×

Nous utilisons des cookies pour rendre LingQ meilleur. En visitant le site vous acceptez nos Politique des cookies.


image

Oscar Wilde - Le Portrait de Dorian Gray, Le portrait de Dorian Gray Chapitre 11

Le portrait de Dorian Gray Chapitre 11

Chapitre XI

Pendant des années, Dorian Gray ne put se libérer de l'influence de ce livre ; il serait peut-être plus juste de dire qu'il ne songea jamais à s'en libérer.

Il avait fait venir de Paris neuf exemplaires à grande marge de la première édition, et les avait fait relier de différentes couleurs, en sorte qu'ils pussent concorder avec ses humeurs variées et les fantaisies changeantes de son caractère, sur lequel, il semblait, par moments, avoir perdu tout contrôle.

Le héros du livre, le jeune et prodigieux Parisien, en qui les influences romanesques et scientifiques s'étaient si étrangement confondues, lui devint une sorte de préfiguration de lui-même ; et à la vérité, ce livre lui semblait être l'histoire de sa propre vie, écrite avant qu'il ne l'eût vécue.

À un certain point de vue, il était plus fortuné que le fantastique héros du roman.

Il ne connut jamais – et jamais n'eut aucune raison de connaître – cette indéfinissable et grotesque horreur des miroirs, des surfaces de métal polies, des eaux tranquilles, qui survint de si bonne heure dans la vie du jeune Parisien à la suite du déclin prématuré d'une beauté qui avait été, jadis, si remarquable...

C'était presque avec une joie cruelle – la cruauté ne trouve-t-elle sa place dans toute joie comme en tout plaisir ?

– qu'il lisait la dernière partie du volume, avec sa réellement tragique et quelque peu emphatique analyse de la tristesse et du désespoir de celui qui perd, lui-même, ce que dans les autres et dans le monde, il a le plus chèrement apprécié.

Car la merveilleuse beauté qui avait tant fasciné Basil Hallward, et bien d'autres avec lui, ne sembla jamais l'abandonner.

Même ceux qui avaient entendu sur lui les plus insolites racontars, et quoique, de temps à autres, d'étranges rumeurs sur son mode d'existence courussent dans Londres, devenant le potin des clubs, ne pouvaient croire à son déshonneur quand ils le voyaient. Il avait toujours l'apparence d'un être que le monde n'aurait souillé. Les hommes qui parlaient grossièrement entre eux, faisaient silence quand ils l'apercevaient. Il y avait quelque chose dans la pureté de sa face qui les faisait se taire. Sa simple présence semblait leur rappeler la mémoire de l'innocence qu'ils avaient ternie. Ils s'émerveillaient de ce qu'un être aussi gracieux et charmant, eût pu échapper à la tare d'une époque à la fois aussi sordide et aussi sensuelle.

Souvent, en revenant à la maison d'une de ses absences mystérieuses et prolongées qui donneront naissance à tant de conjectures parmi ceux qui étaient ses amis, ou qui pensaient l'être, il montait à pas de loup là-haut, à la chambre fermée, en ouvrait la porte avec une clef qui ne le quittait jamais, et là, un miroir à la main, en face du tableau de Basil Hallward, il confrontait la face devenue vieillissante et mauvaise, peinte sur la toile avec sa propre face qui lui riait dans la glace... L'acuité du contraste augmentait son plaisir.

Il devint de plus en plus énamouré de sa propre beauté, de plus en plus intéressé à la déliquescence de son âme.

Il examinait avec un soin minutieux, et parfois, avec de terribles et monstrueuses délices, les stigmates hideux qui déshonoraient ce front ridé ou se tordaient autour de la bouche épaisse et sensuelle, se demandant quels étaient les plus horribles, des signes du péché ou des marques de l'âge... Il plaçait ses blanches mains à côté des mains rudes et bouffies de la peinture, et souriait... Il se moquait du corps se déformant et des membres las.

Des fois, cependant, le soir, reposant éveillé dans sa chambre imprégnée de délicats parfums, ou dans la mansarde sordide de la petite taverne mal famée située près des Docks, qu'il avait accoutumé de fréquenter, déguisé et sous un faux nom, il pensait à la ruine qu'il attirait sur son âme, avec un désespoir d'autant plus poignant qu'il était purement égoïste.

Mais rares étaient ces moments.

Cette curiosité de la vie que lord Henry avait insufflée le premier en lui, alors qu'ils étaient assis dans le jardin du peintre leur ami, semblait croître avec volupté.

Plus il connaissait, plus il voulait connaître. Il avait des appétits dévorants, qui devenaient plus insatiables à mesure qu'il les satisfaisait.

Cependant, il n'abandonnait pas toutes relations avec le monde.

Une fois ou deux par mois durant l'hiver, et chaque mercredi soir pendant la saison, il ouvrait aux invités sa maison splendide et avait les plus célèbres musiciens du moment pour charmer ses hôtes des merveilles de leur art.

Ses petits dîners, dans la composition desquels lord Henry l'assistait, étaient remarqués, autant pour la sélection soigneuse et le rang de ceux qui y étaient invités, que pour le goût exquis montré dans la décoration de la table, avec ses subtils arrangements symphoniques de fleurs exotiques, ses nappes brodées, sa vaisselle antique d'argent et d'or.

Il y en avait beaucoup, parmi les jeunes gens, qui virent ou crurent voir dans Dorian Gray, la vraie réalisation du type qu'ils avaient souvent rêvé jadis à Eton ou à Oxford, le type combinant quelque chose de la culture réelle de l'étudiant avec la grâce, la distinction ou les manières parfaites d'un homme du monde.

Il leur semblait être de ceux dont parle le Dante, de ceux qui cherchent à se rendre « parfaits par le culte de la Beauté ». Comme Gautier, il était « celui pour qui le monde visible existe » ...

Et certainement, la Vie lui était le premier, le plus grand des arts, celui dont tous les autres ne paraissent que la préparation.

La mode, par quoi ce qui est réellement fantastique devient un instant universel, et le Dandysme, qui, à sa manière, est une tentative proclamant la modernité absolue de la Beauté, avaient, naturellement, retenu son attention. Sa façon de s'habiller, les manières particulières que, de temps à autre, il affectait, avaient une influence marquée sur les jeunes mondains des bals de Mayfair ou des fenêtres de clubs de Pall Mail, qui le copiaient en toutes choses, et s'essayaient à reproduire le charme accidentel de sa grâce ; cela lui paraissait d'ailleurs secondaire et niais.

Car, bien qu'il fût prêt à accepter la position qui lui était offerte à son entrée dans la vie, et qu'il trouvât, à la vérité, un plaisir curieux à la pensée qu'il pouvait devenir pour le Londres de nos jours, ce que dans l'impériale Rome de Néron, l'auteur du Satyricon avait été, encore, au fond de son cœur, désirait-il être plus qu'un simple Arbiter Elegantiarum , consulté sur le port d'un bijou, le nœud d'une cravate ou le maniement d'une canne.

Il cherchait à élaborer quelque nouveau schéma de vie qui aurait sa philosophie raisonnée, ses principes ordonnés, et trouverait dans la spiritualisation des sens, sa plus haute réalisation.

Le culte des sens a, souvent, et avec beaucoup de justice, été décrié, les hommes se sentant instinctivement terrifiés devant les passions et les sensations qui semblent plus fortes qu'eux, et qu'ils ont conscience d'affronter avec des formes d'existence moins hautement organisées.

Mais il semblait à Dorian Gray que la vraie nature des sens n'avait jamais été comprise, que les hommes étaient restés brutes et sauvages parce que le monde avait cherché à les affamer par la soumission ou les anéantir par la douleur, au lieu d'aspirer à les faire des éléments d'une nouvelle spiritualité, dont un instinct subtil de Beauté était la dominante caractéristique.

Comme il se figurait l'homme se mouvant dans l'histoire, il fut hanté par un sentiment de défaite... Tant avaient été vaincus et pour un but si mesquin.

Il y avait eu des défections volontaires et folles, des formes monstrueuses de torture par soi-même et de renoncement, dont l'origine était la peur, et dont le résultat avait été une dégradation infiniment plus terrible que cette dégradation imaginaire, qu'ils avaient, en leur ignorance, cherché à éviter, la Nature, dans son ironie merveilleuse, faisant se nourrir l'anachorète avec les animaux du désert, et donnant à l'ermite les bêtes de la plaine pour compagnons.

Certes, il pouvait y avoir, comme lord Harry l'avait prophétisé, un nouvel Hédonisme qui recréerait la vie, et la tirerait de ce grossier et déplaisant puritanisme revivant de nos jours.

Ce serait l'affaire de l'intellectualité, certainement ; il ne devait être accepté aucune théorie, aucun système impliquant le sacrifice d'un mode d'expérience passionnelle. Son but, vraiment, était l'expérience même, et non les fruits de l'expérience quels qu'ils fussent, doux ou amers. Il ne devait pas plus être tenu compte de l'ascétisme qui amène la mort des sens que du dérèglement vulgaire qui les émousse ; mais il fallait apprendre à l'homme à concentrer sa volonté sur les instants d'une vie qui n'est elle-même qu'un instant.

Il est peu d'entre nous qui ne se soient quelquefois éveillés avant l'aube, ou bien après l'une de ces nuits sans rêves qui nous rendent presque amoureux de la mort, ou après une de ces nuits d'horreur et de joie informe, alors qu'à travers les cellules du cerveau se glissent des fantômes plus terribles que la réalité elle-même, animés de cette vie ardente propre à tous les grotesques, et qui prête à l'art gothique son endurante vitalité, cet art étant, on peut croire, spécialement l'art de ceux dont l'esprit a été troublé par la maladie de la rêverie...

Graduellement, des doigts blancs rampent par les rideaux qui semblent trembler... Sous de ténébreuses formes fantastiques, des ombres muettes se dissimulent dans les coins de la chambre et s'y tapissent...

Au dehors, c'est l'éveil des oiseaux parmi les feuilles, le pas des ouvriers se rendant au travail, ou les soupirs et les sanglots du vent soufflant des collines, errant autour de la maison silencieuse, comme s'il craignait d'en éveiller les dormeurs, qui auraient alors à rappeler le sommeil de sa cave de pourpre.

Des voiles et des voiles de fine gaze sombre se lèvent, et par degrés, les choses récupèrent leurs formes et leurs couleurs, et nous guettons l'aurore refaisant à nouveau le monde.

Les miroirs blêmes retrouvent leur vie mimique.

Les bougies éteintes sont où nous les avons laissées, et à côté, gît le livre à demi-coupé que nous lisions, ou la fleur montée que nous portions au bal, ou la lettre que nous avions peur de lire ou que nous avons lue trop souvent... Rien ne nous semble changé.

Hors des ombres irréelles de la nuit, resurgit la vie réelle que nous connûmes.

Il nous faut nous souvenir où nous la laissâmes ; et alors s'empare de nous un terrible sentiment de la continuité nécessaire de l'énergie dans quelque cercle fastidieux d'habitudes stéréotypées, ou un sauvage désir, peut-être, que nos paupières s'ouvrent quelque matin sur un monde qui aurait été refait à nouveau dans les ténèbres pour notre plaisir, un monde dans lequel les choses auraient de nouvelles formes et de nouvelles couleurs, qui serait changé, qui aurait d'autres secrets, un monde dans lequel le passé aurait peu ou point de place, aucune survivance, même sous forme consciente d'obligation ou de regret, la remembrance même des joies ayant son amertume, et la mémoire des plaisirs, ses douleurs.

C'était la création de pareils mondes qui semblait à Dorian Gray, l'un des seuls, le seul objet même de la vie ; dans sa course aux sensations, ce serait nouveau et délicieux, et posséderait cet élément d'étrangeté si essentiel au roman ; il adapterait certains modes de pensée qu'il savait étrangers à sa nature, s'abandonnerait à leurs captieuses influences, et ayant, de cette façon, saisi leurs couleurs et satisfait sa curiosité intellectuelle, les laisserait avec cette sceptique indifférence qui n'est pas incompatible avec une réelle ardeur de tempérament et qui en est même, suivant certains psychologistes modernes, une nécessaire condition.

Le bruit courut quelque temps qu'il allait embrasser la communion catholique romaine ; et certainement le rituel romain avait toujours eu pour lui un grand attrait.

Le Sacrifice quotidien, plus terriblement réel que tous les sacrifices du monde antique, l'attirait autant par son superbe dédain de l'évidence des sens, que par la simplicité primitive de ses éléments et l'éternel pathétique de la Tragédie humaine qu'il cherche à symboliser.

Il aimait à s'agenouiller sur les froids pavés de marbre, et à contempler le prêtre, dans sa rigide dalmatique fleurie, écartant lentement avec ses blanches mains le voile du tabernacle, ou élevant l'ostensoir serti de joyaux, contenant la pâle hostie qu'on croirait parfois être, en vérité, le panis cœtestis , le pain des anges, ou, revêtu des attributs de la Passion du Christ, brisant l'hostie dans le calice et frappant sa poitrine pour ses péchés.

Les encensoirs fumants, que des enfants vêtus de dentelles et d'écarlate balançaient gravement dans l'air, comme de grandes fleurs d'or, le séduisaient infiniment. En s'en allant, il s'étonnait devant les confessionnaux obscurs, et s'attardait dans l'ombre de l'un d'eux, écoutant les hommes et les femmes souffler à travers la grille usée l'histoire véritable de leur vie.

Mais il ne tomba jamais dans l'erreur d'arrêter son développement intellectuel par l'acceptation formelle d'une croyance ou d'un système, et ne prit point pour demeure définitive, une auberge tout juste convenable au séjour d'une nuit ou de quelques heures d'une nuit sans étoiles et sans lune.

Le mysticisme, avec le merveilleux pouvoir qui est en lui de parer d'étrangeté les choses vulgaires, et l'antinomie subtile qui semble toujours l'accompagner, l'émut pour un temps...

Pour un temps aussi, il inclina vers les doctrines matérialistes du darwinisme allemand, et trouva un curieux plaisir à placer les pensées et les passions des hommes dans quelque cellule perlée du cerveau, ou dans quelque nerf blanc du corps, se complaisant à la conception de la dépendance absolue de l'esprit à certaines conditions physiques, morbides ou sanitaires, normales ou malades.

Mais, comme il a été dit déjà, aucune théorie sur la vie ne lui sembla avoir d'importance comparée à la Vie elle-même.

Il eût profondément conscience de la stérilité de la spéculation intellectuelle quand on la sépare de l'action et de l'expérience. Il perçut que les sens, non moins que l'âme, avaient aussi leurs mystères spirituels et révélés.

Il se mit à étudier les parfums, et les secrets de leur confection, distillant lui-même des huiles puissamment parfumées, ou brûlant d'odorantes gommes venant de l'Orient.

Il comprit qu'il n'y avait point de disposition d'esprit qui ne trouva sa contrepartie dans la vie sensorielle, et essaya de découvrir leurs relations véritables ; ainsi l'encens lui sembla l'odeur des mystiques et l'ambre gris, celle des passionnés ; la violette évoque la mémoire des amours défuntes, le musc rend dément et le champagne pervertit l'imagination.

