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Guy de Maupassant - Bel-Ami, Bel Ami - Partie 2 Chapitre 4

Bel Ami - Partie 2 Chapitre 4

– IV –

La place de la Trinité était presque déserte, sous un éclatant soleil de juillet. Une chaleur pesante écrasait Paris, comme si l'air de là-haut, alourdi, brûlé, était retombé sur la ville, de l'air épais et cuisant qui faisait mal dans la poitrine. Les chutes d'eau, devant l'église, tombaient mollement. Elles semblaient fatiguées de couler, lasses et molles aussi, et le liquide du bassin où flottaient des feuilles et des bouts de papier avait l'air un peu verdâtre, épais et glauque. Un chien, ayant sauté par-dessus le rebord de pierre, se baignait dans cette onde douteuse. Quelques personnes, assises sur les bancs du petit jardin rond qui contourne le portail, regardaient cette bête avec envie.

Du Roy tira sa montre. Il n'était encore que trois heures. Il avait trente minutes d'avance. Il riait en pensant à ce rendez-vous. « Les églises lui sont bonnes à tous les usages, se disait-il. Elles la consolent d'avoir épousé un juif, lui donnent une attitude de protestation dans le monde politique, une allure comme il faut dans le monde distingué, et un abri pour ses rencontres galantes. Ce que c'est que l'habitude de se servir de la religion comme on se sert d'un en-tout-cas. S'il fait beau, c'est une canne ; s'il fait du soleil, c'est une ombrelle ; s'il pleut, c'est un parapluie, et, si on ne sort pas, on le laisse dans l'antichambre. Et elles sont des centaines comme ça, qui se fichent du bon Dieu comme d'une guigne, mais qui ne veulent pas qu'on en dise du mal et qui le prennent à l'occasion pour entremetteur. Si on leur proposait d'entrer dans un hôtel meublé, elles trouveraient ça une infamie, et il leur semble tout simple de filer l'amour au pied des autels. Il marchait lentement le long du bassin ; puis il regarda l'heure de nouveau à l'horloge du clocher, qui avançait de deux minutes sur sa montre. Elle indiquait trois heures cinq.

Il jugea qu'il serait encore mieux dedans ; et il entra. Une fraîcheur de cave le saisit ; il l'aspira avec bonheur, puis il fit le tour de la nef pour bien connaître l'endroit. Une autre marche régulière, interrompue parfois, puis recommençant, répondait, au fond du vaste monument, au bruit de ses pieds qui montait sonore sous la haute voûte. La curiosité lui vint de connaître ce promeneur. Il le chercha. C'était un gros homme chauve, qui allait le nez en l'air, le chapeau derrière le dos. De place en place, une vieille femme agenouillée priait, la figure dans ses mains.

Une sensation de solitude, de désert, de repos, saisissait l'esprit. La lumière, nuancée par les vitraux, était douce aux yeux.

Du Roy trouva qu'il faisait « rudement bon » là-dedans. Il revint près de la porte, et regarda de nouveau sa montre. Il n'était encore que trois heures quinze. Il s'assit à l'entrée de l'allée principale, en regrettant qu'on ne pût pas fumer une cigarette. On entendait toujours, au bout de l'église, près du chœur, la promenade lente du gros monsieur. Quelqu'un entra. Georges se retourna brusquement. C'était une femme du peuple, en jupe de laine, une pauvre femme, qui tomba a genoux près de la première chaise, et resta immobile, les doigts croisés, le regard au ciel, l'âme envolée dans la prière. Du Roy la regardait avec intérêt, se demandant quel chagrin, quelle douleur, quel désespoir pouvaient broyer ce cœur infime. Elle crevait de misère ; c'était visible. Elle avait peut-être encore un mari qui la tuait de coups ou bien un enfant mourant.

Il murmurait mentalement : « Les pauvres êtres. Y en a-t-il qui souffrent pourtant. » Et une colère lui vint contre l'impitoyable nature. Puis il réfléchit que ces gueux croyaient au moins qu'on s'occupait d'eux là-haut et que leur état civil se trouvait inscrit sur les registres du ciel avec la balance de la dette et de l'avoir. « Là-haut. » Où donc ?

Et Du Roy, que le silence de l'église poussait aux vastes rêves, jugeant d'une pensée la création, prononça, du bout des lèvres : « Comme c'est bête tout ça. Un bruit de robe le fit tressaillir. C'était elle. Il se leva, s'avança vivement. Elle ne lui tendit pas la main, et murmura, à voix basse :

« Je n'ai que peu d'instants. Il faut que je rentre, mettez-vous à genoux, près de moi, pour qu'on ne nous remarque pas. Et elle s'avança dans la grande nef, cherchant un endroit convenable et sûr, en femme qui connaît bien la maison. Sa figure était cachée par un voile épais, et elle marchait à pas sourds qu'on entendait à peine. Quand elle fut arrivée près du chœur, elle se retourna et marmotta, de ce ton toujours mystérieux qu'on garde dans les églises : « Les bas-côtés vaudront mieux. On est trop en vue par ici. Elle salua le tabernacle du maître-autel d'une grande inclinaison de tête, renforcée d'une légère révérence, et elle tourna à droite, revint un peu vers l'entrée, puis, prenant une résolution, elle s'empara d'un prie-Dieu et s'agenouilla. Georges prit possession du prie-Dieu voisin, et, dès qu'ils furent immobiles, dans l'attitude de l'oraison : « Merci, merci, dit-il. Je vous adore. Je voudrais vous le dire toujours, vous raconter comment j'ai commencé à vous aimer, comment j'ai été séduit la première fois que je vous ai vue… Me permettrez-vous, un jour, de vider mon cœur, de vous exprimer tout cela ? Elle l'écoutait dans une attitude de méditation profonde, comme si elle n'eût rien entendu. Elle répondit entre ses doigts :

« Je suis folle de vous laisser me parler ainsi, folle d'être venue, folle de faire ce que je fais, de vous laisser croire que cette… cette… cette aventure peut avoir une suite. Oubliez cela, il le faut, et ne m'en reparlez jamais. Elle attendit. Il cherchait une réponse, des mots décisifs, passionnés, mais ne pouvant joindre les gestes aux paroles, son action se trouvait paralysée.

Il reprit :

« Je n'attends rien… je n'espère rien. Je vous aime. Quoi que vous fassiez, je vous le répéterai si souvent, avec tant de force et d'ardeur, que vous finirez bien par le comprendre. Je veux faire pénétrer en vous ma tendresse, vous la verser dans l'âme, mot par mot, heure par heure, jour par jour, de sorte qu'enfin elle vous imprègne comme une liqueur tombée goutte à goutte, qu'elle vous adoucisse, vous amollisse et vous force, plus tard, à me répondre : « Moi aussi je vous aime. Il sentait trembler son épaule contre lui et sa gorge palpiter ; et elle balbutia, très vite :

« Moi aussi, je vous aime. Il eut un sursaut, comme si un grand coup lui fût tombé sur la tête, et il soupira :

« Oh ! mon Dieu !… »

Elle reprit, d'une voix haletante : « Est-ce que je devrais vous dire cela ? Je me sens coupable et méprisable… moi… qui ai deux filles… mais je ne peux pas… je ne peux pas… Je n'aurais pas cru… je n'aurais jamais pensé… c'est plus fort… plus fort que moi. Écoutez… écoutez… je n'ai jamais aimé… que vous… je vous le jure. Et je vous aime depuis un an, en secret, dans le secret de mon cœur. Oh ! j'ai souffert, allez, et lutté, je ne peux plus, je vous aime… » Elle pleurait dans ses doigts croisés sur son visage, et tout son corps frémissait, secoué par la violence de son émotion.

George murmura :

« Donnez-moi votre main, que je la touche, que je la presse… »

Elle ôta lentement sa main de sa figure. Il vit sa joue toute mouillée, et une goutte d'eau prête à tomber encore au bord des cils. Il avait pris cette main, il la serrait :

« Oh ! comme je voudrais boire vos larmes. Elle dit d'une voix basse et brisée, qui ressemblait à un gémissement : « N'abusez pas de moi… je me suis perdue ! Il eut envie de sourire. Comment aurait-il abusé d'elle en ce lieu ? Il posa sur son cœur la main qu'il tenait, en demandant : « Le sentez-vous battre ? » Car il était à bout de phrases passionnées.

Mais, depuis quelques instants, le pas régulier du promeneur se rapprochait. Il avait fait le tour des autels, et il redescendait, pour la seconde fois au moins, par la petite nef de droite. Quand Mme Walter l'entendit tout près du pilier qui la cachait, elle arracha ses doigts de l'étreinte de Georges, et, de nouveau, se couvrit la figure. Et ils restèrent tous deux immobiles, agenouillés comme s'ils eussent adressé ensemble au ciel des supplications ardentes. Le gros monsieur passa près d'eux, leur jeta un regard indifférent, et s'éloigna vers le bas de l'église en tenant toujours son chapeau dans son dos. Mais Du Roy, qui songeait à obtenir un rendez-vous ailleurs qu'à la Trinité, murmura : « Où vous verrai-je demain ? Elle ne répondit pas. Elle semblait inanimée, changée en statue de la Prière.

