Quelles sont les causes de la Guerre de Cent ans ? [QdH#08] (1)
Le 2 septembre 1843, la reine Victoria visite Paris. Quelques mois plus tard, le roi des
Français Louis-Philippe demande l'entente cordiale entre les 2 pays. C'est un évènement,
une étape majeure dans le rapprochement franco-anglais suite à plus 1000 ans de guerres. L'un
des conflits les plus connus de cette rivalité est certainement la Guerre de cent ans, qui
s'est déroulée entre 1337 et 1453, et qui a marqué les esprits par sa durée et
ses épisodes célèbres : Azincourt, Crécy, Armagnacs et Bourguignons, Jeanne d'Arc
sont des termes qui résonnent encore aujourd'hui. Alors demandons comment ce conflit a débuté,
et quelles ont été les origines et les causes profondes de cette Guerre de Cent ans ?
La Guerre de Cent ans n'est pas une guerre continue. Elle alterne périodes de batailles
rangées, temps de paix, guerres civiles, humiliations ou actes héroïques. C'est
un conflit à multiples rebondissements, au point qu'en 1453, date admise comme la fin de la guerre, seules les aspects territoriaux sont plus au moins réglés.
En réalité, le territoire ne constitue qu'un prétexte parmi d'autres. Les causes qui poussèrent
à la Guerre en 1337 sont bien plus diverses et complexes que cela.
Revenons tout d'abord sur ce problème de territoire, qui va ensuite
se coupler à des problèmes dynastiques, juridiques, économiques et même psychologiques.
Ce territoire est la Guyenne, qui représente une partie de l'actuelle Aquitaine, région
particulièrement riche et commerçante, notamment grâce à ses vignobles.
Deux siècles plus tôt, Aliénor d'Aquitaine, qui fût épouse du Roi de France Louis VII, fût répudiée
et épousa Henri Plantagenet, qui était Roi d'Angleterre. En l'épousant, elle lui
apporte cette terre. Le roi d'Angleterre devient donc Duc de Guyenne, et de ce fait,
vassal du Roi de France. Les 2 titres coexistant.
Il est à la fois roi d'Angleterre et Duc.
Pour rappel, au Moyen-Âge, le système de féodalité repose sur un mécanisme d'association
et de réseau, de droits et d'obligations, entre un suzerain et son vassal. C'est un
rapport personnel. Le problème de la Guyenne est étroitement lié à ce système de vassalité,
puisqu'une crise dynastique va redistribuer les cartes de la royauté en France, obligeant
Édouard III à prêter hommage au nouveau roi : Philippe de Valois.
Beaucoup de choses vont donc changer dans cette 1ère partie du XIVème siècle.
La dynastie des Capétiens va s'éteindre, ouvrant une crise de succession, dans laquelle
le Roi d'Angleterre va avoir son petit mot à dire. Cela commence par l'épisode dit
des Rois maudits, popularisé par les romans de Maurice Druon, qui va voir l'avènement
d'une nouvelle dynastie, celle des Valois. Pour faire simple, la transmission de la couronne
s'effectuait toujours au 1er fils du Roi et il n'y avait jamais eu de problèmes
jusqu'à présent, au point que l'on perde l'origine de cette coutume.
La succession de Philipe le Bel semble assurée. Il a 3 fils
et une fille. L'ainé, Louis le Hutin, est marié à Marguerite de Bourgogne, qui lui
a donné une fille, Jeanne de Navarre, mais toujours pas d'héritier mâle. Un problème
survient : Marguerite n'est pas du genre fidèle, elle fricote. L'ennui c'est qu'elle
se fait surprendre. Un énorme scandale éclate. Le mariage est rompu. Louis X se retrouve
sans femme et sans fils. Il se remarie tout de même et devient Roi à la mort de son
père Philippe le Bel en 1314. Il meurt après un an et demi de règne. Sa femme était enceinte et un fils nait juste
après sa mort, le bien nommé Jean le Posthume. Mais il ne règnera que 4 jours. Sa mort parait
pour le peuple assez peu naturel d'ailleurs.
Le frère de Louis X, Philippe V dit le Long, fait alors valoir son droit à la couronne.