Il tenta souvent d'établir une psychologie des parfums, et d'estimer les diverses influences des racines douces-odorantes, des fleurs chargées de pollen parfumé, des baumes aromatiques, des bois de senteur sombres, du nard indien qui rend malade, de l'hovenia qui affole les hommes, et de l'aloès dont il est dit qu'il chasse la mélancolie de l'âme.

D'autres fois, il se dévouait entièrement à la musique et dans une longue chambre treillissée, au plafond de vermillon et d'or, aux murs de laque vert olive, il donnait d'étranges concerts où de folles gipsies tiraient une ardente musique de petites cithares, où de graves Tunisiens aux tartans jaunes arrachaient des sons aux cordes tendues de monstrueux luths, pendant que des nègres ricaneurs battaient avec monotonie sur des tambours de cuivre, et qu'accroupis sur des nattes écarlates, de minces Indiens coiffés de turbans soufflaient dans de longues pipes de roseau ou d'airain, en charmant, ou feignant de charmer, d'énormes serpents à capuchon ou d'horribles vipères cornues.

Les âpres intervalles et les discords aigus de cette musique barbare le réveillaient quand la grâce de Schubert, les tristesses belles de Chopin et les célestes harmonies de Beethoven ne pouvaient l'émouvoir.

Il recueillit de tous les coins du monde les plus étranges instruments qu'il fut possible de trouver, même dans les tombes des peuples morts ou parmi les quelques tribus sauvages qui ont survécu à la civilisation de l'Ouest, et il aimait à les toucher, à les essayer.

Il possédait le mystérieux juruparis des Indiens du Rio Negro qu'il n'est pas permis aux femmes de voir, et que ne peuvent même contempler les jeunes gens que lorsqu'ils ont été soumis au jeûne et à la flagellation, les jarres de terre des Péruviens dont on tire des sons pareils à des cris perçants d'oiseaux, les flûtes faites d'ossements humains pareilles à celles qu'Alfonso de Olvalle entendit au Chili, et les verts jaspes sonores que l'on trouve près de Cuzco et qui donnent une note de douceur singulière.

Il avait des gourdes peintes remplies de cailloux, qui résonnaient quand on les secouait, le long clarin des Mexicains dans lequel un musicien ne doit pas souffler, mais en aspirer l'air, le ture rude des tribus de l'Amazone, dont sonnent les sentinelles perchées tout le jour dans de hauts arbres et que l'on peut entendre, dit-on, à trois lieues de distance ; le teponaztli aux deux langues vibrantes de bois, que l'on bat avec des joncs enduits d'une gomme élastique obtenu du suc laiteux des plantes ; des cloches d'Astèques, dites yolt , réunies en grappes, et un gros tambour cylindrique, couvert de peaux de grands serpents semblables à celui que vit Bernal Diaz quand il entra avec Cortez dans le temple mexicain, et dont il nous a laissé du son douloureux une si éclatante description.

Le caractère fantastique de ces instruments le charmait, et il éprouva un étrange bonheur à penser que l'art comme la nature, avait ses monstres, choses de formes bestiales aux voix hideuses.

Cependant, au bout de quelque temps, ils l'ennuyèrent, et il allait dans sa loge à l'Opéra, seul ou avec lord Henry, écouter, extasié de bonheur, le Tannhauser , voyant dans l'ouverture du chef-d'œuvre comme le prélude de la tragédie de sa propre âme.

La fantaisie des joyaux le prit, et il apparut un jour dans un bal déguisé en Anne de Joyeuse, amiral de France, portant un costume couvert de cinq cent soixante perles.

Ce goût l'obséda pendant des années, et l'on peut croire qu'il ne le quitta jamais.

Il passait souvent des journées entières, rangeant et dérangeant dans leurs boîtes les pierres variées qu'il avait réunies, par exemple, le chrysobéryl vert olive qui devient rouge à la lumière de la lampe, le cymophane aux fils d'argent, le péridot couleur pistache, les topazes rosés et jaunes, les escarboucles d'un fougueux écarlate aux étoiles tremblantes de quatre rais, les pierres de cinnamome d'un rouge de flamme, les spinelles oranges et violacées et les améthystes aux couches alternées de rubis et de saphir.

Il aimait l'or rouge de la pierre solaire, la blancheur perlée de la pierre de lune, et l'arc-en-ciel brisé de l'opale laiteuse.

Il fit venir d'Amsterdam trois émeraudes d'extraordinaire grandeur et d'une richesse incomparable de couleur, et il eut une turquoise de la vieille roche qui fit l'envie de tous les connaisseurs.

Il découvrit aussi de merveilleuses histoires de pierreries... Dans la « Cléricalis Disciplina » d'Alphonse, il est parlé d'un serpent qui avait des yeux en vraie hyacinthe, et dans l'histoire romanesque d'Alexandro, il est dit que le conquérant d'Emathia trouva dans la vallée du Jourdain des serpents « portant sur leurs dos des colliers d'émeraude ».

Philostrate raconte qu'il y avait une gemme dans la cervelle d'un dragon qui faisait que « par l'exhibition de lettres d'or et d'une robe de pourpre » on pouvait endormir le monstre et le tuer.

Selon le grand alchimiste, Pierre de Boniface, le diamant rendait un homme invisible, et l'agate des Indes le faisait éloquent.

La cornaline apaisait la colère, l'hyacinthe provoquait le sommeil et l'améthyste chassait les fumées de l'ivresse. Le grenat mettait en fuite les démons et l' hydropicus faisait changer la lune de couleur. La sélénite croissait et déclinait de couleur avec la lune, et le meloceus , qui fait découvrir les voleurs, ne pouvait être terni que par le sang d'un chevreau.

Léonardus Camillus a vu une blanche pierre prise dans la cervelle d'un crapaud nouvellement tué, qui était un antidote certain contre les poisons ; le bezoard que l'on trouvait dans le cœur d'une antilope était un charme contre la peste ; selon Democritus, les aspilates que l'on découvrait dans les nids des oiseaux d'Arabie, gardaient leurs porteurs de tout danger venant du feu.

Le roi de Ceylan allait à cheval par la ville avec un gros rubis dans sa main, pour la cérémonie de son couronnement.

Les portes du palais de Jean-le-Prêtre étaient faites de sardoines, au milieu desquelles était incrustée la corne d'une vipère cornue, ce qui faisait que nul homme portant du poison ne pouvait entrer. Au fronton, l'on voyait deux pommes d'or dans lesquelles étaient enchâssées deux escarboucles de sorte que l'or luisait dans le jour et que les escarboucles éclairaient la nuit.

Dans l'étrange roman de Lodge « Une perle d'Amérique » il est écrit que dans la chambre de la reine, on pouvait voir « toutes les chastes femmes du monde, vêtues d'argent, regardant à travers de beaux miroirs de chrysolithes, d'escarboucles, de saphirs et d'émeraudes vertes ».

Marco Polo a vu les habitants du Zipango placer des perles roses dans la bouche des morts.

Un monstre marin s'était énamouré de la perle qu'un plongeur rapportait au roi Perozes, avait tué le voleur, et pleuré sept lunes sur la perte du joyau.

Quand les Huns attirèrent le roi dans une grande fosse, il s'envola, Procope nous raconte, et il ne fut jamais retrouvé bien que l'empereur Anastasius eut offert cinq cent tonnes de pièces d'or à qui le découvrirait... Le roi de Malabar montra à un certain Vénitien un rosaire de trois cent quatre perles, une pour chaque dieu qu'il adorait.

Quand le duc de Valentinois, fils d'Alexandre VI, fit visite à Louis XII de France, son cheval était bardé de feuilles d'or, si l'on en croit Brantôme, et son chapeau portait un double rang de rubis qui répandaient une éclatante lumière.

Charles d'Angleterre montait à cheval avec des étriers sertis de quatre cent vingt et un diamants. Richard II avait un costume, évalué à trente mille marks, couvert de rubis balais.

Hall décrit Henry VIII allant à la Tour avant son couronnement, comme portant « un pourpoint rehaussé d'or, le plastron brodé de diamants et autres riches pierreries, et autour du cou, un grand baudrier enrichi d'énormes balais ».

Les favoris de Jacques Ierportaient des boucles d'oreilles d'émeraudes retenues par des filigranes d'or.

Édouard II donna à Piers Gaveston une armure d'or rouge semée d'hyacinthes, un collier de roses d'or serti de turquoises et un heaume emperlé... Henry II portait des gants enrichis de pierreries montant jusqu'au coude et avait un gant de fauconnerie cousu de vingt rubis et de cinquante-deux perles. Le chapeau ducal de Charles le Téméraire, dernier duc de Bourgogne, était chargé de perles piriformes et semé de saphirs. Quelle exquise vie que celle de jadis ! Quelle magnificence dans la pompe et la décoration ! Cela semblait encore merveilleux à lire, ces fastes luxueux des temps abolis !

Puis il tourna son attention vers les broderies, les tapisseries, qui tenaient lieu de fresques dans les salles glacées des nations du Nord.

Comme il s'absorbait dans ce sujet – il avait toujours eu une extraordinaire faculté d'absorber totalement son esprit dans quoi qu'il entreprît – il s'assombrit à la pensée de la ruine que le temps apportait sur les belles et prestigieuses choses. Lui, toutefois, y avait échappé...

Les étés succédaient aux étés, et les jonquilles jaunes avaient fleuri et étaient mortes bien des fois, et des nuits d'horreur répétaient l'histoire de leur honte, et lui n'avait pas changé !...

Nul hiver n'abîma sa face, ne ternit sa pureté florale. Quelle différence avec les choses matérielles ! Où étaient-elles maintenant ?

Où était la belle robe couleur de crocus, pour laquelle les dieux avaient combattu les géants, que de brunes filles avaient tissé pour le plaisir d'Athénée ?...

Où, l'énorme velarium que Néron avait tendu devant le Colisée de Rome, cette voile titanesque de pourpre sur laquelle étaient représentés les cieux étoilés et Apollon conduisant son quadrige de blancs coursiers aux rênes d'or ?...

Il s'attardait à regarder les curieuses nappes apportées pour le Prêtre du Soleil, sur lesquelles étaient déposées toutes les friandises et les viandes dont on avait besoin pour les fêtes, le drap mortuaire du roi Chilpéric brodé de trois cents abeilles d'or, les robes fantastiques qui excitèrent l'indignation de l'évêque de Pont, où étaient représentés « des lions, des panthères, des ours, des dogues, des forêts, des rochers, des chasseurs, en un mot tout ce qu'un peintre peut copier dans la nature » et le costume porté une fois par Charles d'Orléans dont les manches étaient adornées des vers d'une chanson commençant par :

Madame, je suis tout joyeux...

L'accompagnement musical des paroles était tissé en fils d'or, et chaque note ayant la forme carrée du temps, était faite de quatre perles...

Il lut la description de l'ameublement de la chambre qui fut préparée à Reims pour la Reine Jeanne de Bourgogne ; elle était décorée de treize cent vingt et un perroquets brodés et blasonnés aux armes du Roi, en plus de cinq cent soixante et un papillons dont les ailes portaient les armes de la reine, le tout d'or.

Catherine de Médicis avait un lit de deuil fait pour elle de noir velours parsemé de croissants de lune et de soleils.

Les rideaux en étaient de damas ; sur leur champ or et argent étaient brodés des couronnes de verdure et des guirlandes, les bords frangés de perles, et la chambre qui contenait ce lit était entourée de devises découpées dans un velours noir et placées sur un fond d'argent. Louis XIV avait des cariatides vêtues d'or de quinze pieds de haut dans ses palais.

Le lit de justice de Sobieski, roi de Pologne, était fait de brocard d'or de Smyrne cousu de turquoises, et dessus, les vers du Koran.

Ses supports étaient d'argent doré, merveilleusement travaillé, chargés à profusion de médaillons émaillés ou de pierreries. Il avait été pris près de Vienne dans un camp turc et l'étendard de Mahomet avait flotté sous les ors tremblants de son dais.

Pendant toute une année, Dorian se passionna à accumuler les plus délicieux spécimens qu'il lui fut possible de découvrir de l'art textile et de la broderie ; il se procura les adorables mousselines de Delhi finement tissées de palmes d'or et piquées d'ailes iridescentes de scarabées ; les gazes du Dekkan, que leur transparence fait appeler en Orient air tissé , eau courante ou rosée du soir ; d'étranges étoffes historiées de Java ; de jaunes tapisseries chinoises savamment travaillées ; des livres reliés en satin fauve ou en soie d'un bleu prestigieux, portant sur leurs plats des fleurs de lys, des oiseaux, des figures ; des dentelles au point de Hongrie, des brocards siciliens et de rigides velours espagnols ; des broderies géorgiennes aux coins dorés et des Foukousas japonais aux tons d'or vert, pleins d'oiseaux aux plumages multicolores et fulgurants.

Il eut aussi une particulière passion pour les vêtements ecclésiastiques, comme il en eut d'ailleurs pour toute chose se rattachant au service de l'Église.

Dans les longs coffres de cèdre qui bordaient la galerie ouest de sa maison, il avait recueilli de rares et merveilleux spécimens de ce qui est réellement les habillements de la « Fiancée du Christ » qui doit se vêtir de pourpre, de joyaux et de linges fins dont elle cache son corps anémié par les macérations, usé par les souffrances recherchées, blessé des plaies qu'elle s'infligea.

Il possédait une chape somptueuse de soie cramoisie et d'or damassée, ornée d'un dessin courant de grenades dorées posées sur des fleurs à six pétales cantonnées de pommes de pin incrustées de perles.

Les orfrois représentaient des scènes de la vie de la Vierge, et son Couronnement était brodé au chef avec des soies de couleurs ; c'était un ouvrage italien du XVesiècle.

Une autre chape était en velours vert, brochée de feuilles d'acanthe cordées où se rattachaient de blanches fleurs à longue tige ; les détails en étaient traités au fil d'argent et des cristaux colorés s'y rencontraient ; une tête de Séraphin y figurait, travaillée au fil d'or ; les orfrois étaient diaprés de soies rouges et or, et parsemés de médaillons de plusieurs saints et martyrs, parmi lesquels Saint-Sébastien.

Il avait aussi des chasubles de soie couleur d'ambre, des brocards d'or et de soie bleue, des damas de soie jaune, des étoffes d'or, où était figurée la Passion et la Crucifixion, brodées de lions, de paons et d'autres emblèmes ; des dalmatiques de satin blanc, et de damas de soie rosée, décorées de tulipes, de dauphins et de fleurs de lys ; des nappes d'autel de velours écarlate et de lin bleu ; des corporaux, des voiles de calice, des manipules... Quelque chose aiguisait son imagination de penser aux usages mystiques à quoi tout cela avait répondu.

Car ces trésors, toutes ces choses qu'il collectionnait dans son habitation ravissante, lui étaient un moyen d'oubli, lui étaient une manière d'échapper, pour un temps, à certaines terreurs qu'il ne pouvait supporter.