Il reprit :

« Demain, voulez-vous que je vous retrouve au parc Monceau ? Elle tourna vers lui sa face redécouverte, une face livide, crispée par une souffrance affreuse, et, d'une voix saccadée : « Laissez-moi… laissez-moi, maintenant… allez-vous-en… allez-vous-en… seulement cinq minutes ; je souffre trop, près de vous… je veux prier… je ne peux pas… allez-vous-en… laissez-moi prier… seule… cinq minutes… je ne peux pas… laissez-moi implorer Dieu qu'il me pardonne… qu'il me sauve… laissez-moi… cinq minutes… » Elle avait un visage tellement bouleversé, une figure si douloureuse, qu'il se leva sans dire un mot, puis après un peu d'hésitation, il demanda : « Je reviendrai tout à l'heure ? Elle fit un signe de tête, qui voulait dire : « Oui, tout à l'heure. » Et il remonta vers le chœur.

Alors, elle tenta de prier. Elle fit un effort d'invocation surhumaine pour appeler Dieu, et, le corps vibrant, l'âme éperdue, elle cria : « Pitié ! » vers le ciel.

Elle fermait ses yeux avec rage pour ne plus voir celui qui venait de s'en aller ! Elle le chassait de sa pensée, elle se débattait contre lui, mais au lieu de l'apparition céleste attendue dans la détresse de son cœur, elle apercevait toujours la moustache frisée du jeune homme. Depuis un an, elle luttait ainsi tous les jours, tous les soirs, contre cette obsession grandissante, contre cette image qui hantait ses rêves, qui hantait sa chair et troublait ses nuits. Elle se sentait prise comme une bête dans un filet, liée, jetée entre les bras de ce mâle qui l'avait vaincue, conquise, rien que par le poil de sa lèvre et par la couleur de ses yeux. Et maintenant, dans cette église, tout près de Dieu, elle se sentait plus faible, plus abandonnée, plus perdue encore que chez elle. Elle ne pouvait plus prier, elle ne pouvait penser qu'à lui. Elle souffrait déjà qu'il se fût éloigné. Elle luttait cependant en désespérée, elle se défendait, appelait du secours de toute la force de son âme. Elle eût voulu mourir, plutôt que de tomber ainsi, elle qui n'avait point failli. Elle murmurait des paroles éperdues de supplication ; mais elle écoutait le pas de Georges s'affaiblir dans le lointain des voûtes. Elle comprit que c'était fini, que la lutte était inutile ! Elle ne voulait pas céder pourtant ; et elle fut saisie par une de ces crises d'énervement qui jettent les femmes, palpitantes, hurlantes et tordues sur le sol. Elle tremblait de tous ses membres, sentant bien qu'elle allait tomber, se rouler entre les chaises en poussant des cris aigus. Quelqu'un s'approchait d'une marche rapide. Elle tourna la tête. C'était un prêtre. Alors elle se leva, courut à lui en tendant ses mains jointes, et elle balbutia : « Oh ! sauvez-moi ! sauvez-moi ! Il s'arrêta surpris : « Qu'est-ce que vous désirez, madame ? – Je veux que nous me sauviez. Ayez pitié de moi. Si vous ne venez pas à mon aide, je suis perdue. Il la regardait, se demandant si elle n'était pas folle. Il reprit :

« Que puis-je faire pour vous ? C'était un jeune homme, grand, un peu gras, aux joues pleines et tombantes, teintées de noir par la barbe rasée avec soin, un beau vicaire de ville, de quartier opulent, habitué aux riches pénitentes. « Recevez ma confession, dit-elle, et conseillez-moi, soutenez-moi, dites-moi ce qu'il faut faire ! Il répondit :

« Je confesse tous les samedis, de trois heures à six heures. Ayant saisi son bras, elle le serrait en répétant :

« Non ! non ! non ! tout de suite ! tout de suite ! Il le faut ! Il est là ! Dans cette église ! Il m'attend. Le prêtre demanda :

« Qui est-ce qui vous attend ?

– Un homme… qui va me perdre… qui va me prendre, si vous ne me sauvez pas… Je ne peux plus le fuir…

Je suis trop faible… trop faible… si faible… si faible !… »

Elle s'abattit à ses genoux, et sanglotant : « Oh ! ayez pitié de moi, mon père ! Sauvez-moi, au nom de Dieu, sauvez-moi ! Elle le tenait par sa robe noire pour qu'il ne pût s'échapper ; et lui, inquiet, regardait de tous les côtés si quelque œil malveillant ou dévot ne voyait point cette femme tombée à ses pieds. Comprenant, enfin, qu'il ne lui échapperait pas : « Relevez-vous, dit-il, j'ai justement sur moi la clef du confessionnal. » Et fouillant dans sa poche, il en tira un anneau garni de clefs, puis il en choisit une, et il se dirigea, d'un pas rapide, vers les petites cabanes de bois, sorte de boîtes aux ordures de l'âme, où les croyants vident leurs péchés. Il entra par la porte du milieu qu'il referma sur lui, et Mme Walter, s'étant jetée dans l'étroite case d'à côté, balbutia avec ferveur, avec un élan passionné d'espérance : « Bénissez-moi, mon père, parce que j'ai péché. ........

Du Roy, ayant fait le tour du chœur, descendit la nef de gauche. Il arrivait au milieu quand il rencontra le gros monsieur chauve, allant toujours de son pas tranquille, et il se demanda :

« Qu'est-ce que ce particulier-là peut bien faire ici ? Le promeneur aussi avait ralenti sa marche et regardait Georges avec un désir visible de lui parler. Quand il fut tout près, il salua, et très poliment :

« Je vous demande pardon, monsieur, de vous déranger, mais pourriez-vous me dire à quelle époque a été construit ce monument ? Du Roy répondit :

« Ma foi, je n'en sais trop rien, je pense qu'il y a vingt ans, ou vingt-cinq ans. C'est, d'ailleurs, la première fois que j'y entre. – Moi aussi. Je ne l'avais jamais vu. Alors, le journaliste, qu'un intérêt gagnait, reprit : « Il me semble que vous le visitez avec grand soin. Vous l'étudiez dans ses détails. L'autre, avec résignation : « Je ne le visite pas, monsieur, j'attends ma femme qui m'a donné rendez-vous ici, et qui est fort en retard. Puis il se tut, et après quelques secondes :

« Il fait rudement chaud, dehors. Du Roy le considérait, lui trouvant une bonne tête, et, tout à coup, il s'imagina qu'il ressemblait à Forestier. « Vous êtes de la province ? dit-il.

– Oui. Je suis de Rennes. Et vous, monsieur, c'est par curiosité que vous êtes entré dans cette église ? – Non. J'attends une femme, moi. Et l'ayant salué, le journaliste s'éloigna, le sourire aux lèvres. En approchant de la grande porte, il revit la pauvresse, toujours à genoux et priant toujours. Il pensa :

« Cristi ! elle a l'invocation tenace. » Il n'était plus ému, il ne la plaignait plus. Il passa, et, doucement, se mit à remonter la nef de droite pour retrouver Mme Walter.

Il guettait de loin la place où il l'avait laissée, s'étonnant de ne pas l'apercevoir. Il crut s'être trompé de pilier, alla jusqu'au dernier, et revint ensuite. Elle était donc partie ! Il demeurait surpris et furieux. Puis il s'imagina qu'elle le cherchait, et il refit le tour de l'église. Ne l'ayant point trouvée, il retourna s'asseoir sur la chaise qu'elle avait occupée, espérant qu'elle l'y rejoindrait. Et il attendit.

Bientôt un léger murmure de voix éveilla son attention. Il n'avait vu personne dans ce coin de l'église. D'où venait donc ce chuchotement ? Il se leva pour chercher, et il aperçut, dans la chapelle voisine, les portes du confessionnal. Un bout de robe sortait de l'une et traînait sur le pavé. Il s'approcha pour examiner la femme. Il la reconnut. Elle se confessait !…

Il sentit un désir violent de la prendre par les épaules et de l'arracher de cette boîte. Puis il pensa : « Bah ! c'est le tour du curé, ce sera le mien demain. » Et il s'assit tranquillement en face des guichets de la pénitence, attendant son heure, et ricanant, à présent, de l'aventure. Il attendit longtemps. Enfin, Mme Walter se releva, se retourna, le vit et vint à lui. Elle avait un visage froid et sévère.

« Monsieur, dit-elle, je vous prie de ne pas m'accompagner, de ne pas me suivre, et de ne plus venir, seul, chez moi. Vous ne seriez point reçu. Adieu ! Et elle s'en alla, d'une démarche digne. Il la laissa s'éloigner, car il avait pour principe de ne jamais forcer les événements. Puis comme le prêtre, un peu troublé, sortait à son tour de son réduit, il marcha droit à lui, et le regardant au fond des yeux, il lui grogna dans le nez :

« Si vous ne portiez point une jupe, vous, quelle paire de soufflets sur votre vilain museau. Puis il pivota sur ses talons et sortit de l'église en sifflotant. Debout sous le portail, le gros monsieur, le chapeau sur la tête et les mains derrière le dos, las d'attendre, parcourait du regard la vaste place et toutes les rues qui s'y rejoignent. Quand Du Roy passa près de lui, ils se saluèrent.

