne fut que très longtemps après lui que les hommes s'avisèrent de se faire appeler vous au lieu de tu, comme s'ils étaient doubles, et d'usurper les titres impertinents de Grandeur, d'Éminence, de Sainteté, que des vers de terre [10] donnent à d'autres vers de terre, en les assurant qu'ils sont, avec un profond respect et une fausseté infâme, leurs très humbles et très obéissants serviteurs. It was not until very long after him that men took it into their heads to call themselves you instead of you, as if they were doubles, and to usurp the impertinent titles of Greatness, Eminence, Holiness, that of worms [10] give to other worms, assuring them that they are, with deep respect and infamous falsehood, their very humble and very obedient servants. C'est pour être plus sur nos gardes contre cet indigne commerce de mensonges et de flatteries que nous tutoyons également les rois et les savetiers, que nous ne saluons personne, n'ayant pour les hommes que de la charité, et du respect que pour les lois. It is to be more on our guard against this unworthy commerce of lies and flattery that we equally address kings and cobblers as familiar terms, that we salute no one, having for men only charity, and respect only for laws.

«  (Ah !) Nous portons aussi un habit un peu différent des autres hommes, afin que ce soit pour nous un avertissement continuel de ne pas leur ressembler (de ne leur pas ressembler). We also wear a dress a little different from other men, so that it is for us a continual warning not to look like them (not to look like them). Les autres portent les marques de leurs dignités, et nous, celles de l'humilité chrétienne ; nous fuyons les assemblées de plaisir, les spectacles, le jeu ; car nous serions bien à plaindre de remplir de ces bagatelles des cœurs en qui Dieu doit habiter ; nous ne faisons jamais de serments, pas même en justice ; nous pensons que le nom du Très-Haut ne doit pas être prostitué [11] dans les débats des hommes. The others bear the marks of their dignities, and we, those of Christian humility; we flee assemblies for pleasure, shows, games; for we would be much to be pitied to fill hearts in which God should dwell with these trifles; we never take oaths, not even in court; we think that the name of the Most High should not be prostituted [11] in the debates of men. Lorsqu'il faut que nous comparaissions devant les magistrats pour les affaires des autres (car (nous,) nous n'avons jamais de procès), nous affirmons la vérité par un oui ou par un non, et les juges nous en croient sur notre simple parole, tandis que tant de chrétiens se parjurent sur l'Évangile. When we have to appear before the magistrates for the affairs of others (because (we) never have a trial), we affirm the truth with a yes or a no, and the judges believe us on our simple word, while so many Christians perjure themselves on the Gospel. Nous n'allons jamais à la guerre ; ce n'est pas que nous craignions la mort, au contraire nous bénissons le moment qui nous unit à l'Être des Êtres ; mais c'est que nous ne sommes ni loups, ni tigres, ni dogues, mais hommes, mais chrétiens. We never go to war; it is not that we fear death, on the contrary we bless the moment that unites us to the Being of Beings; but it is that we are neither wolves, nor tigers, nor mastiffs, but men, but Christians. Notre Dieu, qui nous a ordonné d'aimer nos ennemis et de souffrir sans murmure, ne veut pas sans doute que nous passions la mer pour aller égorger nos frères, parce que des meurtriers vêtus de rouge, avec un bonnet haut de deux pieds, enrôlent des citoyens en faisant du bruit avec deux petits bâtons sur une peau d'âne bien tendue ; et lorsqu'après des batailles gagnées tout Londres brille d'illuminations, que le ciel est enflammé de fusées, que l'air retentit du bruit des actions de grâces, des cloches, des orgues, des canons, (nous,) nous gémissons en silence sur ces meurtres qui causent l'allégresse publique. Our God, who commanded us to love our enemies and to suffer without a murmur, doubtless does not want us to cross the sea to slaughter our brothers, because murderers dressed in red, with a cap two feet high, enroll citizens by making noise with two small sticks on a well-stretched donkey skin; and when after battles won all London shines with illuminations, when the sky is ablaze with rockets, when the air resounds with the sound of thanksgiving, bells, organs, cannons, (we,) we groan in silence on these murders which cause public joy.