Sur les murs de la solitaire chambre verrouillée où toute son enfance s'était passée, il avait pendu de ses mains, le terrible portrait dont les traits changeants lui démontraient la dégradation réelle de sa vie, et devant il avait posé en guise de rideau un pallium de pourpre et d'or.

Pendant des semaines, il ne la visitait, tâchait d'oublier la hideuse chose peinte, et recouvrant sa légèreté de cœur, sa joie insouciante, se replongeait passionnément dans l'existence.

Puis, quelque nuit, il se glissait hors de chez lui, et se rendait aux environs horribles des Blue Gate Fields , et il y restait des jours, jusqu'à ce qu'il en fut chassé. À son retour, il s'asseyait en face du portrait, vomissant alternativement sa reproduction et lui-même, bien que rempli, d'autres fois, de cet orgueil de l'individualisme qui est une demie fascination du péché, et souriant, avec un secret plaisir, à l'ombre informe portant le fardeau qui aurait dû être sien.

Au bout de quelques années, il ne put rester longtemps hors d'Angleterre et vendit la villa qu'il partageait à Trouville avec lord Henry, de même que la petite maison aux murs blancs qu'il possédait à Alger où ils avaient demeuré plus d'un hiver.

Il ne pouvait se faire à l'idée d'être séparé du tableau qui avait une telle part dans sa vie, et s'effrayait à penser que pendant son absence quelqu'un pût entrer dans la chambre, malgré les barres qu'il avait fait mettre à la porte.

Il sentait cependant que le portrait ne dirait rien à personne, bien qu'il conservât, sous la turpitude et la laideur des traits, une ressemblance marquée avec lui ; mais que pourrait-il apprendre à celui qui le verrait ?

Il rirait à ceux qui tenteraient de le railler. Ce n'était pas lui qui l'avait peint, que pouvait lui faire cette vilenie et cette honte ? Le croirait-on même s'il l'avouait ?

Il craignait quelque chose, malgré tout... Parfois quand il était dans sa maison de Nottinghamshire, entouré des élégants jeunes gens de sa classe dont il était le chef reconnu, étonnant le comté par son luxe déréglé et l'incroyable splendeur de son mode d'existence, il quittait soudainement ses hôtes, et courait subitement à la ville s'assurer que la porte n'avait été forcée et que le tableau s'y trouvait encore... S'il avait été volé ?

Cette pensée le remplissait d'horreur !... Le monde connaîtrait alors son secret... Ne le connaissait-il point déjà ?

Car bien qu'il fascinât la plupart des gens, beaucoup le méprisaient.

Il fut presque blackboulé dans un club de West-End dont sa naissance et sa position sociale lui permettaient de plein droit d'être membre, et l'on racontait qu'une fois, introduit dans un salon du Churchill , le duc de Berwick et un autre gentilhomme se levèrent et sortirent aussitôt d'une façon qui fut remarquée. De singulières histoires coururent sur son compte alors qu'il eût passé sa vingt-cinquième année. Il fut colporté qu'on l'avait vu se disputer avec des matelots étrangers dans une taverne louche des environs de Whitechapel, qu'il fréquentait des voleurs et des faux monnayeurs et connaissait les mystères de leur art.

Notoires devinrent ses absences extraordinaires, et quand il reparaissait dans le monde, les hommes se parlaient l'un à l'autre dans les coins, ou passaient devant lui en ricanant, ou le regardaient avec des yeux quêteurs et froids comme s'ils étaient déterminés à connaître son secret.

Il ne porta aucune attention à ces insolences et à ces manques d'égards ; d'ailleurs, dans l'opinion de la plupart des gens, ses manières franches et débonnaires, son charmant sourire d'enfant, et l'infinie grâce de sa merveilleuse jeunesse, semblaient une réponse suffisante aux calomnies, comme ils disaient, qui circulaient sur lui... Il fut remarqué, toutefois, que ceux qui avaient paru ses plus intimes amis, semblaient le fuir maintenant.

Les femmes qui l'avait farouchement adoré, et, pour lui, avaient bravé la censure sociale et défié les convenances, devenaient pâles de honte ou d'horreur quand il entrait dans la salle où elles se trouvaient.

Mais ces scandales soufflés à l'oreille accrurent pour certains, au contraire, son charme étrange et dangereux.

Sa grande fortune lui fut un élément de sécurité. La société, la société civilisée tout au moins, croit difficilement du mal de ceux qui sont riches et beaux. Elle sent instinctivement que les manières sont de plus grande importance que la morale, et, à ses yeux, la plus haute respectabilité est de moindre valeur que la possession d'un bon chef.

C'est vraiment une piètre consolation que de se dire d'un homme qui vous a fait mal dîner, ou boire un vin discutable, que sa vie privée est irréprochable.

Même l'exercice des vertus cardinales ne peuvent racheter des entrées servies demi-froides, comme lord Henry, parlant un jour sur ce sujet, le fit remarquer, et il y a vraiment beaucoup à dire à ce propos, car les règles de la bonne société sont, ou pourraient être, les mêmes que celles de l'art. La forme y est absolument essentielle. Cela pourrait avoir la dignité d'un cérémonial, aussi bien que son irréalité, et pourrait combiner le caractère insincère d'une pièce romantique avec l'esprit et la beauté qui nous font délicieuses de semblables pièces. L'insincérité est-elle une si terrible chose ? Je ne le pense pas. C'est simplement une méthode à l'aide de laquelle nous pouvons multiplier nos personnalités.

C'était du moins, l'opinion de Dorian Gray.

Il s'étonnait de la psychologie superficielle qui consiste à concevoir le Moi dans l'homme comme une chose simple, permanente, digne de confiance, et d'une certaine essence.

Pour lui, l'homme était un être composé de myriades de vies et de myriades de sensations, une complexe et multiforme créature qui portait en elle d'étranges héritages de doutes et de passions, et dont la chair même était infectée des monstrueuses maladies de la mort.

Il aimait à flâner dans la froide et nue galerie de peinture de sa maison de campagne, contemplant les divers portraits de ceux dont le sang coulait en ses veines.

Ici était Philip Herbert, dont Francis Osborne dit dans ses « Mémoires on the Reigns of Queen Elizabeth and Ring James » qu'il fut choyé par la cour pour sa belle figure qu'il ne conserva pas longtemps... Était-ce la vie du jeune Herbert qu'il continuait quelquefois ?...

Quelque étrange germe empoisonné ne s'était-il communiqué de génération en génération jusqu'à lui ? N'était-ce pas quelque reste obscur de cette grâce flétrie qui l'avait fait si subitement et presque sans cause, proférer dans l'atelier de Basil Hallward cette prière folle qui avait changé sa vie ?...

Là, en pourpoint rouge brodé d'or, dans un manteau couvert de pierreries, la fraise et les poignets piqués d'or, s'érigeait sir Anthony Sherard, avec, à ses pieds, son armure d'argent et de sable.

Quel avait été le legs de cet homme ? Lui avait-il laissé, cet amant de Giovanna de Naples, un héritage de péché et de honte ? N'étaient-elles simplement, ses propres actions, les rêves que ce mort n'avait osé réaliser ?

Sur une toile éteinte, souriait lady Elizabeth Devereux, à la coiffe de gaze, au corsage de perles lacé, portant les manches aux crevés de satin rosé.

Une fleur était dans sa main droite, et sa gauche étreignait un collier émaillé de blanches roses de Damas. Sur la table à côté d'elle, une pomme et une mandoline... Il y avait de larges rosettes vertes sur ses petits souliers pointus. Il connaissait sa vie et les étranges histoires que l'on savait de ses amants. Quelque chose de son tempérament était-il en lui ? Ses yeux ovales aux lourdes paupières semblaient curieusement le regarder.

Et ce Georges Willoughby, avec ses cheveux poudrés et ses mouches fantastiques !...

Quel mauvais air il avait ! Sa face était hâlée et saturnienne, et ses lèvres sensuelles se retroussaient avec dédain. Sur ses mains jaunes et décharnées chargées de bagues, retombaient des manchettes de dentelle précieuse. Il avait été un des dandies du dix-huitième siècle et, dans sa jeunesse, l'ami de lord Kerrars.

Que penser de ce second lord Beckenham, compagnon du Prince Régent dans ses plus fâcheux jours et l'un des témoins de son mariage secret avec madame Fitz-Herbert ?...

Comme il paraissait fier et beau, avec ses cheveux châtains et sa pose insolente ! Quelles passions lui avait-il transmises ? Le monde l'avait jugé infâme ; il était des orgies de Carlton House. L'étoile de la Jarretière brillait à sa poitrine...

À côté de lui était pendu le portrait de sa femme, pâle créature aux lèvres minces, vêtue de noir.

Son sang, aussi, coulait en lui. Comme tout cela lui parut curieux !

Et sa mère, qui ressemblait à lady Hamilton, sa mère aux lèvres humides, rouges comme vin !...

Il savait ce qu'il tenait d'elle ! Elle lui avait légué sa beauté, et sa passion pour la beauté des autres. Elle riait à lui dans une robe lâche de Bacchante ; il y avait des feuilles de vigne dans sa chevelure, un flot de pourpre coulait de la coupe qu'elle tenait. Les carnations de la peinture étaient éteintes, mais les yeux restaient quand même merveilleux par leur profondeur et le brillant du coloris. Ils semblaient le suivre dans sa marche.

On a des ancêtres en littérature, aussi bien que dans sa propre race, plus proches peut-être encore comme type et tempérament, et beaucoup ont sur vous une influence dont vous êtes conscient.

Il semblait parfois à Dorian Gray que l'histoire du monde n'était que celle de sa vie, non comme s'il l'avait vécue en actions et en faits, mais comme son imagination la lui avait créée, comme elle avait été dans son cerveau, dans ses passions. Il s'imaginait qu'il les avait connues toutes, ces étranges et terribles figures qui avaient passé sur la scène du monde, qui avaient fait si séduisant le péché, et le mal si subtil ; il lui semblait que par de mystérieuses voies, leurs vies avaient été la sienne.

Le héros du merveilleux roman qui avait tant influencé sa vie, avait lui-même connu ces rêves étranges ; il raconte dans le septième chapitre, comment, de lauriers couronné, pour que la foudre ne le frappât, il s'était assis comme Tibère, dans un jardin à Caprée, lisant les livres obscènes d'Eléphantine ce pendant que des nains et des paons se pavanaient autour de lui, et que le joueur de flûte raillait le balanceur d'encens... Comme Caligula, il avait riboté dans les écuries avec les palefreniers aux chemises vertes, et soupé dans une mangeoire d'ivoire avec un cheval au frontal de pierreries... Comme Domitien, il avait erré à travers des corridors bordés de miroirs de marbre, les yeux hagards à la pensée du couteau qui devait finir ses jours, malade de cet ennui, de ce terrible tedium vitœ , qui vient à ceux auxquels la vie n'a rien refusé.

Il avait lorgné, à travers une claire émeraude, les rouges boucheries du Cirque, et, dans une litières de perles et de pourpre, que tiraient des mules ferrées d'argent, il avait été porté par la Via Pomegranates à la Maison-d'Or, et entendu, pendant qu'il passait, des hommes crier : Nero Caesar !...

Comme Héliogabale, il s'était fardé la face, et parmi des femmes, avait filé la quenouille, et fait venir la Lune de Carthage, pour l'unir au Soleil dans un mariage mystique.

Encore et encore, Dorian relisait ce chapitre fantastique, et les deux chapitres suivants, dans lesquels, comme en une curieuse tapisserie ou par des émaux adroitement incrustés, étaient peintes les figures terribles et belles de ceux que le Vice et le Sang et la Lassitude ont fait monstrueux et déments : Filippo, duc de Milan, qui tua sa femme et teignit ses lèvres d'un poison écarlate, de façon à ce que son amant suçât la mort en baisant la chose morte qu'il idolâtrait ; Pietro Barbi, le Vénitien, que l'on nomme Paul II, qui voulut vaniteusement prendre le titre de Formosus , et dont la tiare, évaluée à deux cent mille florins, fut le prix d'un péché terrible ; Gian Maria Visconti, qui se servait de lévriers pour chasser les hommes, et dont le cadavre meurtri fut couvert de roses par une prostituée qui l'avait aimé !...

Et le Borgia sur son blanc cheval, le Fratricide galopant à côté de lui, son manteau teint du sang de Perotto ; Pietro Riario, le jeune cardinal-archevêque de Florence, enfant et mignon de Sixte IV, dont la beauté ne fut égalée que par la débauche, et qui reçut Leonora d'Aragon sous un pavillon de soie blanche et cramoisie, rempli de nymphes et de centaures, en caressant un jeune garçon dont il se servait dans les fêtes comme de Ganymède ou de Hylas ; Ezzelin, dont la mélancolie ne pouvait être guérie que par le spectacle de la mort, ayant une passion pour le sang, comme d'autres en ont pour le vin, Ezzelin, fils du démon, fut-il dit, qui trompa son père aux dés, alors qu'il lui jouait son âme !...

Et Giambattista Ciho, qui prit par moquerie le nom d'Innocent, dans les torpides veines duquel fut infusé, par un docteur juif, le sang de trois adolescents ; Sigismondo Malatesta, l'amant d'Isotta, et le seigneur de Rimini, dont l'effigie fut brûlée à Rome, comme ennemi de Dieu et des hommes, qui étrangla Polyssena avec une serviette, fit boire du poison à Ginevra d'Esté dans une coupe d'émeraude, et bâtit une église païenne pour l'adoration du Christ, en l'honneur d'une passion honteuse !...

Et ce Charles VI, qui aima si sauvagement la femme de son frère qu'un lépreux avertit du crime qu'il allait commettre, ce Charles VI dont la passion démentielle ne put seulement être guérie que par des cartes sarrazines où étaient peintes les images de l'Amour, de la Mort et de la Folie !

Et s'évoquait encore, dans son pourpoint orné, coiffé de son chapeau garni de joyaux, ses cheveux bouclés comme des acanthes, Griffonetto Baglione, qui tua Astorre et sa fiancée, Simonetto et son page, mais dont la grâce était telle, que, lorsqu'on le trouva mourant sur la place jaune de Pérouse, ceux qui le haïssaient ne purent que pleurer, et qu'Atalanta qui l'avait maudit, le bénit !...

Une horrible fascination s'émanait d'eux tous !

Il les vit la nuit, et le jour ils troublèrent son imagination. La Renaissance connut d'étranges façons d'empoisonner : par un casque ou une torche allumée, par un gant brodé ou un éventail endiamanté, par une boule de senteur dorée, ou par une chaîne d'ambre...

Dorian Gray, lui, avait été empoisonné par un livre !...

Il y avait des moments où il regardait simplement le Mal comme un mode nécessaire à la réalisation de son concept de la Beauté.


Le portrait de Dorian Gray Chapitre 11 Das Bildnis des Dorian Gray Kapitel 11 The Picture of Dorian Gray Chapter 11 Obraz Doriana Graya Rozdział 11

Chapitre XI

Pendant des années, Dorian Gray ne put se libérer de l'influence de ce livre ; il serait peut-être plus juste de dire qu'il ne songea jamais à s'en libérer. For years Dorian Gray could not free himself from the influence of this book; it would perhaps be more accurate to say that he never dreamed of freeing himself from it.