Il est déclaré régent par les Grands du royaume puis par d'habiles manoeuvres politiques,
sacré Roi de France. La question de la succession vient de s'inviter au débat en cette année
1316 : est-ce que Jeanne, fille de Louis X le Hutin et Marguerite de Bourgogne peut devenir
reine une fois majeure ? L'assemblée ne tranche pas la question de la succession,
mais la masculinité semble l'emporter par les faits. Philippe V détourne la couronne
de la tête de sa nièce. Il la déshérite de la Champagne et de la Navarre contre 15.000 livres.
6 ans plus tard, en 1322, la question de la succession directe ne se pose même
pas lorsque le Roi meurt. Philippe V a 4 filles, et aucun grand baron ne pense à confier la
couronne à l'une d'elle. C'est donc le 3ème fils de Philippe le Bel, Charles
le Bel, qui prend la couronne de manière logique pour tout le monde. Le dernier des
Capétiens expire en 1328 sans descendant mâle. Cette fois ci la situation est vraiment
critique.
La grande question dynastique va alors se poser : l'exclusion des femmes est-elle
vraiment fondée ? Les juristes et docteurs en droit s'affrontent car il reste encore
la fille de Philippe le Bel, Isabelle, qui est mariée au roi anglais Édouard II.
Elle a un fils, Édouard III qui est roi d'Angleterre. Il est le petit-fils de Philippe le Bel, et
donc le descendant le plus direct des Capétiens. En 1316, la question qui s'était posée
portait sur le droit des femmes à la couronne. Cette fois la question est légèrement différente :
est-ce qu'un descendant direct peut revendiquer un droit que sa mère n'a pas ? La réponse
La réponse va être réglée à nouveau par les faits, puisque les grands du royaume ont déjà fait
leur choix. Édouard n'a même pas l'envie de convoiter le royaume de France à ce moment
là, mais ce doute sur la succession va servir de justification 10 ans plus tard.
Il usera sans modération de son prétendu droit à la couronne, traitant sans cesse le Roi de France d'usurpateur.
La question de la loi salique, excluant définitivement les femmes de tous droit à la succession,
n'arrivera que bien plus tard en réponse à cette revendication anglaise.
En 1328, Philippe de Valois est le plus proche parent mâle sur l'arbre généalogique.
Il est le cousin germain des 3 derniers rois et le petit-fils de Philippe III le Hardi.
A 35 ans, il a l'estime des barons, parait sage et a l'esprit chevaleresque. Vraiment
tout pour plaire. Les grands ne veulent pas d'un prince étranger, ils veulent un natif
de France. Le sentiment national commence tout doucement à se développer.
Philippe VI est sacré à Reims le 29 mai 1328.
Tradition oblige, ses vassaux vont devoir venir lui prêter hommage. Parmi eux, un certain
Édouard III, Duc de Guyenne et Roi d'Angleterre. La pilule est un peu dure à avaler pour lui,
et Philippe ne va pas manquer de lui rappeler ses obligations vassaliques. Sans cet hommage,
Philippe menace de confisquer les revenus de Guyenne. Empêtré dans des luttes intestines
en Angleterre, Édouard préfère se soumettre en juin 1329. Il se rend en France pour 8
jours de festoiement. Tout est fait pour lui rappeler son infériorité face au Roi de France.
Cet hommage ne résout rien aux problèmes récurrents en Guyenne, notamment la question
de sa délimitation. Il s'agit juste d'une manoeuvre diplomatique. Il éveille surtout
une animosité qui ne fera que grandir entre les 2 hommes. Mais les sujets de crispations
entre les 2 rois ne vont pas se situer qu'en Guyenne.
La situation en Ecosse est compliquée pour l'Angleterre. Ce peuple insoumis et rebelle
a réussi plusieurs fois à mettre en déroute les armées anglaises. La France a toujours
su jouer habilement de ses relations avec les écossais afin de nuire aux anglais. En
1328, Robert Bruce, roi d'Ecosse, avait signé un traité très avantageux reconnaissant
l'indépendance de son pays, et le titre royal pour lui. On n'est jamais aussi bien servi que par soi-même.
Mais après sa mort en 1333, les armées de son fils David Bruce, qui n'a que 5 ans,
sont battus par Edouard III lors de la bataille de Halidon Hill. Le roi écossais trouve refuge
à Château-Gaillard,.
Philippe VI envoie des ambassadeurs pour une conférence avec les barons écossais.
On y parle surtout de la guerre. Édouard III en est informé : le roi de France se place clairement en ennemi
de l'Angleterre.
