Comment le Japon a-t-il été unifié ? [QdH#13] (1)
8 juillet 1853. Port d'Uraga. Japon. L'officier américain Matthew Perry s'approche des côtes.
Son objectif est de forcer l'archipel à s'ouvrir au commerce international. Après quelques salves
de canon, le gouvernement prend peur et cède aux exigences américaines. En effet depuis plus
de deux siècles, le Japon s'était replié sur lui-même, évitant au possible le contact avec
les étrangers, et leur interdisant leur sol sous peine de mort. Cette période Edo s'est effectuée
dans les années qui ont suivies l'unification du Japon, fin XVème – début XVIème siècle. Cette
époque d'unification, appelée Azuchi-Momoyama, dure environ 30 ans. Elle a permis de clore
l'épisode sanglant des guerres civiles, qui ont ravagées le pays plus d'un siècle. Revenons donc
sur cette phase de transition importante, et demandons-nous comment quelques seigneurs de
guerre, ont réussi à imposer leurs vues aux autres, et à forger la destinée d'un pays.
Le Japon, au XVIème siècle, est en proie à de violentes guerres civiles. Ces conflits
proviennent d'un affaiblissement progressif du pouvoir central, au détriment des Daimyôs – les
seigneurs locaux. Le pouvoir japonais a un caractère original : le Tennô,
souverain céleste – apparu au VIIème siècle coexiste avec le Shôgun, dont le rôle s'est
officialisé au XIème siècle, lors des luttes contre les barbares. Le Shôgunat est une
dictature militaire, dirigée comme un quartier général de campagne. Il prend le nom de Bakufu
– gouvernement de la tente. Deux aristocraties cohabitent donc – la Cour Impériale à Kyoto,
gardienne des traditions, et le Bakufu dont le centre varie selon le clan du Shogun. Le nom des
grandes périodes de l'histoire du Japon provient d'ailleurs du lieu où est installé le shôgunat,
qui est dynastique. Par exemple l'époque Muromachi correspond au quartier de Kyoto
où est installé le clan Ashikaga, qui dirigera le shogunat plus de deux siècles.
Le shogun s'appuie sur les seigneurs locaux : les daimyôs, dont le nom a évolué selon les époques.
Ils sont à la base des « Shugo », des gouverneurs de province,
aux compétences plutôt limitées. Ils doivent maintenir l'ordre et contrôler les guerriers
de leur province. Mais résidant souvent à Kyoto, ils doivent envoyer des représentants dans leurs
provinces : des Shugodaï, qui vont peu à peu prendre du pouvoir. Tous ces Shugo et Shugodaï
vont commencer à revendiquer des terres, tout comme des petits seigneurs locaux,
auxquels s'adjoint des guerriers ambitieux, qui vont se frayer un destin dans l'armée.
Cette période des Shugo-Daïmyos, bascule dans celle des Sengoku-Daïmyos : les Daïmyos de
l'époque des provinces en guerre. Le XVème siècle voit en effet de violentes guerres
civiles éclater entre les clans pour la prise du pouvoir. Cette époque Sengoku
débute en 1477. Un trait important est à noter : la volonté d'unifier le Japon et le respect
de l'autorité de l'Empereur sont communes à ces guerriers, qui vont tout de même ravager le pays.
L'affaiblissement du shogunat Ashikaga fait suite à l'assassinat du Shogun Yoshinori en 1441. Les
Daïmyos revendiquent le shogunat en s'appuyant sur des conflits successoraux. Pendant un siècle,
ces guerres vont saper le pouvoir central du clan Ashikaga, tandis que les provinces
voient une affirmation politique de leur pouvoir. Certains territoires périphériques se développent,
mais aucun chef de guerre ne parvient à imposer son autorité. Mais trois hommes,
considérés comme les unificateurs du Japon, vont alors entrer en scène.
Oda Nobunaga est le premier d'entre eux. Il vient de la petite province d'Owari,
et possède peu de terre. Il succède à son père en 1551. Sa première tâche consiste à unifier le
clan Oda, et à éliminer toute opposition dans la province d'Owari, ce qu'il réussit après
une lutte acharnée avec des parents rivaux. En 1560, le grand chef de clan Iamagawa Yoshimoto,
marche sur la capitale impériale – Kyoto- pour aider le shogunat Ashikaga en place. Il est à
la tête d'une armée d'environ 25.000 hommes. Oda Nobunaga, disposant d'à peine 3.000 hommes, décide
de le stopper. Il profite d'un orage violent pour contourner les positions de Yoshimoto,
et l'attaque par surprise. Objectif : éliminer Yoshimito le plus rapidement possible pour
semer la panique dans ses rangs. La bataille d'Okehazama est une réussite totale. L'exploit
fait grand bruit et Oda Nobunaga acquiert une notoriété extraordinaire dans tout le Japon.