Le journaliste, se trouvant libre, descendit à La Vie Française . Dès l'entrée, il vit à la mine affairée des garçons qu'il se passait des choses anormales, et il entra brusquement dans le cabinet du directeur. Le père Walter, debout, nerveux, dictait un article par phrases hachées, donnait, entre deux alinéas, des missions à ses reporters qui l'entouraient, faisait des recommandations à Boisrenard, et décachetait des lettres. Quand Du Roy entra, le patron poussa un cri de joie :

« Ah ! quelle chance, voilà Bel-Ami ! Il s'arrêta net, un peu confus, et s'excusa : « Je vous demande pardon de vous avoir appelé ainsi, je suis très troublé par les circonstances. Et puis, j'entends ma femme et mes filles vous nommer « Bel-Ami » du matin au soir, et je finis par en prendre moi-même l'habitude. Vous ne m'en voulez pas ? Georges riait :

« Pas du tout. Ce surnom n'a rien qui me déplaise. Le père Walter reprit :

« Très bien, alors je vous baptise Bel-Ami comme tout le monde. Eh bien ! voilà, nous avons de gros événements. Le ministère est tombé sur un vote de trois cent dix voix contre cent deux. Nos vacances sont encore remises, remises aux calendes grecques, et nous voici au 28 juillet. L'Espagne se fâche pour le Maroc, c'est ce qui a jeté bas Durand de l'Aine et ses acolytes. Nous sommes dans le pétrin jusqu'au cou. Marrot est chargé de former un nouveau cabinet. Il prend le général Boutin d'Acre à la Guerre et notre ami Laroche-Mathieu aux Affaires étrangères. Il garde lui-même le portefeuille de l'Intérieur, avec la présidence du Conseil. Nous allons devenir une feuille officieuse. Je fais l'article de tête, une simple déclaration de principes, en traçant leur voie aux ministres. Le bonhomme sourit et reprit :

« La voie qu'ils comptent suivre, bien entendu. Mais il me faudrait quelque chose d'intéressant sur la question du Maroc, une actualité, une chronique à effet, à sensation, je ne sais quoi ? Trouvez-moi ça, vous. Du Roy réfléchit une seconde puis répondit :

« J'ai votre affaire. Je vous donne une étude sur la situation politique de toute notre colonie africaine, avec la Tunisie à gauche, l'Algérie au milieu, et le Maroc à droite, l'histoire des races qui peuplent ce grand territoire, et le récit d'une excursion sur la frontière marocaine jusqu'à la grande oasis de Figuig où aucun Européen n'a pénétré et qui est la cause du conflit actuel. Ça vous va-t-il ? Le père Walter s'écria : « Admirable ! Et quel titre ?

– De Tunis à Tanger !

– Superbe. Et Du Roy s'en alla fouiller dans la collection de La Vie Française pour retrouver son premier article : « Les Mémoires d'un chasseur d'Afrique », qui, débaptisé, retapé et modifié, ferait admirablement l'affaire, d'un bout à l'autre, puisqu'il y était question de politique coloniale, de la population algérienne et d'une excursion dans la province d'Oran. En trois quarts d'heure, la chose fut refaite, rafistolée, mise au point, avec une saveur d'actualité et des louanges pour le nouveau cabinet. Le directeur, ayant lu l'article, déclara : « C'est parfait… parfait… parfait. Vous êtes un homme précieux. Tous mes compliments. Et Du Roy rentra dîner, enchanté de sa journée, malgré l'échec de la Trinité, car il sentait bien la partie gagnée. Sa femme, fiévreuse, l'attendait. Elle s'écria en le voyant : « Tu sais que Laroche est ministre des Affaires étrangères.

– Oui, je viens même de faire un article sur l'Algérie à ce sujet. – Quoi donc ?

– Tu le connais, le premier que nous ayons écrit ensemble : « Les Mémoires d'un chasseur d'Afrique », revu et corrigé pour la circonstance. Elle sourit.

« Ah ! oui, mais ça va très bien. Puis après avoir songé quelques instants :

« J'y pense, cette suite que tu devais faire alors, et que tu as… laissée en route. Nous pouvons nous y mettre à présent. Ça nous donnera une jolie série bien en situation. Il répondit en s'asseyant devant son potage : « Parfaitement. Rien ne s'y oppose plus, maintenant que ce cocu de Forestier est trépassé. Elle répliqua vivement d'un ton sec, blessé : « Cette plaisanterie est plus que déplacée, et je te prie d'y mettre un terme. Voilà trop longtemps qu'elle dure. Il allait riposter avec ironie ; on lui apporta une dépêche contenant cette seule phrase, sans signature :

« J'avais perdu la tête. Pardonnez-moi et venez demain, quatre heures, au parc Monceau. Il comprit, et, le cœur tout à coup plein de joie, il dit à sa femme, en glissant le papier bleu dans sa poche :

« Je ne le ferai plus, ma chérie. C'est bête. Je le reconnais. Et il recommença à dîner.

Tout en mangeant, il se répétait ces quelques mots :

« J'avais perdu la tête, pardonnez-moi, et venez demain, quatre heures, au parc Monceau. » Donc elle cédait. Cela voulait dire : « Je me rends, je suis à vous, où vous voudrez, quand vous voudrez. Il se mit à rire. Madeleine demanda :

« Qu'est-ce que tu as ? – Pas grand-chose. Je pense à un curé que j'ai rencontré tantôt, et qui avait une bonne binette. Du Roy arriva juste à l'heure au rendez-vous du lendemain. Sur tous les bancs du parc étaient assis des bourgeois accablés par la chaleur, et des bonnes nonchalantes qui semblaient rêver pendant que les enfants se roulaient dans le sable des chemins.

Il trouva Mme Walter dans la petite ruine antique où coule une source. Elle faisait le tour du cirque étroit de colonnettes, d'un air inquiet et malheureux. Aussitôt qu'il l'eut saluée : « Comme il y a du monde dans ce jardin ! » dit-elle.

Il saisit l'occasion : Oui, c'est vrai ; voulez-vous venir autre part ? – Mais où ?

– N'importe où, dans une voiture, par exemple. Vous baisserez le store de votre côté, et vous serez bien à l'abri. – Oui, j'aime mieux ça ; ici je meurs de peur. – Eh bien, vous allez me retrouver dans cinq minutes à la porte qui donne sur le boulevard extérieur. J'y arriverai avec un fiacre. Et il partit en courant. Dès qu'elle l'eut rejoint et qu'elle eut bien voilé la vitre de son côté, elle demanda : « Où avez-vous dit au cocher de nous conduire ? Georges répondit :

« Ne vous occupez de rien, il est au courant. Il avait donné à l'homme l'adresse de son appartement de la rue de Constantinople. Elle reprit :

« Vous ne vous figurez pas comme je souffre à cause de vous, comme je suis tourmentée et torturée. Hier, j'ai été dure, dans l'église, mais je voulais vous fuir à tout prix. J'ai tellement peur de me trouver seule avec vous. M'avez-vous pardonné ? Il lui serrait les mains :

« Oui, oui. Qu'est-ce que je ne vous pardonnerais pas, vous aimant comme je vous aime ? Elle le regardait d'un air suppliant. « Écoutez, il faut me promettre de me respecter… de ne pas… de ne pas… autrement je ne pourrais plus vous revoir. Il ne répondit point d'abord ; il avait sous la moustache ce sourire fin qui troublait les femmes. Il finit par murmurer :

« Je suis votre esclave. Alors elle se mit à lui raconter comment elle s'était aperçue qu'elle l'aimait en apprenant qu'il allait épouser Madeleine Forestier. Elle donnait des détails, de petits détails de dates et de choses intimes.

Soudain elle se tut. La voiture venait de s'arrêter. Du Roy ouvrit la portière.

« Où sommes-nous ? » dit-elle.

Il répondit :

« Descendez et entrez dans cette maison. Nous y serons plus tranquilles.

– Mais où sommes-nous ?

– Chez moi. C'est mon appartement de garçon que j'ai repris… pour quelques jours… pour avoir un coin où nous puissions nous voir. Elle s'était cramponnée au capiton du fiacre, épouvantée à l'idée de ce tête-à-tête, et elle balbutiait : « Non, non, je ne veux pas ! Je ne veux pas ! Il prononça d'une voix énergique : « Je vous jure de vous respecter. Venez. Vous voyez bien qu'on nous regarde, qu'on va se rassembler autour de nous. Dépêchez-vous… dépêchez-vous… descendez. Et il répéta :

« Je vous jure de vous respecter. Un marchand de vin sur sa porte les regardait d'un air curieux. Elle fut saisie de terreur et s'élança dans la maison. Elle allait monter l'escalier. Il la retint par le bras :

« C'est ici, au rez-de-chaussée. Et il la poussa dans son logis.