La Flandre constitue également un territoire de tension, cette fois-ci économique, entre
Français et Anglais. L'industrie textile y est florissante. Une classe bourgeoise de
drapiers s'y est développée. Mais une fiscalité trop écrasante provoque des révoltes
assez fréquemment. La chevalerie française avait subi une cuisante défaite en 1302 À
Courtrai. Le nouveau Comte de Flandre, Louis de Nevers, décide à l'avènement de Philippe
de Valois, de se rapprocher de la noblesse d'affaire française .
Surtout que la colère gronde depuis les mauvaises récoltes des années 1315, et les impôts
pèsent de plus en plus sur la moyenne bourgeoisie. Mater cette rébellion est l'occasion pour
Philippe VI de fédérer les barons et de conforter son pouvoir. Il bat les insurgés
à Cassel en 1328, s'assurant au passage le soutien du puissant Comte de Flandre, légitimant
son trône et gardant la main mise sur la plaque tournante du commerce en Europe occidentale.
Voilà qui va faire réfléchir les Anglais, d'autant qu'ils sont les principaux exportateurs
de laine vers les Flandres.
Ce territoire va catalyser les antagonismes entre les 2 royaumes.
Mais cette querelle s'intègre dans un contexte plus global de mutation de
la société féodale. Une crise grave et inédite frappe le monde industriel. Trop
de protectionnisme, une règlementation excessive, une vision traditionnelle empêchant toute
innovation, sont les facteurs de ce début de récession. Les draperies de luxe à Bruges,
Ypres, Gand, Douai subissent de plein fouet cette crise. Des nouvelles routes commerciales
maritimes s'ouvrent grâce à quelques inventions majeures : la boussole ou le gouvernail d'étambot.
Les marchands toscans et florentins commercent avec les anglais en contournant la France.
Les foires, grand lieu de rencontres médiévales, comme celle de Champagne, se déplace vers
l'est : Chalon ou Genève. Même si Bruges et Paris restent de grandes places d'échanges,
la carte de l'économie européenne est bouleversée par de nouvelles alliances.
A cette crise industrielle se couple une crise seigneuriale, liée au monde rural. Les redevances
dues par les paysans aux seigneurs n'ont pas évolué en 2 siècles. Sauf que personne
n'a pris en compte l'inflation. Concrètement, un denier vaut 3 fois moins en 1300 qu'en
1100. Les rentes des seigneurs baissent clairement. D'autant que les récoltes entre 1315 et
1317 vont être pourries, provoquant une famine sévère et traumatisante. La main d'oeuvre
est moins nombreuse, les salaires augmentent mais le prix de la vie aussi. Face à cette
situation, l'aristocratie va délaisser les revenus fonciers au profit de sa mise
à disposition pour les services guerriers, plus rentable. La guerre est donc un moyen
parfait pour se renflouer. Au lancement du conflit en 1337, personne ne verra d'objections
à la cette guerre : l'appât du gain l'emporte.
Ces changements dans les rapports sociaux et économiques sont des facteurs important dans la marche à la guerre,
qui va s'accélérer par l'entrée en scène d'un homme trouble : Robert d'Artois.
Le Comte d'Artois se sent lésé suite à une querelle de succession. A la mort de son
grand-père en 1302, l'Artois revient à sa tante Mahaut, puisque le père de Robert
est mort. Nous sommes avant l'histoire des rois maudits et les enfants, fille ou garçon,
l'emporte à cette époque. Robert est mécontent, et va profiter de l'avènement de Philippe
VI pour réclamer ce qu'il considère lui revenir de droit. Surtout que l'histoire
de l'exclusion des femmes à la descendance est passée par là. Il a soutenu Philippe
de Valois au point de devenir l'un de ses proches conseillers. A la mort de Mahaut,
en 1329, il entame une procédure de restitution du Comté, mais d'autres barons ont des
vues sur ce territoire. L'affaire, extrêmement embrouillée et confuse, va être portée
en justice.
Sauf que devant le tribunal, Robert fait une erreur de débutant aux conséquences très
grave. Il présente des faux documents. Évidemment, il est exclu de l'héritage de son grand-père,
mais la justice royale va s'abattre sur lui. La production de faux actes est un crime
de lèse-majesté. En agissant de la sorte, il s'accapare une prérogative royale.