Il va progressivement étendre son territoire en ralliant de nombreux guerriers à sa cause.
En 1568, il marche sur Kyoto pour placer un autre membre du clan Ashikaga, donc légitime,
à la tête du shogunat. Il prend au passage 18 châteaux et soumet les clans qui se trouvaient
sur son chemin. Il se servira du jeune Shogun comme un pantin, puis l'écrasera militairement.
Le shogunat Ashikaga prend fin, et l'époque Muromachi qui lui est associé également.
Il s'attaque ensuite au puissant clan Asakura, et se trouve dans une situation
délicate après avoir était trahi. Il est pris en tenaille. La situation est difficile. Avec
l'aide de deux grands généraux, Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu, il riposte. Le clan Asakura
est vaincu. Le territoire s'agrandit un peu plus. Les grands clans de l'époque
Sengoku vont être peu à peu soumis. Nobunaga use de chance : le Daïmyo Takeda Shingen,
peut-être seul rival de taille, meurt en 1573. Son clan, très puissant, les Takeda, attaque Nobunaga.
L'affrontement décisif a lieu en 1575, lors de la bataille de Nagashino,
qui marque un tournant dans l'histoire du Japon. Oda Nobunaga va se servir d'une nouvelle arme
importée par les européens : le mousquet. Nobunaga et Ieyasu alignent plusieurs rangées
de mousquets derrière des barrières en bois, pour stopper la charge de cavalerie Takeda,
qui s'écroule sous le feu roulant des arquebusiers. Les lanciers empalent les
cavaliers qui réussissent à passer. Les samouraïs achèvent les dernières résistances. Le clan Takeda
connait alors un déclin inéluctable, marqué par le suicide de Katsuyori en 1582. L'un des plus grands
clans de l'époque Sengoku s'éteint. Nobunaga étend ensuite son territoire vers l'ouest et le nord.
Son dernier grand rival, alcoolique notoire, meurt d'un cancer quelques mois plus tard. La
chance sourit au clan Oda. Nobunaga aurait alors déclaré : "Désormais le Japon est mien". Mais
la mise en ordre du Japon va également passer par une répression féroce des sectes bouddhistes, qui
par peur de Nobunaga, appellent à la révolte. Les japonais étaient alors shintoïstes ou bouddhistes,
et les dérives sectaires étaient nombreuses, avec une grande influence sur les milieux populaires.
La secte Ikko est atrocement anéantie en 1574, avec près de 20.000 morts civils et
religieux. Nobunaga hérite du sympathique titre de "Roi-démon" au passage. La religion perd son
autonomie et doit désormais rendre des comptes à l'administration. Une autre menace venue d'Europe,
le christianisme, va être dans un premier temps toléré. L'expulsion des missionnaires
et les persécutions arriveront un peu plus tard, à partir de 1587.
Mais toutes ces batailles ne doivent pas faire oublier les réformes de Nobunaga. Il
débute la mise en place un cadastre autour de Kyoto, octroie des franchises à certains
marchés pour redynamiser le commerce, aboli les privilèges corporatistes de certains métiers,
construit des routes reliant les grandes villes, et développe le commerce international,
notamment avec la Chine et la Corée. Il fait construire un impressionnant
château de 7 étages à Azuchi, symbole de son pouvoir. Son rêve d'unification
va être brisé par la trahison d'un proche. Un de ses lieutenants, formente un coup d'état,
obligeant Oda Nobunaga à se faire Seppuku, à se suicider de manière rituelle.
En apprenant la nouvelle, le général le plus talentueux de Nobunaga, Hideyoshi,
est furieux. Il décide de venger la mort de son maitre. Il bat le traitre Akechi Mitsuhide lors
de la bataille de Yamazaki. Hideyoshi est issu des basses classes et après avoir mené une vie
de vagabond, il entre au service de Nobunaga en 1554. Ses origines modestes vont le rendre
extrêmement populaire, mais c'est surtout son génie militaire qui va lui permettre de gravir
les échelons jusqu'au sommet. Suite à la mort de Nobunaga, il va éliminer ses potentiels rivaux,
notamment les fils d'Oda, et va s'efforcer de poursuivre l'oeuvre de son prédécesseur.
Il réunit sous son égide plusieurs grands Daïmyos, dont Ieyasu, avec qui il s'était
un peu quereller pour le pouvoir. Les voilà réconciliés dans l'objectif d'unifier le Japon.