Dès qu'il eut refermé la porte, il la saisit comme une proie. Elle se débattait, luttait, bégayait :

« Oh ! mon Dieu !… oh ! mon Dieu !… »

Il lui baisait le cou, les yeux, les lèvres avec emportement, sans qu'elle pût éviter ses caresses furieuses ; et tout en le repoussant, tout en fuyant sa bouche, elle lui rendait, malgré elle, ses baisers. Tout d'un coup elle cessa de se débattre, et vaincue, résignée, se laissa dévêtir par lui. Il enlevait une à une, adroitement et vite, toutes les parties de son costume, avec des doigts légers de femme de chambre.

Elle lui avait arraché des mains son corsage pour se cacher la figure dedans, et elle demeurait debout, toute blanche, au milieu de ses robes abattues à ses pieds.

Il lui laissa ses bottines et l'emporta dans ses bras vers le lit. Alors, elle lui murmura à l'oreille, d'une voix brisée : « Je vous jure… je vous jure… que je n'ai jamais eu d'amant. » Comme une jeune fille aurait dit : « Je vous jure que je suis vierge. Et il pensait : « Voilà ce qui m'est bien égal, par exemple.


Bel Ami - Partie 2 Chapitre 4 Bel Ami - Part 2 Chapter 4 Bel Ami - Parte 2 Capítulo 4

– IV –

La place de la Trinité était presque déserte, sous un éclatant soleil de juillet. Trinity Square was almost deserted under a bright July sun. Une chaleur pesante écrasait Paris, comme si l'air de là-haut, alourdi, brûlé, était retombé sur la ville, de l'air épais et cuisant qui faisait mal dans la poitrine. Les chutes d'eau, devant l'église, tombaient mollement. The waterfalls, in front of the church, fell softly. Elles semblaient fatiguées de couler, lasses et molles aussi, et le liquide du bassin où flottaient des feuilles et des bouts de papier avait l'air un peu verdâtre, épais et glauque. They seemed tired of running, tired and limp as well, and the liquid in the pool, where leaves and pieces of paper floated, looked a little greenish, thick and gloomy. Un chien, ayant sauté par-dessus le rebord de pierre, se baignait dans cette onde douteuse. A dog, having jumped over the stone ledge, was bathing in this dubious wave. Quelques personnes, assises sur les bancs du petit jardin rond qui contourne le portail, regardaient cette bête avec envie. A few people, sitting on the benches of the little round garden around the gate, looked at this animal with envy.

Du Roy tira sa montre. Du Roy pulled out his watch. Il n'était encore que trois heures. It was only three o'clock. Il avait trente minutes d'avance. Il riait en pensant à ce rendez-vous. He laughed as he thought of this meeting. « Les églises lui sont bonnes à tous les usages, se disait-il. "The churches are good for all purposes," he said to himself. Elles la consolent d'avoir épousé un juif, lui donnent une attitude de protestation dans le monde politique, une allure comme il faut dans le monde distingué, et un abri pour ses rencontres galantes. They console her for having married a Jew, give her an attitude of protest in the political world, a proper pace in the distinguished world, and a shelter for her gallant encounters. Ce que c'est que l'habitude de se servir de la religion comme on se sert d'un en-tout-cas. What is the habit of using religion as one uses in any case. S'il fait beau, c'est une canne ; s'il fait du soleil, c'est une ombrelle ; s'il pleut, c'est un parapluie, et, si on ne sort pas, on le laisse dans l'antichambre. If the weather is nice, it's a cane; if it is sunny, it is an umbrella; if it rains, it's an umbrella, and if you do not go out, leave it in the antechamber. Et elles sont des centaines comme ça, qui se fichent du bon Dieu comme d'une guigne, mais qui ne veulent pas qu'on en dise du mal et qui le prennent à l'occasion pour entremetteur. And they are hundreds like that, who do not care about the good God like a worm, but who do not want to be told of the evil and who take it occasionally for matchmaker. Si on leur proposait d'entrer dans un hôtel meublé, elles trouveraient ça une infamie, et il leur semble tout simple de filer l'amour au pied des autels. If they were offered to enter a furnished hotel, they would find it an infamy, and it seems simple to them to spin love at the foot of the altars. Il marchait lentement le long du bassin ; puis il regarda l'heure de nouveau à l'horloge du clocher, qui avançait de deux minutes sur sa montre. He walked slowly along the basin; then he looked back at the bell tower clock, which was two minutes ahead of his watch. Elle indiquait trois heures cinq.

Il jugea qu'il serait encore mieux dedans ; et il entra. He judged that he would be even better in it; and he entered. Une fraîcheur de cave le saisit ; il l'aspira avec bonheur, puis il fit le tour de la nef pour bien connaître l'endroit. A cool cellar seizes him; he sucked it with happiness, then he went round the nave to know the place well. Une autre marche régulière, interrompue parfois, puis recommençant, répondait, au fond du vaste monument, au bruit de ses pieds qui montait sonore sous la haute voûte. Another regular march, sometimes interrupted, then recommenced, answered, at the bottom of the vast monument, at the sound of his feet which rose sound under the high vault. La curiosité lui vint de connaître ce promeneur. Curiosity came to him to know this walker. Il le chercha. C'était un gros homme chauve, qui allait le nez en l'air, le chapeau derrière le dos. He was a big, bald man, with his nose in the air, the hat behind his back. De place en place, une vieille femme agenouillée priait, la figure dans ses mains. From place to place, an old kneeling woman prayed, her face in her hands.

Une sensation de solitude, de désert, de repos, saisissait l'esprit. A feeling of loneliness, of desert, of rest, seized the spirit. La lumière, nuancée par les vitraux, était douce aux yeux.

Du Roy trouva qu'il faisait « rudement bon » là-dedans. Du Roy thought he was "pretty good" in there. Il revint près de la porte, et regarda de nouveau sa montre. He came back to the door and looked at his watch again. Il n'était encore que trois heures quinze. Il s'assit à l'entrée de l'allée principale, en regrettant qu'on ne pût pas fumer une cigarette. He sat down at the entrance to the main alley, regretting that he could not smoke a cigarette. On entendait toujours, au bout de l'église, près du chœur, la promenade lente du gros monsieur. At the end of the church, near the choir, was always heard the slow walk of the fat gentleman. Quelqu'un entra. Georges se retourna brusquement. C'était une femme du peuple, en jupe de laine, une pauvre femme, qui tomba a genoux près de la première chaise, et resta immobile, les doigts croisés, le regard au ciel, l'âme envolée dans la prière. She was a woman of the people, in a woolen skirt, a poor woman, who fell on her knees near the first chair, and remained motionless, her fingers crossed, her eyes on the sky, her soul fluttering in prayer. Du Roy la regardait avec intérêt, se demandant quel chagrin, quelle douleur, quel désespoir pouvaient broyer ce cœur infime. Du Roy looked at her with interest, wondering what sorrow, what pain, what despair could crush this tiny heart. Elle crevait de misère ; c'était visible. She was dying of misery; you could see it. Elle avait peut-être encore un mari qui la tuait de coups ou bien un enfant mourant. Perhaps she still had a husband who killed her or a dying child.

Il murmurait mentalement : « Les pauvres êtres. He murmured mentally, "The poor beings. Y en a-t-il qui souffrent pourtant. Are there any who suffer, however? » Et une colère lui vint contre l'impitoyable nature. And an anger came to him against pitiless nature. Puis il réfléchit que ces gueux croyaient au moins qu'on s'occupait d'eux là-haut et que leur état civil se trouvait inscrit sur les registres du ciel avec la balance de la dette et de l'avoir. Then he reflected that these beggars believed at least that they were being cared for up there and that their civil status was inscribed on the registers of heaven with the balance of the debt and having it. « Là-haut. » Où donc ? " Or so ?

Et Du Roy, que le silence de l'église poussait aux vastes rêves, jugeant d'une pensée la création, prononça, du bout des lèvres : « Comme c'est bête tout ça. And Du Roy, whom the silence of the church urged on vast dreams, judging creations with a thought, said, with a lip, "How silly all that. Un bruit de robe le fit tressaillir. A noise of dress made him flinch. C'était elle. Il se leva, s'avança vivement. Elle ne lui tendit pas la main, et murmura, à voix basse :