Il avait fait venir de Paris neuf exemplaires à grande marge de la première édition, et les avait fait relier de différentes couleurs, en sorte qu'ils pussent concorder avec ses humeurs variées et les fantaisies changeantes de son caractère, sur lequel, il semblait, par moments, avoir perdu tout contrôle. He had brought from Paris nine wide-margined copies of the first edition, and had them bound in different colours, so that they might accord with his varied moods and the changing fancies of his character, on which, it seemed, at times, having lost all control.

Le héros du livre, le jeune et prodigieux Parisien, en qui les influences romanesques et scientifiques s'étaient si étrangement confondues, lui devint une sorte de préfiguration de lui-même ; et à la vérité, ce livre lui semblait être l'histoire de sa propre vie, écrite avant qu'il ne l'eût vécue. The hero of the book, the young and prodigious Parisian, in whom the romantic and scientific influences had so strangely blended, became to him a sort of prefiguration of himself; and in truth, this book seemed to him to be the story of his own life, written before he had lived it.

À un certain point de vue, il était plus fortuné que le fantastique héros du roman. In a way, he was better off than the fantastic hero of the novel.

Il ne connut jamais – et jamais n'eut aucune raison de connaître – cette indéfinissable et grotesque horreur des miroirs, des surfaces de métal polies, des eaux tranquilles, qui survint de si bonne heure dans la vie du jeune Parisien à la suite du déclin prématuré d'une beauté qui avait été, jadis, si remarquable... He never knew - and never had any reason to know - that indefinable and grotesque horror of mirrors, of polished metal surfaces, of still waters, which occurred so early in the life of the young Parisian following the decline premature of a beauty which had once been so remarkable...

C'était presque avec une joie cruelle – la cruauté ne trouve-t-elle sa place dans toute joie comme en tout plaisir ? It was almost with cruel joy – doesn't cruelty find its place in all joy as well as in all pleasure?

– qu'il lisait la dernière partie du volume, avec sa réellement tragique et quelque peu emphatique analyse de la tristesse et du désespoir de celui qui perd, lui-même, ce que dans les autres et dans le monde, il a le plus chèrement apprécié. – that he was reading the last part of the volume, with its truly tragic and somewhat emphatic analysis of the sadness and despair of one who loses, himself, what in others and in the world he dearest appreciated.

Car la merveilleuse beauté qui avait tant fasciné Basil Hallward, et bien d'autres avec lui, ne sembla jamais l'abandonner. For the marvelous beauty that had so fascinated Basil Hallward, and many others with him, never seemed to abandon him.

Même ceux qui avaient entendu sur lui les plus insolites racontars, et quoique, de temps à autres, d'étranges rumeurs sur son mode d'existence courussent dans Londres, devenant le potin des clubs, ne pouvaient croire à son déshonneur quand ils le voyaient. Even those who had heard the strangest gossip about him, and though from time to time strange rumors of his mode of existence circulated through London, becoming the gossip of the clubs, could not believe his dishonor when they saw him. . Il avait toujours l'apparence d'un être que le monde n'aurait souillé. Les hommes qui parlaient grossièrement entre eux, faisaient silence quand ils l'apercevaient. The men who were talking rudely among themselves were silent when they saw him. Il y avait quelque chose dans la pureté de sa face qui les faisait se taire. There was something in the purity of his face that kept them quiet. Sa simple présence semblait leur rappeler la mémoire de l'innocence qu'ils avaient ternie. His mere presence seemed to remind them of the memory of innocence they had tarnished. Ils s'émerveillaient de ce qu'un être aussi gracieux et charmant, eût pu échapper à la tare d'une époque à la fois aussi sordide et aussi sensuelle. They marveled that such a graceful and charming being could have escaped the blemish of an era that was both sordid and sensual.

Souvent, en revenant à la maison d'une de ses absences mystérieuses et prolongées qui donneront naissance à tant de conjectures parmi ceux qui étaient ses amis, ou qui pensaient l'être, il montait à pas de loup là-haut, à la chambre fermée, en ouvrait la porte avec une clef qui ne le quittait jamais, et là, un miroir à la main, en face du tableau de Basil Hallward, il confrontait la face devenue vieillissante et mauvaise, peinte sur la toile avec sa propre face qui lui riait dans la glace... L'acuité du contraste augmentait son plaisir. Often, on returning home from one of his mysterious and prolonged absences which will give rise to so many conjectures among those who were his friends, or who thought they were, he would stealthily climb upstairs, to the bedroom closed, opened the door with a key that never left him, and there, a mirror in his hand, facing Basil Hallward's painting, he confronted the face that had become aging and bad, painted on the canvas, with his own face that he was laughing in the mirror... The sharpness of the contrast increased his pleasure.

Il devint de plus en plus énamouré de sa propre beauté, de plus en plus intéressé à la déliquescence de son âme. He became more and more enamored with his own beauty, more and more interested in the decay of his soul.

Il examinait avec un soin minutieux, et parfois, avec de terribles et monstrueuses délices, les stigmates hideux qui déshonoraient ce front ridé ou se tordaient autour de la bouche épaisse et sensuelle, se demandant quels étaient les plus horribles, des signes du péché ou des marques de l'âge... Il plaçait ses blanches mains à côté des mains rudes et bouffies de la peinture, et souriait... Il se moquait du corps se déformant et des membres las. He examined with painstaking care, and sometimes with terrible and monstrous delight, the hideous stigmata that dishonored that wrinkled brow or twisted around the thick sensual mouth, wondering which were more horrible, signs of sin or marks of age... He placed his white hands beside the rough, puffy hands of the paint, and smiled... He laughed at the deforming body and the weary limbs.

Des fois, cependant, le soir, reposant éveillé dans sa chambre imprégnée de délicats parfums, ou dans la mansarde sordide de la petite taverne mal famée située près des Docks, qu'il avait accoutumé de fréquenter, déguisé et sous un faux nom, il pensait à la ruine qu'il attirait sur son âme, avec un désespoir d'autant plus poignant qu'il était purement égoïste. Sometimes, however, in the evening, lying awake in his room impregnated with delicate perfumes, or in the sordid attic of the little disreputable tavern near the Docks, which he had wont to frequent, disguised and under a false name, he thought of the ruin he was bringing to his soul, with a despair all the more poignant because he was purely selfish.

Mais rares étaient ces moments. But these moments were rare.

Cette curiosité de la vie que lord Henry avait insufflée le premier en lui, alors qu'ils étaient assis dans le jardin du peintre leur ami, semblait croître avec volupté. That curiosity for life which Lord Henry had first instilled in him, as they sat in the garden of their friend the painter, seemed to grow with delight.

Plus il connaissait, plus il voulait connaître. The more he knew, the more he wanted to know. Il avait des appétits dévorants, qui devenaient plus insatiables à mesure qu'il les satisfaisait. He had voracious appetites, which became more insatiable the more he satisfied them.

Cependant, il n'abandonnait pas toutes relations avec le monde. However, he did not abandon all relations with the world.

Une fois ou deux par mois durant l'hiver, et chaque mercredi soir pendant la saison, il ouvrait aux invités sa maison splendide et avait les plus célèbres musiciens du moment pour charmer ses hôtes des merveilles de leur art. Once or twice a month during the winter, and every Wednesday evening during the season, he opened his splendid house to guests and had the most famous musicians of the day to charm his guests with the marvels of their art.

Ses petits dîners, dans la composition desquels lord Henry l'assistait, étaient remarqués, autant pour la sélection soigneuse et le rang de ceux qui y étaient invités, que pour le goût exquis montré dans la décoration de la table, avec ses subtils arrangements symphoniques de fleurs exotiques, ses nappes brodées, sa vaisselle antique d'argent et d'or. His little dinners, in the composition of which Lord Henry assisted him, were noted, as much for the careful selection and rank of those who were invited, as for the exquisite taste shown in the decoration of the table, with its subtle symphonic arrangements. of exotic flowers, its embroidered tablecloths, its antique silver and gold crockery.

Il y en avait beaucoup, parmi les jeunes gens, qui virent ou crurent voir dans Dorian Gray, la vraie réalisation du type qu'ils avaient souvent rêvé jadis à Eton ou à Oxford, le type combinant quelque chose de la culture réelle de l'étudiant avec la grâce, la distinction ou les manières parfaites d'un homme du monde. There were many among the young people who saw, or thought they saw, in Dorian Gray the real realization of the type they had often dreamed of in Eton or Oxford, the type combining something of the real culture of student with the grace, distinction, or perfect manners of a man of the world.

Il leur semblait être de ceux dont parle le Dante, de ceux qui cherchent à se rendre « parfaits par le culte de la Beauté ». He seemed to them to be of those of whom Dante speaks, of those who seek to make themselves "perfect through the cult of Beauty." Comme Gautier, il était « celui pour qui le monde visible existe » ... Like Gautier, he was “the one for whom the visible world exists”...

Et certainement, la Vie lui était le premier, le plus grand des arts, celui dont tous les autres ne paraissent que la préparation. And certainly, Life was to him the first, the greatest of the arts, the one of which all the others seem only the preparation.

La mode, par quoi ce qui est réellement fantastique devient un instant universel, et le Dandysme, qui, à sa manière, est une tentative proclamant la modernité absolue de la Beauté, avaient, naturellement, retenu son attention. Fashion, by which what is truly fantastic becomes a universal instant, and Dandyism, which, in its own way, is an attempt to proclaim the absolute modernity of Beauty, had naturally caught his attention. Sa façon de s'habiller, les manières particulières que, de temps à autre, il affectait, avaient une influence marquée sur les jeunes mondains des bals de Mayfair ou des fenêtres de clubs de Pall Mail, qui le copiaient en toutes choses, et s'essayaient à reproduire le charme accidentel de sa grâce ; cela lui paraissait d'ailleurs secondaire et niais. His manner of dress, the peculiar manners which from time to time he affected, had a marked influence upon the young socialites at the balls of Mayfair or the club windows of Pall Mail, who copied him in all things, and s tried to reproduce the accidental charm of her grace; moreover, that seemed to him secondary and silly.

Car, bien qu'il fût prêt à accepter la position qui lui était offerte à son entrée dans la vie, et qu'il trouvât, à la vérité, un plaisir curieux à la pensée qu'il pouvait devenir pour le Londres de nos jours, ce que dans l'impériale Rome de Néron, l'auteur du Satyricon avait été, encore, au fond de son cœur, désirait-il être plus qu'un simple Arbiter Elegantiarum , consulté sur le port d'un bijou, le nœud d'une cravate ou le maniement d'une canne. For although he was ready to accept the position offered him on his entry into life, and found, indeed, a curious pleasure in the thought of what he might become for the London of our day , which in Nero's imperial Rome the author of the Satyricon had been, yet, deep in his heart, did he desire to be more than a mere Arbiter Elegantiarum, consulted on the wearing of a jewel, the knot of a tie or the handling of a cane.

Il cherchait à élaborer quelque nouveau schéma de vie qui aurait sa philosophie raisonnée, ses principes ordonnés, et trouverait dans la spiritualisation des sens, sa plus haute réalisation. He sought to work out some new plan of life which would have its reasoned philosophy, its ordered principles, and which would find in the spiritualization of the senses, its highest realization.

Le culte des sens a, souvent, et avec beaucoup de justice, été décrié, les hommes se sentant instinctivement terrifiés devant les passions et les sensations qui semblent plus fortes qu'eux, et qu'ils ont conscience d'affronter avec des formes d'existence moins hautement organisées. The cult of the senses has often, and with great justice, been decried, men feeling instinctively terrified before the passions and sensations which seem stronger than themselves, and which they are aware of confronting with forms of less highly organized existence.

Mais il semblait à Dorian Gray que la vraie nature des sens n'avait jamais été comprise, que les hommes étaient restés brutes et sauvages parce que le monde avait cherché à les affamer par la soumission ou les anéantir par la douleur, au lieu d'aspirer à les faire des éléments d'une nouvelle spiritualité, dont un instinct subtil de Beauté était la dominante caractéristique. But it seemed to Dorian Gray that the true nature of the senses had never been understood, that men had remained raw and savage because the world had sought to starve them with submission or annihilate them with pain, instead of to aspire to make them elements of a new spirituality, of which a subtle instinct of Beauty was the dominant characteristic.

Comme il se figurait l'homme se mouvant dans l'histoire, il fut hanté par un sentiment de défaite... Tant avaient été vaincus et pour un but si mesquin. As he imagined the man moving through the story, he was haunted by a sense of defeat... So many had been defeated and for such a petty purpose.

Il y avait eu des défections volontaires et folles, des formes monstrueuses de torture par soi-même et de renoncement, dont l'origine était la peur, et dont le résultat avait été une dégradation infiniment plus terrible que cette dégradation imaginaire, qu'ils avaient, en leur ignorance, cherché à éviter, la Nature, dans son ironie merveilleuse, faisant se nourrir l'anachorète avec les animaux du désert, et donnant à l'ermite les bêtes de la plaine pour compagnons. There had been voluntary and mad defections, monstrous forms of self-torture and renunciation, the origin of which was fear, and the result of which had been a degradation infinitely more terrible than this imaginary degradation, which they had had, in their ignorance, sought to avoid Nature, in its marvelous irony, making the anchorite feed on the animals of the desert, and giving the hermit the animals of the plain for companions.

Certes, il pouvait y avoir, comme lord Harry l'avait prophétisé, un nouvel Hédonisme qui recréerait la vie, et la tirerait de ce grossier et déplaisant puritanisme revivant de nos jours. Certainly there could be, as Lord Harry had prophesied, a new Hedonism which would recreate life, and draw it out of that crude and unpleasant Puritanism now reliving.

Ce serait l'affaire de l'intellectualité, certainement ; il ne devait être accepté aucune théorie, aucun système impliquant le sacrifice d'un mode d'expérience passionnelle. It would be a matter of intellectuality, certainly; no theory, no system involving the sacrifice of a mode of passionate experience was to be accepted. Son but, vraiment, était l'expérience même, et non les fruits de l'expérience quels qu'ils fussent, doux ou amers. His goal, really, was the experience itself, and not the fruits of the experience, whatever they were, sweet or bitter. Il ne devait pas plus être tenu compte de l'ascétisme qui amène la mort des sens que du dérèglement vulgaire qui les émousse ; mais il fallait apprendre à l'homme à concentrer sa volonté sur les instants d'une vie qui n'est elle-même qu'un instant. Asceticism, which leads to the death of the senses, should no more be taken into account than vulgar disorder which dulls it; but man had to be taught to concentrate his will on the moments of a life which is itself only a moment.