Les territoires sous son autorité s'agrandissent, et la Cour impérial lui confère le titre de
Kanpaku - de grand chancelier – puis de Dajôdaijin – ministre des Affaires suprêmes. Il est donc
légitime aux yeux de l'Empereur mais n'est pas officiellement Shogun. Hormis ses alliances,
il ne va pas hésiter à soumettre d'autres territoires militairement. Il fait construire
un immense château à Osaka, lieu stratégique pour surveiller la capitale impériale,
et asseoir son pouvoir. Les Daïmyos sont alors déplacés ou leurs domaines confisqués
pour éviter toute fronde future. Il prend le nom de clan Toyotomi, lui donnant son nom pour
la postérité : Toyotomi Hideyoshi. La deuxième phase de l'unification du Japon est achevée.
Hideyoshi va continuer les réformes de Nobunaga. Il met en place de façon systématique le
Taikô-kenchi : arpentage et cadastre. Pour petit rappel, l'arpentage est la technique permettant
de mesurer les terres agricoles. Le cadastre recueil les données dans un registre. Mais
dans le Japon du XVIème siècle, les méthodes de mesures variaient selon les provinces.
Hideyoshi uniformise le procédé. A partir de ces mesures de superficie et de l'évaluation
de la qualité de la terre, la capacité de production est estimée et inscrite dans le
cadastre. Les revenus possibles sont convertis en quantité de riz. L'unité de base est le Koku,
une unité de mesure qui correspond à la quantité de riz que mange une personne en un an.
L'autre grande réforme de Toyotomi Hideyoshi est le Katana-Gari : la chasse aux sabres.
Les armes sont confisquées aux paysans. Les déplacements en dehors de la province
interdit. L'objectif ? Attaché le paysan à la terre. Une séparation stricte entre guerriers
et cultivateurs est imposée. Concrètement, un guerrier ne peut plus cultiver un lopin
de terre. Il faut qu'il choisisse entre le statut de paysan et celui de samouraï,
auquel cas, il doit se rendre dans la ville du Daïmyo pour le servir.
Ces différentes réformes vont structurer la société japonaise pour les siècles à venir.
Hideyoshi commence à voir d'un mauvais oeil l'influence des missionnaires chrétiens sur
la population et les risques pour son pouvoir personnel. Il commence à les expulser en 1587,
date considérée comme le début des persécutions. Le christianisme sera progressivement interdit à
partir de 1612, durant le processus de fermeture du Japon sur le monde,
caractéristique de la période Edo qui suivra.
Toyotomi Hideyoshi rêve d'unifier le Japon mais bien plus encore. Il souhaite fonder
un Empire et braque son regard vers la Corée, alliée de la Chine mais bien moins puissante
que l'Empire du milieu. Une guerre extérieure a également l'avantage de fédérer les Daïmyos dans
un objectif commun. En 1592, l'expédition débute. La Corée est envahie rapidement
mais la Chine va vite réagir et envoyer des troupes. Acculées, les armées d'Hideyoshi,
qui ne participait pas lui-même à l'expédition, se replient sur leur ile. L'autorité d'Hideyoshi
est affaiblie et les finances au plus bas, suite à cette désastreuse campagne. Il meurt en 1598
et désigne son fils de 5 ans comme héritier. Deux conseils sont créés avant sa mort : le
Conseil des cinq Tairô chargé des affaires d'État importantes, et le Conseil des cinq Bugyô, chargé
des affaires administratives. Évidemment, une lutte pour le pouvoir éclate entre les régents.
Le plus puissant des Daïmyo, dont nous avons déjà parlé, Togugawa Ieyasu,
se place en continuateur de l'oeuvre de Nobunaga et Hideyoshi. L'opposition va se cristalliser autour
d'Ishida Mitsunari. Il fédère une armée à l'Ouest, tandis que Ieyasu s'allie avec des clans plutôt
situés à l'Est. La rencontre décisive a lieu en 1600. C'est la bataille de Sekigahara qui voit
2 armées de près de 80.000 hommes s'affronter. L'issue est indécise. Ieyasu avait proposé des
terres aux Daïmyos ennemis qui voudraient bien le rejoindre. Pour forcer le destin,
il tire au canon sur les indécis pour les pousser à prendre une décision rapide. Le
clan Kobayakawa trahit les armées de l'Ouest pour rejoindre Ieyasu. Tokugawa Ieyasu est
vainqueur et s'impose comme le nouveau maitre du Japon. Les troupes battues se dispersent,