« Je n'ai que peu d'instants. "I only have a few moments. Il faut que je rentre, mettez-vous à genoux, près de moi, pour qu'on ne nous remarque pas. I must go home, kneel down near me so that we do not notice. Et elle s'avança dans la grande nef, cherchant un endroit convenable et sûr, en femme qui connaît bien la maison. And she advanced in the great nave, looking for a suitable and safe place, as a woman who knows the house well. Sa figure était cachée par un voile épais, et elle marchait à pas sourds qu'on entendait à peine. Her face was hidden by a thick veil, and she walked with deaf steps, which could scarcely be heard. Quand elle fut arrivée près du chœur, elle se retourna et marmotta, de ce ton toujours mystérieux qu'on garde dans les églises : When she arrived near the choir, she turned and muttered, in that ever mysterious tone that is kept in the churches: « Les bas-côtés vaudront mieux. "The aisles will be better. On est trop en vue par ici. Elle salua le tabernacle du maître-autel d'une grande inclinaison de tête, renforcée d'une légère révérence, et elle tourna à droite, revint un peu vers l'entrée, puis, prenant une résolution, elle s'empara d'un prie-Dieu et s'agenouilla. She greeted the tabernacle of the high altar with a great inclination of her head, reinforced by a slight bow, and she turned to the right, returned a little towards the entrance, then, taking a resolution, she seized a prayed to God and knelt down. Georges prit possession du prie-Dieu voisin, et, dès qu'ils furent immobiles, dans l'attitude de l'oraison : George took possession of the neighboring prie-Dieu, and, as soon as they were motionless, in the attitude of prayer: « Merci, merci, dit-il. Je vous adore. Je voudrais vous le dire toujours, vous raconter comment j'ai commencé à vous aimer, comment j'ai été séduit la première fois que je vous ai vue… Me permettrez-vous, un jour, de vider mon cœur, de vous exprimer tout cela ? I would like to say it to you always, to tell you how I began to love you, how I was seduced the first time that I saw you ... Will you allow me, one day, to empty my heart, to express you all that? Elle l'écoutait dans une attitude de méditation profonde, comme si elle n'eût rien entendu. She listened to him in an attitude of profound meditation, as if she had heard nothing. Elle répondit entre ses doigts :

« Je suis folle de vous laisser me parler ainsi, folle d'être venue, folle de faire ce que je fais, de vous laisser croire que cette… cette… cette aventure peut avoir une suite. "I'm crazy to let you talk to me like that, crazy to have come, crazy to do what I do, to let you believe that this ... this ... this adventure can have a sequel. Oubliez cela, il le faut, et ne m'en reparlez jamais. Forget it, you must, and never talk to me again. Elle attendit. She waited. Il cherchait une réponse, des mots décisifs, passionnés, mais ne pouvant joindre les gestes aux paroles, son action se trouvait paralysée. He sought an answer, decisive words, passionate, but not being able to join gestures to words, his action was paralyzed.

Il reprit :

« Je n'attends rien… je n'espère rien. "I'm not expecting anything ... I do not hope for anything. Je vous aime. Quoi que vous fassiez, je vous le répéterai si souvent, avec tant de force et d'ardeur, que vous finirez bien par le comprendre. Whatever you do, I will repeat it to you so often, with so much force and ardor, that you will eventually understand it. Je veux faire pénétrer en vous ma tendresse, vous la verser dans l'âme, mot par mot, heure par heure, jour par jour, de sorte qu'enfin elle vous imprègne comme une liqueur tombée goutte à goutte, qu'elle vous adoucisse, vous amollisse et vous force, plus tard, à me répondre : « Moi aussi je vous aime. I want to make penetrate in you my tenderness, to pour it into your soul, word by word, hour by hour, day by day, so that finally it impregnates you like a drip liquor, that it softens you , soften you and force you, later, to answer me: "Me too I love you. Il sentait trembler son épaule contre lui et sa gorge palpiter ; et elle balbutia, très vite : He felt his shoulder tremble against him, and his throat trembling; and she stammered, very quickly:

« Moi aussi, je vous aime. Il eut un sursaut, comme si un grand coup lui fût tombé sur la tête, et il soupira : He gave a start, as if a great blow had fallen on his head, and he sighed:

« Oh ! mon Dieu !… »

Elle reprit, d'une voix haletante : She resumed, in a panting voice: « Est-ce que je devrais vous dire cela ? "Should I tell you that? Je me sens coupable et méprisable… moi… qui ai deux filles… mais je ne peux pas… je ne peux pas… Je n'aurais pas cru… je n'aurais jamais pensé… c'est plus fort… plus fort que moi. I feel guilty and despicable ... me ... who have two daughters ... but I can not ... I can not ... I would not have believed ... I never thought ... it's stronger ... stronger than me. Écoutez… écoutez… je n'ai jamais aimé… que vous… je vous le jure. Listen ... listen ... I never liked ... that you ... I swear to you. Et je vous aime depuis un an, en secret, dans le secret de mon cœur. And I have loved you for a year, secretly, in the secret of my heart. Oh ! j'ai souffert, allez, et lutté, je ne peux plus, je vous aime… » Elle pleurait dans ses doigts croisés sur son visage, et tout son corps frémissait, secoué par la violence de son émotion. She cried in her crossed fingers on her face, and her whole body quivered, shaken by the violence of her emotion.

George murmura :

« Donnez-moi votre main, que je la touche, que je la presse… »

Elle ôta lentement sa main de sa figure. She slowly removed her hand from her face. Il vit sa joue toute mouillée, et une goutte d'eau prête à tomber encore au bord des cils. He saw his cheek wet, and a drop of water ready to fall still on the edge of the eyelashes. Il avait pris cette main, il la serrait :

« Oh ! comme je voudrais boire vos larmes. Elle dit d'une voix basse et brisée, qui ressemblait à un gémissement : She said in a low, broken voice, which sounded like a groan: « N'abusez pas de moi… je me suis perdue ! "Do not abuse me ... I'm lost! Il eut envie de sourire. He wanted to smile. Comment aurait-il abusé d'elle en ce lieu ? How would he have abused her in this place? Il posa sur son cœur la main qu'il tenait, en demandant : « Le sentez-vous battre ? He put his hand on his heart, asking: "Do you feel it beat? » Car il était à bout de phrases passionnées. For he was tired of passionate phrases.

Mais, depuis quelques instants, le pas régulier du promeneur se rapprochait. But, for a few moments, the regular pace of the walker was approaching. Il avait fait le tour des autels, et il redescendait, pour la seconde fois au moins, par la petite nef de droite. He had gone round the altars, and he was coming down again, for the second time at least, by the little nave on the right. Quand Mme Walter l'entendit tout près du pilier qui la cachait, elle arracha ses doigts de l'étreinte de Georges, et, de nouveau, se couvrit la figure. When Madame Walter heard her close to the pillar that was hiding her, she tore her fingers from George's embrace, and again covered her face. Et ils restèrent tous deux immobiles, agenouillés comme s'ils eussent adressé ensemble au ciel des supplications ardentes. And they both remained motionless, kneeling as if they had sent ardent supplications together to heaven. Le gros monsieur passa près d'eux, leur jeta un regard indifférent, et s'éloigna vers le bas de l'église en tenant toujours son chapeau dans son dos. Mais Du Roy, qui songeait à obtenir un rendez-vous ailleurs qu'à la Trinité, murmura : But Du Roy, who was thinking of getting an appointment somewhere other than Trinity, murmured: « Où vous verrai-je demain ? "Where will I see you tomorrow? Elle ne répondit pas. She did not answer. Elle semblait inanimée, changée en statue de la Prière. She seemed inanimate, changed into a statue of Prayer.

Il reprit : He said :

« Demain, voulez-vous que je vous retrouve au parc Monceau ? "Tomorrow, do you want me to meet you at Parc Monceau? Elle tourna vers lui sa face redécouverte, une face livide, crispée par une souffrance affreuse, et, d'une voix saccadée : She turned to him her face rediscovered, a livid face, tense with horrible suffering, and, in a jerky voice: « Laissez-moi… laissez-moi, maintenant… allez-vous-en… allez-vous-en… seulement cinq minutes ; je souffre trop, près de vous… je veux prier… je ne peux pas… allez-vous-en… laissez-moi prier… seule… cinq minutes… je ne peux pas… laissez-moi implorer Dieu qu'il me pardonne… qu'il me sauve… laissez-moi… cinq minutes… » Elle avait un visage tellement bouleversé, une figure si douloureuse, qu'il se leva sans dire un mot, puis après un peu d'hésitation, il demanda : « Je reviendrai tout à l'heure ? "Will I come back later? Elle fit un signe de tête, qui voulait dire : « Oui, tout à l'heure. She nodded, which meant, "Yes, just now. » Et il remonta vers le chœur.

Alors, elle tenta de prier. Elle fit un effort d'invocation surhumaine pour appeler Dieu, et, le corps vibrant, l'âme éperdue, elle cria : « Pitié ! She made a superhuman invocation effort to call God, and, her body vibrating, her soul desperate, she cried, "Pity! » vers le ciel.