Il est peu d'entre nous qui ne se soient quelquefois éveillés avant l'aube, ou bien après l'une de ces nuits sans rêves qui nous rendent presque amoureux de la mort, ou après une de ces nuits d'horreur et de joie informe, alors qu'à travers les cellules du cerveau se glissent des fantômes plus terribles que la réalité elle-même, animés de cette vie ardente propre à tous les grotesques, et qui prête à l'art gothique son endurante vitalité, cet art étant, on peut croire, spécialement l'art de ceux dont l'esprit a été troublé par la maladie de la rêverie... There are few of us who have not sometimes woken before dawn, or after one of those dreamless nights which make us almost fall in love with death, or after one of those nights of horror and joy. shapeless, while through the cells of the brain slip phantoms more terrible than reality itself, animated by that ardent life proper to all grotesques, and which lends to Gothic art its enduring vitality, this art being , one may believe, especially the art of those whose minds have been troubled by the disease of daydreaming...

Graduellement, des doigts blancs rampent par les rideaux qui semblent trembler... Sous de ténébreuses formes fantastiques, des ombres muettes se dissimulent dans les coins de la chambre et s'y tapissent... Gradually, white fingers crawl through the curtains which seem to tremble... Under dark fantastic shapes, mute shadows hide in the corners of the room and lurk there...

Au dehors, c'est l'éveil des oiseaux parmi les feuilles, le pas des ouvriers se rendant au travail, ou les soupirs et les sanglots du vent soufflant des collines, errant autour de la maison silencieuse, comme s'il craignait d'en éveiller les dormeurs, qui auraient alors à rappeler le sommeil de sa cave de pourpre. Outside, it is the awakening of the birds among the leaves, the footsteps of the workmen on their way to work, or the sighs and sobs of the wind blowing from the hills, wandering around the silent house, as if afraid of to awaken its sleepers, who would then have to recall the sleep of its purple cellar.

Des voiles et des voiles de fine gaze sombre se lèvent, et par degrés, les choses récupèrent leurs formes et leurs couleurs, et nous guettons l'aurore refaisant à nouveau le monde. Veils and veils of fine dark gauze rise, and by degrees things recover their shapes and colors, and we watch for the dawn remaking the world again.

Les miroirs blêmes retrouvent leur vie mimique. Pale mirrors regain their mimic life.

Les bougies éteintes sont où nous les avons laissées, et à côté, gît le livre à demi-coupé que nous lisions, ou la fleur montée que nous portions au bal, ou la lettre que nous avions peur de lire ou que nous avons lue trop souvent... Rien ne nous semble changé. The unlit candles are where we left them, and next to it lies the half-cut book we were reading, or the mounted flower we wore to the ball, or the letter we were afraid to read or read too much. often... Nothing seems to have changed.

Hors des ombres irréelles de la nuit, resurgit la vie réelle que nous connûmes. Out of the unreal shadows of the night, reappears the real life that we knew.

Il nous faut nous souvenir où nous la laissâmes ; et alors s'empare de nous un terrible sentiment de la continuité nécessaire de l'énergie dans quelque cercle fastidieux d'habitudes stéréotypées, ou un sauvage désir, peut-être, que nos paupières s'ouvrent quelque matin sur un monde qui aurait été refait à nouveau dans les ténèbres pour notre plaisir, un monde dans lequel les choses auraient de nouvelles formes et de nouvelles couleurs, qui serait changé, qui aurait d'autres secrets, un monde dans lequel le passé aurait peu ou point de place, aucune survivance, même sous forme consciente d'obligation ou de regret, la remembrance même des joies ayant son amertume, et la mémoire des plaisirs, ses douleurs. We must remember where we left her; and then seizes us a terrible feeling of the necessary continuity of energy in some tedious circle of stereotyped habits, or a wild desire, perhaps, that our eyelids should open some morning on a world which would have been remade again in darkness for our enjoyment, a world in which things would have new shapes and colors, which would be changed, which would have other secrets, a world in which the past would have little or no place, no survival, even in the conscious form of obligation or regret, the very remembrance of joys having its bitterness, and the memory of pleasures, its pains.

C'était la création de pareils mondes qui semblait à Dorian Gray, l'un des seuls, le seul objet même de la vie ; dans sa course aux sensations, ce serait nouveau et délicieux, et posséderait cet élément d'étrangeté si essentiel au roman ; il adapterait certains modes de pensée qu'il savait étrangers à sa nature, s'abandonnerait à leurs captieuses influences, et ayant, de cette façon, saisi leurs couleurs et satisfait sa curiosité intellectuelle, les laisserait avec cette sceptique indifférence qui n'est pas incompatible avec une réelle ardeur de tempérament et qui en est même, suivant certains psychologistes modernes, une nécessaire condition. It was the creation of such worlds that seemed to Dorian Gray one of the very, the only object of life; in its race for sensations, it would be new and delicious, and would possess that element of strangeness so essential to the novel; he would adapt certain modes of thought which he knew to be foreign to his nature, abandon himself to their captious influences, and having in this way seized their colors and satisfied his intellectual curiosity, would leave them with that skeptical indifference which is not incompatible with a real ardor of temperament and which is even, according to certain modern psychologists, a necessary condition.

Le bruit courut quelque temps qu'il allait embrasser la communion catholique romaine ; et certainement le rituel romain avait toujours eu pour lui un grand attrait. It was rumored for some time that he was about to embrace the Roman Catholic Communion; and certainly the Roman ritual had always had a great attraction for him.

Le Sacrifice quotidien, plus terriblement réel que tous les sacrifices du monde antique, l'attirait autant par son superbe dédain de l'évidence des sens, que par la simplicité primitive de ses éléments et l'éternel pathétique de la Tragédie humaine qu'il cherche à symboliser. The Daily Sacrifice, more terribly real than all the sacrifices of the ancient world, attracted him as much by its superb disdain for the obviousness of the senses, as by the primitive simplicity of its elements and the eternal pathos of the human tragedy that it seeks to symbolize.

Il aimait à s'agenouiller sur les froids pavés de marbre, et à contempler le prêtre, dans sa rigide dalmatique fleurie, écartant lentement avec ses blanches mains le voile du tabernacle, ou élevant l'ostensoir serti de joyaux, contenant la pâle hostie qu'on croirait parfois être, en vérité, le panis cœtestis , le pain des anges, ou, revêtu des attributs de la Passion du Christ, brisant l'hostie dans le calice et frappant sa poitrine pour ses péchés. He liked to kneel on the cold marble pavements, and to contemplate the priest, in his rigid flowery dalmatic, slowly pushing aside the veil of the tabernacle with his white hands, or raising the monstrance set with jewels, containing the pale host that one would sometimes believe to be, in truth, the panis cœtestis, the bread of the angels, or, clothed with the attributes of the Passion of Christ, breaking the host in the chalice and beating his breast for his sins.

Les encensoirs fumants, que des enfants vêtus de dentelles et d'écarlate balançaient gravement dans l'air, comme de grandes fleurs d'or, le séduisaient infiniment. The smoking censers, which children dressed in lace and scarlet swayed solemnly in the air, like great golden flowers, seduced him infinitely. En s'en allant, il s'étonnait devant les confessionnaux obscurs, et s'attardait dans l'ombre de l'un d'eux, écoutant les hommes et les femmes souffler à travers la grille usée l'histoire véritable de leur vie. As he left, he marveled at the dark confessionals, and lingered in the shadow of one of them, listening to the men and women whisper through the worn grating the true story of their lives. .

Mais il ne tomba jamais dans l'erreur d'arrêter son développement intellectuel par l'acceptation formelle d'une croyance ou d'un système, et ne prit point pour demeure définitive, une auberge tout juste convenable au séjour d'une nuit ou de quelques heures d'une nuit sans étoiles et sans lune. But he never fell into the error of arresting his intellectual development by the formal acceptance of a belief or a system, and did not take as his final abode an inn just suitable for a stay of a night or of a few hours of a starless and moonless night.

Le mysticisme, avec le merveilleux pouvoir qui est en lui de parer d'étrangeté les choses vulgaires, et l'antinomie subtile qui semble toujours l'accompagner, l'émut pour un temps...

Pour un temps aussi, il inclina vers les doctrines matérialistes du darwinisme allemand, et trouva un curieux plaisir à placer les pensées et les passions des hommes dans quelque cellule perlée du cerveau, ou dans quelque nerf blanc du corps, se complaisant à la conception de la dépendance absolue de l'esprit à certaines conditions physiques, morbides ou sanitaires, normales ou malades. For a time also he inclined to the materialistic doctrines of German Darwinism, and found a curious pleasure in placing the thoughts and passions of men in some pearly cell of the brain, or in some white nerve of the body, delighting in the conception of the absolute dependence of the mind on certain physical conditions, morbid or sanitary, normal or diseased.

Mais, comme il a été dit déjà, aucune théorie sur la vie ne lui sembla avoir d'importance comparée à la Vie elle-même. But, as has already been said, no theory of life seemed to him to matter compared to Life itself.

Il eût profondément conscience de la stérilité de la spéculation intellectuelle quand on la sépare de l'action et de l'expérience. He was deeply aware of the sterility of intellectual speculation when separated from action and experience. Il perçut que les sens, non moins que l'âme, avaient aussi leurs mystères spirituels et révélés. He perceived that the senses, no less than the soul, also had their spiritual and revealed mysteries.

Il se mit à étudier les parfums, et les secrets de leur confection, distillant lui-même des huiles puissamment parfumées, ou brûlant d'odorantes gommes venant de l'Orient. He began to study perfumes, and the secrets of their making, distilling powerfully scented oils himself, or burning fragrant gums from the Orient.

Il comprit qu'il n'y avait point de disposition d'esprit qui ne trouva sa contrepartie dans la vie sensorielle, et essaya de découvrir leurs relations véritables ; ainsi l'encens lui sembla l'odeur des mystiques et l'ambre gris, celle des passionnés ; la violette évoque la mémoire des amours défuntes, le musc rend dément et le champagne pervertit l'imagination. He understood that there was no disposition of mind which did not find its counterpart in the sense life, and tried to discover their true relations; thus incense seemed to him the odor of the mystics and ambergris that of the passionate; the violet evokes the memory of deceased loves, the musk drives one crazy and the champagne perverts the imagination.

Il tenta souvent d'établir une psychologie des parfums, et d'estimer les diverses influences des racines douces-odorantes, des fleurs chargées de pollen parfumé, des baumes aromatiques, des bois de senteur sombres, du nard indien qui rend malade, de l'hovenia qui affole les hommes, et de l'aloès dont il est dit qu'il chasse la mélancolie de l'âme. He often tried to establish a psychology of perfumes, and to estimate the various influences of sweet-smelling roots, flowers laden with fragrant pollen, aromatic balsams, dark scented woods, lemongrass which makes you sick, 'hovenia which maddens men, and aloe which is said to drive away melancholy from the soul.

D'autres fois, il se dévouait entièrement à la musique et dans une longue chambre treillissée, au plafond de vermillon et d'or, aux murs de laque vert olive, il donnait d'étranges concerts où de folles gipsies tiraient une ardente musique de petites cithares, où de graves Tunisiens aux tartans jaunes arrachaient des sons aux cordes tendues de monstrueux luths, pendant que des nègres ricaneurs battaient avec monotonie sur des tambours de cuivre, et qu'accroupis sur des nattes écarlates, de minces Indiens coiffés de turbans soufflaient dans de longues pipes de roseau ou d'airain, en charmant, ou feignant de charmer, d'énormes serpents à capuchon ou d'horribles vipères cornues. At other times he devoted himself entirely to music, and in a long trellised room, with a vermilion and gold ceiling, walls of olive-green lacquer, he gave strange concerts where mad gipsies drew ardent music from small zithers, where grave Tunisians in yellow tartans wrung sounds from the stretched strings of monstrous lutes, while sneering negroes beat monotonously on copper drums, and squatting on scarlet mats, slender Indians wearing turbans blew in long pipes of reed or brass, charming, or pretending to charm, enormous hooded snakes or horrible horned vipers.

Les âpres intervalles et les discords aigus de cette musique barbare le réveillaient quand la grâce de Schubert, les tristesses belles de Chopin et les célestes harmonies de Beethoven ne pouvaient l'émouvoir. The bitter intervals and sharp discords of this barbaric music awakened him when the grace of Schubert, the beautiful sadness of Chopin and the celestial harmonies of Beethoven could not move him.

Il recueillit de tous les coins du monde les plus étranges instruments qu'il fut possible de trouver, même dans les tombes des peuples morts ou parmi les quelques tribus sauvages qui ont survécu à la civilisation de l'Ouest, et il aimait à les toucher, à les essayer. He collected from all corners of the world the strangest instruments that it was possible to find, even in the graves of dead peoples or among the few savage tribes who survived Western civilization, and he loved to touch them. , to try them.

Il possédait le mystérieux juruparis des Indiens du Rio Negro qu'il n'est pas permis aux femmes de voir, et que ne peuvent même contempler les jeunes gens que lorsqu'ils ont été soumis au jeûne et à la flagellation, les jarres de terre des Péruviens dont on tire des sons pareils à des cris perçants d'oiseaux, les flûtes faites d'ossements humains pareilles à celles qu'Alfonso de Olvalle entendit au Chili, et les verts jaspes sonores que l'on trouve près de Cuzco et qui donnent une note de douceur singulière. He possessed the mysterious juruparis of the Indians of the Rio Negro, which women are not permitted to see, and which even young men can contemplate only when they have been subjected to fasting and flagellation, the earthen jars from the Peruvians from which sounds like the piercing cries of birds are emitted, the flutes made of human bones like those that Alfonso de Olvalle heard in Chile, and the green sonorous jaspers that one finds near Cuzco and which give a note of singular sweetness.

Il avait des gourdes peintes remplies de cailloux, qui résonnaient quand on les secouait, le long clarin des Mexicains dans lequel un musicien ne doit pas souffler, mais en aspirer l'air, le ture rude des tribus de l'Amazone, dont sonnent les sentinelles perchées tout le jour dans de hauts arbres et que l'on peut entendre, dit-on, à trois lieues de distance ; le teponaztli aux deux langues vibrantes de bois, que l'on bat avec des joncs enduits d'une gomme élastique obtenu du suc laiteux des plantes ; des cloches d'Astèques, dites yolt , réunies en grappes, et un gros tambour cylindrique, couvert de peaux de grands serpents semblables à celui que vit Bernal Diaz quand il entra avec Cortez dans le temple mexicain, et dont il nous a laissé du son douloureux une si éclatante description. He had painted gourds filled with pebbles, which resounded when shaken, the long clarinet of the Mexicans into which a musician should not blow but breathe in the air, the rough ture of the tribes of the Amazon, from which sound the sentinels perched all day long in tall trees, and who can be heard, it is said, three leagues away; the teponaztli with two tongues vibrating with wood, which is beaten with reeds coated with an elastic gum obtained from the milky juice of plants; bells of Astecs, called yolt, gathered in clusters, and a large cylindrical drum, covered with the skins of large snakes similar to that which Bernal Diaz saw when he entered with Cortez in the Mexican temple, and of which he has left us the sound painful such a vivid description.

Le caractère fantastique de ces instruments le charmait, et il éprouva un étrange bonheur à penser que l'art comme la nature, avait ses monstres, choses de formes bestiales aux voix hideuses. The fantastic nature of these instruments charmed him, and he experienced a strange happiness in thinking that art, like nature, had its monsters, beastly shaped things with hideous voices.