Elle fermait ses yeux avec rage pour ne plus voir celui qui venait de s'en aller ! She closed her eyes furiously to avoid seeing the one who had just left! Elle le chassait de sa pensée, elle se débattait contre lui, mais au lieu de l'apparition céleste attendue dans la détresse de son cœur, elle apercevait toujours la moustache frisée du jeune homme. She drove him out of his mind, she struggled against him, but instead of the heavenly apparition expected in the distress of her heart, she could still see the young man's curly mustache. Depuis un an, elle luttait ainsi tous les jours, tous les soirs, contre cette obsession grandissante, contre cette image qui hantait ses rêves, qui hantait sa chair et troublait ses nuits. For a year now, she had been fighting every day, every night, against this growing obsession, against the image that haunted her dreams, haunted her flesh and troubled her nights. Elle se sentait prise comme une bête dans un filet, liée, jetée entre les bras de ce mâle qui l'avait vaincue, conquise, rien que par le poil de sa lèvre et par la couleur de ses yeux. She felt like a beast in a net, tied, thrown into the arms of this male who had conquered her, conquered, just by the hair of her lip and the color of her eyes. Et maintenant, dans cette église, tout près de Dieu, elle se sentait plus faible, plus abandonnée, plus perdue encore que chez elle. And now, in this church, close to God, she felt weaker, more abandoned, more lost than at home. Elle ne pouvait plus prier, elle ne pouvait penser qu'à lui. Elle souffrait déjà qu'il se fût éloigné. Elle luttait cependant en désespérée, elle se défendait, appelait du secours de toute la force de son âme. Elle eût voulu mourir, plutôt que de tomber ainsi, elle qui n'avait point failli. She would have liked to die rather than fall like that, she who had not failed. Elle murmurait des paroles éperdues de supplication ; mais elle écoutait le pas de Georges s'affaiblir dans le lointain des voûtes. She murmured desperate words of supplication; but she listened to George's footstep weakening in the distance from the vaults. Elle comprit que c'était fini, que la lutte était inutile ! Elle ne voulait pas céder pourtant ; et elle fut saisie par une de ces crises d'énervement qui jettent les femmes, palpitantes, hurlantes et tordues sur le sol. She did not want to give way though; and she was seized by one of those fits of irritation that throws the women, throbbing, howling and twisted on the floor. Elle tremblait de tous ses membres, sentant bien qu'elle allait tomber, se rouler entre les chaises en poussant des cris aigus. She was shaking in all her limbs, feeling that she was going to fall, rolling between the chairs, uttering loud cries. Quelqu'un s'approchait d'une marche rapide. Someone was approaching a brisk walk. Elle tourna la tête. C'était un prêtre. Alors elle se leva, courut à lui en tendant ses mains jointes, et elle balbutia : « Oh ! Then she got up, ran to him, holding out her clasped hands, and she stammered: "Oh! sauvez-moi ! sauvez-moi ! Il s'arrêta surpris : He stopped surprised: « Qu'est-ce que vous désirez, madame ? "What do you want, ma'am? – Je veux que nous me sauviez. - I want us to save myself. Ayez pitié de moi. Have mercy on me. Si vous ne venez pas à mon aide, je suis perdue. If you do not come to my help, I am lost. Il la regardait, se demandant si elle n'était pas folle. He was looking at her, wondering if she was crazy. Il reprit : He said :

« Que puis-je faire pour vous ? C'était un jeune homme, grand, un peu gras, aux joues pleines et tombantes, teintées de noir par la barbe rasée avec soin, un beau vicaire de ville, de quartier opulent, habitué aux riches pénitentes. He was a young man, tall, a little fat, with full, drooping cheeks, tinged with black by a carefully shaved beard, a handsome vicar of the city, of an opulent district, accustomed to rich penitents. « Recevez ma confession, dit-elle, et conseillez-moi, soutenez-moi, dites-moi ce qu'il faut faire ! "Receive my confession," she said, "and counsel me, support me, tell me what to do! Il répondit : He answered :

« Je confesse tous les samedis, de trois heures à six heures. "I confess every Saturday, from three o'clock to six o'clock. Ayant saisi son bras, elle le serrait en répétant : Having seized her arm, she squeezed it, repeating:

« Non ! " No ! non ! non ! tout de suite ! tout de suite ! Il le faut ! Il est là ! Dans cette église ! Il m'attend. Le prêtre demanda :

« Qui est-ce qui vous attend ?

– Un homme… qui va me perdre… qui va me prendre, si vous ne me sauvez pas… Je ne peux plus le fuir… - A man ... who will lose me ... who will take me, if you do not save me ... I can not run away ...

Je suis trop faible… trop faible… si faible… si faible !… »

Elle s'abattit à ses genoux, et sanglotant : She fell to her knees, and sobbing: « Oh ! ayez pitié de moi, mon père ! Sauvez-moi, au nom de Dieu, sauvez-moi ! Elle le tenait par sa robe noire pour qu'il ne pût s'échapper ; et lui, inquiet, regardait de tous les côtés si quelque œil malveillant ou dévot ne voyait point cette femme tombée à ses pieds. She was holding him by her black dress so that he could not escape; and he, anxious, looked on all sides if any malicious or devout eye did not see this woman fallen at his feet. Comprenant, enfin, qu'il ne lui échapperait pas : Understanding, finally, that he would not escape him: « Relevez-vous, dit-il, j'ai justement sur moi la clef du confessionnal. "Rise up," he said, "I have the key of the confessional on me. » Et fouillant dans sa poche, il en tira un anneau garni de clefs, puis il en choisit une, et il se dirigea, d'un pas rapide, vers les petites cabanes de bois, sorte de boîtes aux ordures de l'âme, où les croyants vident leurs péchés. And, rummaging in his pocket, he took out a ring of keys, then he chose one, and he made a quick step towards the little wooden huts, a sort of garbage boxes of the soul. where believers empty their sins. Il entra par la porte du milieu qu'il referma sur lui, et Mme Walter, s'étant jetée dans l'étroite case d'à côté, balbutia avec ferveur, avec un élan passionné d'espérance : He entered by the middle door, which he closed on him, and Madame Walter, having thrown herself into the narrow box next door, stammered fervently, with a passionate impulse of hope. « Bénissez-moi, mon père, parce que j'ai péché. "Bless me, father, because I have sinned. ........

Du Roy, ayant fait le tour du chœur, descendit la nef de gauche. Du Roy, having gone round the choir, descended the nave on the left. Il arrivait au milieu quand il rencontra le gros monsieur chauve, allant toujours de son pas tranquille, et il se demanda : He came in the middle when he met the bald big man, still walking with his still pace, and he wondered:

« Qu'est-ce que ce particulier-là peut bien faire ici ? "What can this particular person do here? Le promeneur aussi avait ralenti sa marche et regardait Georges avec un désir visible de lui parler. The walker, too, slowed down and looked at George with a visible desire to speak to him. Quand il fut tout près, il salua, et très poliment : When he was near, he bowed, and very politely:

« Je vous demande pardon, monsieur, de vous déranger, mais pourriez-vous me dire à quelle époque a été construit ce monument ? "I beg your pardon, sir, for disturbing you, but could you tell me when was this monument built? Du Roy répondit :

« Ma foi, je n'en sais trop rien, je pense qu'il y a vingt ans, ou vingt-cinq ans. "Well, I do not really know, I think twenty or twenty-five years ago. C'est, d'ailleurs, la première fois que j'y entre. It is, moreover, the first time that I enter it. – Moi aussi. - Me too. Je ne l'avais jamais vu. I had never seen him. Alors, le journaliste, qu'un intérêt gagnait, reprit : So, the journalist, who was gaining interest, continued: « Il me semble que vous le visitez avec grand soin. "It seems to me that you are visiting it with great care. Vous l'étudiez dans ses détails. You study it in its details. L'autre, avec résignation : The other, with resignation: « Je ne le visite pas, monsieur, j'attends ma femme qui m'a donné rendez-vous ici, et qui est fort en retard. "I do not visit him, sir, I am waiting for my wife who has given me an appointment here, and who is very late. Puis il se tut, et après quelques secondes : Then he was silent, and after a few seconds:

« Il fait rudement chaud, dehors. "It's pretty hot outside. Du Roy le considérait, lui trouvant une bonne tête, et, tout à coup, il s'imagina qu'il ressemblait à Forestier. Du Roy looked at him, finding him a good head, and suddenly he imagined he looked like Forestier. « Vous êtes de la province ? "Are you from the province? dit-il. he said.

– Oui. - Yes. Je suis de Rennes. Et vous, monsieur, c'est par curiosité que vous êtes entré dans cette église ? And you, sir, it is out of curiosity that you entered this church? – Non. J'attends une femme, moi. Et l'ayant salué, le journaliste s'éloigna, le sourire aux lèvres. And having greeted him, the journalist went away, smiling. En approchant de la grande porte, il revit la pauvresse, toujours à genoux et priant toujours. Approaching the front door, he saw the poor woman again, still on her knees and still praying. Il pensa :

« Cristi ! elle a l'invocation tenace. she has the tenacious invocation. » Il n'était plus ému, il ne la plaignait plus. He was no longer moved, he did not complain to her anymore. Il passa, et, doucement, se mit à remonter la nef de droite pour retrouver Mme Walter. He passed, and, slowly, began to go up the right nave to find Mrs. Walter.

Il guettait de loin la place où il l'avait laissée, s'étonnant de ne pas l'apercevoir. He watched from afar the place where he had left her, surprised not to see him. Il crut s'être trompé de pilier, alla jusqu'au dernier, et revint ensuite. He thought he had made a wrong pillar, went to the last, and then returned. Elle était donc partie ! She was gone! Il demeurait surpris et furieux. He remained surprised and furious. Puis il s'imagina qu'elle le cherchait, et il refit le tour de l'église. Then he imagined that she was looking for him, and he went around the church again. Ne l'ayant point trouvée, il retourna s'asseoir sur la chaise qu'elle avait occupée, espérant qu'elle l'y rejoindrait. Not having found it, he returned to sit on the chair she had occupied, hoping that she would join him there. Et il attendit.