Cependant, au bout de quelque temps, ils l'ennuyèrent, et il allait dans sa loge à l'Opéra, seul ou avec lord Henry, écouter, extasié de bonheur, le Tannhauser , voyant dans l'ouverture du chef-d'œuvre comme le prélude de la tragédie de sa propre âme. However, after some time they bored him, and he went to his box at the Opera, alone or with Lord Henry, to listen, ecstatic with happiness, to the Tannhauser, seeing in the overture to the masterpiece as the prelude to the tragedy of his own soul.

La fantaisie des joyaux le prit, et il apparut un jour dans un bal déguisé en Anne de Joyeuse, amiral de France, portant un costume couvert de cinq cent soixante perles. The fancy for jewels took him, and he appeared one day at a ball disguised as Anne de Joyeuse, Admiral of France, wearing a costume covered with five hundred and sixty pearls.

Ce goût l'obséda pendant des années, et l'on peut croire qu'il ne le quitta jamais. This taste obsessed him for years, and one can believe that it never left him.

Il passait souvent des journées entières, rangeant et dérangeant dans leurs boîtes les pierres variées qu'il avait réunies, par exemple, le chrysobéryl vert olive qui devient rouge à la lumière de la lampe, le cymophane aux fils d'argent, le péridot couleur pistache, les topazes rosés et jaunes, les escarboucles d'un fougueux écarlate aux étoiles tremblantes de quatre rais, les pierres de cinnamome d'un rouge de flamme, les spinelles oranges et violacées et les améthystes aux couches alternées de rubis et de saphir. He often spent whole days arranging and disturbing in their boxes the various stones he had collected, for example, the olive-green chrysoberyl which turns red in the light of the lamp, the cymophane with silver threads, the colored peridot pistachio, pink and yellow topazes, fiery scarlet carbuncles with quivering stars of four spokes, flame-red cinnamon stones, orange and purplish spinels and amethysts with alternating layers of ruby and sapphire.

Il aimait l'or rouge de la pierre solaire, la blancheur perlée de la pierre de lune, et l'arc-en-ciel brisé de l'opale laiteuse. He loved the red gold of sunstone, the pearly whiteness of moonstone, and the broken rainbow of milky opal.

Il fit venir d'Amsterdam trois émeraudes d'extraordinaire grandeur et d'une richesse incomparable de couleur, et il eut une turquoise de la vieille roche qui fit l'envie de tous les connaisseurs. He brought from Amsterdam three emeralds of extraordinary size and incomparable richness of color, and he had a turquoise from the old rock which was the envy of all connoisseurs.

Il découvrit aussi de merveilleuses histoires de pierreries... Dans la « Cléricalis Disciplina » d'Alphonse, il est parlé d'un serpent qui avait des yeux en vraie hyacinthe, et dans l'histoire romanesque d'Alexandro, il est dit que le conquérant d'Emathia trouva dans la vallée du Jourdain des serpents « portant sur leurs dos des colliers d'émeraude ». He also discovered marvelous stories of precious stones... In Alphonse's "Clericalis Disciplina", it is spoken of a snake which had eyes made of real hyacinth, and in the romantic story of Alexandro, it is said that the conqueror of Emathia found in the valley of the Jordan serpents "wearing on their backs necklaces of emerald."

Philostrate raconte qu'il y avait une gemme dans la cervelle d'un dragon qui faisait que « par l'exhibition de lettres d'or et d'une robe de pourpre » on pouvait endormir le monstre et le tuer. Philostratus relates that there was a gem in the brain of a dragon which meant that "by the display of letters of gold and a purple robe" the monster could be put to sleep and killed.

Selon le grand alchimiste, Pierre de Boniface, le diamant rendait un homme invisible, et l'agate des Indes le faisait éloquent. According to the great alchemist, Pierre de Boniface, the diamond made a man invisible, and the agate of India made him eloquent.

La cornaline apaisait la colère, l'hyacinthe provoquait le sommeil et l'améthyste chassait les fumées de l'ivresse. The carnelian soothed anger, the hyacinth provoked sleep and the amethyst expelled the fumes of drunkenness. Le grenat mettait en fuite les démons et l' hydropicus faisait changer la lune de couleur. Garnet put demons to flight and dropsy made the moon change color. La sélénite croissait et déclinait de couleur avec la lune, et le meloceus , qui fait découvrir les voleurs, ne pouvait être terni que par le sang d'un chevreau. Selenite waxed and waned in color with the moon, and the meloceus, which reveals thieves, could only be tarnished by the blood of a kid.

Léonardus Camillus a vu une blanche pierre prise dans la cervelle d'un crapaud nouvellement tué, qui était un antidote certain contre les poisons ; le bezoard que l'on trouvait dans le cœur d'une antilope était un charme contre la peste ; selon Democritus, les aspilates que l'on découvrait dans les nids des oiseaux d'Arabie, gardaient leurs porteurs de tout danger venant du feu. Leonardo Camillus saw a white stone caught in the brain of a newly killed toad, which was a sure antidote against poisons; the bezoar found in the heart of an antelope was a charm against the plague; according to Democritus, the aspilates which were discovered in the nests of the birds of Arabia, guarded their carriers from all danger coming from fire.

Le roi de Ceylan allait à cheval par la ville avec un gros rubis dans sa main, pour la cérémonie de son couronnement. The King of Ceylon rode through the city with a large ruby in his hand, for the ceremony of his coronation.

Les portes du palais de Jean-le-Prêtre étaient faites de sardoines, au milieu desquelles était incrustée la corne d'une vipère cornue, ce qui faisait que nul homme portant du poison ne pouvait entrer. The gates of the palace of Jean-le-Prêtre were made of sardes, in the middle of which was encrusted the horn of a horned viper, so that no man carrying poison could enter. Au fronton, l'on voyait deux pommes d'or dans lesquelles étaient enchâssées deux escarboucles de sorte que l'or luisait dans le jour et que les escarboucles éclairaient la nuit. On the pediment were two golden apples in which were set two carbuncles so that the gold gleamed by day and the carbuncles lit up the night.

Dans l'étrange roman de Lodge « Une perle d'Amérique » il est écrit que dans la chambre de la reine, on pouvait voir « toutes les chastes femmes du monde, vêtues d'argent, regardant à travers de beaux miroirs de chrysolithes, d'escarboucles, de saphirs et d'émeraudes vertes ». In Lodge's strange novel "A Pearl of America" it is written that in the queen's chamber one could see "all the chaste women of the world, clad in silver, looking through beautiful mirrors of chrysolites, of carbuncles, sapphires and green emeralds ”.

Marco Polo a vu les habitants du Zipango placer des perles roses dans la bouche des morts. Marco Polo saw the people of Zipango place pink beads in the mouths of the dead.

Un monstre marin s'était énamouré de la perle qu'un plongeur rapportait au roi Perozes, avait tué le voleur, et pleuré sept lunes sur la perte du joyau. A sea monster fell in love with the pearl that a diver brought back to King Perozes, killed the thief, and cried seven moons over the loss of the jewel.

Quand les Huns attirèrent le roi dans une grande fosse, il s'envola, Procope nous raconte, et il ne fut jamais retrouvé bien que l'empereur Anastasius eut offert cinq cent tonnes de pièces d'or à qui le découvrirait... Le roi de Malabar montra à un certain Vénitien un rosaire de trois cent quatre perles, une pour chaque dieu qu'il adorait. When the Huns lured the king into a large pit, he flew away, Procopius tells us, and he was never found, although the Emperor Anastasius had offered five hundred tons of gold coins to anyone who discovered him... king of Malabar showed a certain Venetian a rosary of three hundred and four beads, one for each god he adored.

Quand le duc de Valentinois, fils d'Alexandre VI, fit visite à Louis XII de France, son cheval était bardé de feuilles d'or, si l'on en croit Brantôme, et son chapeau portait un double rang de rubis qui répandaient une éclatante lumière. When the Duc de Valentinois, son of Alexander VI, paid a visit to Louis XII of France, his horse was covered with gold leaf, according to Brantôme, and his hat bore a double row of rubies which spread a dazzling light.

Charles d'Angleterre montait à cheval avec des étriers sertis de quatre cent vingt et un diamants. Richard II avait un costume, évalué à trente mille marks, couvert de rubis balais. Richard II had a suit, valued at thirty thousand marks, covered in broom rubies.

Hall décrit Henry VIII allant à la Tour avant son couronnement, comme portant « un pourpoint rehaussé d'or, le plastron brodé de diamants et autres riches pierreries, et autour du cou, un grand baudrier enrichi d'énormes balais ». Hall describes Henry VIII going to the Tower before his coronation, as wearing "a doublet embellished with gold, the breastplate embroidered with diamonds and other rich jewels, and round his neck a great baldric embellished with enormous brooms".

Les favoris de Jacques Ierportaient des boucles d'oreilles d'émeraudes retenues par des filigranes d'or. Jacques Ier's favorites wore emerald earrings held in place by gold filigree.

Édouard II donna à Piers Gaveston une armure d'or rouge semée d'hyacinthes, un collier de roses d'or serti de turquoises et un heaume emperlé... Henry II portait des gants enrichis de pierreries montant jusqu'au coude et avait un gant de fauconnerie cousu de vingt rubis et de cinquante-deux perles. Edward II gave Piers Gaveston armor of red gold studded with hyacinths, a necklace of golden roses set with turquoises and a beaded helm...Henry II wore gloves embellished with jewels reaching to the elbow and had a falconry glove sewn with twenty rubies and fifty-two pearls. Le chapeau ducal de Charles le Téméraire, dernier duc de Bourgogne, était chargé de perles piriformes et semé de saphirs. The ducal hat of Charles the Bold, last Duke of Burgundy, was laden with pear-shaped pearls and studded with sapphires. Quelle exquise vie que celle de jadis ! What an exquisite life was that of old! Quelle magnificence dans la pompe et la décoration ! What magnificence in pomp and decoration! Cela semblait encore merveilleux à lire, ces fastes luxueux des temps abolis ! It still seemed marvelous to read, those luxurious pomps of bygone times!

Puis il tourna son attention vers les broderies, les tapisseries, qui tenaient lieu de fresques dans les salles glacées des nations du Nord. Then he turned his attention to the embroideries, the tapestries, which took the place of frescoes in the frozen halls of the nations of the North.

Comme il s'absorbait dans ce sujet – il avait toujours eu une extraordinaire faculté d'absorber totalement son esprit dans quoi qu'il entreprît – il s'assombrit à la pensée de la ruine que le temps apportait sur les belles et prestigieuses choses. As he became absorbed in this subject – he had always had an extraordinary ability to totally absorb his mind in whatever he undertook – he darkened at the thought of the ruin that time brought to beautiful and prestigious things. Lui, toutefois, y avait échappé... He, however, escaped...

Les étés succédaient aux étés, et les jonquilles jaunes avaient fleuri et étaient mortes bien des fois, et des nuits d'horreur répétaient l'histoire de leur honte, et lui n'avait pas changé !... Summers followed summers, and the yellow daffodils had bloomed and died many times, and nights of horror repeated the story of their shame, and he had not changed!...

Nul hiver n'abîma sa face, ne ternit sa pureté florale. No winter damaged her face, tarnished her floral purity. Quelle différence avec les choses matérielles ! How different from material things! Où étaient-elles maintenant ? Where were they now?

Où était la belle robe couleur de crocus, pour laquelle les dieux avaient combattu les géants, que de brunes filles avaient tissé pour le plaisir d'Athénée ?...

Où, l'énorme velarium que Néron avait tendu devant le Colisée de Rome, cette voile titanesque de pourpre sur laquelle étaient représentés les cieux étoilés et Apollon conduisant son quadrige de blancs coursiers aux rênes d'or ?... Where, the enormous velarium that Nero had stretched in front of the Colosseum in Rome, that titanic sail of purple on which were represented the starry skies and Apollo leading his quadriga of white steeds with golden reins?...

Il s'attardait à regarder les curieuses nappes apportées pour le Prêtre du Soleil, sur lesquelles étaient déposées toutes les friandises et les viandes dont on avait besoin pour les fêtes, le drap mortuaire du roi Chilpéric brodé de trois cents abeilles d'or, les robes fantastiques qui excitèrent l'indignation de l'évêque de Pont, où étaient représentés « des lions, des panthères, des ours, des dogues, des forêts, des rochers, des chasseurs, en un mot tout ce qu'un peintre peut copier dans la nature » et le costume porté une fois par Charles d'Orléans dont les manches étaient adornées des vers d'une chanson commençant par : He lingered to look at the curious tablecloths brought for the Priest of the Sun, on which were placed all the delicacies and meats needed for the feasts, the mortuary sheet of King Chilperic embroidered with three hundred golden bees, the fantastic dresses which aroused the indignation of the Bishop of Pont, in which were represented "lions, panthers, bears, mastiffs, forests, rocks, hunters, in a word everything that a painter can copy dans la nature" and the costume once worn by Charles d'Orléans whose sleeves were adorned with lines from a song beginning:

Madame, je suis tout joyeux... Madam, I am very happy...

L'accompagnement musical des paroles était tissé en fils d'or, et chaque note ayant la forme carrée du temps, était faite de quatre perles... The musical accompaniment of the lyrics was woven in golden threads, and each note having the square shape of time, was made of four pearls...

Il lut la description de l'ameublement de la chambre qui fut préparée à Reims pour la Reine Jeanne de Bourgogne ; elle était décorée de treize cent vingt et un perroquets brodés et blasonnés aux armes du Roi, en plus de cinq cent soixante et un papillons dont les ailes portaient les armes de la reine, le tout d'or. He read the description of the furnishings of the bedroom which was prepared at Reims for Queen Joan of Burgundy; it was decorated with thirteen hundred and twenty-one parrots embroidered and emblazoned with the arms of the King, in addition to five hundred and sixty-one butterflies whose wings bore the arms of the queen, all in gold.

Catherine de Médicis avait un lit de deuil fait pour elle de noir velours parsemé de croissants de lune et de soleils. Catherine de' Medici had a mourning bed made for her of black velvet dotted with crescent moons and suns.

Les rideaux en étaient de damas ; sur leur champ or et argent étaient brodés des couronnes de verdure et des guirlandes, les bords frangés de perles, et la chambre qui contenait ce lit était entourée de devises découpées dans un velours noir et placées sur un fond d'argent. The curtains were of damask; on their gold and silver field were embroidered wreaths of verdure and garlands, the edges fringed with pearls, and the chamber which contained this bed was surrounded by mottos cut out of black velvet and placed on a silver background. Louis XIV avait des cariatides vêtues d'or de quinze pieds de haut dans ses palais. Louis XIV had gold-clad caryatids fifteen feet tall in his palaces.

Le lit de justice de Sobieski, roi de Pologne, était fait de brocard d'or de Smyrne cousu de turquoises, et dessus, les vers du Koran. The bed of justice of Sobieski, king of Poland, was made of gold brocade from Smyrna sewn with turquoises, and on it, the verses of the Koran.