Bientôt un léger murmure de voix éveilla son attention. Soon a slight murmur of voices awakened his attention. Il n'avait vu personne dans ce coin de l'église. He had not seen anyone in this corner of the church. D'où venait donc ce chuchotement ? Where did this whisper come from? Il se leva pour chercher, et il aperçut, dans la chapelle voisine, les portes du confessionnal. He got up to look, and he saw in the neighboring chapel the doors of the confessional. Un bout de robe sortait de l'une et traînait sur le pavé. A piece of dress came out of the one and dragged on the pavement. Il s'approcha pour examiner la femme. He approached to examine the woman. Il la reconnut. He recognized her. Elle se confessait !…

Il sentit un désir violent de la prendre par les épaules et de l'arracher de cette boîte. He felt a violent desire to take her by the shoulders and pull him out of the box. Puis il pensa : « Bah ! c'est le tour du curé, ce sera le mien demain. it is the priest's turn, it will be mine tomorrow. » Et il s'assit tranquillement en face des guichets de la pénitence, attendant son heure, et ricanant, à présent, de l'aventure. And he sat quietly in front of the counters of penance, waiting for his hour, and now laughing at the adventure. Il attendit longtemps. Enfin, Mme Walter se releva, se retourna, le vit et vint à lui. Finally, Mrs. Walter got up, turned around, saw him and came to him. Elle avait un visage froid et sévère. She had a cold, stern face.

« Monsieur, dit-elle, je vous prie de ne pas m'accompagner, de ne pas me suivre, et de ne plus venir, seul, chez moi. "Sir," said she, "I beg you not to accompany me, not to follow me, and not to come alone to my house. Vous ne seriez point reçu. You would not be received. Adieu ! Et elle s'en alla, d'une démarche digne. Il la laissa s'éloigner, car il avait pour principe de ne jamais forcer les événements. He let her go, because it was his principle never to force events. Puis comme le prêtre, un peu troublé, sortait à son tour de son réduit, il marcha droit à lui, et le regardant au fond des yeux, il lui grogna dans le nez : Then, as the priest, a little troubled, went out in his turn, he walked straight to him, and looking at him in the back of his eyes, he grunted in his nose:

« Si vous ne portiez point une jupe, vous, quelle paire de soufflets sur votre vilain museau. "If you did not wear a skirt, what a pair of guns on your ugly muzzle. Puis il pivota sur ses talons et sortit de l'église en sifflotant. Then he turned on his heels and left the church whistling. Debout sous le portail, le gros monsieur, le chapeau sur la tête et les mains derrière le dos, las d'attendre, parcourait du regard la vaste place et toutes les rues qui s'y rejoignent. Standing under the gate, the big man, his hat on his head and his hands behind his back, weary of waiting, glanced around the vast square and all the streets that meet. Quand Du Roy passa près de lui, ils se saluèrent.

Le journaliste, se trouvant libre, descendit à La Vie Française . The journalist, being free, went down to La Vie Francaise. Dès l'entrée, il vit à la mine affairée des garçons qu'il se passait des choses anormales, et il entra brusquement dans le cabinet du directeur. As soon as he entered, he saw in the busy boys' faces that things were going wrong, and he suddenly entered the director's office. Le père Walter, debout, nerveux, dictait un article par phrases hachées, donnait, entre deux alinéas, des missions à ses reporters qui l'entouraient, faisait des recommandations à Boisrenard, et décachetait des lettres. Father Walter, standing up, nervous, dictating an article in choppy sentences, giving, between two paragraphs, missions to his reporters who surrounded him, made recommendations to Boisrenard, and opened letters. Quand Du Roy entra, le patron poussa un cri de joie :

« Ah ! quelle chance, voilà Bel-Ami ! Il s'arrêta net, un peu confus, et s'excusa : He stopped short, a little confused, and apologized: « Je vous demande pardon de vous avoir appelé ainsi, je suis très troublé par les circonstances. "I beg your pardon for calling you so, I am very troubled by the circumstances. Et puis, j'entends ma femme et mes filles vous nommer « Bel-Ami » du matin au soir, et je finis par en prendre moi-même l'habitude. And then, I hear my wife and my daughters calling you "Bel-Ami" from morning till night, and I end up getting used to it myself. Vous ne m'en voulez pas ? You do not want me? Georges riait : George laughed:

« Pas du tout. " Not at all. Ce surnom n'a rien qui me déplaise. This nickname has nothing that displeases me. Le père Walter reprit : Father Walter continued:

« Très bien, alors je vous baptise Bel-Ami comme tout le monde. "Very good, so I call you Bel-Ami like everyone else. Eh bien ! voilà, nous avons de gros événements. Le ministère est tombé sur un vote de trois cent dix voix contre cent deux. The ministry fell on a vote of three hundred and ten votes against one hundred and two. Nos vacances sont encore remises, remises aux calendes grecques, et nous voici au 28 juillet. Our holidays are still postponed, put back on the Greek calendar, and here we are on July 28th. L'Espagne se fâche pour le Maroc, c'est ce qui a jeté bas Durand de l'Aine et ses acolytes. Spain is angry for Morocco, that's what sent down Durand de l'Aine and his acolytes. Nous sommes dans le pétrin jusqu'au cou. We are in trouble right up to the neck. Marrot est chargé de former un nouveau cabinet. Marrot is in charge of forming a new cabinet. Il prend le général Boutin d'Acre à la Guerre et notre ami Laroche-Mathieu aux Affaires étrangères. Il garde lui-même le portefeuille de l'Intérieur, avec la présidence du Conseil. He himself keeps the portfolio of the Interior, with the presidency of the Council. Nous allons devenir une feuille officieuse. We will become an unofficial sheet. Je fais l'article de tête, une simple déclaration de principes, en traçant leur voie aux ministres. I make the leading article, a simple declaration of principles, by tracing their way to the ministers. Le bonhomme sourit et reprit : The man smiled and continued:

« La voie qu'ils comptent suivre, bien entendu. "The way they intend to follow, of course. Mais il me faudrait quelque chose d'intéressant sur la question du Maroc, une actualité, une chronique à effet, à sensation, je ne sais quoi ? But I would need something interesting on the question of Morocco, a news, a chronic effect, sensational, I do not know what? Trouvez-moi ça, vous. Du Roy réfléchit une seconde puis répondit :

« J'ai votre affaire. "I have your business. Je vous donne une étude sur la situation politique de toute notre colonie africaine, avec la Tunisie à gauche, l'Algérie au milieu, et le Maroc à droite, l'histoire des races qui peuplent ce grand territoire, et le récit d'une excursion sur la frontière marocaine jusqu'à la grande oasis de Figuig où aucun Européen n'a pénétré et qui est la cause du conflit actuel. Ça vous va-t-il ? Is it okay for you? Le père Walter s'écria : Father Walter exclaimed: « Admirable ! Et quel titre ? And what title?

– De Tunis à Tanger ! - From Tunis to Tangier!

– Superbe. Et Du Roy s'en alla fouiller dans la collection de La Vie Française pour retrouver son premier article : « Les Mémoires d'un chasseur d'Afrique », qui, débaptisé, retapé et modifié, ferait admirablement l'affaire, d'un bout à l'autre, puisqu'il y était question de politique coloniale, de la population algérienne et d'une excursion dans la province d'Oran. And Du Roy went to search the collection of La Vie Française to find his first article: "The Memoirs of a hunter of Africa", which, renamed, retouched and modified, would be admirably the case, a end to end, since there was talk of colonial policy, the Algerian population and an excursion to the province of Oran. En trois quarts d'heure, la chose fut refaite, rafistolée, mise au point, avec une saveur d'actualité et des louanges pour le nouveau cabinet. In three quarters of an hour, the thing was redone, patched up, developed, with a flavor of news and praise for the new cabinet. Le directeur, ayant lu l'article, déclara : « C'est parfait… parfait… parfait. Vous êtes un homme précieux. Tous mes compliments. Et Du Roy rentra dîner, enchanté de sa journée, malgré l'échec de la Trinité, car il sentait bien la partie gagnée. And Du Roy returned to dinner, delighted with his day, despite the failure of the Trinity, because he felt the winning part. Sa femme, fiévreuse, l'attendait. Elle s'écria en le voyant : « Tu sais que Laroche est ministre des Affaires étrangères.

– Oui, je viens même de faire un article sur l'Algérie à ce sujet. – Quoi donc ?

– Tu le connais, le premier que nous ayons écrit ensemble : « Les Mémoires d'un chasseur d'Afrique », revu et corrigé pour la circonstance. "You know him, the first we wrote together," The Memoirs of a Hunter of Africa, "reviewed and corrected for the occasion. Elle sourit.