Ses supports étaient d'argent doré, merveilleusement travaillé, chargés à profusion de médaillons émaillés ou de pierreries. Its supports were of gilded silver, marvelously worked, laden with profusion of enamelled medallions or precious stones. Il avait été pris près de Vienne dans un camp turc et l'étendard de Mahomet avait flotté sous les ors tremblants de son dais. He had been taken near Vienna in a Turkish camp, and the standard of Mahomet had waved under the trembling gold of his canopy.

Pendant toute une année, Dorian se passionna à accumuler les plus délicieux spécimens qu'il lui fut possible de découvrir de l'art textile et de la broderie ; il se procura les adorables mousselines de Delhi finement tissées de palmes d'or et piquées d'ailes iridescentes de scarabées ; les gazes du Dekkan, que leur transparence fait appeler en Orient air tissé , eau courante ou rosée du soir  ; d'étranges étoffes historiées de Java ; de jaunes tapisseries chinoises savamment travaillées ; des livres reliés en satin fauve ou en soie d'un bleu prestigieux, portant sur leurs plats des fleurs de lys, des oiseaux, des figures ; des dentelles au point de Hongrie, des brocards siciliens et de rigides velours espagnols ; des broderies géorgiennes aux coins dorés et des Foukousas japonais aux tons d'or vert, pleins d'oiseaux aux plumages multicolores et fulgurants. For a whole year, Dorian devoted himself to accumulating the most delicious specimens he could find of textile art and embroidery; he procured the adorable Delhi muslins finely woven with golden palm leaves and studded with iridescent beetle wings; the gauzes of the Dekkan, which their transparency makes them call in the East woven air, running water or evening dew; strange historiated fabrics from Java; skilfully worked yellow Chinese tapestries; books bound in fawn satin or in prestigious blue silk, with fleur-de-lys, birds and figures on their covers; Hungarian point laces, Sicilian brocades and stiff Spanish velvets; Georgian embroideries with golden corners and Japanese Foukousas in shades of green gold, full of birds with multicolored and dazzling plumages.

Il eut aussi une particulière passion pour les vêtements ecclésiastiques, comme il en eut d'ailleurs pour toute chose se rattachant au service de l'Église. He also had a particular passion for ecclesiastical clothing, as he had for everything connected with the service of the Church.

Dans les longs coffres de cèdre qui bordaient la galerie ouest de sa maison, il avait recueilli de rares et merveilleux spécimens de ce qui est réellement les habillements de la « Fiancée du Christ » qui doit se vêtir de pourpre, de joyaux et de linges fins dont elle cache son corps anémié par les macérations, usé par les souffrances recherchées, blessé des plaies qu'elle s'infligea. In the long cedar chests which lined the west gallery of his house, he had collected rare and marvelous specimens of what are really the garments of the "Bride of Christ" who must dress herself in purple, jewels and fine linens. from which she hides her body, weakened by the macerations, worn out by the suffering sought, wounded by the wounds she inflicted on herself.

Il possédait une chape somptueuse de soie cramoisie et d'or damassée, ornée d'un dessin courant de grenades dorées posées sur des fleurs à six pétales cantonnées de pommes de pin incrustées de perles. He had a sumptuous cope of crimson silk and damask gold, adorned with a running design of golden pomegranates set on six-petalled flowers flanked by pearl-encrusted pinecones.

Les orfrois représentaient des scènes de la vie de la Vierge, et son Couronnement était brodé au chef avec des soies de couleurs ; c'était un ouvrage italien du XVesiècle. The orfrois represented scenes from the life of the Virgin, and her Coronation was embroidered on the head with colored silks; it was an Italian work of the fifteenth century.

Une autre chape était en velours vert, brochée de feuilles d'acanthe cordées où se rattachaient de blanches fleurs à longue tige ; les détails en étaient traités au fil d'argent et des cristaux colorés s'y rencontraient ; une tête de Séraphin y figurait, travaillée au fil d'or ; les orfrois étaient diaprés de soies rouges et or, et parsemés de médaillons de plusieurs saints et martyrs, parmi lesquels Saint-Sébastien. Another cope was of green velvet, brocaded with corded acanthus leaves to which were attached long-stemmed white flowers; the details were treated with silver thread and colored crystals met there; a head of Seraphim figured there, worked with gold thread; the orfrois were variegated with red and gold silks, and studded with medallions of several saints and martyrs, among them Saint Sebastian.

Il avait aussi des chasubles de soie couleur d'ambre, des brocards d'or et de soie bleue, des damas de soie jaune, des étoffes d'or, où était figurée la Passion et la Crucifixion, brodées de lions, de paons et d'autres emblèmes ; des dalmatiques de satin blanc, et de damas de soie rosée, décorées de tulipes, de dauphins et de fleurs de lys ; des nappes d'autel de velours écarlate et de lin bleu ; des corporaux, des voiles de calice, des manipules... Quelque chose aiguisait son imagination de penser aux usages mystiques à quoi tout cela avait répondu. He also had chasubles of amber-colored silk, brocades of gold and blue silk, damasks of yellow silk, gold stuffs, on which was figured the Passion and the Crucifixion, embroidered with lions, peacocks and other emblems; dalmatics of white satin and pink silk damask, decorated with tulips, dolphins and lilies; altar cloths of scarlet velvet and blue linen; corporeals, chalice veils, maniples... Something sharpened his imagination to think of the mystical uses to which all this had served.

Car ces trésors, toutes ces choses qu'il collectionnait dans son habitation ravissante, lui étaient un moyen d'oubli, lui étaient une manière d'échapper, pour un temps, à certaines terreurs qu'il ne pouvait supporter. Because these treasures, all these things that he collected in his lovely home, were a way for him to forget, were a way for him to escape, for a time, from certain terrors that he could not bear.

Sur les murs de la solitaire chambre verrouillée où toute son enfance s'était passée, il avait pendu de ses mains, le terrible portrait dont les traits changeants lui démontraient la dégradation réelle de sa vie, et devant il avait posé en guise de rideau un pallium de pourpre et d'or. On the walls of the solitary locked room where all his childhood had been spent, he had hung from his hands the terrible portrait whose changing features showed him the real degradation of his life, and in front of it he had placed as a curtain a pallium of purple and gold.

Pendant des semaines, il ne la visitait, tâchait d'oublier la hideuse chose peinte, et recouvrant sa légèreté de cœur, sa joie insouciante, se replongeait passionnément dans l'existence. For weeks he did not visit it, tried to forget the hideous thing painted, and recovering his lightness of heart, his carefree joy, immersed himself passionately in existence.

Puis, quelque nuit, il se glissait hors de chez lui, et se rendait aux environs horribles des Blue Gate Fields , et il y restait des jours, jusqu'à ce qu'il en fut chassé. Then some night he slipped out of his house, and went to the horrible neighborhood of the Blue Gate Fields, and stayed there for days, until he was driven out. À son retour, il s'asseyait en face du portrait, vomissant alternativement sa reproduction et lui-même, bien que rempli, d'autres fois, de cet orgueil de l'individualisme qui est une demie fascination du péché, et souriant, avec un secret plaisir, à l'ombre informe portant le fardeau qui aurait dû être sien. On his return, he sat down opposite the portrait, alternately vomiting his reproduction and himself, although at other times filled with that pride of individualism which is half a fascination with sin, and smiling, with a secret pleasure, in the formless shade carrying the burden that should have been his.

Au bout de quelques années, il ne put rester longtemps hors d'Angleterre et vendit la villa qu'il partageait à Trouville avec lord Henry, de même que la petite maison aux murs blancs qu'il possédait à Alger où ils avaient demeuré plus d'un hiver. After a few years, he could not stay away from England for long and sold the villa he shared in Trouville with Lord Henry, as well as the small white-walled house he owned in Algiers where they had lived for more than a few years. 'a winter.

Il ne pouvait se faire à l'idée d'être séparé du tableau qui avait une telle part dans sa vie, et s'effrayait à penser que pendant son absence quelqu'un pût entrer dans la chambre, malgré les barres qu'il avait fait mettre à la porte. He couldn't get used to the idea of being separated from the painting which had such a large part in his life, and was afraid to think that during his absence someone could enter the room, despite the bars he had. kicked out.

Il sentait cependant que le portrait ne dirait rien à personne, bien qu'il conservât, sous la turpitude et la laideur des traits, une ressemblance marquée avec lui ; mais que pourrait-il apprendre à celui qui le verrait ? He felt, however, that the portrait would mean nothing to anyone, although it retained, beneath the turpitude and ugliness of its features, a marked resemblance to him; but what could it teach anyone who saw it?

Il rirait à ceux qui tenteraient de le railler. He would laugh at those who tried to mock him. Ce n'était pas lui qui l'avait peint, que pouvait lui faire cette vilenie et cette honte ? It was not he who had painted it, what could this villainy and this shame do to him? Le croirait-on même s'il l'avouait ? Would we believe him even if he admitted it?

Il craignait quelque chose, malgré tout... Parfois quand il était dans sa maison de Nottinghamshire, entouré des élégants jeunes gens de sa classe dont il était le chef reconnu, étonnant le comté par son luxe déréglé et l'incroyable splendeur de son mode d'existence, il quittait soudainement ses hôtes, et courait subitement à la ville s'assurer que la porte n'avait été forcée et que le tableau s'y trouvait encore... S'il avait été volé ? He feared something, in spite of everything... Sometimes when he was in his house in Nottinghamshire, surrounded by the elegant young people of his class, of whom he was the recognized leader, astonishing the county with his unregulated luxury and the incredible splendor of his fashion. of existence, he suddenly left his hosts, and ran suddenly to the town to make sure that the door had not been forced and that the painting was still there... If it had been stolen?

Cette pensée le remplissait d'horreur !... Le monde connaîtrait alors son secret... Ne le connaissait-il point déjà ? The world would then know his secret... Didn't he already know it?

Car bien qu'il fascinât la plupart des gens, beaucoup le méprisaient. For although he fascinated most people, many despised him.

Il fut presque blackboulé dans un club de West-End dont sa naissance et sa position sociale lui permettaient de plein droit d'être membre, et l'on racontait qu'une fois, introduit dans un salon du Churchill , le duc de Berwick et un autre gentilhomme se levèrent et sortirent aussitôt d'une façon qui fut remarquée. He was almost blackballed into a West End club of which his birth and social position entitled him to be a full member, and it was said that once, introduced into a salon at the Churchill, the Duke of Berwick and another gentleman got up and went out immediately in a manner that was noticed. De singulières histoires coururent sur son compte alors qu'il eût passé sa vingt-cinquième année. Singular stories ran about him when he was past his twenty-fifth year. Il fut colporté qu'on l'avait vu se disputer avec des matelots étrangers dans une taverne louche des environs de Whitechapel, qu'il fréquentait des voleurs et des faux monnayeurs et connaissait les mystères de leur art. It was rumored that he had been seen arguing with foreign sailors in a shady tavern near Whitechapel, that he associated with thieves and counterfeiters, and knew the mysteries of their trade.

Notoires devinrent ses absences extraordinaires, et quand il reparaissait dans le monde, les hommes se parlaient l'un à l'autre dans les coins, ou passaient devant lui en ricanant, ou le regardaient avec des yeux quêteurs et froids comme s'ils étaient déterminés à connaître son secret. Notorious became his extraordinary absences, and when he reappeared in the world, men talked to each other in the corners, or passed him sneering, or looked at him with questing and cold eyes as if they were determined to find out his secret.

Il ne porta aucune attention à ces insolences et à ces manques d'égards ; d'ailleurs, dans l'opinion de la plupart des gens, ses manières franches et débonnaires, son charmant sourire d'enfant, et l'infinie grâce de sa merveilleuse jeunesse, semblaient une réponse suffisante aux calomnies, comme ils disaient, qui circulaient sur lui... Il fut remarqué, toutefois, que ceux qui avaient paru ses plus intimes amis, semblaient le fuir maintenant. He paid no attention to this insolence and lack of regard; moreover, in the opinion of most people, his frank and good-natured manners, his charming childlike smile, and the infinite grace of his marvelous youth, seemed a sufficient answer to the calumnies, as they said, which circulated on him... It was noticed, however, that those who had seemed his closest friends seemed to shun him now.

Les femmes qui l'avait farouchement adoré, et, pour lui, avaient bravé la censure sociale et défié les convenances, devenaient pâles de honte ou d'horreur quand il entrait dans la salle où elles se trouvaient. The women who had adored him fiercely, and, for him, had defied social censorship and defied propriety, turned pale with shame or horror when he entered the room where they were.

Mais ces scandales soufflés à l'oreille accrurent pour certains, au contraire, son charme étrange et dangereux. But these whispered scandals increased for some, on the contrary, its strange and dangerous charm.

Sa grande fortune lui fut un élément de sécurité. His great fortune was an element of security to him. La société, la société civilisée tout au moins, croit difficilement du mal de ceux qui sont riches et beaux. Society, civilized society at least, hardly thinks badly of those who are rich and beautiful. Elle sent instinctivement que les manières sont de plus grande importance que la morale, et, à ses yeux, la plus haute respectabilité est de moindre valeur que la possession d'un bon chef. She instinctively feels that manners are of greater importance than morals, and in her eyes the highest respectability is of less value than the possession of a good leader.

C'est vraiment une piètre consolation que de se dire d'un homme qui vous a fait mal dîner, ou boire un vin discutable, que sa vie privée est irréprochable. It is really a small consolation to tell oneself of a man who has hurt you at dinner, or drinking questionable wine, that his private life is irreproachable.

Même l'exercice des vertus cardinales ne peuvent racheter des entrées servies demi-froides, comme lord Henry, parlant un jour sur ce sujet, le fit remarquer, et il y a vraiment beaucoup à dire à ce propos, car les règles de la bonne société sont, ou pourraient être, les mêmes que celles de l'art. Even the exercise of the cardinal virtues cannot redeem entrees served half-cold, as Lord Henry, speaking on this subject once, remarked, and there is indeed much to be said on this subject, for the rules of good company are, or could be, the same as those of art. La forme y est absolument essentielle. Cela pourrait avoir la dignité d'un cérémonial, aussi bien que son irréalité, et pourrait combiner le caractère insincère d'une pièce romantique avec l'esprit et la beauté qui nous font délicieuses de semblables pièces. It might have the dignity of a ceremonial as well as its unreality, and might combine the insincerity of a romantic play with the wit and beauty which make such plays delightful to us. L'insincérité est-elle une si terrible chose ? Je ne le pense pas. C'est simplement une méthode à l'aide de laquelle nous pouvons multiplier nos personnalités. It is simply a method by which we can multiply our personalities.

C'était du moins, l'opinion de Dorian Gray. At least, that was Dorian Gray's opinion.

Il s'étonnait de la psychologie superficielle qui consiste à concevoir le Moi dans l'homme comme une chose simple, permanente, digne de confiance, et d'une certaine essence. He marveled at the superficial psychology of conceiving the Self in man as something simple, permanent, trustworthy, and of a certain essence.

Pour lui, l'homme était un être composé de myriades de vies et de myriades de sensations, une complexe et multiforme créature qui portait en elle d'étranges héritages de doutes et de passions, et dont la chair même était infectée des monstrueuses maladies de la mort. For him, man was a being composed of myriads of lives and myriads of sensations, a complex and multiform creature who carried within him strange legacies of doubts and passions, and whose very flesh was infected with the monstrous diseases of the death.