« Ah ! oui, mais ça va très bien. yes, but that's fine. Puis après avoir songé quelques instants : Then after thinking a few moments:

« J'y pense, cette suite que tu devais faire alors, et que tu as… laissée en route. "I think about it, this sequel that you had to do then, and that you ... left on the way. Nous pouvons nous y mettre à présent. We can do it now. Ça nous donnera une jolie série bien en situation. It will give us a nice series well in situation. Il répondit en s'asseyant devant son potage : He answered by sitting down in front of his soup: « Parfaitement. Rien ne s'y oppose plus, maintenant que ce cocu de Forestier est trépassé. Nothing opposes it anymore, now that this cuckold of Forestier is dead. Elle répliqua vivement d'un ton sec, blessé : She retorted sharply in a dry, hurt tone: « Cette plaisanterie est plus que déplacée, et je te prie d'y mettre un terme. "This joke is more than inappropriate, and I beg you to put an end to it. Voilà trop longtemps qu'elle dure. It's been too long. Il allait riposter avec ironie ; on lui apporta une dépêche contenant cette seule phrase, sans signature : He would retort with irony; he was brought a dispatch containing this single sentence, without signature:

« J'avais perdu la tête. "I had lost my mind. Pardonnez-moi et venez demain, quatre heures, au parc Monceau. Forgive me and come tomorrow, four o'clock, to Parc Monceau. Il comprit, et, le cœur tout à coup plein de joie, il dit à sa femme, en glissant le papier bleu dans sa poche : He understood, and his heart suddenly filled with joy, he said to his wife, slipping the blue paper into his pocket:

« Je ne le ferai plus, ma chérie. "I will not do it anymore, darling. C'est bête. It's stupid. Je le reconnais. I recognize him. Et il recommença à dîner. And he began to dine again.

Tout en mangeant, il se répétait ces quelques mots : While eating, he repeated these words:

« J'avais perdu la tête, pardonnez-moi, et venez demain, quatre heures, au parc Monceau. » Donc elle cédait. So she gave in. Cela voulait dire : « Je me rends, je suis à vous, où vous voudrez, quand vous voudrez. It meant: "I surrender, I am to you, where you will, whenever you wish. Il se mit à rire. Madeleine demanda :

« Qu'est-ce que tu as ? – Pas grand-chose. Je pense à un curé que j'ai rencontré tantôt, et qui avait une bonne binette. I think of a priest whom I met earlier, and who had a good hoe. Du Roy arriva juste à l'heure au rendez-vous du lendemain. Du Roy arrived just on time at the rendezvous of the next day. Sur tous les bancs du parc étaient assis des bourgeois accablés par la chaleur, et des bonnes nonchalantes qui semblaient rêver pendant que les enfants se roulaient dans le sable des chemins. On all the benches of the park were seated bourgeois, overwhelmed by the heat, and nonchalant maids who seemed to dream while the children rolled in the sand of the paths.

Il trouva Mme Walter dans la petite ruine antique où coule une source. He found Madame Walter in the little ancient ruin where a spring flows. Elle faisait le tour du cirque étroit de colonnettes, d'un air inquiet et malheureux. She circled the narrow circus of columns, with a worried and unhappy air. Aussitôt qu'il l'eut saluée : As soon as he greeted her: « Comme il y a du monde dans ce jardin ! "How many people are there in this garden! » dit-elle. " she says.

Il saisit l'occasion : Oui, c'est vrai ; voulez-vous venir autre part ? – Mais où ?

– N'importe où, dans une voiture, par exemple. Vous baisserez le store de votre côté, et vous serez bien à l'abri. You will lower the shade on your side, and you will be well protected. – Oui, j'aime mieux ça ; ici je meurs de peur. – Eh bien, vous allez me retrouver dans cinq minutes à la porte qui donne sur le boulevard extérieur. "Well, you'll find me in five minutes at the door that overlooks the outer boulevard. J'y arriverai avec un fiacre. I'll get there with a cab. Et il partit en courant. Dès qu'elle l'eut rejoint et qu'elle eut bien voilé la vitre de son côté, elle demanda : « Où avez-vous dit au cocher de nous conduire ? "Where did you tell the coachman to drive us? Georges répondit :

« Ne vous occupez de rien, il est au courant. "Do not worry about anything, he knows. Il avait donné à l'homme l'adresse de son appartement de la rue de Constantinople. He had given the man the address of his apartment in the street of Constantinople. Elle reprit :

« Vous ne vous figurez pas comme je souffre à cause de vous, comme je suis tourmentée et torturée. "You do not imagine how I suffer because of you, as I am tormented and tortured. Hier, j'ai été dure, dans l'église, mais je voulais vous fuir à tout prix. Yesterday, I was hard in the church, but I wanted to run away at all costs. J'ai tellement peur de me trouver seule avec vous. I am so afraid of finding myself alone with you. M'avez-vous pardonné ? Have you forgiven me? Il lui serrait les mains : He was shaking his hands:

« Oui, oui. " Yes Yes. Qu'est-ce que je ne vous pardonnerais pas, vous aimant comme je vous aime ? What would I not forgive you, loving you as I love you? Elle le regardait d'un air suppliant. She looked at him beseechingly. « Écoutez, il faut me promettre de me respecter… de ne pas… de ne pas… autrement je ne pourrais plus vous revoir. "Listen, I have to promise to respect myself ... not to ... not to ... otherwise I could not see you again. Il ne répondit point d'abord ; il avait sous la moustache ce sourire fin qui troublait les femmes. He did not answer at first; he had under his mustache that fine smile which troubled women. Il finit par murmurer :

« Je suis votre esclave. Alors elle se mit à lui raconter comment elle s'était aperçue qu'elle l'aimait en apprenant qu'il allait épouser Madeleine Forestier. Then she began to tell him how she had realized that she loved him when he learned that he was going to marry Madeleine Forestier. Elle donnait des détails, de petits détails de dates et de choses intimes. She gave details, small details of dates and intimate things.

Soudain elle se tut. La voiture venait de s'arrêter. Du Roy ouvrit la portière.

« Où sommes-nous ? » dit-elle.

Il répondit :

« Descendez et entrez dans cette maison. Nous y serons plus tranquilles.

– Mais où sommes-nous ?

– Chez moi. C'est mon appartement de garçon que j'ai repris… pour quelques jours… pour avoir un coin où nous puissions nous voir. This is my boy's apartment that I took again ... for a few days ... to have a corner where we could see us. Elle s'était cramponnée au capiton du fiacre, épouvantée à l'idée de ce tête-à-tête, et elle balbutiait : She had clung to the captain of the cab, terrified at the thought of this tete-a-tete, and she stammered: « Non, non, je ne veux pas ! "No, no, I do not want to! Je ne veux pas ! I do not want ! Il prononça d'une voix énergique : « Je vous jure de vous respecter. "I swear to respect you. Venez. Vous voyez bien qu'on nous regarde, qu'on va se rassembler autour de nous. You see we are being watched, we are going to gather around us. Dépêchez-vous… dépêchez-vous… descendez. Et il répéta : And he repeated:

« Je vous jure de vous respecter. "I swear to respect you. Un marchand de vin sur sa porte les regardait d'un air curieux. A wine merchant on his door looked at them curiously. Elle fut saisie de terreur et s'élança dans la maison. She was terrified and rushed into the house. Elle allait monter l'escalier. She was going up the stairs. Il la retint par le bras : He held her by the arm:

« C'est ici, au rez-de-chaussée. "It's here on the ground floor. Et il la poussa dans son logis. And he pushed her into his house.

Dès qu'il eut refermé la porte, il la saisit comme une proie. As soon as he closed the door, he seized it like a prey. Elle se débattait, luttait, bégayait : She struggled, struggled, stammered:

« Oh ! mon Dieu !… oh ! mon Dieu !… »

Il lui baisait le cou, les yeux, les lèvres avec emportement, sans qu'elle pût éviter ses caresses furieuses ; et tout en le repoussant, tout en fuyant sa bouche, elle lui rendait, malgré elle, ses baisers. He kissed her neck, her eyes, her lips passionately, without her being able to avoid her furious caresses; and while pushing him away, while fleeing her mouth, she returned, in spite of herself, her kisses. Tout d'un coup elle cessa de se débattre, et vaincue, résignée, se laissa dévêtir par lui. All of a sudden she stopped struggling, and vanquished, resigned, let herself be undressed by him. Il enlevait une à une, adroitement et vite, toutes les parties de son costume, avec des doigts légers de femme de chambre. He took off one by one, deftly and quickly, all the parts of his costume, with the light fingers of a maid.

Elle lui avait arraché des mains son corsage pour se cacher la figure dedans, et elle demeurait debout, toute blanche, au milieu de ses robes abattues à ses pieds. She had snatched her bodice from her hands to hide her face in it, and she remained standing, all white, in the midst of her robes slaughtered at her feet.

Il lui laissa ses bottines et l'emporta dans ses bras vers le lit. He left her boots and carried her in his arms to the bed. Alors, elle lui murmura à l'oreille, d'une voix brisée : « Je vous jure… je vous jure… que je n'ai jamais eu d'amant. Then she whispered in his ear, in a broken voice: "I swear to you ... I swear to you ... that I never had a lover. » Comme une jeune fille aurait dit : « Je vous jure que je suis vierge. As a girl would have said, "I swear to you that I am a virgin. Et il pensait : « Voilà ce qui m'est bien égal, par exemple. And he thought, "That's what I do not care about, for example.