Il aimait à flâner dans la froide et nue galerie de peinture de sa maison de campagne, contemplant les divers portraits de ceux dont le sang coulait en ses veines. He liked to stroll in the cold and bare picture gallery of his country house, contemplating the various portraits of those whose blood flowed in his veins.

Ici était Philip Herbert, dont Francis Osborne dit dans ses « Mémoires on the Reigns of Queen Elizabeth and Ring James » qu'il fut choyé par la cour pour sa belle figure qu'il ne conserva pas longtemps... Était-ce la vie du jeune Herbert qu'il continuait quelquefois ?... Here was Philip Herbert, of whom Francis Osborne says in his "Memoirs on the Reigns of Queen Elizabeth and Ring James" that he was pampered by the court for his fine figure which he did not retain long... Was this life of the young Herbert that he sometimes continued?...

Quelque étrange germe empoisonné ne s'était-il communiqué de génération en génération jusqu'à lui ? Wasn't some strange poisonous germ transmitted from generation to generation down to him? N'était-ce pas quelque reste obscur de cette grâce flétrie qui l'avait fait si subitement et presque sans cause, proférer dans l'atelier de Basil Hallward cette prière folle qui avait changé sa vie ?... Was it not some obscure remnant of that withered grace that had made him so suddenly and almost without a cause utter that mad prayer in Basil Hallward's studio that had changed his life?...

Là, en pourpoint rouge brodé d'or, dans un manteau couvert de pierreries, la fraise et les poignets piqués d'or, s'érigeait sir Anthony Sherard, avec, à ses pieds, son armure d'argent et de sable. There, in a red doublet embroidered with gold, in a cloak covered with jewels, the ruff and cuffs studded with gold, stood Sir Anthony Sherard, with his armor of silver and sand at his feet.

Quel avait été le legs de cet homme ? What had been this man's legacy? Lui avait-il laissé, cet amant de Giovanna de Naples, un héritage de péché et de honte ? Had he left him, this lover of Giovanna of Naples, a heritage of sin and shame? N'étaient-elles simplement, ses propres actions, les rêves que ce mort n'avait osé réaliser ? Weren't they just his own actions, the dreams that this dead man hadn't dared to realize?

Sur une toile éteinte, souriait lady Elizabeth Devereux, à la coiffe de gaze, au corsage de perles lacé, portant les manches aux crevés de satin rosé. On a faded canvas smiled Lady Elizabeth Devereux, with a gauze coif, a bodice laced with pearls, her sleeves ripped with pink satin.

Une fleur était dans sa main droite, et sa gauche étreignait un collier émaillé de blanches roses de Damas. A flower was in her right hand, and her left clutched a necklace enamelled with white Damask roses. Sur la table à côté d'elle, une pomme et une mandoline... Il y avait de larges rosettes vertes sur ses petits souliers pointus. On the table beside her, an apple and a mandolin... There were large green rosettes on her little pointy shoes. Il connaissait sa vie et les étranges histoires que l'on savait de ses amants. He knew her life and the strange stories that were known of her lovers. Quelque chose de son tempérament était-il en lui ? Was something of his temper in him? Ses yeux ovales aux lourdes paupières semblaient curieusement le regarder. Her heavy-lidded oval eyes seemed to stare at him curiously.

Et ce Georges Willoughby, avec ses cheveux poudrés et ses mouches fantastiques !... And this Georges Willoughby, with his powdered hair and his fantastic flies!...

Quel mauvais air il avait ! Sa face était hâlée et saturnienne, et ses lèvres sensuelles se retroussaient avec dédain. Sur ses mains jaunes et décharnées chargées de bagues, retombaient des manchettes de dentelle précieuse. On her yellow, emaciated hands laden with rings, fell cuffs of precious lace. Il avait été un des dandies du dix-huitième siècle et, dans sa jeunesse, l'ami de lord Kerrars. He had been one of the dandies of the eighteenth century and, in his youth, the friend of Lord Kerrars.

Que penser de ce second lord Beckenham, compagnon du Prince Régent dans ses plus fâcheux jours et l'un des témoins de son mariage secret avec madame Fitz-Herbert ?... What to think of this second Lord Beckenham, companion of the Prince Regent in his worst days and one of the witnesses of his secret marriage with Madame Fitz-Herbert?...

Comme il paraissait fier et beau, avec ses cheveux châtains et sa pose insolente ! How proud and handsome he looked, with his chestnut hair and his insolent pose! Quelles passions lui avait-il transmises ? What passions had he transmitted to her? Le monde l'avait jugé infâme ; il était des orgies de Carlton House. The world had judged him infamous; it was Carlton House orgies. L'étoile de la Jarretière brillait à sa poitrine... The Star of the Garter shone on her breast...

À côté de lui était pendu le portrait de sa femme, pâle créature aux lèvres minces, vêtue de noir. Beside him hung the portrait of his wife, a pale creature with thin lips, dressed in black.

Son sang, aussi, coulait en lui. His blood, too, flowed through him. Comme tout cela lui parut curieux ! How curious it all seemed to him!

Et sa mère, qui ressemblait à lady Hamilton, sa mère aux lèvres humides, rouges comme vin !... And his mother, who looked like Lady Hamilton, his mother with wet lips, red as wine!...

Il savait ce qu'il tenait d'elle ! He knew what he got from her! Elle lui avait légué sa beauté, et sa passion pour la beauté des autres. She had bequeathed her beauty to him, and her passion for the beauty of others. Elle riait à lui dans une robe lâche de Bacchante ; il y avait des feuilles de vigne dans sa chevelure, un flot de pourpre coulait de la coupe qu'elle tenait. She was laughing at him in a loose Bacchante dress; there were vine leaves in her hair, a stream of purple flowed from the cup she held. Les carnations de la peinture étaient éteintes, mais les yeux restaient quand même merveilleux par leur profondeur et le brillant du coloris. Ils semblaient le suivre dans sa marche.

On a des ancêtres en littérature, aussi bien que dans sa propre race, plus proches peut-être encore comme type et tempérament, et beaucoup ont sur vous une influence dont vous êtes conscient. One has ancestors in literature as well as in one's own race, perhaps still closer in type and temperament, and many have an influence upon you of which you are aware.

Il semblait parfois à Dorian Gray que l'histoire du monde n'était que celle de sa vie, non comme s'il l'avait vécue en actions et en faits, mais comme son imagination la lui avait créée, comme elle avait été dans son cerveau, dans ses passions. It sometimes seemed to Dorian Gray that the history of the world was only that of his life, not as if he had lived it in deeds and deeds, but as his imagination had created it for him, as it had been in his brain, in his passions. Il s'imaginait qu'il les avait connues toutes, ces étranges et terribles figures qui avaient passé sur la scène du monde, qui avaient fait si séduisant le péché, et le mal si subtil ; il lui semblait que par de mystérieuses voies, leurs vies avaient été la sienne. He imagined he had known them all, those strange and terrible figures who had passed on the scene of the world, who had made sin so alluring, and evil so subtle; it seemed to him that in some mysterious way, their lives had been his.

Le héros du merveilleux roman qui avait tant influencé sa vie, avait lui-même connu ces rêves étranges ; il raconte dans le septième chapitre, comment, de lauriers couronné, pour que la foudre ne le frappât, il s'était assis comme Tibère, dans un jardin à Caprée, lisant les livres obscènes d'Eléphantine ce pendant que des nains et des paons se pavanaient autour de lui, et que le joueur de flûte raillait le balanceur d'encens... Comme Caligula, il avait riboté dans les écuries avec les palefreniers aux chemises vertes, et soupé dans une mangeoire d'ivoire avec un cheval au frontal de pierreries... Comme Domitien, il avait erré à travers des corridors bordés de miroirs de marbre, les yeux hagards à la pensée du couteau qui devait finir ses jours, malade de cet ennui, de ce terrible tedium vitœ , qui vient à ceux auxquels la vie n'a rien refusé. The hero of the marvelous novel which had influenced his life so much, had himself experienced these strange dreams; he tells in the seventh chapter, how, crowned with laurels, so that the lightning would not strike him, he had sat down like Tiberius, in a garden at Caprea, reading the obscene books of Elephantine while dwarfs and peacocks strutted about him, and the flute-player mocked the incense-thrower... Like Caligula, he had romped in the stables with the green-shirted grooms, and supped in an ivory manger with a horse on his brow. jewels... Like Domitian, he had wandered through corridors lined with marble mirrors, his eyes haggard at the thought of the knife that was to end its days, sick with this boredom, this terrible tedium vitae, which comes to those to whom life has refused nothing.

Il avait lorgné, à travers une claire émeraude, les rouges boucheries du Cirque, et, dans une litières de perles et de pourpre, que tiraient des mules ferrées d'argent, il avait été porté par la Via Pomegranates à la Maison-d'Or, et entendu, pendant qu'il passait, des hommes crier : Nero Caesar  !... He had ogled, through a clear emerald, the red butcher's shops of the Circus, and, in a litter of pearls and purple, pulled by silver-shod mules, he had been carried by the Via Pomegranates to the Maison-d' Now, and heard, while he was passing, men shouting: Nero Caesar!...

Comme Héliogabale, il s'était fardé la face, et parmi des femmes, avait filé la quenouille, et fait venir la Lune de Carthage, pour l'unir au Soleil dans un mariage mystique. Like Heliogabalus, he had made up his face, and among women, had spun the distaff, and brought the Moon from Carthage, to unite it to the Sun in a mystical marriage.

Encore et encore, Dorian relisait ce chapitre fantastique, et les deux chapitres suivants, dans lesquels, comme en une curieuse tapisserie ou par des émaux adroitement incrustés, étaient peintes les figures terribles et belles de ceux que le Vice et le Sang et la Lassitude ont fait monstrueux et déments : Filippo, duc de Milan, qui tua sa femme et teignit ses lèvres d'un poison écarlate, de façon à ce que son amant suçât la mort en baisant la chose morte qu'il idolâtrait ; Pietro Barbi, le Vénitien, que l'on nomme Paul II, qui voulut vaniteusement prendre le titre de Formosus , et dont la tiare, évaluée à deux cent mille florins, fut le prix d'un péché terrible ; Gian Maria Visconti, qui se servait de lévriers pour chasser les hommes, et dont le cadavre meurtri fut couvert de roses par une prostituée qui l'avait aimé !... Again and again Dorian re-read that fantastic chapter, and the next two chapters, in which, as in a curious tapestry or by skillfully encrusted enamels, were painted the terrible and beautiful figures of those whom Vice and Blood and Weariness have monstrous and insane fact: Filippo, Duke of Milan, who killed his wife and tinted her lips with a scarlet poison, so that his lover would suckle death by kissing the dead thing he idolized; Pietro Barbi, the Venetian, who is called Paul II, who vainly wanted to take the title of Formosus, and whose tiara, valued at two hundred thousand florins, was the price of a terrible sin; Gian Maria Visconti, who used greyhounds to hunt men, and whose bruised corpse was covered with roses by a prostitute who had loved him!...

Et le Borgia sur son blanc cheval, le Fratricide galopant à côté de lui, son manteau teint du sang de Perotto ; Pietro Riario, le jeune cardinal-archevêque de Florence, enfant et mignon de Sixte IV, dont la beauté ne fut égalée que par la débauche, et qui reçut Leonora d'Aragon sous un pavillon de soie blanche et cramoisie, rempli de nymphes et de centaures, en caressant un jeune garçon dont il se servait dans les fêtes comme de Ganymède ou de Hylas ; Ezzelin, dont la mélancolie ne pouvait être guérie que par le spectacle de la mort, ayant une passion pour le sang, comme d'autres en ont pour le vin, Ezzelin, fils du démon, fut-il dit, qui trompa son père aux dés, alors qu'il lui jouait son âme !... And the Borgia on his white horse, the Fratricide galloping beside him, his cloak stained with Perotto's blood; Pietro Riario, the young cardinal-archbishop of Florence, child and darling of Sixtus IV, whose beauty was equaled only by debauchery, and who received Leonora of Aragon under a pavilion of white and crimson silk, filled with nymphs and centaurs, caressing a young boy whom he used at parties like Ganymede or Hylas; Ezzelin, whose melancholy could only be cured by the spectacle of death, having a passion for blood, as others have for wine, Ezzelin, son of the demon, it was said, who deceived his father at dice, while he was playing his soul to her!...

Et Giambattista Ciho, qui prit par moquerie le nom d'Innocent, dans les torpides veines duquel fut infusé, par un docteur juif, le sang de trois adolescents ; Sigismondo Malatesta, l'amant d'Isotta, et le seigneur de Rimini, dont l'effigie fut brûlée à Rome, comme ennemi de Dieu et des hommes, qui étrangla Polyssena avec une serviette, fit boire du poison à Ginevra d'Esté dans une coupe d'émeraude, et bâtit une église païenne pour l'adoration du Christ, en l'honneur d'une passion honteuse !...

Et ce Charles VI, qui aima si sauvagement la femme de son frère qu'un lépreux avertit du crime qu'il allait commettre, ce Charles VI dont la passion démentielle ne put seulement être guérie que par des cartes sarrazines où étaient peintes les images de l'Amour, de la Mort et de la Folie ! And this Charles VI, who loved his brother's wife so savagely that a leper warned of the crime he was about to commit, this Charles VI whose insane passion could only be cured by Saracen cards on which were painted the images of Love, Death and Madness!

Et s'évoquait encore, dans son pourpoint orné, coiffé de son chapeau garni de joyaux, ses cheveux bouclés comme des acanthes, Griffonetto Baglione, qui tua Astorre et sa fiancée, Simonetto et son page, mais dont la grâce était telle, que, lorsqu'on le trouva mourant sur la place jaune de Pérouse, ceux qui le haïssaient ne purent que pleurer, et qu'Atalanta qui l'avait maudit, le bénit !... And still evoked, in his ornate doublet, wearing his jeweled hat, his hair curled like acanthus, Griffonetto Baglione, who killed Astorre and his betrothed, Simonetto and his page, but whose grace was such that, when he was found dying in the yellow square of Perugia, those who hated him could only cry, and that Atalanta, who had cursed him, blessed him!...

Une horrible fascination s'émanait d'eux tous ! A horrible fascination emanated from them all!

Il les vit la nuit, et le jour ils troublèrent son imagination. He saw them at night, and by day they troubled his imagination. La Renaissance connut d'étranges façons d'empoisonner : par un casque ou une torche allumée, par un gant brodé ou un éventail endiamanté, par une boule de senteur dorée, ou par une chaîne d'ambre... The Renaissance knew strange ways of poisoning: by a helmet or a lighted torch, by an embroidered glove or a diamond-studded fan, by a ball of golden scent, or by an amber chain...

Dorian Gray, lui, avait été empoisonné par un livre !... Dorian Gray had been poisoned by a book!...

Il y avait des moments où il regardait simplement le Mal comme un mode nécessaire à la réalisation de son concept de la Beauté. There were times when he simply looked at Evil as a necessary mode for realizing his concept of Beauty.